N° 2433 - Rapport de M. Jean Glavany sur le projet de loi autorisant l'adhésion à la convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation (n°2009)




N
° 2433

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 avril 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2009, autorisant l’adhésion à la convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation,

par M. Jean GLAVANY

Député

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ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

A – L’ADHÉSION FRANÇAISE : UN SIGNE D’ESPOIR POUR UNE CONVENTION AU DESTIN CONTRARIÉ 9

1. Une gestation difficile 9

2. Une adhésion française bienvenue pour relancer un processus enlisé 11

B – UN TEXTE CADRE POUR LA PROTECTION ET LA GESTION INTÉGRÉE DES COURS D’EAU INTERNATIONAUX 12

1. Les grands principes 13

2. Les prescriptions 13

II – LES CONSÉQUENCES POUR LA FRANCE DE LA CONVENTION 15

A – UNE CONVENTION SANS EFFET SUR L’ORDRE JURIDIQUE INTERNE 15

1. La France respecte déjà les principes de la convention en vertu de ses obligations européennes 15

2. Le cas de la Guyane 17

B – UNE CONVENTION AU SERVICE D’UNE GOUVERNANCE MONDIALE DE L’EAU 17

1. Une opportunité pour la coopération française 17

2. Un outil en faveur d’une géopolitique de l’eau apaisée 18

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXES 25

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ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 27

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi autorisant l’adhésion à la convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation.

Adoptée à New York le 21 mai 1997 au terme d’une gestation douloureuse, cette convention constitue une avancée, qui peut paraître limitée mais n’en est pas moins symbolique, en faveur d’une gouvernance mondiale de l’eau en encourageant le dialogue entre Etats riverains sur la gestion des ressources en eau transfrontières et en offrant les outils nécessaires à la mise en œuvre de la coopération en ce domaine.

L’entrée en vigueur de la convention se heurte pourtant à des difficultés de ratification, de nombreux Etats s’inquiétant de la remise en cause de leur souveraineté ou refusant le principe même de la concertation sur cette ressource essentielle.

Si l’adhésion française permet d’espérer la relance de ce processus enlisé, elle doit aussi être l’occasion pour notre pays de faire partager une prise de conscience, favorisée notamment par le Grenelle de l’environnement, que l’accès à l’eau est une question prioritaire pour le monde au XXIème siècle tant sur les plans humain et économique que géopolitique.

L’eau dans le monde en quelques chiffres

L’homme s’approprie 54 % des ressources d’eau douce accessibles dans le monde.

1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et près de 2.6 milliards à un assainissement de base. Plus de cinq millions de personnes meurent chaque année de maladies transmises par l’eau.

Deux milliards de personnes dans plus de 40 pays sont déjà touchées par la pénurie d’eau. Les milieux aquatiques d’eau douce sont les plus menacés des écosystèmes. 1/5ème des espèces de poissons d’eau douce connaissent un déclin rapide.

Un tiers des bassins fluviaux sont partagés par plus de deux pays. À travers le monde, il existe 263 bassins fluviaux transfrontières (59 en Afrique, 61 en Amérique latine et aux Caraïbes, 17 en Amérique du Nord, 52 en Asie, 73 en Europe et 1 en Océanie). Globalement, 145 pays ont des territoires qui incluent au moins un bassin partagé.

40 % des bassins transfrontaliers bénéficient d’accords de gestion coopérative et 80 % des accords existants n’engagent que deux pays même si le cours d’eau traverse d’autres territoires.

I – LA CONVENTION DE 1997 : UNE HISTOIRE CHAOTIQUE POUR UN TEXTE FONDATEUR

263 cours d’eau internationaux traversant 145 pays sont actuellement répertoriés. Seuls 40 % des bassins transfrontaliers sont l’objet d’accords de gestion coopérative. 80 % des ces accords n’engagent que deux pays alors même que le cours d’eau s’étend sur d’autres territoires. Enfin, nombre de ces accords présentent des lacunes juridiques importantes.

Face à ce constat d’une gouvernance défaillante des cours d’eau internationaux, les Nations unies ont mis en chantier une convention susceptible d’offrir aux Etats riverains des outils pour coopérer et gérer de manière intégrée les cours d’eau internationaux.

