N° 2159 - Rapport de M. Didier Julia sur le projet de loi , adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste (n°1981)




N
° 2159

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste,

par M. Didier JULIA

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 314 (2008-2009), 9, 10 et T.A. 7 (2009-2010).

Assemblée nationale : 1981.

A – LE RETOUR DE LA LIBYE DANS LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 7

1) Une réintégration progressive 7

2) Le réchauffement des relations franco-libyennes 9

B – UNE COOPÉRATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ À DÉVELOPPER 9

1) Des problèmes de sécurité qui ont des implications internationales importantes 9

2) Le développement de la coopération dans ce domaine 10

II – UNE CONVENTION QUI PREND EN COMPTE LES SPÉCIFICITÉS DE LA SITUATION LIBYENNE 13

A – DES STIPULATIONS CONFORMES AU MODÈLE D’ACCORD EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE 13

1) Un vaste champ de coopération 13

2) Trois domaines privilégiés : la lutte contre la criminalité internationale, contre le terrorisme et contre le trafic de drogues 14

3) Le respect des législations nationales et de la souveraineté des Etats 15

B – LA PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DE LA SITUATION LIBYENNE 16

1) L’accent mis sur les actions de formation 16

2) Une convention que ne prévoit pas l’échange d’informations à caractère personnel 17

3) Une convention qui ne crée pas d’organe de suivi 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

_____

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25

Mesdames, Messieurs,

Il peut apparaître surprenant que la France ait signé, le 10 décembre 2007, une convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée avec la Libye, un Etat qui était, il y a quelques années encore, accusé d’avoir commandité des attaques terroristes contre des pays occidentaux. Ce paradoxe apparent reflète en fait le changement d’orientation de la politique libyenne. Au cours de ces dernières années, le pays a accepté d’indemniser les victimes des attentats auxquels il était mêlé et a renoncé aux armes de destruction massive, avant de libérer les infirmières bulgares et le médecin d’origine palestinienne qu’il avait détenus injustement pendant plusieurs années. Il est ainsi parvenu à normaliser ses relations avec les Etats occidentaux.

Cette évolution résolue vers une réintégration dans la communauté internationale doit servir d’exemple aux autres Etats qui sont actuellement marginalisés à cause de leurs positions non coopératives sur tel ou tel dossier : le cas de la Libye montre qu’un changement de positionnement est toujours possible et qu’une telle évolution produit des effets bénéfiques.

Cette convention est l’un des accords conclus entre la France et la Libye depuis le net réchauffement de leurs relations bilatérales, rendu possible par le règlement du dossier des infirmières et du médecin bulgares, en juillet 2007. Elle vise principalement à intensifier les actions de formation des forces de police libyennes que mènent depuis lors les autorités françaises. Il est aussi prévu de compléter cette coopération technique par une coopération opérationnelle.

Après avoir rappelé comment le retour de la Libye dans la communauté internationale a ouvert la voie au développement de la coopération en matière de sécurité intérieure, votre Rapporteur détaillera les stipulations de cette convention, qui sont classiques, même si l’accent est nettement mis sur la formation.

I – LE RETOUR DE LA LIBYE DANS LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE OUVRE LA VOIE AU DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Après avoir été considérée comme un Etat paria au cours des années 1980 et 1990, en raison de son radicalisme anti-occidental et de son soutien actif à des organisations terroristes, la Libye a adopté depuis un comportement relativement plus conciliant, grâce auquel elle a pu retrouver progressivement des relations normalisées avec la communauté internationale.

Cette nouvelle attitude s’est accompagnée d’un début d’ouverture économique, qui a profité aux entreprises étrangères, et en particulier françaises (1). Elle a aussi permis de renouer un dialogue politique avec un pays dont le leader tient un discours iconoclaste mais qui occupe une position stratégique à plusieurs égards. Les difficultés considérables auxquelles Malte et l’Italie se sont trouvées confrontées au cours des dernières années du fait de l’arrivée massive sur leurs côtes d’Africains fuyant la misère depuis des ports libyens ont mis en évidence la nécessité pour l’Europe de coopérer avec les autorités libyennes sur les questions de sécurité.

A – Le retour de la Libye dans la communauté internationale

Le règlement de la question des attentats contre les avions de la Pan Am et d’UTA a permis le retour de la Libye dans la communauté internationale. Il a aussi marqué le début du renouveau des relations franco-libyennes.

