N° 3383 - Rapport de M. Michel Raison sur la proposition de résolution européenne de M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n°1234/2007 en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (n°3326)




N
° 3383

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mai 2011

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3326) DE M. HERVÉ GAYMARD, RAPPORTEUR DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers.

PAR M. Michel RAISON,

Député.

——

Voir le numéro 3326.

INTRODUCTION 5

I.— MALGRÉ UNE AMÉLIORATION DE LA SITUATION DU MARCHÉ LAITIER DEPUIS 2009, LES FACTEURS DE FRAGILITÉ SUBSISTENT 7

A.— LE RETOUR À UNE SITUATION FAVORABLE APRÈS LA CRISE SANS PRÉCÉDENT DE 2009 7

B.— DES FACTEURS DE FRAGILITÉ TOUJOURS PRÉSENTS 8

1. Un secteur caractérisé par de fortes rigidités 8

2. La dissymétrie des pouvoirs de marché entre producteurs et acheteurs 8

3. La volatilité des prix, qui se répercute sur le marché européen en raison de l’abandon progressif des instruments de régulation 9

II.— LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE VISE À RÉÉQUILIBRER LES RELATIONS ENTRE PRODUCTEURS ET TRANSFORMATEURS 11

A.— LA PRISE EN COMPTE DE CERTAINES RECOMMANDATIONS DU GROUPE À HAUT NIVEAU SUR LE LAIT 11

B.— LES GRANDES LIGNES DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT 12

1. Les relations contractuelles 12

2. Le renforcement du pouvoir de négociation des producteurs 13

3. Le rôle des organisations interprofessionnelles 15

4. La transparence 16

III.— LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 33

MESDAMES, MESSIEURS,

Le secteur laitier a traversé en 2008-2009 une crise sans précédent, qui s’est traduite par un effondrement de la demande et des prix, plaçant de nombreux producteurs en grande difficulté. Cette crise a contribué à mettre en évidence les différents facteurs de fragilité du secteur, qui se trouve, du fait du démantèlement progressif des instruments de régulation de l’Union européenne, dans une situation de dépendance par rapport à des cours mondiaux extrêmement instables.

Au-delà des mesures d’urgence, dont la portée ne peut qu’être limitée, il est apparu nécessaire de réfléchir à l’avenir du secteur, dans la perspective de la suppression des quotas laitiers à l’horizon 2015, confirmée dans le cadre du bilan de santé de la PAC. La France s’est fortement engagée pour que des solutions de moyen et long terme puissent être trouvées afin de stabiliser ce secteur essentiel pour l’agriculture européenne, puisque la production laitière est la première production agricole de l’Union.

Un groupe d’experts sur le lait présidé par la Commission européenne et composé de représentants des États membres a été constitué en octobre 2009 et a présenté ses conclusions en juin 2010. Dès juillet 2010, le ministre de l’agriculture, M. Bruno Le Maire, et son homologue allemande Mme Ilse Aigner ont adressé une lettre conjointe aux commissaires chargés de l’agriculture et de la concurrence, demandant une initiative portant notamment sur la contractualisation, la transparence des marchés, le renforcement des interprofessions et la réforme du droit de la concurrence. Par la suite, le Conseil Agriculture du 27 septembre 2010 a adopté des conclusions demandant à la Commission de faire une proposition sur ces thèmes.

La Commission a présenté le 9 décembre 2010 une proposition de règlement sur les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers. Elle souhaite parvenir à un rééquilibrage des relations entre producteurs et transformateurs, grâce au développement du recours à la contractualisation et à l’autorisation de la négociation collective par l’intermédiaire d’organisations de producteurs, par exception au droit de la concurrence. La Commission souhaite par ailleurs reconnaître le rôle des organisations interprofessionnelles et améliorer la transparence du marché. Ces mesures, dont on peut souligner la convergence avec les récentes réformes intervenues en France dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 (LMA), répondent à un objectif de renforcement de la stabilité et de la visibilité pour les producteurs.

Parallèlement aux débats sur la proposition de règlement au sein du Conseil et du Parlement européen, les discussions sur l’avenir de la PAC après 2013 se poursuivent, dans l’attente des propositions législatives de la Commission. La régulation, qui n’est pas abordée dans la proposition de règlement sur le secteur laitier, sera l’un des sujets centraux de la future réforme. La France souhaite un renforcement des instruments de gestion des marchés. Elle promeut parallèlement une régulation internationale des marchés de matières premières, notamment agricoles, dans le cadre de sa présidence du G20. Au plan européen, les conclusions approuvées par 20 États membres le 17 mars 2011 indiquent que les mesures de marché actuelles doivent rester un filet de sécurité mais que la Commission doit les utiliser avec davantage de flexibilité et de rapidité.

La présente proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes le 12 avril dernier. Elle reconnaît les avancées que traduit la proposition de règlement tout en mettant en avant les questions restant à traiter dans le cadre de la réforme de la PAC qui va s’engager au deuxième semestre 2011. Parmi les nombreux enjeux de cette réforme, sur laquelle un groupe de travail conjoint de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques présentera prochainement un rapport, figurera donc la nécessité d’apporter des solutions complémentaires aux difficultés structurelles du secteur laitier.

I.— MALGRÉ UNE AMÉLIORATION DE LA SITUATION DU MARCHÉ LAITIER DEPUIS 2009, LES FACTEURS DE FRAGILITÉ SUBSISTENT

Le secteur du lait et des produits laitiers a traversé en 2008-2009 une très grave crise. Les prix ont tout d’abord connu une flambée en 2007, en raison de la forte augmentation de la demande et de la baisse de la production mondiale, qui a suivi une période de sécheresse en Océanie. Puis, à la fin de l’année 2008, la demande de produits laitiers s’est effondrée, sous l’effet de la crise économique et du niveau très élevé des prix, alors que la production européenne est restée stable. Les prix du lait et des produits laitiers se sont effondrés dans l’ensemble des États membres de l’Union. La baisse des prix au printemps 2009 par rapport à leur niveau haut de 2007-2008 a atteint 44 % en France, 41 % en Allemagne, 40 % aux Pays-Bas, 30 % au Royaume-Uni et 19 % en Italie. Cette chute, associée à une hausse des prix des intrants (alimentation animale, énergie), a placé de nombreux producteurs dans une situation très difficile. En 2009, les revenus des éleveurs français ont ainsi reculé de plus de 50 %.

Face à cette crise, la Commission européenne a utilisé les instruments de régulation du marché à sa disposition dans le cadre de la PAC (stockage, restitutions à l’exportation) mais ceux-ci ont été considérablement limités par les dernières réformes. En particulier, le niveau des prix à l’intervention est devenu très faible. Au total, environ 75 000 tonnes de beurre et 250 000 tonnes de lait écrémé en poudre ont été achetées en 2009. Les produits retirés du marché ont représenté 1 à 2 % de la production laitière globale. L’Union européenne a également attribué une aide d’urgence de 300 millions d’euros au secteur laitier (« fonds laitier européen »).

La situation du marché laitier s’est nettement améliorée en 2010, du fait de conditions climatiques favorables, d’une reprise de la demande et de la réduction des livraisons en provenance d’Océanie. Le prix moyen payé aux producteurs dans l’Union européenne en 2010 a augmenté de 15 % par rapport à celui de 2009, tandis que la production a augmenté de 1,23 % sur l’année (soit 1,6 million de tonnes). En France, la production a augmenté de 4,5 %, en Allemagne de 2,3 %, au Royaume-Uni de 3,8 % et aux Pays-Bas de 1,3 %. L’Irlande a connu l’augmentation la plus forte, de + 12 %.

La vente des stocks d’intervention constitués en 2009 se poursuit. Les stocks de beurre sont quasiment nuls mais il reste environ 50 000 tonnes de stocks de lait écrémé en poudre sur les 257 000 tonnes achetées en 2009. Cette vente n’a pas eu d’effet négatif sur le marché.

