N° 3701 - Rapport de M. Michel Raison sur la proposition de résolution européenne de MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard et Philippe Armand Martin (Marne), rapporteurs de la commission des affaires européennes sur l'avenir de la politique agricole commune après 2013 (n°3611)




N
° 3701

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (n° 3611) sur l’avenir de la politique agricole commune après 2013,

ET PRÉSENTÉ


PAR M. Michel RAISON,

Député

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Voir les numéros : 3610 et 3611.

Avertissement

Pour examiner la communication de la Commission européenne « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire- relever les défis de l’avenir », un groupe de travail commun à la Commission des affaires européennes et à la Commission des affaires économiques a été constitué.

Il était composé :

- de MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, et Philippe Armand Martin, désignés par la Commission des affaires européennes ;

- de Mme Anny Poursinoff et MM. Jean Dionis du Séjour, Daniel Fasquelle, Germinal Peiro, Michel Raison, Alain Suguenot, désignés par la Commission des affaires économiques.

Les rapports publiés par les Commissions des affaires européennes et des affaires économiques sont donc identiques, ainsi que le texte de la proposition de résolution européenne, adopté successivement dans les mêmes termes par les deux commissions.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LA PAC, UNE POLITIQUE STRATÉGIQUE FACE À DES ENJEUX ESSENTIELS 15

I. L’AGRICULTURE ET LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE, UN ATOUT POUR L’EUROPE 17

A. LA PAC, UNE POLITIQUE EFFICACE 17

1. Une politique structurante 17

a) Des objectifs toujours pertinents 17

b) Leur réalisation du point de vue alimentaire, économique, environnemental et social 18

2. Des critiques aujourd’hui inopérantes 20

a) La PAC a su maîtriser la surproduction 21

b) La PAC n’est pas budgétivore 23

c) La PAC a inclus le souci de l’environnement 24

d) Les incidences négatives sur les pays en développement ont été réduites 26

e) A contrario, si la PAC disparaissait ? 27

B. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE, POUR S’ADAPTER À UNE NOUVELLE CARTOGRAPHIE EUROPÉENNE 30

1. La PAC est arrivée au bout d’un processus de réformes 30

a) Des réformes continues pour une PAC à bout de souffle 30

b) Le bilan de santé de 2008 : la fin d’un cycle de réformes 30

2. Une nouvelle donne européenne pour la PAC 31

a) L’inscription de la PAC après 2013 dans le cadre des nouvelles perspectives financières et de la stratégie de croissance Europe 2020 31

b) Les enjeux d’une PAC à vingt-sept 32

c) La codécision : une nouvelle légitimité pour la PAC 33

II. FACE À DES DÉFIS NOUVEAUX, POSER DES OBJECTIFS CLAIRS 37

A. LES MULTIPLES DÉFIS DE LA PAC APRÈS 2013 37

1. La sécurité alimentaire 37

2. La volatilité des prix des matières premières agricoles 38

3. La mondialisation et l’impératif de compétitivité 43

4. Les défis environnementaux et climatiques 44

5. Le maintien de l’agriculture sur l’ensemble du territoire européen 45

B. UN LARGE CONSENSUS SUR LES TROIS OBJECTIFS PROPOSÉS PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE 45

DEUXIÈME PARTIE : DES INSTRUMENTS MODERNISÉS POUR UNE PAC EFFICIENTE, DURABLE ET SOLIDAIRE 49

I. EN SURPLOMB DE TOUTE RÉFORME : UN BUDGET MAINTENU ET UNE POLITIQUE COMMERCIALE FORTE 49

A. UN BUDGET AMBITIEUX 49

B. UNE POLITIQUE AGRICOLE FORTE ALLANT DE PAIR AVEC UNE POLITIQUE COMMERCIALE FONDÉE SUR LE PRINCIPE DE RÉCIPROCITÉ 52

1. Une politique commerciale équilibrée 53

a) La fin aléatoire du cycle de Doha 53

b) Des négociations bilatérales compatibles avec l’équilibre des marchés agricoles européens 55

c) L’affirmation du principe de réciprocité 57

2. Le soutien à la compétitivité de l’agriculture européenne 57

II. UNE REFONDATION DES AIDES POUR PLUS DE LÉGITIMITÉ ET D'EFFICACITÉ 59

A. LE MAINTIEN DE L’ARCHITECTURE GÉNÉRALE DE LA PAC ET L’ÉQUILIBRE ENTRE LES DEUX PILIERS 59

1. Une renationalisation inenvisageable de la PAC 59

2. Une articulation fonctionnelle entre deux piliers justifiée 60

B. UNE RÉORIENTATION DES AIDES DU PREMIER PILIER POUR PLUS D’EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE, SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE 61

1. Des aides pleinement fondées 62

2. Verdissement, équité et efficacité, gages de légitimité 66

a) Les propositions novatrices de la Commission européenne 66

b) Un verdissement intelligent 67

c) Une répartition des aides plus équitable 70

d) Des aides spécifiques efficaces 72

C. UN DEUXIÈME PILIER ORIENTÉ VERS LA VITALITÉ DES TERRITOIRES ET LA DIVERSITÉ DES AGRICULTURES 77

1. Un bilan contrasté de la politique de développement rural 77

2. La nécessité de bien cibler les priorités 78

a) Le soutien aux zones défavorisées : un axe important 78

b) L’enjeu essentiel de l’innovation pour la compétitivité de l’agriculture 79

c) Une meilleure prise en compte de la diversité des agricultures 80

III. FACE À L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS AGRICOLES, L’URGENCE D’UNE RÉGULATION RENFORCÉE 83

A. L’ARRÊT DU DÉMANTÈLEMENT DES INSTRUMENTS EXISTANTS… 83

B. …MAIS DES INCERTITUDES SUR LA PORTÉE DE L’INTERVENTION PUBLIQUE DANS LE CADRE DE LA FUTURE PAC 85

C. LA NÉCESSITÉ D’INVENTER UNE NOUVELLE RÉGULATION 88

1. Une régulation des marchés de matières premières agricoles au plan européen et au plan international 88

2. Quels instruments d’intervention au plan européen ? 90

D. DES MESURES COMPLÉMENTAIRES QUI NE SAURAIENT SE SUBSTITUER À UNE VÉRITABLE RÉGULATION 96

1. La volonté de développer des systèmes de couverture des risques 96

2. Le rééquilibrage des relations entre producteurs et acheteurs par une meilleure prise en compte des spécificités des marchés agricoles par le droit de la concurrence 97

CONCLUSION 101

TRAVAUX DE LA COMMISSION 103

1. Réunion, ouverte à la presse, sur l’avenir de la politique agricole commune, avec les membres français du Parlement européen, conjointe avec la Commission des affaires européennes, la Commission des affaires européennes du Sénat et la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat (réunion du 3 novembre 2010) 103

2. Audition, conjointe avec la Commission des affaires européennes, de M. Dacian Ciolos, commissaire européen en charge de l’agriculture et du développement rural, sur l’avenir de la PAC (réunion du 25 mai 2011) 123

3. Examen en commission (réunion du 13 juillet 2011) 139

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 157

ANNEXES 163

ANNEXE 1 : CONTRIBUTION DE MME ANNY POURSINOFF, DEPUTÉE EUROPE ÉCOLOGIE – LES VERTS, MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL 165

ANNEXE 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL 173

ANNEXE 3 : EXTRAIT DU RAPPORT N° 956 SUR LE BILAN DE SANTÉ DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE DÉPOSÉ PAR LA DÉLÉGATION DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE POUR L’UNION EUROPÉENNE (11 JUIN 2008) 179

ANNEXE 4 : APPEL DE PARIS POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE ET ALIMENTAIRE COMMUNE (11 DÉCEMBRE 2009) 191

ANNEXE 5 : POSITION FRANCO-ALLEMANDE POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE FORTE AU DELÀ DE 2013 (14 SEPTEMBRE 2009) 193

ANNE E 6 : POSITION COMMUNE DES DÉLÉGATIONS DES DEUX PARLEMENTS FRANÇAIS ET ALLEMAND SUR LA RÉFORME DE LA PAC (3 FÉVRIER 2011) 199

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La réforme de la politique agricole commune (PAC) après 2013 ne sera pas une réforme comme une autre.

Elle était programmée de longue date. 2013 marquera en effet la fin de la paix budgétaire : l’accord de Luxembourg de 2003 avait posé le principe d’un budget agricole stabilisé pendant dix ans(1). Cette réforme sera aussi la première conduite à vingt-sept. Si les mécanismes de la PAC prévus pour six avaient, lors des réformes successives, pu être adaptés à quinze, un simple ajustement ne suffit plus, d’autant que les compromis réalisés lors des derniers élargissements ne l’avaient été qu’à titre provisoire.

Cette réforme peut être la réforme de tous les dangers car elle affectera à la fois le budget, les objectifs de la PAC et son contenu. Lors du Conseil européen de décembre 2005 qui avait tracé les perspectives financières pour 2007-2013(2), les États membres s’étaient engagés à un réexamen complet et global de tous les aspects des dépenses de l’Union européenne, PAC comprise, ainsi que des recettes. La réforme de la PAC sera ainsi concomitante avec la revue des perspectives financières pour 2014-2020 et devra être conduite en cohérence avec la feuille de route de la stratégie de croissance de l’Union européenne dite stratégie 2020(3). Dans ce contexte, cette réforme peut être l’occasion pour la PAC de faire la preuve de sa valeur ajoutée et de sa légitimité.

Afin de ne pas enfermer le débat dans un cadre strictement budgétaire, la Présidence française de l’Union européenne avait lancé, dès 2008, à l’occasion de l’examen du bilan de santé de la PAC(4) qui clôturait un cycle de réformes, un débat sur la refonte de cette politique après 2013. Tel fut aussi le sens de la démarche du groupe de travail commun entre la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et la Délégation pour l’Union européenne dans son rapport « Pour une exception agricole »(5). En 2009, les décisions sur le bilan de santé n’avaient toutefois porté, comme le souhaitait la commissaire européenne chargée de l’agriculture, Mme Mariann Fischer Boel, que sur le « bilan de santé, rien que le bilan de santé, tout le bilan de santé ». Cette réflexion sur le fond s’est poursuivie depuis. Après l’appel de Paris pour une politique agricole et alimentaire commune du 11 décembre 2009 (voir annexe n° 3), signé par vingt-deux États membres(6), la France et l’Allemagne ont pris l’initiative, le 14 septembre 2010, d’une position commune pour une politique agricole forte au-delà de 2013 (voir annexe n° 4). Dans la continuité, des délégations des Parlements français et allemand ont adopté, le 3 février 2011, une position commune (voir annexe n° 5).

L’ensemble de ces débats ont montré qu’est toujours nette la ligne de partage entre les États favorables à une PAC forte, c'est-à-dire au maintien d’un important premier pilier d’aides directes, et les États partisans de la dérégulation d’une politique qu’ils jugent obsolète. A cette division historique et idéologique, se superpose celle entre anciens et nouveaux États membres qui ont fermement indiqué qu’ils ne se contenteraient pas d’une réforme cosmétique !

Ce clivage se retrouvera lors des arbitrages sur les perspectives financières. La bataille budgétaire sera décisive pour l’avenir de la PAC car c’est d’elle que dépendra l’arbre des choix des instruments qui pourront être mis en œuvre. Dans le contexte de crise économique et financière qui pèse sur les économies européennes, la PAC est en concurrence avec les autres politiques, telle la politique de cohésion et les nouvelles politiques inscrites dans le traité de Lisbonne – recherche, politique extérieure et de sécurité commune.

Le prisme à travers lequel on considère aujourd’hui la PAC est incontestablement plus favorable : le « retour de l’agriculture » est annoncé alors que durant la période s’étalant des années 80 au début de la décennie 2000, le poids de l’agriculture déclinait dans les échanges internationaux et que certains prônaient son intégration dans un processus de libéralisation généralisée des économies. La PAC et l’agriculture sont désormais perçues comme une politique et un enjeu économique à part entière.

Si l’on admet que l’unique question est « Comment nourrir les hommes, aujourd’hui et demain ? »(7), le caractère stratégique et géopolitique de l’agriculture s’impose au cœur du paysage européen et mondial. La tenue en juin 2011 du premier G20 agricole, à l’initiative de la France, en témoigne. Au moment où les terres agricoles suscitent toutes les convoitises comme en témoigne le récent accord « Soja contre investissement » signé entre la Chine et le Brésil(8), il serait insensé de mettre en péril les capacités productives de l’Europe.

La crise alimentaire de 2007 et 2008 était annonciatrice de tensions et d’inquiétudes plus fortes encore : on s’installe durablement dans un monde instable où l’équation entre offre et demande alimentaires sera difficile à résoudre. Les vulnérabilités alimentaires ont sans doute pesé dans les printemps arabes. L’indice de la FAO(9), mesurant depuis 1990 l’évolution d’un panier de denrées(10), a atteint à la fin 2010 un niveau maximum depuis sa création. Selon le dernier rapport de l’Académie des sciences, « pour nourrir la planète à l’horizon 2050, le monde n’est pas en ordre de marche »(11). Dans ce contexte, l’agriculture européenne doit d’abord viser à la sécurité alimentaire de l’Europe en vertu du principe selon lequel « on ne nourrira pas l’humanité si chaque zone du monde ne se nourrit pas soi-même »(12). Mais l’Europe peut et doit aussi participer aux équilibres alimentaires mondiaux. En effet, même si le changement climatique apportera des périodes de sécheresse - celles du printemps en France le confirment - et d’inondations, l’Europe est une zone tempérée, ce qui lui donne un avantage en terme de régularité de récoltes(13).

Aujourd’hui, apparaît totalement justifié le choix fait, lors de la création de la PAC, de ne pas suivre le modèle anglais d’une économie de comptoirs dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements, et qui aurait abouti à une dissolution de l’agriculture européenne dans un marché mondialisé et à la quasi-disparition du monde paysan.

Au regard de cet enjeu alimentaire, la PAC reprend, auprès des citoyens européens, une légitimité qui s’était estompée, au fur au fur et à mesure que la satisfaction des besoins quantitatifs n’était plus perçue comme un enjeu majeur et que l’occupation et l’entretien du milieu rural étaient considérés comme une évidence. Cette légitimité va se trouver confortée par le nouveau contexte institutionnel : le processus décisionnel qui fait du Parlement européen un colégislateur au même titre que le Conseil donnera à la PAC plus de consistance(14).

Au sein des institutions européennes, le principe d’une exception agricole(15) fait son chemin, comme en témoigne l’inflexion notable de la doxa de la Commission européenne en matière de droit de la concurrence, pour l’heure limitée au secteur laitier ainsi que la mise en place d’un groupe à haut niveau sur le secteur bovin.

La communication du 18 novembre 2010 : « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l’avenir », même si le changement n’est pas copernicien, porte la marque de cette inflexion des perspectives. La démarche du commissaire Dacian Ciolos, estimant que la PAC ne doit pas être sur la défensive mais doit montrer qu’elle est une solution, et non un problème, est constructive. On peut reprocher à cette communication de vouloir satisfaire des intérêts divers et parfois contradictoires. Mais les tâtonnements fertiles valent mieux que les réponses toutes faites et les certitudes dogmatiques sur le bien-fondé des lois du marché qui étaient celles de la précédente commissaire chargée de l’agriculture !

L’analyse que fait la Commission européenne dans sa communication des objectifs stratégiques de la PAC est largement consensuelle. Il s’agit de :

- maintenir durablement la capacité de production agricole afin de garantir la sécurité alimentaire des citoyens et contribuer à la demande alimentaire mondiale ;

- contribuer à la fourniture de biens publics : qualité, diversité alimentaire, aspects sanitaires, gestion des ressources naturelles, adaptation au changement climatique ;

- assurer la vitalité des zones rurales et l’équilibre territorial en termes de compétitivité et de créations d’emplois.

S’agissant des instruments nécessaires à leur mise en œuvre, la Commission trace les voies possibles d’évolution de la PAC et défend un principe novateur, celui du verdissement consistant à introduire une contrepartie environnementale pour l’attribution des aides. Ce verdissement, s’il est une nécessité, a aussi été la réponse apportée par le commissaire Ciolos à la demande des commissaires chargés de l’environnement et du changement climatique de renforcer la politique environnementale, ce qui aurait signifié une diminution du budget de la PAC.

Le présent groupe de travail, commun à la Commission des affaires économiques et à la Commission des affaires européennes, a été constitué sur le même format que celui mis en place, en 2008, pour l’examen du bilan de santé. L’expérience a en effet montré tous les fruits pouvant être tirés d’une réflexion commune. En attendant la publication des propositions législatives de la Commission européenne à l’automne 2011, il a, à la lumière des auditions des organisations professionnelles, des personnalités et chercheurs et des représentants de nos partenaires européens, fixé des orientations prioritaires pour la défense d’une politique agricole commune forte.

Une politique agricole commune forte signifie :

- un budget fort, c'est-à-dire maintenu à son niveau actuel, à l’euro près ;

- une régulation musclée avec des instruments plus réactifs et plus efficaces. Cet impératif prend aujourd’hui un relief particulier avec les crises sanitaires et climatiques que connaît l’agriculture européenne, où il apparaît clairement que l’Europe n’a pas les moyens juridiques d’intervenir efficacement et en temps voulu. Le « laisser faire » les lois du marché en matière agricole serait une folie économique, une erreur politique et une faute morale. Les propositions législatives qu’a faites la Commission européenne pour le secteur du lait va dans le bon sens et devrait être étendu à l’ensemble des filières en matière de droit de la concurrence. Des mesures s’imposent par ailleurs au niveau mondial car l’hypervolatilité des prix agricoles – préoccupation majeure du G20 – met en péril l’ensemble des populations, au premier rang desquelles les plus vulnérables ;

- le maintien de l’équilibre entre les deux piliers sur lesquels repose la PAC, avec un premier pilier solide et financé communautairement, comprenant les aides directes à la production et les mesures de marché ;

- un verdissement, gage de légitimité de la PAC car il ne peut y avoir d’agriculture que durable, à condition que ce soit un verdissement intelligent, c'est-à-dire qu’il corresponde à des enjeux réels et ne fasse pas peser sur les intéressés des contraintes trop lourdes ou abusives et que l’impératif économique des aides soit clairement établi ;

une répartition équitable des aides à l’intérieur des États membres et entre eux ;

- un axe essentiel en faveur des régions défavorisées en posant comme acte de foi que l’agriculture doit être maintenue sur l’ensemble du territoire européen ;

- enfin, dans une vision d’ensemble, on ne peut pas à la fois vouloir une politique agricole forte et se lier les mains en matière commerciale. Premier importateur mondial, l’Europe n’a pas à prouver qu’elle n’est pas repliée sur elle-même. Dans le cadre des négociations multilatérales du cycle de Doha, elle a déjà fait beaucoup d’efforts face à des pays qui ne sont pas en reste sur les soutiens qu’ils apportent à leurs agricultures. Faire des concessions supplémentaires par rapport à ce qui a été posé dans le «  paquet agricole » de juillet 2008 signifierait que l’Europe devrait sacrifier les instruments qui existent dans sa boîte à outils en matière de régulation. Par ailleurs, s’agissant des négociations bilatérales, si l’on décide que l’Europe doit assurer sa sécurité alimentaire, alors il faut assumer ce choix et ne pas sacrifier des filières entières. La reprise des négociations avec les pays du Mercosur fait craindre le pire pour l’élevage européen. Aussi est-il de la responsabilité des parlements nationaux de se mettre en travers d’un tel accord.

Ceci étant posé, l’Europe a une agriculture dont les normes de qualité et la valeur ajoutée sont importantes et dont les citoyens sont satisfaits. Il faut donc la préserver. Or notre agriculture ne peut pas être compétitive face à des pays qui ne produisent pas dans les mêmes conditions. En conséquence, le principe de réciprocité des normes sanitaires, environnementales, sociales et de bien-être animal doit gouverner des relations commerciales loyales et équilibrées. Défendre une PAC forte ne serait qu’une politique de gribouille si l’agriculture européenne constitue une monnaie d’échange de la politique commerciale européenne.

Tel est le sens de la proposition de résolution que le groupe de travail vous demande de bien vouloir adopter.

PREMIÈRE PARTIE :
LA PAC, UNE POLITIQUE STRATÉGIQUE FACE À DES ENJEUX ESSENTIELS

La politique agricole commune (PAC) est la première politique européenne : première, historiquement car inscrite en tant que telle dans le traité de Rome, première budgétairement, première économiquement. Seule grande politique intégrée qui mutualise les politiques nationales, elle constitue la pierre angulaire à partir de laquelle s’est construite l’identité européenne. Pour des raisons stratégiques, économiques, environnementales, sociales, elle ne peut devenir une politique de deuxième zone.

Alors que l’un des enjeux du traité de Lisbonne est de rapprocher les institutions communautaires des aspirations des citoyens, il importe de prendre en compte les résultats de la dernière étude commandée par la direction générale de l’agriculture et du développement rural(16). Une très large majorité de citoyens (plus de 80 %) soutiennent la PAC et leurs agriculteurs et estiment que le budget actuel destiné à l’agriculture est adéquat ou insuffisant (près de 70 %).

Cette étude corrobore la synthèse de la consultation publique(17) organisée par le commissaire Ciolos, dès sa nomination, d’avril à juin 2010. Il en ressort que la majorité des parties prenantes estiment qu’une politique agricole commune au niveau de l’Union européenne est préférable à un ensemble de politiques nationales ou régionales ou à l’absence totale de politique agricole. Il est fréquemment admis que les diverses réformes de la PAC ont orienté la PAC dans la bonne direction et que la PAC est la clé de l’instauration de règles de concurrence équitables à l’intérieur de l’Union.

Ces avis doivent peser sur l’orientation à donner à la réforme de la PAC après 2013.

Élaborer une politique consiste à effectuer des choix de stratégie et de moyens en fonction d’objectifs préalablement fixés. Quand la PAC a été mise en place, le choix devait être fait entre deux modèles. Soit le modèle anglais d’une économie de comptoirs ouverte sur l’extérieur pour son ravitaillement qui aurait abouti à une dissolution de l’agriculture européenne dans un grand marché mondial ; soit le modèle défendu par la France qui a prévalu selon les objectifs définis en 1957, alors que l’Europe était largement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements. Resté inchangé au cours des différentes modifications des traités, l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne(18) définit ainsi les objectifs de la PAC :

- accroître la productivité de l’agriculture ;

- assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;

stabiliser les marchés agricoles ;

- garantir la sécurité des approvisionnements ;

- assurer des prix raisonnables pour les consommateurs.

Par ailleurs, la Conférence de Stresa en 1958 – acte de naissance de la PAC – a formalisé trois principes : unicité du marché, préférence communautaire et solidarité financière.

Si ces objectifs n’ont jamais été révisés, c’est sans doute parce qu’une telle révision aurait révélé des désaccords profonds sur les fondements même de la PAC. Ainsi, en 2008, la Présidence française de l’Union européenne avait proposé que soit signée une déclaration du Conseil dans laquelle serait mentionnée la notion de préférence communautaire. Mais la référence à un des principes posés par la Conférence de Stresa n’a pas été retenue.

C’est aussi et surtout, parce que ces objectifs conservent toute leur pertinence, d’autant qu’ils ont été complétés par l’objectif de développement des territoires ruraux, intégré à la PAC lors de la réforme de 1999 (agenda 2000), qui a consacré le développement rural dans le cadre du deuxième pilier. Par ailleurs, les préoccupations environnementales ont été introduites dès la réforme Mac Sharry en 1992, avec les premières mesures agro-environnementales. Un objectif transversal de l’intégration de l’environnement a depuis été inscrit dans le droit européen (article 11 du traité sur le fonctionnement de l’Union et article 37 de la Charte des droits fondamentaux).

L’objectif premier était de garantir l’approvisionnement alimentaire des consommateurs européens. En 1962, l’Europe ne produisait que 80 % de sa consommation. Même si des déficits structurels existent (fruits et légumes, protéines végétales), cet objectif a été atteint dans les années 80, au prix de progrès de compétitivité, dans la mesure où l’Union européenne dispose d’une surface agricole inférieure à ses grands concurrents (trois fois moins qu’aux États-Unis)(19).

Cet objectif quantitatif s’est doublé, notamment pour répondre aux inquiétudes suscitées par la crise de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine), de préoccupations de sécurité alimentaire.

Économiquement, l’Union européenne a tiré profit de la reprise du commerce agricole mondial en 2010 pour reprendre sa place de premier exportateur net, dégageant un surplus commercial de six milliards d’euros pour l’Union européenne. La PAC a permis le développement d’un secteur agro-alimentaire important et, au total, la filière agricole (27 millions d’actifs permanents) et agroalimentaire occupe 14 % de la population active européenne.

En fournissant des services économiques indirects et en assurant le maintien d’un niveau d’activité et d’emploi sur l’ensemble du territoire européen, y compris dans des régions de moindre développement économique et dans les zones défavorisées, la PAC a apporté une contribution essentielle à l’aménagement du territoire. Sur les 13,7 millions d’exploitations, 70 % ont moins de cinq hectares.

La PAC a aussi participé à une augmentation relativement équitable du niveau de vie des agriculteurs, même si l’agriculture n’est pas un secteur privilégié et si les disparités de revenu avec les autres secteurs d’activité sont flagrantes. Cette disparité existe aussi entre les États membres, accentuée avec les derniers élargissements, comme en témoignent les écarts de niveaux d’aide (Voir tableau ci –après). Après avoir augmenté de prés de 15 % entre 2000 et 2008 dans la plupart des États membres, les indicateurs de revenus des agriculteurs ont chuté de prés de 12 % en 2009 par rapport aux niveaux de 2008.

Une âpre concurrence entre pays européens

Au sein de l’Union européenne, et comme en témoignent les nombreux débats du moment entre la France et l’Allemagne sur la question de la compétitivité relative des filières agricoles, les États membres sont en concurrence les uns vis-à-vis des autres. Si la PAC cherche, au travers du principe de l’unicité des marchés, à harmoniser les règles (administratives, sanitaires, environnementales, etc.) entre les États membres, elle offre aussi à chacun d’eux d’importantes latitudes quant à leurs applications (selon le principe dit de la subsidiarité). De même, la PAC ne se substitue pas à certaines règles nationales (fiscalité, niveaux des salaires, etc.) qui peuvent induire des distorsions de concurrence. Ainsi les règles nationales relatives à la mise en œuvre du régime des quotas laitiers sont, depuis de nombreuses années déjà, très différentes d’un pays à l’autre.

Source : INRA Magazine n° 14, octobre 2010.

Les lacs de vin et les montagnes de beurre ne sont plus que de souvenirs : des réformes majeures ont contribué à rétablir l’équilibre des marchés (voir les graphiques ci-dessous).

Pour les principales productions - céréales, lait et bovins - la PAC « historique », reposait sur une forte protection aux frontières et sur des prix garantis, ce qui, allié à un progrès technique rapide, donna des incitations à produire en excédent. Ce fut le cas pour les céréales et pour le lait. Ainsi, dans les années 70, la consommation de céréales européennes a chuté du fait des prix élevés et de la disponibilité de produits de substitution moins chers pour l’alimentation animale (maïs des États-Unis). La situation était paradoxale car des prix d’intervention incitaient à la production de biens qui ne trouvaient pas preneurs car ils étaient trop chers. Cette inadéquation entre l’offre et la demande était aussi à l’origine de la surproduction dans le secteur laitier.

Le rééquilibrage s’est opéré, pour les produits laitiers, par la mise en place des quotas en 1984. Pour les grandes productions (céréales), a été adoptée une logique de restriction quantitative des productions garanties, par la création des « stabilisateurs budgétaires », tout dépassement entraînant ipso facto une diminution des prix garantis.

Une conséquence indirecte de la réduction des stocks sur le Programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD)

Le Programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) était initialement fourni par des denrées alimentaires stockées dans les entrepôts européens afin de réguler les marchés qui étaient distribuées aux associations caritatives. Ces stocks, au fil des réformes de la PAC, ont été progressivement supprimés.

En 2008, la Commission européenne a remplacé l’apport de denrées en nature par une enveloppe financière – 500 millions d’euros en 2009 – permettant d’acheter des produits agricoles sur le marché. Contestant cette mesure, l’Allemagne et la Suède ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a fait droit aux arguments de ces deux pays (Affaire T-576/08 du 13 avril 2011) estimant qu’un tel mécanisme n’est pas conforme aux principes de l’Organisation mondiale du commerce selon lesquels une enveloppe financière en lieu et place de stocks d’intervention ne peut être admise que si les produits ne sont temporairement plus disponibles dans les entrepôts. Or ce financement n’est plus exceptionnel dans la mesure où il est inscrit chaque année dans le budget de la PAC. Selon la Cour, un tel dispositif constitue une mesure sociale qui a perdu tout lien avec la PAC. Ce raisonnement fait peu de cas de la dimension sociale et humaine que doit revêtir cette politique. Alors qu’un budget de 500 millions d’euros avait été prévu, la Commission a été amenée à réviser à la baisse l’enveloppe financière : le montant prévu pour le programme d’aides 2012 est de 113,5 millions d’euros. Le Président de la République française s’est élevé contre ce projet. Le groupe de travail estime qu’il est nécessaire de maintenir un niveau suffisant de crédits pour garantir ce programme.

Les reproches liés à la dépense agricole ont depuis toujours été une pomme de discorde entre États membres.

Dès 1964, date de mise en place effective du FEOGA (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole), un conflit opposa la France et l’Allemagne sur la fixation du prix des céréales : chaque pays défendant ses intérêts, la France forte d’un avantage comparatif, voulait fixer un prix inférieur à celui souhaité par l’Allemagne. Ensuite, en 1965, une crise majeure porta sur les procédures de décision – majorité ou unanimité – au sein du Conseil européen. Après que la France eut déserté les instances communautaires de juin 1965 à janvier 1966, le compromis de Luxembourg (19 janvier 1966) introduisit la notion d’« intérêts nationaux très importants » justifiant un accord unanime, ce qui donnait satisfaction à la France. Par ailleurs, il fut décidé que le budget de la PAC serait alimenté par les prélèvements douaniers et par des contributions des États membres, selon une clé de répartition. C’est à propos de cette répartition que la PAC connaîtra une autre crise, liée à la contribution britannique. Peu après son entrée dans l’Europe, la Grande-Bretagne a demandé, en 1974, une réforme en profondeur de la PAC : ses préoccupations, d’ordre budgétaire, remettaient en question un des piliers de la PAC, la solidarité financière. En 1984, Mme Margaret Thatcher, Premier ministre, négociera le « chèque britannique », réduction de la participation au budget communautaire à un moment où la PAC représentait 70 % du budget européen(20).

Grâce aux différentes réformes visant notamment à la maîtrise de la production, les dépenses agricoles qui avaient atteint 80 % du budget communautaire, en représentent actuellement un peu plus de 40 %. Cette part est en diminution constante, malgré les élargissements successifs qui ont été financés notamment par une baisse des restitutions à l’exportation.

Par ailleurs, si les 58 milliards d’euros consacrés à la PAC représentent 40 % du budget communautaire, il faut souligner que c’est la seule politique financée en majeure partie par l’Union européenne, les autres l’étant individuellement par les États. L’agriculture ne représente que 0,5 % de la dépense publique européenne totale, contre respectivement 5 % et 2 % pour l’éducation et la recherche. En moyenne, chaque citoyen contribue au financement de la PAC à raison de deux euros par semaine. Par ailleurs, ces crédits sont gelés jusqu’en 2013 et sont soumis à un contrôle strict : un mécanisme de discipline financière évite que les plafonds ne soient dépassés.

Enfin, le calcul en terme de taux de retour financier dans une approche stricte de coûts-bénéfices est faussé dans la mesure où cette démarche ne prend pas en considération les avantages autres que pécuniaires de cette politique commune, en terme de marché intérieur, d’intégration économique et monétaire, de composante politique et de sécurité, ce qui justifie le principe même de solidarité.

Les aspects pervers de l’agriculture liés aux progrès de la productivité
– et la surproduction évoquée supra – ont participé à la dégradation de l’image de la PAC.

Toutefois, les préoccupations liées à l’environnement ont été prises en compte précocement et de façon croissante. Dans les années 70, ont été mises en place les aides aux zones défavorisées. La réforme de 1992 a introduit le découplage(21) moins incitatif à la surproduction et a généralisé les mesures agro-environnementales (MAE) dans le cadre du deuxième pilier qui a reconnu le rôle multifonctionnel de l’agriculture. La conditionnalité mise en œuvre par la réforme de 2003 soumet le versement de certaines aides au respect d’exigences de base en matière d’environnement, de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) et de santé (santé publique, santé des animaux et des végétaux) et de protection animale(22). Enfin, en application du bilan de santé en 2008, les aides ciblées du premier pilier peuvent intégrer des préoccupations environnementales, au titre de l’article 68 du règlement 73/2009 du 19 janvier 2009(23).

Ces mesures, notamment les MAE et la BCAE, ont fait l’objet de nombreuses critiques portant notamment sur leur inefficacité économique, sur la mauvaise prise en compte de la demande de différents types de biens environnementaux, sur l’insuffisance des incitations et la complexité de l’application des dix-huit règlements et directives, sur la façon dont les systèmes les plus polluants (élevage hors sol, maraîchage) échappent à la conditionnalité et ne sont donc pas primés, ce qui posera la question de les inclure dans les mesures de conditionnalité pour faire évoluer certaines pratiques. Ces appréciations devront être prises en considération dans le cadre de la PAC après 2013.

L’Union européenne a fait l’objet de nombreuses attaques, accusée de favoriser les distorsions des échanges au détriment des pays en développement. Les produits européens bénéficieraient de deux avantages qui pèsent sur la fixation de leurs prix : les aides aux producteurs que les pays en développement sont hors d’état d’apporter à leurs agriculteurs et les restitutions à l’exportation(24). Il a été reproché à l’Europe de ne pas prendre sa part dans l’ajustement entre l’offre et la demande, cet ajustement se faisant au détriment de pays qui ne pouvaient pas se protéger. Les restitutions à l’exportation sont les plus critiquées car elles abaissent directement les cours mondiaux, concurrençant ainsi les productions locales.

Ces reproches sont de moins en moins justifiés. Si la PAC n’est pas encore complètement neutre sur les marchés mondiaux – ce qui est le cas de toutes les politiques agricoles mises en œuvre par les pays développés(25) –, grâce aux réformes pratiquées depuis une vingtaine d’années, la situation s’est considérablement améliorée. Aujourd’hui, la plupart des aides directes versées aux producteurs européens sont découplées de la production : 92 % le seront en 2013. Les mesures d’intervention sur tous les produits ont été limitées. Les prix de l’Union européenne sont donc de plus en plus influencés par les prix mondiaux.

S’agissant des restitutions à l’exportation, l’Europe s’est engagée, dans le cadre du « paquet agricole » de juillet 2008 qui devrait servir de base à la conclusion du cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce, à les éliminer définitivement en 2013. Anticipant cet engagement, un mouvement de baisse des restitutions a été enclenché dès 1994 : celles-ci ne représentent plus aujourd’hui que 2 % des moyens totaux de la PAC. Aucune subvention à l’exportation de céréales n’a été versée depuis 2006. La réintroduction des restitutions à l’exportation pour les produits laitiers en janvier 2009 n’a été qu’une mesure temporaire en réponse à une chute de 60 % des prix du marché mondial. Les plafonds des restitutions en termes de volume et de prix avaient d’ailleurs été fixés à des niveaux tels que l’écart entre les prix européens et les prix mondiaux n’était pas comblé, ce qui a limité l’impact sur le prix mondial.

L’exemple de certains secteurs, comme celui de la volaille, montre que ce n’est pas l’Union européenne qui inonde les marchés africains de produits à bas prix. La part des importations en provenance de l’Union européenne dans la consommation intérieure des pays de l’Afrique de l’Ouest ne représente que 11 %, le reste provenant soit d’Amérique du Sud, soit d’Asie.

Parallèlement, l’Europe accorde des préférences tarifaires aux pays en développement. Sur les 153 membres de l’OMC, environ 140 bénéficient d’accords leur permettant d’exporter plus facilement et 49 bénéficient du régime « Tout sauf les armes »(26).

Le scénario d’une disparition de la PAC ne signifierait pas la disparition de toute politique agricole mais plutôt de toute politique agricole commune. Il s’agirait de la remplacer par une politique principalement concentrée sur des objectifs environnementaux et le changement climatique et dont les instruments seraient financés par une politique de développement rural, correspondant, peu ou prou, au deuxième pilier, et donc cofinancé. Elle aboutirait en conséquence à la suppression progressive des paiements directs, remplacés par des paiements pour la fourniture de biens publics environnementaux et, éventuellement, des paiements supplémentaires pour handicap naturel. Les mesures de marché seraient supprimées, sauf crises graves exceptionnelles.

La mesure de l’impact d’une telle option dépend effectivement des modèles utilisés. Cependant, deux études tirent des conclusions convergentes.

Ainsi, selon une étude des services de la Commission européenne, « la suppression du soutien public aurait pour effet de concentrer davantage la production agricole dans certaines zones bénéficiant de conditions particulièrement favorables et pratiquant une agriculture plus intensive, tandis que les zones les moins compétitives seraient confrontées à des problèmes de marginalisation et d’abandon des sols. Une telle évolution se traduirait par une pression accrue sur l’environnement et la détérioration d’habitats précieux, avec des conséquences économiques et sociales graves comme la diminution irréversible de la capacité de production de l’agriculture européenne »(27).

Ces constatations corroborent celles faites par l’INRA(28), à savoir que la suppression de la PAC aurait un coût non seulement pour les acteurs de la branche agricole mais aussi globalement pour la société européenne.

Et si la PAC était supprimée ?

La question fait débat et illustre l’importance de la solidité des modèles utilisés par les chercheurs pour analyser les politiques publiques. Selon une étude britannique publiée en 2005 (*), la réponse serait sans appel : malgré une diminution de la richesse produite en Europe, la baisse des prix alimentaires entraînerait un tel gain pour les consommateurs que la société européenne dans son ensemble serait gagnante. Une étude française réalisée en 2008 par Alexandre Gohin tire une conclusion différente. En utilisant une représentation fine des secteurs agricoles et agro-alimentaires, il montre que ceux de la viande bovine, du maïs et du bioéthanol seraient les plus affectés au travers notamment d’importations accentuées. Contrairement aux chercheurs britanniques, l’économiste prend en compte l’existence d’un chômage potentiellement engendré chez les agriculteurs ainsi qu’une transmission imparfaite des baisses de prix le long des chaînes de production, transformation, distribution et consommation. L’introduction de ces deux phénomènes aboutit à inverser les résultats de l’étude anglaise, à savoir que la suppression de la PAC aurait un coût, non seulement pour les acteurs de la branche agricole, mais également pour la société européenne.


LES EFFETS D’UNE SUPPRESSION DE LA PAC SUR LES PRIX ET LES PRODUCTIONS EUROPÉENNES EN 2015 (IMPACTS EN %)


P
AR GRANDE CULTURE PAR FILIÈRE ANIMALE



S’agissant des grandes cultures, la filière maïs serait principalement affectée. Dès lors, il convient de s’interroger sur les raisons d’insuffisante compétitivité de la filière. Est-elle liée aux dotations différentes de facteurs de production ou de technologies par rapport à celles employées par les pays concurrents ? De même l’analyse de la suppression de la PAC sur les marchés animaux montre que la filière bovine, plus précisément l’élevage allaitant, serait particulièrement affectée. L’évaluation de cette suppression pour être complète doit être analysée au regard du rôle de cette filière pour le développement de certains territoires.

LES EFFETS DUNE SUPPRESSION DE LA PAC EN 2015 SUR LEMPLOI AGRICOLE

(UTA), LEMPLOI DANS LES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES (IAA) ET LES MARGES AGRICOLES (IMPACTS EN %)


Source : A. Gohin, INRA.

D’un point de vue global, la suppression de la PAC entraînerait une diminution substantielle de l’emploi agricole à hauteur de 11 %, et une diminution encore plus significative des revenus agricoles, à plus de 30 %.

Dans le cas qualifié de monde de premier rang (ou first best) qui néglige les nombreuses défaillances de marché, l’hypothèse implicite est que les agriculteurs quittant le secteur ont des opportunités de retrouver des emplois ailleurs et que les transmissions de prix sont parfaites tout au long de la chaîne alimentaire. Dans ce cadre, le bien-être marchand – une mesure proche du PIB – augmente d’un peu plus de 3 milliards d’euros soit à peine 0,05 % du PIB, ce qui est très faible. Ce gain est donc bien inférieur aux estimations réalisées avant les réformes. Cela signifie que la suppression de la PAC entraînerait une meilleure allocation des ressources existantes.

IMPLICATIONS MACRO-ÉCONOMIQUES DUNE SUPPRESSION DE LA PAC SUR LE BIEN-ÊTRE

(EN MILLIARDS DEUROS)


Source : A. Gohin, INRA.

Les deux autres barres indiquent que cette estimation de gains macro-économiques est néanmoins très fragile. En effet, si l’on tient compte de la possibilité que les secteurs de l’aval (la transformation et la distribution alimentaire) ne répercutent pas complètement au niveau du consommateur, la baisse de prix subie par les agriculteurs en l’absence de politique agricole, alors nous obtenons une diminution significative de ce bien être ou PIB. Cette hypothèse de transmission de la baisse de prix imparfaite illustrée par la deuxième barre est loin d’être irréaliste. Comme l’illustre l’analyse de la récente « crise laitière » par la Commission européenne, alors que les prix des produits laitiers ont augmenté en même temps que les prix du lait, les prix des produits laitiers au consommateur n’ont pas diminué tandis que le prix du lait a lui bien baissé. De la même manière, si l’on suppose que les opportunités en termes d’emploi sont limitées du fait de l’existence d’un chômage involontaire, alors là encore les effets macroéconomiques peuvent être renversés.

(*) HM Treasury and Defra (2005). A vision for the Common Agricultural Policy

Source : INRA Magazine n° 14, octobre 2010.

Cette analyse ne justifie certes pas un statu quo en matière de politique agricole mais invite plutôt à replacer l’agriculture européenne dans un contexte global complexe. L’arrivée de nouveaux acteurs et l’émergence de nouveaux défis rebattent les cartes, rendant possible et nécessaire la mise en place d’une réforme sortant des sentiers battus.

Le bilan de santé de la PAC n’a pas été une nouvelle réforme mais a été un simple prolongement de la réforme de 2003. Les mesures ont porté essentiellement sur les volets suivants :

- la suppression de la jachère obligatoire en grandes cultures ;

- la suppression des quotas laitiers par une augmentation annuelle des volumes (procédure d’atterrissage en douceur) ;

- le renforcement de la modulation obligatoire (transfert des aides directes du premier pilier sur le deuxième pilier relatif au développement rural) qui passe de 5 à 10 %. La modulation s’inscrit dans une logique budgétaire : face à des perspectives financières qui fixent le montant des aides directes et des mesures de marché et limitent les montants affectés au développement rural, la modulation permet d’augmenter les dotations du deuxième pilier, sans devoir passer par une révision des perspectives financières ;

- la poursuite du découplage des aides directes ;

- une plus grande uniformisation des montants des aides directes découplées qui sont calculées, sur une base plus équitable – aide unique à l’hectare – que les références historiques et la régionalisation ;

- au titre de l’article 68 du règlement 73/2009 du 19 janvier 2009, le développement d’aides ciblées soit sur un type de production, soit sur une zone, introduisant ainsi la notion d’aides territorialisées.