1) Une réintégration progressive

L’embargo établi le 31 mars 1992 par la résolution n° 748 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies et renforcé le 11 novembre 1993 par sa résolution n° 883 a été suspendu le 5 avril 1999 puis levé le 12 septembre 2003. Dans l’intervalle, la Libye était intervenue à deux reprises, en 2000 et en 2003, pour aider à la libération d’otages occidentaux aux Philippines et au Sahara et avait conclu, en août et septembre 2003, deux accords sur l’indemnisation des victimes des attentats de Lockerbie et du Ténéré. Le 19 décembre 2003, a été publiée la déclaration libyenne de renoncement aux armes de destruction massive.

Les gestes visant à améliorer les relations du pays avec les Etats-Unis se sont ensuite multipliés, jusqu’à la signature d’un accord d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, le 14 août 2008, qui a ouvert la voie à la nomination d’un ambassadeur des Etats-Unis à Tripoli.

Le processus de règlement des différends a été encore plus rapide vis-à-vis des pays européens. Des accords ont été signés pour une indemnisation des victimes de l’attentat contre le DC 10 d’UTA le 9 janvier 2004 et pour les victimes non américaines de l’attentat contre la discothèque « La Belle » de Berlin, le 3 septembre 2004. L’Union européenne a par ailleurs décidé la levée de l’embargo militaire européen à l’encontre de la Libye le 11 octobre 2004, mettant un terme aux dernières sanctions européennes qui pesaient sur le pays depuis 1986. La Libye participe par ailleurs au « dialogue 5+5 » (2).

Après la libération des infirmières et du médecin bulgares en juillet 2007, le rapprochement entre l’Union européenne et la Libye s’est accéléré avec la signature d’un mémorandum sur les relations entre l’Union et la Libye, le 25 juillet 2007, le lendemain de cette libération. Les négociations en vue de la signature d’un accord-cadre entre l’Union et la Libye ont commencé en novembre 2008. La dernière session de négociation qui devait se tenir à Bruxelles les 10 et 11 novembre dernier a été reportée aux 16 et 17 décembre à la demande des Libyens.

La réintégration de la Libye dans la communauté internationale a été symbolisée par son accession au statut de membre non permanent du Conseil de sécurité pour la période 2008-2009, puis par l’élection de l’un de ses ministres à la présidence de la 64ème Assemblée générale des Nations unies, à l’occasion de laquelle le Colonel Kadhafi s’est exprimé le 23 septembre dernier, pour la première fois depuis son accession au pouvoir, en 1969. Pendant l’année 2009, il préside en outre l’Union africaine, dont la Libye a accueilli le sommet en juillet dernier.

2) Le réchauffement des relations franco-libyennes

Le souci de la France de retrouver des relations normalisées avec la Libye s’est traduit par la signature, le jour même de la conclusion de l’accord d’indemnisation des familles des victimes de l’attentat du DC 10 d’UTA, d’une déclaration conjointe des ministres des affaires étrangères des deux Etats indiquant que la France était prête à accompagner la Libye dans son effort de modernisation et de réforme en profondeur de son système économique, afin de faciliter son insertion dans la communauté internationale.

Depuis lors, les visites ministérielles croisées ont été nombreuses et ont été l’occasion de la signature d’une série d’accords bilatéraux, supports au développement de la coopération bilatérale dans les domaines de la culture, du nucléaire civil, de la défense et de l’agriculture.

Les 24 et 25 novembre 2004, le Président Chirac avait effectué une visite officielle en Libye ; le Président Sarkozy a fait de même, les 25 et 26 juillet 2007, au lendemain de la libération des infirmières et du médecin bulgares que son engagement personnel avait largement contribué à obtenir. Une nouvelle déclaration conjointe ministérielle a alors été signée, insistant sur la volonté « de donner un nouvel élan aux relations bilatérales et de bâtir un partenariat stratégique entre les deux pays ».

Le Colonel Kadhafi a lui-même fait une visite officielle en France du 10 au 12 décembre 2007. C’est dans le cadre de cette visite que le secrétaire du comité populaire général de liaison extérieure et de coopération internationale a signé la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité dont l’autorisation de l’approbation est l’objet du présent projet de loi.

B – Une coopération en matière de sécurité à développer

La situation géographique de la Libye en fait une voie de passage entre le nord et le sud et entre l’est et l’ouest de la Méditerranée. Il est donc dans l’intérêt de tous d’empêcher qu’elle serve de lieu de transit aux terroristes et autres criminels transnationaux.

