N° 3464 - Rapport de M. Claude Bartolone sur la proposition de résolution de M. Claude Bartolone et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux. (3396)




N
° 3464

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mai 2011

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION de Mesdames et Messieurs Claude BARTOLONE, Jean-Marc AYRAULT, Dominique BAERT, Valérie FOURNEYRON, Guillaume GAROT, Marc GOUA, Régis JUANICO, Serge JANQUIN, Thierry CARCENAC, Henri EMMANUELLI, Jean LAUNAY, Aurélie FILIPPETTI, Henri NAYROU, Christian ECKERT, Jean-Pierre BALLIGAND, Pierre-Alain MUET, Michel VERGNIER, Jean-Louis IDIART, Alain CLAEYS, Jean-Louis DUMONT, Pierre BOURGUIGNON, Jérôme CAHUZAC, Victorin LUREL, François HOLLANDE, Pierre MOSCOVICI, David HABIB, Patrick LEMASLE, Alain RODET, Michel SAPIN, Annick GIRARDIN et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux (n° 3396),

PAR M. CLAUDE BARTOLONE,

Député.

——

INTRODUCTION 5

I.– LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE CETTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EST CONFORTÉE PAR DE NOMBREUX PRÉCÉDENTS 5

A.– L’OBJET DE CETTE DEMANDE DE CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE EST CLAIREMENT DÉFINI 5

B.– SA RECEVABILITÉ PEUT ÊTRE CONCILIÉE AVEC L’EXISTENCE DE POURSUITES JUDICIAIRES 7

II.– LES RISQUES INHÉRENTS AUX PRODUITS FINANCIERS SOUSCRITS PAR LES COLLECTIVITÉS JUSTIFIENT PLEINEMENT UNE SAISINE DU PARLEMENT 9

A.– L’ENCOURS GLOBAL DES EMPRUNTS TOXIQUES CONTRACTÉS PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EST DIFFICILE À ÉVALUER 9

B.– L’ÉTAT A TARDÉ À PRENDRE LA MESURE DES DIFFICULTÉS AUXQUELLES SE HEURTENT LES COLLECTIVITÉS CONCERNÉES 10

CONCLUSION 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

TABLEAU COMPARATIF 17

AMENDEMENT EXAMINÉ PAR LA COMMISSION  19

ANNEXE : « CHARTE DE BONNE CONDUITE ENTRE LES ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES ET LES COLLECTIVITÉS LOCALES » DU 7 DÉCEMBRE 2009 21

INTRODUCTION

Déposée le 5 mai dernier par le Rapporteur et ses collègues du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC), la présente proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête sur les emprunts et produits financiers dits « toxiques » contractés auprès des établissements de crédit par les collectivités territoriales ou par toute autre administration publique locale.

Son objet a logiquement conduit à une saisine de la commission des Finances, compétente à la fois en matière de finances locales et de produits bancaires.

Le groupe SRC a demandé, lors de la Conférence des Présidents du 17 mai, à user de son droit de tirage ; il a donc obtenu l’organisation d’un débat sur cette proposition. Celui-ci a été inscrit au programme de la première séance du 8 juin, à l’occasion de la prochaine semaine d’ordre du jour parlementaire.

Cette faculté reconnue par le Règlement ne préjuge cependant pas de l’issue du vote en séance (1) ; elle n’exonère pas non plus des conditions habituelles de recevabilité applicables à ce type d’initiative.

Dans le cadre désormais défini à l’article 51-2 de la Constitution, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale déterminent les conditions dans lesquelles s’apprécie la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.

La première exigence posée par les textes applicables consiste à déterminer avec précision, dans la proposition de résolution, soit les faits pouvant donner lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d’enquête devrait examiner la gestion.

Ce point ne pose pas de réelles difficultés, même si la rédaction de l’article unique de la proposition pourrait encore être légèrement précisée. Le champ de la commission d’enquête engloberait trois points : l’appréciation des conditions dans lesquelles ces produits financiers ont été contractés, une analyse de la nature de ceux-ci et des risques inhérents complétée par une évaluation de l’encours total qu’ils représentent et, enfin, la formulation de recommandations pouvant déboucher sur des adaptations législatives ou réglementaires.