Pour l’application du bilan de santé, la France a utilisé la boîte à outils que constitue l’article 68, ciblant quatre objectifs : instaurer un nouveau mode de soutien pour l’élevage à l’herbe, consolider l’économie et l’emploi sur l’ensemble du territoire sous la forme de soutien à des productions fragiles, instaurer des outils de couverture des risques sanitaires et climatiques, accompagner un mode de développement durable de l’agriculture via un soutien augmenté à des systèmes de production plus respectueux de l’environnement(29). Compte tenu des contraintes spécifiques liées aux conditions d’exploitation et de l’intérêt de maintenir ces filières pour des raisons d’aménagement du territoire, de préservation de la biodiversité et aussi pour des raisons de souveraineté alimentaire, le secteur de l’élevage était particulièrement visé par ces mesures. Le rééquilibrage au profit des filières animales a d’ores et déjà produit des effets significatifs(30).

S’il visait les nouveaux défis – défi alimentaire, changement climatique –, le bilan de santé laissait ouvert le champ de la réflexion sur la structure de la PAC, sur la justification des aides du premier pilier, sur la répartition des aides directes à l’intérieur des États membres et entre les États membres, leur justification et la régulation des marchés, toutes problématiques qui feront l’objet de la réforme de la PAC après 2013.

En 2003, l’accord de Luxembourg avait posé le principe d’un budget agricole stabilisé jusqu’en 2013, gage donné à la France en contrepartie de son acceptation anticipée de la réforme de 2003 sur le découplage des aides. Cette paix budgétaire a permis de financer l’adhésion des nouveaux États membres, sans réduire les ressources disponibles pour les autres États(31). Par ailleurs, les discussions sur le cadre financier(32) pour la période financière 2007-2013 avaient fait l’objet de difficiles négociations : l’équité des contributions nationales et des dépenses communautaires entre États membres, le volume total du budget et son utilisation ont été au cœur des discussions. Lors du Conseil européen de décembre 2005, notamment en compensation du compromis sur la réduction du « chèque britannique », les États membres s’étaient engagés à un réexamen complet et global, couvrant tous les aspects des dépenses de l’Union européenne, PAC comprise ainsi que les recettes.

Ce réexamen doit se faire à la lumière de la stratégie globale définie dans la stratégie de Lisbonne à laquelle a succédé la stratégie 2020(33). Celle –ci présente trois priorités :

- une croissance intelligente, par le développement d’une économie fondée sur la connaissance et l’innovation ;

- une croissance durable, à travers la promotion d’une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ;

- une croissance inclusive, en encourageant une économie à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.

Initialement, la PAC ne faisait pas partie de la feuille de route de cette stratégie 2020 ; elle y a été intégrée à la demande expresse de la France. Les objectifs qui y sont définis figurent pour l’heure essentiellement dans le deuxième pilier de la PAC : l’enjeu est, pour le premier pilier, de faire aussi la preuve de sa valeur ajoutée au regard de cette stratégie.

La réforme pour la PAC après 2013 sera la première grande réforme décidée à vingt-sept. Lors de la réforme sur le bilan de santé de la PAC, les dix États entrés en 2004 ont fait leur apprentissage des négociations européennes mais il ne s’agissait pas d’une réforme en profondeur. On avait noté chez ces États un certain conservatisme, avec la volonté de maintenir le système de paiement unique simplifié mis en place de manière transitoire ainsi qu’une volonté de rééquilibrage budgétaire (90 millions d’euros supplémentaires leur avaient été attribués).

Les deux dernières phases d’élargissement, en 2004 et en 2007, ont constitué un tournant de la construction européenne et dans la définition des grandes politiques communes, la PAC et la politique de cohésion. En face des anciens États dans lesquels la part de l’agriculture est relativement faible, le poids de l’agriculture dans ces nouveaux États membres, à la fois en termes d’emploi et d’agendas politiques, est très fort (ainsi en Pologne, la population active agricole représente presque 15 % de la population active totale). Ces pays présentent un fort potentiel de production et de consommation, avec l’augmentation de la population agricole de 7,4 millions d’actifs et de 40 % de la surface agricole. Par ailleurs, ces pays ont apporté dans l’Union européenne une autre vision de l’agriculture. Il a ainsi fallu que l’Europe absorbe le choc de l’entrée d’agricultures à plus faible productivité(34) et caractérisées par un dualisme structurel (coexistence de très petites exploitations et de grandes entités héritées de l’organisation politique et économique précédente).

En 2004 et 2007, l’intégration des nouveaux États membres s’est faite en rupture avec un des principes de base de la PAC, la solidarité. L’accord politique de 2004 a décidé que les mesures de marché seraient appliquées immédiatement. Mais pour les paiements directs, une phase de transition (Phase-in) a été aménagée pour la mise en œuvre d’un régime simplifié de paiement unique à la surface, d’un montant de 25 % du niveau théorique la première année pour atteindre une convergence en 2013(35).

Le changement de cette répartition initiale à un niveau politique acceptable pour l’ensemble des États membres sera un des points durs de la négociation à venir.

Les précédentes réformes de la PAC ont été le résultat d’un face-à-face entre la Commission européenne et le Conseil. Le Parlement européen était uniquement consulté, la codécision inscrite dans le traité de Maastricht en 1992 ne portant pas sur la PAC. En appliquant à la politique agricole la procédure législative ordinaire, le traité de Lisbonne fait du Parlement européen un
co-législateur de même rang que le Conseil(
36).

Quelles seront les conséquences de ces pouvoirs accrus du Parlement européen ? Tous les effets de la codécision sont encore difficiles à estimer.

Certains ont évoqué le risque du « syndrome américain où le Congrès détient tout le pouvoir ou presque en matière agricole, souvent pour le pire comme en témoigne la Farm bill de 2008, passé avec une majorité telle que le veto de l’administration n’a pas pu être contourné. Cet empilement de mesures clientélistes à destination de tous les lobbies montre que la représentation parlementaire n’est pas non plus à l’abri d’une capture par les intérêts particuliers »(37).

La codécision – qui allongera très sensiblement les délais d’adoption des textes communautaires – apportera, sans nul doute, un souffle de démocratie dans des décisions qui, jusque-là étaient prises par le Conseil et la Commission, qui étaient souvent la somme d’égoïsmes nationaux et où les débats semblaient confisqués par les experts. En ce sens, la PAC va se trouver légitimée et aura ainsi plus de consistance comme l’a indiqué le commissaire Ciolos : « Après un an d’expérience et de travail en commun, je suis plutôt confiant. Sans doute, la codécision allongera-t-elle le processus de décision mais elle donnera plus de consistance à la réforme. Alors que l’approche du Conseil est tributaire des intérêts des États membres, qui essaient chacun de « gratter » quelque chose en fonction de l’intérêt national- ce qui est légitime-, celle du Parlement européen dépendra davantage du positionnement politique des groupes. On peut donc espérer que l’intérêt territorial national se combinera avec l’intérêt social des représentants des différentes catégories de l’électorat au sujet du rôle de la PAC. Cette politique, jusqu’à présent très mal comprise par le citoyen de base, devrait gagner en légitimité. Malgré le prix à payer, à savoir le délai de dix-huit mois entre la proposition législative et la fin de la procédure, je suis optimiste »(38).

Quels rôles respectifs joueront les différents acteurs institutionnels ?

La Commission européenne qui était historiquement force de proposition pourrait être amenée à jouer un rôle plus technique dans la mesure où le Parlement serait soucieux de réduire son influence politique.

Celui-ci a montré qu’il entendait investir ses nouvelles attributions. En amont de la communication de la Commission, il a publié en juin 2010, un rapport d’initiative(39) de George Lyon qui exprimait le point d’équilibre des diverses sensibilités nationales et politiques. Le rapport d’Albert Dess sur la communication(40) était, à l’origine, beaucoup moins consensuel mais les très nombreux amendements auxquels il a donné lieu ont fait que les conclusions de deux rapports peuvent en grande partie se superposer. De l’avis général des personnalités entendues par le groupe de travail, la codécision sera plus favorable à la défense d’une politique agricole commune forte. Les propositions des deux rapports précités l’ont confirmé.

La position du Parlement européen

Le rapport Dess a posé les principes essentiels devant gouverner la PAC : des critères objectifs pour une distribution plus équitable des aides directes, y compris l’emploi, l’instauration d’un paiement vert financé en totalité par l’Union européenne, une ligne budgétaire spécifique pour faire face aux crises de marché. Les députés européens qui proposent une dégressivité des aides directes au-delà d’un certain seuil par exploitation, considèrent que le budget devra être maintenu au moins à son niveau de 2013, compte tenu des différentes missions assignées à l’agriculture (sécurité alimentaire, protection de l’environnement, création d’emplois, fourniture d’énergies renouvelables).

Cet a priori favorable à la PAC a d’autant plus d’importance que le traité de Lisbonne a par ailleurs modifié, de façon significative, les pouvoirs budgétaires du Parlement européen, du fait de la disparition de la distinction entre dépenses obligatoires (dont les dépenses agricoles) sur lesquelles le Parlement européen n’avait pas le dernier mot et non obligatoires. La nouvelle procédure d’adoption du budget prévoit qu’en cas de désaccord entre le Parlement européen et le Conseil, le budget annuel sera adopté dans les termes prévus par le Parlement(41).

Un calendrier serré

Les négociations sur la PAC après 2013 seront concomitantes avec celles sur les perspectives financières pour 2014-2020.

- avril –juillet 2010 : consultation publique sur la PAC lancée par le commissaire Ciolos dès sa nomination et présentation des résultats ;

- juin 2010 :
adoption du rapport d’initiative du député George Lyon ;

- 18 novembre 2010 : communication de la Commission européenne ;

- mai 2011 : adoption du rapport du député Albert Dess sur cette communication ;

- fin juin 2011 : présentation des premières orientations sur les perspectives financières pour 2014-2020 ; les négociations devraient se poursuivre toute l’année 2012, voire début 2013 ;

- automne 2011 : propositions législatives de la commission européenne ;

- 2012- 2013 : compromis politique entre le Conseil et le Parlement devant statuer sur les propositions législatives de la Commission. La « navette » pourrait durer plus 18 mois (en cas de dérapage, on fonctionnerait selon un système de douzièmes provisoires) ;

- 2013 (deuxième semestre) : notification des choix nationaux par les États membres. Dans une Europe à 27, les compromis politiques passent souvent par un cadre européen au sein duquel les États membres peuvent faire des choix adaptés à leur situation.

Le défi de la sécurité alimentaire est tout d’abord d’ordre quantitatif. En 2050, la population mondiale aura atteint 9 milliards d’habitants. La FAO estime que la production agricole mondiale devra augmenter de 70 % pour répondre à la demande alimentaire mondiale. Cependant, si celle-ci continue à progresser, c’est à un rythme moindre que dans le passé. La croissance économique mondiale, et particulièrement celle des pays émergents, est également un facteur d’augmentation de la demande alimentaire mondiale.

La sécurité alimentaire a également une dimension qualitative. Il s’agit de garantir aux consommateurs européens une alimentation sûre et variée. Les crises sanitaires montrent la nécessité de disposer d’un système de sécurité sanitaire renforcé, comme l’a demandé la France lors du Conseil « Agriculture » extraordinaire du 7 juin dernier. La diversité de l’alimentation et de l’approvisionnement est également une priorité. Au plan mondial, la croissance économique très importante que connaissent les pays émergents entraîne une évolution des régimes alimentaires, à laquelle les agricultures nationales doivent s’adapter. En raison de préoccupations de santé, les régimes alimentaires des Européens évoluent également et il convient de prendre en compte les demandes des consommateurs. Par ailleurs, comme l’a souligné un récent rapport du Parlement européen(42), l’Union européenne se trouve dans une situation de dépendance pour son approvisionnement en protéines végétales.

Réduire la dépendance en protéines de l'Europe

La très forte diminution des cultures protéiques (sources de protéines pour l’alimentation animale comme le soja) dans l’Union européenne depuis 10 ans (baisse des surfaces de 30 % pour les protéagineux et de 12 % pour le soja) s’est traduite par l’augmentation de la dépendance protéique de l’Union européenne. Les protéagineux ne représentent plus que 3 % des terres cultivées. L’Union européenne importe 80 % de sa consommation en protéines : elle importe actuellement 60 millions de tonnes par an d’aliments pour animaux, dont 40 millions de tonnes de soja et se trouve en concurrence avec d’autres acheteurs au plan mondial : en 2010, la Chine a acheté 49 % du soja mondial et cette proportion devrait atteindre 57 % en 2011. Ce désintérêt a une origine historique : les accords du GATT et l’accord agricole euro-américain de Blair House en 1993.

Pour réduire cette dépendance, il est nécessaire que figurent dans les propositions législatives de la Commission européenne des aides en faveur des protéagineux (pois, féverole, lupin, luzerne) dans le cadre de systèmes de rotation des cultures préconisées pour le verdissement. Cela permettrait de surcroît de bénéficier d’avantages environnementaux. Parmi les autres mesures pourraient figurer, dans le cadre du deuxième pilier, un soutien aux investissements pour le stockage et la production d’aliments pour animaux et un soutien pour la recherche et la sélection variétale.

La volatilité des prix des matières premières agricoles, caractérisée par des « variations de prix brusques et de forte amplitude »(43), est devenue un sujet majeur de préoccupation depuis la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. Celle-ci s’est manifestée par une flambée des prix des matières premières agricoles, alors que la tendance était à la baisse depuis une trentaine d’années. Des « émeutes de la faim » se sont alors produites dans différents pays en voie de développement (Égypte, Haïti, Maroc, Philippines, pays d’Afrique subsaharienne).

Depuis 2010, les prix mondiaux connaissent à nouveau de très fortes hausses. La FAO a annoncé début février que les prix alimentaires mondiaux avaient atteint leur plus haut niveau depuis 2010 et le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, M. Olivier de Schutter, a appelé l’attention de la communauté internationale sur le risque d’une nouvelle crise alimentaire mondiale. La flambée des prix agricoles touche particulièrement les prix des céréales, le prix du blé ayant connu ces derniers mois une très forte augmentation, notamment en raison de l’embargo décidé en août 2010 par les autorités russes, à la suite d’une période de sécheresse. Les stocks mondiaux sont à des niveaux extrêmement bas, ce qui accroît la vulnérabilité des marchés aux chocs.

Source : Commission européenne.

La volatilité des prix des matières premières agricoles n’est pas un phénomène nouveau, comme l’illustre le graphique suivant relatif à l’évolution des prix des céréales depuis 1957.

Volatilité annualisée des prix des céréales (en nominal) 1957-2009

Source : FAO.

En revanche, la transmission de la volatilité des prix mondiaux sur les marchés nationaux s’est accrue du fait des politiques de libéralisation, notamment dans l’Union européenne à la suite des réformes successives de la PAC.

La répercussion de la volatilité des cours mondiaux sur les marchés domestiques dépend en effet des politiques agricoles menées au plan national. Comme l’a indiqué M. Franck Galtier, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) lors de son audition par le groupe de travail, les conséquences des variations de prix sont particulièrement dévastatrices dans les pays en développement : elles découragent les investissements, bloquent le processus de modernisation des agricultures et génèrent de l’instabilité aux plans politique et économique. L’Inde et la Chine sont cependant moins vulnérables à l’instabilité des prix internationaux car ces pays ont mis en œuvre depuis de nombreuses années des stratégies d’autosuffisance alimentaire.

Au sein de l’Union européenne, du fait de l’abandon progressif des instruments d’intervention depuis la réforme de la PAC de 1992, les prix agricoles européens ont rejoint les cours mondiaux. Comme le souligne l’étude précitée du Centre d’analyse stratégique, « Si aujourd’hui les prix ne sont pas beaucoup plus instables qu’ils ne l’étaient dans la deuxième moitié du XXème siècle, la libéralisation et la suppression des politiques de soutien qui l’accompagnent ont changé la perception du phénomène, puisque consommateurs comme producteurs se retrouvent davantage soumis aux aléas de prix et que les quantités en jeu sont de plus en plus importantes ».

Dans l’Union européenne, l’instabilité des prix mondiaux, qui s’est conjuguée avec la crise économique, a eu un impact sur les revenus agricoles, dont l’écart par rapport au revenu moyen de l’ensemble des secteurs économiques est supérieur à 40 %. L’augmentation des prix agricoles n’entraîne pas de façon systématique de hausse des revenus des agriculteurs, notamment en raison de la hausse du prix des intrants (par exemple de l’alimentation animale pour le secteur de l’élevage). Bien plus, on peut en noter les effets néfastes et le cercle vicieux des céréales chères qui représentent un coût supplémentaire que la filière animale peut difficilement répercuter.

Source : Commission européenne.

La volatilité des prix agricoles a également des conséquences négatives pour les consommateurs qui sont confrontés à une hausse des prix des produits alimentaires.

La volatilité des prix s’explique par différents facteurs, au premier rang desquels l’inélasticité de l’offre et de la demande qui caractérise les marchés agricoles. Concernant l’offre, des rigidités existent à la hausse, du fait de la durée des cycles de production, de la progression limitée des rendements, et à la baisse, en raison des coûts de stockage. La demande est par nature faiblement élastique, la nourriture étant un besoin essentiel et les habitudes alimentaires étant relativement rigides : en particulier, la demande de produits de base comme les céréales n’est pas susceptible de se réduire en cas de crise. A ces rigidités s’ajoutent des anticipations imparfaites des agents qui aggravent l’instabilité.

Les tensions sur les marchés se renforcent sous l’effet de la croissance démographique et de l’augmentation des revenus dans les pays émergents, en particulier en Chine et en Inde. Le développement des biocarburants exerce également une pression importante sur les prix mondiaux, une part croissante de la production mondiale de céréales, d’oléagineux et de canne à sucre étant consacrée à leur production.

Dans un contexte de rigidité de l’offre et de la demande, les chocs externes, qu’il s’agisse de crises sanitaires ou d’aléas climatiques, qui deviennent de plus en plus fréquents du fait de l’évolution du climat, favorisent la volatilité des prix. Ainsi, la sécheresse et les inondations qui ont frappé les grands pays producteurs de céréales - Canada, Russie, Australie et Argentine - en 2010 et 2011 ont contribué à la flambée des prix mondiaux , par une raréfaction de l’offre. De même, la crise du lait de 2009 s’explique notamment par des facteurs climatiques qui ont affecté la production en Nouvelle Zélande et en Australie. Ces aléas climatiques, ainsi que les chocs géopolitiques, comme l’embargo russe sur les exportations de blé en vigueur depuis août 2010, ont un impact d’autant plus immédiat et violent que les marchés de produits agricoles sont étroits. Le volume des produits agricoles échangés ne représente en effet en moyenne que 10 % de la production mondiale.

Les variations monétaires ont également un impact : il existe ainsi clairement un lien entre la dépréciation du dollar et l’augmentation des prix agricoles s’expliquant par une hausse de la demande sur les marchés mondiaux pour les produits dont le prix est libellé en dollars. La volatilité des prix des énergies, qui conditionnent les prix des intrants, mais également des biocarburants, entre aussi en jeu.

En revanche, le rôle de la spéculation, qui s’est développée depuis ces dernières années sur les marchés dérivés de produits agricoles, dans l’instabilité des prix fait l’objet de débats. Il est certain que l’on a assisté ces dernières années à un mouvement de financiarisation des marchés de matières premières. Dans un contexte de crise des marchés financiers, les spéculateurs (par exemple les grands fonds de pension américains et européens) se sont intéressés de façon croissante à ces marchés.

Historiquement, les marchés à terme agricoles ont été les premiers marchés à terme. Il existe un consensus sur leur utilité car ils permettent de se couvrir contre les variations trop brutales de cours, et contribuent à la liquidité et à la formation des prix.

Marchés financiers et marchés physiques

Les marchés financiers, quelle que soit leur forme, diffèrent profondément des marchés commerciaux (ou physiques). Ils n’ont pas pour objet l’achat ou la vente d’une production. Ils organisent des transactions portant sur des actifs financiers dont le sous-jacent est un bien. Ces futures ou contrats à terme sont des engagements entre acheteurs et vendeurs comportant un prix ferme et définitif pour un paiement et une livraison à une échéance précisée et différée et dont le contenu (spécificités des sous-jacents concernés) sont standardisés.

Ces marchés, de par leur conception et leur fonctionnement, s’éloignent des préoccupations de l’économie réelle, même si les fondamentaux physiques demeurent des déterminants majeurs de leurs comportements. Les opérations sur des papiers ont pour objectif, soit la couverture d’un risque, soit la prise d’un risque a des fins de gains. Dans le premier cas, c’est une forme d’assurance contre un risque de variation de prix qui est recherchée (par le producteur ou le consommateur). Dans le second cas, c’est au contraire un pari sur une variation de prix qui motive l’opérateur ou la fourniture d’un service de tenue de marché, qui consiste a intermédier le fonctionnement du marché et favoriser sa liquidité, service rémunéré par les plus-values qu’en tire l’intermédiaire.

Mais le premier objectif de ces marchés est de permettre à des opérateurs sur les marchés physiques de se couvrir à l’égard d’un risque de fluctuation des prix. La couverture (hedging) a donc une finalité défensive. Elle est fondée sur le principe d’une évolution convergente des prix au comptant et des prix au terme d’un contrat futures. Pour se couvrir, un opérateur doit donc prendre sur le marché à terme une position équivalente et opposée à celle qu’il détient sur le marché au comptant. Il pourra ainsi compenser une perte sur l’un des deux marchés par un gain sur le second. Soit il trouve face à lui un opérateur décidé à prendre une position opposée, soit un intermédiaire offre un service consistant à “porter“ la position le temps qu’il lui faudra pour s’en décharger, et prend le risque d’une variation des cours dans l’espoir d’en dégager un profit.

Source : rapport d’étape de MM. Jean-Pierre Jouyet, Christian de Boissieu et Serge Guillon « Prévenir et gérer l’instabilité des marchés agricoles », septembre 2010

Lors de son audition par le groupe de travail, M. Philippe Chalmin, professeur à l'Université Paris-Dauphine, président de l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, a estimé que la spéculation sur les marchés à terme n’avait pas d’influence sur la volatilité des prix, et qu’à l’inverse l’instabilité des marchés rendait nécessaire la présence de spéculateurs, afin de pouvoir disposer de liquidités. Il a jugé illusoire l’idée de stabiliser les marchés en limitant la spéculation.

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers et co-auteur du rapport sur l’instabilité des marchés agricoles, auditionné par le groupe de travail, a estimé que la volatilité des marchés agricoles s’expliquait en premier lieu par le fonctionnement des marchés physiques mais que la financiarisation de certains marchés agricoles pouvait renforcer cette volatilité.

Dans une communication sur les marchés des produits de base et les matières premières publiée le 2 février 2011(44), la Commission européenne estime que : « Si, à l'évidence, les positions sur les marchés d'instruments dérivés et les prix au comptant sont étroitement liés, il reste difficile d'apprécier pleinement les interactions et l'incidence que peuvent avoir sur la volatilité des marchés physiques sous-jacents les fluctuations sur les marchés d'instruments dérivés ».

Le processus de libéralisation des échanges mondiaux de produits agricoles et alimentaires n’est pas nouveau : depuis l’Uruguay Round, conclu en 1994, les grands pays producteurs sont en concurrence pour conserver et conquérir des parts de marché au plan mondial. Les difficultés auxquelles se heurtent les négociations commerciales dans le cadre du cycle de Doha ouvert en 2001 témoignent des fortes tensions relatives aux questions agricoles au niveau international.

Le contexte des échanges mondiaux de produits agricoles a cependant nettement évolué depuis les années 1990, avec la montée en puissance de nouveaux pays producteurs et exportateurs, en particulier le Brésil, la Chine et l’Argentine. Si l’Union européenne reste le premier exportateur mondial de produits agroalimentaires, avec 43 % de la valeur des exportations en 2009, elle est également le premier importateur.

Cette situation fait de la compétitivité de l’agriculture et des industries agroalimentaires européennes, un impératif. Lors de leur audition par le groupe de travail, MM. Jean-Pierre Butault et Vincent Réquillart, chercheurs à l’INRA, ont souligné que la production de ces deux secteurs stagnait depuis 1996 dans les pays européens, tandis que les gains de productivité des industries agroalimentaires étaient faibles. Au final, le volume des importations progresse plus vite que celui des exportations et le commerce extérieur agro-alimentaire européen se dégrade, seule la situation de l’Allemagne et de certains nouveaux États membres s’améliorant. Ce sont les réformes successives de la PAC et plus généralement l’ouverture des marchés depuis l’accord sur l’agriculture du cycle de l’Uruguay qui ont découragé la production agricole. Il est par ailleurs difficile de distinguer parmi les causes des pertes de parts de marché celles qui relèvent de l’agriculture et celles qui relèvent des industries agroalimentaires. Les contraintes sanitaires et environnementales, variables selon les productions, peuvent contribuer à expliquer le recul de la productivité en agriculture et dans l’industrie agroalimentaire mais pas la perte de compétitivité en Europe.

Les liens entre agriculture, environnement et climat sont multiples. Si l’agriculture subit les conséquences des changements climatiques et des dégradations de l’environnement, elle peut également contribuer à les limiter par l’utilisation de pratiques respectueuses de l’environnement et en limitant les émissions de gaz à effet de serre.

L’agriculture devra s’adapter aux conséquences du changement climatique. Parmi les impacts négatifs identifiés dans le quatrième rapport du groupe d’experts internationaux sur le climat (GIEC) figurent la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes (tempêtes, inondations, sécheresses), la diminution des rendements agricoles, le bouleversement des écosystèmes. Tous ces événements auront des conséquences sur la production agricole et la sécurité alimentaire mondiales.

L’agriculture a d’autre part un rôle à jouer dans l’atténuation du changement climatique. L’augmentation globale des émissions liées à l’agriculture s’explique par la demande alimentaire mondiale de plus en plus importante, résultant de la croissance démographique(45). Cependant, des pratiques agricoles durables permettent la capture de carbone dans les sols. C’est pourquoi la France et l’Union européenne ont plaidé pour que les accords internationaux relatifs au changement climatique prennent en compte l’agriculture et encouragent l’agriculture durable, particulièrement dans les pays en développement.

Les pratiques agricoles ont également une influence décisive sur la protection de l’environnement, qu’il s’agisse de l’eau, des sols ou de la biodiversité. L’agriculture peut elle-même pâtir des menaces sur les facteurs de production que sont l’eau, les énergies fossiles et les matières premières minérales, ainsi que de la pression croissante sur les sols. Dans cette perspective, il convient de renforcer les synergies entre la PAC et les différentes actions de l’Union européenne en matière d’environnement (directive-cadre sur l’eau, proposition de directive sur la protection des sols, engagements en matière de biodiversité, etc.).

Tout en rappelant les objectifs posés par l’article 39 du TFUE (voir supra), la Commission européenne, dans sa communication du 18 novembre 2010, propose trois objectifs principaux pour la PAC après 2013, qu’elle décline en objectifs secondaires.

Les objectifs de la PAC 2013
(communication de la Commission du 18 novembre 2010)

Objectif n° 1 : Une production alimentaire viable

• Contribuer au revenu agricole et limiter ses variations, en rappelant que la volatilité des prix et des revenus, tout comme les risques naturels, sont plus importants que dans la plupart des autres secteurs et que le revenu des agriculteurs et la rentabilité sont inférieurs en moyenne à ceux constatés dans le reste de l'économie.

• Améliorer la compétitivité du secteur agricole et l’apport de valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire, car le secteur agricole est très éclaté par rapport aux autres secteurs de la chaîne alimentaire, qui, mieux organisés, disposent d'un pouvoir de négociation supérieur. Les agriculteurs européens doivent de surcroît à la fois faire face à la concurrence des marchés mondiaux et respecter des normes très rigoureuses en matière d'environnement, de sécurité des aliments, de qualité et de bientraitance des animaux exigées par les Européens.

• Offrir une compensation aux régions soumises à des contraintes naturelles spécifiques, car ces régions sont confrontées au risque d'abandon des terres.

Objectif n° 2 : Une gestion durable des ressources naturelles et des mesures en faveur du climat

• Garantir la mise en œuvre de pratiques de production durables et améliorer la fourniture de biens publics environnementaux, car un grand nombre des avantages collectifs générés par l'agriculture ne sont pas rémunérés par le fonctionnement normal des marchés.

• Favoriser la croissance écologique par l'innovation, ce qui suppose la mise au point de nouvelles technologies, de nouveaux produits et de nouveaux processus de production ainsi que la promotion de nouveaux modèles de demande, notamment dans le contexte de la bioéconomie émergente.

• Poursuivre les actions d’atténuation des changements climatiques et d'adaptation à ces changements afin de permettre à l'agriculture d'y faire face. L'agriculture étant particulièrement vulnérable aux effets des changements climatiques, le fait de faciliter l'adaptation de ce secteur aux effets de la variation des phénomènes météorologiques extrêmes peut également réduire les effets néfastes des changements climatiques.

Objectif n° 3 : Un développement territorial équilibré

• Soutenir l’emploi rural et préserver le tissu social dans les zones rurales.

• Améliorer les conditions économiques des zones rurales et promouvoir la diversification afin de permettre aux acteurs locaux d'exploiter leur potentiel et de valoriser l'utilisation de ressources locales supplémentaires.

• Permettre la diversité structurelle dans les systèmes agricoles, améliorer les conditions d'exploitation des petites structures et développer les marchés locaux, car l'hétérogénéité des structures agricoles et des systèmes de production européens contribue à l'attrait et à l'identité des régions rurales.

La communication de la Commission met donc tout d’abord l’accent sur la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire des Européens à long terme ainsi que de contribuer à répondre à la demande mondiale en denrées alimentaires.

Cet objectif fait l’objet d’un large accord, exprimé tant par les personnes auditionnées par le groupe de travail qu’au niveau européen dans le cadre des débats au Conseil et au Parlement européen.

Le fait que la sécurité alimentaire soit placée au premier rang des objectifs témoigne d’une évolution positive de la part de la Commission, en rupture avec le discours des dernières années, marqué par la forte crainte de la surproduction. Il est donc particulièrement satisfaisant que la Commission reconnaisse qu’il s’agit d’un élément géostratégique essentiel. Si l’objectif principal doit être de répondre aux besoins alimentaires des 500 millions de consommateurs européens, il est également important d’affirmer que la PAC peut contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, grâce aux exportations et à l’aide alimentaire aux plus démunis, même si la croissance des besoins alimentaires mondiaux requiert avant tout un développement de l’agriculture des pays en développement.

Cependant, la communication n’est pas suffisamment précise sur le contenu de la notion de sécurité alimentaire : elle n’aborde pas la question de l’autosuffisance alimentaire, qui mériterait d’être posée en ce qui concerne les protéines végétales, ni celle des relations avec les pays en voie de développement. Si elle reconnaît la nécessité de disposer de produits sains et de qualité, elle n’évoque pas non plus les difficultés liées au respect par les importations des normes sanitaires et environnementales européennes.

Le deuxième objectif proposé par la Commission européenne est celui d’une gestion durable des ressources naturelles et de mesures en faveur du climat. Cet objectif justifie la volonté de renforcer la dimension environnementale du premier pilier de la PAC. La Commission souhaite ainsi inciter à la production de biens publics environnementaux. Si les États membres s’accordent pour reconnaître que la future PAC doit permettre une gestion durable des ressources, ils sont partagés sur la proposition de « verdissement » du premier pilier. La volonté de favoriser la croissance écologique par l’innovation, ainsi que celle de renforcer l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, font l’objet d’un accord général.

Enfin, l’objectif d’un développement territorial équilibré est également largement approuvé. Lors du Conseil « Agriculture » du 21 février 2011, plusieurs États membres ont souligné à cet égard la nécessité de synergies entre la politique de développement rural, la politique régionale et les fonds de cohésion.

DEUXIÈME PARTIE :
DES INSTRUMENTS MODERNISÉS POUR UNE PAC EFFICIENTE, DURABLE ET SOLIDAIRE

Le futur de la PAC échappe en large partie aux ministres de l’agriculture et au commissaire chargé de l’agriculture. L’équation budgétaire sera déterminante dans le choix des instruments. De même, l’efficacité de la PAC – dans une vue d’ensemble – est largement dépendante de la politique commerciale.

Ces préalables étant posés, la PAC devra être construite autour d’instruments modernisés, le fil conducteur de cette modernisation devant être le maintien de l’agriculture sur l’ensemble du territoire européen, seule façon de répondre à l’ensemble des enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Compte tenu de l’évolution du contexte dans lequel le secteur agricole et agro-alimentaire européen s’insèrent – volatilité et incertitudes croissantes dans un marché de plus en plus ouvert et soumis à la concurrence – une PAC modernisée ne pourra se passer d’une régulation efficace afin de garantir un cadre de production stable.

I. EN SURPLOMB DE TOUTE RÉFORME : UN BUDGET MAINTENU ET UNE POLITIQUE COMMERCIALE FORTE

2013 sera l’année de la fin de la « paix budgétaire » agricole conclue en 2003 et la fin des perspectives financières pour la période 2007-2013, établies en 2005 par le Conseil européen au cours duquel les États membres s’étaient prononcés pour un réexamen global de tous les aspects des dépenses de l’Union dans le cadre des perspectives financières pour 2014-2020. Les discussions sur la PAC seront donc concomitantes avec ces négociations financières.

L’équation budgétaire accordée à la PAC est un enjeu essentiel car c’est d’elle que dépendra le degré d’ambition des mesures qui seront mises en œuvre. Si les perspectives financières différent trop radicalement de ce qui existe actuellement, il faudra revoir l’arbre des possibles et les tensions risquent d’être vives entre États membres. Le commissaire Dacian Ciolos a clairement indiqué que « la proposition législative sera en rapport avec le niveau d’ambition du budget »(46).

C’est dans un contexte budgétaire particulièrement tendu – lié à la crise de la dette publique – que les États membres devront se prononcer sur le cadre budgétaire européen général. Une majorité d’États membres ont tendance à souhaiter un budget a minima. Dans une lettre adressée au président de la Commission, cinq chefs d’État et de Gouvernement ont demandé une limitation des dépenses de l’Union européenne(47). A l’encontre de cette position, le Parlement européen, adoptant le rapport de la Commission spéciale sur les défis budgétaires après 2013, s’est dit fermement convaincu que le gel du prochain cadre financier au niveau de 2013 (1,06 % du budget) n’est « pas une option viable »(48). Il a mis au défi le Conseil, au cas où celui-ci ne partagerait pas cette approche, « d’indiquer clairement quels priorités ou projets politiques pourraient être purement et simplement abandonnés, malgré leur valeur ajoutée européenne avérée ».

Dans ce contexte d’austérité, la PAC est évidemment en première ligne, dans la mesure où elle représente 41 % des engagements de dépenses (39 % prévus en 2013).

Les réticences, voire les refus des États membres, d’accroître leur contribution au budget européen, liées à la nécessité de financer, d’une part, l’élargissement de l’Union et d’autre part, les nouvelles politiques inscrites dans le traité de Lisbonne, feraient que devraient être envisagées des contractions sur le budget d’autres politiques.

Dans un premier temps, le sort de la PAC était incertain. En 2009, un document officieux présenté comme un projet de communication de la Commission européenne sur la réforme du budget communautaire pour l’après 2013, ne classait pas la PAC dans les politiques communautaires à haute valeur ajoutée. Par ailleurs, la PAC ne figurait pas dans la première version de la « Stratégie 2020, pour une croissance intelligente et durable ». S’ agissait-il d’un simple oubli ou d’une omission délibérée ?

A ce jour, les arbitrages ne sont pas faits. Le commissaire Ciolos a plaidé « pour le maintien du budget mais cela dépendra de la façon dont la Commission parviendra à réaliser certaines compensations. La PAC ne paiera certainement pas tout le prix, mais elle devra contribuer, à côté d’autres politiques, à la relance d’objectifs complémentaires »(49). En particulier, la PAC va se trouver en concurrence avec l’autre grande politique qu’est la politique de cohésion qui, comme la PAC, sera réformée après 2013 – la Commission européenne ayant donné ses premières orientations sur la cohésion sociale, économique et territoriale en novembre 2010(50). Selon le commissaire au budget Januz Lewandowski, qui est polonais – et l’on sait que la Pologne a un meilleur taux de retour sur la politique de cohésion que sur la politique agricole –, « nous sommes en mesure de faire des économies dans ce domaine sans porter atteinte à l’agriculture »(51). Toutefois, il y a débat autour de l’efficacité de la politique de cohésion dont on peut se demander si, plus qu’une politique structurelle, elle n’a pas constitué plutôt une aide budgétaire qui a financé le « miracle » espagnol ou irlandais et dans quelle mesure elle constitue un sentier de croissance à long terme.

Par ailleurs, le financement des nouvelles politiques devra être assuré mais pour certaines (énergie), aucune mise en place n’a encore été décidée tandis que d’autres sont contestées dans leurs modalités de mise en œuvre (politique étrangère et de sécurité commune).

Les premières orientations ont été données le 30 juin. La Commission européenne a présenté au Conseil des ministres et au Parlement européen ses propositions dans lesquelles le budget de la PAC serait stabilisé. Cependant, les décisions ne seront définitivement prises qu’à la fin 2011. Elles dépendront de subtils équilibres et en tout état de cause, le débat ne pourra pas faire l’économie de débats plus généraux sur la gestion budgétaire européenne. D’abord, se pose la question de la rigidité du budget européen qui n’est pas adapté au caractère par essence cyclique des activités agricoles. Les montants accordés à la PAC sont un plafond et non une garantie. On observe depuis plusieurs années que, même à des moments où le revenu des agriculteurs est en baisse, les crédits affectés à la PAC ne sont pas consommés en totalité et qu’il existerait donc des marges de manoeuvre. Pour ces excédents financiers non dépensés en fin d’année, se pose le choix de leur affectation en direction, soit aux autres politiques européennes, soit à des projets comme le projet de satellite Galileo, soit de restitutions, comme cela a été le cas en 2010, aux États membres.

Par ailleurs, la sécurisation des politiques européennes reposera à terme sur de nouvelles ressources financières qui permettront d’alimenter le budget européen, sans pour autant peser sur les budgets nationaux. Parallèlement se pose la question de la légitimité des différents rabais, dérogations et mécanismes de correction (réduction de contributions ou « chèque » britannique, néerlandais et suédois).

Dans cette guerre de position, chacun défend évidemment son pré carré. Le groupe de travail estime que ce serait une erreur majeure de diminuer le budget pour le secteur stratégique que constitue la PAC et se prononce, en conséquent, pour son maintien à l’euro près.

La France et le budget de la PAC

Si la France demeure le premier bénéficiaire de la PAC après l’Espagne (l’Allemagne sera le deuxième bénéficiaire en 2011), avec un taux de retour de 19,4 %, il faut noter que :

– Cette tendance est décroissante (ce taux était de 22,2 % en 2000) ;

– Si l’on prend en compte le taux de retour par habitant, elle n’est plus qu’au sixième rang (157 euros) ;

– A compter de 2013, la France pourrait cesser d’être bénéficiaire net de cette politique , consécutivement à la montée en puissance des aides directes dans les nouveaux États membres ;

– La France est le troisième contributeur net au budget de l’Union avec un solde de moins 5,2 milliards d’euros en 2008, soit 0,27 % de son revenu national brut. Elle est parvenue jusqu’ici à contenir le niveau de son solde net en se maintenant au premier rang des bénéficiaires des dépenses. Cependant, ce statut de contributeur net devrait s’accentuer au cours des prochains exercices, du fait des conséquences des élargissements, de l’encadrement des perspectives financières et de l’entrée en vigueur de la décision «  ressources propres ».

L’articulation est de plus en plus étroite entre politique agricole et politique commerciale et accès aux marchés. En effet, les réformes successives de la PAC ont réduit les instruments de régulation interne et les soutiens sont découplés de la production. L’agriculture européenne, dans les premiers moments de la PAC protégée de l’extérieur, est largement dépendante des marchés internationaux. L’équilibre des filières agricoles européennes est en conséquence de plus en plus dépendant du niveau d’importation, d’où l’importance d’une réelle cohérence entre politique agricole et politique commerciale(52).

L’Union européenne n’est pas un monde clos et replié sur lui-même, en témoigne son premier rang d’importateur mondial de denrées agricoles. Elle conduit en matière commerciale, un double circuit de négociations, négociations multilatérales dans le cadre du cycle de Doha à l’OMC qui reste l’objectif prioritaire affiché de la Commission européenne, et parallèlement, compte tenu des difficultés pour conclure ces négociations multilatérales, des négociations bilatérales par pays ou groupe de pays(53).

Le cycle de Doha a été lancé en 2001. La réforme de la PAC 2003 introduisant le découplage des aides a été largement motivée pour des raisons de conformité avec les règles de l’OMC(54). En principe, cette réforme devait être faite « pour solde de tout compte ». Mais plus le temps passe entre cette réforme et la conclusion du cycle de Doha, moins on la mettra au crédit de l’Union européenne qui, de ce fait, risque de payer deux fois. On considérera en effet la PAC après la réforme de 2003, comme un point de départ, ce qui justifiera de nouvelles concessions. Risqueraient notamment d’être visés et classés en boîte orange, c'est-à-dire en mesures distorsives, les outils de régulation. Alors que l’Union européenne a fait des efforts de réforme et de transparence dans la notification des aides, d’autres pays tels les États-Unis modifiaient leur loi agricole ou le Brésil multipliait par cinq ses subventions à l’agriculture, sur la période 2008-2009, par un système de prêts bonifiés qui n’étaient donc pas, selon les règles de l’OMC, classés comme aides directes !

Même si le cycle de Doha est dans une passe très difficile – l’année 2011 constituant la seule fenêtre d’opportunité de conclusions avant les élections aux États-Unis – l’hypothèse d’un accord ne peut toutefois être définitivement exclue. Les négociations en 2008 avaient abouti, pour le volet agricole, à un paquet (voir encadré ci-dessous), dans lequel l’Union européenne s’est engagée à des concessions, tant sur les mesures de soutien que sur l’accès au marché. Ces concessions doivent être considérées comme une ligne rouge et, pour leur application, les négociateurs européens devront être particulièrement attentifs à la définition des produits sensibles et garder des marges de manœuvre sur les outils de régulation.

« Paquet agricole » de juillet 2008 à l’Organisation mondiale du commerce

1. Les mesures de soutien

Le « soutien interne global ayant des effets de distorsion des échanges » (boîte orange + boîte bleue + clause de minimis) se réduirait de 75-85 % pour l'Union européenne ; de 66-73 % pour les États-Unis et le Japon ; de 50-60 % pour les autres Membres (sur cinq ans pour les pays développés, sur huit ans pour les PVD). Il appliquerait une réduction immédiate de 33 % pour les États-Unis, l'UE et le Japon, de 25 % pour les autres.

- La « boîte orange » (ou MGS) se réduirait globalement de 70 % pour l'Union européenne, de 60 % pour les États-Unis et le Japon ; de 45 % pour les autres. Les prix et les aides par produit seraient plafonnés à la moyenne du soutien orange notifié pour la période 1995-2000.

- La « boîte bleue » serait élargie mais limitée à 2,5 % de la production pour les pays développés et à 5 % pour les PVD, avec des plafonds par produit.

- La « clause de minimis » resterait plafonnée à 2,5 % de la production pour les pays développés et à 6,7 % pour les PVD (mais pas de réduction si le soutien concerne principalement des producteurs pratiquant une agriculture de subsistance ou dotés de ressources limitées).

- Les conditions de la « boîte verte » seraient rendues plus rigoureuses.

2 Accès aux marchés


- Les tarifs seraient abaissés suivant une formule, qui prescrirait des réductions plus importantes pour les droits élevés. Pour les pays développés, les abaissements iraient de 50 % pour les tarifs inférieurs à 20 %, à 66-73 % pour les tarifs supérieurs à 75 %, avec un abaissement moyen minimal de 54 % pour les pays développés, et de 33,3 à 44-48 % pour les PVD. Les pays les moins avancés (PMA) seraient exemptés de tout abaissement.