Après avoir connu une gestation difficile, la convention se heurte à des difficultés de ratification puisque seulement 18 Etats sur les 35 nécessaires à son entrée en vigueur ont accompli les formalités requises. La France, ayant surmonté ses réticences initiales, choisit aujourd’hui d’adhérer à la convention espérant contribuer ainsi à la promotion de celle-ci.

A – L’adhésion française : un signe d’espoir pour une convention au destin contrarié

L’élaboration de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation a donné lieu à d’intenses débats juridiques et souligné la force des clivages entre Etats d’amont et aval sur la question de l’utilisation de l’eau. Ces deux facteurs ont contrarié son adoption intervenue le 21 mai 1997 et continuent de retarder son entrée en vigueur. L’adhésion de la France qu’autorise le présent projet de loi semble néanmoins nourrie par l’espoir d’enclencher un cercle vertueux en faveur de la préservation de la ressource qu’encourage la convention.

1. Une gestation difficile

La coopération internationale en matière d’utilisation des ressources en eau s’inscrit dans une tradition ancienne. L’histoire des traités internationaux sur l’eau remonte à 2 500 avant notre ère, lorsque les deux cités-Etats sumériennes de Lagash et d’Umma conclurent un accord qui mettait fin à un différend sur l’eau le long du Tigre.

Depuis lors, d’après l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 3 600 traités sur les ressources internationales en eau ont été conclus. La majorité porte sur la navigation et la démarcation des frontières. A partir du siècle dernier, les négociations et les traités portent moins sur la navigation que sur l’utilisation, le développement, la protection et la conservation des ressources en eau.

Dans les cinquante dernières années, 150 traités ont été signés tandis que 37 conflits ont éclaté sur le partage des ressources hydriques.

Certains des accords ont été conclus entre ennemis irréductibles sans que d’autres motifs de conflit viennent en troubler l’application :

– le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam, ont ainsi pu, avec l’aide de l’ONU, coopérer depuis 1957 dans le cadre de la Commission du Mékong, y compris pendant la durée de la guerre du Vietnam ;

– depuis 1955, Israël et la Jordanie ont tenu, avec la participation des Etats-Unis, des pourparlers périodiques sur le partage des eaux du Jourdain, alors même que jusqu’à récemment, ils étaient officiellement en état de guerre ;

– la Commission de l’Indus, établie avec l’aide de la Banque mondiale, a survécu à deux guerres entre l’Inde et le Pakistan.

– un accord cadre pour le bassin du Nil, qui abrite 160 millions de personnes et est commun à 10 pays, a été conclu en février 1999 en vue de lutter contre la pauvreté et de stimuler le développement économique dans la région en favorisant une utilisation équitable des ressources communes en eau pour le bien de tous. Cette initiative, financée par la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement, est un arrangement provisoire en attendant la mise en place d’un accord permanent.

Cependant, l’examen des 3 600 accords et traités signés sur ce sujet fait apparaître des problèmes de gouvernance juridique des cours d’eau internationaux (1). Ces lacunes on convaincu les Nations unies d’entreprendre l’élaboration d’un texte cadre sur l’utilisation des cours d’eau qui s’est avérée longue et complexe.

Au terme de celle-ci, la France s’est abstenue lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies en 1997, notamment par crainte d’un déséquilibre au détriment des Etats d’amont, notre pays étant alors confronté au recours de riverains situés en aval du Rhin en raison du contentieux des potasses d’Alsace. Le vote du 21 mai 1997 fut plus globalement un semi-échec en raison à la fois de l’hostilité de certains Etats envers la négociation d’un cadre général sur les eaux transfrontalières (Chine, Turquie, Burundi), et de l’abstention d’un certain nombre de pays (27, dont la France), qui craignaient que le texte n’engage excessivement les responsabilités des Etats d’amont.

Outre le clivage entre Etats d’amont et d’aval, les négociations autour du texte de la Convention s’étaient focalisées sur trois questions qui continuent aujourd’hui d’entraver le processus de ratification : la prééminence du principe de l’interdiction de causer un dommage sur le principe de l’utilisation équitable et raisonnable, l’impact de la convention sur les accords existants et les modalités de règlement des différends.