1) Des problèmes de sécurité qui ont des implications internationales importantes

Des filières jihadistes sont implantées sur le territoire libyen à destination soit des zones afghano-pakistanaises, soit de l’Iraq, soit des maquis d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Bien que la menace demeure globalement peu élevée sur son territoire, des incidents ont cependant été constatés contre des intérêts occidentaux à la frontière algérienne.

En ce qui concerne les stupéfiants, la Libye n’est habituellement pas une terre de production de drogue, mais le trafic y connaît une certaine expansion. Trois voies principales d’acheminement des produits ont été mises à jour. Elles se confondent de plus en plus avec celles jusqu’alors utilisées par l’immigration clandestine. Les autorités libyennes avancent également un lien entre financement du terrorisme et revenus tirés du trafic de stupéfiants.

Une préoccupation capitale pour l’Europe reste néanmoins l’immigration clandestine. Il y a environ 2 millions d’immigrés en Libye (principalement des Egyptiens, des Soudanais et des Maghrébins) pour une population autochtone de 6 millions d’habitants.

La Libye – où le traitement réservé aux migrants est particulièrement rude – procède régulièrement à des vagues d’expulsions notamment vers le Mali (novembre 2008 et automne 2009), le Soudan (août 2009), l’Egypte (octobre 2009) ou le Nigeria (novembre 2009). Elle a durci, avec l’imposition de nouvelles taxes, son dispositif législatif relatif aux conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers.

La Libye n’est pas seulement un pays de destination, elle constitue également une zone de transit vers l’Europe. Outre des dispositions récemment prises pour assurer le contrôle des voies maritimes, la Libye en appelle, depuis 2004, à l’aide européenne pour accroître parallèlement l’imperméabilité de ses frontières sud.

2) Le développement de la coopération dans ce domaine

L’Union européenne répond positivement à cet appel. Dans le cadre du mémorandum sur les relations entre l’Union et la Libye de juillet 2007, et bien qu’elle n’ait que le statut d’observateur dans le partenariat euro-méditerranéen, la Libye bénéficie de l’Instrument de la politique européenne de voisinage qui finance des actions de coopération centrées sur deux domaines : la lutte contre le VIH et les migrations. La prise en charge des actions relatives aux migrations est complétée par les instruments thématiques que sont AENEAS et l’instrument « Asile et migrations » (3). Les négociations de l’accord-cadre font de ce thème, ainsi que plus généralement des questions de sécurité, l’un des axes prioritaires de l’intensification de la coopération entre la Libye et l’Union européenne pour les années à venir.

La Libye a conclu des accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité avec plusieurs pays africains (Egypte, Tunisie, Maroc, Niger, Mali, Algérie, Tchad et Soudan) et quelques pays européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie).

La convention franco-libyenne vise pour sa part à donner un cadre à des actions de coopération menées depuis quelques années, principalement dans le domaine de l’anti-terrorisme.

Un assistant technique français a été affecté en Libye en 2007, pour participer activement à la constitution d’une unité du même type que le RAID au sein de la direction générale de la sécurité générale. Le partenariat dans ce domaine est jugé satisfaisant.

L’autre volet important de cette coopération porte sur l’organisation de sessions de formation. En 2008, a été organisé un stage sur la lutte antiterroriste, suivi par treize officiers, ainsi que diverses formations dans le domaine de la sûreté aéroportuaire, de la sécurité publique, de la formation des policiers, de la « plongée défensive » (unité antiterroriste) et de la cybercriminalité.

En 2009, la programmation de la délégation du service de coopération technique internationale de police poursuit deux axes essentiels : la coopération en matière de lutte antiterroriste d’une part et de lutte contre les flux migratoires irréguliers d’autre part.

Sept actions ont pu être réalisées et deux autres sont en cours de réalisation :

– l’envoi en France de deux officiers en stage sur la cybercriminalité ;

– l’envoi d’un officier supérieur dans le domaine de la protection des hautes personnalités et de quatre autres en apprentissage de la langue française ;

– l’immersion de deux officiers libyens au sein du RAID ;

– la réalisation du deuxième module de la formation « plongée défensive » ;

– l’organisation de la venue d’experts français en matière de sécurité des stades et de fraude documentaire ;

– deux formations sur site ont été dispensées par la délégation, l’une concernant le fonctionnement de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, l’autre dévolue à la phase préparatoire au « Libyan challenge » (compétition dans laquelle seront engagés quatre éléments de la future unité antiterroriste libyenne) ;

– enfin, est en cours de réalisation une formation en matière de « sécurité des stades » et de « plongée OXY ».