- Les « produits sensibles » (pour tous les pays) et les « produits spéciaux » (pour les PVD) feraient l'objet d'abaissements moindres. Mais les réductions des produits sensibles pourront être compensées par des contingents tarifaires à des taux préférentiels, et les produits spéciaux pourront être exemptés de tout abaissement(
55).

- La « clause de sauvegarde spéciale » serait éliminée de façon progressive dans les pays développés. Les PVD auraient un nouveau mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) pour 2,5 % des lignes tarifaires qui eux permettrait d'augmenter temporairement les droits de douane pour faire face aux poussées des importations et aux baisses des prix.

3. Concurrence à l'exportation

- Les subventions à l'exportation seraient éliminées pour la fin de 2013, y compris les subventions déguisées en crédits à l'exportation, en disciplines relatives aux entreprises commerciales d'État exportatrices ou en aide alimentaire autre que d'urgence. La moitié devait être éliminée en 2010.

Les concessions multilatérales devront être mises en perspective avec l’ensemble des concessions faites dans le cadre des accords bilatéraux, négociés en lieu et place, et en surplus, du cycle de Doha.

Parmi ces projets d’accord, la Commission européenne a décidé en mai 2010, de sa propre initiative et contrairement à l’avis de plusieurs États membres dont la France, de reprendre les négociations avec les pays du Mercosur(56). Suspendues depuis 2004, elles n’auraient, en principe, pas dû reprendre avant la conclusion du cycle de Doha.

Devant les inquiétudes suscitées par la reprise de ces négociations, la Commission européenne a annoncé la réalisation d’une étude d’impact : que n’aurait-elle dû être réalisée avant ! Sans en attendre les résultats, il est certain que des concessions déséquilibrées auraient un impact négatif fort sur certaines filières agricoles européennes. Seront principalement affectées les filières de la volaille, du maïs, des agrumes, du sucre et de l’éthanol. Ces pays bénéficient en particulier de coûts de production bien moindres que dans l’Union européenne. Par exemple, ces coûts sont de 80 euros la tonne contre 120 euros en Europe. Mais ce seront surtout les filières animales qui souffriront, particulièrement celle de la viande bovine pour laquelle la production des pays du Mercosur poursuit une courbe ascendante tandis que le poids de l’Union européenne ne cesse de décliner, comme le montrent les graphiques ci-dessous.

Ces accords sont contradictoires avec les réflexions sur la nécessité d’atteindre un degré suffisant d’autonomie alimentaire !

Il peut être envisagé d’accorder aux agriculteurs européens des compensations, au titre des concessions. Mais ces compensations risquent d’être illusoires, tant la pression sur le budget communautaire est forte. Dans un cadre contraint, « l’enveloppe ne pourrait être que limitée et insuffisante pour couvrir les pertes de revenus et ce d’autant que l’ajustement financier à l’ouverture du marché n’a généralement pas vocation à rétablir l’équilibre du marché mais à inciter à la diversification ou à la spécialisation »(57).

C’est la raison pour laquelle, il est préférable, ainsi que l’a déclaré le commissaire Dacian Ciolos, que s’il y a accord, il soit équilibré : « S’agissant des relations commerciales, un accord avec le Mercosur ne doit pas être ambitieux mais équilibré. Il faut non seulement examiner ce qui est supportable pour l’agriculture européenneQuoi qu’il en soit, un accord n’est pas imminent et la proposition que la Commission mettra sur la table en matière agricole se fondera sur une étude d’impact. Je veillerai à ce que l’accord éventuel évite la mise en place de compensations, car cela signifierait que la PAC paierait pour d’autres secteurs de l’économie européenne »(58).

Des relations commerciales équilibrées passent par le respect du principe de réciprocité.

Les instruments qui seront mis en œuvre dans le cadre de la réforme de la PAC ne seront efficaces que pour autant que le secteur agricole ne soit pas perturbé par une concurrence déséquilibrée du fait d’engagements différents des partenaires commerciaux de l’Europe en matière environnementale, sanitaire et sociale qui influent très fortement sur les facteurs de compétitivité. Les soutiens dont bénéficient les agriculteurs européens ne peuvent pas compenser les différences de compétitivité. Les produits importés devraient donc respecter le principe de réciprocité, en vertu duquel ils doivent être conformes aux normes imposées aux producteurs européens.

L’exemple du projet d’accord de libre échange avec les pays du Mercosur illustre bien cette disparité de normes. Ainsi, en matière de normes environnementales, la justice brésilienne a condamné à de fortes amendes quatorze sociétés – dont le plus gros exportateur total de viandes bovines(59), au motif qu’elles achètent de la viande en provenance d’élevages de zones déboisés illégalement en Amazonie. Le parquet brésilien a également accusé l’Institut brésilien de l’environnement de ne pas respecter ses engagements en matière de contrôle des déboisements.

L’Union européenne doit avoir, en matière commerciale, une approche offensive en développant son potentiel tant sur les produits à forte valeur ajoutée que sur les biens agricoles primaires qui représentent une part importante de l’agriculture européenne. Tant pour des raisons liées à la sécurité alimentaire, à la qualité des productions ou à l’aménagement du territoire, la PAC doit développer, de façon équilibrée, productions agricoles de base et industrie agroalimentaire. Ce soutien passe par la défense des intérêts stratégiques européens dans les négociations spécifiques portant par exemple sur les indications géographiques et par des mesures ressortant du deuxième pilier (aides à la promotion sur les marchés tiers ainsi qu’il est possible de le faire dans le cadre des enveloppes nationales pour la filière vitivinicole).

Derrière le débat sur cette configuration en deux piliers, se profile celui sur la nationalisation des aides par le biais du cofinancement. En effet, le premier pilier est financé en totalité par le budget européen tandis que le deuxième est cofinancé par l’Union et les États membres.

Les discussions sur la renationalisation de la PAC ne sont pas nouvelles. La question a ainsi nourri le débat sur l’agenda 2000 qui était axé sur une volonté de maîtrise budgétaire. Alors que la France mettait en avant les notions de plafonnement des dépenses, de dégressivité et de modulation (chaque État pouvant disposer d’une partie des aides directes pour des actions liées au développement rural), d’autres États membres souhaitaient que l’on réfléchisse à un cofinancement, c'est-à-dire à une renationalisation. Aujourd’hui, devant l’hétérogénéité des structures agricoles accentuée par les élargissements, des climats, des objectifs politiques et des situations économiques, la tentation de renationalisation est grande. Par ailleurs, devant la brièveté des échéances, le risque serait de passer directement à une phase de négociation budgétaire sur des enveloppes nationales qui serait, dans les faits, une renationalisation.

Le principal danger de la renationalisation de la PAC serait de créer des distorsions de concurrence dans une Europe où la concurrence est déjà âpre (voir encadré supra). De plus, au moment où les politiques budgétaires des États membres sont très contraintes, elle irait à l’encontre des principes fondateurs de la PAC, solidarité et unicité du marché. Il est inacceptable qu’il y ait des pays disposant des moyens de financer une politique agricole et d’autres pas. La position franco-allemande est à cet égard très claire : « La France et l’Allemagne sont opposées à toute renationalisation de la PAC par le biais d’un cofinancement des paiements directs aux exploitants ».

Le premier pilier de la PAC comprend les aides directes représentant 76 % des dépenses agricoles et les interventions sur les marchés à hauteur de 7 %, soit 83 % du total. 17 % des dépenses agricoles sont consacrées au deuxième pilier, le développement rural.

Depuis la création du deuxième pilier en 1999, les frontières entre les deux piliers ont eu tendance à s’estomper. Tout d’abord, s’agissant des financements, la réforme de 2003 a introduit le principe de modulation qui fait obligation aux États membres de transférer 5 % des aides du premier pilier sur le deuxième(60). Le bilan de santé de 2008 a accentué ce flou en décidant d’une modulation supplémentaire de 5 %.

Mais l’effacement des frontières s’est fait aussi sur le plan fonctionnel. Le premier pilier s’est rapproché du second dans ses modalités d’application : marges de manœuvre supplémentaires données aux États membres grâce à une boîte à outils, redistribution des aides, via les articles 63 et 68, vers des productions considérées comme bénéfiques sur le plan de l’emploi et de l’environnement (élevage à l’herbe, brebis, lait de montagne, veau sous la mère, agriculture biologique).

Dans le même temps, du fait de la suppression progressive des instruments de régulation publique des marchés, la tentation peut être grande de reporter sur le deuxième pilier le rôle du premier en termes de soutien des activités et des revenus agricoles. Le deuxième pilier ne peut être considéré comme accompagnant le démantèlement des dispositifs de régulation de marché du premier pilier et d’une PAC décidée et financée en commun, dans un processus donnant de plus en plus de marge de manœuvre aux États membres.

De même, la prise en compte des préoccupations environnementales a pour effet de diluer les différences entre les deux piliers. Celles-ci figurent tant dans le premier pilier, par les mesures de conditionnalité (respect des bonnes pratiques agricoles et environnementales – BCAE – et maintien des pâturages permanents) que dans le deuxième avec les mesures agro-environnementales (MAE). Le verdissement des aides du premier pilier accentuerait sans doute ce mouvement.

Le groupe de travail est convaincu du bien-fondé de l’approche en deux piliers qui permet deux types de mesures, d’une part celles concernant l’ensemble des agriculteurs et du territoire européen , d’autre part celles répondant à des problématiques ciblées et spécifiques (régionales, environnementales), basées sur des approches plus volontaires, contractuelles et pluriannuelles dans lesquelles les États disposent de marges de manœuvre et où les diverses coresponsabilités (échelon national, régional, local) peuvent jouer. Ce point de vue est partagé par le commissaire Ciolos : « l’architecture proposée consiste à maintenir deux piliers, en évitant que l’un soit essentiel, tandis que l’autre, annexe, se limiterait à des mesures destinées à apaiser les mécontentements et à permettre un compromis. Il faut répondre au besoin d’unité dans la diversité. Le premier pilier doit se fonder sur une approche communautaire et traiter de manière unitaire, sur l’ensemble du territoire européen, du revenu des agriculteurs et de leurs pratiques agricoles. Il doit comporter les trois objectifs fixés pour la PAC : la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles et la contribution de l’agriculture à la gestion des territoires ruraux. Le second pilier doit reposer sur une programmation pluriannuelle et prévoir la possibilité de prendre en compte les spécificités régionales et nationales, tout en visant les priorités communes au niveau européen »(61).

Les paiements directs souffrent d’évidence d’un déficit de légitimité. Les critiques se sont accentuées avec la mise en place du découplage lors de la réforme de 2003, les aides étant attribuées en dehors de tout lien avec la production et ce découplage s’étant fait de manière très différente selon les États membres (références historiques qui figeaient les situations nationales ou régionales).

En 2009, la publication en ligne des bénéficiaires(62) par État membre a créé une polémique car il apparaissait que de grosses structures agricoles, voire des monarques percevaient une part importante des aides communautaires(63). Est également mise en cause la complexité des règles, notamment celles liées à la conditionnalité, à la fois trop contraignantes d’un point de vue administratif et trop peu efficaces d’un point de vue environnemental.

Ces critiques doivent être entendues. Pour autant, toute réflexion concernant l’évolution de la PAC doit prendre en considération la situation actuelle des exploitants. Incontestablement, et dans tous les États membres, elles sont indispensables à la survie des exploitations, même dans les pays qui sont le moins attachés à défendre la PAC comme le Royaume-Uni. Le tableau ci-après mesure l’impact qu’aurait une baisse non compensée des aides.

Impact d’une baisse non compensée de 20 % du paiement unique pour les exploitations

En € par exploitation

En % aides directes

en % val. production

en % EBE

En % RCAI

1. Portugal (-500)

2. Espagne (-700)

3. Grèce (-900)

3. Italie (-900)

5. Autriche (-1 600)

6. Finlande (-2 300)

6. Pays-Bas (-2 300)

8. Irlande (-2 700)

9. Belgique (-2 800)

10. France (-3 400)

11. Luwemb. (-4 400)

11. Suède (-4 400)

13. Allemagne (-5 600)

14. Danemark (-5 700)

15. Royau.-U. (-7 300)

UE-15 (- 1 800)

NEM-12 (- 300)

1. Finlande (-5,0 %)

2. Autriche (-8,2 %)

3. Portugal (-9,5 %)

4. Luxembourg (-10,5 %)

5. Espagne (-11,9 %)

6. Belgique (-12,1 %)

6. Suède (-12,1 %)

8. France (-12,4 %)

9. Irlande (-13,5 %)

10. Pays-Bas (-13,8 %)

11. Grèce (-14,9 %)

12. Royaume-U. (-15,2 %)

13. Italie (-15,5 %)

14. Allemagne (-16,3 %)

15. Danemark (-17,8 %)

UE-15 (- 13,4 %)

NEM-12 (- 7,1 %)

1. Pays-Bas (-0,6 %)

2. Belgique (-1,4 %)

3. Espagne (-1,5 %)

3. Italie (-1,5 %)

5. Danemark (-2,0 %)

6. Autriche (-2,2 %)

7. Portugal (-2,3 %)

7. France (-2,3 %)

9. Allemagne (-2,5 %)

10. Suède (-2,7 %)

11. Luxembourg (-2,8 %)

12. Finlande (-2,9 %)

13. Royaume-Uni (-3,1 %)

14. Grèce (-4,6 %)

15. Irlande (-6,2 %)

UE-15 (-2,2 %)

NEM-12 (- 1,2 %)

1. Pays-Bas (-2,0 %)

2. Espagne (-2,5 %)

3. Italie (-2,6 %)

4. Belgique (-3,1 %)

4. Autriche (-3,1 %)

6. Portugal (-3,9 %)

7. Finlande (-4,3 %)

8. Luxembourg (-4,5 %)

9. France (-5,1 %)

10. Grèce (-5,6 %)

11. Danemark (-6,7 %)

12. Allemagne (-6,8 %)

13. Suède (-7,3 %)

14. Royaume-Uni(-8,2 %)

15. Irlande (-8,7 %)

UE-15 (- 4, 4 %)

NEM-12 (-2,8 %)

1. Espagne (-2,9 %)

2. Italie (-3,2 %)

3. Belgique (-4,8 %°

4. Autriche (-5,0 %)

5. Pays-Bas (-5,2 %)

6. Portugal (-5,4 %)

7. Grèce (-6,8 %)

8. Finlande (-8,3 %)

9. France (-8,6 %)

9. Luxembourg (-8,6 %)

11. Allemagne (-11,7 %)

12. Royaume-U.(-12,7 %)

13. Irlande (-13,0 %)

14. Suède (-14,9 %)

NS. Danemark (ns)

UE-15 (- 6,- %)

NEM-12 (-4,2 %)

Source : INRA.

Quelles sont les justifications des aides aux agriculteurs ?

D’abord, des raisons économiques liées à la fourniture de biens alimentaires selon des normes de qualité qui ont un coût et qui, sans aides, devraient être répercutés sur le prix de vente. Le choix a été fait de ne pas faire payer ce surcoût aux consommateurs mais indirectement, au contribuable. Comme l’a rappelé le commissaire Ciolos, il s’agit de « soutenir, leur revenu de base, conformément au traité. Du fait de l’augmentation des coûts de production, le revenu des agriculteurs a augmenté moins vite que les prix alimentaires, et ces paiements seront nécessaires tant que le problème de la répartition de la valeur ajoutée sur la chaîne alimentaire n’aura pas été réglé »(64). En 2007, les paiements directs ont représenté en moyenne 43 % du revenu des exploitations familiales, contre 49 % en 2008. Pour autant, les agriculteurs ont conscience que, dans la mesure où la PAC sera de moins en moins protectrice, il faudra qu’ils défendent la valorisation de leurs produits. Selon le président de la FNSEA, Xavier Beulin, « il faut plutôt compter sur la valorisation de nos produits que sur les aides de l’État. Si l’on veut reconquérir demain du revenu, on a besoin d’une PAC forte mais surtout de revaloriser la valeur de nos produits »(65).

Cette justification est liée plus largement à la « multifonctionnalité » de l’agriculture(66). La logique de marché voudrait que le marché attribue une valeur économique à ce que les économistes appellent les externalités positives ou biens publics. S’agissant de l’agriculture, la notion de biens publics n’est sans doute pas la plus adaptée : il serait préférable de parler de contribution à l’intérêt général, à savoir la sécurité alimentaire quantitative et qualitative, la préservation du patrimoine animal et végétal et le maintien et la préservation de la biodiversité. Ces services rendus intègrent aussi les enjeux économiques et sociaux tels, l’emploi de la main-d’œuvre locale, la valorisation des terroirs, le développement de démarches de recherche et d’innovation et la contribution au tourisme.

Dans la plupart des cas, les mécanismes du marché sont mal adaptés pour valoriser ce type de démarches. Puisque le marché est déficient et compte tenu des attentes de la société, il est donc rationnel et légitime d’utiliser le levier des subventions publiques. D’ailleurs, la plupart des grands pays producteurs soutiennent leurs agriculteurs, au premier rang desquels figurent les États-Unis, comme le montre l’encadré ci-dessous « la politique agricole aux États-Unis ». Tel est le sens des déclarations du commissaire Ciolos : « L’agriculture joue en effet un rôle économique de production agricole mais il a aussi un rôle de gestion des ressources naturelles et du territoire. L’intervention publique me semble clairement justifiée pour maintenir l’agriculture sur l’ensemble des territoires européens. Concentrer l’agriculture seulement dans certaines régions favorables provoquerait une pression beaucoup plus importante sur les ressources naturelles de ces régions, donc une augmentation à terme des risques de pollution mais aussi la désertification rurale et des problèmes d’environnement d’autre nature »(67).

La communication de la Commission prévoit un soutien en plusieurs strates dont la première serait constituée par une aide de base découplée, uniforme dans un État membre ou une région mais hétérogène sur le territoire européen. Cette aide serait basée sur un droit à paiement et versée sous réserve du respect des exigences de conditionnalité qui devraient évoluer dans le sens d’une simplification. Cette aide serait réservée aux seuls exploitants actifs et serait plafonnée à un nombre maximal d’hectares, avec une prise en compte du nombre des actifs. Un régime spécifique serait envisagé pour les petites exploitations.

La composante environnementale des paiements directs que tous les États membres devraient mettre en place, rémunérerait des mesures annuelles, non contractuelles donc obligatoires, généralisées et simples, allant au-delà de la conditionnalité existante.

Les États membres auraient la possibilité de mettre en place, dans le cadre du premier pilier, un soutien additionnel pour les zones marquées par des contraintes naturelles.

Enfin, dans la continuité de ce qui se fait en application de l’article 68, les États membres pourraient, dans le cadre d’enveloppes dédiées, mettre en œuvre des aides couplées – liées au nombre d’hectares, au rendement, au nombre de têtes de bétail – justifiées par les caractéristiques particulières de certains types d’agriculture ou de certaines zones pour des raisons économiques ou sociales.

Par le verdissement des aides, l’agriculture européenne montrera qu’elle est une solution aux nombreux défis du changement climatique, des équilibres des territoires et de la préservation de la biodiversité. Le groupe de travail ne peut que souscrire à la promotion d’une agriculture soucieuse de l’environnement et encourager son orientation vers le développement durable, qui est de plus un facteur d’acceptabilité par la société.

Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’opposer le revenu aux exigences de durabilité de l’agriculture. La consolidation et la sécurisation du revenu des agriculteurs, le maintien de l’activité dans des zones à handicap naturel et de l’emploi sont largement à mettre au crédit des programmes agro-environnementaux(68).

La prise en compte de l’environnement est actuellement le fait de mesures de conditionnalité posées pour l’attribution des aides du premier pilier ainsi que des mesures agro-environnementales (MAE) du deuxième pilier. Ces MAE sont les seuls instruments spécifiquement ciblés sur des objectifs environnementaux, cependant leur budget relatif reste faible, de l’ordre de 10 % des paiements agricoles(69). De plus, ces mesures –mises en œuvre sur une base volontaire – sont caractérisées par une grande hétérogénéité des programmes, un fardeau administratif relativement lourd, un poids significatif des objectifs non environnementaux et la prévalence de la réduction des pollutions diffuses(70).

Les mesures agro-environnementales du deuxième pilier

En France, la programmation 2007-2013 classe les MAE selon 9 dispositifs :

- la prime herbagère agro environnementale (PHAE)

- la MAE rotationnelle

- l’aide au système fourrager polyculture élevage économe en intrants (SFEI)

- l’aide à la conversion de l’agriculture biologique

- l’aide au maintien de l’agriculture biologique

- la protection des races menacées

- la préservation des ressources végétales menacées de disparitions

- l’aide à l’apiculture

- les MAE territorialisées

Compte tenu de l’importance du premier pilier, l’introduction de mesures environnementales serait un levier de plus grande ampleur que les MAE.

De telles mesures auront certes un effet à court terme sur le revenu agricole. Mais selon une étude d’impact des différentes options de la réforme de la PAC par les services de la Commission européenne, l’instauration d’une composante verte aurait, en moyenne, un effet négatif modeste sur le revenu, qui pourrait varier sensiblement entre les États membres, les régions, les systèmes de production(71). Les agriculteurs en tireront toutefois un bénéfice à moyen et long terme.

Cet élément, ainsi que la justification même de l’attribution des aides (voir supra), plaide pour le maintien d’un socle solide d’aide économique au revenu qui constituerait un premier filet de sécurité. C’est d’ailleurs une des préoccupations du commissaire Dacian Ciolos : « Mon intention est que la part de budget allouée au verdissement soit assez importante pour être incitative mais qu’elle ne crée pas un déséquilibre avec la part consacrée aux soutiens aux revenus des agriculteurs ».

Le choix devra par ailleurs être fait de mesures environnementales efficaces et simples, comme la rotation ou la diversification des cultures, dont on peut espérer qu’elles soient un retour à la raison dans certaines zones de monoculture (éviter les cultures blé sur blé par exemple). Il s’agira de casser certains cycles pour rétablir des pratiques de culture qui ont disparu du fait de la pression économique. Les options possibles devront également se nourrir des engagements agricoles du Grenelle de l’environnement et anticiper les évolutions prévisibles du cadre réglementaire européen (directive sur l’eau).

La mise en œuvre de ces mesures devra se faire progressivement. Les agriculteurs pourraient, par exemple, souscrire à une mesure en 2014 et à une autre, deux ans plus tard.

Par ailleurs, si ces mesures doivent être applicables à l’ensemble du territoire européen avec un cahier des charges commun, la Commission européenne devra toutefois proposer une flexibilité des mesures afin d’adapter les conditions techniques et économiques aux capacités agronomiques et établir des critères selon les secteurs et les régions.

De plus, une bonne articulation des mesures de verdissement nouvelles avec les BCAE et MAE devra être recherchée.

Enfin, ces mesures de verdissement devront aller de pair avec l’objectif transversal de simplification et de lisibilité des aides de la PAC, qui constitue aussi un facteur d’acceptabilité de la PAC, et, en conséquence, ne pas signifier un alourdissement des contraintes administratives.

Ce n’est que dans ces conditions que le verdissement de la PAC sera vécu comme un atout et non une contrainte.

Préconisations du Conseil économique, social et environnemental sur le verdissement des aides de la PAC(72)

Diversification des assolements avec objectif d’allongement des rotations et incluant des légumineuses ou des protéagineux. Cette mesure s’inscrit dans le Plan protéines préconisé ci-après.

Limitation des intrants : les travaux de la recherche sur les cultures à bas intrants sont concluants en termes économiques ; l’usage du bilan azoté doit être préconisé tout en l’améliorant.

Valorisation de la production herbagère : importantes stockeuses de carbone, les prairies, particulièrement les prairies permanentes, jouent aussi un rôle contre l’érosion, les risques d’inondation et participent au maintien de la biodiversité. Bien utilisés, ces systèmes de production peuvent offrir des résultats économiques intéressants pour les éleveurs. Toutefois, cette valorisation dépend étroitement de celle des productions animales herbagères, lait et viande.

Développement des infrastructures écologiques (haies, bosquets, mares, murets et jachères mellifères ou faunistiques). Non intrinsèquement productives, elles doivent être appréciées dans le rôle positif, écologique et économique qu’elles jouent pour améliorer la productivité des surfaces cultivées : aide à la pollinisation des cultures, contributions à la préservation de la biodiversité dont les auxiliaires de culture, au stockage du carbone, au stockage naturel de l’eau dans les parcelles et à sa bonne qualité... Le CESE propose que l’engagement des agriculteurs dans cette mesure soit progressif, passant de 5 % de la surface en 2014, à 7 % en 2020. Les actuels coefficients d’équivalence doivent être révisés en fonction d’une évaluation concertée de leurs effets bénéfiques pour l’environnement et les besoins des agro-écosystèmes. Les jachères doivent pouvoir être mobiles pour maintenir une souplesse dans les rotations des cultures.

Mesures systèmes de production pour valoriser les exploitations en agriculture biologique, ou à Haute valeur naturelle (HVN) ; l’Union européenne devra cependant préciser les objectifs à atteindre et la France devra chercher à harmoniser son concept de Haute valeur environnementale (HVE) avec la HVN européenne.

Complémentarités entre éleveurs et céréaliers : le CESE propose de soutenir des groupes de producteurs de grandes cultures et d’éleveurs voisins pour dégager des synergies positives sur les productions (protéagineux, légumineuses, paille, grain, fumier...). Cette mesure a pour objet d’aider à déspécialiser les zones de production. La diversification et l’association élevage/grandes cultures ont des effets positifs reconnus sur l’économie des exploitations, la fertilité des sols, la gestion des effluents d’élevage, et très positifs sur la biodiversité.

Les aides de la PAC seront d’autant légitimées qu’elles seront perçues comme étant équitables, tant par les citoyens que par les bénéficiaires, à la fois à l’intérieur des États membres et entre les États membres.

l Dans les nouveaux États membres, les DPU n’existent pas et un régime simplifié – le régime de paiement unique à la surface – a été mis en place. Chaque année, tous les hectares admissibles sont dotés de la même valeur unitaire afin que le total alloué soit égal à l’enveloppe financière d’aides directes fixée par l’État membre. Depuis l’élargissement, ce mécanisme est progressivement monté en puissance pour atteindre son maximum en 2016, date à laquelle il a été convenu qu’il sera revu, dans le sens d’une plus grande cohérence entre les États membres.

Les nouveaux États membres s’estiment sacrifiés par la répartition des aides fondée sur des critères historiques. De fait, le graphique ci-dessous montre que le montant qu’ils perçoivent est inférieur au montant moyen dans l’Union européenne, 283 euros. Certains de ces pays, Pologne en tête, ont revendiqué l’application d’un taux uniforme (flat rate).

Une plus grande convergence est indispensable afin de réduire les écarts entre les paiements moyens – de 100 euros à 480 euros –. Si une convergence totale est imaginable à l’horizon 2025-2030, à plus court terme, les écarts de situations économiques entre les États sont tels qu’une approche pragmatique s’impose afin de déterminer une convergence suffisante et acceptable par l’ensemble des États membres.

La position franco-allemande résume les enjeux du débat : « La France et l’Allemagne prennent acte des discussions sur la redistribution des montants entre les États membres dans le cadre d’une répartition juste et adéquate des ressources financières. Dans ce contexte, il faut souligner qu’un taux unique pour l’Europe n’a pas de justification et ne correspond pas aux conditions économiques au sein de l’Union. Ce débat doit prendre en compte la soutenabilité de la position financière des États membres dans le budget européen sur la base de la clé de répartition actuelle ».

Le Parlement européen dans son dernier rapport du 31 mai 2011(73) préconise, quant à lui, de répartir plus équitablement l’enveloppe affectée aux paiements directs et propose que chaque État membre reçoive un pourcentage minimal de la moyenne versée au titre des paiements directs et qu’un plafond soit fixé, dans le cadre d’une période de transition. Cette solution semble compatible avec le niveau d’acceptabilité politique.

l La répartition des aides à l’intérieur des États membres obéit à des règles très différentes car le découplage des aides en 2003 s’est fait de manière différenciée selon les États membres. Une certaine souplesse dans les conditions d’attribution des DPU était laissée aux États membres. Ainsi, il pouvait être choisi soit de doter toutes les surfaces du même montant à l’hectare, soit de donner à chaque agriculteur sous forme de DPU, un montant équivalent aux aides qu’il percevait pendant la période passée (références historiques), soit d’allouer à chaque agriculteur un montant différent, selon des critères objectifs (réallocation).

L’Allemagne a ainsi fait le choix de la première solution en la régionalisant(74). La France a quant à elle choisi le système des références historiques afin de limiter les réticences des exploitants agricoles à l’acceptation du découplage. En 2008, a été introduite la réallocation : une partie des aides découplées n’est plus allouée selon les références historiques mais sur la base de critères objectifs (par exemple pour majorer les DPU des surfaces en herbe).

L’ensemble des personnes auditionnées – de même le Parlement européen(75) – considère que le système des références historiques a vécu et que l’on doit s’orienter vers un rééquilibrage progressif des niveaux d’aides entre régions avec l’abandon de tout lien aux références historiques avant 2020 et une mutualisation entre régions et productions.

Contribueront enfin à légitimer les aides de la PAC, les mesures de plafonnement. En effet, cette problématique se posera avec d’autant plus d’acuité que se renforceront la transparence et les informations accessibles au grand public avec l’obligation de publication de la liste des bénéficiaires. Là encore, il est essentiel de trouver un équilibre entre la demande sociale de plus d’équité et l’opposition de certains États membres, en raison de l’influence que pourrait avoir le plafonnement sur les très grandes exploitations. La France serait d’ailleurs beaucoup moins concernée que des pays comme l’Allemagne ou d’Europe centrale. Afin de ne pas pénaliser les entreprises importantes dans leur compétitivité et dans la mesure où l’on s’oriente maintenant vers une politique agricole qui est de plus en plus une politique économique, il faudrait introduire un mécanisme de dégressivité, modulé en fonction des emplois (masse salariale par exemple). La dégressivité aurait aussi comme avantage d’éviter les scissions des exploitations qui pourraient intervenir afin de contourner les effets du plafonnement.

Le maintien et la diversification des productions agricoles sur l’ensemble du territoire européen sont des objectifs prioritaires et nécessitent en conséquence, un soutien actif à des territoires et des filières, par le biais des aides aux zones défavorisées et des aides couplées.

Actuellement, le soutien aux zones défavorisées se fait par le biais du deuxième pilier. L’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) apporte ainsi un soutien à l’hectare de surface fourragère pour les exploitations situées dans des zones de haute montagne, de montagne, de piémont ou de zones affectées de handicap spécifique.

l La Commission européenne propose de mettre en place, dans le cadre du premier pilier, un soutien zoné en complément du soutien du deuxième pilier.

Le groupe de travail est favorable à la définition d’un tel soutien supplémentaire qui devrait pouvoir être activé indépendamment de la mise en œuvre de l’ICHN. Cela ouvrira un nouveau champ de soutien aux zones affectées de handicap naturel tout en répondant à des objectifs autres que l’ICHN ou prenant en compte d’autres contraintes naturelles. Dans le cadre de la révision du régime de soutien aux zones défavorisées(76) (hors montagne), les critères de zonage devraient être élargis pour inclure l’ensemble des zones affectées de handicaps naturels, les zones défavorisées intermédiaires.

l Les aides couplées sont un outil d’orientation répondant à des objectifs de maintien de production ou de filières fragiles. Elles sont justifiées par les caractéristiques particulières de certains types d’agriculture ou de zones. Elles permettent de rééquilibrer les soutiens entre systèmes de production et sont notamment un levier fondamental pour l’élevage herbivore.

La réforme de 2003 a maintenu la possibilité de maintenir certaines aides couplées à la production qui a été complétée par le bilan de santé au titre des articles 63 et 68 (voir tableau ci-dessous). Parmi les aides couplées, la prime au maintien de troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) présente une importance particulière, du fait de son poids budgétaire (elle représente 3, 4 % des aides directes pour l’ensemble des vingt-sept États membres et plus de 9 % pour la France)(77) et de son caractère stratégique pour le maintien et la structuration de la production bovine dans les zones fragiles et les régions traditionnelles de naissage.

Le maintien d’aides couplées après 2013 devra dégager d’autres marges de manœuvre afin de maintenir la PMTVA, par rapport à l’article 68.

Par ailleurs, les critères de ciblage devront être larges pour être adaptés aux spécificités locales et faire l’objet d’une gestion fine relevant de la responsabilité des États membres ou d’autorités régionales ou locales.

Tant pour ces soutiens couplés que pour les aides aux zones défavorisées, l’ajustement des critères doit relever de la responsabilité des États membres ou d’autorités locales.

l La Commission européenne propose également de cibler les aides sur les agriculteurs actifs et prévoit un schéma de paiement simple pour les petites exploitations.

Si l’on tient compte de la multifonctionnalité de l’agriculture qui permet d’évaluer les exploitations avec une grille d’analyse plus riche que celle de la seule productivité, le soutien aux petites exploitations prend tout son sens, notamment si on le replace dans le cadre d’un projet collectif. Les petites exploitations peuvent alors se montrer compétitives et leur pérennisation peut être envisagée. Ainsi le cas des productions sous appellation est emblématique, car il a permis le développement et la pérennisation de productions agricoles, souvent dans des régions qui se trouvaient à l’écart des grands développements de la PAC. Le groupe de travail estime justifié un soutien simple et spécifique aux petites exploitations, ce qui permettra d’améliorer leur compétitivité. Les critères
– superficie, main-d’
œuvre employée, résultats économiques comme la marge brute – devront être définis, afin de tenir compte des situations différenciées dans les États membres.

La Cour des comptes européenne avait émis un certain nombre de critiques à l’égard de bénéficiaires de la PAC qui n’exercent pas effectivement la profession d’agriculteur. Les aides devraient effectivement être ciblées sur les seuls agriculteurs actifs qui doivent exercer, à titre habituel et à titre indépendant, y compris au sein d’une société, une activité agricole minimale.

Par ailleurs, la refondation des aides pourrait aussi passer par une introduction de critères liés à l’emploi : les aides pourraient être pondérées en fonction du nombre d’actifs.

Compte tenu de la diversité et la disparité des structures et des activités agricoles, une latitude devra être laissée aux États membres pour définir les notions d’agriculteurs actifs et de petites exploitations.

l Le groupe de travail estime qu’une réflexion devrait s’engager sur la possibilité d’aides contracycliques même si idéologiquement, la Commission européenne est peu encline à approuver ce type de dispositif. Les États-Unis ont suivi cette voie (voir encadré supra) avec les aides compensatoires, les aides contracycliques et le programme ACRE(78). Les aides directes de la PAC sont plus tournées vers un soutien au revenu et dans la mesure où elles sont découplées de la production, elles sont rigides par rapport aux modifications des conditions du marché. Cette possibilité d’ajustement serait intuitivement une bonne idée, compte tenu des spécificités des activités agricoles. Il existe certes des obstacles à sa mise en œuvre, tenant notamment à la rigidité du cadre budgétaire européen, à la différence des États-unis. Par ailleurs, cela reviendrait à prendre en compte des revenus différents et à apporter, en quelque sorte, une aide par produit, ce qui serait un retour en arrière par rapport aux réformes relatives au découplage des aides et il est possible que cela ne soit pas compatible avec les règles de l’OMC (cependant, d’autres États se sont affranchis de cette contrainte). Enfin, il se peut que pendant une période favorable, aucun paiement direct ne soit versé : cela doit-il signifier que l’on abandonne toute idée de conditionnalité ? Si l’on peut faire jouer un rôle contracyclique aux dispositifs fiscaux comme les déductions pour aléas (DPA), la réflexion sur les aides contracyclique,s dans le cadre d’une régulation renouvelée, devrait parallèlement être menée.

l Il est enfin fondamental de préparer l’avenir et d’assurer le renouvellement des générations en agriculture : actuellement moins de 8 % des exploitants agricoles européens ont moins de 35 ans et plus de 25 % ont plus de 65 ans. Ces chiffres illustrent l’ampleur du défi générationnel pour l’agriculture européenne. Ce départ à la retraite de nombreux exploitants va de plus se faire dans un contexte difficile – crises des filières, exploitations trop importantes en capital pour être rachetées par des jeunes agriculteurs. C’est pourquoi, dans la mesure où la Commission propose de réorganiser les aides du premier pilier à partir d’une aide de base, il est nécessaire de concevoir une aide ciblant spécifiquement les jeunes agriculteurs sous forme d’un paiement complémentaire, mesure qui pourrait être complétée par des mesures du deuxième pilier (primes à l’installation, prêts bonifiés).

La PAC après 2013 dans les régions ultrapériphériques (RUP)

L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît la situation structurelle, économique et sociale spécifique des Régions ultrapériphériques. Neuf régions sont situées dans trois États membres sont mentionnées à cet article : En France, la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, la Réunion, Saint Barthélemy et Saint Martin ; au Portugal, les Açores et Madère et en Espagne, les Canaries.

En ce qui concerne la PAC, les RUP bénéficient d’un régime particulier, le POSEI (Programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) dont l’objectif est triple : soutien aux filières traditionnelles ( banane, canne à sucre, rhum) ; diversification agricole afin d’accroître le degré d’autosuffisance alimentaire ; régime spécifique d’approvisionnement (RSA) afin de compenser les surcoûts liés à l’approvisionnement pour les intrants agricoles et les produits de première nécessité. Dans son rapport d’octobre 2010, la Cour des comptes européenne a souligné l’efficacité de ce programme et son importance pour l’agriculture des régions concernées.

Dans le cadre des négociations sur la PAC post 2013, il conviendra :

– d’affirmer les spécificités des RUP, conformément à l’article 343 du TFUE : éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement ;

– d’assurer le maintien le niveau des soutiens actuels dans la mesure où les fonds consacrés au POSEI qui dépendent du premier pilier de la PAC doivent être renégociés dans le cadre des nouvelles perspectives financières pour 2014/2020. Cette enveloppe devra être majorée afin de tenir compte de l’accession de Mayotte au statut de département au 1er mars 2011 et qui a exprimé son souhait de devenir RUP au 1er janvier 2014 ;

– de tenir compte de l’impact des négociations commerciales passées, en cours et à venir sur les filières agricoles sensibles, bananes, sucre et rhum. La première production menacée est celle de la banane. L’accord au sein de l’OMC entre l’Union européenne et les pays d’Amérique latine de décembre 2009 a abaissé les droits de douane de 176 euros à 114 euros d’ici 2017(79).Un budget de compensation de 200 millions d’euros (au lieu des 500 annoncés initialement) a été voté par le Parlement européen. Par la suite, en mars 2010, de nouveaux accords ont été conclus avec la Colombie et le Pérou, abaissant encore les droits de douane à 75 euros en 2020. S’agissant du sucre et du rhum, des contingents à droit nul, avec un taux de croissance annuel, sont consentis. Ces concessions vont déséquilibrer l’économie agricole des RUP largement dépendante de ces productions. Ainsi, la banane représente 57 % de la production agricole en Martinique et 17,8 % en Guadeloupe. La canne à sucre représente 20,3 % de la production agricole en Guadeloupe et 6,7 % en Martinique. Le commerce extérieur est étroitement lié à ces produits : le sucre représente à la Réunion, plus de 38,5 % des exportations en valeur. Le groupe de travail demande donc une compensation efficace des effets de ces accords commerciaux.

Dans le cadre des négociations à venir, notamment avec les pays du Mercosur, la protection des RUP doit passer par l’exclusion de l’accès de ces produits sensibles- bananes, rhum et sucre-, ce qui nécessite de prévoir de mécanismes de sauvegarde destinés à protéger les filières locales. En tout état de cause, il faut acter que des études d’impact soient systématiquement réalisées afin de mesurer en amont toutes les conséquences que les accords commerciaux pourraient avoir sur les économies des RUP. Cela éviterait d’avoir à négocier ensuite des mesures de compensation incertaines financièrement et toujours complexes à mettre en œuvre.

La politique de développement rural a été intégrée en tant que deuxième pilier de la PAC en 1999, dans le cadre des réformes de l’Agenda 2000, afin de regrouper plusieurs politiques existantes, notamment l’aide aux zones défavorisées. Le deuxième pilier s’est ensuite étoffé, de façon à devenir une politique intégrée en faveur du développement des espaces ruraux, prenant en compte les différentes dimensions de l’agriculture, au-delà de sa fonction de production. Avec la réforme de 2003, le développement rural a bénéficié de financements supplémentaires grâce à un transfert de ressources du premier pilier, dit mécanisme de modulation.

Les mesures du deuxième pilier font l’objet d’une programmation pluriannuelle et d’un cofinancement. Dans le cadre de la programmation 2007-2013, et en fonction d’orientations stratégiques communautaires, les États membres définissent des programmes de développement rural s’inscrivant dans 4 axes :

Le deuxième pilier est financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Au plan budgétaire, la politique de développement rural représente 20 % des dépenses de la PAC, soit environ 96 milliards d’euros pour la période 2007-2013. La France bénéficie de 7,6 milliards d’euros.

Si elle s’est affirmée ces dernières années comme une politique autonome, le bilan de la politique de développement rural est cependant contrasté. Parmi ses faiblesses, on peut citer la complexité des mécanismes, le manque de clarté des objectifs et les risques de redondances avec le 1er pilier, par exemple en matière d’environnement, ainsi que l’insuffisante coordination avec les fonds structurels.

Le deuxième pilier de la PAC : la politique de développement rural

Le développement rural, devenu le deuxième pilier de la PAC, cofinancé par les États membres, appuie par le biais du FEADER (fonds européen agricole de développement rural), les mesures suivantes :

Axe 1 : Compétitivité de l’agriculture et de la sylviculture

(devant représenter au moins 10 % de l’enveloppe financière totale du programme)

– Ressources humaines : formation, jeunes agriculteurs, conseil, pré-retraite

– Capital physique : investissements, transformation, infrastructures

– Qualité des productions : mise aux normes, promotion de la qualité

Axe 2 : Environnement et gestion de l’espace (au moins
 5 % de l’enveloppe)

– Terres agricoles : agro-environnement, bien-être animal (obligatoire), investissements non productifs, soutien aux zones de montagne et autres zones défavorisées, Natura 2000

Axe 3 : Diversification de l’économie et qualité de vie

(8 mesures devant représenter au moins 10 % de l’enveloppe)

– Qualité de vie : services pour l’économie, rénovation de villages, appui/formation, appui aux stratégies de développement local

– Diversification économique : aides aux micro-entreprises, tourisme

Axe Leader(80) (au moins 5 %) : démarche participative de développement rural associant les différentes activités du monde rural. Cette démarche transversale, qui peut concerner les trois axes précédents, est portée par les Groupes d’Action Locale (GAL)

Les membres du groupe de travail souhaitent que le deuxième pilier continue à prendre en compte certaines priorités, au premier rang desquelles le soutien aux zones défavorisées, élément essentiel de la politique de développement rural, en ce qu’il contribue aux conditions de compétitivité des zones les plus fragiles et permet de préserver les espaces naturels et leur attractivité.

Le régime de soutien aux zones défavorisées et sa révision

Les zones défavorisées sont celles dans lesquelles l’activité agricole souffre de handicaps naturels, tels que des mauvaises conditions climatiques, une forte déclivité dans les zones de montagne ou une faible productivité de la terre.

Le régime de soutien aux zones défavorisées est l’un des éléments de l’axe 2 de la politique de développement rural pour 2007-2013.

Le règlement (CE) 1257/1999 classe les zones défavorisées en trois catégories :

- les zones de montagne handicapées par une période de végétation sensiblement raccourcie en raison de l'altitude, par de fortes pentes à une altitude moindre, ou par la combinaison de ces deux facteurs ;
- les zones défavorisées « intermédiaires » qui présentent l'ensemble des handicaps suivants : mauvaise productivité de la terre ; production sensiblement inférieure à la moyenne en raison de cette faible productivité du milieu naturel et faible densité ou tendance à la régression d'une population qui dépend de manière prépondérante de l'activité agricole.