2. Une adhésion française bienvenue pour relancer un processus enlisé

A ce jour, seuls 18 Etats (2), dont huit pays de l’Union européenne, ont ratifié la convention sur les 35 nécessaires à son entrée en vigueur.

Si la France choisit aujourd’hui d’adhérer à la Convention, trois raisons peuvent être avancées : la première tient au devoir d’exemplarité qui lui incombe en raison de l’organisation du sixième forum de l’eau à Marseille en mars 2012 ; la seconde est l’extinction du contentieux sur les potasses d’Alsace qui permet de lever les réserves formulées en 1997 ; la dernière raison est l’évolution du contexte international « qui laisse entrevoir, pour la première fois depuis le vote de 1997, une relance du processus de ratification ou d’adhésion qui permettrait de rassembler les conditions de son entrée en vigueur » selon l’exposé des motifs du projet de loi.

Les représentants d’une dizaine d’Etats ont en effet annoncé, lors du cinquième forum mondial de l’eau d’Istanbul, en mars 2009, leur intention d’obtenir dans des délais rapides une adhésion de leur pays. Ces nouvelles adhésions concerneraient notamment l’Europe (l’Estonie et la Slovénie), l’Asie (Bengladesh) ainsi que des pays de l’Ouest africain (Bénin, Burkina, Ghana, Sierra Léone, Tchad). Les experts et représentants de ce continent avaient déjà lancé à Dakar, en septembre 2007, un appel pour que l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest ratifie la convention de 1997 et contribue ainsi à accélérer son entrée en vigueur sur le plan international.

Alors que l’adhésion française peut lui permettre de promouvoir, notamment auprès de ses partenaires européens, l’importance de l’entrée en vigueur de la convention, les réticences à l’égard de cette dernière perdurent.

La perte de souveraineté nationale demeure le principal argument avancé par les opposants à cette convention qui peuvent être des pays d’amont ou d’aval rétifs au développement de la coopération entre pays riverains.

Par exemple, la Turquie continue de contester la convention. Lors de l’élaboration de cette dernière, elle faisait valoir que les devoirs de l’Etat projetant une activité nouvelle devaient se limiter aux obligations de fournir, à la demande d’un autre Etat du cours d’eau, des renseignements sur cette activité et de se prêter de bonne foi à des consultations. La Turquie a ainsi implicitement mis en œuvre la doctrine « Harmon » (3) dans la programmation et la mise en œuvre de son projet intégré de développement du sud-est anatolien (projet G.A.P). Le rejet turc de la convention confirme sa stratégie de souveraineté absolue sur les eaux du Tigre et de l’Euphrate alors que les Etats avals - Syrie et Irak - dépendent très largement de cette ressource pour leur développement économique.

A l’inverse, pour un pays d’aval comme l’Egypte, qui craint que les projets de barrages en vue de l’irrigation de pays fournisseurs d’eau amont comme l’Éthiopie réduisent fortement les débits à l’aval, c’est la peur de la remise en cause d’accord de partage préexistants qui l’empêche d’adhérer. L’attitude de l’Egypte est particulièrement prudente puisque la convention ne reconnaît pas le principe de révision des accords préexistants sauf si les Etats riverains du cours d’eau et parties de la convention le souhaitent.

La plupart des pays de l’Union européenne ont quant à eux des difficultés à percevoir l’utilité de la convention dans la mesure où celle-ci est moins contraignante que la directive cadre européenne.

La convention de 1997 constitue pourtant une avancée, dont on peut regretter la timidité, puisqu’elle impose une logique de dialogue et de coopération politique qui peuvent seules permettre d’apaiser les tensions qui risquent de s’aggraver sur les ressources hydriques.

B – Un texte cadre pour la protection et la gestion intégrée des cours d’eau internationaux

La convention de 1997 pose pour la première fois les principes internationaux en matière de protection et de gestion des cours d’eau internationaux et définit un cadre de référence pour la négociation d’accords locaux en vue de la gestion partagée des cours d’eau transfrontières pour des usages autres que la navigation. C’est le seul instrument juridique des Nations unies de portée mondiale à inciter à la coopération entre les États riverains.

Articulée autour de sept parties, elle comporte 37 articles ainsi qu’une annexe relative à l’arbitrage.