La présente proposition de résolution retient une acception large de la notion d’emprunts risqués – pouvant se révéler toxiques pour leurs souscripteurs – afin de ne pas tronquer par avance l’objet de la commission d’enquête. La définition usuellement retenue (2) inclut une assez grande variété de produits financiers dont les taux variables évolueraient en fonction d’un ou de plusieurs des indices suivants :

– les indices relatifs aux matières premières, aux marchés d’actions ou à tout autre instrument incluant des actions ;

– les indices propriétaires non strictement adossés aux indices de crédits ou aux événements de défauts d’émetteurs obligataires (Credit default swaps, CDS), ou encore à la valeur de fonds ou à la performance de fonds ;

– les références à la valeur relative de devises, quel que soit le nombre de monnaies concernées ;

– les références aux indices cotés sur les places financières hors des pays membres de l’OCDE.

En outre, peuvent y être assimilés les produits présentant une première phase de bonification d’intérêt supérieure à 35 % du taux fixe équivalent ou de l’Euribor, et d’une durée supérieure à 15 % de la maturité totale, ainsi que les produits à effet cumulatif pour lesquels le taux payé à chaque échéance est déterminé sur la base d’une incrémentation cumulative par rapport aux taux des échéances précédentes.

Ces produits financiers peuvent être commercialisés par des établissements de crédit ou des entreprises d’investissement au sens de la loi bancaire et de la loi de modernisation des activités financières (3), français ou étrangers, agréés par les autorités nationales de supervision (l’Autorité de contrôle prudentiel, en l'espèce) ou exerçant en libre établissement. Sont donc exclus expressément le Trésor public, la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations.

Seraient potentiellement concernées toutes les administrations publiques locales, dès lors qu’elles ont eu recours à de tels financements :

– les communes et sections de communes, auxquelles sont assimilées leurs régies ayant une activité non marchande, ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, syndicats intercommunaux ;

– les départements et leurs regroupements institutionnels ;

– les régions et leurs regroupements institutionnels ;

– chaque collectivité territoriale d’outre-mer à statut particulier.

Seraient également placés dans le champ d’investigation de la commission d’enquête, quel que soit leur statut juridique, les organismes divers d’administration locale, au sens de la comptabilité nationale, qui prennent souvent – mais pas exclusivement – la forme d’établissements publics locaux : les agences de l’eau, les associations foncières, les caisses de crédit municipal, les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (CCAS), les organismes consulaires, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), le syndicat des transports d’Île-de-France, etc…

Enfin, par mention expresse de la proposition de résolution, les « entreprises publiques locales », c’est-à-dire essentiellement les sociétés d’économie mixte (SEM) locales, seraient également l’objet des travaux de la commission.

La seconde exigence, tirant les conséquences du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, interdit au Parlement d’enquêter sur des faits si ceux-ci ont donné lieu à des poursuites judiciaires et que celles-ci sont en cours. Or, plusieurs collectivités territoriales – le conseil général de Seine-Saint-Denis, les villes de Saint-Étienne ou d’Unieux, entre autres – ont saisi, en début d’année, les juridictions administratives et civiles pour faire annuler certains emprunts contractés auprès d’établissements de crédit.

Même si la jurisprudence en la matière est complexe, il semble qu’il faille retenir une interprétation littérale de la notion de « poursuites judiciaires » qui vise aussi bien les actes de la procédure pénale que les autres types de contentieux (4).

Dans tous les cas, y compris celui du droit de tirage, il appartient au seul Président de l’Assemblée nationale de s’opposer à la demande d’inscription à l’ordre du jour d’une telle proposition de résolution s’il estime que les poursuites judiciaires en cours le justifient. En application de l’article 139 du Règlement, il doit à cette fin recueillir l’avis du Garde des Sceaux (5). Ce pouvoir d’opposition n’empêche donc ni le dépôt de la proposition de résolution, ni son examen en commission.