- les zones affectées par des handicaps spécifiques comme des zones où le maintien de l'activité agricole est nécessaire afin d'assurer la conservation ou l'amélioration de l'environnement, d'entretenir l'espace naturel, de préserver le potentiel touristique ou de protéger les espaces côtiers.
Les agriculteurs souhaitant bénéficier des aides de compensation des handicaps naturels doivent s’engager à poursuivre une activité agricole pendant une période minimale de cinq ans à compter du premier paiement et à exploiter une surface minimale fixée par chaque État membre. Des règles d’admissibilité sont en outre définies au niveau national.

Pour la période 2007-2013, 12,6 milliards d'euros ont été consacrés à ces aides, soit environ 14 % du financement total par le FEADER.

Le 21 avril 2009, la Commission européenne a adopté une communication visant à établir une nouvelle classification des zones agricoles à handicaps naturels qui concerne les zones défavorisées intermédiaires. Cette réforme, dont la mise en
œuvre est prévue à partir de 2014, vise à répondre aux critiques formulées par la Cour des Comptes européenne dans un rapport de 2003, en répondant mieux aux objectifs d’amélioration de l’environnement et de l’espace rural, en introduisant des critères objectifs de classement et grâce à un meilleur ciblage des soutiens. La Commission a invité les États membres à réaliser sur la base des nouveaux critères proposés des simulations nationales. Les travaux menés en France aboutissaient à l’exclusion de zones importantes, objectivement défavorisées. Des études sont en cours afin de proposer de nouveaux critères.

Le développement de la recherche et de l’innovation agronomiques est indispensable pour répondre aux nouveaux défis de la PAC que sont la sécurité alimentaire, la mondialisation, le changement climatique, la nécessité d’une gestion durable des ressources. La recherche agronomique doit aussi permettre d’éclairer les choix politiques en matière de politique agricole, par exemple dans le domaine de la gestion de l’instabilité des marchés.

L’innovation doit donc être un axe essentiel des mesures en faveur de la compétitivité financées par le deuxième pilier, parmi lesquelles on peut citer le transfert de connaissances, la mise au point de nouveaux procédés, les aides aux investissements.

Cet impératif s’impose au-delà de la PAC : la recherche agronomique doit disposer de financements substantiels dans le cadre des politiques de recherche européenne et nationales et il doit exister une cohérence entre les thématiques de recherche prioritaires et les objectifs de la PAC. Le regroupement des efforts de recherche, par des projets européens ou une meilleure coordination des actions nationales, souhaitable de manière générale pour atteindre une masse critique, l’est bien entendu pour la recherche agronomique. L’une des dix thématiques du programme « Coopération » du 7ème programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) concerne l’alimentation, l’agriculture, la pêche et la biotechnologie. Un financement de 1,9 milliard d’euros a été attribué à cette thématique pour la période 2007-2013.

Cette recherche d’une plus forte synergie entre politique de recherche et politique agricole devrait être facilitée par le fait que la réforme de la PAC en 2012 coïncidera avec l’adoption du huitième PCRDT pour la période 2014-2020.

Les circuits courts sont définis au plan national comme les différentes formes de commercialisation où intervient au maximum un intermédiaire. Ils désignent donc deux voies de commercialisation : la vente directe du producteur au consommateur (par exemple les ventes à la ferme, les marchés) et la vente indirecte avec un seul intermédiaire (dans la restauration collective ou traditionnelle, par des commerçants détaillants). Selon cette définition, basée uniquement sur le nombre d’intermédiaires, les circuits courts ne désignent pas forcément des circuits locaux ou de proximité.

Les circuits courts présentent de nombreux avantages :

- ils correspondent à une demande forte des consommateurs, guidés par des préoccupations sanitaires, environnementales et la recherche de qualité ;

- ils favorisent le dynamisme des territoires, par exemple dans les zones périurbaines ou les zones à handicap ;

- ils ouvrent de nouveaux débouchés pour les agriculteurs, à titre principal ou en complément des réseaux traditionnels.

La volonté d’encourager le développement des circuits courts en France s’est manifestée à la suite du Grenelle de l’environnement. Un plan d’action en faveur du développement des circuits courts a été adopté en mai 2009 et la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 inscrit le développement des circuits courts, ainsi que l'approvisionnement en produits agricoles locaux dans la restauration collective publique comme privée dans les objectifs de la politique publique de l’alimentation.

Une convergence avec les objectifs de la PAC serait souhaitable : du fait de leur contribution à la vitalité des territoires et au maintien des activités agricoles dans les zones rurales, il convient de faire du développement des circuits courts l’une des priorités du deuxième pilier. Ces modes de commercialisation participent à la diversité des agricultures qui doit être au cœur de la politique de développement rural.

La qualité est un facteur de compétitivité sur des marchés concurrentiels et internationalisés, grâce à la différenciation des produits agricoles. Elle représente à ce titre un atout indéniable pour l’agriculture européenne. Elle est d’autre part un facteur de développement de l’activité et de l’emploi dans les zones rurales. Comme le souligne le rapport d’information de la Commission des affaires européennes consacré à la politique européenne de qualité(81), « les filières de qualité ont un impact fort sur l’activité économique et sociale de leurs régions de production. Ainsi, la moyenne française d’emplois directs pour 100 000 litres de lait produits est de 0,76 % alors qu’elle est de 2,8 % pour le Saint-Nectaire et de 7,1 % pour le roquefort, deux produits bénéficiant d’une appellation d’origine. Un des facteurs qui a permis aux zones de montagne de résister à la crise laitière est le classement de 30 % de leur production de lait en appellation d’origine contrôlée ».

La production sous signe de qualité revêt une importance particulière dans les zones à handicap naturel, notamment en zone de montagne pour les produits laitiers. La libéralisation rend en effet ces régions plus vulnérables car elle profitera aux zones les plus compétitives.

La politique de développement rural intègre déjà des actions en faveur de la politique de qualité. Ainsi, en France, des financements sont prévus dans le cadre du programme de développement rural pour l’aide à la production sous signe de qualité, ainsi que le soutien des actions de promotion de la production sous signe de qualité.

Le soutien à la politique de qualité, qui inclut les mesures en faveur de l’agriculture biologique, doit figurer parmi les priorités du deuxième pilier dans le cadre de la future PAC, du fait de l’importance décisive des aides pour les agriculteurs souhaitant initier ou poursuivre une démarche de qualité.

Au-delà de ces actions, les aspects réglementaires sont essentiels. A cet égard, la réforme de la politique de qualité en cours au niveau européen, avec la présentation par la Commission européenne d’un « paquet qualité » en décembre 2010, devra être cohérente avec les objectifs de la PAC.

III. FACE À L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS AGRICOLES,
L’URGENCE D’UNE RÉGULATION RENFORCÉE

Dans le cadre de l’OCM unique de 2007(82), qui regroupe 21 produits agricoles, des outils d’intervention ayant pour objectif de soutenir les prix en cas de crise sont prévus, de façon différenciée selon les productions. En cas de baisse des prix par rapport au prix d’intervention, qui est un prix minimal, des mécanismes de soutien des marchés peuvent être déclenchés (stockage public, aide au stockage privé, aide à la transformation, aide à l’écoulement). Ces mesures s’accompagnent d’un prélèvement variable sur les importations, en fonction d’un prix de seuil. Lorsqu’un stockage public est prévu, les stocks sont ensuite écoulés sur le marché intérieur ou à l’exportation, avec des restitutions à l’exportation compensant l’écart entre les prix sur le marché intérieur et les prix mondiaux.

Les réformes de la PAC de 1992, 2003, ainsi que les décisions prises dans le cadre du bilan de santé en 2008 ont cependant considérablement réduit les possibilités d’intervention publique en matière de régulation des marchés. Ainsi, l’abaissement très important des prix d’intervention a fortement limité le soutien par les prix, accusé de favoriser la surproduction et d’avoir un coût budgétaire trop élevé. La suppression de différents instruments de gestion de l’offre a parallèlement été programmée : elle sera effective en 2015 pour les quotas laitiers et en 2016 pour les droits de plantation dans le domaine vitivinicole. Et en 2013, l'Union européenne s’est engagée à supprimer les restitutions à l’exportation dans le cadre du cycle de Doha.

Source : Revue des chambres d’agriculture.

Ce mouvement de dérégulation semble cependant s’être aujourd’hui infléchi, sous l’effet des crises liées à la volatilité des prix agricoles mondiaux intervenues depuis 2007-2008, notamment la crise du lait de 2008-2009.

La crise du lait de 2008-2009

Le secteur du lait et des produits laitiers a traversé en 2008-2009 une très grave crise. Les prix mondiaux ont tout d’abord connu une flambée en 2007, en raison de la forte augmentation de la demande et de la baisse de la production mondiale, qui a suivi une période de sécheresse en Océanie. Puis, à la fin de l’année 2008, la demande de produits laitiers s’est effondrée, sous l’effet de la crise économique et du niveau très élevé des prix, alors que la production européenne est restée stable. Les prix du lait et des produits laitiers se sont effondrés dans l’ensemble des États membres de l’Union. La baisse des prix au printemps 2009 par rapport à leur niveau haut de 2007-2008 a atteint 44 % en France, 41 % en Allemagne, 40 % aux Pays-Bas, 30 % au Royaume-Uni et 19 % en Italie. Cette chute, associée à une hausse des prix des intrants (alimentation animale, énergie), a placé de nombreux producteurs dans une situation très difficile. En 2009, les revenus des éleveurs français ont ainsi reculé de plus de 50 %.

La répercussion de l’effondrement des cours mondiaux sur les prix dans l’Union européenne s’explique par la suppression progressive des instruments de gestion de marché depuis la fin des années 1990 : baisses importantes des prix d’intervention et durcissement des conditions (limitations de durée et de volume), disparition des quotas laitiers à compter de 2015, précédée de leur augmentation depuis 2009.


Face à cette crise, et à la demande de la France, soutenue par une majorité d’États membres et le Parlement européen, différentes mesures ont été prises par l’Union européenne. La Commission a utilisé les instruments de régulation du marché encore à sa disposition dans le cadre de la PAC (stockage, restitutions à l’exportation). La période d’intervention a été étendue à toute l’année. Au total, environ 75 000 tonnes de beurre et 250 000 tonnes de lait écrémé en poudre ont été achetées en 2009. Les produits retirés du marché ont représenté 1 à 2 % de la production laitière globale. L’Union européenne a également attribué une aide d’urgence de 300 millions d’euros au secteur laitier (« fonds laitier européen »).

La crise a contribué à mettre en évidence les facteurs de fragilité du secteur laitier : de fortes rigidités de l’offre et de la demande, des coûts élevés, un déséquilibre des pouvoirs de marché entre producteurs et acheteurs, une forte volatilité des prix dont les producteurs européens ne sont plus isolés. La Commission a décidé de réunir un groupe d’experts pour mener une réflexion sur l’avenir du secteur à moyen et long terme et d’étudier les solutions dans la perspective de la suppression des quotas laitiers au 1er avril 2015. Il s’agissait, sans s’écarter des décisions du bilan de santé, de faire des propositions pour l’élaboration d’un cadre réglementaire susceptible de contribuer à stabiliser le marché et les revenus des producteurs et à améliorer la transparence. Le groupe, composé de représentants des 27 États membres, et présidé par le directeur général de l’agriculture de la Commission européenne, s’est réuni d’octobre 2009 à juin 2010. Ses recommandations ont été prises en compte dans la proposition de règlement sur les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers présentée par la Commission européenne le 9 décembre 2010.

Les récentes crises ont favorisé une certaine prise de conscience de la nécessité du maintien d’instruments de marché. La communication de la Commission du 18 novembre 2010 ne prévoit heureusement pas de poursuivre le démantèlement des outils existants et ne remet pas en cause leur architecture générale.

Malgré l’infléchissement d’un discours jusque-là exclusivement libéral, la Commission reste assez vague sur la question de la régulation, se limitant à évoquer la nécessité de mesures d’adaptation, d’une rationalisation et d’une simplification des instruments existants, ainsi que de l’introduction de nouveaux éléments stratégiques relatifs au fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

Elle cite à cet égard :

- l’extension des périodes d’intervention ;

- l’application de la clause de perturbation du marché : l’article 186 du règlement « OCM unique » dispose que la Commission peut prendre des mesures d’urgence en cas de perturbation grave des prix sur le marché intérieur. Cette possibilité est limitée à certaines productions(83). Cette clause a été étendue au secteur laitier à la suite du conseil des ministres de l'agriculture de novembre 2009 ;

- l’extension de l’application du régime du stockage privé à d’autres produits que ceux actuellement concernés.

La Commission précise que ces mesures ne devront servir que de « filet de sécurité » en cas de crise des prix et de perturbation du marché.

Comme le demande la France, un net renforcement de la régulation est nécessaire dans le contexte de la volatilité des prix agricoles au plan mondial. L’Union européenne n’a actuellement pas les moyens, ni financiers, ni juridiques, d’intervenir efficacement en cas de crise. Les interventions devraient en outre avoir une dimension préventive.

Il existerait des marges de manœuvre pour renforcer la régulation au niveau européen. Au plan budgétaire, la part des dépenses de la PAC consacrée aux mesures de soutien des marchés est aujourd’hui très faible, puisqu’elle est passée, à la suite des réformes successives de la PAC, de 60 % pendant les années 1980 à 8 % en 2007-2008.

La réduction des dispositifs de soutien aux marchés a été notamment justifiée par la nécessité de se conformer aux règles de l’OMC. Cependant, des études montrent que d’autres pays développés soutiennent plus leur agriculture que ne le fait l’Union européenne.

L’Union européenne dépense pour l’agriculture deux fois moins que les États-Unis

L’agence Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture) a élaboré un indicateur dont l’objectif est d’évaluer la réalité des soutiens accordés au secteur agricole dans les différents États du monde, le SGPA (soutiens globaux à la production agricole).

Selon les chiffres publiés le 21 juin 2011, les Européens ont dépensé en moyenne sur les années 2006-2009, deux fois moins que les USA, si l’on intègre toutes les formes de soutiens indirects, tels l’impact des taux de change, l’aide alimentaire interne ou les mesures fiscales.

Sur la période 2004-2009, les soutiens agricoles globaux américains ont augmenté de 65 %, passant de 98,2 milliards de dollars à 162,3 milliards de dollars. Sur la même période, les soutiens agricoles globaux européens ont crû de 21 % (81 milliards d’euros en 2009 contre 67 milliards d’euros en 2004).

En Europe, l’accroissement des soutiens globaux agricoles s’explique essentiellement par une augmentation des soutiens au niveau de vie des agriculteurs, des soutiens à l’organisation des marchés et au développement des filières et des soutiens à l’investissement. Aux USA, cet accroissement s’explique par une augmentation des soutiens budgétaires et notamment de l’aide alimentaire publique, une politique monétaire et un taux de change favorable.

Rapportés au nombre d’habitants, le SGPA était 2,4 fois plus élevé aux USA qu’en Europe en 2009 (en moyenne, 1,9 % fois supérieur sur la période 2004-2009) et, rapporté à la production agricole totale en valeur, il était 2,7 fois plus élevé aux USA.

La politique américaine est en fait beaucoup plus réactive aux variations de prix. En Europe, les soutiens à l’agriculture sont des soutiens directs au niveau de vie et la logique des soutiens découplés de la production rend la politique européenne plus rigide aux modifications des conditions de marché.

A l’inverse, aux USA, les soutiens à l’agriculture concernent à la fois la production (soutiens directs et couplés à la production) et la consommation (stimulation de la consommation domestique et extérieure). C’est notamment le cas de l’aide alimentaire qui représente plus de 50 % de l’ensemble des soutiens agricoles versés en 2009. La logique qui prévaut vise donc d’abord à sécuriser et dynamiser le marché des produits agricoles américains de l’amont (producteurs) vers l’aval (consommateurs) de manière contracyclique.

Les avantages et inconvénients de ces systèmes mais remet en cause le cadre de négociation de l’OMC où l’Union européenne figure à tort au banc des accusés.

La présidence française du G20 qui tente de parvenir à un consensus international sur l’amélioration de la régulation des marchés agricoles mondiaux insiste sur un préalable : la transparence des informations sur les marchés agricoles, physiques et financiers. Cette exigence doit s’appliquer à toutes les formes de soutiens directs et indirects dans la perspective du renforcement de la coopération internationale.




Pour consulter l’étude détaillée, voir www.momagri.org

Il n’existe cependant pas de majorité au sein du Conseil pour soutenir un renforcement de la régulation qui irait au-delà d’un « filet de sécurité ». Ainsi, l’Allemagne a une approche prudente, s’expliquant notamment par des raisons budgétaires. La position commune franco-allemande du 14 septembre 2010 reflète à cet égard un compromis : elle souligne la nécessité d’un « cadre de régulation adapté (avec entre autres des paiements directs aux exploitants, des instruments de marché modernes fonctionnant comme un filet de sécurité, des organisations de producteurs) afin d’amortir les effets dévastateurs d’une volatilité croissante des prix et des crises de marché ». La réunion parlementaire franco-allemande sur la PAC qui s’est tenue au Sénat le 3 février 2011 a également montré certaines différences de point de vue entre nos deux pays sur ce thème.

Les États traditionnellement attachés à une politique tournée vers le marché, notamment le Royaume-Uni et les pays nordiques, ne sont naturellement et idéologiquement pas favorables à un renforcement de la régulation.

Les conclusions approuvées par vingt États membres, le 17 mars 2011 indiquent que les mesures de marché actuelles doivent rester un filet de sécurité mais que la Commission doit les utiliser avec davantage de flexibilité et de rapidité. Là encore, le discours reste assez général, compte tenu des conceptions différentes des États membres. On peut notamment s’interroger sur la signification exacte de l’expression « filet de sécurité » : l’efficacité des instruments dépendra d’où sera placé le curseur pour déclencher l’intervention. La notion de flexibilité elle-même est pour l’instant peu précise : cette flexibilité doit-elle concerner les prix, les quantités, les périodes d’intervention ?

De même, la résolution adoptée par la commission de l’agriculture du Parlement européen le 25 mai dernier affirme la nécessité de mesures de soutien du marché en cas de crises, qui soient efficaces, activées rapidement et d’usage souple.

La stabilité requiert une meilleure régulation des marchés de matières premières agricoles, qu’il s’agisse des marchés financiers ou des marchés physiques, comme le recommande le rapport déjà cité de MM. Jean-Pierre Jouyet, Christian de Boissieu et Serge Guillon sur l’instabilité des marchés agricoles.

S’agissant des marchés financiers de matières premières agricoles, les auteurs préconisent :

– un encadrement des intermédiaires agissant sur ces marchés (règles d’organisation, de gestion des conflits d’intérêts, de capital réglementaire minimal) qui sont actuellement exclus du champ de la directive sur les marchés d’instruments financiers lorsqu’ils n’appartiennent pas à une banque ou à un opérateur financier ;

– une amélioration de la transparence et de la sécurité des marchés dérivés de matières premières pour permettre aux régulateurs d’exercer une surveillance (bases de données sur les transactions). Dans une telle perspective, il est positif que les conclusions du Conseil « Agriculture » du 23 mai dernier encouragent la Commission à présenter des propositions pour améliorer la transparence et la régulation des marchés de dérivés des produits de base, dans le cadre de la révision de la directive concernant les marchés d’instruments financiers et de la directive relative aux abus de marché ;

–  la transparence sur les positions respectives des opérateurs physiques ou financiers sur les marchés de matières premières, avec une surveillance de l’évolution de la part respective des financiers et des utilisateurs finaux sur les marchés dérivés ;

–  la possibilité d’autoriser les opérateurs à imposer des limites de position afin que celles-ci ne s’éloignent pas excessivement des stocks existant et des livraisons attendues ;

– la clarification de l’application aux marchés dérivés de matières premières de la législation sur les abus de marché (manquements d’initiés ou manipulation de cours).

Le rapport souligne également l’intérêt de développer les marchés à terme de produits agricoles en Europe. Actuellement les marchés à terme américains occupent une place prédominante et, comme ils ne correspondent pas toujours aux variétés et aux standards européens, ils ne proposent pas des produits permettant une couverture optimale du risque prix pour les opérateurs européens.

Concernant les marchés physiques, les auteurs recommandent un meilleur encadrement :

–  par la création d’une agence européenne de régulation des marchés physiques de produits agricoles comme il en existe dans le domaine de l’énergie ;

– grâce à une meilleure transparence sur les stocks et les récoltes et au développement de politiques coordonnées de stockage au niveau international, ce qui permettrait d’éviter une spéculation excessive sur les produits agricoles ;

–  par l’organisation d’une nouvelle gouvernance mondiale avec la création d’un « forum de stabilité agricole », informel et transversal, rattaché au G20.

La réunion des ministres de l’agriculture du G20 qui s’est tenue à Paris les 22 et 23 juin derniers a permis l’adoption d’un plan d’action pour lutter contre la volatilité des prix agricoles.

Celui-ci comprend trois axes :

– l’amélioration de l’information et de la transparence sur les marchés avec la création d’une base de données visant à encourager les États à partager les données ;

– l’amélioration de la coordination internationale grâce à la mise en place d’un « forum de réaction rapide » au niveau du G20 afin de prévenir et gérer les crises alimentaires de manière plus efficace ;

– le développement de la production agricole dans le long terme de manière à satisfaire la demande croissante.

Les ministres ont par ailleurs recommandé de nouvelles règles de fonctionnement pour les marchés de matières premières agricoles, permettant une meilleure régulation de ces marchés.

Parallèlement aux initiatives françaises au plan international, la Commission européenne a annoncé le 17 mai dernier des propositions relatives à la création d’un système d’information sur les marchés physiques et d’un mécanisme de « première alerte » sur les prix au niveau régional et mondial.

Au-delà des principes généraux, et comme l’ont indiqué aux rapporteurs plusieurs personnes auditionnées, l’un des obstacles au développement d’une réflexion innovante sur la régulation dans le cadre de la PAC est le retard pris en la matière depuis de nombreuses années, du fait de l’orientation libérale des réformes successives de la PAC. Ce n’est que depuis les crises récentes que des travaux sur ce thème ont été menés.

Le rapport sur la régulation présenté par M. Bernard Sénécal au nom du Conseil général de l’alimentation, l’agriculture et des espaces ruraux(84) souligne que la stratégie de l’orientation par le marché n’a pas tenu compte des imperfections des marchés agricoles, notamment des rigidités de l’offre et de la demande, du déséquilibre des pouvoirs de négociation entre producteurs et acheteurs au sein des filières, des aléas climatiques et sanitaires, facteurs d’instabilité.

Il met en évidence l’inefficacité du système actuel, reposant sur des aides directes, prévues à l’origine pour compenser partiellement la baisse du prix d’intervention, mais qui ne suffisent plus lorsque les prix mondiaux s’effondrent. Les marchés à terme ne permettent pas de gérer de manière satisfaisante la volatilité des prix, notamment parce qu’ils n’existent pas pour l’ensemble des produits. Enfin, les instruments de stabilisation des revenus, comme les assurances récolte ou chiffre d’affaires, sont encore peu développés et ont un caractère exclusivement annuel.

Dans ce contexte, il convient de mettre en œuvre une nouvelle régulation, qui ne doit pas se limiter à une gestion de crise, notamment en raison du besoin permanent de transparence des marchés et du coût plus élevé des interventions a posteriori par rapport à une action préventive. Le rapport propose de laisser une large part au marché, tout en instaurant des garde-fous, prix planchers ou plafonds, destinés à éviter les crises affectant la production comme la consommation.

Les membres du groupe de travail souscrivent à ces propositions et considèrent que les prix d’intervention ne doivent pas se situer à un niveau excessivement bas car une telle situation s’oppose à une action en temps utile, et dans certains cas supprime de fait toute efficacité de l’intervention.

La généralisation à l’ensemble des secteurs de la clause de perturbation des marchés prévue pour certains produits est souhaitable pour permettre une réponse efficace en cas de crise.

Il convient par ailleurs de noter que le commissaire à l’agriculture M. Dacian Ciolos a indiqué, lors de son audition par les commissions des affaires économiques et des affaires européennes le 25 mai dernier, que la Commission étudiait la possibilité de déclencher certaines mesures d’intervention en fonction non seulement de la variation de prix, mais aussi de la variation de la marge revenant à l’agriculteur, qui peut être liée aux coûts de production, et non pas aux prix. Cette proposition semble intéressante mais il conviendrait de disposer d’éléments supplémentaires sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre.

Outre la question du principe même d’une intervention et des conditions de son déclenchement, se pose celle des instruments les plus efficaces.

L’opportunité de développer le stockage public fait l’objet de doutes importants. Pour certains, il s’agit en effet d’une solution irréaliste. MM. Jean Cordier et Alexandre Gohin, chercheurs à l’INRA, auditionnés par le groupe de travail, ont considéré que le stockage public ne constituait pas une réponse adéquate à l’instabilité des marchés, dans la mesure où il n’y avait aucune garantie que l’État dispose de plus d’informations que les acteurs privés. Ils ont en outre souligné que les politiques de stockage ont dans le passé été manipulées, de façon à soutenir de manière excessive les prix, et qu’elles peuvent faire l’objet d’attaques spéculatives. Ils ont donc exprimé leur préférence pour une régulation financière et non physique et un développement des marchés privés du risque.

Le député européen M. Michel Dantin a jugé, lors de son audition que le développement du stockage public dans l’Union européenne était impossible pour des raisons logistiques, en raison du démantèlement des installations ou de leur vieillissement. Il a en outre estimé que l’efficacité des interventions par le biais du stockage public était limitée dans une économie mondialisée.

Il convient de bien distinguer deux conceptions de l’utilisation des stocks : les stocks d’intervention utilisés pour agir sur les prix ou les stocks de sécurité en cas de pénurie, cette seconde conception faisant l’objet d’un plus large accord.

L’aide au stockage privé, utilisée récemment par la Commission européenne dans le secteur de la viande porcine, peut être également un instrument utile, et il conviendrait d’analyser la question de son articulation avec le stockage public. La Commission européenne envisage de proposer l’extension de l’aide au stockage privé à de nouveaux produits(85), ainsi que la possibilité de ne l’accorder que pour certaines régions où existent des déséquilibres, comme l’a indiqué le commissaire à l’agriculture M. Dacian Ciolos lors de son audition par les commissions des affaires économiques et des affaires européennes le 25 mai dernier.

Il est par ailleurs nécessaire de maintenir des instruments de gestion de l’offre. Cette question concerne avant tout le secteur vitivinicole, pour lequel la suppression des droits de plantation a été programmée à partir de 2016, mais pourrait aussi concerner le secteur sucrier où il existe également des quotas.

Inclure la viticulture dans le champ des négociations sur la PAC

La communication du 18 novembre 2010 ne fait aucune mention du secteur viticole et la Commission a affiché son intention de ne pas inclure la filière viticole dans le champ des négociations à venir de la PAC post 2013. Elle fait valoir la récente réforme du secteur en 2008 et une évaluation d’ici fin 2012 de son impact. Elle propose de maintenir les dispositions actuelles concernant le secteur et notamment les enveloppes nationales jusqu’à la fin 2015.

La filière viticole ne peut être absente du débat en cours
car :


– 
le débat budgétaire englobe tous les secteurs de l’agriculture :

La filière viticole, via les enveloppes nationales, bénéficie de crédits budgétaires du premier pilier sous la ligne « Intervention sur les marchés agricoles ». Elle n’échappera donc pas aux arbitrages budgétaires à venir. L’annonce de prolonger de deux années les programmes nationaux n’est pas une réponse satisfaisante dans la mesure où aucune assurance ne peut être donnée pour la période 2015-2020. Il est donc nécessaire que ce dispositif soit prolongé sur la même période que les perspectives financières. La généralisation des paiements directs découplés (DPU) n’est pas une réponse adaptée car des aides ciblées sur certains territoires et certaines exploitations seraient remplacées par des soutiens faibles pour l’ensemble des viticulteurs.


– 
la viticulture s’inscrit pleinement dans les objectifs fixés dans la communication de la commission, à savoir, la production viable, la gestion durable des ressources naturelles et le développement territorial équilibré. La contribution de la filière à ces objectifs doit être prise en compte à travers des mesures spécifiques sur le deuxième pilier.

– 
une priorité : maintenir le régime des droits de plantation

Le principe de la limitation des droits de plantation a été introduit au niveau communautaire dans le cadre de la première organisation commune du marché vitivinicole (OCM) en 1976. Dans un arrêt de 1979, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a jugé que ce système ne pouvait qu’être provisoire : une date butoir a donc été fixée, dont le délai a été prorogé par les OCM successives.

Les viticulteurs peuvent disposer de différents types de droits de plantation :

– les droits octroyés à la suite d’un arrachage de vigne ou droits de replantation ;

– les droits ne provenant pas de l’arrachage d’une superficie équivalente de vigne, c’est-à-dire les droits de plantation nouvelle et les droits prélevés sur une réserve.

D’inspiration libérale, la réforme de l’OCM de 2008 mise sur une restructuration rapide du secteur vitivinicole reposant sur un assainissement du marché, grâce à la mise en place d’une politique d’arrachage, suivie de la suppression des droits de plantation afin de permettre aux producteurs compétitifs de répondre librement à la demande.

Un régime d’arrachage volontaire sur une durée de trois ans a ainsi été mis en place pour offrir une formule de substitution aux producteurs qui ne peuvent affronter la concurrence et éliminer du marché les excédents de production et les vins non compétitifs.

Les droits de plantation devraient ensuite être supprimés au niveau de l'Union européenne à compter du 1er janvier 2016, les États membres pouvant faire le choix de les maintenir au niveau national jusqu’en 2018.

La libéralisation totale des droits de plantation fait peser des risques sur le secteur vitivinicole européen car le système des droits de plantation participe à un meilleur équilibre entre l’offre et la demande, qui n’est pas toujours assuré par le marché.

La suppression de l’encadrement des plantations pourrait avoir des conséquences tant sur le marché des vins de table que sur celui des vins d’appellation. Pour les vins de table, le risque est celui d’une délocalisation d’une partie du vignoble vers d’autres États où les coûts de production sont moindres ou au sein d’un même État, des coteaux vers les plaines plus faciles d’accès et plus fertiles. Pour les vins à appellation, on pourrait assister à des détournements de notoriété car il deviendra possible d’implanter un vignoble à l’intérieur d’une zone d’appellation ou en limite proche.

Plus largement, des conséquences négatives sont à craindre sur la qualité des vins produits, l’emploi, l’aménagement du territoire, ainsi que sur les paysages, l’environnement et le tourisme.

Dix États membres (France, Allemagne, Italie, Espagne, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie) se sont prononcés à ce jour en faveur du maintien des droits de plantation mais cela ne permet pas d’atteindre la majorité qualifiée requise au Conseil. La proposition de résolution sur l’avenir de la PAC adoptée le 25 mai dernier par la commission de l’agriculture du Parlement européen demande également leur maintien.

Il convient de renforcer la mobilisation en faveur du maintien des droits de plantation au niveau européen. Dans cette perspective, une résolution européenne de l’Assemblée nationale devenue définitive le 19 juin 2011(86) demande l’inscription du régime des droits de plantation comme règle permanente dans la future PAC.

Si les droits de plantation étaient supprimés, le secteur du sucre serait le dernier à bénéficier de mécanismes de gestion de l’offre, dont le maintien est également un enjeu.

Donner a la filière sucrière européenne le temps de devenir compétitive

L’enjeu alimentaire

Le sucre, très utilisé dans la palette alimentaire, tient une place importante dans le modèle européen tout en étant en première ligne dans les pays émergents et les pays en développement.



Avec le développement de la consommation de sucre, le recours à la production de sucre de betterave contribuera à répondre à une demande croissante.

Une nouvelle donne mondiale

L’Union européenne est dépendante des importations pour 25 % de sa consommation, après avoir été longtemps parmi les 5 premiers exportateurs mondiaux avec 20 % de sa production exportée.

Cela résulte principalement d’une part de l’accord « Tout sauf les armes » qui ouvre le marché du sucre européen aux importations de sucre des pays les moins avancés (sans droit de douane et sans contingent) et d’autre part, par la condamnation par l’OMC en 2005 , du système d’exportations de sucre.

En 2009, on note une inflexion de la donne mondiale. Une situation de pénurie s’est installée et les prix ont flambé. Le Brésil, un des principaux producteurs de sucre de canne, a poursuivi le développement de sa production mais avec des coûts en hausse, suite notamment aux impératifs de mécanisation et à la hausse des salaires. Les estimations sur la production mondiale de sucre pour 2010/2011 sont à la baisse. L’Organisation mondiale du sucre (ISO) a estimé que la production ne dépasserait pas 168 millions de tonnes, en raison des gels, précipitations et sécheresse en Russie, Chine et Australie. La récolte brésilienne – attendue à 40 millions de tonnes- ne devrait pas augmenter. Les hausses attendues en Inde (28 millions) et en Thaïlande ne suffiraient pas pour inverser la tendance. Les stocks mondiaux devraient atteindre un niveau historiquement bas. Cette situation tendue a amené la Commission européenne à prendre des mesures pour favoriser l’approvisionnement en sucre : écoulement sur le marché communautaire de 500 000 tonnes de sucre hors quota et importation favorisées par un droit de douane réduit sur 300 000 tonnes.

Maintenir la régulation pour être compétitif après 2013


Le système sucrier communautaire repose sur des quotas de production et sur un prix minimum. Ce cadre réglementaire a constitué un facteur de stabilité pour les producteurs et a ainsi encouragé une politique d’investissements favorables à la productivité. Il a aussi contribué à éviter la flambée des prix du sucre en 2010 et 2011 dans l’Union européenne.



Il serait paradoxal que le prochain règlement sucre post 2014 supprime ce système régulateur alors que la dérégulation des marchés agricoles augmente la volatilité des prix et au moment où les écarts de compétitivité entre l’Europe et ses concurrents se réduisent.

Casser la régulation betteravière aurait des répercussions négatives sur l’ensemble des grandes cultures : la diversité des assolements et des productions joue un rôle d’amortisseur lors des retournements de marché. Par ailleurs, la filière sucre contribue à l’industrialisation des territoires : les usines sucrières sont un maillon important de l’économie rurale et génèrent des emplois indirects. Des avancées dans la recherche agronomique (programme de recherche sur le génome de la betterave prévu dans le cadre du Grand emprunt) offrent des perspectives d’augmentation des rendements et une possibilité d’allonger les campagnes.

L’engagement de l’Union européenne en faveur de la gestion privée des risques en matière agricole est une évolution récente. Ce n’est en effet que dans le cadre du bilan de santé de la PAC qu’un financement de l’Union européenne dans le domaine de la gestion des risques et des aléas a été introduit. Conformément au règlement n° 73/2009 du 19 janvier 2009, les États membres peuvent apporter une contribution au paiement des primes d’assurance récolte représentant jusqu’à 65 % du montant de la prime. Les États membres peuvent bénéficier d’un cofinancement par le budget de l’Union à hauteur de 75 % de l’aide à l’assurance récolte, ainsi que de la participation aux dépenses de gestion des fonds de mutualisation professionnels.

Alors qu’auparavant, seule l’Espagne disposait d’un système d’assurance récolte bénéficiant de financements publics(87), la France, l’Italie et les Pays-Bas ont souhaité, à la suite du bilan de santé, rediriger des crédits du premier pilier en application de l’article 68 du règlement sur les aides directes, vers le financement de contributions aux primes d’assurance. En France, un financement annuel de 133 millions d’euros devrait être consacré chaque année aux aides à l’assurance récolte, dont 100 millions d’euros de crédits communautaires et 33 millions d’euros de financements nationaux. Les productions concernées sont les grandes cultures, la viticulture et l’arboriculture. Le taux de subvention maximal des primes est de 65 %.

La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 crée un fonds national de gestion des risques en agriculture qui se substitue au fonds national de gestion des calamités agricoles (FNGCA). Celui-ci finance les contributions aux fonds de mutualisation, à l’assurance récolte et l’indemnisation des calamités agricoles.

Outre la question de la couverture des risques climatiques se pose celle de la couverture des risques économiques liés à l’instabilité des marchés et des revenus. Dans sa communication du 18 novembre 2010, la Commission européenne propose d’intégrer au deuxième pilier un ensemble d’outils de gestion des risques économiques. Elle cite la possibilité d’un nouvel outil de stabilisation des revenus compatible avec la boîte verte de l’OMC, ainsi que d’un soutien renforcé aux assurances et aux fonds mutualisés.

Le fait d’intégrer ces instruments au deuxième pilier présenterait l’avantage de permettre des financements pluriannuels.

Actuellement, des systèmes de stabilisation des revenus existent aux États-Unis et au Canada. La Commission européenne a réalisé en 2009 une étude sur la possibilité de mettre en place un tel instrument dans l’Union européenne(88). Pour une compensation de 70 % des pertes des exploitations ayant subi plus de 30 % de perte de revenus (ce qui correspond au système mis en œuvre au Canada), elle évalue le niveau moyen de compensation à 6 milliards d’euros par an pour l’ensemble de l’Union européenne.

L’idée, déjà évoquée dans le présent rapport, d’introduire des paiements contra-cycliques dans le premier pilier, à l’image du système existant aux États-Unis, est également une piste intéressante pour permettre une meilleure gestion des risques.

La Commission propose dans sa communication du 18 novembre 2010 de rééquilibrer les relations entre acteurs au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, le déséquilibre de ces relations se traduisant par une baisse de la part de la valeur ajoutée revenant aux agriculteurs, passée de 29 % en 2000 à 24 % en 2005. Cette volonté de rééquilibrage s’est récemment manifestée dans les propositions de la Commission européennes relatives au secteur du lait, dites « mini paquet lait ».

La filière laitière : un secteur emblématique pour la PAC 2013

Après les crises de surproduction, le secteur laitier a été encadré par les quotas laitiers en 1984 et des instruments de soutien des prix à la production. Depuis la disparition programmée des instruments de régulation (suppression des quotas en 2015), le prix du lait est de plus en plus dépendant des cours internationaux. Le marché du lait étant un marché de surplus très étroit- il ne concerne que 6 % de la production mondiale, essentiellement de la poudre de lait et du beurre-, le prix du lait européen suit la courbe de la poudre de lait de Nouvelle Zélande.

Le secteur laitier se caractérise par une forte rigidité de la demande- peu sensible aux variations de prix- et de l’offre de court terme, liée au cycle de production. Ces rigidités participent à la volatilité des prix des produits réalisés sur les excédents de stocks – beurre et poudre de lait- qui constituent la variable d’ajustement. De même, le fort impact des coûts des intrants (alimentation du bétail, énergie) entraîne une rigidité des coûts de production.


Les trois niveaux de la chaîne laitière- production, transformation et distribution- se caractérisent par un niveau élevé d’intégration verticale et un pouvoir de négociation des acteurs très divers, les producteurs représentant le maillon économique le plus faible de cette chaîne avec une production très atomisée. Ce déséquilibre est accentué par l’absence de marché spot du lait (coûts de stockage et de transport) et des situations de monopsone de collecte (du fait du coût de la collecte). Les aides découplées perçues par les producteurs pèsent aussi sur le niveau de prix car les transformateurs savent qu’en tout état de cause, les producteurs percevront un revenu minimal.

La proposition de règlement relative aux relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers(
89) a été publiée par la Commission européenne en décembre 2010, dans l’objectif de stabiliser le secteur, à la suite de la crise de 2009. Elle reprend une partie des recommandations du groupe à haut niveau sur le lait, constitué en octobre 2009 afin d’étudier les solutions de moyen et de long terme pour le secteur, dans la perspective de la suppression des quotas laitiers en 2015.

Conformément aux recommandations du groupe à haut niveau, la Commission souhaite le développement de contrats écrits portant sur les éléments essentiels de livraison du lait. Elle laisse le choix aux États membres de rendre ces contrats entre producteurs et transformateurs obligatoires ou non. Les clauses qui doivent obligatoirement figurer dans le contrat concernent le prix, le volume, le calendrier et la durée du contrat.


La Commission propose d’autoriser la négociation collective par le biais d’une organisation de producteurs reconnue, par exception au droit de la concurrence (dispositions relatives aux ententes). Les organisations de producteurs pourront mener les négociations qu’il y ait ou non transfert de propriété. Dans de nombreux États membres, de forts déséquilibres entre producteurs et acheteurs existent, en raison du caractère disséminé de la production (seuls le Danemark et les Pays-Bas ont des coopératives en situation de quasi monopole). La proposition de règlement fixe une taille maximum pour les organisations de producteurs sans transfert de propriété : celles-ci ne devront pas représenter plus de 3,5 % de la production totale de l'Union européenne ni plus de 33 % de la production nationale totale. La définition du marché pertinent en fonction de plafonds fixes et non plus au cas par cas constitue une avancée vers plus de sécurité juridique.

Il est par ailleurs proposé d’étendre au secteur laitier les dispositions relatives aux organisations interprofessionnelles en vigueur pour le secteur des fruits et légumes. Des organisations interprofessionnelles pourront être reconnues. Certains accords, certaines décisions et pratiques concertées pourront être considérés comme compatibles avec le droit européen de la concurrence sur décision de la Commission. Les accords comportant la fixation de prix ou ceux entraînant le partage des marchés sont en revanche par principe incompatibles. Par ailleurs, les organisations interprofessionnelles se voient reconnaître un rôle élargi, notamment en matière de transparence du marché et de promotion de la qualité.

La proposition présente plusieurs points de convergence avec les dispositions adoptées dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture, qu’il s’agisse de la contractualisation – rendue obligatoire dans le secteur du lait à compter du 1er avril 2011 par le décret du 31 décembre 2010 - ou du rôle des organisations interprofessionnelles.

Même si la proposition de règlement ne traite pas de l’ensemble des difficultés du secteur laitier – elle n’aborde notamment pas la question de la régulation - les membres du groupe de travail se réjouissent de l’évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier (rigidité de l’offre et de la demande, déséquilibre de marché entre producteurs et acheteurs, forte volatilité des prix). Cette évolution était demandée depuis longtemps par la France.

Concernant la régulation, un mécanisme de régulation des volumes pour les produits sous signe de qualité devrait être prévu. En effet, ceux-ci sont souvent produits dans des régions connaissant des difficultés (zones de montagne), notamment pour la collecte. La sauvegarde de ces régions passe par la valorisation de leurs productions. De plus, avec la fin des quotas, ces régions ainsi que les régions laitières dites intermédiaires comme les zones de piémont vont se trouver fragilisées dans la mesure où la libéralisation du secteur profitera aux régions les plus compétitives.

Le fait que la Commission ait accepté des dérogations spécifiques au droit de la concurrence pour le secteur du lait amène à s’interroger sur les relations complexes entre PAC et politique de concurrence et sur la possibilité d’une évolution plus générale, permettant une meilleure prise en compte des spécificités des marchés agricoles.

Les relations entre la politique agricole et la politique de concurrence sont déterminées par l’article 42 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, selon lequel les dispositions relatives aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil dans le cadre de la PAC. Le règlement (CE) n° 1184/2006 du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, ainsi que le règlement « OCM unique » de 2007, posent le principe de l’application des règles communautaires en matière de concurrence (dispositions relatives aux ententes et aux abus de position dominante, définies dans les articles 101 et 102 du TFUE) et d’aides d’État.

L’application stricte du droit de la concurrence dans le domaine de la production agricole n’est pourtant pas adaptée aux spécificités de ce secteur : rigidités de l’offre et de la demande, déséquilibre entre producteurs et acheteurs, forte vulnérabilité aux aléas climatiques…etc.