Elle définit un cours d’eau comme un ensemble unitaire d’eaux de surface et d’eaux souterraines qui comprennent le fleuve principal, ses cours d’eau tributaires et distributaires et tout lac, zone humide ou aquifère connecté (article 2).

La Convention définit deux principes qui doivent gouverner l’action des Etats en matière de gestion des cours d’eaux internationaux :

– « l’utilisation équitable et raisonnable » (article 5) ; l’objectif de la convention est de parvenir à l’utilisation des ressources de manière optimale et durable, en prenant en considération en particulier les besoins humains essentiels et les intérêts des autres États riverains.

L’article 6 de la convention dresse la liste des facteurs et circonstances pertinents qui doivent être pris en compte pour apprécier les caractères équitable et raisonnable de l’utilisation d’un cours d’eau (facteurs géographiques, climatiques et écologiques ; besoins économiques et sociaux ; population, etc..) ;

– « l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs » aux autres Etats du cours d’eau (article 7) ; lorsqu’un dommage significatif est néanmoins causé, l’État responsable doit agir avec diligence pour éliminer ou atténuer ce dommage, en consultation avec l’État affecté, afin de rétablir l’équilibre par le développement d’utilisations avantageuses des ressources et la protection du cours d’eau.

Les Etats d’aval nettement plus nombreux que ceux d’amont se prévalaient de la théorie des droits riverains de même que des impératifs liés à la protection de l’environnement pour faire valoir la prééminence de l’interdiction de causer un dommage sur le principe de l’utilisation équitable et raisonnable. C’est ce dernier principe qui a finalement été retenu.

Dès son article 3, la convention encourage les Etats à coopérer en adoptant des accords de cours d’eau qui appliquent et/ou adaptent la convention à leurs circonstances et besoins spécifiques. Ce même article prévoit la possibilité de maintien des accords existants.

La convention prévoit ensuite que les États :

– respectent les procédures de consultation, de négociation, et d’échange d’informations avant la mise en application de mesures susceptibles d’avoir un impact ou de causer d’importants dégâts dans d’autres Etats riverains (articles 11 et 19). L’échange d’informations, qui repose sur l’interopérabilité des données, est la première étape, souvent longue et déterminante de la coopération entre Etats riverains ;

– protègent et préservent les écosystèmes des fleuves en prenant en compte les interactions entre écosystèmes aquatiques et terrestres ; prennent également toutes les mesures nécessaires pour protéger l’environnement des estuaires (articles 20 et 22) ;

– préviennent, réduisent et maîtrisent la pollution des eaux, susceptible de gravement endommager l’eau des autres Etats riverains ou leur environnement (article 21) ;

– prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir l’introduction d’espèces étrangères ou nouvelles dans un cours d’eau international qui risqueraient d’avoir un impact préjudiciable sur son écosystème et de causer un dommage significatif à d’autres Etats du cours d’eau ;

– prennent toutes les mesures appropriées pour prévenir ou atténuer l’impact des conditions dommageables relatives à un cours d’eau international ; en cas de situation d’urgence, informent immédiatement les Etats et organisations internationales potentiellement concernés et, si nécessaire, développent conjointement des plans d’urgence ou d’endiguement (articles 27 et 28) ;

– engagent des consultations pour la création de mécanismes conjoints de gestion, tels que des organisations de bassins hydrographiques, des plans de gestion transfrontalière, des plans communs d’urgence ou la mise en place de normes agréées sur la qualité de l’eau (articles 21 et 24) ;

– en cas de désaccord et en l’absence d’un accord applicable, qu’ils s’efforcent de résoudre le différend par des moyens pacifiques, conformément aux dispositions de la convention (article 33).

Les principes définis par la convention et les outils qu’elle propose pour mettre en oeuvre la coopération permettent d’encadrer la préservation et l’utilisation équitable des cours d’eau et de promouvoir l’intégration régionale et le développement durable. Le Grenelle de l’environnement a démontré que la France partage ces préoccupations.

II – LES CONSÉQUENCES POUR LA FRANCE DE LA CONVENTION

Si la convention n’affecte pas l’ordre juridique interne, soumis à la réglementation européenne plus contraignante, elle constitue une opportunité pour la coopération française ainsi qu’un instrument au service d’une géopolitique de l’eau apaisée que la France appelle de ses voeux.

