N° 3286 - Rapport de M. Robert Lecou sur le projet de loi , adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République gabonaise (n°3195)




N
° 3286

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mars 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République gabonaise,

par M.  Robert LECOU

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 104, 245, 247 et T.A. 72 (2010-2011).

Assemblée nationale : 3195.

A – LA FRANCE, PUISSANCE MILITAIRE EN AFRIQUE 7

1) La sortie de l’empire colonial 7

2) Un dispositif moins important aux contours fluctuants 8

B – LE REDÉPLOIEMENT EN AFRIQUE ET AU-DELÀ 9

1) La mise en œuvre des engagements pris en 2008 9

2) Une manifestation juridique : de nouveaux accords de défense 10

C – LES CONSÉQUENCES D’UNE NOUVELLE ORGANISATION 11

1) Des réactions locales mesurées 11

2) Une organisation apparemment rationalisée 11

3) Quelle influence pour demain ? 12

II – LE TRAITE FRANCO-GABONAIS ET SES PARTICULARITES 15

A – UN ACCORD DE COOPÉRATION MILITAIRE STANDARD 15

B – LES SPÉCIFICITÉS DU TEXTE FRANCO-GABONAIS 17

1) La coopération militaire franco-gabonaise, partenariat d’ampleur 17

2) Des spécificités de l’accord sans incidence majeure 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur 23

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ANNEXE –TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25

Mesdames, Messieurs,

La France a engagé un vaste mouvement de remise à niveau de ses relations stratégiques avec plusieurs pays africains. Conformément aux engagements pris par le Président de la République lors de son discours devant le parlement sud-africain le 28 février 2008, engagements réitérés par le livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de juillet 2008 et la loi de programmation militaire pour 2009 – 2014, les accords de défense liant la France à d’autres Etats, notamment en Afrique, ont été remplacés.

Sur les huit accords de défense concernant le continent africain, quatre d’entre eux ont été présentés par le gouvernement au Parlement, concernant le Cameroun, le Gabon, le Togo et la République centrafricaine. Seul pays africain de cette liste accueillant une base militaire française permanente, l’accord avec le Gabon est spécifique sur plusieurs points, justifiant une analyse particulière.

Le dispositif de bases de défense françaises à l’étranger participe de la mission de prévention des conflits de notre outil de défense. Permettant de réagir plus rapidement à d’éventuelles crises pouvant mettre en danger nos ressortissants, il est aussi un moyen pour notre pays de s’assurer d’une influence particulière dans certaines régions du monde.

Comprendre les enjeux du présent accord franco-gabonais implique donc de se pencher sur la restructuration profonde de nos implantations militaires hors du territoire national. Participant de la volonté française de redéfinir son rôle sur le continent africain afin de favoriser les initiatives de coopération régionale et de renforcer le poids de l’Union européenne, le présent accord offre par ailleurs les garanties que l’on serait en droit d’attendre s’agissant des relations militaires de notre pays avec un autre Etat.

I – LA RECONFIGURATION D’UN DISPOSITIF ANCIEN

Peu d’Etats disposent d’implantations militaires hors de leur territoire. Leur organisation géographique reflète souvent un héritage, mais conditionne nécessairement le présent. Ainsi, l’influence française en Afrique est indissociable du rôle militaire qu’elle a joué et continue de jouer sur le continent. Toutefois, pour des raisons financières, et afin de tenir compte de l’évolution du contexte stratégique, la carte de nos bases militaires à l’étranger est en passe d’être redessinée.

A – La France, puissance militaire en Afrique

Au début des années 1960, la France comptait environ 30 000 soldats sur le continent africain, répartis au sein de bases de défense situées sur le territoire de l’ancien empire. Contrairement à d’autres Etats, la France n’a pas supprimé totalement ses implantations permanentes de défense dans ses anciennes colonies, mais a considérablement réduit leur importance.

1) La sortie de l’empire colonial

La France a compté jusqu’à sept bases sur le continent africain : au Sénégal, à Madagascar, en République centrafricaine (RCA), en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Gabon et à Djibouti. Plusieurs de ces implantations ont disparu.

Ainsi, à Madagascar, sur décision des autorités malgaches, les forces françaises permanentes se sont retirées en totalité en 1973 sur l’île de La Réunion. De même, en RCA, les éléments français d’assistance opérationnelle se sont retirés en 1996 et ont été remplacés par des unités aux missions plus limitées.