Cette interdiction est d’ailleurs interprétée avec souplesse, ce qui permet de ne pas entraver exagérément les fonctions de contrôle et d'évaluation reconnues par l’article 24 de la Constitution au Parlement. Les faits signalés par le Garde des Sceaux obligeront simplement le Président et le Rapporteur de la commission d’enquête à veiller à ce que les travaux de celle-ci ne portent pas sur les mêmes éléments.

Dans des circonstances similaires, la recevabilité de propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête a été admise, à l’Assemblée nationale, à plusieurs reprises :

- sur l’Amoco-Cadiz, en 1979 ;

- sur le service d’action civique (SAC), en 1982 ;

- sur les événements de novembre et décembre 1986 ;

- sur la transmission du SIDA, en 1992 ;

- sur le Crédit Lyonnais, en 1994 ;

- sur l’utilisation des fonds publics en Corse, en 1998 ;

- sur les forces de sécurité en Corse, en 1999 ;

- ou encore, sur les causes économiques et financières de la disparition d’Air Lib, en 2003.

Depuis vingt ans cette interdiction n’a fait obstacle qu’en deux occasions à des propositions de résolution émanant de l’opposition : en 2004, à l’occasion d’une demande de M. René DOSIÈRE relative à l’utilisation des fonds publics en Polynésie française, ou en 1990, pour une commission d’enquête proposée par M. Jean-Louis DEBRÉ sur les renseignements généraux.

Grâce aux prérogatives spécifiques d'une commission d'enquête – pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place reconnus au Rapporteur, secret des travaux, moyens alloués au secrétariat – l'Assemblée nationale serait en mesure d'évaluer l'encours et les risques inhérents aux emprunts toxiques.

À compter des années quatre-vingt-dix, le groupe bancaire Dexia spécialisé dans le financement des collectivités territoriales ainsi que de nombreux autres établissements de crédit – Calyon filiale de financement et d'investissement du groupe Crédit Agricole, le groupe Banques populaires Caisses d’épargne (BPCE), la Société générale, Royal Bank of Scotland, la Deutsche Bank ou encore le groupe irlandais Depfa Bank plc – ont développé une offre de produits de financement dits « structurés ». Les collectivités territoriales, confrontées à la même époque à des taux fixes élevés, ont été séduites par la perspective de faire baisser la charge de leur dette.

Certaines ont accepté de substituer à leurs prêts à taux fixe des prêts structurés à taux variable, offrant des mensualités de remboursement moins importantes mais beaucoup plus risqués : ces prêts ont en effet la particularité d’être indexés, ce qui peut avoir pour effet, en cas par exemple de forte chute d’une monnaie par rapport à une autre, d’augmenter les taux d’intérêt de manière exponentielle.

Comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 20096, aucune évaluation globale de l’encours « toxique » des collectivités n’existe pour l’heure: « Les chambres régionales et territoriales des comptes ont constaté l’apparition dans les comptes des collectivités et établissements publics locaux d’emprunts d’un type nouveau, associant dans un même contrat un emprunt bancaire et une clause sous-jacente construite à partir d’un ou plusieurs produits dérivés (contrats d'échange de taux d'intérêt ou options). Il est encore difficile de connaître, même de façon approximative, la place de ces produits dits « structurés » dans l’encours de la dette des collectivités et établissements publics locaux. Les conditions de leur emploi soulèvent cependant des interrogations et appellent des remarques sur lesquelles la Cour a jugé utile d’appeler l’attention. » C'est la première lacune à laquelle la commission d'enquête devrait remédier.

Les difficultés sont particulièrement spectaculaires dans quelques grandes collectivités – la Seine-Saint-Denis, Lille, Saint-Étienne, Rouen, Laval, Saint-Maur-des-Fossés, Conflans-Sainte-Honorine ou bien encore Hénin-Beaumont – mais elles concernent aussi de nombreuses municipalités moyennes ou petites. Beaucoup d’élus locaux hésitent encore à évoquer publiquement les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Le Rapporteur a, pour sa part, opté pour la transparence et choisi d’évoquer ouvertement (7) la situation financière du département de la Seine-Saint-Denis qu'il dirige. Alors que l’argent public local s’est fait rare avec la crise économique et financière que notre pays traverse depuis 2008, le département a été récemment confronté à l’explosion des taux d’intérêt de prêts contractés par la précédente majorité au conseil général ; l'un d'entre eux est ainsi passé de 1,5 % à 24 % par an.