A – Une convention sans effet sur l’ordre juridique interne

En vertu de la réglementation communautaire, la France satisfait déjà aux obligations qui résultent de la convention. Le cas de la Guyane pourrait néanmoins justifier l’application de la convention.

1. La France respecte déjà les principes de la convention en vertu de ses obligations européennes

La convention de 1997 revêt pour de nombreux Etats dont la France un caractère essentiellement supplétif puisque l’article 3 de la convention, ayant trait aux « accords de cours d’eau » conclus entre Etats riverains, dispose « à moins que les Etats du cours d’eau n’en soient convenus autrement, la présente convention ne modifie en rien les droits ou obligations résultant pour ces Etats d’accords en vigueur à la date à laquelle ils sont devenus parties à la présente convention. »

La France est déjà partie à des accords et commissions cohérents avec les principes posés par la convention en raison des cours d’eau qui traversent le territoire métropolitain :

Escaut : Accord du 26 avril de 1994 de Charleville-Mézières, à la suite duquel a été créée la Commission internationale pour la Protection de l’Escaut (en 1995). Elle a été transformée en Commission internationale de l’Escaut (CIE) par l’accord international sur l’Escaut signé à Gand le 3 décembre 2002. Ce nouvel accord (France, Pays-Bas, Belgique) a été établi pour satisfaire à l’obligation d’une coordination multilatérale effective prévue par la directive cadre sur l’eau.

Meuse : Accord international sur la Meuse du 3 décembre 2002 entre l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la France et la Belgique et créant la Commission internationale de la Meuse (CIM).

Moselle : Accord du 20 décembre 1961 créant la Commission internationale pour la protection de la Moselle contre la pollution, et simultanément la Commission internationale pour la protection de la Sarre (CIPMS). Les Etats Membres (France, Luxembourg, Allemagne) ont signé le 22 mars 1990 à Bruxelles un protocole complémentaire pour instituer un secrétariat commun, établi à Trèves de façon permanente en 1991.

Rhin : Accord de Berne du 29 avril 1963 sur la protection des eaux du Rhin, remplacé par une nouvelle Convention pour la protection du Rhin le 12 avril 1999 à Berne, (Suisse, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas et représentant de la Commission Européenne) en vue de protéger le caractère précieux du Rhin, de ses berges et de son milieu alluvial en renforçant la coopération.

Lac Léman : Convention du 16 novembre 1962 entre la Suisse et la France concernant la protection des eaux du lac Léman contre la pollution et créant la commission internationale pour la protection des eaux du lac Léman (CIPEL). D’autres accords ont complété ce cadre (accord franco-suisse du 5 mai 1977 sur l’intervention des organes chargés de la lutte contre la pollution accidentelle des eaux par les hydrocarbures ou autres substances pouvant altérer les eaux, accord du 20 novembre 1980 sur la déphosphatation des eaux du lac Léman).

Pour la France, et plus généralement pour les Etats européens, les textes existants sont plus contraignants que la convention et ne seront pas remis en cause par l’entrée en vigueur de celle-ci.

Cette question se pose pour la directive communautaire du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (4) ainsi que pour la convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux du 17 mars 1992, dite « convention d’Helsinki » (5).

La directive-cadre prévoit notamment l’identification et l’analyse des eaux européennes, recensées par bassin et district hydrographiques, ainsi que l’adoption de plans de gestion et de programmes de mesures appropriées à chaque masse d’eau. Elle organise la gestion des eaux intérieures de surface, souterraines, de transition et côtières, afin de prévenir et de réduire leur pollution, de promouvoir leur utilisation durable, de protéger leur environnement, d’améliorer l’état des écosystèmes aquatiques et d’atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Elle a été transposée en France par la loi du 21 avril 2004 (6).

La convention d’Helsinki (7) fixe le cadre de la coopération entre les pays membres de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-NU) en matière de prévention et de maîtrise de la pollution des cours d’eau transfrontières, en assurant une utilisation rationnelle des ressources en eau dans la perspective du développement durable. Les Etats parties à la convention s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées afin de prévenir, maîtriser ou réduire tout impact transfrontière.