Les tendances actuelles du marché sont favorables. Différents événements extérieurs (sécheresse en Nouvelle Zélande, régression de la production en Russie) et une demande en hausse, ainsi qu’un niveau de stocks faible en beurre et poudre de lait, contribuent à la bonne tenue des cours. Le marché du lait ne devrait pas connaître de retournement de tendance avant l’été 2011 et l’on s’attend à une hausse moyenne semblable à celle de 2010, soit 10 %.

La crise de 2009 a mis en évidence la vulnérabilité du secteur laitier mais ce sont ses caractéristiques mêmes qui expliquent sa fragilité.

Comme l’a souligné l’Autorité de la concurrence dans son avis de 2009 relatif au fonctionnement du secteur laitier (1) les rigidités concernent tout d’abord l’offre : l’augmentation de la production n’est possible que dans les limites physiologiques des animaux et si l’augmentation du prix peut couvrir les coûts associés qui sont élevés. La production est également rigide à la baisse. Le lait n’étant pas stockable tel quel (seuls le beurre et la poudre de lait le sont), il n’est pas possible pour les éleveurs de réguler leur production par le stockage. La demande est également peu élastique.

Ces rigidités expliquent la forte volatilité des prix, en particulier ceux des produits industriels (beurre et poudre de lait), réalisés avec les excédents, qui représentent la variable d’ajustement en cas de déséquilibre. Très significativement, la baisse des prix en 2009 a été plus forte dans les pays où la part du lait transformé en produits laitiers industriels est importante (Irlande) alors que dans les pays où la part des produits à haute valeur ajoutée est plus importante (Autriche, Italie), la baisse a été relativement contenue, même si la volatilité des prix des produits industriels s’est répercutée sur les prix à la production.

La production en France est très atomisée : on compte environ 85 000 exploitations pour 540 entreprises de collecte. 70 % des éleveurs se trouvent dans une situation où leur acheteur est en relation avec 500 autres producteurs en moyenne – par exemple Danone travaille environ avec 3 900 producteurs. Contrairement à d’autres pays européens, notamment le Danemark et les Pays-Bas, où un seul groupe coopératif domine très largement le secteur de la transformation, moins de la moitié de la collecte est assuré par des coopératives.

Les déséquilibres sont accentués par le fait que les producteurs ne peuvent la plupart du temps pas changer d’acheteur, compte tenu des coûts élevés de collecte et de transport. Les producteurs de lait se trouvent donc dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de leurs producteurs. Cette situation pose un problème de partage des profits entre amont et aval de la filière. Les déséquilibres pèsent également sur l’ajustement à la baisse des prix à la consommation par rapport au prix payé aux producteurs.

Le « risque prix » se répercute sur l’amont de la filière. La concentration des entreprises de transformation et de distribution place les producteurs de lait dans une situation de preneurs de prix (price takers) et limite la possibilité pour les consommateurs de bénéficier des baisses de prix.

Jusqu’à la fin des années 1990, la régulation du secteur laitier opérée par l’Union européenne isolait en partie le marché communautaire des variations mondiales des cours en permettant de lisser les prix.

Cette régulation s’exerçait, dans le cadre de l’organisation commune du marché du lait créée en 1968 (OCM lait) :

– d’une part sur les volumes, avec les quotas laitiers institués en 1984 pour lutter contre la surproduction, des mesures de stockage public et privé, des aides à l’exportation et à la consommation pour écouler les surplus ;

– d’autre part sur les prix, avec un prix indicatif représentant ce que le Conseil des ministres estimait être le juste prix payé aux producteurs, un prix d’intervention sur les produits industriels– beurre et poudre de lait– et le prix de seuil, soit le prix minimum d’exportation.

L’Union européenne a ensuite décidé d’abandonner progressivement ces instruments de régulation, dans le cadre d’une réforme de la PAC visant à mieux « répondre aux signaux du marché ». Il s’agit d’une évolution générale, tendant à soutenir les revenus des agriculteurs par des aides directes découplées (droits à paiement unique) et à supprimer progressivement le soutien par les prix. Plus spécifiquement, les instruments de régulation du secteur laitier ont été soupçonnés de contribuer à la création d’un marché fictif (incitations à la surproduction notamment) et d’être contraires aux règles du commerce international.

En 1999, une première réforme de l’OCM supprime le prix de seuil et durcit les conditions d’intervention (limitation de durée, de volumes et baisse du prix d’intervention). En 2003, une nouvelle réforme aboutit à une baisse supplémentaire des prix d’intervention. La fin des quotas laitiers est programmée. L’OCM unique de 2007 met fin à la notion de prix indicatif mais conserve les mécanismes d’intervention pour le beurre et la poudre de lait. L’intervention sur la poudre de lait est assurée à un prix déterminé, sur une période donnée (du 1er mars au 31 août) et dans la limite d’un certain volume. Quand ce volume est atteint, les interventions sont suspendues jusqu’à l’année suivante. L’intervention sur le beurre est maintenue mais n’est appliquée que lorsque le prix a diminué suffisamment et sur une période assez longue. Elle se fait sous forme d’adjudication dans la limite maximale du prix d’intervention. Par ailleurs, sont maintenus l’aide au stockage privé, l’aide à l’utilisation de la poudre de lait pour l’alimentation animale et pour le moment, les restitutions à l’exportation que l’Union européenne s’est engagée à supprimer dans le cadre des négociations du cycle de Doha.

La suppression des quotas laitiers le 1er avril 2015 a été confirmée dans le cadre du bilan de santé de la PAC en novembre 2008. Tandis que le Conseil avait décidé d’augmenter les quotas laitiers de 2 % le 1er avril 2008, le bilan de santé prévoit une période d’« atterrissage en douceur », avec une augmentation des quotas de 1 % pendant cinq années consécutives à compter du 1er avril 2009.

La disparition progressive des instruments de régulation rend les prix du lait dans l’Union européenne très dépendants des cours internationaux. Or les caractéristiques du marché déjà évoquées – inélasticité de l’offre et de la demande – ainsi que l’étroitesse du marché, puisque 6 % seulement de la production mondiale sont échangés, essentiellement sous forme de poudre de lait et de beurre, sont à l’origine d’une forte volatilité des prix, illustrée par le graphique suivant.

ÉVOLUTION DES PRIX DU LAIT

Source : Commission européenne

II.— LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE VISE
À RÉÉQUILIBRER LES RELATIONS ENTRE PRODUCTEURS
ET TRANSFORMATEURS

À la suite de la crise du marché laitier, et à la demande notamment de la France, la Commission européenne avait décidé de constituer un groupe à haut niveau (GHN) pour mener une réflexion sur l’avenir du secteur à moyen et long terme et d’étudier les solutions dans la perspective de la suppression des quotas laitiers au 1er avril 2015. Il s’agissait, sans s’écarter des décisions du bilan de santé, de faire des propositions pour l’élaboration d’un cadre réglementaire susceptible de contribuer à stabiliser le marché et les revenus des producteurs et à améliorer la transparence. Le groupe, composé de représentants des 27 États membres, et présidé par le directeur général de l’agriculture de la Commission européenne, s’est réuni d’octobre 2009 à juin 2010. Le rapport final formule sept recommandations.

Les 7 recommandations du groupe à haut niveau sur le lait

– Recommandation 1 (relations contractuelles) : encourager l’utilisation de contrats écrits formels relatifs aux livraisons de lait cru prévoyant le prix, les volumes, les délais de livraison et une durée du contrat. Le GHN invite la Commission européenne à proposer le cas échéant un cadre législatif permettant aux États membres de rendre la conclusion de tels contrats obligatoire ;

– Recommandation 2 (force de négociation des producteurs) : permettre aux producteurs de se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence, afin de peser davantage sur les marchés ;

– Recommandation 3 (organisations interprofessionnelles et interbranches) : étendre les missions des interprofessions laitières sur le modèle de ce qui se fait actuellement dans le secteur des fruits et légumes et du vin ;

– Recommandation 4 (transparence) : améliorer la transparence sur la formation des prix et notamment dans l’aval par la création d’un instrument européen de surveillance des prix des denrées alimentaires adossé à l’Office européen des statistiques (Eurostat) ;

– Recommandation 5 (mesures de marché et marchés à terme) : maintenir les mécanismes d’intervention actuels, jouant un rôle de filet de sécurité et faciliter l’utilisation des marchés à terme ;

– Recommandation 6 (normes de commercialisation et étiquetage de l’origine du produit) : faire évoluer la législation relative à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires avec notamment une meilleure information sur les ingrédients d’origine végétale ;

– Recommandation 7 (innovation et recherche) : renforcer l’innovation et la recherche sur la compétitivité du secteur laitier dans le cadre des possibilités offertes par les programmes de développement rural ou des programmes – cadre sur la recherche de l’Union européenne.