L’évolution à la baisse du nombre de bases militaires françaises en Afrique reflète un changement important des objectifs assignés à nos forces sur place. A l’origine, les unités françaises basées en permanence sur le continent avaient pour fonction de former les armées nationales des Etats africains, et de garantir leur souveraineté et l’intégrité de leurs frontières dans le contexte incertain des premières années de la décolonisation.

Progressivement, la mission de protection des Etats assignées aux forces françaises en Afrique a évolué vers un rôle de prévention des crises. Les bases de défense servaient alors de centre de préparation logistique pour la projection sur place d’unités d’intervention plus importantes. Le nombre de personnels affectés sur les bases s’en est ressenti, passant de 30 000 à 20 000 au cours des années 1970, puis 15 000 dans les années 1980.

La dernière inflexion remonte à la fin des années 1990, avec la mise en place du dispositif RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) en 1997, et la proposition française de participer à la mise en œuvre de l’architecture de paix et de sécurité africaine (APSA) en 2006. Les forces françaises prépositionnées en Afrique assurent donc aujourd’hui des missions de prévention des crises, qui peuvent impliquer des opérations militaires (une vingtaine depuis la fin des années 1980), mais ont principalement vocation à appuyer la montée en puissance d’un dispositif proprement africain de stabilisation et de sécurisation du continent.

2) Un dispositif moins important aux contours fluctuants

En plus de leurs tâches de prévention, les forces armées françaises déployées de façon permanente sur le territoire africain assurent la mise en œuvre des accords de défense noués avec les Etats d’accueil de nos bases. A l’heure actuelle, la France dispose encore de trois bases sur le continent africain, à Djibouti, au Gabon et au Sénégal, la dernière étant en cours de conversion.

Au total, environ 6 000 militaires sont présents au sein de bases françaises en Afrique. La cible désormais fixée pour 2014 est de réduire ce contingent à 4100. Depuis les indépendances, c’est donc à une division par plus de 7 qu’ont été soumises les forces françaises prépositionnées en Afrique.

Toutefois, en plus des forces permanentes, la France dispose également de nombreux personnels militaires dans le cadre d’opérations extérieures. Environ 2 500 des 5 100 soldats français déployés dans des opérations extérieures (hors Afghanistan) sont situés en Afrique dans le cadre d’opérations diverses : Licorne en Côte d’Ivoire (950 hommes), Boali en République centrafricaine (230 hommes), Corymbe dans le Golfe de Guinée (250 hommes mais variable en fonction des types de navires présents sur place pour lutter contre la piraterie).

Au Tchad, un dispositif militaire français conséquent (975 hommes) est présent depuis 1986 dans le cadre de l’opération Epervier. Destinée à l’origine à aider les forces tchadiennes contre les armées libyennes, elle a pris la suite de l’opération Manta, conduite entre 1983 et 1984 pour les mêmes raisons. Malgré la disparition de la menace identifiée à l’origine, les forces françaises sont toujours présentes au Tchad dans le cadre de l’opération Epervier.

Ainsi, la présence militaire française en Afrique, qui a changé de raison d’être, a également connu une évolution perceptible de son organisation juridique, les opérations extérieures remplaçant, sans la compenser, l’importante réduction du nombre de bases permanentes. Entamée à la fin des années 1990, ce mouvement a connu une nette accélération depuis 2008, s’accompagnant d’une reconfiguration géographique du dispositif militaire français à l’étranger.

B – Le redéploiement en Afrique et au-delà

Le nombre de bases en Afrique s’est réduit parallèlement au dégagement relatif de notre pays pour favoriser une montée en puissance des forces de stabilisation africaines. A l’inverse les choix les plus récents en matière d’implantations de défense à l’étranger ont souligné une volonté d’adapter notre outil de défense au nouveau contexte stratégique.

1) La mise en œuvre des engagements pris en 2008

La reconfiguration des bases de défense françaises à l’étranger a été proposée dans le cadre de la commission du livre blanc pour la sécurité et la défense nationale. Publié en juillet 2008, le document final prévoit une organisation bâtie autour de trois pôles : deux en Afrique, l’un sur chacune des façades océanes du continent, l’autre dans le golfe.

Repris en annexe de la loi de programmation militaire pour 2009 – 2014, ce choix a été confirmé par les autorités françaises et précisée lors du conseil de défense de février 2010. En Afrique, le nouveau dispositif comprendra seulement deux bases, l’une à Djibouti et l’autre à Libreville. Deux pôles opérationnels de coopération, incluant la fonction de point d’appui, notamment logistique et opérationnel, sont également prévus, à Dakar et, ultérieurement, à N’Djamena. Enfin, une nouvelle base des forces françaises sera située à Abou Dabi, aux Emirats arabes unis.