Se pose néanmoins la question de l’articulation de la convention de 1997 avec ces deux textes. Trois observations peuvent être faites à cet égard :

– la convention de 1997 aménage minutieusement un dialogue de type diplomatique classique (notification de gouvernement à gouvernement des difficultés rencontrées, réponse à la notification), suivi d’un mécanisme d’arbitrage international en cas de litige tandis que les deux autres instruments prévoient des structures de coordination et de coopération ;

– la convention d’Helsinki a pour objet essentiel la prévention de la pollution. Cet instrument est beaucoup plus précis et détaillé en ce domaine que la convention de 1997, dont la portée affichée est plus large et qui ne consacre que quelques dispositions ( articles 20 à 26) à la protection de l’environnement. Il semble que l’on puisse faire application en l’espèce du principe de spécialité selon lequel les dispositions d’une convention ayant trait à un domaine spécifique sont susceptibles de prévaloir sur un autre instrument de portée plus générale ;

– S’agissant de la directive communautaire, qui est destinée à s’appliquer non pas seulement aux cours d’eaux internationaux, mais à l’ensemble du territoire de l’Union européenne, une observation analogue semble pouvoir être faite. Une telle analyse paraît avoir été partagée par les huit Etats membres qui ont déjà ratifié la convention.

2. Le cas de la Guyane

En l’absence de commission bilatérale chargée de la gestion des deux fleuves internationaux traversant le territoire guyanais, le Maroni et l’Oyapock, la convention de 1997 devrait s’appliquer à la Guyane.

Cependant, la directive-cadre européenne, qui est en tout état de cause plus contraignante que la convention de 1997, prévoit que la France parvienne à un état satisfaisant de ces fleuves de Guyane d’ici 2015. Elle doit donc pour atteindre cet objectif envisager d’y travailler avec le Brésil et le Surinam en vertu de l’article L. 212-2-3 du code de l’environnement qui transpose la directive-cadre (8).

B – Une convention au service d’une gouvernance mondiale de l’eau

En proposant les outils nécessaires à une gestion commune des eaux par les Etats riverains, la convention encourage la coopération internationale sur les ressources en eau. Celle-ci pourrait présager d’une gouvernance mondiale de l’eau pour laquelle la France doit plaider vigoureusement en s’engageant notamment au travers de ses actions de coopération.

1. Une opportunité pour la coopération française

Les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur ont regretté que le discours volontariste de la France sur la préservation de la ressource hydrique ne semble pas se traduire par des moyens pour la coopération.

Ils ont ainsi souligné l’inadéquation de notre dispositif en matière de coopération (multiplication des autorités de tutelle, difficultés de mobilisation des experts de l’administration) ainsi que la faiblesse des moyens.

A cet égard le transfert de la compétence à l’Agence française de développement (AFD) pose problème puisque celle-ci apporte son aide principalement sous forme de prêts alors que les interventions sur ces sujets doivent être réalisées très en amont. Le dispositif européen de la Facilité pour l’eau (9) ne répond également que partiellement aux besoins puisqu’il repose sur des appels à projets qui supposent l’existence d’une maîtrise d’œuvre. Or la maîtrise d’œuvre correspond à un stade avancé des projets.

La France pourrait notamment mettre en avant son savoir-faire en matière d’échange d’informations ainsi que son modèle de financement fondé sur la redevance. Il est donc souhaitable que le Gouvernement mobilise les moyens nécessaires pour traduire son engagement en faveur de l’eau, bien public mondial et permette ainsi aux compétences nombreuses d’être mises à son service.

2. Un outil en faveur d’une géopolitique de l’eau apaisée

La valeur pédagogique de l’entrée en vigueur d’une convention qui promeut la concertation sur l’utilisation des eaux transfrontalières doit être soulignée. La convention répond également à la nécessité d’internationaliser la gestion des cours d’eau et de ne pas la circonscrire à des relations d’Etat à Etat qui favorisent les tensions.

La convention apparaît comme un précieux instrument de paix et de stabilité pour les nations partageant des ressources en eau alors que les tensions risquent de s’aggraver du fait des impacts du changement climatique, de la croissance démographique et économique.

Zones de « conflit hydrique potentiel »

Le bassin du Jourdain : de nombreux épisodes ponctuent l’histoire du contrôle des eaux du Jourdain. Un accord entre Israël et la Jordanie a été signé en 1994, à ce jour aucun accord régional sur ce bassin n’existe.