Lors du Conseil Agriculture du 27 septembre 2010, 22 États membres (2) ont adopté des conclusions invitant la Commission à soumettre avant la fin de l'année sa réponse aux trois premières recommandations concernant :

– le renforcement des relations contractuelles entre les producteurs de lait et les laiteries ;

– le pouvoir de négociation collectif des producteurs ;

– le rôle possible des organisations interprofessionnelles dans le secteur des produits laitiers.

La proposition de règlement publiée le 9 décembre 2010 par la Commission européenne répond aux quatre premières recommandations du groupe à haut niveau.

La proposition reprend la recommandation n° 1 du groupe à haut niveau demandant la promotion de l’usage de contrats écrits rédigés avant la livraison et portant sur les éléments essentiels pour les livraisons de lait. Les États membres peuvent décider de rendre les contrats entre producteurs et transformateurs obligatoires. Ils peuvent également décider si les contrats doivent couvrir chaque étape de la livraison lorsque celle-ci est effectuée par l’intermédiaire d’un ou plusieurs collecteurs. La proposition prévoit que le contrat doit comprendre :

– le prix à payer, qu’il soit fixe ou qu’il varie en fonction de facteurs établis dans le contrat (situation du marché appréciée sur la base d’indicateurs, volume livré, qualité et composition du lait) ;

– le volume ;

– le calendrier des livraisons ;

– la durée de validité du contrat, qui peut être conclu pour une durée indéterminée, assortie de clauses de résiliation.

Des dérogations sont prévues pour les relations entre le producteur et la coopérative dont il est membre : le contrat n’est pas obligatoire si les statuts de la coopérative contiennent des dispositions produisant des effets similaires.

La contractualisation apportera une meilleure visibilité sur les débouchés pour l’ensemble des acteurs et une meilleure adéquation entre l’offre et la demande. On peut se réjouir à cet égard de la convergence entre la politique française et la politique de l’Union européenne vers les mêmes objectifs. Les propositions de la Commission vont en effet dans le même sens que les mesures adoptées en France dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 (LMA).

L’article 12 de la LMA dispose que la conclusion de contrats entre producteurs et acheteurs peut être rendue obligatoire par l’extension d’un accord interprofessionnel ou par décret. Le décret n° 2010-1753 du 30 décembre 2010 rend la contractualisation obligatoire dans le secteur laitier à compter du 1er avril 2011. Les clauses devant figurer au contrat concernent la durée du contrat (5 ans minimum), le volume, les caractéristiques du produit, les modalités de collecte et de livraison, les critères et les modalités de détermination du prix, les modalités de paiement et les modalités de révision et de résiliation. Selon les informations fournies par la Fédération nationale des producteurs laitiers (FNPL), les producteurs concernés (environ 40 000 hors secteur coopératif) ont reçu au 1er avril les propositions de contrats mais peu ont d’ores et déjà été signés, de nombreux producteurs jugeant qu’ils contiennent des clauses déséquilibrées et souhaitant les renégocier.

Le fait que la proposition de règlement permette aux États membres de rendre les contrats obligatoires, avec notamment la mention du prix et du volume valide donc la contractualisation telle qu’elle est mise en œuvre en France. Plus précisément, la proposition de la Commission européenne parle de « prix négocié », ce qui correspond à la notion de « critères et modalités de détermination des prix » énoncée dans la LMA.

Alors que la LMA limite la conclusion de contrats aux organisations de producteurs propriétaires de la marchandise, la Commission européenne vise les organisations de producteurs « qu’il y ait eu ou non transfert de propriété ».

La proposition répond ensuite à la recommandation n° 2 du groupe à haut niveau, visant à permettre aux producteurs de se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence.

L’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit les accords entre entreprises, les associations d'entreprises et les pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Sont seulement autorisés les accords entre producteurs dont la part de marché cumulée est inférieure à 5 % du marché pertinent et dont le chiffre d’affaires total dans l’Union est inférieur à 40 millions d’euros.

Les accords qui incluent la fixation de prix sont normalement considérés comme des cartels interdits par le droit de la concurrence européen. De tels accords ne peuvent être autorisés que dans deux cas :

– si un acheteur important ne souhaite pas avoir affaire à une multitude de prix et demande un prix d’approvisionnement unique ;

– si les agriculteurs conviennent du lancement conjoint d’un nouveau produit.

Les accords de commercialisation conjointe sont acceptés s’ils n’incluent pas de fixation des prix et si la part de marché des agriculteurs ne dépasse pas 15 %.

En application de l’article 42 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que la réglementation de l’Union européenne relative aux règles de concurrence n’est applicable à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil, la proposition de règlement vise à autoriser la négociation collective par le biais d’une organisation de producteurs reconnue. La négociation peut porter sur les différentes clauses des contrats, notamment le prix, pour tout ou partie de la production des membres. La Commission propose de limiter la taille des organisations de producteurs à 3,5 % de la production totale de l’Union européenne et 33 % de la production nationale totale (ces seuils étant cumulatifs).

Les deux avancées portent sur :

– la possibilité pour une organisation de producteurs de mener une négociation qu’il y ait eu ou non transfert de propriété du lait à cette organisation ;

– la notion de marché pertinent est définie par des seuils fixes et n’est plus appréciée au cas par cas, ce qui renforce la sécurité juridique.

Même si l’on peut regretter que la Commission européenne ait mis tant de temps à proposer de reconnaître aux producteurs la possibilité de s’associer alors qu’en aval, il y a des situations de quasi monopole, les propositions représentent indéniablement une avancée indispensable dans le cadre d’une PAC de moins en moins protectrice. Le renforcement des organisations de producteurs dans le cadre d’une relation contractuelle formalisée contribuera à rééquilibrer les rapports de force au sein de la filière en réduisant la dépendance des producteurs face aux exigences des transformateurs.

En France, le Gouvernement a annoncé qu’il publierait un décret sur les organisations de producteurs dès l’adoption de la proposition de règlement européen.

Ces mesures devraient contribuer à la restructuration économique. Les producteurs seront incités au regroupement économique afin de pouvoir peser dans les relations de filières. Ils seront sans doute conduits à mener une réflexion sur leurs ventes et sur les conditions d’une meilleure organisation économique en amont afin de rendre la filière laitière plus compétitive (amélioration de la qualité des produits, mise en valeur commerciale…). Peuvent aussi être favorisés les transferts de propriété qui permettent par exemple de mutualiser les risques dans la mesure où les prix des produits laitiers ont des volatilités variables.

Dans le cadre de la PAC, des organisations interprofessionnelles sont reconnues dans les secteurs du vin et des fruits et légumes.

La proposition prévoit que des organisations interprofessionnelles pourront également être reconnues dans le secteur du lait. Elle fait référence à leurs possibilités d’action dans différents domaines, notamment :

– la transparence du marché, notamment par la publication de statistiques relatives aux prix, aux volumes et à la durée des contrats, ainsi que la réalisation d’études économiques et d’analyses prévisionnelles de marché ;

– l’élaboration de contrats-types ;

– la promotion et l’amélioration de la qualité des produits.