Un schéma directeur a été établi pour la période 2011- 2014, mettant en perspective les travaux de restructuration pour atteindre le dispositif cible. Deux tiers des réductions d’effectifs (1000 sur 1500 environ) seront obtenus par dissolution ou départ d’unités opérationnelles afin notamment d’armer la base d’Abou Dabi (1).

L’effort de réduction structurelle restant à accomplir pour atteindre la cible correspond à environ 500 postes et concernera essentiellement le stationnement et les soutiens, notamment à Djibouti. Il bénéficiera notamment de la suppression des postes encore affectés à la finalisation des opérations de transfert permettant de transformer la base de Dakar en centre régional de formation.

A terme, la France devrait donc disposer de trois bases regroupant environ 2000 militaires à Djibouti, 1000 à Libreville et 600 à Abou Dabi pour un total d’environ 3 600. Le reste des 4100 personnels déployés devrait être intégré aux centres régionaux de formation au Sénégal et au Tchad regroupant chacun environ 300 personnels français.

2) Une manifestation juridique : de nouveaux accords de défense

La quasi-totalité des pays entrant dans le nouveau dispositif militaire français prépositionné étaient déjà signataires d’un accord de défense. Dès lors, ces textes ont fait l’objet d’une renégociation conformément aux engagements pris par le Président de la République en 2008 et réaffirmés en 2010.

Ainsi, en-dehors du présent traité signé avec le Gabon remplaçant un accord de défense de 1960, plusieurs textes actuellement en vigueur avec des Etats où la France dispose de bases de défense devraient être abrogés prochainement, notamment :

– le protocole provisoire fixant les conditions de stationnement des forces françaises sur le territoire de la République de Djibouti après l’indépendance et les principes de la coopération militaire entre les deux gouvernements, signé le 27 juin 1977 et valant accord de défense ;

– l’accord de coopération en matière de défense avec l’Etat des Emirats arabes unis signé le 18 janvier 1995 ;

– l’accord de coopération en matière de défense avec le Sénégal, signé le 29 mars 1974.

Un accord a été signé avec les Emirats arabes unis le 26 mai 2009 et déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale le 2 mars 2011. En revanche, les négociations avec le Sénégal et Djibouti ne sont pas encore terminées pour le moment.

Enfin, le Tchad, qui pourrait accueillir un centre régional de coopération, n’était pas lié à notre pays par un accord de défense au sens propre du terme, ayant dénoncé l’accord signé le 15 août 1960. Toutefois, le président tchadien a manifesté en juillet 2010 son souhait de voir ses relations militaires avec la France régie par un nouveau texte. A l’heure actuelle, l’ouverture de négociations entre les deux pays n’a pas été confirmée.

La disparition progressive des anciens accords de défense de la France avec des Etats africains devrait accélérer une évolution entamée au début des années 2000. En effet, à terme, la totalité des interventions militaires françaises sur le continent africain feront l’objet d’une décision multilatérale, notamment de l’organisation des Nations Unies, alors que plusieurs opérations précédentes avaient été décidées en application de clauses d’assistance mutuelle contenues dans les accords de défense et aujourd’hui disparues.

C – Les conséquences d’une nouvelle organisation

Avec trois bases et deux centres régionaux de formation, la France réduit considérablement l’ampleur de son outil militaire prépositionné qui a pu compter jusqu’à sept bases et 30 000 hommes. Les conséquences d’un tel mouvement ne sont pas anodines, sur les populations locales et sur le coût d’ensemble de notre dispositif. Au-delà, cette évolution doit être mise en perspective afin d’apprécier ses effets sur l’influence de notre pays.

1) Des réactions locales mesurées

La restructuration des bases de défense françaises à l’étranger a été largement voulue par les responsables des Etats hôtes. Ainsi, le président sénégalais avait annoncé qu’il ne souhaitait pas que son pays soit le dernier à accueillir une base de défense française en Afrique, et il a déclaré dès le 4 avril 2010 que le Sénégal entendait recouvrer l’entière souveraineté sur les emprises françaises sur le territoire sénégalais.

La question des conséquences locales de la restructuration de notre dispositif prépositionné concerne évidemment au premier chef le Sénégal, où l’implantation actuelle accueille 1200 hommes et devrait passer à 300 avant la fin 2011. Très localement, un impact économique important est attendu, estimé à environ 22 millions d’euros (soit 15 milliards de francs CFA). Les syndicats sénégalais s’inquiètent également pour le bassin d’emploi local, au vu du nombre de postes directs et indirects générés par la présence française. Toutefois, les dispositions ont été prises afin d’assurer la transition pour les salariés concernés dans les meilleures conditions, souvent meilleures que les dispositifs prévus par le droit local.