Plusieurs collectivités ont engagé des poursuites judiciaires contre leurs créanciers, mettant en avant le statut des collectivités territoriales, considérées comme des « investisseurs non professionnels » au regard de la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers, et alléguant un défaut de conseil. Le conseil général de Seine-Saint-Denis a ainsi décidé, au mois de février dernier, d'assigner devant les juridictions civiles trois établissements de crédit avec lesquels des emprunts toxiques ont été contractés.

L’État porte également une part de responsabilité tant il a tardé à réagir. Si une circulaire a été publiée le 15 septembre 1992 pour encadrer l’usage de produits dérivés par les collectivités territoriales, elle est rapidement devenue obsolète en raison de l’évolution des techniques financières utilisées. Dépourvues des compétences nécessaires à la compréhension de ces produits sophistiqués, les collectivités – pas plus que les services de l’État, puisque ces contrats d’emprunt devaient être transmis afin de revêtir un caractère exécutoire – n’ont été capables de mesurer les risques juridiques et financiers auxquels elles s’exposaient.

Le Gouvernement a attendu que la crise éprouve durement les finances locales pour réagir, quoique avec beaucoup de retenue. En décembre 2009, une charte (8) « de bonne conduite » a été signée sous l’égide d’un médiateur, M. Eric GISSLER, désigné par le Premier ministre. Depuis lors, les prêts les plus dangereux ne sont plus commercialisés par les établissements de crédit et l'information sur le niveau de risque des prêts a été améliorée.

Toutefois, le Rapporteur relève le caractère lacunaire et bien peu coercitif de cette charte. Les banques ont pris des engagements pour l'avenir, mais les risques sur les anciens crédits perdurent. Très peu ont pu être renégociés et transformés en crédits classiques à taux fixe, à un coût connu à l'avance.

En réaction au dépôt de plusieurs amendements par des parlementaires de la majorité, comme de l’opposition, désireux de mieux réguler les relations entre les collectivités et leurs banquiers, une nouvelle circulaire du 25 juin 2010 a enfin procédé à l’actualisation de la réglementation en vigueur. Une évaluation des encours et de la nature des dettes vient d'être lancée, sous la forme d'une annexe nouvelle à joindre au budget primitif et au compte administratif pour 2011.

Il est bien tard, serait-on tenté de faire observer.

CONCLUSION

Le risque inhérent aux emprunts toxiques est aujourd'hui mal connu et difficile à mesurer. Au-delà des collectivités territoriales dont ils obèrent les budgets, ces produits structurés pourraient peser sur les finances publiques dans leur ensemble, et par conséquent sur le quotidien de nos concitoyens.

C'est le rôle du Parlement de clarifier ces enjeux et de proposer les mesures qui permettront à l'État, dans le respect du principe de libre administration des collectivités, d'y remédier : la création d'une commission d'enquête constituerait assurément un premier pas décisif dans cette direction.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine ensuite la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux (n° 3396) (M. Claude Bartolone, rapporteur).

M. Yves Censi, président. La parole est à M. Claude Bartolone, rapporteur sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux.

M. Claude Bartolone, rapporteur. La crise économique et financière a mis sous tension les budgets des collectivités territoriales ; elle a eu un effet plus inattendu, en transformant des emprunts souscrits il y a plusieurs années en véritables bombes à retardement pour les collectivités territoriales comme pour d’autres structures : offices d’HLM ou hôpitaux.

C’est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe SRC, j’ai déposé le 5 mai dernier cette proposition de résolution, qui vise à créer une commission d’enquête sur les emprunts et produits financiers dits « toxiques » contractés auprès des établissements de crédit et des entreprises d’investissement par les administrations publiques locales.

L’objet de celle-ci a logiquement conduit à une saisine de notre commission, compétente à la fois en matière de finances locales et de produits bancaires.