Comme l’avait recommandé le groupe à haut niveau, la Commission propose d’étendre aux organisations interprofessionnelles du secteur laitier les règles applicables au secteur des fruits et des légumes : certains accords, décisions et pratiques concertées de ces organisations pourront être considérés comme compatibles avec les règles de concurrence sur décision de la Commission, à qui ils auront été notifiés. Les accords comportant la fixation de prix ou ceux entraînant le partage des marchés sont en revanche incompatibles.

Là encore, il faut souligner la convergence avec les récentes réformes intervenues en France dans le cadre de la LMA. Les compétences des organisations interprofessionnelles sont clarifiées et précisées. Dans les deux textes, ces organisations professionnelles se voient reconnaître un rôle d’élaboration de contrats types et d’éclairage et de transparence du marché qui va au-delà de la simple coordination. Ainsi, dans la proposition européenne, les organisations interprofessionnelles peuvent mener des activités « d’amélioration de la connaissance et de transparence de la production et du marché, au moyen, notamment de la publication de données statistiques relatives au prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que la réalisation d’études sur les perspectives d’évolution du marché au niveau régional ou national ». La LMA prévoit que les organisations interprofessionnelles peuvent « élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés ». Cette possibilité avait été reconnue au Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL) par la loi de finances pour 2009 (article L. 632-14 du code rural), à la suite de l’injonction faite à l’interprofession laitière par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de mettre fin à la pratique des recommandations de l’interprofession sur le prix du lait.

L’Autorité de la concurrence a confirmé, dans son avis relatif aux décrets imposant la contractualisation dans le domaine du lait et des fruits et légumes (3), l’analyse qu’elle avait déjà faite dans son avis précité sur le fonctionnement du secteur laitier. Elle estime que les pratiques de recommandations de prix émises par l’interprofession laitière jusqu’en 2008, ne constituent pas une réponse adéquate aux dysfonctionnements du marché et sont susceptibles de contrevenir au droit de la concurrence et que cette analyse est transposable aux accords interprofessionnels de juin 2009 et août 2010. L’Autorité considère que la proposition de règlement de la Commission européenne ne modifie pas ce constat et souligne à cet égard que la négociation commune de prix par les producteurs ne sera autorisée que pour les organisations représentant moins de 3,5 % de la production de l’Union européenne.

Afin de mieux suivre les évolutions du marché, la Commission propose de rendre obligatoire la communication mensuelle des quantités de lait collectées. Elle reconnaît par ailleurs un rôle aux organisations interprofessionnelles dans l’amélioration de la connaissance et de la transparence de la production et du marché.

III.— LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

La proposition de résolution met tout d’abord l’accent sur les objectifs de la proposition de règlement :

– le premier point salue l’évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier. Celles-ci ont déjà été évoquées : la rigidité de l’offre et de la demande, le déséquilibre de marché entre producteurs et acheteurs, la forte volatilité des prix. Cette évolution était demandée depuis longtemps par la France, du fait de l’organisation de sa production. Les pays nordiques, comme le Danemark et les Pays-Bas, sont moins concernés du fait de la présence de coopératives presque monopolistiques.

– Le deuxième point concerne les propositions relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait et leur contribution au rééquilibrage des relations entre les différents acteurs de la filière laitière. Celles-ci vont dans le même sens que les mesures adoptées dans le cadre de la LMAP, qu’il s’agisse de la contractualisation ou du rôle des organisations interprofessionnelles.

– Le troisième point vise à ce que les États membres puissent imposer une durée minimale du contrat et de préavis de rupture du contrat, dans le respect du principe de subsidiarité et dans l’objectif de sécuriser les acteurs de la filière. Compte tenu de la durée du cycle de la production laitière et des investissements nécessaires tant pour les producteurs que pour les entreprises de transformation, le contrat doit en effet être conclu pour une durée suffisante.

– Le quatrième point concerne la régulation des volumes pour les produits sous signe de qualité (appellation d’origine contrôlée et indications géographiques protégées). Ceux-ci sont en effet produits dans des régions confrontées à des difficultés, notamment en ce qui concerne la collecte (zones de montagne). La sauvegarde de ces régions passe par la valorisation. De plus, avec la fin des quotas, ces régions vont se trouver fragilisées, dans la mesure où la libéralisation du secteur profitera aux régions les plus compétitives, les zones à handicap naturel étant les plus vulnérables. Cette mesure aurait une importance particulière en France, premier pays producteur de lait de montagne.

– Le cinquième point vise à prévoir, dans le cadre des rapports d’évaluation sur le développement du marché laitier que la Commission propose de présenter en 2014 et 2018, un point sur la pertinence des seuils définis pour les organisations de producteurs.

– Le sixième point aborde la question de la régulation. La proposition ne traite que certaines des recommandations du groupe à haut niveau. Les mesures de marché, l’innovation et la recherche devront être traitées dans le cadre de la réforme de la PAC post 2013. Parmi les outils de marché, lors de la crise de 2009, les outils de stockage, même s’ils ont été utilisés relativement tardivement, ont permis d’améliorer la situation. On pourrait ainsi s’orienter vers des outils de stockage plus réactifs et plus flexibles (actuellement le stockage est limité en termes de volumes et de période de stockage).

– Enfin, le septième point concerne la possibilité de prévoir des dérogations horizontales au droit de la concurrence dans d’autres filières agricoles.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 3 mai 2011, La Commission des affaires économiques a examiné, sur le rapport de M. Michel Raison, la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (n° 3326).

M. le président Serge Poignant. Cette proposition de résolution, adoptée le 12 avril dernier par la commission des affaires européennes sur le rapport de M. Hervé Gaymard, porte sur un sujet important : la production laitière est la première production agricole de l'Union européenne, et la France y tient la deuxième place derrière l'Allemagne.

On ne peut que se réjouir que la Commission européenne ait pris l’initiative d’une proposition de règlement pour tirer les leçons de la très grave crise traversée par le secteur laitier en 2009. Elle répondait ainsi à une demande de longue date de la France, désireuse de stabiliser un secteur très vulnérable qui sera en outre confronté en 2015 à la fin des quotas laitiers.

Cette démarche de la Commission européenne fait au reste écho aux mesures que nous avons récemment adoptées dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture (LMA), tant en matière de contractualisation qu’en ce qui concerne le rôle des organisations interprofessionnelles – notre collègue Michel Raison était déjà rapporteur de ce texte.

Je précise qu'aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de résolution.

M. Michel Raison, rapporteur. Présentée par la Commission européenne en décembre 2010, la proposition de règlement sur les relations contractuelles dans le secteur du lait est actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil.

Notre Commission a déjà débattu de la situation du secteur laitier en novembre 2009, et adopté une proposition de résolution, également présentée par Hervé Gaymard, qui demandait notamment une modification du droit européen de la concurrence afin d’instaurer des relations plus équilibrées entre producteurs et transformateurs. Tel est précisément l'objet de la proposition de la Commission.

Marquée par un effondrement des prix européens du lait qui a placé en grande difficulté les producteurs dans de nombreuses régions, la crise laitière de 2008-2009 a mis en évidence les fragilités du secteur et la nécessité de réfléchir à son avenir. Les facteurs de vulnérabilité sont, en effet, nombreux.

Le secteur laitier souffre, tout d’abord, de fortes rigidités. En premier lieu, l'offre ne peut augmenter que dans la proportion permise par la physiologie des animaux. D’autre part, le lait lui-même n'est pas stockable : seuls le beurre et la poudre de lait le sont – les pâtes pressées cuites peuvent certes être considérées comme stockables, mais les stocks « tournent » régulièrement, de sorte qu’ils ne constituent pas des stocks de surplus. Enfin, la demande est peu élastique.

Ces contraintes contribuent à une forte volatilité des prix : les produits industriels qui s'échangent au niveau international, à savoir le beurre et la poudre de lait, constituent des variables d'ajustement en cas de déséquilibre et, de ce fait, un des principaux facteurs de la constitution du prix.

Après avoir fortement augmenté, les prix mondiaux se sont effondrés en 2008, en raison notamment d’une forte réduction de la demande. La production européenne étant restée stable, les prix du lait et des produits laitiers se sont également effondrés dans l'Union.