En-dehors de questions bien identifiées, la réorientation de notre effort militaire extérieur permanent a été bien accueillie par les Etats concernés. Certains sont même allés jusqu’à financer une partie des investissements rendus nécessaires pour adapter notre outil à ses nouvelles missions, allégeant d’autant le coût de la transition, dont l’un des objectifs relève clairement d’impératifs financiers pour notre pays.

2) Une organisation apparemment rationalisée

La réduction du nombre de bases et de personnels déployés de manière permanente hors de nos frontières remplit un indéniable objectif budgétaire et comptable. Les surcoûts générés par les bases ne sont pas négligeables et pourraient être mieux maîtrisés au terme de la réforme.

Les sommes consacrées aux bases de défense en 2009 (en exécution) étaient d’environ 450 millions d’euros, principalement composés des soldes versées aux personnels (333 millions d’euros) et des dépenses d’activité et d’équipement (70 millions d’euros environ).

La transformation de la base de Dakar en centre régional de formation et l’évolution de la base de Djibouti généreront des dépenses : 10 millions d’euros sur deux ans au Sénégal, 38 millions d’euros sur trois ans à Djibouti pour rationaliser les emprises.

Toutefois, ces dépenses initiales seront compensées par des économies de fonctionnement à terme. Au Sénégal, l’économie attendue est considérable, les frais globaux passant de 90 à 45 millions d’euros dès la mi-2011. A Djibouti, le coût annuel passerait progressivement de 215 à 165 millions d’euros.

Le bilan des opérations financières concernant les bases de Dakar et Djibouti fait donc apparaître un investissement de 48 millions d’euros pour des économies annuelles de 95 millions d’euros.

S’agissant des deux autres bases, à Libreville et Abou Dabi, les évolutions sont logiquement inverses. La base de Libreville, qui sera renforcée du fait de l’abandon de la base de Dakar, générera un coût annuel de 75 millions d’euros contre 57 millions auparavant.

Pour la base d’Abou Dabi, la France assure un part très faible de l’investissement initial, environ 15 millions d’euros pour les aménagements intérieurs, la partie émirienne ayant financé la construction des infrastructures pour un montant d’environ 110 millions d’euros. Le coût annuel de la base, actuellement de 50 millions d’euros, devrait progressivement augmenter pour atteindre 80 millions d’euros.

Le bilan financier de la restructuration de nos bases pour les années à venir est donc plutôt positif, avec des économies globales d’environ 47 millions d’euros par an.

3) Quelle influence pour demain ?

En faisant le choix de faire évoluer son dispositif prépositionné à l’étranger, la France s’efforce donc de concilier plusieurs impératifs contradictoires : le maintien de ses capacités de projection, l’adaptation au contexte stratégique, qui justifie la création d’une base à Abou Dabi, au plus près de l’arc de crise identifié par le livre blanc, et la réduction globale des coûts.

Il convient de noter, à cet égard, que le maintien de bases de défense est loin d’être une obligation pour garantir la pérennité de l’influence française. En effet, la France est l’un des seuls pays au monde, avec les Etats-Unis et la Russie, à disposer de bases de défense permanentes hors de ses frontières. La Grande-Bretagne ne dispose que de cinq unités déployées de manière permanente hors de ses frontières, à Belize, au Canada, en Allemagne, au Kenya et à Brunei. La Chine réaffirme régulièrement son refus de créer des bases de défense hors de son territoire, et l’Inde a annoncé la fermeture de toutes ses bases aériennes au Tadjikistan.

En conservant une base sur chaque façade maritime du continent africain, la France maintient son potentiel de projection militaire en Afrique. Disposant toujours de deux centres au Tchad et au Sénégal, les armées françaises peuvent se targuer d’un rôle notable sur le continent, position inverse de celle adoptée par les autres Européens, mais qui va dans le sens des efforts développés par de nombreuses puissances pour prendre pied en Afrique.

Les Etats-Unis ont créé, en 2008, un commandement affecté au continent africain, baptisé US-AFRICOM. Les projets de localisation de ce dernier sur le continent n’ont pas encore abouti, laissant les Etats-Unis avec la seule base de Djibouti. Toutefois, les moyens dont dispose AFRICOM – un budget global d’environ 300 millions de dollars soit 210 millions d’euros pour 2010 – en font un instrument efficace d’extension de l’influence américaine sur le continent.