Je crois important de rappeler que les risques inhérents aux emprunts toxiques sont très mal connus. Comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2009, aucune évaluation globale de l’encours « toxique » des collectivités n’existe pour l’heure.

Grâce aux prérogatives spécifiques d'une commission d'enquête – droit de citation, pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place reconnus à son Rapporteur, secret des travaux, moyens alloués au secrétariat – notre Assemblée serait en mesure de clarifier ces enjeux et de proposer les mesures qui permettront à l'État, dans le respect du principe de libre administration, de remédier aux difficultés des collectivités.

C’est pourquoi, mon groupe a usé de son droit de tirage ; il a donc obtenu l’organisation d’un débat sur cette proposition. Celui-ci a été inscrit au programme de la première séance du 8 juin, à l’occasion de la prochaine semaine d’ordre du jour parlementaire.

Cette faculté reconnue par le Règlement ne préjuge cependant pas de l’issue du vote en séance. Elle n’exonère pas non plus des conditions habituelles de recevabilité applicables à ce type d’initiative.

Pour qu’une commission d’enquête puisse être créée, trois conditions doivent être réunies :

– d’abord, la proposition doit déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ;

– ensuite, elle ne doit pas succéder à une autre commission d’enquête ayant eu le même objet dans un délai de moins de douze mois ;

– enfin, il ne doit pas y avoir de procédure judiciaire en cours sur les faits qui donnent lieu à l’enquête.

La première exigence ne pose pas de réelles difficultés, même si je proposerai tout à l’heure un amendement pour préciser légèrement la rédaction de l’article unique. La deuxième est également satisfaite puisque la dernière commission d’enquête créée il y a tout juste un an, qui avait déjà fait l’objet d’un examen préalable par notre Commission, portait sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, un sujet tout à fait différent.

La dernière de ces exigences mérite quelques précisions. Dans tous les cas, y compris celui du droit de tirage, il appartient au seul Président de l’Assemblée nationale de s’opposer à la demande d’inscription à l’ordre du jour s’il estime que les poursuites judiciaires en cours le justifient. Ce pouvoir d’opposition n’empêche donc ni le dépôt de la proposition de résolution, ni son examen en commission.

Il est exact que plusieurs collectivités territoriales – le conseil général de Seine-Saint-Denis ou encore la ville de Saint-Étienne – ont saisi, en début d’année, les juridictions administratives et civiles pour faire annuler certains emprunts contractés auprès d’établissements de crédit.

J’estime néanmoins que ces procédures isolées ne remettent pas en cause la recevabilité de la présente proposition de résolution, dont l’objet est beaucoup plus large. D’ailleurs, la Présidence de l’Assemblée interprète traditionnellement cette interdiction avec souplesse. Dans des circonstances similaires, la recevabilité de propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête a été admise à de nombreuses reprises. J’en rappellerai seulement trois, qui portaient sur :

– l’Amoco-Cadiz, en 1979 ;

– le Crédit Lyonnais, en 1994 ;

– ou encore, les causes économiques et financières de la disparition d’Air Lib, en 2003.

Aucun élément de droit ne s’oppose à la création de la commission d’enquête. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de résolution.

M. Yves Censi, président. J’appelle l’amendement présenté par M. Claude Bartolone

M. Claude Bartolone, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle.

La Commission adopte l’amendement n° 1, puis adopte la proposition de résolution ainsi modifiée.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de la proposition de résolution

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Texte adopté par la Commission

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Article unique

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des swaps et tout autre produit financier à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette, ont été contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux, l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi que les conséquences législatives et réglementaires que leur souscription pourrait entraîner

Il est créé, en application de l’article 51-2 de la Constitution et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des contrats d’échange et d’autres produits financiers à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette ont été souscrits auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, les entreprises publiques locales et les autres acteurs publics locaux, à déterminer l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi qu’à tirer les conséquences législatives et réglementaires de leur souscription

 

(Amendement CF-1)

AMENDEMENT EXAMINÉ PAR LA COMMISSION (9)

N° CF 1

AMENDEMENT

Présenté par
M. Claude Bartolone,

rapporteur au nom de la commission des Finances

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ARTICLE UNIQUE

Rédiger ainsi cet article :

« Il est créé, en application de l’article 51-2 de la Constitution et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des contrats d’échange et d’autres produits financiers à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette, ont été souscrits auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, les entreprises publiques locales et les autres acteurs publics locaux, à déterminer l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi qu’à tirer les conséquences législatives et réglementaires de leur souscription. ».