Le secteur du lait se caractérise, en outre, par un déséquilibre des pouvoirs de marché entre les producteurs et les acheteurs dans de nombreux pays européens. En France, on compte ainsi environ 85 000 exploitations pour 540 entreprises de collecte et 70 % des éleveurs dépendent d’un acheteur en relation avec 500 autres fournisseurs, en moyenne. De plus, moins de la moitié de la collecte est le fait de coopératives alors qu’au Danemark ou aux Pays-Bas notamment, un seul groupe coopératif domine le secteur de la transformation. Du fait de cette situation déséquilibrée, le « risque prix » pèse entièrement sur l'amont de la filière.

Enfin, le secteur souffre d’une volatilité des prix encore plus forte que pour d'autres productions agricoles.

Jusqu'à la fin des années 1990, le marché européen était protégé des variations de prix mondiales par des mécanismes de régulation mis en œuvre dans le cadre de l'organisation commune de marché (OCM) « lait ». Cette régulation portait d’abord sur les volumes, au travers des quotas laitiers, institués en 1984 pour lutter contre la surproduction, mais aussi au moyen des mesures de stockage, public ou privé, qui avaient été maintenues – les stocks de poudre et de beurre étaient considérables lorsque les quotas ont été instaurés –, et des aides à l'exportation et à la consommation, mises en œuvre en cas de surproduction. L’action portait également sur les prix : au prix indicatif, représentant ce que le Conseil estimait être le juste prix payé aux producteurs, s’ajoutaient un prix d'intervention sur le beurre et la poudre de lait, et un prix de seuil, qui constituait un prix minimum d'exportation.

À partir de la fin des années 1990, plusieurs réformes ont peu à peu supprimé ces instruments de régulation : le prix de seuil a été abandonné en 1999, tandis que le prix indicatif et le prix d'intervention ont fait l’objet d’un encadrement, puis de nouvelles restrictions ont été adoptées lors de la réforme de la PAC de 2003, conduisant à une baisse supplémentaire des prix d'intervention. Les périodes d'intervention et les volumes concernés ont, en effet, été limités. La réforme de 2008 a mis fin au prix indicatif. Si l'intervention sur le beurre et la poudre de lait a été maintenue, elle a été strictement encadrée. La suppression des quotas laitiers à l'horizon de 2015 a été décidée dès 2003, malgré l'opposition de la France, et elle a été confirmée en 2008 dans le cadre du bilan de santé de la PAC, qui prévoit un « atterrissage en douceur », avec une augmentation des quotas de 1 % pendant cinq ans à compter du 1er avril 2009.

La proposition de règlement de la Commission européenne vise à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs, en reprenant plusieurs recommandations du groupe d’experts de haut niveau constitué en octobre 2009 pour réfléchir à l'avenir du secteur et le préparer à la suppression des quotas. La France a beaucoup œuvré à cette évolution et je salue l'action du ministre de l'agriculture, qui s'est fortement engagé pour que l'Union européenne tire les leçons de la crise laitière en matière de droit de la concurrence et de régulation des marchés.

Cette proposition concerne donc, tout d'abord, les relations contractuelles : elle tend à autoriser la conclusion de contrats de livraison de lait entre les producteurs et les transformateurs, en laissant les Etats membres libres de décider si ces contrats seront obligatoires ou non. Dans l’affirmative, ils devront comprendre des clauses relatives au prix à payer – fixe ou variable en fonction de facteurs qui devront alors être impérativement établis par le contrat –, au volume, au calendrier de livraison, à la durée de validité du contrat, qui peut être conclu pour une durée indéterminée et être assorti de clauses de résiliation. Je précise que les coopératives ne seront pas obligées de recourir à des contrats.

On peut souligner, à ce stade, la convergence entre la proposition de règlement et les dispositions adoptées en France, dans le cadre de la LMA, avec le même objectif de renforcer la transparence, la stabilité et la visibilité au profit des producteurs.

En application de l'article 12 de la LMA, le décret du 30 décembre 2010 rend ainsi obligatoire la contractualisation entre les producteurs de lait et les acheteurs à compter du 1er avril 2011. D’une durée minimale de cinq ans, les contrats doivent comporter des clauses relatives au volume, aux caractéristiques du produit, aux modalités de collecte et de livraison, aux critères et aux modalités de détermination du prix, ainsi qu’aux modalités de paiement, de révision et de résiliation. La proposition de la Commission européenne valide donc l'approche française.

Les producteurs considèrent que la date du 1er avril est quelque peu précipitée, et ils ne sont pas tout à fait d’accord avec le résultat des négociations interprofessionnelles. J’y reviendrai, mais je tiens à indiquer dès maintenant que si le ministre a souhaité une date aussi rapprochée, c’était pour favoriser les négociations européennes relatives aux règles de concurrence.

Un deuxième point très important de la proposition de règlement est le renforcement du pouvoir de négociation des producteurs : ils pourront se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence qui interdit les accords d'entreprises incluant la fixation de prix. La négociation collective des contrats par le biais d'organisations de producteurs reconnues sera ainsi autorisée, qu'il y ait ou non transfert de propriété.

Je précise que la taille de ces organisations sera encadrée par une double limite : elles ne devront pas dépasser 3,5 % de la production totale de l'Union et 33 % de la production nationale totale. Le fait que la notion de marché pertinent soit définie en fonction de plafonds fixes, et non plus au cas par cas, renforce grandement la sécurité juridique.

Le Gouvernement a annoncé qu'il publierait un décret sur ces organisations de producteurs dès l'adoption de la proposition de règlement.

Celle-ci porte ensuite sur le rôle des organisations interprofessionnelles, déjà reconnues, dans le cadre de la PAC, dans les secteurs du vin et des fruits et légumes. Il est proposé d'étendre au secteur du lait les règles applicables au second. Certains accords et certaines pratiques concertées pourront alors être considérés comme compatibles avec les règles de concurrence par la Commission européenne – à l’exclusion des accords de fixation de prix ou de partage du marché.

Ici encore, je tiens à souligner la convergence entre la proposition de règlement et les réformes adoptées dans le cadre de la LMA : dans les deux cas, les organisations interprofessionnelles se voient reconnaître un rôle élargi. Grâce à la proposition de règlement, elles pourront mener des activités « d'amélioration de la connaissance et de transparence de la production et du marché, au moyen, notamment, de la publication de données statistiques relatives au prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que la réalisation d'études sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional ou national ». La LMA autorisait, quant à elle, les organisations interprofessionnelles à « élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés ».

La proposition de règlement apporte, enfin, une première réponse aux recommandations du groupe de haut niveau en matière de renforcement de la transparence. La Commission demande, en effet, une communication mensuelle des quantités de lait collectées.

À bien des égards, cette proposition représente donc un progrès dans le sens d'une plus grande stabilité et d'une meilleure visibilité au bénéfice des producteurs.

La proposition de résolution, quant à elle, comporte sept points.

Le premier est pour saluer l'évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d'adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier que j’ai déjà évoquées : la rigidité de l'offre et de la demande, le déséquilibre du marché entre les producteurs et les acheteurs, la forte volatilité des prix. Cette évolution est particulièrement importante pour la France, du fait de l'organisation de sa production. Les pays nordiques, tels que le Danemark et les Pays-Bas, sont moins concernés compte tenu de la présence historique de coopératives presque monopolistiques sur leur territoire.

Le deuxième point consiste à souligner que les propositions relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait contribuent au rééquilibrage des relations entre les différents acteurs de la filière. Plusieurs de ces propositions vont dans le même sens que les mesures adoptées dans le cadre de la LMA, qu’il s’agisse de la contractualisation ou du rôle des organisations interprofessionnelles.

En troisième lieu, la proposition de résolution demande que les États membres puissent imposer une durée minimale de contrat et de préavis de rupture, dans le respect du principe de subsidiarité et dans l'objectif de sécuriser les acteurs de la filière. Il faut en effet une durée compatible avec celle du cycle de la production laitière et avec les contraintes d’investissement des producteurs et des entreprises de transformation – en France par exemple, cette durée est fixée au minimum à cinq ans.