La Chine, pour sa part, a établi une relation de coopération militaire avec une trentaine de pays africains et réalise ainsi d’importants transferts d’armement, notamment avec les pays producteurs de pétrole et de gaz. Elle aide, en outre, certains Etats à développer une production locale d'équipements militaires et organise la formation de certaines armées.

L’Inde cherche également à nouer des relations de coopération militaire avec l’Afrique, mais ses partenaires sont moins nombreux, principalement situés sur la côte de l’océan Indien. Elle participe, comme la Chine mais dans de moindres proportions, à la formation et à l’équipement des armées africaines.

Le Brésil coopère principalement avec l’Afrique du Sud, notamment en matière d’armement, et avec des pays de culture lusophone, comme l’Angola et le Mozambique. La Russie entretient des relations avec certains Etats où la présence des Occidentaux est faible, comme le Zimbabwe, et cherche à développer ses liens avec les pays producteurs d’hydrocarbures. Ces partenariats s’accompagnent ponctuellement de livraisons d’équipements et de formations de haut niveau organisées en Russie.

Dans l’ensemble, les pays européens ne développent pas beaucoup leur présence en Afrique. L’Allemagne a assumé un rôle d’encadrement de l’opération européenne EUFOR RDC en 2006 mais n’a pas mis en place de partenariats militaires solides. La Belgique tend à recentrer son activité sur la région des grands lacs, et les pays nordiques, dans le cadre de l’arrangement coordonné nordique pour le soutien à la paix (NORDCAPS), fournissent essentiellement un soutien à l’Union africaine.

Seule la Grande-Bretagne maintient quelques positions en Afrique, quoique sa position ait évolué depuis quelques années, demandant désormais un retour financier clair pour toute opération engagée. Ainsi, les opérations auxquelles les Britanniques participent sur le continent sont en nombre très limité, et le Royaume-Uni tend à s’associer systématiquement aux Etats-Unis pour conduire des actions en Afrique, notamment au Sahel.

Toutefois, l’armée britannique conserve un centre d’entraînement à Karen, près de Nairobi au Kenya, qu’elle met à disposition pour la formation de bataillons de l’Union africaine pour la mise sur pied des forces africaines en alerte.

Loin d’un renoncement, la reconfiguration de notre outil de défense prépositionné est une réponse aux différents impératifs stratégiques et budgétaires d’aujourd’hui. Afin de garantir juridiquement la pérennité des nouvelles bases, le renouvellement des accords de défense avec les Etats d’accueil de nos bases s’est avéré indispensable.

II – LE TRAITE FRANCO-GABONAIS ET SES PARTICULARITES

Le texte signé le 24 février 2010 par le Président de la République française et son homologue gabonais inaugure une série d’accords de défense avec les pays dans lesquels la France dispose d’une implantation de défense permanente. Ceux-ci sont au nombre de trois (Djibouti, Emirats arabes unis, Gabon). Les Etats voués à accueillir un centre régional de formation pourraient faire l’objet de textes différents. L’accord franco-gabonais s’impose donc comme le premier d’une série de trois, bien qu’il soit marqué par certaines particularités en raison de l’ampleur de la coopération militaire entre nos deux pays.

A – Un accord de coopération militaire standard

Le nouveau partenariat de défense entre la France et le Gabon repose sur deux textes distincts, un accord de coopération et une annexe concernant les forces françaises stationnées au Gabon. Une telle organisation fait sens dans la mesure où la présence de personnels militaires prépositionnés implique que leur situation juridique donne lieu à quelques précisions.

Conformément au modèle d’accords promu par la France sur le continent africain, le traité franco-gabonais du 24 février 2010 ne contient pas, contrairement aux textes qu’il abroge (2), de clause d’assistance mutuelle ou de clause prévoyant l’intervention de forces françaises pour assurer des missions de maintien de l’ordre.

Dans l’ensemble, les dispositions relatives à la coopération militaire entre la France et le Gabon, objet principal de l’accord – hors annexe – sont parfaitement conformes aux standards dans ce domaine. Après un rappel des objectifs et des principes de la coopération, aux articles 1 et 2, l’article 3 indique l’étendue des domaines pouvant faire l’objet de projets communs, et qui couvrent l’ensemble des activités militaires, de l’identification de la menace à l’organisation d’exercices en passant par la formation et l’entraînement des personnels. L’article 6 prévoit la création d’un comité de suivi chargé de veiller à la mise en œuvre de ces actions.