Ainsi, il existe des obstacles aux regroupements de producteurs, dont le développement pourrait pourtant permettre de renforcer l’organisation économique des filières et de rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs. Les articles 101 et 102 du TFUE interdisent les ententes et les abus de position dominante dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’être affecté. Des dérogations existent : l’article 2 du règlement de 2006 autorise cependant certains accords concernant la production ou la vente de produits agricoles et l’utilisation d’installations communes, dans la mesure où ces accords n’incluent pas de fixation du prix.

De façon générale, la Commission considère que le commerce entre États membres n’est pas affecté lorsque la part de marché des producteurs concernés est inférieure à 5 % et le chiffre d’affaires total dans l’Union européenne est inférieur à 40 millions d’euros. En revanche, au-delà de ces plafonds peu élevés, la notion de marché pertinent utilisée pour déterminer le pouvoir de marché des organisations de producteurs repose sur une analyse au cas par cas. Même dans le cas d’un marché très local, les autorités de concurrence peuvent estimer qu’il existe une entente ou un abus de position dominante. A cet égard, les évolutions récentes concernant le secteur du lait sont très positives et il serait souhaitable de mener une réflexion sur la possibilité de dérogations en faveur d’autres secteurs caractérisés par une forte dispersion des producteurs.

Le renforcement du rôle des organisations interprofessionnelles est également souhaitable. Actuellement, dans le cadre de la PAC, des organisations sont reconnues dans les secteurs du vin et des fruits et légumes et il est proposé dans le « mini paquet lait » d’étendre cette possibilité au secteur laitier. La réforme en cours devrait permettre le développement de cette reconnaissance, en l’autorisant pour d’autres secteurs car leur action, notamment en matière de transparence des marchés et de promotion de la qualité favorise le développement économique des filières.

L’organisation économique des filières doit d’autre part pouvoir être soutenue financièrement dans le cadre de la future PAC, comme c’est déjà le cas dans le secteur des fruits et légumes. Lors de son audition du 25 mai dernier, le commissaire Ciolos a annoncé à ce sujet que des instruments financiers seraient proposés dans le deuxième pilier afin de favoriser la constitution et de soutenir certaines actions des organisations de producteurs.

On ne peut que se réjouir du fait que la Commission envisage d’intégrer à ses propositions sur la PAC des mesures visant à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs. A bien des égards, cette évolution rejoint celle intervenue en France avec l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture, qui prévoit notamment de généraliser la contractualisation et de renforcer l’organisation économique des filières. Il est souhaitable que, concrètement, des dérogations au droit européen de la concurrence soient introduites. La Commission est aujourd’hui plus ouverte sur cette question, dans le cadre d’approches sectorielles, comme en témoignent ses propositions sur le secteur laitier et le lancement de processus similaires de réflexion pour la viande porcine et la viande bovine.

CONCLUSION

La réforme qui s’engage sera fondamentale pour définir les grandes orientations mais compte tenu de l’ensemble des enjeux et des défis, elle ne sera ne sera sans doute qu’une étape. La PAC devra encore s’adapter et d’autres réformes suivront. Comme elle a depuis l’origine constitué l’axe vertébral de la construction européenne, elle pourra montrer le chemin et constituer un ciment pour l’approfondissement de l’Union européenne.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

1. Réunion, ouverte à la presse, sur l’avenir de la politique agricole commune, avec les membres français du Parlement européen, conjointe avec la Commission des affaires européennes, la Commission des affaires européennes du Sénat et la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat (réunion du 3 novembre 2010)

« M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. Tout d’abord un grand merci, en mon nom et en celui du Président Patrick Ollier, d’être venus aujourd’hui à cette réunion conjointe des commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat, avec les membres français du Parlement européen, et élargie aujourd’hui, compte tenu du sujet à l’ordre du jour, l’avenir de la PAC, aux commissions des affaires économiques, de l’Assemblée et du Sénat. Il s’agit de la quatrième réunion de ce genre, tenue à l’occasion des semaines de circonscription du Parlement européen. Sur le fond, nous avons, depuis le 16 février, traité de la stratégie UE 2020, de la proposition de directive relative aux fonds alternatifs, avec en particulier M. Jean Paul Gauzes, de la mise en œuvre du Paquet Télécom et de l’agenda numérique européen avec, notamment, Mme Catherine Trautman.

Nous avons souhaité ne traiter aujourd’hui qu’un seul sujet. En fin de réunion nous pourrons cependant aborder, si vous le souhaitez, divers points d’actualité et échanger sur la suite de nos travaux.

Je salue la présence parmi nous de notre collègue Mme Monika Panayotova, Présidente de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale de Bulgarie, qui est en France au titre du programme « des personnalités d’avenir » et qui vient de tenir une réunion avec nos collègues du Sénat.

S’il est un sujet sur lequel il était particulièrement important que nous travaillions ensemble en amont, parlementaires nationaux et parlementaires européens, afin de contribuer positivement à la dynamique de la négociation, c’est bien la politique agricole commune. En effet, la Commission européenne présentera en juillet ses propositions législatives et les dispositions du traité de Lisbonne relatives à la codécision trouveront pour la première fois à s’appliquer. La Commission européenne devra compter avec un Parlement européen pleinement colégislateur.

Au moment où s’engagent les négociations sur le prochain cadre financier européen pour 2014-2020, notre travail commun ne sera pas de trop pour défendre une politique agricole forte et compétitive, indispensable pour défendre notre autonomie alimentaire, un développement équilibré de nos territoires et une gestion durable des ressources naturelles.

Nos échanges devraient permettre de cibler les éléments du débat que les parlementaires nationaux souhaiteraient voir mieux relayés au Parlement européen, mais aussi les points sur lesquels les parlementaires européens comptent sur un soutien des parlements nationaux. Je donne la parole au Président Jean Bizet avec lequel nous avons maintenant la tradition de tenir conjointement ces réunions.

M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat, co-président du groupe de travail du Sénat sur la PAC. Je voudrais remercier le Président Pierre Lequiller d’avoir organisé cette réunion et saluer également Mme Monika Panayotova qui manie admirablement notre langue et appréhende très bien les sujets européens, comme j’ai pu le constater lors de la réunion de travail à laquelle elle a participé au Sénat.

En mon nom et en celui du Président Jean-Paul Emorine, je voudrais souligner que la PAC est à la veille d’une réforme profonde ; aussi la présente réunion est importante à double titre. Elle est d’abord la reconnaissance du nouveau rôle du Parlement européen dans les affaires agricoles dans la mesure où le traité de Lisbonne a sensiblement renforcé ses compétences. Certains ont même pu avoir des appréhensions à ce sujet. Si l’on savait que le Conseil et les États étaient globalement conscients de l’importance de la PAC, on pouvait avoir des doutes sur l’intérêt des parlementaires européens. Or l’activité de la commission de l’agriculture du Parlement européen a levé totalement ces appréhensions. Plusieurs rapports décisifs ont ainsi été publiés depuis six mois : ceux de George Lyon et de Stéphane Le Foll notamment. L’examen public des amendements au rapport Lyon a été suivi dans une salle comble, avec des observateurs de l’Europe entière. Le Parlement européen, sur les questions agricoles, est devenu un décideur à part entière et chacun peut être convaincu que la PAC y a beaucoup d’alliés, du moins à la commission de l’agriculture.

Ensuite, cette réunion couronne une sorte de tournée européenne que le groupe de travail commun à nos deux commissions du Sénat a choisi d’effectuer avant de proposer son rapport. Le Sénat a une longue expérience des questions agricoles. Le premier rapport sur la réforme de la PAC date de 1997 et, depuis, ce sujet est monté en puissance. L’un des rapporteurs de l’époque est devenu le président, tout à la fois de la commission de l’économie et du groupe de travail. Le travail qui était autrefois confié à la seule commission des affaires économiques est aujourd’hui partagé avec la commission des affaires européennes. Cette association est tout à la fois un message et une direction à suivre car la réforme de la PAC ne peut être conçue aujourd’hui sans cette ouverture, sans une démarche d’écoute et d’alliance. C’est dans cet esprit que nous nous sommes rendus récemment en Allemagne et en Pologne avec Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai, coprésidentes du groupe de travail ; cette dernière se rendra d’ailleurs demain aux Pays –Bas. Nous avons pu nous rendre compte des attentes de nos partenaires, qui ne sont pas toujours les mêmes que les nôtres. La Pologne notamment ne sera pas un allié facile dans la négociation. Aujourd’hui ce sont les députés européens qui viennent à notre rencontre : c’est le symbole de cette démarche d’écoute et d’alliance que j’évoquais et je voulais les en remercier tout particulièrement.

M. Hervé Gaymard, député, co-rapporteur du groupe de travail de l'Assemblée nationale sur la PAC. Les parlementaires ici présents – nationaux ou européens- sont tous concernés, avertis et informés des enjeux relatifs à la PAC. Dans le prolongement de ce qu’a dit le président Jean Bizet, ce qui nous intéresse est de connaître l’opinion et l’appréhension qu’en ont les parlementaires européens. En effet, dans la mesure où la procédure de décision est maintenant radicalement différente, il nous faut adapter notre manière de voir et de travailler à cette nouvelle donne institutionnelle. En 2013 nous sortirons d’une période de dix ans de paix budgétaire qui avait été conclue entre le Président de la République française et le chancelier allemand et avalisée par le Conseil des chefs d’État et de Gouvernement. Cela avait permis d’aboutir à la réforme de juin 2003 qui était la deuxième grande réforme de la PAC après celle de 1992 et la réforme intermédiaire dite de l’Agenda 2000. Nous allons réformer la PAC concomitamment avec une nouvelle révision des perspectives budgétaires européennes. Nous en sommes donc à un point nodal de l’évolution de la PAC. Dans de telles circonstances, la tentation est grande de se dire que l’on a une page blanche sur laquelle on pourrait réécrire les contours de la PAC. La lecture des différents documents comme celui de la Commission européenne ne peut que susciter l’approbation sur les trois priorités que sont la sécurité alimentaire, avec un accroissement de l’approvisionnement en protéines – ce que l’on dit depuis 50 ans ! –, la gestion durable des ressources naturelles et le développement équilibré des zones rurales. Cependant, le diable se cache dans les détails, sur lesquels il s’agit de se pencher !

A la veille de cette négociation, il est nécessaire que les parlementaires européens nous fassent part des rapports de force, des points de blocage et des possibles terrains d’avancée. Nous, parlementaires français, devons être au clair sur ce que nous voulons. Le débat s’axe autour de questionnements fondamentaux. Le premier est celui du développement rural et des voies et moyens pour parvenir à ce que l’agriculture soit présente et maintenue sur l’ensemble des territoires ruraux. La deuxième série de questionnements a trait aux productions elles-mêmes. Sur ce point, il y aura trois grands risques à assurer. Le premier est la gestion des calamités agricoles et de l’aléa climatique, sujet qui ira sans doute en s’accentuant avec le réchauffement climatique. Le deuxième est la couverture du risque sanitaire tel que l’on a connu et appris à gérer pendant les dernières décennies, à travers les crises comme celle de la vache folle. Sur ces deux premiers risques, on pourra trouver un terrain d’entente. Mais le vrai sujet sera celui du risque économique lié à la volatilité des prix. Cette question soulève un débat éminemment idéologique qui a d’ailleurs sous-tendu toutes les discussions relatives au couplage-découplage des aides. Une certaine vision des politiques agricoles – ou plutôt d’absence de politique agricole – a conduit à dire qu’il fallait plutôt des aides découplées plutôt que des aides utilisées au moment où l’on en avait le plus besoin afin d’éviter que ces aides ne pèsent sur la formation des prix.

Dans cette négociation, la question de la gestion du risque économique qui entre d’ailleurs en résonance avec une des priorités affirmées par la France dans le cadre du G20, telle que l’a exprimée le Président de la République, sera un des sujets les plus importants pour la pérennité de l’agriculture européenne.

Pour terminer, le texte qui a été négocié entre la France et l’Allemagne me semble parfaitement synthétiser les enjeux de la négociation à venir. On ne peut que se féliciter que l’on ait pu aboutir à un accord franco-allemand détaillé sur les priorités qui ne soit pas seulement un accord politique global et de portée générale. L’action du ministre de l’agriculture français pour créer un groupe de pression favorable à une PAC impétueuse et rénovée est donc plutôt de bon augure.

M. Michel Dantin, député européen. Les discussions sur le futur de la PAC s’engagent dans un contexte radicalement différent par rapport aux négociations précédentes. L’envolée des prix agricoles et des denrées alimentaires en 2007-2008, même si elle a été variable selon les régions et les pays, a durablement marqué les esprits, au-delà du monde agricole, et contribué à replacer au premier plan la question de la sécurité alimentaire de l’Europe et de son autosuffisance. Parallèlement, l’effondrement des prix agricoles en 2009 et la désespérance du monde paysan ont également frappé les esprits, notamment parmi ceux qui n’étaient pas les plus enclins à soutenir le secteur agricole.

C’est dans ce contexte que les trois principaux objectifs assignés à la PAC dans le rapport de George Lyon ont été repris par le commissaire Dacian Ciolos et qu’après 15 ans de domination de la définition de la PAC par une pensée très profondément libérale, pour laquelle le marché représentait l’alpha et l’oméga, on reconnaît de nouveau aujourd’hui la nécessité d’avoir des outils de régulation. Une fois que l’on a dit cela, on a tout dit et rien dit. Car si certains ont en tête les outils qui ont prévalu dans les années 1970-1980, il apparaît impossible désormais d’y recourir et ce pour deux raisons :

- logistiquement, tout d’abord, il est impossible de faire à 27 ce que l’on faisait auparavant à 8 ou 9 ;

- ensuite, nous ne sommes plus dans une économie continentalisée mais dans une économie mondialisée. Ainsi, lorsque l’année dernière, 280 000 tonnes de poudre de lait ont été retirées du marché dans l’Union européenne, ce sont les Australiens et les Néo-Zélandais, qui ont profité, au niveau mondial, de l’embellie provoquée par ce retrait.

Il faut donc procéder autrement. Comme l’a dit le commissaire Ciolos, la Commission a laissé le pouvoir pendant 10 ans à une seule école de pensée selon laquelle le marché devait tout régler et, en conséquence, aucun crédit n’a été dépensé pendant cette période pour étudier de nouveaux outils de régulation. Nous sommes donc aujourd’hui dans l’incapacité de savoir quels outils pourraient être opérationnels d’ici trois ou quatre ans. Compte tenu des échéances de 2013, le commissaire Dacian Ciolos a passé commande d’études à des universités sur le sujet. Mais, pour l’heure, nous ne disposons d’aucun outil concret à mettre en face du terme « régulation ». C’est pour cette raison qu’il faudra avancer notre réflexion pendant les semaines qui viennent.

M. Stéphane Le Foll, député européen. Sur le calendrier de la réforme tout d’abord, la communication officielle de la Commission est prévue pour le 17 novembre. Dans la foulée, le Parlement européen sera saisi de cette communication, puis le débat législatif sur les quatre textes débutera en juillet 2011. Parallèlement, il y aura le débat, non négligeable, sur les perspectives financières avec un texte du Parlement européen qui devrait également sortir vers juin ou juillet 2011.

S’agissant du contexte, il y a un véritable rapport de force au sein du Parlement européen favorable à une réaffirmation de la PAC comme une politique qui doit rester européenne – ce qui n’était pas gagné – et défavorable à toute tentative de renationalisation et de hausse du cofinancement. Au Parlement européen, il y aura donc une large majorité pour donner à la PAC un budget à la hauteur de ses besoins et refuser une dérive vers une augmentation de la part du cofinancement. C’est déjà un point de départ important.

Concernant les enjeux de la PAC, celle-ci doit d’abord trouver à s’intégrer, comme la politique de cohésion, dans les objectifs de la stratégie 2020, autour des notions de compétitivité, de connaissance et de développement durable. Pour cela, mieux vaut redéfinir et défendre les politiques qui existent, plutôt qu’en inventer de nouvelles. C’est un des axes de discussion majeurs que nous avons au Parlement européen. Pour s’intégrer dans cette stratégie globale, la PAC doit être en mesure de montrer aux citoyens que l’agriculture est en connexion directe avec la question de la sécurité alimentaire et qu’elle constitue un élément moteur du développement durable et de la croissance verte. Les différents rapports qui ont été votés ont, sur ces points, été convergents.

Pour entrer dans des détails un peu plus techniques, je dirais qu’il y a trois enjeux majeurs pour la nouvelle PAC : la régulation, la compensation et la rémunération. En matière de régulation, des mécanismes nouveaux doivent être inventés et certains mécanismes anciens doivent être préservés, alors que l’on a failli perdre tous les mécanismes liés au filet de sécurité dans le cadre du bilan de santé de la PAC, comme le soulignent le rapport de George Lyon et le papier de la Commission qui a « fuité » début octobre. Parmi les mécanismes à inventer dans un contexte nouveau, il y a aujourd’hui des pistes évoquées par la France qui ne sont pas assez relayées au niveau européen, comme la contractualisation qui ne pourra participer à la régulation que s’il y a un cadre européen. Il faut également préserver la politique européenne de stockage public. Il y aura une majorité au Parlement européen en faveur de la régulation. Sur la compensation, il doit y avoir un vrai débat sur les handicaps naturels et les zones défavorisées. La nécessité du maintien d’un certain nombre d’aides couplées doit être reconnue pour servir les objectifs d’occupation de l’espace et du territoire. Là-dessus, il n’est cependant pas certain qu’il y ait une majorité au Parlement européen. Enfin, sur la rémunération, il est impératif de justifier, vis-à-vis des citoyens européens, les aides agricoles par la production de biens publics. Il faut promouvoir le rôle de l’agriculture en matière de protection de l’environnement, de biodiversité, de préservation des ressources naturelles et également en matière de photosynthèse et d’énergie solaire. En la matière, l’agriculture est au cœur du débat et c’est dans ces conditions que l’on arrivera à dégager une majorité au Parlement européen.

M. Patrick Le Hyaric, député européen. Le Parlement européen est favorable à une augmentation globale du budget de l’Union européenne et donc à une préservation de celui de la PAC : il y a toutefois un risque que les conclusions du Conseil européen du week-end dernier se situent en deçà de ces objectifs et il est nécessaire d’être vigilant ! C’est d’ailleurs un peu toujours la même chose : on se fixe tous les mêmes objectifs et la politique mise en œuvre est à l’exact opposé de ces objectifs. Aujourd’hui, on se retrouve face aux résultats d’une agriculture intégrée à une économie de marché capitaliste qui élimine les petits et moyens paysans, et contribue à une réduction de la biodiversité et à une diminution du nombre d’habitants dans les territoires ruraux. Une réorientation importante de la PAC et des politiques agricoles nationales est donc nécessaire. Cependant le leitmotiv du moment, de plus en plus invoqué depuis la tenue du SPACE à Rennes au mois de septembre, est la compétitivité de l’agriculture. Or c’est cette recherche de compétitivité qui conduit à la concentration des élevages, à la hausse de la production par vache laitière et qui va à l’encontre de l’emploi, l’environnement et la vie des territoires. Les négociations à l’OMC ne poursuivent pas d’autre objectif, que l’on nous impose à marche forcée.

Face à cela, il faut réaffirmer la nécessité d’un prix de base pour rémunérer le travail paysan : les aides compensatrices et incitatrices sont certes utiles mais elles ne sont pas suffisantes pour rémunérer le travail alors que des investissements de plus en plus élevés sont requis. Aujourd’hui, on est dans un cycle où les agriculteurs travaillent plus pour gagner moins bien leur vie. La crise du lait, mais aussi la crise des céréales, l’ont bien montré. Dans une même commune, celui qui récolte du maïs se trouve dans une situation divergente de celle de l’exploitant qui doit acheter du maïs pour nourrir son bétail. Il convient donc de trouver des mécanismes régulateurs et stabilisateurs à l’intérieur de l’Union.

Dans le cadre des négociations internationales, des objectifs généraux en matière agricole et environnementale doivent être fixés. La souveraineté et la sécurité alimentaire pour tous les pays sont fondamentales. C’est ainsi qu’il ne pourra y avoir de développement harmonieux sans préférence communautaire, sinon le système de libre-échange intégral sera tueur pour tout le monde, et notamment pour les plus petits.

Mme Odette Herviaux, sénatrice, co-présidente du groupe de travail du Sénat sur la PAC. A ce moment du débat, en vue d’éviter les redites, il convient de dresser un point rapide sur les travaux du groupe de travail sur la PAC constitué au Sénat. La demande est aujourd'hui très forte, de la part du nouveau commissaire en charge du dossier, d’avoir des remontées des États membres vers la Commission européenne.

Nous produirons un rapport sur la réforme de la PAC après 2013 et nous présenterons, la semaine prochaine, un pré-rapport pour lequel nous nous sommes appuyés sur les auditions et sur de nombreuses visites sur le terrain qui nous ont beaucoup apporté. Ainsi, s’agissant de l’accord franco-allemand, de nombreux éléments nous étaient apparus comme étant conclus a minima alors que le ressenti sur le terrain par nos collègues s’étant rendus en Allemagne n’est pas le même.

Nous avons tenu compte des rapports précédemment cités. De nombreuses questions sont posées pour ajuster cet outil incontournable qu’est la PAC. Quel budget pour une PAC forte ? Comment retrouver l’adhésion des citoyens et des consommateurs dans le domaine de la sécurité alimentaire et dans tout ce qui peut toucher au développement des territoires ? Plusieurs scenarii seront présentés dans le pré-rapport, chaque groupe pouvant ainsi exprimer ses préférences. L’écoconditionnalité et ce que l’on a appelé le verdissement de la PAC, la reconnaissance du rôle des agriculteurs dans la fourniture des biens publics, l’articulation entre les deux piliers dont les contenus ont d’ailleurs évolué et les questions budgétaires seront des thèmes majeurs du rapport. A travers ces différents scénarii possibles, nous espérons élaborer un scénario politique global.

M. Daniel Fasquelle, député, co-rapporteur du groupe de travail de l'Assemblée nationale sur la PAC. Merci pour l’organisation de cette réunion. Il convient de se féliciter des nouveaux pouvoirs du Parlement européen en matière agricole qui est une des raisons de mon vote en faveur du traité de Lisbonne. L’agriculture doit être une priorité pour l'Union européenne ainsi que pour la France au sein de l’Union, pour des raisons multiples, allant de la souveraineté alimentaire à la satisfaction d’une demande mondiale croissante – la France étant un pays exportateur –, aux priorités d’aménagement du territoire, sans oublier la question du maintien de l’emploi et de la vie dans nos communes, et les préoccupations pour une gestion durable des ressources.

D’autres éléments, à la marge du texte de la Commission européenne, doivent également retenir notre attention. En ce qui concerne le principe de préférence communautaire, que fera-t-on pour protéger nos agriculteurs d’une concurrence déloyale, notamment dans le cadre de négociations au sein de l’OMC ? Lors des négociations internationales, on a fait des concessions préalables et ensuite on a adapté la PAC. Il faut briser ce cycle ! Les niveaux de réglementation sont en outre très variables au sein de l’Union et il convient de restaurer une concurrence intra-européenne loyale. Par ailleurs, en matière de régulation, le droit de la concurrence empêche aujourd'hui les agriculteurs de s’associer pour faire face à la grande distribution. C’est un sujet certes à la marge de la PAC mais qui fait partie de cette nouvelle régulation à inventer et c’est sujet sur lequel on pourrait avancer très vite. Enfin, n’oublions pas le tourisme qui est très lié au développement des territoires ruraux et qui est une source d’emplois non négligeable.

M. Alain Lamassoure, Président de la Commission des budgets du Parlement européen. Je voudrais vous faire part d’une bonne nouvelle et d’une suggestion ! Le Parlement européen est dorénavant co-législateur agricole et co-décideur pour le budget de la PAC. Pour le projet de budget 2011, il a voté un budget supérieur de 800 millions d’euros à la proposition initiale de la Commission européenne pour la PAC, proposition qui avait été acceptée par le gouvernement français. Ce qui va se jouer à moyen terme, le contenu de la future PAC, et ses moyens dépendront du niveau global du financement du budget européen.

Le Parlement européen a compris qu’en 2011, au vu de la situation économique, il ne sera possible que de demander une augmentation du budget très limitée. Cependant, il souhaiterait – pour l’avenir – un accord politique du Conseil afin de travailler, en liaison avec les parlements nationaux, sur le financement futur de l’Union. Une proposition sera faite demain au Conseil et à la Commission en vue de la mise en place d’une conférence financière européenne comprenant des représentants du Conseil, de la Commission européenne, du Parlement européen ainsi que des parlements nationaux. Il s’agira de savoir comment financer durablement les politiques communautaires proprement dites, dont la PAC, ainsi que les grands objectifs communs européens dégagés dans la stratégie Europe 2020, quel partage des rôles établir entre les budgets nationaux et le budget communautaire et enfin, comment financer les augmentations du budget européen sans peser sur les budgets nationaux.

Il conviendra d’oser rouvrir le dossier des ressources propres du budget européen qui avait été ouvert lors du Conseil européen d’Edimbourg en 1992. Nous avons obtenu que le Conseil mette ce problème à l’ordre du jour de sa réunion du 16 décembre et tout soutien des parlementaires nationaux sera bienvenu.

Le Président Pierre Lequiller. Suite notamment à votre audition devant notre Commission, nous avons d’ores et déjà fait entendre notre voix auprès du Président Bernard Accoyer conjointement avec M. Jérôme Cahuzac, Président de la Commission des finances, ainsi qu’avec M. Gilles Carrez, Rapporteur général de la Commission des finances. Notre objectif est notamment d’assurer un dialogue entre les parlements nationaux et le Parlement européen dans le contexte nouveau du « semestre européen ».

M. Jean-Claude Fruteau, député. Je partage beaucoup des opinions émises par MM. Hervé Gaymard et Stéphane Le Foll qui participent au consensus autour des objectifs de la PAC. J’ai l’espoir que l’on réfléchisse à une nouvelle PAC de façon positive. En effet, depuis vingt ans, les réformes ont toujours été faites dos au mur, notamment vis-à-vis des exigences de compatibilité avec les règles de l’OMC. Nous avons, cette fois, la possibilité de raisonner différemment. Inscrire la PAC – seule politique commune – dans les objectifs de l’Union pour 2020 est ambitieux et positif. Par ailleurs, pour chaque réforme, le budget a toujours été débattu avant de définir le contenu. Il faudrait que l’on commence par définir les contours de la PAC et, ensuite, établir le montant des ressources à y consacrer pour, ensuite, aborder la négociation du budget. Malgré l’excellente nouvelle présentée par M. Alain Lamassoure, je crains que le contexte de crise ne permette pas l’émergence d’une PAC disposant des moyens nécessaires. Mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre !

M. Jacques Myard, député. Merci d’avoir organisé cette très intéressante réunion. Je rappellerai à M. Michel Dantin l’erreur historique faite sur l’évaluation des besoins mondiaux en produits alimentaires sans qu’ait été prévue – par aucun expert – l’augmentation des demandes chinoise et indienne. On peut ainsi souligner la cécité de la Commission européenne qui avait préconisé une politique de jachère.

La régulation dont on parle reste en réalité un débat franco-français et n’a pas cours à Bruxelles. Et il faut être bien conscient, je le vois dans le cadre du rapport que je suis en train de faire avec Jérôme Lambert sur la politique industrielle, qu’en matière de politique agricole commune, les Français sont les seuls, au niveau européen, à parler de préférence communautaire.

Il faut donc se demander quelle est, dans ce domaine, la marge de manœuvre réelle car les 800 millions supplémentaires que le Parlement européen a affectés à l’agriculture ne seront sans doute pas acceptés. Je pense qu’il y a trop d’optimisme dans ce domaine.

M. Philippe Juvin, député européen. Nous ne sommes pas optimistes mais simplement le plus réalistes possible : tout est une affaire de rapports de forces. C’est ainsi que le rapport de M. George Lyon a été accepté à l’unanimité. Tout le monde veut des filets de sécurité et des outils de régulation. La question est de savoir ce que l’on met derrière ! Le Parlement européen est plutôt sur une dynamique positive en faveur de la PAC. Mais il faut tenir compte du fait qu’il existe des différences d’appréciation entre les États, entre les États agricoles et ceux qui ne le sont pas, entre les nouveaux États européens et les anciens. Ce rapport de forces se situant aussi entre les États, il nous faut donc trouver des alliés pour éviter un débat franco-français et pour trouver des compromis permettant à la France d’obtenir des résultats positifs. C’est tout le mérite de l’accord franco-allemand. La question plus générale est de savoir, finalement, comment faire pour que la France garde une influence à tous les nivaux européens.

Il ne faut pas avoir d’illusions sur le budget. Si l’on admet que le budget de l’Union européenne ne peut augmenter mais que celle-ci a de nouvelles compétences, la question se pose donc de savoir comment les financer et où prendre l’argent. La Grande-Bretagne a dit qu’elle savait où l’on peut trouver cet argent ! Il faut donc trouver des alliés et arrêter de dire qu’il ne faut pas bouger les règles budgétaires, sinon on se retrouvera dans le mur.

Mme Bernadette Bourzai, sénatrice, co-présidente du groupe de travail du Sénat sur la PAC. Merci tout d’abord aux parlementaires européens pour ses informations. Il faut en effet créer des alliances et rassembler les pays favorables à une PAC forte, comme le font le commissaire Dacian Ciolos et M. Bruno Le Maire et comme l’avait fait également Michel Barnier. Il était ainsi assez intéressant de faire paraître le document de la Commission juste avant les propositions sur les perspectives budgétaires.

Il faut tout d’abord définir un contenu à la PAC, notamment le contenu des premier et deuxième piliers, avant de passer sous la toise budgétaire, comme cela a été le cas en 2001. Ainsi, s’agissant du « verdissement » du premier pilier, jusqu’où peut-on aller pour avoir une alimentation sûre et saine correspondant aux aspirations des consommateurs ? Si l’on met les mesures environnementales dans le premier pilier, que deviendra le deuxième ? Quelle sera l’articulation entre les deux piliers et avec la politique régionale ? Que fera-t-on pour les zones rurales ?

M. Pierre Forgues, député. Merci d’avoir organisé cette réunion ; il serait aussi intéressant de pouvoir entendre le commissaire européen chargé de l’agriculture. J’aimerais être optimiste dans ce domaine mais le réalisme commande d’être plus mesuré, voire pessimiste. On se trouve devant une équation difficile à résoudre car on est favorable à la mondialisation de l’agriculture dans le cadre de l’OMC, qui empêchera, de ce fait, d’avoir une préférence communautaire, tout en préconisant en même temps une politique agricole commune et en refusant la nationalisation. Le budget européen est alimenté par les pays et, si on a une PAC, il faudra bien que les pays membres s’engagent budgétairement à la financer.

Il ne faut pas se cacher la réalité nationale d’une politique agricole commune. Pour le monde rural, une politique structurelle serait plus nécessaire qu’une politique d’aides directes. Que veut dire une politique européenne compétitive ? Il sera nécessaire de réguler la production mais comment pourra-t-on faire si on ne dispose pas de moyens de stockage ? Cela ne suffira pas car il faudra aussi réguler le commerce des produits agricoles.

M. François Brottes, député. Je me réjouis de ce rendez-vous et je suggère à nos présidents de prévoir un débat de même intérêt sur la réforme de l’énergie, car c’est un sujet d’une actualité brûlante.

Sur la PAC, tout d’abord je prends note du triptyque de Stéphane Le Foll « régulation-compensation-rémunération » et je poserai cinq questions.

Comment le Parlement européen est-il informé régulièrement de ce qui se dit à l’OMC ?

L’Union européenne n’envoie-t-elle pas un signal contradictoire avec la PAC lorsqu’elle dit qu’il faut renationaliser la politique concernant les OGM, sujet qui n’est pas étranger à l’agriculture ?

Pourquoi résister en permanence sur les questions d’étiquetage ? Aujourd’hui il y a un réel besoin de traçabilité liée notamment à la qualité des produits. On a l’impression que la volonté française en la matière est souvent en contradiction avec ce qui s’observe au niveau européen.

Dans l’idée d’une régulation à venir, pourquoi essayer de casser les interprofessions, fortes en France ? Lorsque les professions se structurent, y compris parfois à l’échelle européenne, y a-t-il une désapprobation au niveau de l’Union et quel est l’avis du Parlement européen ? Il y aurait certainement un problème si on annonçait aux interprofessions qu’elles devaient disparaître dans la future PAC.

Enfin, en matière de politique alimentaire, ne devrait-on pas raisonner par territoire de production agricole afin d’assurer d’abord l’autosuffisance de chaque territoire et seulement ensuite mettre le surplus à la disposition du marché et des secteurs qui ne sont pas en capacité de produire ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver des solutions, par exemple avec la restauration collective, pour favoriser les productions locales : il n’y a actuellement pas d’autres solutions que de ne pas respecter les règles de concurrence françaises et européennes !

Ces questions sont à la périphérie du sujet mais en font quand même partie.

M. Jean Gaubert, député. Je veux d’abord rappeler à quoi sert la PAC : d’abord assurer la sécurité alimentaire en quantité et en qualité, ce qui nous ramène à la question de l’environnement ; ensuite soutenir l’aménagement du territoire, notion plus forte en France qu’ailleurs parce que nous avons des surfaces plus importantes et l’ambition de les occuper complètement, ce qui implique de compenser les handicaps naturels ; enfin rémunérer les producteurs. Sur ce dernier point, tout le monde s’est rendu compte que le système des aides découplées ne suffit pas à assurer le revenu des producteurs, alors qu’un système d’intervention sur le marché portant sur les volumes et les prix est moins cher et était sans doute plus efficace. Malheureusement, il ne peut plus s’appliquer aujourd’hui.

Les orientations de la future PAC doivent insister sur notre position à l’OMC et c’est la clé car si l’Union européenne est ouverte à tous vents, sans aucun contrôle, les choses ne changeront pas. Elles doivent ensuite clarifier le rapport aux règles de concurrence pour déterminer si elles sont le moyen d’atteindre un but ou si elles sont en elles-mêmes le but comme le croient certains. Elles doivent enfin s’attaquer aux distorsions non seulement internationales mais aussi à l’intérieur de l’Union européenne. On parle beaucoup à l’Assemblée nationale des distorsions avec l’Allemagne depuis quelque temps, mais il faut aussi parler des distorsions avec les autres États membres, en particulier les nouveaux membres d’Europe centrale. Cela pose la question du rattrapage des moyens financiers pour ces pays.

Le Président Pierre Lequiller. Je rappelle que les Commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar vont se réunir prochainement à l’Assemblée nationale pour parler notamment de la PAC.

M. Jacques Blanc, sénateur. On a parlé tout à l’heure de compensation et j’insisterai sur la politique en faveur de la montagne. Le traité de Lisbonne a défini un objectif supplémentaire, la cohésion territoriale, mais cet objectif ne se réalisera pas si l’on ne maintient pas l’agriculture dans les zones défavorisées et si l’on ne compense pas ce handicap par une politique spécifique sans laquelle il n’y aura tout simplement plus de vie. Je voudrais connaître la position des parlementaires européens sur ce point, alors qu’on voit par ailleurs des positions qui répondent à nos préoccupations et qu’il faudra épauler.

Je regrette ne pas avoir entendu le débat avec M. Lamassoure sur les ressources propres. Être contre l’impôt européen est peut-être une erreur, ce serait une erreur en tout cas de ne pas oser poser la question. La conférence sur les ressources permettra d’y voir plus clair sur les perspectives d’avenir. Un désenchantement à l’égard de l’Union européenne apparaîtra s’il n’y a pas un soutien à la PAC, première politique commune européenne, au moment où il faut au contraire retrouver l’espérance.

Je souhaite que le groupe de travail sur la montagne du Sénat puisse travailler avec celui du Parlement européen pour maintenir l’agriculture et la vie sur l’ensemble du territoire.

M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat, co-président du groupe de travail du Sénat sur la PAC. Je veux d’abord souligner deux chiffres. A l’horizon 2020, l'Union européenne comptera quinze millions de consommateurs supplémentaires et aura besoin en conséquence de trente-quatre à trente-cinq millions d’hectares pour couvrir ses besoins alimentaires. Ces chiffres nous font toucher du doigt l’importance de la notion de sécurité alimentaire.

Pour avoir rencontré souvent nos amis allemands, je voudrais insister à nouveau sur le fait qu’il est redevenu politiquement correct d’utiliser les notions de productivité et de compétitivité en agriculture, qui peuvent désormais être considérées comme compatibles avec l’environnement.

Je me félicite par ailleurs de la réflexion menée au Parlement européen à travers les rapports Lyon et Le Foll qui vont tout à fait dans le bon sens.

M. Hervé Gaymard a souligné l’importance de l’accord franco-allemand auquel les pays comptant en agriculture, comme la Pologne ou d’autres, souhaitent s’agréger. Il ne faudra donc pas trop s’éloigner de cette position.

Quant à la préférence communautaire, au risque de choquer certains d’entre vous, elle n’existe plus parce qu’elle s’est érodée depuis 1957, également depuis le début du cycle de Doha entre 2001 et aujourd'hui, en raison de l’évolution de notre société. La donne sociale et environnementale a complètement changé et les vingt-six autres États membres ne comprennent pas cette notion. En revanche, on peut arriver aux mêmes solutions si l’on parle du principe de réciprocité. Nous disposons de certains outils pour le mettre en œuvre, comme l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) ou d’autres mesures. Ce serait beaucoup plus constructif.

Enfin, le calendrier des négociations à l’OMC, en sommeil depuis 2001, est très important. Au moment où les Américains commencent à remettre le dossier sur le tapis, les Européens peuvent pour la première fois maîtriser les échéances avec leur réforme de la PAC en 2013. Ils peuvent en effet essayer de demander aux États-Unis d’abattre leur jeu avant cette date et de tenir compte de notre réforme de la PAC avant la négociation à l’OMC.

M. Jean-Paul Emorine, Président de la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, co-président du groupe de travail du Sénat sur la PAC. J’avais notamment retenu de la rencontre sur le bilan de santé de la PAC à laquelle j’avais assisté, à l’invitation de M. Michel Barnier, que les vingt-sept États membres avaient à peu près la même vision sur l’aménagement du territoire et se montraient en faveur d’une réorientation vers les zones défavorisées à handicap naturel où se pratique l’élevage bovin et ovin. L’occupation des territoires ruraux est déterminante pour notre pays et cette question de la compensation du handicap a été évoquée par M. Stéphane le Foll. Il faut en effet beaucoup insister pour que la PAC préserve l’occupation des espaces à handicaps naturels, où il y a de l’élevage.

Il faut se poser la question de savoir si, dans un pays comme la France, il est souhaitable de maintenir des références historiques.

S’agissant de la régulation, la contractualisation dont on a beaucoup parlé dans la loi de modernisation de l’agriculture est une notion qui devrait être inscrite durablement dans la politique agricole commune.

Par ailleurs, la protection de l’environnement doit-elle être intégrée dans le premier ou le deuxième pilier pour préserver la ruralité ?

Enfin, il faut conserver une politique agricole commune et faire très attention aux renationalisations qui pourraient détruire en un ou deux cycles une politique qui fait partie de notre histoire.

M. Serge Poignant, député. Ce genre d’échanges est très intéressant. Il faut défendre la régulation, même si les outils sont difficiles à mettre en œuvre. Il faut donc développer la contractualisation dans un cadre européen. Il faut aller plus loin dans la recherche pour le développement durable et unir les efforts européens en ce domaine.

Il est possible de concilier compétitivité économique et développement durable si une coordination est établie au niveau européen. Sinon, la concurrence entre pays européens provoquera des problèmes internes chez chacun d’entre eux.

Je prends note du rappel par M. Alain Lamassoure de l’importance de la codécision ainsi que de la conférence financière européenne.

Enfin, je m’interroge sur les manières de coordonner nos efforts pour défendre la PAC, essentielle pour soutenir nos producteurs et assurer la cohésion sociale.

M. William Dumas, député. En tant qu’élu d’un département viticole, je suis très inquiet de la suppression prévue des droits de plantation au 1er janvier 2016 alors que le système existe dans notre pays depuis 1936 et qu’il a permis de franchir bien des caps difficiles. J’ai peur que notre pays souffre de la concurrence internationale si l’on peut planter n’importe où sans restriction et si l’on fait disparaître un système qui a fait ses preuves et assure justement le développement équilibré de nos territoires, notion dont on parle tant par ailleurs.

Concernant la réglementation des produits phytosanitaires et des pesticides, nous nous battons depuis des années dans ma région pour qu’une même réglementation s’applique en France, en Italie et en Espagne. Je souhaite que la PAC établisse enfin une convergence réglementaire sur ce point pour garantir une concurrence loyale.

Le Président Pierre Lequiller. M. Philippe Armand Martin, empêché, m’avait demandé de poser la question des droits de plantation en son nom et je l’associe donc à la question posée par M. William Dumas.

M. Jacques Muller, sénateur. La question du niveau du budget ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Son maintien ne sera possible que si on relégitime la PAC auprès des citoyens et contribuables européens. Je me réjouis du consensus évoqué par M. Hervé Gaymard sur l’autonomie en protéines, la gestion durable des ressources naturelles et l’aménagement équilibré du territoire, mais le diable se niche dans les détails.

Si l’on veut réorienter profondément l’agriculture européenne, cela passera par des ruptures dans la répartition des moyens en s’appuyant sur deux critères pour relégitimer la PAC : d’abord une vraie prise en compte de l’environnement, notamment de la notion de production de biens publics, trop marginale pour l’instant ; ensuite le traitement de la question de l’emploi. L’agriculture est en effet le seul domaine où l’argent public subventionne le capital plutôt que le travail, alors que dans tous les autres secteurs de l’économie il subventionne l’allègement des charges et du coût du travail.

Cette rupture dans la répartition de l’argent public se traduira sur le plan de l’histoire mais aussi sur le plan culturel. Il n’est ainsi pas évident, notamment dans le monde agricole, de reconnaître que l’agriculteur est aussi un producteur de biens publics. Sans que les agriculteurs se sentent cantonnés dans un rôle de jardiniers de l’espace, il faut intégrer le fait qu’ils sont à la fois producteurs et producteurs de biens publics.

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. Comme l’on dit un certain nombre d’intervenants, il se pose un sérieux problème de concurrence à l’intérieur même de l’Union européenne, lié aux différences de compétitivité comme l’illustrent les disparités entre la France et l’Espagne. Sur le terrain, le problème est souvent évoqué par les exploitants agricoles. En la matière, le Parlement français détient une partie de la réponse quand il transpose les directives européennes. La France se veut exemplaire, en rajoute et durcit les textes en matière environnementale, comme la réglementation relative aux produits phytosanitaires. Compte tenu des difficultés ressenties par les agriculteurs, il est indispensable que le Parlement européen et le Parlement français aient plus de contacts lors des transpositions des directives.

La préférence communautaire est un sujet tabou en Europe. Il existe cependant une possibilité de résoudre le problème par le biais de la règle et du principe de réciprocité, dont l’idée commence à germer dans les esprits et dans les institutions européennes. La semaine dernière, un amendement tendant à ce que soit exigée, dans le cadre des négociations entre l’Union européenne et le Mercosur, l’inclusion d’une clause de réciprocité pour l’application des règles sanitaires a recueilli de nombreuses signatures. L’Union européenne est liée par des accords de commerce avec de nombreux pays tiers qui, de pays émergents, sont en fait devenus de véritables puissances économiques. Les relations commerciales ne peuvent plus être appréhendées comme avant et les accords commerciaux doivent être modifiés en conséquence.

Je voudrais vous faire part d’une réflexion. Toute réforme de la PAC ne peut s’imaginer sans une véritable réorganisation de l’agriculture française. Il faut avoir le courage de le dire. L’Allemagne a procédé à une restructuration et devance maintenant la France pour certaines productions comme la tomate.