Le quatrième point concerne la régulation des volumes pour les produits sous signe de qualité – appellation d'origine contrôlée (AOC) ou indication géographique protégée (IGP). Ces produits sont souvent issus de zones défavorisées ou bien de zones de montagne confrontées à des difficultés de collecte. Dans tous les cas, la sauvegarde de ces régions passe par la valorisation. Or, elles vont se trouver fragilisées avec la fin des quotas : la libéralisation du secteur profitera aux régions les plus compétitives. La mesure proposée aurait un intérêt tout particulier pour la France, premier pays producteur de lait de montagne.

En cinquième lieu, la proposition de résolution prévoit que la Commission fasse le point, en 2014 et en 2018, dans le cadre des rapports d'évaluation sur le développement du marché laitier, sur la pertinence des seuils fixés pour les organisations de producteurs.

Le sixième point aborde la question de la régulation. La proposition de règlement ne reprend que certaines des recommandations du groupe de haut niveau, les mesures de marché, l'innovation et la recherche devant être traitées dans le cadre de la réforme de la PAC post-2013. Parmi les mesures de marché, on observe que les actions de stockage ont permis d'améliorer la situation lors de la crise de 2009, quoique entreprises assez tardivement. On pourrait donc s'orienter vers des outils de stockage plus réactifs et plus flexibles – le stockage est actuellement limité tant en volume qu’en durée, cependant, comme nous avons pu le constater lors d’une rencontre avec des parlementaires allemands, ceux-ci considèrent que les outils de régulation doivent être utilisés uniquement en cas de crise, alors qu’en France nous sommes favorables à une approche préventive.

Le septième et dernier point évoque la possibilité de dérogations horizontales au droit de la concurrence dans d'autres filières agricoles.

Ce texte reconnaît donc les évolutions positives contenues dans la proposition de la Commission européenne tout en mettant l'accent sur les points qu’il conviendra d’approfondir dans le cadre de la réforme de la PAC. Je vous propose une adoption conforme.

M. Jean Gaubert. Sans retracer toute l’histoire de la filière laitière, je rappellerai que nous faisions face à des « montagnes » de poudre de lait et de beurre au début des années 1980, jusqu’à ce qu’un ministre courageux accepte en 1984 l’institution de quotas, comme dans les autres États membres. Ces quotas ont été très décriés, et certains d’entre nous – je n’en étais pas – sont allés manifester contre eux avec beaucoup de vivacité, voire de violence. Les mêmes parfois ont ensuite demandé qu’on n’y touche pas…

Nous devons maintenant prendre acte du fait que les quotas vont être abandonnés, avec l’accord du Gouvernement français – le rapporteur fait la part un peu trop belle à celui-ci en indiquant que notre pays a voté contre. Je crois savoir que cet abandon a été approuvé à l’unanimité…

M. le rapporteur. Je n’ai pas dit que la France avait voté contre, mais qu’elle n’y était pas favorable.

M. Jean Gaubert. Seul le vote fait foi. Or, il est incontestable.

Certains, dont j’étais, ont alors prédit une désorganisation complète. Dans ma circonscription, certains responsables agricoles m’ont traité de démagogue, mais le démagogue n’était pas forcément celui qu’ils croyaient. Nous avons ensuite connu la crise laitière et son accentuation – la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a sans doute commis quelques excès de zèle au nom de la concurrence.

Force était de constater que la situation ne pouvait plus durer. La LMA a donc inventé la contractualisation, aujourd’hui reprise par la Commission européenne. C’est une avancée, mais il nous faudra rester très vigilants : la négociation collective des contrats ne saurait, en aucune façon, consister à fixer un prix correspondant au prix de revient des producteurs. Leur revenu pourra certes être lissé sur une longue période, sous certaines conditions, mais on aurait tort de croire que le nouveau dispositif suffira à l’augmenter dans des proportions significatives.

On sait très bien, par exemple, que certains pays n’ont pas l’intention de l’utiliser. En période de surproduction et en l’absence d’instruments de gestion de marché, on ne pourra pas interdire à la grande distribution française de s’approvisionner en lait moins cher sur les marchés d’autres États membres. Ils s’abstiendront si la crise ne dure pas mais, dans le cas contraire, la concurrence qui règne entre eux finira immanquablement par les conduire à cette solution. Comme l’a indiqué le rapporteur, il faudra par conséquent rétablir certains instruments de régulation du marché.

Ce sera plus facile à dire qu’à faire. Pour le lait, comme pour d’autres produits, il faudra en particulier que nous disposions de moyens d’évaluer les stocks. En effet, la spéculation est souvent liée au défaut de connaissances sur ce point. On observe même des phénomènes d’intoxication : pour faire monter les prix, on prétend faussement qu’il ne reste plus rien, quitte à dire le contraire à d’autres périodes, ce qui joue dans les deux cas contre les producteurs.

Cette proposition de résolution, qui a déjà fait l’objet d’un débat au sein de la commission des affaires européennes, va plutôt dans le bon sens ; néanmoins, je le redis, il serait faux de croire qu’elle permettra d’augmenter notablement et durablement le revenu des producteurs. Ceux qui penseraient que nous sommes parvenus au bout des efforts nécessaires pour restaurer une politique européenne plus coordonnée et plus régulée se tromperaient tout autant. Si je puis recourir à une formule bien connue, « la route est droite, mais la pente est rude » – elle l’est même de plus en plus.

Mon groupe votera la proposition de résolution, sans accorder pour autant un blanc-seing au Gouvernement. Si celui-ci a pesé à Bruxelles, il n’a pas été le seul à le faire, et nous devons aussi veiller à donner un encouragement au commissaire européen, que nous recevrons prochainement. L’inflexion qu’il cherche à donner à la politique agricole européenne nous satisfait plus que les positions de la précédente commissaire qui, si l’un de ses conseillers lui avait remis une note visant à renforcer la régulation, s’en serait servie pour allumer son poêle !

M. le président Serge Poignant. Comme nous en sommes convenus lors de notre dernier déplacement à Bruxelles, nous recevrons M. Dacian Cioloş le 25 mai prochain, conjointement avec la commission des affaires européennes. Cela étant, il me semble d’autant plus nécessaire de soutenir la France et son Gouvernement qu’il reste des progrès à faire.

M. Claude Gatignol. Je commencerai par féliciter le rapporteur et le remercier d’avoir réussi à rendre compréhensible un texte passablement technocratique. Notre groupe adoptera bien évidemment la position qu’il nous suggère.

J’aurai cependant deux questions. La première concerne les futurs contrats, applicables à tous les producteurs de lait. La plus grande difficulté tiendra, sans doute, au fait que le prix sera fixé pour une durée de cinq ans : il ne faut qu’il puisse devenir dissuasif pour un acheteur, transformateur ayant accès au marché mondial, et au marché européen en particulier. Sans renier la notion de contrat, ni l’idée que cet instrument est fait pour protéger le revenu des agriculteurs, quels mécanismes d’adaptation peut-on envisager ? Ne plaçons pas les agriculteurs dans une situation qui les empêcherait de vendre leur production !

J’observe, par ailleurs, que les coopératives et les sociétés privées cohabitent chez nous. Or, le système coopératif est déjà quasiment placé sous l’empire du contrat, le producteur étant lié à sa coopérative. Comment se fera la nouvelle articulation ? Ne risque-t-on une discrimination entre les producteurs selon les catégories d’acheteurs ?

M. Jean Dionis du Séjour. Sans être un grand spécialiste du marché laitier, je trouve intéressant que la question de la contractualisation soit désormais traitée au niveau de l’Union. Depuis la LMA, nous sommes bien placés pour savoir qu’il n’est pas simple de faire vivre ces contrats sur le terrain et ce « cadrage » européen me semble donc utile.