La majorité des stipulations de l’accord concernent le statut des personnels. Sont ainsi accordées des facilités d’importation d’effets et mobiliers personnels, à l’article 7. La possibilité de conduire des engins militaires dans l’Etat d’accueil est également prévue par l’article 9.

Les spécificités de l’activité militaire impliquent que soit réglementé le port de l’uniforme, dont l’article 8 indique qu’il est régi par les règles en vigueur dans l’armée de l’Etat d’origine sauf séjour supérieur à 6 mois, ainsi que le port d’armes qui est, sauf dans le cadre de fonctions officielles, soumis aux lois et règlements de l’Etat d’accueil. De même, les règles de discipline sont celles de l’Etat d’origine, conformément à l’article 11.

D’autres aspects importants des activités de coopération sont également prévus par l’accord du 24 février 2010. Ainsi, les personnels continuent de relever, au titre de l’article 12, de leur propre régime de sécurité sociale et système de soins, hors cas d’urgence et de nécessité. De la même manière, l’article 14 indique que les personnels présents sur le territoire de l’autre Etat sont considérés comme résidents fiscaux de leur Etat d’origine. Enfin, l’article 13 précise les règles de rapatriement en cas de décès, autorisant l’Etat d’accueil à pratiquer une autopsie si l’autorité judiciaire d’une des parties le lui demande.

Les dispositions clés des accords de coopération militaire concernent les cas d’infractions et de dommages commis à l’occasion de la présence de personnels militaires d’un Etat sur le territoire. Là encore, le traité franco-gabonais reprend les principes fondamentaux en vigueur dans ce domaine. La responsabilité des personnels n’est ainsi engagée que pour les infractions commises hors du service, sauf faute lourde ou intentionnelle. Dans ces cas seulement, la justice de l’Etat d’accueil est compétente, sous réserve que les garanties d’un procès équitable et l’assistance de son Etat d’origine soient offertes aux personnes impliquées, comme le précise l’article 15. L’article 16 reprend pour sa part les principes de répartition de l’indemnisation d’éventuels dommages aux tiers consécutifs aux actions de coopération en prévoyant une charge égale pour chaque partie sauf responsabilité unique de l’une ou l’autre. Les dommages subis par l’une ou l’autre partie ne sont, en revanche, susceptibles d’aucun recours.

L’article 17 prévoit les règles provisoires à appliquer en matière d’échanges d’informations et de matériels classifiés avant la conclusion d’un accord spécifique.

Les articles 18 à 22 précisent les conditions de mise en œuvre du traité : règlement des différends à l’amiable, possibilité de passer des accords spécifiques, statut égal à celui de l’accord de l’annexe relative aux forces françaises stationnées, conditions d’entrée en vigueur, d’amendements et de dénonciation.

Commandées par l’ampleur de la coopération militaire franco-gabonaise, les spécificités du présent texte concernent principalement les stipulations nécessaires au maintien d’une base militaire française permanente sur le territoire gabonais.

B – Les spécificités du texte franco-gabonais

Le traité du 24 février 2010 reprend très largement les principes juridiques classiques de la coopération militaire. La présence d’une base française au Gabon implique toutefois que des précisions soient apportées.

1) La coopération militaire franco-gabonaise, partenariat d’ampleur

Le partenariat de défense entre la France et le Gabon, initié dès 1960, repose sur deux piliers : la présence d’unités françaises sur place et les nombreuses actions de coopération menées avec les armées gabonaises.

Plus ancienne base française en Afrique, la base de Libreville représente la deuxième plus grande implantation militaire française hors des frontières. Composées d’environ mille hommes dotés de matériels terrestres – blindés légers Sagaie – et aériens – hélicoptères Fennec et Puma, avions de transport Transall – les FFG sont dirigées par un commandant placé sous les ordres du chef d’état-major des armées.

En plus de cette implantation permanente, la France développe de très nombreuses actions de formation, d’entraînement et de mise à niveau des matériels, représentant 4,14 millions d’euros en 2010, soit le deuxième budget de coopération militaire au monde pour notre pays. Seuls les Etats-Unis, deuxième partenaire militaire du Gabon, développent des actions dans autant de domaines, quoique leur niveau d’implication soit moindre pour le moment.