M. Michel Dantin, député européen. Dans ce débat, je voudrais vous rassurer : nous ne serons pas candides ! Cependant, il est vrai que par rapport à la période d’il y a dix ans, le climat est plus porteur pour la PAC dans la mesure où la question de l’alimentation est redevenue une préoccupation centrale. Les trois rapports récemment adoptés par le Parlement européen, ceux de George Lyon, de Stéphane Le Foll et de José Bové, fondent en quelque sorte la doctrine à partir de laquelle nous allons travailler. Le Parlement européen a clairement affirmé s’opposer à toute renationalisation de la PAC. Cette politique commune est un grand navire : il n’y aura pas de grand soir et les virages doivent se prendre en fonction du rythme des exploitations agricoles !

Le tourisme rural doit être traité dans le cadre du deuxième pilier.

J’accorde à Jacques Myard qu’aucune prévision n’avait présagé de l’ampleur de la poussée des achats agricoles de la Chine et dans une moindre mesure, de l’Inde.

S’agissant de la question financière, l’accord de 2003 avait été conclu entre deux pays et avait ensuite reçu l’assentiment des treize autres États membres. Aujourd’hui, un accord entre deux pays n’est pas suffisant pour fonder un accord à vingt-sept et il faut impérativement y impliquer un État nouvellement membre qui soit capable d’entraîner les autres nouveaux adhérents. La Pologne pourrait jouer ce rôle et c’est tout l’intérêt des rencontres comme celles du Triangle de Weimar.

Le document qui a émané de la Commission n’est en tout état de cause pas définitif et va faire l’objet d’un examen attentif par les cabinets des différents autres commissaires.

La notion de « piliers » appelle certaines remarques. En effet, le commissaire Ciolos estime qu’elle peut être source de confusion ; aussi lui ai-je proposé d’utiliser, dans la communication définitive, pour plus de lisibilité, la notion de « bloc » ou d’« ensemble ». Dans l’esprit du commissaire, le premier bloc serait constitué des aides au fonctionnement – aides annuelles au revenu, aides agro-environnementales, indemnités compensatoires de handicaps naturels – faisant l’objet d’un financement européen ou de cofinancement. Le deuxième bloc comprendrait les outils opérationnels pour l’investissement, en agriculture et dans l’agroalimentaire, ainsi que les outils de marché existants à revitaliser ou nouveaux. La logique des deux piliers telle qu’elle était conçue ne prévaudrait plus. S’agissant du « verdissement » des aides, le commissaire Dacian Ciolos a dit à juste titre qu’une politique incomprise par les bénéficiaires n’est pas légitime. Or l’éco-conditionnalité n’a pas prouvé son efficacité opérationnelle ; elle est par ailleurs illisible pour les consommateurs et difficilement compréhensible pour les exploitants agricoles. En conséquence, son idée est de la remplacer par des mesures plus simples, plus lisibles et plus efficaces, comme les bandes enherbées qui ne sont remises en cause par personne. Deux pistes de réflexion sont proposées par le commissaire Ciolos : la rotation des cultures qui serait obligatoire pour obtenir des aides et une prime au pourcentage minimum de maintien des prairies naturelles.

Le débat à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est pour l’heure gelé et nul sait quel sera le calendrier de redémarrage des négociations. Le débat sur les produits alimentaires et la régulation s’est déplacé vers d’autres instances internationales, formellement ou informellement, comme le G20 et le G8. Et l’on peut légitimement se demander si le débat sur l’alimentation ne devrait pas s’engager dans un autre cadre, par exemple, la FAO renouvelée. C’est un débat des temps modernes.

La Commission européenne a fait de la question de la concurrence une fin en soi, nous privant ainsi d’éléments d’intervention en matière agricole. Le commissaire Ciolos, en liaison avec le commissaire chargé de la concurrence et le commissaire chargé du marché intérieur, a engagé une discussion pointue sur ce thème. Le commissaire Joaquim Almunia qui n’y était pas favorable semble avoir évolué et des propositions devraient être faites sous quinze jours. Une fenêtre semble s’ouvrir pour la prise en compte de la spécificité agricole par rapport au droit de la concurrence tel qu’il avait été érigé en dogme.

Trois points du débat seront sans doute difficiles. Le premier est les références historiques dont il faut dire très clairement qu’aucune majorité ne soutiendra leur maintien. Même les exploitants agricoles n’y sont globalement pas favorables car le système est trop compliqué. Par ailleurs, la mise à niveau des aides aux pays nouveaux adhérents devra se faire comme nous nous y étions engagés lors de leur adhésion. Il y a un accord au Parlement européen pour avancer vers une solution de droits à paiement unique (DPU) en deux parties, l’une uniforme et fixe et, l’autre, variable en fonction de la situation économique des différents États. Un travail devra donc se faire autour de la façon de calculer cette part variable. Plusieurs critères peuvent être envisagés : PIB, coût salarial à l’hectare, coût horaire de la main-d'œuvre… Enfin, s’agissant du débat couplage/découplage, le vent favorable à un découplage total des aides semble s’être retourné. Un relatif consensus semble se faire autour du constat que l’abandon de tout lien entre production et aides peut conduire à la disparition de certaines filières. Sans aides couplées à la filière bovine, il n’est qu’à signer tout de suite l’accord avec le Mercosur !

M. Stéphane Le Foll, député européen. S’agissant de l’OMC, je voudrais attirer l’attention sur le fait que les négociations sont aujourd’hui en panne, mais qu’il y a plus à craindre des accords bilatéraux, du type accord avec le Mercosur, que des initiatives multilatérales, dont on ne sait en outre comment elles seront traitées par les États-Unis à la suite des élections de mi-mandat. Par ailleurs, sur ces questions, il y a deux faits nouveaux à prendre en compte :

- le Parlement européen souhaite renégocier les mandats de négociation de la Commission obtenus par elle il y a 10 ans dans l’objectif d’intégrer des clauses relatives aux questions environnementales, d’une part, et aux questions sanitaires, d’autre part, voire sociales ;

- sur l’étiquetage, la prudence doit être de mise. Il y a aujourd’hui une inflation d’informations sur l’étiquette des produits, qui risque de perturber le consommateur. Il faut faire des choix pour éviter de tout renvoyer sur le consommateur.

La compétitivité de l’Union européenne tient à la valeur ajoutée de ses produits : avec trois fois plus d’agriculteurs que les États-Unis et deux fois et demi moins de surfaces agricoles, nous produisons quand même une fois et demi fois plus de valeur ajoutée ! Certes, nous ne sommes pas compétitifs sur les grands produits de consommation mais nous sommes capables de valoriser les produits et nous avons une très grande valeur ajoutée sur les produits de qualité. Nous devrons avoir en tête cet axe stratégique sur lequel la France est bien placée.

Il est clair désormais qu’il faut un volet « alimentation » à la PAC qui lui fait actuellement défaut. Ne serait-ce qu’au sein de l’Union, on compte 16 à 17 millions de personnes souffrant de malnutrition. Le PAC doit s’intéresser à la restauration scolaire et appuyer les collectivités dans leurs démarches, afin non seulement de distribuer au moins un repas complet par jour aux enfants mais également de les éduquer au goût et à la diversité de l’alimentation.

Les références historiques sont terminées et il est inutile de se battre sur cette question. Il faut donc trouver d’autres formes de rémunérations, en liaison avec les questions liées à l’environnement.

Favoriser la production de protéines végétales est aujourd'hui un enjeu car les grands flux de protéines végétales ne sont plus entre l’Amérique du Sud et l’Europe mais entre l’Amérique du Sud et la Chine. Il y a donc un espace à prendre. Et pour cela, il faut inciter à la rotation des cultures : c’est ainsi que le Canada est devenu le premier producteur de légumineuses, en aidant à la fixation de l’azote par la culture de légumineuses. On ferait une erreur de ne pas lancer – notamment en France – un grand projet protéinique végétal. Le Parlement européen va d’ailleurs adopter un rapport sur ce point.

Je terminerais sur un sujet qui n’est pas le plus simple : les OGM. La position de la Commission, qui vise à permettre aux États membres d’interdire la culture sur leur sol d’OGM autorisés au niveau européen pour des raisons autres que sanitaires ou environnementales, n’est pas acceptable. Les derniers éléments en provenance des États-Unis font état d’apparition de résistances au glyphosate. Je pense qu’il faut que le Parlement européen se saisisse du débat autour de quatre points. Les deux premiers tiennent aux considérations environnementales pour lesquelles un pays doit pouvoir refuser un OGM et aux considérations sanitaires quand on utilise des OGM qui intègrent des pesticides. Par ailleurs, les considérations économiques doivent être évoqués au niveau européen : jamais on ne se pose la question de savoir s’il y a un intérêt économique à la culture des OGM ! Enfin, la question de l’existence d’alternatives à l’utilisation des OGM doit être posée. Le débat au niveau européen doit s’articuler autour de ces points pour savoir si l’on doit ou pas autoriser les OGM.

M. Alain Lamassoure, Président de la Commission des budgets du Parlement européen. Haut les cœurs ! Ne nous comportons pas en forteresse assiégée alors que nous sommes les meilleurs ! L’agriculture française et l’agriculture européenne disposent de tous les atouts pour répondre à une demande mondiale qui, pour la première fois, augmente plus vite que l’offre, contrairement à ce qui s’est passé pendant les cinquante dernières années. Il faut prendre des initiatives en vainqueur, au lieu de quémander des aides ou d’invoquer la préférence communautaire, à l’exemple de ce que fait l’Allemagne avec sa politique industrielle.

Maintenant il faut livrer trois batailles du point de vue de l’opinion publique, dont les deux premières ont été perdues jusqu’à présent :

- au niveau international dans les négociations, il faut combattre l’idée, répandue notamment par Oxfam, selon laquelle la PAC affame l’Afrique et les aides agricoles artificiellement distribuées à nos producteurs empêchent toute agriculture vivrière d’émerger. Cette analyse est contraire à la vérité. Il faut en faire la démonstration ;

- au niveau européen ou national, il faut arrêter avec l’idée selon laquelle l’agriculture pollue et que seule l’agriculture biologique constitue une porte de salut. Ce combat est moins mal engagé ;

- enfin, il faut renoncer à l’idée selon laquelle les agriculteurs pourraient à la fois bénéficier des hausses des prix du marché et d’aides directes non plafonnées basées sur des références historiques, alors qu’il y a plus de 24 millions de chômeurs en Europe.

Pour finir, sur le budget, il y a une chose que vous devez savoir : c’est que, bien que l’on soutienne tous le fait que la PAC, en tant que première et seule politique commune européenne, doive être financée à 100 % par le budget européen, la France n’y a plus directement intérêt. Alors que cela est pleinement valable tant que la France est le premier bénéficiaire économique et budgétaire de la PAC, cela ne sera plus vrai à partir de 2013, voire dès aujourd’hui. En effet, le financement de la PAC intégralement par le budget européen est une contrepartie du chèque britannique, qui est un remboursement de la contribution de la Grande-Bretagne au budget européen initialement financé par l’Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas. Mais, aujourd’hui, seule la France, et accessoirement l’Autriche, finance le chèque britannique. Si l’on fait la balance entre la contribution de la France au budget européen et le chèque britannique d’une part, et les aides reçues, d’autre part, on constate que la France y perd. Du seul point de vue Bercy, nous aurions tout intérêt à renationaliser la PAC ! J’ajoute que, pour nos organisations agricoles, Paris est plus près que Bruxelles… Serait-ce donc un drame ? Je vous laisse sur ce point d’interrogation…

Le Président Pierre Lequiller. …et d’étonnement ! Je voulais vous dire, au nom des présidents Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Patrick Ollier, et de Serge Poignant, que nous avons trouvé cette réunion très intéressante et de grande qualité. Elle nous conforte dans la conviction qui est la nôtre de l’importance majeure du développement d’un dialogue régulier entre parlementaires nationaux et parlementaires européens sur les principaux sujets d’actualité. »

2. Audition, conjointe avec la Commission des affaires européennes, de M. Dacian Ciolos, commissaire européen en charge de l’agriculture et du développement rural, sur l’avenir de la PAC (réunion du 25 mai 2011)

« M. Serge Poignant, Président de la Commission des affaires économiques. Monsieur le commissaire, le Bureau de notre Commission vous a rencontré à Bruxelles en décembre 2010, et nous avions beaucoup apprécié votre disponibilité. Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui.

Je précise qu’à votre demande, cette audition n’est pas ouverte à la presse.

Avant de laisser la parole à mes collègues, je poserai deux questions.

Tout d’abord, quel est, selon vous, le budget optimal pour assurer l’efficacité de la politique agricole commune ?

Par ailleurs, face à la volatilité des prix des matières premières – qui fait d’ailleurs l’objet d’une mission confiée à M. François Loos et, pour les questions agricoles, à Mme Catherine Vautrin –, le stockage pourrait-il concourir à la régulation que la France souhaite voir mettre en œuvre ?

M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes. Monsieur le commissaire, soyez le bienvenu. Nous vous entendrons avec beaucoup d’intérêt sur les perspectives financières de la PAC, sur les propositions législatives, dont l’examen a été reporté à l’automne, ainsi que sur les accords de libre-échange que la Commission européenne prépare avec les pays du Mercosur, et qui auront un impact très lourd sur l’agriculture européenne.

M. Dacian Cioloş, commissaire européen en charge de l'agriculture et du développement rural. Je suis moi aussi très heureux de cette rencontre, qui fait suite aux contacts que j’ai déjà eus avec certains d’entre vous, notamment à Strasbourg.

Les propositions législatives que la Commission européenne s’apprête à formuler cet automne, suivront les grandes orientations de la communication qu’elle a publiée à la fin de l’année dernière. La présentation de ces propositions n’a pas été à proprement parler « reportée » à l’automne, car il semble naturel qu’elle n’intervienne qu’après la présentation, prévue pour juin, des perspectives financières. Le paquet législatif devrait donc être présenté en octobre.

Cette réforme de la PAC sera la plus profonde depuis l’élargissement de l’Union européenne de 15 à 27 États membres. Elle doit refléter la diversité de l’agriculture européenne, afin que la politique agricole commune reste crédible. S’il était possible, dans une Union européenne à 15, de procéder, en fonction des spécificités de certains États membres, par ajustements et adaptations à la marge d’un modèle agricole dominant, il n’est plus possible de le faire dans une Europe à 27. Il faut prendre en compte d’emblée la diversité de nos agricultures en vue de la mettre en valeur autour d’objectifs communs.

L’architecture proposée consiste à maintenir deux piliers, en évitant que l’un soit essentiel tandis que l’autre, annexe, se limiterait à des mesures destinées à apaiser les mécontentements et à permettre un compromis. Il faut parvenir à répondre au besoin d’unité dans la diversité. Le premier pilier doit se fonder sur une approche communautaire et traiter d’une manière unitaire, sur l’ensemble du territoire européen, du revenu des agriculteurs et de leurs pratiques agricoles. Il doit comporter les trois objectifs fixés pour la PAC : la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles et la contribution de l’agriculture à la gestion des territoires ruraux. Le second pilier doit reposer sur une programmation pluriannuelle et prévoir la possibilité de prendre en compte les spécificités régionales et nationales, tout en visant des priorités communes au niveau européen.

La nouvelle politique agricole commune doit tenir compte à la fois des tâches qui lui sont assignées par le traité sur l’Union européenne et des priorités actuelles de l’Union, fixées par la Commission et entérinées par le Conseil et par le Parlement européen dans le cadre de la stratégie Europe 2020.

Les deux piliers devront être complémentaires. Le premier comprend les paiements directs aux agriculteurs afin de soutenir leur revenu de base, conformément au traité. Du fait de l’augmentation des coûts de production, le revenu des agriculteurs a augmenté moins vite que les prix alimentaires, et ces paiements sont nécessaires tant que le problème de la répartition de la valeur ajoutée sur la chaîne alimentaire n’aura pas été réglé.

Cependant, ce soutien aux agriculteurs, financé par le contribuable, doit aussi correspondre aux attentes de la société européenne quant à l’agriculture. Les pratiques agricoles doivent concilier la production agricole marchande avec une bonne gestion des territoires et des ressources naturelles. Il s’agit donc qu’une partie des paiements directs attribués aux agriculteurs incite ces derniers à adopter des pratiques agricoles bénéfiques pour la bonne gestion des ressources naturelles – c’est le « verdissement de la PAC » –, avec si possible des mesures applicables uniformément sur l’ensemble du territoire européen et qui soient d’une application simple et peu coûteuse, tout en ayant un impact clair et mesurable.

Le premier pilier doit également prendre en compte le niveau de revenu des agriculteurs des zones défavorisées et inciter les jeunes à s’installer et à rester dans l’agriculture, parallèlement aux mesures spécifiquement destinées à l’installation que comporte le deuxième pilier.

Un autre élément, dont la France devrait pouvoir bénéficier, consiste en un schéma de paiement simple pour les petites exploitations – je n’entends pas ici celles qui bénéficient d’une aide sociale, mais celles qui sont insérées sur le marché et ont une taille suffisante pour permettre une telle simplification des aides directes.

La gestion des marchés reposera sur une combinaison d’instruments. Le système d’intervention sera maintenu. Ce filet de sécurité doit pouvoir être mobilisé plus rapidement et d’une manière plus flexible et plus adaptée à la situation spécifique des différents secteurs pour prévenir des situations de crise. Les systèmes de stockage privé et d’intervention sur le marché doivent être combinés avec un renforcement du rôle des organisations professionnelles et interprofessionnelles. Des instruments seront prévus dans le deuxième pilier pour favoriser la constitution des organisations de producteurs et pour soutenir financièrement certaines actions gérées par celles-ci, afin de renforcer leur rôle au sein de la PAC. Ils seront également combinés avec un instrument de gestion de la volatilité des revenus, système assuranciel multirisques et/ou de fonds mutuel auquel les agriculteurs peuvent contribuer dans les périodes où les prix sont favorables, et qui puisse compenser leurs pertes de revenu en cas de réduction des marges. La Commission pourra contribuer à ce fonds.

Il n’est pas envisagé à ce stade de débattre d’éléments spécifiques à tel ou tel secteur. Ces éléments feront l’objet d’une révision entre 2012 et 2014.

Le deuxième pilier fonctionnera selon une programmation pluriannuelle et prévoit une flexibilité permettant de prendre en compte les spécificités locales, en vue de mieux mettre en valeur les liens entre l’agriculture d’un côté, la recherche et l’innovation de l’autre, afin de développer un concept d’« agriculture de connaissance ». La PAC doit faire davantage pour que les résultats de la recherche appliquée puissent se retrouver rapidement dans la pratique. Nous envisageons un paquet de mesures comprenant la formation, le conseil technique et économique, l’innovation et la recherche, ainsi que la constitution d’un réseau de connaissances et de bonnes pratiques européennes en matière de politique de recherche.

Une autre dimension du deuxième pilier est le renforcement, pour l’ensemble des secteurs, des organisations professionnelles et interprofessionnelles de producteurs, qui n’existent actuellement que pour certains secteurs, comme celui des fruits et légumes ou, dans le cadre des propositions du paquet lait, pour le secteur laitier.

Un paquet de mesures vise plus spécifiquement les liens de l’agriculture avec les territoires, permettant de mettre en place, dans le cadre du programme « développement rural », des sous-programmes destinés aux zones de montagne et des mesures pour les marchés locaux et les circuits courts pour la mise en valeur des petites exploitations.

Pour ce qui concerne la dimension rurale, la diversification de l’activité économique en milieu rural, y compris non agricole, sera encouragée. À cet effet, nous souhaitons renforcer et mieux définir le programme LEADER et le rendre plus flexible, afin qu’il puisse continuer à être lié à une problématique locale spécifique.

M. Michel Raison. Nous convenons tous que le budget doit être maintenu, mais tout dépend de la manière dont l’argent est employé en faveur de l’agriculture et des agriculteurs européens.

Comment peut-on utiliser efficacement une partie du budget pour mieux réguler les marchés ? Les intégristes du marché n’ont pas toujours raison. Dans le domaine agricole, où les fluctuations de prix peuvent être plus importantes que dans d’autres domaines, ces fluctuations ne sont bonnes ni pour le consommateur ni pour le transformateur, et encore moins pour le producteur. Nous devons faire preuve d’une véritable volonté de mieux réguler.

Pour ce qui est de la répartition des actions entre le premier et le deuxième pilier, la Commission européenne considère-t-elle que le « verdissement » de la PAC doit figurer dans le premier pilier, ou qu’une discussion est possible pour l’inscrire dans le deuxième ?

Les Français sont très attachés aux compensations de handicaps. Compte tenu des prix mondiaux, il est indispensable d’aider les zones souffrant de handicaps. C’est notamment le cas des zones de montagne, mais elles ne sont pas les seules concernées. Peut-on expliquer que certaines zones défavorisées soient prises en compte au titre du premier pilier, et d’autres, comme les zones de montagne, au titre du deuxième ? Comment envisagez-vous de compenser les handicaps ?

J’espère, enfin, que la simplification annoncée sera réelle : plus on est simple, plus on est compréhensible et efficace.

M. Hervé Gaymard. Je fais miennes les questions de M. Raison.

Par ailleurs, monsieur Cioloş, vous êtes le premier commissaire à engager une réforme non seulement dans une Europe à 27, mais aussi dans le cadre de la nouvelle procédure introduite par le changement constitutionnel. Quelle est votre appréciation de cette nouvelle forme de négociation, qui fait intervenir le Parlement européen en sus de la Commission et du Conseil ?

M. Jean Gaubert. Pouvez-vous nous en dire plus sur les perspectives budgétaires ?

L’abandon des références historiques, la convergence progressive et le soutien à l’agriculture durable sont des objectifs auxquels nous souscrivons.

Nous approuvons également que le premier pilier concerne les cadres économiques du marché européen et le second, l’innovation, les handicaps naturels et d’autres questions, comme l’installation des agriculteurs.

Pour ce qui concerne le type d’aides prévu dans le cadre du premier pilier, notre groupe souhaiterait un système permettant à chaque petite exploitation active de bénéficier d’une prime simple, puis d’un système dégressif corrigé par l’emploi – facteur très différent d’une région à l’autre.

Par ailleurs, il serait intéressant de mieux connaître le détail de l’allocation des sommes à chacun des piliers – ainsi, le « verdissement » de la PAC disposera-t-il, dans le premier pilier, des moyens nécessaires à sa mise en œuvre ?

En matière de gestion des marchés, il nous faut être plus réactifs. Il nous a semblé, au cours des dernières années, que, pour des raisons purement politiciennes, les interventions étaient souvent trop tardives, et coûtaient finalement plus cher que si elles avaient été engagées en temps utile.

Enfin, bien que cela ne relève pas tout à fait de la PAC, les accords avec les pays du Mercosur risquent d’avoir des conséquences très négatives pour certaines régions françaises, notamment de piémont, qui risquent de voir disparaître leur agriculture.

Mme Anny Poursinoff. Quelle serait la participation de la nouvelle PAC à la lutte contre le réchauffement climatique ?

M. Jean Dionis du Séjour. Une question de procédure, tout d’abord. Vous pouvez compter sur notre discrétion pour préserver la confidentialité de nos échanges. Twitter n’en est pas moins un outil permettant de rendre compte.

Je tiens ensuite à vous féliciter, monsieur le commissaire, pour votre maîtrise du français.

J’en viens à mes trois questions. Tout d’abord, avez-vous déjà procédé à des simulations permettant de voir quel serait le solde net alloué à chaque pays après la réforme de la PAC ? Avant cette réforme, la France était bénéficiaire nette, à hauteur de 9 milliards d’euros. En matière budgétaire, il est temps de parler vrai.

Par ailleurs, nous avons eu en France un débat – qui se poursuivra lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale – sur les distorsions de concurrence en matière de coût du travail agricole dans l’Union européenne. Les accords germano-polonais sur la main-d’œuvre nous semblent être la quintessence des distorsions en la matière. Comment jugez-vous cette situation qui pèse lourdement sur le travail agricole ? Le Premier ministre a du reste annoncé pour novembre des mesures à ce sujet, lesquelles devront bien évidemment être eurocompatibles.

Enfin, l’une des clauses de la communication que vous avez diffusée à la mi-2010 a suscité un grand intérêt dans le Sud-Ouest : « pour prendre en compte les problèmes spécifiques de certaines régions où se pratiquent certaines formes particulières d’agriculture considérées comme très importantes », comme le pruneau d’Agen, qui génère 11 000 emplois dans un département, « un soutien couplé facultatif pourrait être octroyé dans des limites bien définies ». La réforme de la PAC prévoit-elle toujours cette mesure ?

Mme Frédérique Massat. Malgré les sécheresses que connaissent plusieurs régions d’Europe et malgré le « verdissement » de la PAC, il ne semble pas que la problématique de l’eau et de la sécheresse ait été véritablement prise en compte dans le projet de réforme. Pouvez-vous nous éclairer à ce propos ?

Pour ce qui concerne l’agriculture de montagne, le paquet qualité applicable aux produits agricoles que propose la Commission ne prévoit pas de mesures de labellisation des produits de l’agriculture de montagne. Une évolution est-elle possible sur ce dossier ?

Enfin, peut-on envisager une reconnaissance des circuits courts par la Commission européenne ?

Mme Catherine Vautrin. Face à la variation des cours, l’un des outils ne pourrait-il consister à augmenter la capacité de stockage ?

Par ailleurs, dans l’objectif du maintien d’un équilibre territorial en zone rurale, quelle est la position de la Commission sur la culture de la luzerne, propre à permettre un « verdissement » ?

Enfin, pour ce qui concerne les droits de plantation de vignobles, je tiens à réaffirmer l’attachement de la France à la qualité de la production et à la protection de l’image de ses produits.

Mme Catherine Quéré. Comme je vous l’ai déjà demandé à Strasbourg lors de la rencontre que nous avons eue avec vous, je souhaiterais savoir où en est le dossier de la libéralisation des droits de plantation viticole – projet sur lequel la France est très mobilisée.

Pouvez-vous inscrire ce projet dans les négociations de la PAC, afin de donner une légitimité pérenne au régime des droits de plantation ? Est-il exact qu’il ne reste plus que quatre pays à convaincre pour obtenir une minorité de blocage ?

M. Philippe Armand Martin. Un article relatif au vin ne devrait-il pas figurer dans le règlement de la PAC pour revenir sur la libéralisation des droits de plantation ? Une telle décision ne coûterait rien, et le terrain semble préparé au Conseil européen, car 14 États sont favorables à cette idée. Un amendement doit être voté dans les prochains jours en commission de l’agriculture du Parlement européen. Une action rapide est nécessaire, car les jeunes viticulteurs sont très inquiets, et le monde de la viticulture n’investit plus.

Mme Annick Le Loch. Le Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), remis en cause par la Cour de justice européenne à la demande de l’Allemagne, apporte à 13 millions de citoyens une aide alimentaire indispensable. Sera-t-il rapidement réformé et rétabli ?

Que va faire, par ailleurs, la Commission européenne dans le domaine du gaspillage alimentaire, que vous avez évoqué récemment ?

M. Francis Saint-Léger. L’aide aux handicaps prévue au titre du premier pilier pourra-t-elle être activée indépendamment de la mise en œuvre des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), prévue au second pilier ? Quelles contraintes naturelles prendra-t-elle en compte ? Pour ce qui est des handicaps naturels en zone de montagne, est-il envisageable, dans le second pilier, de combiner ICHN et prime herbagère agro-environnementale (PHAE) ? Peut-on au moins concevoir une synergie entre des instruments tels que l’ICHN et les mesures destinées à l’installation et à la modernisation ? Enfin, envisagez-vous de réviser la délimitation des zones à handicaps naturels ?

Mme Pascale Got. La PAC envisage-t-elle de poser des outils juridiques et réglementaires pour assurer la transparence des informations sur les stocks et permettre une régulation évitant la spéculation ?

Des orientations sont-elles prévues pour la sylviculture ?

Enfin, il semble que nous soyons tous d’accord ici pour demander la suppression des droits de plantation.

M. Jean-Pierre Nicolas. La Commission européenne promet une aide face à la sécheresse et il semble déjà acquis que 80 % de la prime de vache allaitante seront versés avec deux mois d’avance. Cependant, si la sécheresse continue de s’aggraver, il faudra envisager d’autres aides complémentaires. Qu’en pensez-vous ?

Quelle est, selon vous, la taille des petites exploitations concernées par la simplification de l’aide directe ?

Enfin, pouvez-vous préciser la définition du concept d’« agriculture de connaissance » ? La recherche en fait-elle partie et comment peut-elle être appréciée ?

M. William Dumas. Des mesures sont-elles prévues pour encourager l’agrotourisme et le développement de secteurs économiques en lien avec l’agriculture et créateurs d’emplois non délocalisables et respectueux de l’environnement ?

Les agriculteurs du Midi de la France, dont je suis élu, souffrent de la concurrence directe avec leurs homologues espagnols et italiens, qui utilisent des produits phytosanitaires interdits en France. Comptez-vous harmoniser la réglementation relative aux produits phytosanitaires ?

M. Jean Auclair. Ma question concerne plus particulièrement les éleveurs du bassin allaitant. Pouvez-vous nous confirmer que les références historiques seront supprimées ?

Par ailleurs, êtes-vous favorable au découplage total ? Dans cette hypothèse, seriez-vous favorable à une prime à l’hectare fixée en fonction de la productivité de l’exploitation et de sa situation géographique ?

Enfin, n’oubliez pas que, dans le bassin allaitant, les éleveurs croulent déjà sous les normes environnementales.

M. Jean Grellier. Historiquement, la coopération agricole s’est construite pour défendre les intérêts des producteurs. Or, les concentrations et les regroupements dans le secteur coopératif, voire leur absorption par certains secteurs industriels, privent souvent les producteurs d’un contrôle direct, notamment sur la répartition de la valeur ajoutée – des exemples existent déjà dans les filières de la viande et du lait.

Quel rôle peut jouer de nouveau la coopération agricole et comment peut-elle se construire, dans l’intérêt des producteurs, pour leur en assurer un véritable contrôle ? À cette fin, la dimension territoriale ne doit-elle pas être privilégiée ?

M. René-Paul Victoria. Que prévoit la nouvelle PAC pour les régions ultrapériphériques ? D’autre part, compte tenu de la taille de nos départements, la notion de « marchés courts » s’applique-t-elle au marché intérieur de chaque territoire ?

Mme Corinne Erhel. Comptez-vous réformer le règlement du PEAD, qui permet un lien accru entre PAC, agriculteurs et citoyens ? Si oui, selon quelles orientations ?

M. Claude Gatignol. Chaque année, les autorisations de produits phytosanitaires indispensables à la production de légumes et de fruits donnent lieu à des discussions sans fin, malgré le constat de l’innocuité des molécules utilisées. La Commission européenne peut-elle s’engager à ne pas attendre les dernières heures pour accorder les dérogations nécessaires à l’utilisation de produits qui sont impatiemment attendues par les organisations professionnelles et les producteurs ? La mise en culture d’un hectare de carottes revient à 15 000 euros, et l’autorisation de la molécule attendue est souvent la condition de cette mise en culture.

Mme Marie-Lou Marcel. Que se passerait-il en cas de déclassement des zones défavorisées, par exemple dans la région Midi-Pyrénées où elles représentent 66 % des surfaces agricoles ? Votre position est-elle de maintenir ces zones en incluant des critères tels que la pente ?

Par ailleurs, la nouvelle PAC renforcera-t-elle le développement des produits de qualité – la région Midi-Pyrénées est également une des plus « labellisées » de France – en améliorant la prise en compte des contraintes des producteurs, en soutenant les groupements et en finançant les actions collectives ?

J’appelle enfin votre attention sur les tensions qui entourent la mise en œuvre de la directive européenne sur l’eau. En particulier, la réalisation des réserves de substitution se heurte à des problèmes de délai et de financement.

M. Jean-Marie Morisset. Au sein du « premier pilier », les États membres auront-ils la possibilité d’attribuer une aide supplémentaire aux agriculteurs des zones défavorisées ?

Est-il envisagé de redéfinir les critères de reconnaissance de ces zones ?

Prévoit-on une période de transition entre la fin des références historiques et l’application de la nouvelle PAC ? Quelle pourrait en être la durée ?

Les exigences actuelles des zones « Natura 2000 » seront-elles intégrées dans l’attribution des aides complémentaires ?

M. François Brottes. Je vous remercie pour la qualité de l’écoute dont vous faites preuve à chacune de nos rencontres.

Existe-t-il, au niveau européen, un observatoire capable de déterminer à quelles étapes sont réalisées les marges entre le moment de la production et le moment de la consommation ? C’est un sujet de préoccupation en France ; qu’en est-il dans d’autres pays ?

Par ailleurs, l’état des négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) influera-t-il sur les décisions que vous prendrez au sujet de la nouvelle PAC ?

M. Gérard Voisin. L’esca fait des ravages, notamment en Bourgogne. Pour lutter contre cette maladie du cep, les viticulteurs utilisaient des produits qui sont désormais interdits en France. Quelle solution leur proposer, sachant que la recherche en France et en Europe ne réussit pas à éradiquer l’épidémie ?

M. Dacian Cioloş. Je ne peux malheureusement répondre aux questions relatives aux produits phytosanitaires, qui ne sont pas de mon ressort. Tout ce qui concerne la sécurité alimentaire, les maladies animales et végétales, la gestion phytosanitaire, les OGM, relève du commissaire à la santé et à la politique des consommateurs, M. John Dalli, et, pour certains sujets, du commissaire à l’environnement.

Cela dit, la PAC peut fournir un cadre de financement à des programmes de recherche appliquée à l’agriculture.

En matière de perspectives budgétaires, la politique agricole commune à venir doit être ambitieuse : d’un côté, les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs sont de plus en plus importantes ; de l’autre, malgré l’augmentation des prix agro-alimentaires, les revenus des agriculteurs baissent. C’est sur cette base que je construis la proposition de réforme. Mais j’appartiens aussi à un collège, la Commission européenne, qui doit faire face à un dilemme : tout en refusant de verser un centime de plus, voire en réclamant des coupes dans le budget global de l’Union, les États membres lui demandent de faire plus pour la recherche, les transports, l’énergie, les migrations, la politique extérieure, etc. La Commission devra donc jouer entre le maintien des priorités – notamment celles qui sont prévues par les traités, et dont la PAC fait partie – et la nécessité de dégager des marges pour démarrer la communautarisation de certaines politiques dont nous avons besoin au niveau européen pour relancer la croissance.

En tout état de cause, je plaide pour un maintien du budget, mais cela dépendra de la façon dont la Commission parviendra à réaliser certaines compensations. La PAC ne paiera certainement pas tout le prix, mais elle devra contribuer, à côté d’autres politiques, à la relance de certains objectifs complémentaires. Nous élaborerons le projet de contribution de la PAC en fonction du positionnement des États membres à ce sujet. La proposition législative sera en rapport avec le niveau d’ambition du budget.

Je reste optimiste : je suis persuadé que le budget alloué sera à la hauteur de la place que la PAC occupe et occupera parmi les politiques communautaires. Peut-on, pour autant, maintenir ce budget tout en faisant baisser le budget global et en finançant d’autres politiques ? Si vous avez une solution, je suis preneur !

Une autre série de questions portait sur la répartition entre le premier et le deuxième pilier des mesures de verdissement et du soutien aux zones défavorisées et aux zones de montagne. Comme je l’ai dit, le premier pilier aura une dimension européenne claire, avec des mesures s’appliquant de la même manière dans l’ensemble de l’Union, tandis que le deuxième pilier assurera aux États et aux régions une flexibilité leur permettant de prendre des mesures spécifiques pour atteindre des objectifs communautaires.

S’agissant du verdissement, il s’agit de montrer que l’agriculture européenne dans son ensemble est en mesure d’appliquer des pratiques agricoles favorisant la bonne gestion des ressources naturelles. C’est pourquoi nous intégrerons cet aspect au premier pilier, en proposant qu’une partie des aides soit liée à des pratiques simples, telles que la rotation et la diversification des cultures dans une exploitation, le maintien de pâturages permanents, ou encore le maintien de petits reliefs, de bandes enherbées, etc., qui ne sont pas actuellement éligibles. Applicables sur tout le territoire européen, ces dispositions ne sont pas difficiles à contrôler et elles peuvent avoir un impact positif et mesurable sur la bonne gestion des ressources naturelles.

Ces incitations devraient mettre fin au discours erroné selon lequel l’agriculture européenne est polluante et ne se soucie pas d’environnement. Leur intégration au premier pilier vise à créer un effet de masse et à instituer des règles communes afin d’éviter les distorsions et d’améliorer la visibilité au niveau européen.

Ces mesures seront complétées par des mesures agro-environnementales supplémentaires, financées au titre du deuxième pilier et élaborées en fonction de la spécificité des zones. Les États membres ou les régions pourront les choisir et les proposer aux agriculteurs qui, s’ils les appliquent, recevront un paiement supplémentaire. Il y a donc complémentarité entre une approche globale et une approche spécifique.

Il en va de même pour les zones défavorisées. Après que l’on aura abandonné les critères historiques, nous proposons au titre du premier pilier une redéfinition des paiements directs fondée sur des régions homogènes, tout en donnant la possibilité aux États membres d’accorder d’emblée un complément de paiement – par exemple 5 ou 10 % – aux exploitations situées dans ces zones. Au titre du deuxième pilier, nous maintenons le paiement de compensations spécifiques que les États membres pourront verser à des régions ciblées – zones de montagne, autres zones défavorisées.

La décision de redéfinir les critères des zones défavorisées a été prise avant que je n’entre en fonction. Elle fait suite à une demande expresse de la Cour des comptes européenne, qui avait dénoncé l’hétérogénéité des paiements et le risque de distorsion que comportaient les critères existants, trop spécifiques et non mesurables au niveau européen. Soit la Commission cessait les paiements, soit elle définissait des critères objectifs applicables à l’ensemble de l’Union. Elle a donc choisi ces critères biophysiques, mesurables sur le terrain et reposant sur des données chiffrées. Pour en ajuster la définition et pour éviter de trop grandes différences entre la situation actuelle et la situation ultérieure, les États membres ont réalisé des simulations. Nous leur laissons également la possibilité de classer 10 % de leur surface agricole en zone défavorisée sur la base de critères spécifiques. La France ne me semble pas être le pays le plus pénalisé par ce dispositif. En revanche, des problèmes se posent pour d’autres États membres.

Le schéma de paiement prévu pour les petites exploitations s’inscrit dans un cadre général de simplification des règles, des procédures et des principes. Il concernera 20 à 25 % des exploitations européennes, qui représentent 4 à 5 % de la surface agricole de l’Union. Les contrôles et les obligations seront réduits au minimum. Il en résultera une simplification tant pour les agriculteurs que pour les administrations.

Pour ce qui est des normes, j’ai défendu devant mes collègues de la Commission la position suivante : le verdissement doit apporter une valeur ajoutée européenne à des pratiques agricoles bénéfiques à l’environnement et à la gestion des ressources naturelles, mais nous devrons simplifier les règles relatives à l’éco-conditionnalité et au bien-être animal, qui coûtent plus cher qu’elles n’apportent à la société. Il ne s’agit pas de ne pas respecter la législation européenne, qui prévoit certaines obligations pour les agriculteurs comme pour d’autres secteurs économiques, mais certaines dispositions sont d’application malaisée, font apparaître un taux d’erreur élevé dans les contrôles et n’apportent pas une grande valeur ajoutée.

Nous proposerons également la simplification de certaines mesures applicables au titre du deuxième pilier. Mais, entre ces propositions de la Commission et ce qui se retrouvera sur le terrain, il faut compter avec les interventions du Conseil, du Parlement et enfin de l’État membre, qui définira les conditions de mise en œuvre. J’espère que cette chaîne ne donnera lieu à aucune complication.

Cela me conduit à la question de M. Gaymard relative au processus de codécision entre la Commission et le Parlement. Après un an d’expérience et de travail en commun, je suis plutôt confiant. Sans doute la codécision allongera-t-elle le processus de décision, mais elle donnera aussi plus de consistance à la réforme. Alors que l’approche du Conseil est tributaire des intérêts des États membres, qui essaient chacun de « gratter » quelque chose en fonction de l’intérêt national – ce qui est légitime –, celle du Parlement dépendra davantage du positionnement politique des groupes. On peut donc espérer que l’intérêt territorial national se combinera avec l’intérêt social des représentants des différentes catégories de l’électorat au sujet du rôle de la PAC. Cette politique, jusqu’à présent très mal comprise par le citoyen de base, devrait gagner en légitimité. Malgré le prix à payer, à savoir le délai de 18 mois entre la proposition législative et la fin de la procédure, je suis optimiste.

Par ailleurs, je ne crois pas que le premier pilier doive simplement être consacré à l’économie et au marché, tandis que le deuxième ne concernerait que le niveau local. L’appui aux organisations de producteurs, aux systèmes assurantiels et aux fonds mutuels agricoles, à l’organisation des marchés locaux et au développement des circuits courts, qui est prévu dans le deuxième pilier, aura un impact économique, de même que le soutien direct aux zones défavorisées et aux zones de montagne. La différenciation, j’y insiste, s’établit entre une approche globale et une approche locale, pour atteindre des objectifs européens dans les deux cas.

L’idée d’une dégressivité prenant en compte l’emploi, Monsieur Gaubert, correspond à peu près à ce que nous envisageons actuellement.

Il est en revanche difficile de déterminer comment le « verdissement » se répartira dans le budget. Je ne pourrai proposer un certain pourcentage qu’en m’appuyant sur une étude d’impact en cours de réalisation. Mon intention est que la part de budget allouée au verdissement soit assez importante pour être incitative, mais qu’elle ne crée pas un déséquilibre avec la part consacrée au soutien aux revenus des agriculteurs. Cela dit, les mesures de verdissement ne devraient pas être si difficiles à appliquer.

S’agissant de l’intervention sur les marchés, nous souhaitons étendre la liste des secteurs pour lesquels le stockage privé pourra s’appliquer. Nous entendons aussi permettre une intervention du stockage privé limitée à une région où apparaîtrait un déséquilibre. Nous étudions enfin la façon dont nous pourrions déclencher certaines mesures d’intervention fondées non seulement sur la variation de prix, mais aussi sur la variation de la marge revenant à l’agriculteur, laquelle peut être liée aux coûts de production, et non pas aux prix. Il faut être flexible et éviter de lancer des mesures trop tard ou trop tôt pour des raisons politiciennes.

S’agissant des relations commerciales, un accord agricole avec le Mercosur ne doit pas être « ambitieux » mais « équilibré ». Il faut non seulement examiner ce qui est supportable pour l’agriculture européenne, mais aussi adopter une approche offensive lorsqu’il existe un potentiel : après tout, l’agroalimentaire est un des premiers secteurs exportateurs de l’économie européenne. Quoi qu’il en soit, un accord n’est pas imminent et la proposition que la Commission mettra sur la table en matière agricole se fondera sur une étude d’impact. Je veillerai à ce que l’accord éventuel évite la mise en place de compensations, car cela signifierait que la PAC paierait pour d’autres secteurs de l’économie européenne. Je m’oppose à l’idée d’une ouverture sans limites au motif que l’on puisse accorder des compensations aux agriculteurs. Mieux vaut être prudent et ne pas faire plus que l’on ne peut.

La contribution de la PAC à la lutte contre le réchauffement climatique, Madame Poursinoff, passe par les mesures de « verdissement » en faveur des pâturages permanents, de la rotation et de la diversification des cultures. Nous tentons d’élaborer des indicateurs pour mesurer leur effet sur la fixation du carbone et sur la réduction des émissions.