J’aimerais savoir, pour ma part, ce que le rapporteur pense de l’alinéa 6 : est-il vraiment important que la durée minimale du contrat et du préavis de rupture soit établie au niveau des États membres plutôt qu’à celui de l’Union ?

Je m’interroge, en outre, sur la compatibilité entre l’alinéa 7, qui « souligne la nécessité de prévoir des dispositions ouvrant aux interprofessions ou aux opérateurs gérant des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées la possibilité de mener une action de régulation de volumes », et les dispositions du traité relatives à la concurrence. En quoi ces actions peuvent-elles consister si elles ne concernent pas l’organisation du marché par les parties elles-mêmes ?

M. André Chassaigne. Le premier objet de cette proposition de résolution européenne est d’accorder un satisfecit à la Commission pour son travail sur la mise en œuvre de la contractualisation et sur la réforme du marché du lait dans l’Union européenne. Elle vise aussi à valoriser le travail de lobbying de la France, qui a porté ce dossier au niveau européen après la crise des prix du lait en 2009 et l’adoption de la loi de modernisation agricole – il s’agissait de faire entrer dans le droit européen certaines dispositions, notamment la contractualisation, le renforcement des interprofessions et la reconnaissance des organisations de producteurs.

Ce texte a le mérite de souligner que de trop nombreux points sont laissés en suspens – c’est le cas, en particulier, des productions laitières sous signe officiel de qualité et des instruments de régulation –, mais la proposition de règlement de la Commission comporte en réalité très peu d’avancées concrètes en faveur des producteurs s’agissant de la contractualisation : l’exposé des motifs indique clairement qu’elle revêtira un caractère facultatif pour les États membres. Les coopératives seront, en outre, dispensées d’élaborer des contrats sous réserve que leurs relations avec les sociétaires producteurs soient régies par des dispositions similaires. Or il faut savoir qu’un groupe français tel que Sodiaal est une coopérative !

J’en viens à trois aspects de l’exposé des motifs que mon groupe considère comme déterminants.

Selon la Commission, « l’existence, sur une longue période, d’une politique de fixation de quotas et de prix officiels élevés (…) a souvent eu pour effet d’inhiber l’adaptation structurelle ». En d’autres termes, la Commission regrette qu’il n’y ait pas eu suffisamment de suppressions d’exploitations, et que la PAC n’ait pas été suffisamment performante dans la concentration de la production sur des territoires compétitifs.

Elle considère, par ailleurs, que les acteurs de la chaîne de production ont été « insensibles aux signaux qui auraient dû les conduire à réagir aux mouvements du marché ». Ce texte repose donc sur une approche économique axée sur les seuls marchés, au mépris de la spécificité des territoires.

J’observe, en dernier lieu, l’insistance de la Commission sur l’innovation et les gains de productivité. Cela témoigne, une fois encore, du culte qu’elle voue à la productivité et à la concentration de la production autour des zones d’élevage intensif.

Malgré certains points intéressants tels que l’accent mis sur l’absence de dispositions relatives à la gestion des productions laitières sous AOC ou IGP – mais on aurait pu de même insister sur l’absence de référence aux productions laitières en zones de montagne ou de handicap –, je crains que cette proposition de résolution européenne ne serve de caution à une politique de libéralisation de tous les secteurs agricoles, défendue sans relâche par la Commission.

À mes yeux, ce texte est incomplet. Nous aurions souhaité des propositions politiques et un message beaucoup plus forts. C’est pourquoi le groupe GDR s’abstiendra.

M. Jean Proriol. Je tiens à féliciter le rapporteur, qui maîtrise parfaitement son sujet. Je regrette toutefois qu’il n’ait rien dit de l’état d’avancement de la contractualisation au 1er avril 2011, date à partir de laquelle les laiteries avaient l’obligation de proposer des contrats aux producteurs. Qu’en est-il des coopératives et, surtout, des exploitants qui ne sont affiliés à aucun groupement ? M. le rapporteur pourrait-il nous fournir des estimations quantitatives ?

Du reste, pourquoi certaines organisations agricoles s’opposent-elles à la signature de ces contrats qui semblent pourtant faire, par ailleurs, l’unanimité ? Existerait-il un meilleur moyen de combattre la volatilité des prix qui a été si préjudiciable aux agriculteurs l’année dernière ?

Mme Frédérique Massat. Nous ne pouvons qu’approuver l’alinéa 4 où l’on « se félicite que la Commission européenne reconnaisse désormais la nécessité d’adapter les règles du droit de la concurrence aux spécificités de la filière laitière ». Une brèche est ouverte : elle profite aujourd'hui à la filière laitière : peut-être, demain, bénéficiera-t-elle à d’autres, non seulement en agriculture mais dans d’autres secteurs également.

S’agissant de l’alinéa 7, relatif aux interprofessions et aux opérateurs gérant des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées, je regrette, moi aussi, que la rédaction proposée ne soit pas plus volontariste. La proposition de résolution « souligne la nécessité de prévoir » des dispositions : elle aurait dû directement « demander de prévoir » ces dispositions.

Par ailleurs, si le dispositif de la Commission européenne constitue une réelle avancée, il risque d’introduire, du fait de son caractère facultatif, un déséquilibre entre les États membres de l’Union européenne, d’autant que les quotas disparaîtront en 2015.

Le rapporteur a évoqué la transparence : elle est en effet nécessaire pour suivre les évolutions du marché, d’où l’intérêt des informations que les transformateurs doivent fournir aux États membres, puis ces derniers à la Commission. Cependant, ces données sont sensibles sur le plan commercial : comment la France compte-t-elle en organiser le recueil ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Nous ne pouvons en effet que nous féliciter que « la Commission européenne reconnaisse désormais la nécessité d’adapter les règles du droit de la concurrence aux spécificités de la filière laitière ». Ne sommes-nous pas toutefois dans le cadre d’une simple déclaration d’intention ? Comment passer à la phase de concrétisation ? A-t-on élaboré une stratégie à cet effet ? L’audition du commissaire européen à l’agriculture par notre Commission sera sans doute, de ce point de vue, pleine d’intérêt.

Mme Annick Le Loch. Cette proposition de résolution va assurément dans le bon sens pour lutter contre la volatilité des prix du lait. J’aurais toutefois préféré que ce fût l’Union européenne qui décidât la première d’instaurer des instruments de régulation. Or cette proposition de règlement, selon vos termes, monsieur le président, « fait écho » à la contractualisation qui est la mesure-phare de la LMA. Est-il bien cohérent d’adopter la présente proposition de résolution européenne après avoir validé cette contractualisation dans le cadre français ?

Par ailleurs, la Commission limite les volumes de lait pouvant faire l’objet de la contractualisation à 3,5 % de la production totale du lait de l’Union européenne et à 33 % de la production totale de chaque État membre, cela au motif de ne pas affecter la libre concurrence. Ne conviendrait-il pas de relever ces plafonds ?

Enfin, dans l’alinéa 9, l’Assemblée appelle à compléter la proposition de règlement par l’élaboration d’« instruments de régulation de marché flexibles et réactifs dans le cadre des discussions sur la politique agricole commune après 2013 ». Qu’entend-on exactement par « flexibles et réactifs » ? Mais la question est peut-être prématurée…

M. Jean-Claude Flory. Je me félicite que la position de la France l’ait emporté au niveau européen. C’est le fruit d’un travail intense, au service des producteurs de lait qui ont vécu une situation très difficile ces dernières années et qui ne bénéficient aujourd’hui que d’une amélioration conjoncturelle des cours.

Toutefois, cette victoire est à durée déterminée, en raison des négociations programmées pour 2013. Aussi a-t-on raison d’insister, à l’alinéa 9, sur la nécessité d’« instruments de régulation de marché flexibles et réactifs » qui ont fait leurs preuves par le passé. Il serait bon que la représentation nationale soit associée à leur élaboration : 2013, c’est demain et il convient d’anticiper tous ensemble cette échéance.

M. Jean Grellier. Je souhaite appeler l’attention sur les stratégies de certains groupes situés en aval de la filière, stratégies qui peuvent peser autant sur la production laitière que sur la réalité de la contractualisation.