La coopération en matière d’armement avec le Gabon est très ancienne, les accords de 1960 prévoyant la mise à disposition du nouvel Etat indépendant de matériels français. Les ressources financières de l’armée gabonaise n’ont longtemps pas permis aux sociétés françaises d’y signer d’importants contrats mais la donne pourrait changer depuis le changement à la tête de la République. Ainsi, le pays a acquis depuis le second semestre 2009, six hélicoptères, deux systèmes de communications tactiques et quatre vedettes de 20 m auprès de sociétés françaises.

La France occupe donc une place tout à fait particulière dans le domaine militaire au Gabon. Par conséquent, le texte du traité du 24 février 2010 connaît quelques particularités, notamment une annexe fixant le statut des forces françaises présentes sur le territoire gabonais.

2) Des spécificités de l’accord sans incidence majeure

Le texte de l’accord ne diffère que sur quelques points de détail des standards en matière de coopération militaire. Ainsi, l’usage des armes dans le cadre des fonctions officielles prévu à l’article 10 est régi par les lois de l’Etat d’origine. De même, l’entrée et le séjour des ressortissants d’une partie sur le territoire de l’autre sont soumises à des conditions d’octroi de visa et de titre de séjour, comme le précise l’article 7. Enfin, l’utilisation des services de santé par les personnels présents sur le territoire de l’autre Etat est limitée aux cas d’urgence et de nécessité.

D’autres différences révèlent un souci, de la part des deux parties, de marquer l’importance du partenariat entre la France et le Gabon. Le préambule, et l’article 4, mentionnent ainsi la volonté des deux Etats de réfléchir ensemble aux menaces pesant sur chacun d’eux et aux meilleurs moyens d’y répondre. De telles précisions ne valent pas pour autant clause d’assistance mutuelle.

Enfin, le traité franco-gabonais mentionne le soutien des deux Etats aux mécanismes africains de sécurité collective.

Mais la principale particularité du partenariat de défense entre la France et le Gabon réside plutôt dans l’annexe relative au statut des forces françaises stationnées au Gabon. Composée de 11 articles, celle-ci rappelle qu’elle n’est pas soumise à la clause de réciprocité, ne s’appliquant que sur le territoire gabonais. Elle précise que l’Etat gabonais doit être informé de l’identité de tous les personnels français détachés sur son territoire.

Les articles 3 à 6 de l’annexe indiquent l’ensemble des facilités accordées par le Gabon aux forces françaises : importation et transit de matériels exemptés de droits de douanes, autorisation de circulation terrestre et aérienne, application de la réglementation française pour l’entreposage des matériels, possibilité d’établir un système de communication propre et l’ensemble des services (postes, services financiers, services sociaux) nécessaires aux forces françaises stationnées sur place.

Les articles 7 et 8 régissent les implantations françaises sur le territoire, maintenant l’existant au sein de la base Pidoux et du camp N’Tchoréré, également connu sous le nom de « camp De Gaulle ». Les articles prévoient la possibilité d’extension de ces zones, et l’attribution de zones équivalentes en cas de demande par la partie gabonaise de récupérer une partie des implantations actuelles. Les autorités gabonaises doivent donner leur accord pour tous travaux importants, mais les autorités françaises sont en charge de la sécurisation et de la police dans ces zones.

L’article 9 de l’annexe accorde des facilités et des privilèges aux forces françaises ainsi stationnées : inviolabilité des lieux et des correspondances, matériels et installations soustraits à toute mesure d’exécution dont la perquisition et la saisie, exonération fiscale intégrale des forces françaises prépositionnées.

Les articles 10 et 11 concernent l’éventuelle disparition du dispositif militaire français prépositionné en Afrique. Ainsi, l’article 10 indique que l’extinction du traité franco-gabonais instituant un partenariat de défense implique la restitution immédiate des zones mises à disposition de la France, sans compensation pour les aménagements. L’article 11 précise pour sa part que la partie gabonaise peut demander le retrait des forces françaises stationnées au Gabon, et que la France peut les en retirer sous réserve d’un délai de six mois.

CONCLUSION

Le traité instituant un partenariat de défense entre la France et le Gabon, signé le 24 février 2010 par le Président de la République française et son homologue gabonais, donne une nouvelle assise juridique, unique, à la coopération militaire et stratégique entre nos deux pays. Débarrassé, comme les autres accords du même type signés récemment par notre pays avec des Etats africains, des clauses les plus contestées relatives à l’assistance mutuelle des Etats et à la participation des forces françaises au maintien de l’ordre au Gabon, il apparaît comme un instrument équilibré et efficace pour permettre le maintien des relations entre la France et le Gabon.