Une quinzaine d’actions de formation sont envisagées pour l’année 2010 dans les différents domaines de coopération couverts par la convention.

II – UNE CONVENTION QUI PREND EN COMPTE LES SPÉCIFICITÉS DE LA SITUATION LIBYENNE

Les nombreux accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité signés par la France s’inspirent d’un modèle commun mais se distinguent principalement les uns des autres par les priorités retenues, qui reflètent les préoccupations sécuritaires des signataires.

Tout en contenant des stipulations conformes à ce modèle, la convention conclue avec la Libye s’éloigne de celui-ci sur certains points. Il est en effet indispensable que la France adapte sa coopération à la situation de son partenaire en termes de niveau de formation des forces de l’ordre et de respect de l’Etat de droit et des droits de l’Homme.

A – Des stipulations conformes au modèle d’accord en matière de sécurité intérieure

1) Un vaste champ de coopération

L’article 1er de la convention prévoit que la France et la Libye mènent une coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité organisée, et s’accordent mutuellement assistance dans une série de domaines, parmi lesquels figurent la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, l’immigration irrégulière, le trafic de stupéfiants, les infractions économiques et financières comme le blanchiment, la traite des êtres humains, le trafic de biens culturels et d’objets d’art volés, le faux et les contrefaçons, la cybercriminalité... S’y ajoutent des domaines liés à la sécurité civile comme la lutte contre les incendies et le secours en mer, la sécurité portuaire et aéroportuaire et la sûreté des transports, la gestion de crise, le déminage, la protection des hautes personnalités.

La liste des matières faisant ici l’objet de la coopération est classique. Elle reprend en grande partie celles que l’on trouve dans d’autres accords comme ceux signés avec la Bulgarie ou la Russie, moyennant quelques adaptations. En particulier, tous les accords ne font pas une aussi grande place à la sécurité civile.

La liste contenue à l’article premier peut être complétée par voie d’amendement afin d’adapter la convention aux évolutions de la criminalité.

2) Trois domaines privilégiés : la lutte contre la criminalité internationale, contre le terrorisme et contre le trafic de drogues

Les articles 3, 4 et 5 de l’accord portent plus particulièrement sur la lutte contre la criminalité internationale, contre le terrorisme et contre la drogue. Il est classique que les accords de ce type comprennent à la fois un champ d’application très large et quelques domaines sur lesquels l’accent est plus particulièrement mis.

La criminalité internationale ne connaît pas de définition juridique. Elle recouvre divers domaines qui sont visés par l’article premier de l’accord, tels que le terrorisme – dont il est plus précisément question à l’article 4 –, la traite des êtres humains ou le trafic de stupéfiants, qui fait l’objet de l’article 5.

On peut considérer que la criminalité internationale suppose, avant tout, la constitution de filières ou de réseaux criminels structurés. La convention des Nations unies contre le crime organisé transnational signée en avril 2000 renvoie à la définition d’une organisation criminelle, qui est « un groupe structuré, composé d’au moins trois personnes, durable dans le temps et dont le but est la commission d’infractions par l’utilisation de la violence, de la corruption ou de tout autre moyen, dans le but d’obtenir directement ou indirectement un bénéfice financier ou matériel ». Cette définition a été reprise dans la convention Europol et le statut d’Interpol.

L’article 3 de l’accord franco-libyen détermine les conditions dans lesquelles s’opère la coopération. Les Parties peuvent se communiquer les informations relatives aux structures, au fonctionnement et aux méthodes des organisations soupçonnées de prendre part à la criminalité internationale, aux circonstances des crimes commis dans ce contexte, aux dispositions légales enfreintes et, le cas échéant, aux mesures destinées à prévenir de telles infractions. Les deux Parties peuvent aussi échanger des échantillons ou des objets.

Les échanges d’informations portent aussi sur les résultats des recherches menées en criminalistique (4) et en criminologie (5) et sur les méthodes d’enquête et moyens de lutte contre la criminalité organisée. Les Parties peuvent enfin échanger des spécialistes chargés de transmettre les techniques les plus modernes dans ce domaine.