Yoplait, qui appartenait au groupe coopératif Sodiaal, a été recapitalisé en 2002 par le fonds d’investissement PAI Investissement à hauteur de 70 millions d’euros. Or PAI négocie actuellement avec l’américain General Mills pour lui céder sa participation, avec une revalorisation du groupe Yoplait à hauteur de 1,6 milliard d’euros, soit un retour sur investissement de 800 millions d’euros pour PAI ! De plus, General Mills négocie avec Sodiaal la reprise de 1 % du capital de Yoplait pour devenir majoritaire au détriment du groupe coopératif.

On constate des projets similaires dans le secteur privé : ainsi le projet de rachat de Parmalat par Lactalis. Il est permis de s’interroger sur les conséquences qu’aura une telle concentration sur le partage de la valeur ajoutée et des marges qui peuvent en découler.

Compte tenu de la différence de poids économique entre les différents partenaires, quelle sera leur marge respective de négociation dans la contractualisation, objet de la présente proposition de règlement ?

M. le rapporteur. M. Gaubert a raison : la régulation ne sera pas chose aisée. Je ne conteste pas non plus le courage du ministre de 1984. Mais, s’agissant du démantèlement progressif de la politique agricole commune et de l’abandon des quotas, tous les gouvernements français, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont trouvés en minorité au niveau de l’Union : les négociations européennes sont difficiles et nous n’avons pas toujours réussi à convaincre une majorité de nos partenaires.

Pour ce qui est, monsieur Gatignol, de la différence de traitement entre les exploitants qui livrent leur production à une coopérative et ceux qui la livrent au privé, il ne saurait être question d’opposer terme à terme les deux systèmes : il existe de bonnes coopératives comme de mauvaises coopératives et il en est de même des laiteries privées. Si l’homme était sans défaut, les coopératives seraient sans doute le meilleur système. Il s’avère que tel n’est pas toujours le cas, ce que même M. Chassaigne semble avoir reconnu.

Monsieur Grellier, les très grosses entreprises situées en aval de la production constituent-elles nécessairement un danger pour cette dernière ? Je tiens à rappeler que des transformateurs trop nombreux ne pèsent pas lourd dans leurs négociations avec la grande distribution. C’est grâce à sa taille que Lactalis a pu récemment bloquer ses livraisons aux établissements Leclerc, qui ne représentent que 2 % de son chiffre d’affaires. Il faut savoir que même ces grosses entreprises – je citerai également Danone – rencontrent des difficultés dans leurs négociations avec la grande distribution, ce qui n’est pas le cas par exemple de Coca-Cola qui, ayant le monopole de son produit, pèse de tout son poids.

Qu’une entreprise de la taille et de la qualité de Lactalis ait la capacité de racheter Parmalat aux Italiens me semble préférable, pour notre pays, à la situation inverse. Du reste, Lactalis a l’habitude de traiter correctement ses producteurs. La concentration en aval de la filière ne m’inquiète donc pas particulièrement.

Monsieur Dionis du Séjour, s’agissant de l’alinéa 6, je rappellerai que nous nous plaignons souvent du caractère trop précis des directives européennes. Le fait que le principe de subsidiarité permette à chaque pays de fixer la durée du contrat qui lui semble la plus appropriée me semble une bonne chose. Je reste pour ma part, en ce qui concerne la France, favorable à la durée de cinq années.

Pour ce qui est de l’alinéa 7, il faut savoir que si certaines AOP réussissent déjà à réguler leurs propres productions – c’est le cas du comté, qui représente tout de même 50 000 tonnes –, elles sont toujours à la limite des règlements européens. Cet alinéa vise donc à obtenir une dérogation pour la régulation des volumes. Pour sauver nos AOP et nos IGP, il faut donner aux interprofessions concernées les moyens de réguler leur propre production. La production de 50 000 tonnes de comté permet de rémunérer les producteurs de lait à un prix élevé, que justifient, du reste, les charges importantes de ces derniers, alors qu’une production plus élevée ferait chuter ce prix.

En revanche, l’Europe nous refuserait une dérogation portant uniquement sur les zones de montagne ou les zones défavorisées.

M. Chassaigne s’est interrogé sur le caractère facultatif de la contractualisation : autant on peut imposer aux États membres de l’Union européenne des contraintes en matière de régulation, autant il me semble impossible d’imposer la contractualisation à certains, comme la Bulgarie.

Monsieur Proriol, il est vrai que les producteurs considéraient que l’échéance du 1er avril était prématurée : toutefois, je le répète, si le ministre a souhaité que la contractualisation laitière soit opérationnelle à cette date, c’est en vue de peser dans les négociations européennes.

C’est un fait : toutes les organisations agricoles ou presque sont en désaccord avec les modèles de contrat élaborés par les industriels, notamment avec des clauses qui pourraient représenter une forme d’intégration. Un médiateur a été nommé. Je tiens à souligner que si, depuis le 1er avril, un contrat doit être obligatoirement présenté par le premier acheteur, en revanche le producteur peut le refuser. J’ai rappelé aux producteurs auvergnats, que j’ai rencontrés récemment, que les fédérations de producteurs de lait doivent les conseiller avant toute signature. Ils ne doivent surtout pas signer des contrats qui les désavantageraient.

Quant à savoir si le prix fixé par le contrat pourrait inciter une entreprise de transformation à aller se fournir sur le marché européen, il convient de rappeler que les contrats ne sauraient prévoir, pour une durée de cinq années, de prix fermes et définitifs : ils n’établissent que les composants du prix.

M. Claude Gatignol. Les contrats sont vides, alors !

M. le rapporteur. Non ! Le prix du lait faisait déjà l’objet de négociations dans le cadre de l’interprofession, les industriels se plaignant, du reste, de payer en pleine crise le lait plus cher en France qu’en Allemagne, parce que le prix négocié était fondé sur des critères bien définis. La contractualisation ne fera qu’affiner ces critères, la base de la négociation restant la même.

Madame Massat, l’adaptation des règles du droit de la concurrence est déjà prévue, à des dates ultérieures, pour d’autres productions agricoles que le lait. Madame Le Loch, les plafonds fixés par l’Union européenne, que je préférerais également plus élevés mais sur lesquels je n’ai aucune prise, ne concernent que les organisations de producteurs non commerciales.

Enfin, il appartiendra au Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) de transmettre les informations relatives au marché. Du reste, il le fait déjà en publiant des statistiques annuelles sur la production, la collecte et la transformation du lait.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie, monsieur le rapporteur.

La Commission adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution européenne sans modification.

En conséquence, la commission des affaires économiques vous demande d’adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique


L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (COM [2010] 728/n° E 5894),

1. Se félicite que la Commission européenne reconnaisse désormais la nécessité d’adapter les règles du droit de la concurrence aux spécificités de la filière laitière ;
2. Estime que les propositions relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait contribueront à rééquilibrer les relations entre les différents acteurs de la filière laitière
 ;

3. Demande, dans le respect du principe de subsidiarité, que les États membres puissent imposer une durée minimale de contrat et de préavis de rupture du contrat, afin de sécuriser davantage les relations entre les acteurs de la filière et leur donner une visibilité suffisante ;
4. Souligne la nécessité de prévoir des dispositions ouvrant aux interprofessions ou aux opérateurs gérant des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées la possibilité de mener une action de régulation des volumes dans un objectif de maintien de la qualité des produits ;
5. Considère que les rapports d’étape prévus en 2014 et 2018 devront faire le point sur le bien fondé des niveaux de concentration des producteurs ;
6. Juge toutefois que les mesures qui précèdent apportent une première réponse aux difficultés du secteur laitier mais devront être appuyées par des instruments de régulation de marché flexibles et réactifs dans le cadre des discussions sur la politique agricole commune après 2013 ;
7. Demande que soient examinées les conditions dans lesquelles des dérogations au droit de la concurrence pourraient être appliquées aux autres filières agricoles.

© Assemblée nationale