En outre, le deuxième pilier comportera des mesures agro-environnementales touchant à l’investissement et à l’innovation. La réduction de l’impact sur le réchauffement climatique sera déterminante pour fixer le niveau des aides. Ce sera le cas, par exemple, des aides à l’achat de matériel agricole.

Il est un peu tôt, Monsieur Dionis du Séjour, pour vous indiquer quel sera le solde de la nouvelle PAC pour la France, puisque j’ignore les perspectives budgétaires. Quant aux distorsions de concurrence que vous évoquez, le commissaire László Andor vous dira mieux que moi qu’il n’existe pas de politique européenne en matière de droit du travail : la législation est toujours du ressort des États membres et la marge de la Commission est très réduite.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est important de le souligner !

M. Dacian Cioloş. La Commission – notamment Michel Barnier et László Andor – réfléchit à des propositions pour « communautariser » ces questions autant que possible, mais cela n’est pas imminent.

Les paiements directs, vous le savez, sont de façon générale découplés. Nous nous efforcerons d’utiliser toute notre marge de manœuvre en matière de paiements couplés pour des régions et des secteurs bien particuliers, lorsque le besoin sera dûment justifié par l’État membre. Je suis bien conscient du caractère très spécifique de certaines situations.

Le paquet « Qualité », Madame Massat, a été remis au Conseil et au Parlement. Il ne comprend pas le label « montagne » car j’ai introduit cette idée sans qu’il nous soit laissé le temps de mener l’étude d’impact qui doit accompagner toute proposition de la Commission. Mais je serai favorable à toute initiative du Conseil ou du Parlement en ce sens, comme je serai favorable à une initiative concernant les circuits courts. Dans le cas contraire, la Commission reviendra avec une proposition fondée sur une étude d’impact.

La question du stockage pour gérer la volatilité des prix, Madame Vautrin, ne peut être abordée au seul niveau européen puisque le marché mondial est ouvert. Il est inutile de mettre en place un système pour l’Union si l’Ukraine ou la Russie décident d’agir de manière unilatérale. Le G20, qui se tient actuellement sous présidence française constitue une opportunité mais je crains que l’idée ne reçoive pas un grand appui.

Le soutien à la rotation et à la diversification des cultures permettra de développer la culture de la luzerne et, plus généralement, des protéinagineux et des oléagineux. Cela dit, on ne peut revenir sur les décisions consécutives au bilan de santé de la PAC en 2008, s’agissant des paiements couplés.

De même, tout le monde se tourne aujourd'hui vers la Commission à propos des droits de plantation dans le secteur viticole, alors que c’est le Conseil qui a décidé leur suppression en 2008. En tant que commissaire, je dois inscrire mon action dans le cadre d’un règlement du Conseil. En outre, je ne souhaite pas que la réforme globale de la PAC soit l’occasion de rouvrir des dossiers sectoriels.

Le rapport que la Commission doit remettre en 2012 au Conseil et au Parlement sur la mise en œuvre et l’impact de la réforme du secteur vitivinicole n’est pas censé aborder la question des droits de plantation, mais je suis prêt à examiner dans ce cadre si des éléments nouveaux justifient une nouvelle analyse. Quoi qu’il en soit, nous devons agir avec réalisme et prendre en compte la situation du marché actuel. Quel serait le rôle des droits de plantation dans le nouveau marché ? Je ne suis pas contre la discussion pour peu qu’on la mène dans un certain cadre. Les États membres ayant déjà rendu leur décision, il faut revenir avec des propositions constructives.

Concernant l’aide alimentaire aux plus démunis, la Commission a proposé une réforme au Conseil et au Parlement. Il existe à l’évidence, parmi les États membres, une minorité de blocage qui, contrairement au Parlement, souhaite mettre fin à ce soutien. Je souhaite pour ma part le maintenir et je suis embarrassé par la décision de la Cour de justice des communautés européennes. Comment appliquer cette mesure sans disposer de stocks publics ? L’intervention sur les marchés, utilisée comme filet de sécurité, n’est plus systématique, si bien que nous risquons de ne pouvoir agir faute de stocks. Nous nous efforçons de trouver une solution intermédiaire qui ne se heurterait pas à la minorité de blocage du Conseil.

J’envisage par ailleurs de développer, au sein de la Commission, un instrument plus performant de collecte et de publication des données relatives aux stocks, aux marchés, à la production, aux revenus des producteurs et aux marges, afin que les opérateurs, y compris les agriculteurs, puissent être informés. J’espère que la réunion des ministres de l’agriculture du G20 permettra également d’avancer dans cette voie.

La Commission est prête à anticiper le versement des paiements pour aider les agriculteurs à faire face à la sécheresse, mais la législation européenne actuelle ne prévoit aucune aide complémentaire. La France dispose encore d’une certaine marge pour utiliser les aides d’État. Nous nous efforcerons de traiter les demandes avec célérité.

La définition de la « petite exploitation » variera sans doute d’un État membre à l’autre. Nous essaierons de fixer des principes au niveau européen, à charge pour les États d’apporter une définition plus précise au niveau national.

En matière de recherche et d’« agriculture de la connaissance », nous souhaitons favoriser la connexion entre les agriculteurs et les instituts de recherche appliquée ou fondamentale, ainsi que le financement des transferts de la recherche vers la pratique. Nous voulons également qu’un financement spécifique permette d’élargir le conseil et la formation agricoles à ces thèmes. Enfin, je travaille avec ma collègue en charge de la recherche, Máire Geoghegan-Quinn, à la création, au niveau national et au niveau européen, d’un réseau de bonnes pratiques favorisant le partage des fruits de la recherche et de l’innovation, et qui combinerait les moyens de la politique européenne de recherche et ceux de la PAC.

Les mesures concernant l’agrotourisme, Monsieur Dumas, se retrouveront dans le deuxième pilier, comme toutes les mesures relatives à la diversification. Une marge assez large sera laissée aux États membres pour les définir en fonction des spécificités locales.

Pour les éleveurs allaitants, Monsieur Auclair, la possibilité d’un couplage de la prime sera maintenue dans les secteurs où cela se justifie. En matière de normes environnementales, nous œuvrons à une simplification et à une clarification.

S’agissant du secteur coopératif, la marge d’intervention communautaire est réduite. En effet, une coopérative fonctionne sur la base de son statut, lequel est décidé par les membres de la coopérative, dans le cadre des législations nationales. Ce que je peux dire, c’est que la Commission soutiendra, au sein de la PAC, toute forme d’initiative pour une action collective.

La nouvelle PAC ne se traduira pas par un bouleversement de la politique spécifique à l’égard des régions ultrapériphériques (POSEI). S’agissant des circuits courts, elles bénéficieront, comme les autres régions d’Europe, des mesures de mise en valeur des produits locaux que nous proposerons dans le paquet « Qualité », ainsi que des mesures spécifiques de soutien financier inscrites au deuxième pilier. Ce matin même, j’ai eu une discussion très intéressante à ce sujet à l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. Le développement de filières territoriales à circuit court s’intègre parfaitement aux propositions que nous ferons.

Les États ont jusqu’en 2012 pour transposer la directive sur l’eau. Nous verrons alors de quelle manière les instruments de soutien et d’incitation de la PAC pourront contribuer aux mesures prévues par ce texte. Le règlement comportera sans doute une possibilité d’ajustement en fonction de la manière dont la directive sera transférée.

Après l’abandon des références historiques, la mise en place du nouveau schéma de paiement comportera une période de transition assez longue pour que les agriculteurs et les régions puissent s’adapter. Sa durée sera fixée au cours du processus décisionnel avec le Conseil et le Parlement.

Monsieur Morisset, non seulement les États membres pourront apporter des aides complémentaires aux zones « Natura 2000 », mais il est également prévu que les exploitations qui y sont implantées et qui en respectent certains principes bénéficient automatiquement de la reconnaissance de verdissement, de même que les exploitations certifiées « agriculture biologique ».

Vous aurez remarqué, Monsieur Brottes, que je n’ai pas une fois évoqué l’OMC dans mes propos sur la PAC. Nous menons la réforme de la PAC pour les Européens et avec les Européens, je n’ai pas l’intention de l’aligner en quoi que ce soit sur l’OMC. Nous verrons cela après.

Au sujet d’un éventuel observatoire européen des marges, nous essayons de développer des instruments de collecte de l’information et de statistique pour mener cette analyse au sein de la Commission. Le succès de cette démarche dépendra de la coopération des opérateurs du secteur et des pays membres.

Le Président Serge Poignant. Le Président Lequiller et moi-même vous remercions vivement pour cet échange très dense et pour la clarté de vos propos. Nous vous félicitons et vous encourageons à soutenir nos positions. »

3. Examen en commission

La Commission s’est réunie le mercredi 13 juillet 2011, sous la présidence de M. Serge Poignant, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

M. le président Serge Poignant. La proposition de résolution européenne qui vous est soumise aujourd’hui porte sur un sujet essentiel pour l’avenir de l’agriculture européenne et française. La communication de la Commission européenne du 18 novembre 2010 sur l’avenir de la politique agricole commune (PAC) après 2013 et ses récentes propositions du 29 juin 2011 sur les perspectives financières 2014-2020 constituent la base des discussions concernant la réforme de la politique agricole commune, dans l’attente des propositions législatives annoncées pour l’automne.

Il est donc indispensable d’exprimer en amont nos positions si nous voulons être pleinement associés au débat qui s’engage.

Au sein de l’Assemblée nationale un groupe de travail conjoint de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes a été constitué pour faire des propositions sur la réforme de la PAC. Il a été constitué sur le même format que celui mis en place, en 2008, pour l’examen du bilan de santé. L’expérience a en effet montré tous les fruits pouvant être tirés d’une réflexion commune. Il a, à la lumière des auditions des organisations professionnelles, des personnalités et chercheurs et des représentants de nos partenaires européens, fixé des orientations prioritaires pour la défense d’une politique agricole commune forte. Ce groupe de travail a élaboré un rapport très complet et a formulé une proposition de résolution européenne rassemblant les principaux éléments de la position française. Le rapport et la proposition ont été adoptés il y a deux semaines, à l’unanimité, par la commission des affaires européennes.

Certes, on ne peut que souscrire aux trois grands objectifs identifiés par la Commission européenne : la sécurité alimentaire, le développement durable et la vitalité des territoires. Mais la Commission tente de concilier des intérêts contradictoires en raison des divergences d’approches des États membres. Cela se traduit par le flou de certaines orientations. Au delà des grands principes, désormais consensuels, la communication de la Commission suscite plusieurs interrogations. La résolution européenne que le rapporteur, notre collègue Michel Raison, va présenter, permettrait d’éclairer la position de la France sur ces sujets.

Je remercie Jean Gaubert, qui a accompagné Hervé Gaymard au Parlement européen hier à une réunion interparlementaire portant sur l’avenir de la PAC à l’horizon 2020.

M. François Brottes. Je suggère que Jean Gaubert donne des éléments de contexte sur cette rencontre dans la mesure où il s’agit d’un élément d’actualité avant que la commission ne commence l’examen de la résolution.

M. le président Serge Poignant. Si le rapporteur est d’accord, et en l’absence d’Hervé Gaymard, excusé, Jean Gaubert pourrait faire un compte rendu de la rencontre.

M. Michel Raison, rapporteur. J’y suis tout à fait favorable

M. Jean Gaubert. Nous étions hier à une réunion à l’initiative de la commission de l’agriculture du Parlement européen à laquelle participaient les représentants d’une vingtaine de pays sur les vingt-sept. Ne manquaient parmi les grands pays agricoles que l’Espagne et le Danemark. Mais tous les autres grands pays agricoles et en particulier les pays de l’Est étaient représentés, ce qui montre bien l’importance qu’ils accordent à la politique agricole commune. Le commissaire européen a fait une déclaration que je ne vais pas commenter car elle était dans la droite ligne de ce qu’il avait dit quand il était venu à l’Assemblée nationale à l’invitation du président. Je donnerai ici quelques éléments d’ambiance. Il me semble, et Hervé Gaymard serait d’accord avec moi, qu’il existe un large soutien du Parlement européen aux propositions de M. Dacian Ciolos en l’état actuel des choses. Ce n’est pas aussi vrai quand on écoute nos collègues des parlements nationaux. On voit ainsi la fracture entre ceux qui poussent M. Dacian Ciolos à aller beaucoup plus vite dans la convergence, il s’agit en particulier des élus des parlements des pays de l’Est, on les comprend tout à fait, et les autres. Aujourd'hui, on en est, de mémoire, à 100 euros par hectare pour la Lituanie, le chiffre exact est dans le rapport, et 700-800 euros par hectare pour la Grèce. Il existe donc une forte pression à la convergence. Nous avons, Hervé Gaymard et moi, exprimé notre accord concernant la convergence, tout en soulignant qu’il convenait de définir un calendrier raisonnable, entre 2013 et 2020. Il y a débat sur le verdissement. La position allemande est complexe, car les Allemands du Sud sont d’accord avec ce principe, les Allemands du Nord ne le sont pas. Les Britanniques, les Néerlandais et les Danois y sont relativement opposés aussi. Le débat sur la dégressivité va être tendu. Il faut savoir que si la dégressivité n’est pas mise en place, on ne sait pas ce qui restera pour les petites exploitations, parce que, curieusement, tout le monde dit qu’il faudra aider les petites exploitations dans les pays de l’Est, car c’est surtout là que ça se déroule et on ne voit pas les moyens.

M. le président Serge Poignant. La Roumanie était-elle représentée ?

M. Jean Gaubert. Oui, la Roumanie était représentée, la Bulgarie était très représentée, la Pologne aussi. Le débat qui va rester, c’est celui sur la régulation. C’est l’une des faiblesses de la proposition de M. Dacian Ciolos car c’est un sujet compliqué. Je pense qu’il va falloir qu’on continue, nous les Français, et d’autres qui sont d’accords avec nous, à peser sur les négociations. Voilà en quelques mots ce qui s’est dit. On a bien senti un certain nombre de lignes de fractures. Elles ne sont d’ailleurs pas toutes politiques. Je veux dire un dernier mot, sur le calendrier, les négociations vont se dérouler sur plus de deux ans, avec une conclusion avant la fin de l’année 2013. On ne va pas crier victoire, la perspective budgétaire n’est quand même pas très encourageante, mais sur l’architecture générale, on a senti une majorité de parlements qui se dégageait pour soutenir les propositions du commissaire Ciolos.

M. le président Serge Poignant. Merci pour ce rapport. Je pense effectivement qu’il faut que nous soyons présents en permanence, pour réaffirmer nos positions, et faire adhérer un maximum d’États. C’est vrai que les élus allemands ont des positions qui diffèrent selon la région qu’ils représentent.

M. le rapporteur. Comme l’a indiqué le Président, le groupe de travail conjoint de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes a été constitué pour faire des propositions sur l’avenir de la PAC. Ses travaux ont abouti à la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui et dont je vais vous présenter les principaux éléments. Je vous propose de l’adopter conforme, car elle est le fruit d’un travail établi en étroite collaboration entre les différents membres du groupe.

Tout d’abord, je tiens à signaler que la réforme de la politique agricole commune après 2013 ne sera pas une réforme comme une autre. 2013 marquera en effet la fin de la paix budgétaire : l’accord de Luxembourg de 2003 avait posé le principe d’un budget agricole stabilisé pendant dix ans. L’avenir de la PAC sera étroitement lié au résultat des négociations sur le futur cadre financier de l’Union européenne pour 2014-2020. Dans le contexte de crise économique et financière qui pèse sur les économies européennes, la PAC est en concurrence avec les autres politiques.

Cette réforme sera aussi la première conduite à vingt-sept. Si les mécanismes de la PAC prévus pour six avaient, lors des réformes successives, pu être adaptés à quinze, un simple ajustement ne suffit plus. En particulier, la question de la répartition des paiements directs entre États membres sera l’un des points importants de la négociation européenne, ainsi que l’a souligné Jean Gaubert.

La Présidence française de l’Union européenne avait lancé, dès 2008, à l’occasion de l’examen du bilan de santé de la PAC qui clôturait un cycle de réformes, un débat sur la refonte de cette politique après 2013. Après l’appel de Paris pour une politique agricole et alimentaire commune du 11 décembre 2009, la France et l’Allemagne ont pris l’initiative, le 14 septembre 2010, d’une position commune pour une politique agricole forte au-delà de 2013. Dans la continuité, des délégations des Parlements français et allemand ont adopté, le 3 février 2011, au Sénat, une position commune. Mais le clivage traditionnel entre États membres partisans d’une PAC forte et ceux qui jugent cette politique plutôt obsolète existe toujours.

La réforme qui s’engage peut donc être la réforme de tous les dangers car elle affecte à la fois le budget, les objectifs de la PAC et son contenu. Mais elle peut aussi être l’occasion pour la PAC de faire la preuve de sa valeur ajoutée et de sa légitimité. Nous avons encore de nombreux mois devant nous pour convaincre. Je vous renvoie à cet égard au rapport, qui contient un développement sur l’efficacité de la PAC et qui réfute les critiques récurrentes qui lui sont adressées. Cette légitimité va se trouver confortée par le nouveau contexte institutionnel : le processus décisionnel fait du Parlement européen un colégislateur au même titre que le Conseil.

Dans l’attente des propositions législatives de la Commission européenne, attendues pour le mois d’octobre, la communication du 18 novembre 2010 intitulée « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l’avenir » constitue la base des discussions au niveau européen. Les objectifs stratégiques de la PAC identifiés par la Commission sont largement consensuels. Il s’agit de maintenir durablement la capacité de production agricole afin de garantir la sécurité alimentaire des citoyens et contribuer à la demande alimentaire mondiale ; contribuer à une gestion durable des ressources et à la lutte contre le changement climatique ; assurer la vitalité des zones rurales et l’équilibre territorial en termes de compétitivité et de créations d’emplois. Le fait que la sécurité alimentaire soit placée au premier rang des objectifs témoigne d’une évolution positive de la part de la Commission, en rupture avec le discours des dernières années, marqué par la forte crainte de la surproduction. Le G20 qui vient d’avoir lieu a bien réaffirmé cette capacité productive que doivent avoir les pays agricoles.

Cependant, au-delà des objectifs, les grandes lignes de la réforme ne sont pas encore arrêtées, et notre groupe de travail a souhaité adopter en amont des orientations prioritaires pour la défense d’une PAC forte.

Deux préalables s’imposent. Il nous faut un budget fort, c'est-à-dire maintenu à son niveau actuel, à l’euro près. A cet égard, on peut se féliciter que le cadre financier proposé par la Commission le 29 juin dernier gèle les dépenses pour le secteur agricole à leur niveau de 2013. Il faut également une politique commerciale équilibrée. Premier importateur mondial de produits agroalimentaires, l’Europe n’est pas repliée sur elle-même. Dans le cadre des négociations multilatérales du cycle de Doha, elle a déjà fait beaucoup d’efforts face à des pays qui ne sont pas en reste sur les soutiens qu’ils apportent à leurs agriculteurs. Même si la conclusion du cycle de Doha paraît aujourd’hui très incertaine, il ne faut pas en exclure la possibilité. L’Union européenne a déjà consenti à des concessions très importantes dans le cadre du « paquet agricole » de juillet 2008, tant en termes d’accès au marché que de régulation. Il faut donc absolument éviter d’aller au delà de cette offre, ce qui ferait de l’agriculture la variable d’ajustement de la négociation globale. L'Europe doit également défendre ses intérêts en matière d'indications géographiques car celles-ci sont la garantie de la qualité, notre principal atout face à la concurrence mondiale. Il est d’autre part essentiel de veiller à nos intérêts en matière d’agriculture dans le cadre des négociations commerciales bilatérales. Je pense en particulier à la perspective d’un accord avec le Mercosur, qui pourrait mettre gravement en danger l’élevage européen, en particulier bovin. Il convient enfin de promouvoir le principe de réciprocité, en vertu duquel les produits importés doivent être conformes aux normes imposées aux producteurs européens, afin de garantir des conditions de concurrence équitables au plan mondial.

Je voudrais dire un mot sur la parité des revenus, qui fait partie des objectifs initiaux de la PAC. La PAC visait en effet à l’origine à nourrir la population européenne mais également à assurer la parité de revenus entre les agriculteurs et les autres catégories économiques. On s’aperçoit aujourd'hui que les paysans, en moyenne européenne, perçoivent 40 à 50 % du revenu moyen. La part de la valeur ajoutée qui leur revient au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire ne cesse de décroître en moyenne européenne. Il s’agit d’un vrai problème et il faut que la politique agricole en tienne compte. On peut considérer que les aides perçues par les agriculteurs tombent dans une sorte de puit sans fond que pourraient être les poches de certains acteurs que je ne nommerai pas et ce n’est pas la PAC que nous voulons.

Le groupe de travail recommande une régulation musclée avec des instruments plus réactifs et plus efficaces, même si ce point est l’un des plus controversés des négociations. Face à la volatilité des prix et à la multiplication des risques sanitaires et climatiques, il est aujourd'hui indispensable de renforcer la régulation, dans le double objectif de garantir la sécurité alimentaire et de soutenir le revenu des agriculteurs. Les orientations de la communication de la Commission sont à cet égard insuffisantes. Nous souhaitons qu’une véritable réflexion, permettant de déterminer quels sont les instruments les plus efficaces, soit menée. Les récentes crises qui ont frappé les agriculteurs européens, notamment la crise du lait de 2009, ont permis une certaine prise de conscience au niveau européen. Ainsi, la communication de la Commission n’envisage pas de poursuivre le démantèlement des instruments de régulation engagé depuis le début des années 1990, mais elle reste assez vague sur les évolutions possibles, et il n’existe pas de majorité au sein du Conseil en faveur d’un renforcement de la régulation qui irait au-delà d’un « filet de sécurité ». A notre sens, la régulation devrait pourtant avoir une dimension préventive pour être véritablement efficace. L’ensemble du groupe de travail, toutes tendances politiques confondues, s’est accordé sur ce sujet. Dans ce groupe ne se trouvait en effet aucun intégriste du marché, n’en déplaise à ceux qui le sont.

Le groupe de travail souligne plus spécifiquement, dans la continuité de la résolution adoptée récemment sur les droits de plantation, la nécessité de maintenir des instruments de gestion de l’offre pour certaines productions. La suppression des droits de plantation programmée en 2015 menacerait l’avenir du muscadet, entre autres, et de la viticulture européenne dans son ensemble. Il convient donc d’inclure ce secteur dans le champ des négociations sur la PAC et d’inscrire le régime des droits de plantation comme règle permanente dans la future PAC.

Je fais aussi une parenthèse sur le fameux dossier du programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD). La Cour de Justice des Communautés européennes a rendu en avril dernier un arrêt qui contraint la Commission à attribuer pour 2012 à ce programme un cinquième du budget habituel. Le point 33 de la résolution évoque ce problème en insistant pour le niveau des crédits accordés au PEAD soit maintenu. Cela implique une réforme des règlements européens. C’est important car cela fait partie de l’âme du monde agricole. Dans les milieux ruraux, les gens, souvent, n’ont pas faim car leurs voisins les aident, on rencontre ces problèmes dans les milieux urbains. Le fait que la politique agricole européenne s’intéresse aussi aux plus démunis cela fait partie de l’âme d’origine des paysans. Pendant les guerres, les paysans recevaient et nourrissaient des Parisiens afin que ces derniers puissent vivre normalement. Je trouve très noble que la politique agricole européenne continue, avec en plus des stocks qui sont nécessaires à la régulation, à aider les plus démunis. Mais tous les pays ne sont pas nécessairement d’accord avec nous sur ce sujet.

Une régulation internationale doit parallèlement être mise en œuvre, et le plan d’action adopté par les ministres de l’agriculture du G20 le 23 juin dernier est une étape importante dans cette voie. Celui-ci prévoit en effet l’amélioration de l’information et de la transparence sur les marchés, ainsi que de la coordination internationale afin de prévenir et gérer les crises alimentaires de manière plus efficace. Une meilleure régulation des marchés de matières premières agricoles est également nécessaire. Dans la même perspective, s’il est positif que la Commission propose d’inclure dans le second pilier un ensemble d’outils de gestion des risques, le débat sur ces nouveaux instruments (systèmes assurantiels, fonds de mutualisation…) doit être approfondi, de façon à obtenir une couverture efficace des risques de prix, de production et de revenus auxquels sont confrontés les agriculteurs européens. Le développement de ce type d’instruments ne doit cependant pas se substituer à la nécessaire régulation des marchés.

Le groupe de travail est également favorable aux initiatives européennes visant à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire – sujet qui en France a été mis en lumière par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Il faut saluer à cet égard l’évolution de la Commission européenne, qui admet à présent certaines dérogations au droit de la concurrence pour prendre en compte les spécificités de la filière laitière, et souhaiter que des dérogations, voire de nouvelles règles, puissent également s’appliquer à d’autres secteurs agricoles.

Nous souhaitons le maintien de l’équilibre entre les deux piliers sur lesquels repose la PAC, avec un premier pilier solide et financé communautairement, de manière annuelle, comprenant les aides directes à la production et les mesures de marché ; et un second pilier « développement rural » cofinançant des actions volontaires des États membres relevant d’une programmation pluriannuelle.

Le  «verdissement » du premier pilier proposé par la Commission – avec l’introduction d’une composante environnementale des paiements directs que tous les États membres devraient mettre en place, rémunérant des mesures annuelles, obligatoires, allant au-delà de la conditionnalité existante - est un gage de légitimité de la PAC car il ne peut y avoir d’agriculture que durable. D’ailleurs, s’il y a toujours une agriculture, c’est parce qu’elle est durable depuis très longtemps. Au cours des siècles, les hommes ont été suffisamment responsables pour corriger les erreurs qu’ils avaient faites. Cependant, il est important que ce verdissement soit intelligent, c’est-à-dire corresponde à des enjeux réels et ne fasse pas peser sur les intéressés des contraintes trop lourdes ou abusives ; l’impératif économique des aides doit être clairement établi, il doit être plus scientifique qu’idéologique.

La répartition des aides entre États membres ainsi qu’à l’intérieur des États doit être plus équitable. Le rapport recommande une convergence suffisante et acceptable par l’ensemble des États membres et l’abandon du système des références historiques. Comme le disait Jean Gaubert, il faudra se mettre d’accord sur des calendriers. Concernant la question du plafonnement soulevée par la Commission européenne, il serait souhaitable d’introduire un mécanisme de dégressivité, modulé en fonction des emplois (masse salariale par exemple).

Enfin, la PAC doit inclure un axe essentiel en faveur des régions défavorisées. Le groupe de travail est à cet égard favorable à l’introduction dans le cadre du premier pilier, d’un soutien zoné en complément du soutien du deuxième pilier, proposé par la Commission européenne. Il souhaite également le maintien de la possibilité d’aides couplées, justifiées par les caractéristiques particulières de certains types d’agriculture ou de certaines zones.

Le deuxième pilier doit être orienté vers des priorités mieux ciblées, et permettre notamment le développement d’agricultures diversifiées, qu’il s’agisse des circuits courts ou des productions de qualité supérieure. Le soutien à l’innovation doit également être un axe important car il s’agit d’un enjeu essentiel pour la compétitivité de l’agriculture européenne, comme d’ailleurs pour toutes les autres activités économiques. Nos pays développés ne pourront survivre que s’ils gardent une avance technologique. J’insiste fortement sur ce point concernant l’agriculture, car la Chine est présente dans le domaine agricole et pourrait nous dépasser sur le plan technologique si l’idéologie l’emporte sur la science.

Telles sont les grandes orientations que nous souhaitons pour la future réforme, qui sont reprises dans la proposition de résolution, adoptée à l’unanimité le 29 juin par la Commission des affaires européennes, et que je vous propose d’adopter conforme.

M. le président Serge Poignant. Aucun amendement n’a été déposé sur le texte proposé. Un vaste débat est en cours au sujet des premier et deuxième piliers de la PAC. Autres questions, celle de la répartition et du verdissement : il s’agit là de sujets à suivre avec attention. Une délégation commune à l’Assemblée nationale et au Sénat a rencontré des représentants du Bundestag. Les Allemands réclamaient un filet de sécurité en cas de crise et la France, un cadre de régulation afin de faire face à la volatilité des prix. Au terme de ces échanges, une déclaration commune a été signée ; ce résultat positif mérite d’être souligné.

M. Francis Saint-Léger. Au nom du groupe UMP, je tiens à saluer la qualité du travail qui nous est présenté aujourd’hui. La proposition de résolution pour la PAC après 2013 est satisfaisante car elle n’oublie rien, particulièrement pas le maintien du budget 2007-2013 à l’euro près. Le Président de la République comme le ministre de l’agriculture n’ont d’ailleurs pas ménagé leur soutien à cette entreprise.

Sans reprendre tous les points évoqués, je mentionnerai l’architecture en deux piliers, le premier concernant le paiement direct aux agriculteurs, le second relatif à la modernisation, au développement rural et à l’environnement qui doivent être pérennisés. Vient ensuite la répartition équitable des aides entre États membres, maintenues selon des critères objectifs en abandonnant les références historiques, ce qui est une mesure de bon sens. Ce dispositif n’aura que peu d’impact pour la France qui perçoit déjà un DPU moyen proche de la moyenne européenne. En ce qui concerne le verdissement, dans lequel la PAC trouve sa légitimité, sa mise en œuvre doit être conduite de façon simple, généralisée, surtout sans création de nouvelles contraintes aux agriculteurs. La prise en compte des petits agriculteurs doit demeurer un sujet d’attention à travers l’allocation d’une prime spécifique. L’aide à l’installation des jeunes agriculteurs est indispensable et il ne faut pas hésiter à lui donner plus de moyens, en effet, le renouvellement des jeunes générations est la garantie de survie de notre agriculture.

L’élu montagnard que je suis ne peut passer sous silence la prise en compte de l’agriculture de montagne, zone à handicap qu’il convient de protéger. De même que, pour les zones de cultures particulières, le couplage des aides partielles et des aides directes doit être maintenu.

Enfin, je constate avec satisfaction que le projet européen de résolution issu du rapport Dess, a, de son côté, été adopté à l’unanimité par le parlement européen le 23 juin dernier. A ce stade je me bornerai à poser les questions suivantes :

- Avez-vous constaté des divergences d’objectif entre les deux résolutions européenne et française ?

- Avez-vous eu des contacts avec nos partenaires européens, font-ils la même analyse de la situation que vous-même ?

- La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) tient-elle compte des perspectives de la PAC après 2013 ?

- Quelles sont, selon vous, les causes de la récente hausse du prix des matières premières ; quel rôle a pu jouer la spéculation ?

En tout état de cause, je peux d’ores et déjà dire que mon groupe se prononcera favorablement à l’adoption de la résolution en l’état.

M. Jean Gaubert. À ce stade, un consensus relatif est constaté entre la France et ses partenaires européens, cela sans préjuger des différences susceptibles de se faire jour lors de la discussion de points plus précis. Ainsi, il n’y a pas lieu de regretter ce qui a été fait dans le cadre de la PAC jusqu’à ce jour. L’arme alimentaire existe bien et elle demeurera telle à l’avenir. Dans ces conditions, il nous revient de muscler notre agriculture. C’est là une de nos divergences de vue avec les Britanniques qui considèrent qu’il suffit de se fier au marché. De leur côté, les Américains, toujours très protectionnistes, aident massivement leur agriculture tout en accusant leurs concurrents d’abuser du même procédé. En ce qui concerne l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Europe ne doit pas faire plus de concessions. Quant au projet d’accord sur le Mercosur, il pourrait se révéler destructeur pour notre filière viande si nous manquons de vigilance.

La question est souvent posée pour l’Europe : doit-elle importer ou doit-elle exporter ? Les pays les moins avancés pourraient, au titre de l’OMC, taxer leurs importations mais ils ne font pas alors qu’ils pourraient alimenter leurs budgets par ce moyen. On aurait ainsi pu imaginer un système de transfert financier dans lequel l’Europe aurait subventionné ses exportations et les pays moins développés, taxé les importations : cela n’a pas été fait.

Demeure un certain nombre de contraintes. Concernant le budget, certes, les choses auraient pu être pires, mais n’oublions pas que le gel au niveau de 2013 pourrait avoir des effets surprenants. Il suffit de dépenser moins en 2013 pour que le gel tombe à moins 8 ou 10 % de ce qu’il est aujourd’hui. Il est en effet facile de diminuer nos dépenses de façon artificielle sur un an tout en tenant peu ou prou nos engagements. Une autre question est celle de la disparité des productions et de techniques entre pays mais aussi entre grandes et petites exploitations. Les exploitations du Nord de la Pologne et de l’Allemagne n’ont pas guère de points communs avec la Roumanie et la Bulgarie ; et encore on trouve en Roumanie des grands domaines, comme en Pologne, et de toutes petites exploitations. Cela veut dire que la quadrature du cercle n’est pas une quadrature, il s’agirait plutôt d’un polygone. Il faut continuer à aider de petites exploitations de survivance.

Au titre des ambitions, la première est de s’inscrire dans le développement durable qui s’incarne dans le verdissement. À cet égard, il faut conserver ce qui existe en s’inscrivant dans l’obligation sans complexification. Comme il est de tradition dans certains pays européens, dont la France, la présence de l’agriculture sur l’ensemble du territoire demeure primordiale ; il s’agit là d’un élément clef de la politique d’aménagement du territoire. La recherche ferait désormais partie intégrante de la PAC qui prévoit de l’appuyer. Enfin, beaucoup de changements sont attendus, cela même si la somme demeure identique. L’abandon des références historiques sera une bonne chose pour certains et une mauvaise pour d’autres puisque ce que l’on aura donné aux uns, on l’aura pris aux autres. Un accord peut encore se faire sur la notion de briques : une aide de base et une aide à la surface. Cette dernière devant être corrigée par deux paramètres qui sont la culture plein champs, qui ne pose pas de problème, et la dégressivité qui, elle, fait débat. De fait, en Europe, on considère plutôt que ceux qui ont plus peuvent donner à ceux qui ont moins mais cette conception des choses n’est pas partagée par tous, particulièrement pas par les plus riches. Or, sans dégressivité, nous ne parviendrons à rien ; il ne fait guère de doute que nous devrons aider plus les pays de l’Est.

Quant à la régulation, il s’agit d’un sujet très difficile qui appelle un engagement déterminé de notre part. A ce propos, j’ajoute que le filet de sécurité est insuffisant et ne permettra pas de sauver les agriculteurs en difficulté.

Le débat devant encore durer deux ans, j’ai proposé au président de la commission des affaires européennes, qui m’a fait part de son accord, de pérenniser le groupe de travail sur la PAC. Mais, pour gagner en efficacité, je préconise de ne plus tenir systématiquement des auditions et d’organiser périodiquement une table ronde d’une demi-journée pour faire le point sur l’actualité, tout en s’appuyant sur des contributions écrites.

M. le président Serge Poignant. Je me rapprocherai à cette fin du président de la commission des affaires européennes. Je partage votre point de vue, nous devons participer activement à ce débat.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous voterons cette proposition de résolution car nous partageons les quatre objectifs qu’elle poursuit. Les deux premiers objectifs concernent la stabilisation du budget agricole à son niveau de 2013 et une certaine forme d’agressivité commerciale – au bon sens du terme –, notamment dans nos relations avec le Mercosur ou dans le cadre des négociations de Doha. Le troisième objectif, qui porte sur la défense des IGP, revêt une importance fondamentale pour notre agriculture ; nous saluons à cet égard le point 14 de la proposition, qui demande le renforcement de soutiens couplés suffisants pour l’élevage, le maintien de productions spécifiques et la production de protéagineux ; c’est un enjeu de première importance pour certains territoires : ainsi le « pruneau d’Agen » qui est à l’origine de 11 000 emplois, ne survivrait pas à la disparition du couplage. S’agissant du quatrième objectif, la part de la valeur ajoutée affectée aux agriculteurs connaît une baisse continue. La grande distribution est généralement tenue pour responsable de cet état de fait.

Je regrette toutefois qu’aucune réflexion n’ait été conduite à ce jour sur la concurrence intra-européenne dans le domaine agricole. On est polarisé sur le Mercosur, mais nos agriculteurs sont avant tout en concurrence avec leurs homologues européens. L’enjeu constitué par une concurrence correcte est fondamental. Ce sujet est évoqué au point 13 de la proposition, qui indique que « les mesures environnementales du premier pilier devront être simples » et «  harmonisées ». Nos agriculteurs demandent en priorité à être placés à armes égales avec leurs compétiteurs européens. Cette exigence est également invoquée s’agissant du coût du travail en Europe. A titre d’exemple, le salaire complet s’élève à 1 € de l’heure en Roumanie ; il est treize fois plus élevé en France. Les textes européens prévoient que le financement de la protection sociale est exclusivement de compétence nationale. Il convient toutefois d’éviter les distorsions de concurrence. L’Europe devrait ainsi s’opposer aux mécanismes de protection des agricultures nationales, à l’image de l’accord conclu entre l’Allemagne et la Pologne.

M. Philippe Armand Martin. Comme l’a rappelé le rapporteur, la PAC a prioritairement pour objet d’assurer la sécurité alimentaire et de garantir un certain revenu aux agriculteurs. La question de la régulation occupe également une place centrale et fait actuellement l’objet d’avancées significatives. Le rapporteur a insisté sur la nécessité d’inclure le secteur viticole dans les débats contrairement à la position initiale de la Commission européenne. L’enjeu est double : sur le plan budgétaire, notamment s’agissant des aides et des investissements, il aurait été anormal qu’un secteur de l’importance de la viticulture ne soit pas mentionné ; en matière de régulation, il convient de résoudre la question des droits de plantation. Sur ce dernier point, les débats sont en bonne voie au Parlement européen : on devrait bientôt pouvoir obtenir une majorité. Le rapport Dess a d’ailleurs été approuvé. Enfin, comme l’a dit Jean Gaubert, il nous faut continuer à travailler sur ce sujet. Un texte sera soumis à l’examen du Parlement à l’automne. Il convient de suivre le processus d’élaboration et de conduire, le cas échéant, des auditions.

M. Germinal Peiro. Les objectifs définis dans le cadre de la réforme de la PAC, qu’il s’agisse de la production agricole, de la stabilisation du budget, du verdissement des aides du premier pilier ou des équilibres territoriaux, constituent des motifs de satisfaction.

Pour autant, certaines questions ne sont pas encore clairement définies. S’agissant du plafonnement des aides, des disparités importantes demeurent. Pour prendre l’exemple de la Roumanie, plus de 80 % des agriculteurs possèdent moins de 2 hectares mais certains d’entre eux disposent de plus de 30 000 hectares. L’enjeu du plafonnement des aides est donc encore plus important dans ce pays qu’il ne l’est en France. À cet égard, la question consiste à savoir s’il faut accorder des aides en tenant compte des actifs ou s’il faut privilégier le critère de l’emploi.

Par ailleurs, M. Ciolos nous a dit en novembre dernier qu’il n’existait pas, actuellement en Europe, de soutien politique à la régulation et que son action s’inscrivait nécessairement dans le cadre de ce mandat. Il faut également constater que la majorité des pays européens baigne dans l’idéologie du « tout-marché ». À titre d’exemple, en matière de contrôle des volumes, les outils de régulation ont disparu, qu’il s’agisse des quotas laitiers ou des droits de plantation des vignes ; sur ce dernier sujet, la France a donné son accord en 2008. La situation est d’autant plus dommageable que, comme l’a rappelé le commissaire Ciolos, il sera très difficile, à l’avenir, de revenir sur ces décisions.

Enfin, l’Union européenne doit mieux protéger son agriculture. L’Europe a réalisé beaucoup de concessions dans le cadre des négociations de l’OMC et cela doit cesser. Il convient, en la matière d’utiliser des moyens légaux de protection, c’est-à-dire d’ordre sanitaire. Les États-Unis nous réintentent un procès au motif que nous refusons leur bœuf aux hormones et leur poulet chloré. Il faut être assez fort pour affirmer notre refus, à l’instar des produits à base d’OGM. À cet égard, les tenants du « tout-marché » font peser une menace importante sur les équilibres agricoles européens.

M. Alfred Trassy-Paillogues : C’est un texte intéressant. Je félicite les membres du groupe de travail et je remercie le rapporteur du rapport qu’il a présenté. Que de chemin parcouru depuis les années où l’on pensait au démantèlement de la PAC. S’il n’y avait pas eu la détermination du Président de la République et la capacité de Bruno Le Maire à mettre en œuvre cette détermination et cette volonté, sans doute n’en serions-nous pas là !

Je me réjouis que des éléments essentiels aient été retenus dans ce texte : les risques sanitaires, bien sûr, la sécurité alimentaire, le soutien à la qualité, à l’innovation et aux technologies nouvelles sans lesquelles nous ne pourrons pas tirer notre épingle du jeu dans la concurrence européenne ou mondiale. J’ai apprécié aussi que Michel Raison évoque le point 33 et le retour aux fondamentaux de la philosophie et de l’éthique rurales et paysannes. Depuis des siècles, les paysans ont l’habitude, au plan alimentaire, d’aider celles et ceux qui sont dans le besoin. J’ai apprécié aussi qu’une porte soit ouverte en matière de dérogations au droit de la concurrence pour tenir compte des spécificités de certaines filières.

Cela étant, nos agriculteurs, que nous rencontrons assez régulièrement dans nos circonscriptions, s’estiment toujours pénalisés et asphyxiés par un excès de réglementation et de législation. Ils vont même quelquefois jusqu’à dire qu’en France, « on veut laver plus blanc que blanc » et que l’administration française est plus dure avec eux que ne peuvent l’être d’autres administrations européennes qui, théoriquement, sont soumises aux mêmes contraintes que nous.

Je souhaiterais évoquer les distorsions de concurrence, le coût du travail, la traçabilité, et, en ce qui concerne le verdissement du premier pilier, des contraintes tout à fait légitimes pour que l’agriculture soit durable et pérenne, mais qui ne doivent pas être insupportables au quotidien.

Mme Frédérique Massat. Cette résolution va tout à fait dans le bon sens mais nous avons quelques regrets par rapport à l’harmonisation sociale par le haut qu’il faudrait pouvoir mentionner. On pourrait imaginer, pourquoi pas, une conditionnalité sociale des soutiens financiers de l’Europe.

Le verdissement de la PAC n’est qu’un mot que l’on emploie sans savoir ce qu’il recouvre fondamentalement. L’harmonisation environnementale serait également souhaitable au niveau européen. On a enregistré, dans le cadre de notre rapport d’étape sur l’application de la loi Grenelle 2, des demandes fortes de la part des agriculteurs par rapport aux produits phytosanitaires et au dispositif de haute valeur environnementale que nous avons mis en œuvre dans le cadre des textes votés. Il faudrait pouvoir s’interroger au niveau européen sur ces questions, ainsi que sur la problématique connexe de l’eau et de la sécheresse.

Je me réjouis que la politique de la montagne soit mentionnée pour la première fois à ce niveau-là et puisse faire l’objet de la future PAC de même que les circuits courts, également mentionnés. Je regrette cependant que l’on n’insiste pas suffisamment sur la nécessité de développer la territorialité de notre agriculture, les circuits courts et l’agriculture de proximité.

Enfin, pour conclure, il est dommage également qu’il n’y ait aucun paragraphe consacré à la forêt. Celle-ci fait également partie de l’agriculture. C’est une thématique qui est traitée au niveau européen. Il ne faudrait pas que les surfaces agricoles soient comptables d’une déforestation. J’aurais dû faire des amendements, me répondrez-vous.