À l’automne 2008, certains élus locaux ont dénoncé publiquement la présence dans leur dette de prêts qu’ils qualifiaient de toxiques. Pour mesurer l’ampleur du phénomène, le ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et celui de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi ont organisé le 3 novembre 2008 une réunion entre les représentants des associations d’élus locaux et les principaux établissements bancaires actifs dans ce secteur.

Au terme de cette table ronde, un accord s’est fait autour d’une double proposition :

– le traitement des cas particuliers relèverait du dialogue entre la collectivité locale et ses banquiers ;

– pour l’avenir une Charte de bonne conduite signée par les établissements financiers qui le souhaiteraient et les représentants des élus, régirait leurs rapports mutuels à l’occasion de la mise en place de nouveaux prêts, d’opérations d’échange de taux et de leur renégociation, pour éliminer les risques excessifs que le recours à ces produits peut comporter.

La présente Charte a pour objet de formaliser les engagements respectifs des établissements bancaires et des collectivités locales qui s’accordent pour considérer que :

– il est légitime pour une collectivité locale de développer une politique de gestion de la dette visant d’une part à profiter des évolutions qui lui sont ou seraient favorables, d’autre part à prévenir les évolutions de taux qui lui sont ou lui seraient défavorables ;

– le recours à une Charte de bonne conduite constitue l’instrument qui permet de concilier au mieux le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales d’une part, et le respect des règles de concurrence entre les banques d’autre part ;

– cette Charte est en outre à même d’assurer la complémentarité entre le recours à l’innovation financière qui a souvent permis aux collectivités locales des gains significatifs en matière d’intérêts financiers et leurs contraintes spécifiques liées à leur caractère public.

Les signataires conviennent que la présente Charte s’applique aussi bien aux nouveaux prêts et aux opérations d’échange de taux qu’à leur renégociation. Elle n’a pas d’effet rétroactif. Elle concerne les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale et leurs syndicats.

Les collectivités locales ne peuvent prendre de risque sur le capital de leurs emprunts. Les établissements financiers signataires ne proposent pas de produits comportant un risque de change aux collectivités locales qui n’ont pas de ressources dans la devise d’exposition.

Afin de limiter les risques liés notamment à la difficulté pour les collectivités locales d’anticiper leur évolution et plus encore de s’en couvrir, les établissements bancaires signataires renoncent à proposer des produits financiers dont les taux évolueraient en fonction des index suivants :

– les références à des indices relatifs aux matières premières, aux marchés d’actions ou à tout autre instrument incluant des actions ;

– les références aux indices propriétaires non strictement adossés aux indices autorisés par la Charte, aux indices de crédits ou aux événements de défauts d’émetteurs obligataires, ou encore à la valeur de fonds ou à la performance de fonds ;

– les références à la valeur relative de devises quel que soit le nombre de monnaies concerné ;

– les références aux indices cotés sur les places financières hors des pays membres de l’OCDE.

Ils renoncent en outre à proposer des produits présentant une première phase de bonification d’intérêt supérieure à 35 % du taux fixe équivalent ou de l’Euribor à la date de la proposition et d’une durée supérieure à 15 % de la maturité totale.

Il s’agit en particulier des produits pour lesquels le taux payé à chaque échéance est déterminé sur la base d’une incrémentation cumulative par rapport au taux de la ou des échéances précédentes (produits à effet cumulatif).

Cette caractéristique a pour conséquence pour la collectivité le paiement d’une échéance calculée sur la base d’un taux susceptible d’évoluer de manière toujours défavorable dans le temps et dont l’évolution peut difficilement être appréhendée sur la base d’un nombre limité d’observations d’index.

Les produits proposés aux collectivités locales n’ont pas tous le même degré de complexité et les risques pour l’emprunteur ne sont pas de même ampleur.