Au-delà de ces éléments désormais présents dans tous nos partenariats de défense en Afrique, le présent traité participe d’un vaste mouvement mondial de recomposition du dispositif militaire français prépositionné. Reposant traditionnellement sur trois bases en Afrique, celui-ci comprendra désormais moins d’hommes, répartis entre deux bases africaines, une base dans le Golfe, et deux centres régionaux de formation militaire en Afrique.

Motivée par des soucis tant financiers que stratégiques, cette évolution n’obère pas les possibilités pour notre pays de peser en Afrique, où la France continue de jouer un rôle majeur malgré la concurrence nouvelle des grandes puissances.

Au Gabon, les facilitées offertes par le présent texte aux mille hommes composant les forces françaises permanentes sur place permettront de remplir efficacement leurs missions : assurer à la France une capacité de projection renforcée dans une région où nos intérêts sont nombreux tout en aidant à la formation de l’armée gabonaise et en participant à la montée en puissance d’unités militaires régionales.

Parce qu’il participe d’une évolution importante de notre outil de défense tout en inscrivant notre coopération militaire en Afrique dans un cadre renouvelé, et parce qu’il offre toutes les garanties juridiques indispensables à ces activités, le nouveau partenariat de défense franco-gabonais apparaît comme un élément très favorable aux intérêts de la France.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 30 mars 2011.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Paul Dupré. Pouvez-vous faire un point sur la situation politique au Gabon, sa stabilité et son appréciation par la population ? Pouvez-vous confirmer que l’accord interdit l’intervention des forces françaises en matière de maintien de l’ordre ?

M. Robert Lecou, rapporteur. Comme vous le savez, le nouveau président, Ali Bongo Ondimba, élu en août 2009, a succédé à son père. Je ne dispose pas d’informations précises sur la situation politique intérieure. L’accord est très clair : aucune intervention militaire n’est prévue par cet accord, a fortiori dans le territoire gabonais et pour des motifs d’ordre intérieur. Il s’agit d’un tournant très explicite dans la politique française.

M. Michel Terrot. Je m’interroge sur l’avenir des forces à N’Djamena. Est-il sage de transformer cette base en centre de formation à l’heure où le Sahel connaît une période d’instabilité qui risque fort de s’aggraver. Est-ce vraiment le moment ?

M. Robert Lecou, rapporteur. La présence française en Afrique s’appuiera à terme sur deux bases : Libreville et Djibouti, ce qui permet, compte tenu des évolutions technologiques, d’être opérationnel sur tout le continent. Des centres de formation à vocation régionale pourraient voir le jour, à Dakar notamment, mais cela est encore en discussion, et à N’Djamena. Je précise qu’il n’y a pas de base au Tchad à l’heure actuelle, et que le projet de centre de formation au Tchad n’est pas encore soumis à la négociation.

M. Jean-Claude Guibal. A quoi servent ces bases s’il n’est pas prévu d’assistance mutuelle et si les interventions ne peuvent se faire que dans un cadre multilatéral ?

M. Robert Lecou, rapporteur. L’Afrique compte 140 000 ressortissants français et 90 000 en Afrique du Nord. Les bases françaises apportent une proximité rassurante à nos compatriotes. Elles représentent en outre une aide efficace et effective en cas de besoin. Elles symbolisent aussi la volonté française de maintenir sa présence sur le continent. Ces bases, qui sont citées en exemple par les Américains et que les Britanniques nous envient, sont l’expression d’une volonté politique forte.

M. Hervé de Charrette. Cet accord me semble un compromis raisonnable entre des orientations contradictoires. Il répond à la nécessité de revoir les anciens accords tout en maintenant une présence française en Afrique noire, pas seulement de l’Ouest mais aussi de l’Est. Sont satisfaits les impératifs de protection de nos ressortissants et de préservation d’une capacité d’intervention dans une région instable. Ce dispositif habilement négocié est adapté à la fois aux risques et à nos intérêts.

M. Robert Lecou, rapporteur. Je me félicite de ce témoignage de satisfaction et je vous propose de le concrétiser par l’approbation de ce traité.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 3195).

*

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

– Mme Elisabeth Barbier, ambassadrice chargée du suivi de la renégociation des accords de défense franco-africains

– Colonel Pascal Facon, chef du bureau Afrique à l'état-major des armées

– Mme Camille Faure, chef du bureau du droit international public au ministère de la défense

– M. Luc Serot-Almeras, direction de la coopération de sécurité et de défense, ministère des affaires étrangères

– Mme Sophie Malet, direction juridique, ministère des affaires étrangères

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République gabonaise (ensemble une annexe), signé à Libreville le 24 février 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 3195).

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