L’article 4 prévoit, quant à lui, les conditions de coopération pour lutter contre le terrorisme. Cette coopération passe, là aussi, par des échanges d’informations. Le même article stipule que les Parties s’engagent à garantir le traitement confidentiel des informations qui ont ce caractère selon l’autre Partie et que les informations ne peuvent être communiquées à un Etat tiers sans l’accord de la Partie qui les a fournies.

L’article 5 porte plus particulièrement sur la lutte contre la drogue, pour laquelle les deux Parties s’entraident. Le but est de s’attaquer à toutes les étapes de l’activité : la culture, l’extraction, la production, l’importation, l’exportation, le transit et la commercialisation des stupéfiants, des substances psychotropes et de leurs précurseurs (c’est-à-dire les substances fréquemment utilisées dans la fabrication des drogues : dissolvants, catalyseurs, agents oxydants, acides et bases).

Là encore il s’agit d’échanger des informations afin de prévenir, d’empêcher et d’aider à détecter les faits visés par la convention unique des Nations unies sur les stupéfiants du 30 mars 1961, par la convention sur les substances psychotropes du 21 février 1971 et la convention du 19 décembre 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Ces informations peuvent aussi porter sur le blanchiment des fonds résultant de ces trafics. Les échanges concernent en outre les résultats de recherches en criminalistique et criminologie menées dans ces domaines, des échantillons de produits et des résultats d’expériences relatives au contrôle et au commerce légal de stupéfiants, de substances psychotropes et de leurs précurseurs.

3) Le respect des législations nationales et de la souveraineté des Etats

De manière très classique, la convention, dans son article 2, encadre les conditions dans lesquelles les actions de coopération peuvent être menées.

Il pose d’abord le principe du « strict respect », par chaque Partie, de sa législation nationale et des engagements internationaux qu’elle a souscrits, le respect des législations nationales étant réaffirmé dans les articles 3 à 5.

Il précise ensuite que chacune des Parties peut rejeter la demande formulée par l’autre Etat lorsqu’elle l’estime contraire à sa législation nationale ou attentatoire aux droits fondamentaux de la personne. La formulation de cet article, que l’on retrouve dans tous les accords, est suffisamment large pour permettre à l’Etat auquel est adressée la demande d’apprécier au mieux si les droits de la personne en cause risquent d’être ou non bafoués. Cette appréciation ne peut être juridiquement contestée par l’autre Partie.

Une demande de coopération peut également être rejetée par l’une des Parties si elle juge que son acceptation porterait atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à l’ordre public, aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’autorité judiciaire ou – formule là encore très large – à d’autres intérêts essentiels de son Etat.

B – La prise en compte des spécificités de la situation libyenne

A côté de stipulations habituelles dans ce type d’accords, figurent plusieurs éléments inhabituels, qui traduisent la situation particulière dans laquelle se trouve la Libye : d’une part, l’accent est mis sur la formation et l’échange d’expériences, afin d’aider les forces de l’ordre libyennes à rattraper leur retard par rapport aux pratiques de notre pays ; d’autre part, la convention ne comporte pas certaines stipulations car la Libye ne remplit pas les conditions nécessaires à leur mise en œuvre.

La relative prudence de notre pays se traduit notamment par le fait que la convention est conclue pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction, alors que les accords de ce type le sont généralement pour une durée illimitée – même si chaque Partie reste toujours libre de les dénoncer.

1) L’accent mis sur les actions de formation

L’article 6 de la convention précise que « dans chacun des domaines énumérés à l’article 1er  (…) la coopération a pour objet principal » : la formation générale et spécialisée, les échanges d’informations et d’expérience professionnelles, le conseil technique, l’échange de documentation spécialisée et, en tant que de besoin, l’accueil réciproque de fonctionnaires et d’experts.

Les actions de coopération de ce type sont possibles dans les accords de coopération en matière de sécurité, mais il est rare qu’un article leur soit spécifiquement consacré.

La coopération sera ainsi accrue entre les établissements et institutions d’enseignement, de même que la formation spécialisée dans les deux pays, en particulier dans les domaines de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, l’immigration clandestine et la police scientifique. L’échange de documentation spécialisée porte, entre autres, sur les outils pédagogiques traitant des domaines liés à la sécurité.