Dans le souci de rendre plus transparent le dialogue avec les élus et entre l’assemblée délibérante et l’exécutif local et d’assurer la comparabilité entre les offres, les établissements bancaires s’engagent à utiliser la classification proposée des produits en fonction des risques supportés par les collectivités.

Les prêts structurés ou les opérations d’échange de taux sont classés en fonction des risques qu’ils comportent, d’une part à raison de l’indice ou des indices sous-jacents et d’autre part de la structure du produit.

Les établissements signataires ne commercialisent que des produits correspondant à la typologie suivante :

TABLEAUX DES RIQUES

 

Indices sous-jacents

   

Structures

1

Indices zone euro

 

A

Taux fixe simple. Taux variable simple. Échange de taux fixe contre taux variable ou inversement. Échange de taux structuré contre taux variable ou taux fixe (sens unique). Taux variable simple plafonné (cap) ou encadré (tunnel).

2

Indices inflation française ou inflation zone euro ou écart entre ces indices

 

B

Barrière simple. Pas d’effet de levier

3

Écarts d’indices zone euro

 

C

Option d’échange (swaption)

4

Indices hors zone euro. Écart d’indices dont l’un est un indice hors zone euro

 

D

Multiplicateur jusqu’à 3 ; multiplicateur jusqu’à 5 capé

5

Écart d’indices hors zone euro

 

E

Multiplicateur jusqu’à 5

– une analyse de la structure des produits et de leur fonctionnement, en mentionnant clairement les inconvénients et les risques des stratégies proposées ;

– une analyse rétrospective des indices sous-jacents ;

– une expression des conséquences en termes d’intérêts financiers payés notamment en cas de détérioration extrême des conditions de marché (« stress scenarii ») : grille de simulation du taux d’intérêt payé selon l’évolution des indices sous-jacents ;

– pour leur permettre de valoriser l’ensemble de leurs instruments dérivés directs ou inclus dans des produits structurés des catégories B à E, les établissements financiers fournissent gracieusement au cours du 1er trimestre de l’année la valorisation de leurs produits aux conditions de marché du 31 décembre N-1. La mise en place interviendra au plus tard pour les comptes administratifs de 2009.

Les grands axes de la politique d’emprunts et de gestion de dette seront présentés à l’assemblée délibérante par l’exécutif local afin qu’elle définisse la politique d’emprunts et de gestion de dette que l’exécutif doit mettre en œuvre.

Les collectivités locales s’engagent à utiliser la classification des produits contenue dans les tableaux des risques présentés supra. Les assemblées délibérantes pourront ainsi préciser les classes d’indices sous-jacents et de structures qu’elles autorisent leurs exécutifs à utiliser. Elles pourront si elles le souhaitent distinguer les instruments applicables à la mise en place de nouveaux prêts ou opérations d’échange de taux et ceux applicables aux renégociations ou réaménagements de positions existantes.

Elles s’engagent en outre à rendre compte de manière régulière à l’assemblée délibérante des opérations qu’elles ont menées en matière de gestion active de la dette.

L’information relative à l’exposition de chaque collectivité locale aux produits structurés est de nature à permettre à l’assemblée délibérante de se prononcer en toute connaissance de cause.

Aussi, l’exécutif de la collectivité locale devra fournir, lors du débat budgétaire, une présentation détaillée qui rappelle les encours des produits structurés, la nature des indices sous-jacents, la structure des produits et une analyse des risques liés à ces produits.

De plus, à l’occasion de tout nouveau financement ou de toute opération de gestion active de dette, les collectivités locales s’engagent à fournir cette même présentation aux établissements bancaires qu’elles sollicitent.

*

Les établissements financiers réaffirment leur volonté d’appliquer en toute transparence les engagements contenus dans la Charte et les associations d’élus s’engagent à promouvoir le contenu et les orientations de la Charte auprès de leurs adhérents. La date d’entrée en vigueur sera le 1er janvier 2010. Au terme d’une année d’application, les signataires dresseront un bilan de son application et procéderont à une éventuelle mise à jour.

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