Le bassin du tigre et de l’Euphrate : la Turquie en amont contrôle 90 % des eaux de l’Euphrate et 50 % de celle du Tigre alors que ces fleuves sont une part essentielle des ressources en eau de la Syrie et de l’Irak.

Le Bassin du Nil : L’initiative du bassin du Nil tente de promouvoir le dialogue entre les 10 pays riverains du fleuve.

Le bassin de la Mer d’Aral : une approche régionale entre les pays d’Asie Centrale et l’Afghanistan est souhaitable mais pour l’instant l’approche bilatérale est privilégiée ;

Sur les multiples bassins transfrontaliers d’Afrique et notamment d’Afrique de l’Ouest.

entre la Chine et la Russie à propos du fleuve Amour ;

entre le Chili et la Bolivie à propos du rio Silala ;

entre les États-Unis et le Mexique autour du Colorado et du Rio Grande, etc.

CONCLUSION

L’adhésion française à la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, qui peut modestement contribuer à une géopolitique de l’eau pacifiée, doit être une occasion pour notre pays de faire de la question de l’eau et de l’accès à celle-ci une priorité de sa politique internationale.

Le premier pas que constitue ce geste symbolique de la France mérite d’être salué. Votre rapporteur souhaite néanmoins encourager le Gouvernement à poursuivre dans cette voie par la promotion au niveau mondial de deux propositions audacieuses : la reconnaissance d’un droit universel d’accès à l’eau et la création d’une autorité mondiale de l’eau auprès de l’ONU.

Il semblerait également intéressant que la commission des affaires étrangères approfondisse, peut-être par le biais d’une mission d’information, la question de la géopolitique de l’eau.

Quelques jours après la journée mondiale de l’eau le 22 mars dernier, votre rapporteur recommande l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 6 avril 2010.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Robert Lecou. On parle souvent de défis environnemental et climatique, de l’alimentation et des problèmes de l’agriculture, mais, au fond, l’eau est au cœur de tous ces enjeux. Le rapporteur l’a pertinemment rappelé, l’apport de la présente convention est à la fois limité et essentiel. Le texte de cet accord est en effet un collationnement des pratiques, coutumes et usages déjà existants, ce qui est positif. Manquent pourtant quelques avancées majeures, comme la prise en compte de la notion de bassins hydrographiques, ou la mise en place d’un tribunal de l’eau sur le modèle du tribunal pour la mer.

Partant du constat qu’il est difficile d’internationaliser les enjeux de la gestion de l’eau, ne faudrait-il pas progresser dans la gestion bilatérale ? De nombreux problèmes politiques actuels sont liés à la gestion des bassins hydrographiques. Dans ce domaine, la convention prévient les conflits, mais aucun organe n’est prévu pour les résoudre.

M. Jean Glavany, rapporteur. La convention va plus loin que le simple collationnement de l’existant. De nombreux cours d’eau ne font pas encore l’objet d’accords bilatéraux. Les Etats craignent pour leur souveraineté dans ce domaine, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France n’avait pas voté en faveur de la présente convention.

Notre pays n’a rien à craindre de ce texte, du fait des nombreux accords bilatéraux ratifiés par la France, et de l’existence d’une directive-cadre communautaire qui va même au-delà des exigences posées par la convention. Cette dernière a bien pour objet ce qui suscite votre inquiétude : favoriser une gestion concertée et pacifiée des cours d’eau entre les Etats riverains.

Certes, la définition des bassins hydrographiques n’est pas présente dans le texte de la convention. Toutefois, les grands principes qu’elle pose vont dans le même sens. En posant l’obligation pour l’ensemble des Etats frontaliers de négocier la gestion des cours d’eau entre eux, elle aboutit de fait au même résultat qu’une approche en termes de bassins hydrographiques.

M. Lionnel Luca. La Chine est-elle partie à cet accord ? Un récent reportage publié dans Le Figaro rappelait la situation actuelle pour le Mékong : grâce au Tibet, la Chine a de fait la haute main sur le château d’eau de l’Asie, avec cinq grands fleuves qu’elle gère d’ailleurs sans se soucier du sort des pays aval.