A une question de votre Rapporteur sur la possibilité d’accueillir des élèves libyens dans les écoles françaises de formation des policiers et des gendarmes, le ministère des affaires étrangères et européennes a répondu que, si cette éventualité n’était pas mentionnée expressément dans la convention, elle n’en était pas pour autant exclue puisque la coopération technique peut prendre la forme de l’accueil réciproque de fonctionnaires et d’experts : les fonctionnaires stagiaires des écoles de formation libyennes et françaises pourraient bénéficier de tels échanges.

Les forces de l’ordre libyennes sont constituées de 60 000 policiers, répartis en quatorze directions actives. La formation initiale dure six mois pour les sous-officiers, deux ans pour les officiers. Leur professionnalisme est difficile à évaluer, notamment en l’absence d’éléments sur le taux d’élucidation des affaires. Néanmoins, les échanges auxquels donnent lieux les stages de formation dispensés par les experts français laissent apparaître une marge de progression encore importante des policiers libyens. C’est pourquoi la convention fait de la coopération technique sa priorité.

2) Une convention que ne prévoit pas l’échange d’informations à caractère personnel

La coopération opérationnelle, qui consiste en l’échange d’informations, n’en est pas pour autant exclue, votre Rapporteur l’a souligné, mais elle n’a pas vocation à porter sur des données à caractère personnel.

La plupart des accords de coopération en matière de sécurité contiennent des stipulations relatives aux conditions dans lesquelles les Parties peuvent échanger des données à caractère personnel, aux usages qu’elles peuvent en faire, à l’obligation de les détruire après usage.

La présente convention est muette dans ce domaine : les informations qui peuvent être échangées ne sauraient par voie de conséquence être nominatives.

Ce silence résulte de l’absence de garantie suffisante en matière de protection des données personnelles dans la législation libyenne. En effet, la loi « informatique et liberté » (6) conditionne la possibilité de transférer des données à caractère personnel à l’existence, dans le pays destinataire, d’un niveau de protection de ces données très élevé. Très rares sont les pays qui remplissent cette condition. La Libye en est encore loin (7).

3) Une convention qui ne crée pas d’organe de suivi

Contrairement au schéma classique, la convention ne prévoit pas non plus la création d’un dispositif de suivi de la mise en œuvre de ses stipulations, qui prend généralement la forme d’un groupe de suivi ou d’un comité mixte, qui se réunit annuellement et alternativement dans chaque Etat partie et est également chargé de programmer les actions de coopération pour l’année suivante.

Ce silence de la convention s’explique par le fait que la constitution d’un Comité de suivi de la coopération en matière de sécurité intérieure franco-libyenne a été décidée en 2005. Ce comité s’est réuni à deux reprises, le 25 novembre 2005 et le 20 février 2007.

L’article 7 de la convention pose en revanche le principe d’une programmation annuelle faisant ressortir la contribution financière de chaque Partie. Ce traitement de la contribution financière est propre aux accords passés avec des pays en développement, une autre clé de répartition étant fixée entre pays développés (8).

CONCLUSION

La France et la Libye ont beaucoup à gagner à intensifier leur coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée. La Libye a besoin de disposer de forces de sécurité mieux formées et organisées et à même d’utiliser des méthodes de travail modernes ; en l’y aidant, notre pays contribue à réduire les flux de migrants clandestins, le trafic de stupéfiants et l’action des mouvements terroristes qui transitent par la Libye.

La partie libyenne a ratifié la convention le 30 juillet 2009.

Le Sénat ayant adopté le présent projet de loi le 15 octobre dernier, le gouvernement français pourra procéder à la ratification dès que notre Assemblée aura fait de même, ce à quoi votre Rapporteur est favorable.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 16 décembre 2009

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

M. Philippe Cochet. Je me réjouis de la signature de cette convention. Historiquement, la Libye coopère activement avec l’Italie, notamment sur la question de la gestion des flux migratoires. La coopération offerte à la France sur ce sujet est-elle du même niveau dans ce domaine ? Par ailleurs, comment est-il prévu de mesurer l’efficacité de ce genre de conventions ? Enfin, je sais qu’il existe de nombreuses coopérations de nos écoles de police avec l’étranger. Des projets sont-ils prévus avec la Libye, notamment pour la formation des commissaires ?

M. Didier Julia, rapporteur. La coopération avec l’Italie est effectivement très forte en matière d’immigration. Cela s’explique par la situation de l’île italienne de Lampedusa, où de très nombreux navires viennent accoster pour faire entrer des immigrés dans l’espace Schengen. L’Italie peut désormais renvoyer elle-même ces clandestins vers la Libye. Avec la France, les questions à traiter ne sont pas comparables, et il n’y a donc pas besoin de texte spécifique consacré à la coopération en matière d’immigration.

Mme Martine Aurillac. Ma question porte sur l’exécution des peines. Quand des citoyens français sont condamnés en Libye, peuvent-ils être rapatriés en France pour y purger leur peine ?

M. Didier Julia, rapporteur. Cette question n’est pas abordée par le présent projet de loi. Les décisions relatives à l’exécution des peines sont prises au plus haut niveau, par des négociations directes entre chefs d’Etat. Il n’y a pas d’accord bilatéral de transfèrement.

M. Michel Terrot. Les flux d’immigrés qui posent problème à la Libye viennent principalement des Etats d’Afrique subsaharienne. Ne serait-il pas de bonne politique d’inciter la Jamahiriya libyenne à nouer avec ces pays des partenariats sur le modèle des accords de gestion concertée des flux migratoire et de codéveloppement que la France signe en grand nombre depuis un certain temps ?

M. Didier Julia, rapporteur. La Libye est effectivement un pays de transit, plutôt que d’origine ou de destination des immigrés. Elle exerce déjà des pressions fortes sur ses voisins. Un accord franco-libyen ne permettrait de viser que les citoyens libyens, et n’aurait donc pas l’impact souhaité sur les pays d’Afrique subsaharienne.

M. Axel Poniatowski, président de la commission. Sur l’ensemble du sujet de la gestion des migrations, je pense que notre commission devrait prévoir prochainement l’audition de M. Eric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

M. Patrick Labaune. L’article 4 de la convention concerne notamment d’éventuels échanges d’informations sur les groupes terroristes. Je me demande si, sur ce sujet, le colonel Khadafi peut être considéré comme un interlocuteur fiable. Au cours de la mission d’information que je mène avec mon collègue Serge Janquin sur la situation au Soudan, nous avons pu constater plusieurs problèmes.

D’abord, il semble que le régime libyen entretienne encore des liens avec des groupes terroristes au nord du Soudan. En second lieu, à chaque fois que nous avons évoqué le colonel Khadafi auprès d’officiels africains, les réactions ont bien montré que ces dirigeants doutaient de la fiabilité du chef de l’Etat libyen.

M. Didier Julia, rapporteur. Quels que soient les doutes exprimés à son sujet, le colonel Khadafi est président de l’Union africaine. Or, il ne s’est pas imposé, et n’a pas été nommé par une autorité extérieure, mais il a bien été élu à ce poste par ses pairs.

M. François Rochebloine. Tout est-il réglé dans l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien ?

M. Didier Julia, rapporteur. J’ai indiqué que le bon déroulement de ce dossier avait été un des éléments de notre rapprochement avec la Libye.

M. Jean-Paul Lecoq. J’avoue avoir quelques difficultés à soutenir ce texte qui prévoit des échanges d’informations avec la Libye. Je ne suis pas certain que la Libye puisse déjà être considérée comme étant sortie de ses liens avec la criminalité internationale et le terrorisme. Sauf à ce que nos services nos assurent que tout est désormais réglé, que la Libye est devenue un Etat respectable, avec lequel on peut s’entendre sans aucun problème, je crois difficile de pouvoir m’associer à cet accord.

M. Didier Julia, rapporteur. Si je suis favorable à l’adoption du projet de loi, c’est que je le considère comme bon. Je le répète, il s’agit essentiellement, avec cet accord, de la formation des forces de police libyennes et il n’y aura pas d’échanges d’informations nominatives. Nous avons tout intérêt à contribuer à cette formation des forces libyennes. Chacun sait que la construction de l’Etat de droit passe aussi par des forces de police bien formées. C’est ce que permet cet accord que j’estime très positif et qui contribuera aussi à améliorer notre propre sécurité.

M. Axel Poniatowski, président. J’ajoute de plus que les clauses de rejet sont étendues et offrent toutes les garanties complémentaires nécessaires.

M. Jean-Michel Ferrand. La loi ne porte que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif, mais si certaines des dispositions de cet accord l’étaient, ce serait très intéressant ! C’était une simple remarque en forme de boutade provocatrice…

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 1981).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste, signée à Paris le 10 décembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1981).

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