Ainsi, la Chine ne participe pas à la Commission pour le Mékong. Il y a bien une géopolitique de l’eau, et nous devons nous en préoccuper. Au nom de sa puissance, la Chine refuse de se lier les mains, mais, au nom de l’intérêt commun pour l’humanité que représentent les ressources en eau, nous devons trouver les moyens pour faire évoluer les Etats.

M. Jean Glavany, rapporteur. La Chine a voté contre cette convention, ne l’a pas ratifié, et reste rétive à toute application de principes internationaux de gestion de l’eau.

Le Mékong fait l’objet d’un accord, instituant la Commission du Mékong, qui fonctionne depuis 1957 et réunit la Thaïlande, le Cambodge, le Laos et le Viêt-Nam. La gestion de ce fleuve est donc organisée de manière concertée entre ces pays mais sans la Chine.

M. Alain Néri. La proposition du rapporteur de création d’une mission d’information relative à la géopolitique de l’eau me paraît essentielle. On sait par exemple que le conflit entre Israël et ses voisins trouve aussi ses origines dans des querelles relatives à la gestion de l’eau.

Dans la présente convention, des mesures sont-elles prévues pour limiter la canalisation des cours d’eau, et conserver leur liberté à certains fleuves, en prenant bien sûr en compte les risques d’inondation et d’assèchement ?

Prévoit-on également des mesures pour encadrer l’exploitation du lit des rivières, laquelle peut avoir de graves conséquences sur les cours d’eau eux-mêmes, et donc la situation des pays aval ?

M. Jean Glavany, rapporteur. Malgré le caractère extrêmement tendu de la situation au Moyen-Orient, des discussions existent depuis longtemps entre Israël et la Jordanie concernant la gestion du Jourdain, y compris dans les périodes de crise entre els deux pays.

S’agissant des pratiques de canalisation et de l’exploitation des lits de fleuves, la convention prévoit précisément que les pays aval soient informés et, éventuellement, indemnisés en cas de perturbations de leur approvisionnement résultant de ces activités.

M. Jacques Remiller. Existe-t-il également une coopération entre la Corée du Nord et la Corée du Sud dans le domaine de la gestion de l’eau ?

M. Jean Glavany, rapporteur. A ma connaissance, aucun cours d’eau ne sépare ces deux Etats.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 2009).

*

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXES

Etats signataires de la convention

Participant

Signature

Ratification, Acceptation(A), Adhésion(a), Approbation(AA)

Afrique du Sud

13 août 1997

26 octobre 1998

Allemagne

13 août 1998

15 janvier 2007

Côte d'Ivoire

25 septembre 1998

 

Espagne

 

24 sept 2009 a

Finlande

31 octobre 1997

23 janv 1998 A

Hongrie

20 juillet 1999

26 janv 2000 AA

Iraq

 

 9 juil 2001 a

Jamahiriya arabe libyenne

 

14 juin 2005 a

Jordanie

17 avril 1998

22 juin 1999

Liban

 

25 mai 1999 a

Luxembourg

14 octobre 1997

 

Namibie

19 mai 2000

29 août 2001

Norvège

30 septembre 1998

30 septembre 1998

Ouzbékistan

 

 4 sept 2007 a

Paraguay

25 août 1998

 

Pays-Bas

9 mars 2000

 9 janv 2001 A

Portugal

11 novembre 1997

22 juin 2005

Qatar

 

28 févr 2002 a

République arabe syrienne

11 août 1997

 2 avr 1998

Suède

 

15 juin 2000 a

Tunisie

19 mai 2000

22 avril 2009

Venezuela (République bolivarienne du)

22 septembre 1997

 

Yémen

17 mai 2000

 

 

 

 

Liste des personnalités auditionnées

(par ordre chronologique)

– Mme Nathalie Chartier-Touze, déléguée générale du Partenariat français pour l'eau

– M. Jean-François Donzier, directeur général de l’Office international de l’eau

– Mme Danielle Mitterrand, présidente de France Libertés

– M. Emmanuel Poilane, directeur de France Libertés

– M. Jean-Luc Touly, directeur du secteur eau de France Libertés

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’adhésion à la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation (ensemble une annexe), adoptée à New York le 21 mai 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 2900).

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