M. Jean-Pierre Nicolas. Je salue la qualité de ce rapport. Les sujets d’investigation sont nombreux. À cet égard, la proposition de résolution est tout à fait intéressante. Dans les travaux qui vont suivre, ne devrait-on pas se centrer sur deux axes essentiels : la sécurité alimentaire et les revenus des agriculteurs ? Comme le suggéraient Jean Gaubert et Philippe Armand Martin, dans le groupe de travail, ne devrait-on pas chercher à formuler des propositions extrêmement concrètes plutôt que de grandes déclarations d’intention ? Les agriculteurs sont bien plus sensibles aux actes concrets qu’aux déclarations. Il faut veiller à la notion d’égalité en matière de coût du travail et à alléger considérablement les procédures dont les agriculteurs se plaignent. Voilà deux décisions concrètes qu’il me paraît facile de prendre.

Mme Annick Le Loch. En Bretagne, et singulièrement en Finistère, l’agriculture pèse lourd sur le plan économique et de l’emploi, ainsi que sur le plan environnemental. Elle traverse comme ailleurs une crise économique profonde, doublée d’une crise morale. Le modèle agricole mondial et la PAC d’aujourd’hui, basés sur la spéculation, la privatisation et la déréglementation des produits agricoles ont trouvé leurs limites. Le changement est venu car la production agricole n’est pas une marchandise comme les autres. L’Europe a un rôle capital à jouer dans le cadre de cette nouvelle PAC. C’est en effet la première politique de cohésion qui doit placer l’alimentation et la multifonctionnalité de l’agriculture au cœur du dispositif avec :

– des objectifs alimentaires, bien sûr, pour contribuer à lutter contre la faim dans le monde tout en respectant la souveraineté alimentaire des autres continents et tout en étant capable, lorsque cela se justifie, de promouvoir la préférence communautaire ;

– mais aussi des objectifs sociaux, notamment l’harmonisation des normes sociales : en effet, chaque pays a la responsabilité de développer son agriculture en Europe, mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’agriculture des pays voisins. Ce modèle n’est pas au cœur d’une Europe citoyenne du marché commun ;

– des objectifs économiques avec le maintien de l’emploi et de l’activité agroalimentaire ;

– des objectifs environnementaux avec une rémunération pour la fourniture des biens publics au premier rang desquels les paysages, la biodiversité et la qualité de l’eau et la lutte contre le réchauffement climatique ;

– des objectifs territoriaux relatifs à l’installation des jeunes agriculteurs et au renouvellement des générations, avec la volonté d’asseoir l’agriculture de façon plus territorialisée de manière à faire vivre tous nos territoires ;

– des objectifs financiers avec le maintien du budget tel qu’il est proposé, en espérant qu’à terme, les agriculteurs vivront de leur travail et non des subventions.

Si la future PAC 2013 porte en elle tous ces ingrédients, comme cette résolution semble l’affirmer, des changements profonds pourront voir le jour et la confiance en l’Europe pourra revenir.

M. William Dumas. Une partie de cette proposition de résolution m’intéresse beaucoup : il s’agit de celle qui est axée sur la régulation des marchés agricoles. Il faut impérativement que la PAC 2013 joue un rôle préventif sur le marché des matières premières agricoles. Si l’on n’encadre pas ces marchés, on ne pourra pas lutter contre la volatilité des prix. Il faut que l’Union européenne joue pleinement son rôle de régulateur sur les marchés agricoles, ce qui était le cas auparavant, sinon les crises agricoles auxquelles on assiste chaque année ne cesseront pas.

Il convient également d’insister sur la sécurité alimentaire, comme l’illustre la crise récente qui s’est produite en Allemagne. Conséquence semble-t-il directe de cette crise, les consommateurs sont moins attirés par le bio et cela commence à se ressentir sur les ventes.

La répartition des aides doit, comme le souligne le rapporteur, être plus équitable, et surtout, mieux ciblée sur les secteurs défavorisés.

Enfin, s’agissant de la viticulture, l’Europe ne peut à la fois subventionner l’arrachage des vignes dans un but d’amélioration de la qualité et supprimer les droits de plantation, seuls outils de contrôle de la qualité des plantations. On a fait un pas dans la bonne direction puisque la commission agriculture du Parlement européen a demandé son maintien, dans le courant du mois de mai. Il y a néanmoins encore beaucoup à faire et il convient donc d’être très vigilant à ce sujet.

M. François Brottes. J’étais en train de lire une note relative à la bactérie E. coli : il y est expliqué que c’est la bactérie la plus fréquemment utilisée pour faire muter des cellules de plantes afin de produire des OGM. Cela n’est pas forcément compatible avec le bio. Je ne suis pas certain que l’on n’accuse pas à tort ceux dont on aimerait qu’ils aient la rage.

Dès l’instant où cette résolution pourrait être votée par la quasi-unanimité de notre commission, il me paraîtrait judicieux qu’elle soit transmise, non seulement à la Commission européenne et au Parlement européen, mais à l’ensemble des parlements nationaux. J’ignore si c’est un acte que l’on fait régulièrement. Quoi qu’il en soit, c’est aussi une façon de dialoguer avec nos collègues, comme Jean Gaubert et Hervé Gaymard ont pu le faire hier. Sans vouloir passer pour des donneurs de leçons, il me paraît bien de faire passer de tels messages.

Ma deuxième remarque est la suivante : une fois de plus, n’en déplaise à Jean Dionis du Séjour, l’Europe se prend les pieds dans le tapis : chaque fois que l’on assigne des objectifs transversaux à une politique sectorielle, sans mettre en place un dispositif de régulation fort, on échoue. C’est le cas en ce qui concerne l’incompatibilité entre les directives sectorielles de l’énergie et le paquet climat-énergie : on voit bien que cette directive sectorielle ne permet pas de faire des économies d’énergie parce que rien n’est prévu pour alors que le paquet climat-énergie l’impose. Ici, l’on assigne des objectifs de sécurité alimentaire, de gestion durable des ressources et de mesures en faveur du climat. C’est parfois incompatible avec des logiques de production et de rémunération des professions. La seule réponse à cette question réside dans une forte régulation qui ne peut être efficace qu’en cas d’harmonisation sociale par le haut et en cas d’harmonisation fiscale. Cette régulation sert surtout à bien accomplir les objectifs transversaux qui sont assignés à la PAC. Ce n’est pas parce que l’on est frileux par rapport au marché, mais parce que celui-ci est incompatible avec la bonne exécution des objectifs que l’on s’est assigné.

J’attire l’attention de la majorité sur la banalisation, prévue par le projet de loi relatif aux droits, à la protection et à l’information des consommateurs, des indications géographiques et des appellations d’origine. Ainsi que nous l’avons indiqué lors du débat de la semaine dernière, cette banalisation risque de fragiliser considérablement ceux qui, avec sueur et travail, ont obtenu appellations et indications. Le rapporteur vient de dire que c’était important. Ne préconisons pas au niveau européen ce que l’on démonte au niveau national.

La forêt n’a jamais relevé d’une compétence européenne, si ce n’est pour contester la déforestation sur d’autres continents que le nôtre. La forêt a un lien certes ténu avec la sécurité alimentaire : pour le fromage – notamment celui que l’on fait dans une région proche de celle du rapporteur, puisqu’il y a du bois qui entoure certains fromages – et pour le vin, puisque les tonneaux sont souvent en bois. Au-delà de cela, on se situe dans d’autres filières et d’autres économies. Cela doit donc faire l’objet d’une approche différenciée et spécifique. Pour autant, je ne nie pas qu’il y ait quelques liens entre la sécurité alimentaire et la forêt.

Je me réjouis que l’on ait réussi à élaborer un texte qui embrasse autant la totalité des problèmes posés et qui puisse faire l’unanimité dans notre assemblée.

M. le rapporteur. Je vais essayer d’être le plus bref possible, la plupart des déclarations étant en harmonie entre elles et avec les positions du groupe de travail.

Pour répondre M. Francis Saint-Léger, la difficulté de notre proposition de résolution était de rassembler les différents groupes politiques, ce qui a été fait. La difficulté de la proposition de résolution du Parlement européen est de rassembler les différents États membres, au-delà même des différences politiques, ce qui s’est avéré plus difficile et explique que, bien qu’elle ne contredise pas la nôtre, elle soit beaucoup moins précise.

La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche a évidemment anticipé les mutations de la politique agricole commune après 2013, l’élément clé en étant la contractualisation. Il s’agit d’un dossier difficile à mettre en place mais important. La question des assurances avait aussi fait l’objet d’avancées importantes.

La fluctuation des prix tient à l’absence de régulation des marchés de matières premières agricoles plus qu’à la spéculation. Dans le domaine agricole, la demande est relativement figée : ce n’est pas parce que le prix du bœuf diminue de moitié que vous allez manger deux biftecks à midi. L’offre, en revanche, varie plus fortement que dans aucun autre secteur. D’où des fluctuations très rapides de prix. Les spéculateurs, qui sont dans une certaine mesure nécessaires sur le marché, viennent accentuer ces variations, mais n’en sont pas à la base.

Je veux ensuite dire à M. Jean Gaubert que j’adhère aux propos qu’il a tenus. La PAC a été souvent critiquée mais il est clair que sans elle, l’agriculture française serait aujourd’hui dans une situation difficile.

Il faut donc que nous fassions du lobbying. Nous avons fait un certain nombre de consultations que la démocratie oblige. Il faut maintenant que nous nous concentrions sur des points précis à défendre. C’est comme lorsque vous appeler un menuisier pour qu’il vous pose une fenêtre : si vous ne rappelez pas tous les deux jours, votre fenêtre ne sera jamais posée.

Concernant la recherche agricole, 4 milliards et demi d’euro y ont été affectés à l’échelon européen. Aujourd’hui, les divergences qui subsistent concernent le point jusqu’auquel on doit aller en matière de subventionnement de la recherche agricole.

Pour répondre à M. Jean Dionis, je vois qu’il applique la méthode de l’appel au menuisier pour la pose de la fenêtre, sur le sujet de charges sociales en matière agricole. Certains éléments, j’en conviens, ne sont pas dans le rapport qui se concentre sur la PAC. Il y a bien sûr des sujets hors PAC sur lesquels il faut que nous fassions du lobbying : les distorsions de concurrence ne sont pas seulement dues aux charges sociales même si le coût du travail constitue l’un des facteurs de distorsion reconnu. J’en profite pour répondre à M. Alfred Trassy-Paillogues : il faut aussi que la France évite de vouloir « laver plus blanc que blanc » en prenant des mesures qui créent des distorsions de concurrence.

M. Germinal Peiro a parlé des différences de traitement entre très grandes exploitations, qui n’existent d’ailleurs pas en France, et petites exploitations. Je pense que les aides doivent être attribuées en fonction des actifs, mais aussi en fonction du temps de travail. Il ne faut pas non plus assécher la PAC en distribuant des aides à des exploitants travaillant moins qu’à mi-temps.

Mme Frédérique Massat a évoqué les zones de montagnes, auxquelles j’ajouterai toutes les autres zones à handicap naturel. La prise en compte de ces zones est une des réussites de la PAC et il faut continuer d’être très insistant sur ce point. La forêt ne fait partie de la PAC, mais il n’est pas possible d’être indifférent aux équilibres entre agriculture et forêt. Venant d’un département dans lequel il y a 45 % de forêt, je suis particulièrement sensible à cette question et je crois d’ailleurs que tout paysan a une âme de forestier.

M. Jean-Pierre Nicolas a mis en garde contre les grandes déclarations. Mais derrière chaque paragraphe de la proposition de résolution, il y a des choses très précises. Ce sera au Gouvernement, ensuite de décliner.

La simplification est un enjeu fondamental. M. Dacian Ciolos, qui est venu devant la commission, est d’ailleurs sensible à cette question. Mais c’est comme pour faire un courrier : cela prend plus de temps d’être simple. Et le Général de Gaulle, je le rappelle, disait que les plus grandes choses qui ont été dites au peuple ont toujours été des choses simples, et Dieu sait s’il les travaillait ses déclarations pour qu’elles soient simples, concrètes et courageuses.

Pour répondre à Mme Annick Le Loch, je suis d’accord pour dire qu’il faut encore progresser dans l’harmonisation européenne et que, malheureusement, ce mouvement prend beaucoup de temps.

En ce qui concerne l’installation, j’ai encore lu quelques documents hier soir. C’est la France qui utilise le mieux les subventions européennes existantes. Il faut que nous arrivions à convaincre nos collègues des autres pays de faire plus pour l’installation : nous avons un problème avec la pyramide des âges.

Sur le plan sanitaire, je note que la France est le meilleur pays. Nos services vétérinaires font très bien leur travail et permettent une traçabilité meilleure que partout ailleurs, y compris l’Allemagne.

Pour répondre sur l’agriculture biologique à M. François Brottes, je signale que ce n’est pas parce qu’un produit est naturel qu’il est plus sain. La sécurité est forcément inférieure avec le bio, j’en reste persuadé, y compris pour les produits utilisés en traitement bio. L’amanite phalloïde et le cyanure sont naturels et très toxiques ; peut-être pourra-t-on faire un jour de succulentes amanites phalloïdes génétiquement modifiées fluorescentes et qui n’auront rien de toxique.

La sécurité sanitaire est importante, mais le goût l’est aussi. Les appellations géographiques ne sont pas une garantie sanitaire mais une garantie gustative. Elles nous permettent de sauver des territoires et c’est important.

Je terminerai en reprenant un point que M. François Brottes a évoqué. Je suis très attaché à l’équilibre entre les aspects économiques, environnementaux et sociaux du développement, donc au développement durable.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Parallèlement à l’autorisation de publier le rapport, je vais désormais mettre aux voix la proposition de résolution.

La Commission adopte à l’unanimité la proposition de résolution européenne sans modification.

M. le président Serge Poignant. Je remercie les membres de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européenne sur le travail qu’ils ont fourni. La résolution sera transmise à qui de droit dans les plus brefs délais.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 43, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 18 novembre 2010, « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire- relever les défis de l’avenir » (COM [2010[ 672),

Vu la communication de la Commission européenne du 3 mars 2010, « Europe 2020 - une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive, (COM [2010] 2020),

Considérant que la Politique agricole commune (PAC) est un élément structurant de la construction européenne et une politique essentielle qui ne peut être réduite à une politique de seconde zone, au risque d’entraîner des conséquences économiques, sociales et environnementales graves ;

Considérant que tous les grands États agricoles ont mis en place des dispositifs significatifs pour soutenir leur agriculture, véritable atout stratégique dans un monde qui comptera neuf milliards d’hommes en 2050 ;

Considérant que le maintien et le développement des capacités de production de l’agriculture européenne doivent être à la base de la reformulation de la PAC, tant pour assurer ses propres besoins que pour prendre la part qui lui revient aux équilibres alimentaires mondiaux ;

Considérant que la PAC peut apporter une contribution essentielle à la réalisation des objectifs de la stratégie Europe 2020 en assurant la pérennité du modèle agricole européen à la fois productif et respectueux de l’environnement, compétitif et présent sur l’ensemble du territoire, à forte valeur ajoutée et créant des emplois ;

1. Salue les orientations de la Commission européenne dans sa communication qui pose le principe du maintien d’une politique agricole commune forte ;

2. Approuve les objectifs de sécurité alimentaire, de gestion durable des ressources et de mesures en faveur du climat, ainsi que de développement territorial équilibré proposés pour la future PAC ;

3. Estime toutefois insuffisantes à ce stade les propositions relatives à la régulation ;

4. Estime prioritairement que la PAC doit être dotée, dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, de moyens budgétaires à la hauteur des ambitions, qu’en conséquence, la part budgétaire consacrée aux dépenses agricoles doit être maintenue à l’euro prés et qu’une réflexion doit être engagée sur les moyens d’assouplir les rigidités des règles budgétaires européennes et sur l’affectation des excédents financiers agricoles annuels ;

5. Demande instamment à la Commission européenne de mener une politique commerciale en cohérence avec la volonté de maintenir une PAC forte, ce qui implique, dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, de considérer le « paquet agricole » de juillet 2008 comme une ligne rouge, de conserver des marges de manœuvre afin de maintenir des outils de régulation et de faire reconnaître le principe de réciprocité selon lequel les produits importés par les pays européens doivent être conformes aux normes environnementales, sanitaires, sociales et de bien-être des animaux ;

6. Insiste pour que les négociations bilatérales se fassent de manière équilibrée, sur la base d’études d’impact réalisées en amont, tenant compte des conséquences sur l’ensemble du territoire européen, y compris les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d’outre-mer, et condamne fermement tout accord avec les pays du Mercosur qui mettrait en péril les filières agricoles européennes, notamment animales ;
7. Soutient le maintien de l’architecture de la PAC et l’équilibre entre les deux piliers permettant, d’une part, des mesures concernant l’ensemble des agriculteurs et du territoire européens et, d’autre part, des mesures répondant à des problématiques plus ciblées, basées sur une approche contractuelle et pluriannuelle ;

8. S’oppose à toute renationalisation de la PAC, par le biais du cofinancement mais estime que les États membres doivent garder la possibilité de maintenir, dans le respect des plafonds nationaux, des enveloppes de flexibilité dédiées à des besoins spécifiques, à condition que cela n’induise aucune distorsion de concurrence ;

9. Se prononce pour une répartition équitable des aides entre les États membres, tenant compte des écarts des situations économiques et de la soutenabilité de la position financière des États membres dans le budget européen ;

10. Prend acte de la volonté de la Commission européenne de sortir de l’opposition entre un premier pilier économique et un second pilier environnemental et estime que le verdissement des aides du premier pilier de la PAC est un gage de légitimité et de durabilité de l’agriculture ;

11. Considère indispensable que les aides du premier pilier comportent un socle solide d’aide au revenu des exploitants ;

12. Se prononce pour un rééquilibrage des niveaux d’aides entre les différentes régions avec l’abandon progressif du système des références historiques et un plafonnement des aides en introduisant un mécanisme de dégressivité tenant compte de critères objectifs comme l’emploi ;

13. Estime que les mesures environnementales du premier pilier doivennt être simples, harmonisées et appliquées sur l’ensemble du territoire européen, correspondant à des enjeux réels, avec un calcul du surcoût adapté aux réalités économiques de chaque État et en accord avec l’objectif transversal de simplification de la PAC ;

14. Demande le renforcement de soutiens couplés suffisants pour l’élevage, le maintien de productions spécifiques et la production de protéagineux ;

15. Salue la proposition de la Commission européenne d’introduire une aide au handicap dans le premier pilier, qui doit être activée indépendamment de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) et permet de prendre en compte d’autres contraintes naturelles pour les territoires et les productions, mais qui nécessite la révision des zones défavorisées intermédiaires ;

16. Estime justifié le ciblage des aides au profit des agriculteurs en activité, avec un plafonnement tenant compte des actifs et un dispositif spécifique pour les petites exploitations, et souligne l’importance de valoriser le rôle de l’agriculture dans la création d’emplois par la prise en compte des actifs agricoles dans l’attribution des aides ;

17. Juge fondamental d’assurer le renouvellement des générations en agriculture en accompagnant l’installation, la structuration et la modernisation des exploitations à travers des dispositifs prenant en compte les particularités territoriales ;

18. Demande la mise en
œuvre d’une politique de la montagne, s’appuyant sur une synergie des instruments de soutien aux zones défavorisées, à l’installation, à la modernisation et la valorisation des atouts de ces territoires, notamment par les signes de qualité et d’origine ;

19. Insiste pour que le secteur vitivinicole soit inclus dans le champ des négociations de la PAC et que le système des droits de plantation soit inscrit comme une règle pérenne de la PAC ;

20. Souligne la nécessité de maintenir une politique agricole active en faveur des régions ultrapériphériques françaises, prenant en compte leurs handicaps spécifiques et visant à soutenir leur développement, dans le cadre d’un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) conforté et renouvelé ;

21. Soutient la création d’un groupe à haut niveau afin d’identifier les défis auxquels le secteur bovin doit faire face et les actions pouvant être mises en
œuvre au plan communautaire ;

22. Demande, au-delà de l’arrêt du démantèlement des outils de marché, un net renforcement de la régulation afin que l’Union européenne puisse faire face à la volatilité des prix sur les marchés agricoles mondiaux ;

23. Souhaite que la régulation ne se limite pas à un « filet de sécurité » et qu’elle ait une dimension préventive, ce qui suppose que les prix d’intervention ne soient pas fixés à un niveau excessivement faible ;

24. Est favorable à des instruments de marché plus efficaces, plus réactifs et plus flexibles, incluant des mesures de stockage public et privé, avec des périodes d’intervention étendues, ainsi que des systèmes de gestion de l’offre dans certaines productions ;

25. Soutient une extension de la clause de perturbation des marchés prévue à l’article 186 du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, précité portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole à l’ensemble des productions, afin de donner à l’Union européenne les moyens de prendre des mesures d’urgence en cas de crise ;

26. Considère que le développement de systèmes de couverture des risques (aides aux assurances et aux fonds de mutualisation, instrument de stabilisation des revenus) et l’introduction de mesures visant à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs (contractualisation, renforcement du rôle des organisations de producteurs et des organisations interprofessionnelles) peuvent contribuer à limiter les conséquences de l’instabilité des marchés mais que ces mesures ne doivent pas se substituer à une véritable régulation ;

27. Souhaite que soit engagée une réflexion sur la possibilité d’introduire des aides contracycliques ;

28. Souligne la nécessité de mieux réguler les marchés physiques et financiers de matières premières agricoles au plan européen et au plan international ;

29. Salue les décisions prises par les ministres de l’agriculture du G20 relatives à l’amélioration de la transparence sur les marchés au niveau mondial et au développement de la coordination internationale dans le domaine agricole pour prévenir et gérer les crises alimentaires ;

30. Demande le maintien de la politique de soutien aux zones défavorisées, élément essentiel du maintien de l’activité agricole et de la cohésion territoriale ;

31. Insiste sur l’importance fondamentale de la recherche et de l’innovation agronomiques comme facteur de compétitivité de l’agriculture et demande que des financements substantiels leur soient réservés dans le cadre de la PAC et de la politique européenne de la recherche ;

32. Souhaite que les priorités du deuxième pilier répondent à la nécessité d’encourager le développement d’agricultures diversifiées, notamment par le soutien aux circuits courts et aux démarches de qualité.

33. Insiste pour le maintien à un niveau suffisant des crédits affectés au financement du programme de distribution des denrées alimentaires pour les personnes démunies de l'Union européenne.

ANNEXES

ANNEXE 1 :
CONTRIBUTION DE MME ANNY POURSINOFF,
DEPUTÉE EUROPE ÉCOLOGIE – LES VERTS,
MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL

En 2013, l'Union européenne se dotera d'une nouvelle politique agricole commune. Ce volet de la politique européenne fait l'objet de nombreuses discussions entre les pays membres mais aussi en leur sein du fait de sa place actuelle et à venir dans le budget de l’Union, de sa place essentielle dans les politiques agricoles de chaque État membre et, surtout, de ses impacts directs ou indirects au travers de l’agro-industrie sur le monde paysan, l'environnement, les pays dits du Sud.

De façon générale, ce sont aujourd'hui le modèle agricole promu et ses conséquences qui font débat sous les angles de la souveraineté alimentaire, du prix des denrées, de la rémunération des acteurs, de la biodiversité, de la santé, etc.

Compte tenu de l'importance de l'agriculture - productrice d’alimentation - pour notre société, la participation des représentants de la nation à la réorientation de cette politique et aux réflexions à ce propos me semble essentielle. Le Parlement européen est certes ici en première ligne pour représenter nos valeurs écologistes à travers la réforme de la PAC qui se dessine. Mais, il me semble essentiel de soutenir cet engagement de nos collègues eurodéputé-es - et notamment de José Bové, Vice-président de la Commission Agriculture et développement rural au Parlement européen - en faveur de l'introduction des principes de solidarité et de souveraineté alimentaire dans les négociations en cours. C'est pourquoi je souhaite tout d'abord faire part de ma sincère satisfaction quant à la création d'un groupe de travail sur la PAC 2013 au sein de l'Assemblée nationale.

Je souhaite également remercier chaque personne ayant répondu favorablement aux auditions. Agriculteurs/trices, membres de centres de recherche, syndicats, chambres d'agriculture, représentants des institutions françaises et européennes, coopératives... au delà de toute logique partisane, c'est véritablement le dialogue pluraliste et transparent le plus large possible qui doit permettre d'appréhender au mieux les enjeux de la politique agricole commune et ses conséquences. Cette démarche participative et d'ouverture a permis de proposer des pistes de restructurations adaptées et à la mesure des défis à relever.

Aussi, compte tenu de la richesse de ces auditions, du sérieux du travail accompli par l'administration de l'Assemblée nationale et, bien sûr, de l'importance capitale de l'agriculture dans le fonctionnement actuel et à venir de notre société, vous comprendrez mon étonnement face à la faiblesse de la présence de mes collègues parlementaires à ce groupe de travail. Est-ce à dire que la politique agricole n'intéresse pas la majorité présidentielle lorsque la presse n'est pas présente? Ou bien cela signifie-t-il que les conclusions des auditions menées sont malheureusement déjà connues avant même d'avoir lieu et que toute voix discordante n'aura pas sa place ? Quel sera le sort dévolu par le gouvernement à ce rapport ? Quels liens seront établis avec les eurodéputé-es ?

Afin de m'assurer que d'autres voix seront entendues et relayées ici, vous me permettrez de vous faire part d'un certain nombre de réflexions et observations, partagées par mes collègues d'Europe Écologie – Les Verts dans nos régions et au Parlement européen.

I. Introduction : Pour un nouveau pacte entre agriculture et société.

L’agriculture n’est pas un simple acte de production. Elle agit avec et sur le vivant végétal et animal, dépend de facteurs territoriaux, environnementaux et sociaux, et fonctionne selon les saisons et sur des rythmes longs, tout en nécessitant des investissements importants. Voilà autant de contraintes contradictoires avec les « lois du marché ». L'agriculture assure la réalisation d’un besoin fondamental, l’alimentation, qui ne peut décemment pas être soumis au risque de pénurie ou aux effets d’opérations de spéculations malveillantes. Par conséquent, aucune agriculture ne peut durablement perdurer sans outils de régulation. C'est pourquoi nous avons impérativement besoin d’une Politique Agricole Commune forte.

Pour autant, il faut sortir de l’empilement incessant de strates incohérentes les unes avec les autres, qui ont fait depuis 1962 de la PAC un millefeuille indigeste, encourageant une forme d'agriculture non durable.

La PAC a conduit l’agriculture européenne dans une impasse économique et environnementale. Disparition des petites fermes au profit d’unités industrielles, circuits commerciaux centralisés, concentration des unités hors-sol, recours systématique à la chimie, développement de l’élevage intensif, contribution majeure à l’effet de serre... En subventionnant l'agriculture productiviste, la PAC a contribué à détruire les emplois agricoles, en Europe et ailleurs. La pollution des eaux, des sols, de l'air et la perte de la biodiversité se sont aggravées. L'Europe est devenue la principale importatrice nette de produits agricoles et surtout de produits alimentaires, dont le déficit moyen a été de 17 milliards d'euros de 2000 à 2010, une donnée essentiellement oubliée en France sous prétexte que celle-ci a un excédent net de 10 milliards d'euros. Quant aux conséquences au niveau mondial, notamment sur les agricultures des pays du Sud, affaiblies et maintenues dans un sous-développement du fait du dumping direct et indirect, elles sont désastreuses.

Qu'il s'agisse de l'échelle planétaire, européenne, nationale ou régionale, l'agriculture est vitale et son rôle sous l'influence de la PAC nous semble dévoyé. Pour les écologistes, une profonde transformation de la politique agricole commune doit être menée sur la base d'un nouveau pacte entre agriculture et société.

II. Une nouvelle politique agricole commune : pourquoi et comment ?

Pour une autre régulation permettant un commerce équitable.

La politique agricole commune pourrait constituer un précieux levier pour faire évoluer notre système actuel.

Une distribution des aides plus juste entre les États membres et entre les paysans doit être envisagée. Celle-ci pourrait être basée sur une dégressivité en fonction de l’accroissement des surfaces - amenant à terme à un plafonnement – et ce système pourrait être pondéré par des critères d’emplois et de pratiques agronomiques et environnementales. Les crises alimentaires témoignent de l'urgence de procéder à la régulation des marchés agricoles par l’adaptation de l’offre à la demande, en interdisant la spéculation financière internationale mais aussi au niveau européen pour stabiliser les niveaux de prix à la production comme à la consommation. La PAC doit protéger l'ensemble des paysans, c'est-à-dire ceux du Nord comme ceux du Sud.

Les pratiques de dumping économique, social, environnemental doivent cesser au profit d'un commerce équitable. Les échanges doivent se faire sur une base solidaire, coopérative et non uniquement concurrentielle.

Respecter la souveraineté alimentaire des uns et des autres.

En matière d’élevage, les États membres de l'UE importent massivement chaque année des protéines végétales - dont 39 millions de tonnes de soja en équivalent tourteaux - afin de répondre aux besoins de l'élevage intensif et concourent de la sorte à une ultra-spécialisation régionale des productions.

Au lieu d'envahir ensuite les pays du Sud avec ses produits en excédent subventionnés, l'Europe pourrait les accompagner à développer leurs systèmes de production avec des techniques locales et durables à accroître la valeur ajoutée de leurs productions locales et à développer leurs marchés locaux permettant de cesser d'encourager – dans les pays du Sud - la substitution des productions vivrières locales par des productions d'exportation. Afin de respecter la souveraineté alimentaire des uns et des autres, il conviendrait d'augmenter l'autonomie européenne par une importante augmentation de la production de protéines végétales.

L'élaboration d'un nouveau cadre international des échanges permettrait en outre de lutter contre l'accaparement des terres qui menace la sécurité alimentaire locale et contribue à perpétuer le déplacement des populations vers les périphéries urbaines le plus souvent insalubres.

Lutter contre la spéculation financière et assurer un revenu décent et stable.

De nouveaux instruments de régulation contre la spéculation financière et pour la stabilisation de l'offre doivent permettre d'assurer un revenu décent et stable aux paysans et de lutter contre l'accaparement de la valeur ajoutée par les intermédiaires (distribution, transformation...). Ces instruments pourraient être les suivants : la re-création de stocks stratégiques locaux ; l'accès des seuls acteurs réels sur les marchés de matières premières agricoles avec contrôle des positions maximales ; l'élimination des acteurs fictifs spéculant avec les produits dérivés le tout sous l’autorité d’une agence internationale de supervision et de contrôle. La création d'un observatoire européen des prix doit être envisagée par cette nouvelle PAC afin de lutter contre la spéculation, interdire la vente à perte, connaître le juste prix rémunérateur d'un produit. Les agriculteurs doivent être en mesure de se regrouper afin de négocier, collectivement, face aux industriels de la transformation et de la distribution.

L'agriculture, au cœur de l'animation territoriale : enjeux de l'installation / transmission

Alors que le nombre d'exploitations n'a de cesse de diminuer, la PAC doit soutenir les petites exploitations, favoriser l'emploi et soutenir les fermes installées dans des territoires isolés.

Des outils de lutte contre la spéculation foncière et contre la concentration des exploitations doivent être mis en place. La transmission et la reprise des exploitations doivent être encouragées. Il faut mettre en place une véritable politique, sous la gouvernance des territoires, permettant d'organiser une réelle animation autour de la transmission/reprise : repérage des fermes sans succession ; aide au conseil accordée au cédant potentiel ; prise en charge d’un diagnostic concernant l’exploitation à céder, diagnostic pouvant introduire des innovations (nouvelle production, transformation et vente, passage en bio ……) ; mise en relation avec de possibles repreneurs ; mise en situation de repreneur chez le cédant potentiel ; aide à la transmission (aide au bail, à la location ou à la vente des bâtiments et d’un logement) ; intervention de structures de portage du foncier…. La politique de transmission doit apparaître comme le complément – voir le préalable - des autres politiques liées à l’installation de nouveaux agriculteurs/trices : formation, couveuses d’activités ou espaces test, répertoire à l’installation ……

En outre, il est important de mettre en place d'aides spécifiques dans les territoires où agriculture et élevages s'exercent dans des conditions difficiles. L'animation territoriale et la vitalité rurale sont en jeu.

La qualité doit remplacer la quantité : circuits courts, agriculture biologique/paysanne, interdiction des OGM, protection des ressources naturelles, lutte contre les pollutions...

Les aides doivent également être conditionnées à la mise en place de pratiques et modes de production. Face à l'ampleur du réchauffement climatique, à la chute de la biodiversité et à la mise en péril des ressources naturelles, d'autres modes de production doivent être privilégiés. L'image trop répandue des grandes plaines de monocultures céréalières exigeantes en arrosage et celle des élevages hors sols n'est plus acceptable. Il convient d'y substituer celle d'une agriculture paysanne, locale, tendant vers l'agriculture biologique. Il s'agit de favoriser une production locale et des circuits-courts de distribution permettant aux paysans de vivre de leurs activités. La PAC renouvelée doit être un outil au service de l'accompagnement des paysans dans cette transition.

Outre une diminution drastique des pesticides et des engrais chimiques, l'interdiction des hormones et des organismes génétiquement modifiés (OGM) doit être fermement affirmée. La santé publique et la prévention doivent être au centre des préoccupations de cette nouvelle PAC. Les liens établis entre cancers ou maladies chroniques (comme Parkinson) et pesticides sont de plus en plus nombreux. Sans même revenir sur les drames tels que l'introduction des farines animales, la qualité de notre alimentation joue un rôle incontestable dans le développement des maladies cardio-vasculaires, de l'obésité, du diabète. Il apparaît important de s'intéresser de plus près aux avantages proposés par les nombreuses méthodes alternatives naturelles comme par exemple les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) tout en rappelant l'importance de la saisonnalité des productions et des spécificités territoriales locales en terme de variétés végétales et de races animales.

Cet accompagnement vers de nouveaux modes de production servira également de base à la protection des ressources naturelles. Une attention spécifique doit être portée à la fertilité des sols, à la lutte contre leur érosion et leur pollution. Notre terre, mais aussi notre eau (y compris les nappes phréatiques) et notre air sont en effet directement impactés par les pratiques agricoles. L'application du principe « pollueur - payeur » via la future PAC au lieu du « pollueur-payé » de la PAC actuelle pourrait être un levier permettant de soutenir les modes de production agro-écologiques respectueux de l'environnement. Accompagner les agriculteurs en les aidant à passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables doit également être un axe de la PAC. Lutter contre le changement climatique par une agriculture plus autonome et plus résiliente doit faire partie des réponses de la PAC.

Une recherche publique participative accordant une place à l'agriculture biologique.

La recherche publique a aussi un rôle à jouer. Les moyens financiers et humains consacrés aux recherches sur l’agriculture biologique en France et en Europe doivent être renforcés. La recherche agronomique doit être renouvelée, adopter une approche pluridisciplinaire et accorder plus de place aux pratiques paysannes notamment en construisant avec les paysans des programmes de recherche participative.

Interdiction des droits de propriété intellectuelle sur les gènes et organismes vivants.

En outre, la question de la diversité des semences et des plants agricoles et de leur adaptation aux questions micro-locales doit être posée. Cette diversité permet une alimentation saine et diversifiée, une meilleure adaptation au changement climatique ainsi qu’une lutte contre l’uniformisation des cultures et contre un appauvrissement de la faune, de la flore et des micro-organismes associés. Alors que la biodiversité cultivée se réduit de plus en plus sous l’effet de l’uniformisation des pratiques agricoles et des réglementations sur les semences et les produits de traitement, la reconnaissance des pratiques agro-écologiques des paysans doit permettre une gestion locale durable et équitable du renouvellement de la biodiversité cultivée. C’est pourquoi les droits collectifs des agriculteurs d’user de leurs semences doivent primer sur les droits de propriété intellectuelle des semenciers. Les droits de propriété intellectuelle sur les gènes et organismes vivants devraient être interdits.

Un budget solidaire répondant à ces exigences.

Aujourd'hui, le budget de la PAC fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part des « euro-sceptiques ». Il conviendrait de mettre en perspective ces dépenses, par rapport aux effets attendus d'un secteur aussi vital, mais aussi par rapport aux autres arbitrages budgétaires des États membres. Ainsi, en 2010, les États membres ont consacré 31 % de leur budget commun aux aides directes versées aux agriculteurs. Or, en 2009, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont consacré trois fois plus à leurs dépenses militaires. De son côté, l'UE a mobilisé près de cinq fois plus pour venir en aides à ses banques. Tout est donc une question de priorités... et d'arbitrages politiques !

D'un point de vue budgétaire, il est vrai que l'ensemble des exigences mentionnées constitue un coût. C’est en impliquant l’ensemble des citoyens dans la définition de la PAC et en lui fixant des objectifs cohérents répondant aux aspirations majoritaires de la société que nous garantirons une volonté collective d’y engager les moyens budgétaires nécessaires.

En termes d’instruments, des paiements directs aux agriculteurs sont utiles pour compléter leurs revenus, notamment lorsque le coût de production est supérieur au coût de production le plus bas de l'UE, à condition de respecter des pratiques compatibles avec le bon fonctionnement des écosystèmes et la préservation des ressources naturelles.

Il convient d'orienter les fonds de développement rural de la nouvelle PAC vers une gestion de projets territoriaux concertés et mutualisées avec les fonds de la politique de cohésion sociale et régionale.

Des mécanismes de régulation des marchés doivent être maintenus, créés ou réaménagés.

Il est important de prévoir des aides ponctuelles aux changements de pratiques pour préserver des territoires à haute valeur naturelle, pour ménager des parcelles portant un enjeu environnemental particulier ou pour compenser les frais inhérents à la conversion en agriculture biologique. Un soutien particulier devrait être instauré pour les petites exploitations à faible foncier ou à fort apport en emplois. Aucun type de production ne doit être oublié des dispositifs (le maraîchage, l'arboriculture, l'élevage, mais également les grandes cultures).

Pour rémunérer les externalités positives supplémentaires rendues à la collectivité et les biens publics assurés par l’agriculture, des aides complémentaires devraient être allouées au niveau des régions, selon des critères définis localement, mais encadrées au niveau communautaire pour éviter les dérives.

Une PAC démocratique et citoyenne.

Enfin, pour remplir son rôle, il est essentiel que la PAC retrouve une légitimité. Elle doit être redéfinie de manière concertée en s’attachant aux rôles de l’agriculture en matière de production, d’emploi, de préservation des ressources naturelles, des espaces et de la biodiversité, d’aménagement du territoire, de vie sociale et de développement rural. Les approches socio-économiques et environnementales ne sont pas concurrentes mais complémentaires. La prochaine réforme de la PAC doit réaffirmer cette double entrée. Il convient de gérer la PAC de façon démocratique, et non plus de façon technocratique. La participation des populations concernées et des collectivités territoriales à la définition des enjeux et à l'application de cette politique est primordiale.

III. Conclusion. Pour une politique agricole commune écologiste et ambitieuse.

Lors du G20 agricole, les mobilisations citoyennes afin de renforcer l'agriculture paysanne et familiale montrent combien la réforme du modèle agricole européen est souhaitée par l'ensemble de la population. L'agriculture ne doit plus être un sujet de préoccupation accaparé par les lobbies agro-industriels, il s'agit d'un enjeu central qui doit être négocié par l'ensemble des acteurs et actrices impliqués : au Nord et au Sud, paysans et paysannes, consommateurs et consommatrices, commerçantes et commerçantes... Nous sommes toutes et tous concerné-es par cet enjeu !

Dernièrement, la solidarité requise vient à nouveau d'être mise à mal. La Cour de justice européenne, saisie par l'Allemagne, a en effet remis en cause le mécanisme, inscrit dans la PAC, permettant jusque-là de débloquer les fonds européens nécessaires pour abonder le Plan européen d'aide aux démunis (PEAD). Ce plan représente de 20 à 50 % de la distribution alimentaire en France. Il est impératif que l'Union européenne réforme ce programme afin de proposer un dispositif pérenne qui assure stabilité et soutien aux personnes dont la subsistance est en jeu.

Il convient également d'adopter une approche « genrée ». Les femmes représentent 52 % de la population mondiale, effectuent 66 % des heures de travail et produisent 50 % des richesses nationales. Pourtant, elles ne possèdent que 2 % des terres. Face aux discriminations qu'elles subissent, des dispositifs particuliers doivent permettre un accompagnement spécifique pour les agricultrices en activité ou en devenir.

Les écologistes prônent donc une réforme en profondeur de la politique agricole commune. Cette présentation des positionnements d'Europe Écologie – Les Verts et de nos propositions devront, je n'en doute pas, enrichir les débats et participer à la construction d'une autre politique commune. Cette volonté est partagée par le Conseil économique social et environnemental (CESE) dans son avis voté le 25 mai 2011 – publié au Journal officiel le 3 juin 2011 – intitulé « La future PAC après 2013 » dont Régis Hochart est le rapporteur.

Pour les écologistes, les priorités de cette nouvelle PAC doivent répondre à un certain nombre d'exigences : une nourriture qualitative et abordable, le maintien des emplois et de la diversité des produits, la préservation des ressources naturelles et la solidarité internationale.

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Suite aux premières « avancées » européennes, réactions écologistes.

A ce jour, Dacian Ciolos s'est montré ouvert au dialogue. En rupture avec son prédécesseur, le commissaire européen à l'agriculture semble prêter attention à plusieurs questions fondamentales pour l'avenir de l'agriculture en Europe. Les orientations proposées reflètent des avancées notables par rapport à la politique actuelle, dénoncée par les écologistes : plus d'équité et de diversité grâce à un plafonnement des aides par actif, à une attention particulière aux petites exploitations (soutien spécifique aux petites fermes), à des critères d'attribution plus sérieux par rapport aux enjeux environnementaux et à un soutien de l'emploi agricole. Ses propositions en faveur d'une relocalisation des productions, du développement des circuits courts et de la mise en avant des produits de qualité vont dans le bon sens.

En revanche la communication du Commissaire fin 2010 semble insuffisante au niveau de la régulation des prix et des marchés puisqu'elle semble privilégier les intérêts à court terme des firmes agroalimentaires en optant pour la poursuite de la baisse des prix des produits agricoles (leurs matières premières) et en ouvrant davantage le marché de l'UE à des importations à bas prix. Or, une régulation forte des marchés est indispensable à la stabilisation des cours des produits agricoles et à l'activité des agriculteurs, des filières et aux attentes des consommateurs. Abandonner les outils de gestion des marchés ne saurait apparaître comme une solution, bien au contraire. Ces insuffisances deviennent dramatiques quand on observe les récents arbitrages du Conseil sur cette future PAC, qui refuse tout plafonnement des aides selon la taille des exploitations et le nombre de travailleurs, et privilégient ainsi la voie inacceptable de l’industrialisation et du productivisme.

Le changement de politique agricole depuis 1992, avec des baisses importantes des prix agricoles pour les rapprocher des prix mondiaux de dumping, s'est traduit par l'octroi d'aides directes compensatrices qui, depuis la réforme de la PAC de 2003, sont indépendantes des prix et de la production afin d'être notifiées dans la "boîte verte" de l'OMC. Autant ces aides directes, notamment aux producteurs de céréales et oléoprotéagineux, sont indispensables lorsque les prix mondiaux sont bas, ce qui était le cas jusqu'en 2005, autant elles sont difficiles à justifier politiquement lorsque ces prix sont très élevés comme cela a été le cas depuis 2007 sauf en 2009. Il serait bien plus logique de rendre ces aides contra-cycliques pour stabiliser le revenu des producteurs, les augmentant quand les prix sont bas et les réduisant quand ils sont élevés. C'est ce que vient de préconiser le rapport du Conseil économique, social et environnemental du 11 juin 2011. Ces aides ne seraient plus alors indépendantes du niveau des prix. Par conséquent, elles ne seraient plus dans la boîte verte de l'OMC et elles seraient astreintes à de très fortes réductions. Les écologistes demandent donc de refonder les politiques agricoles partout dans le monde sur la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire sur des prix rémunérateurs et stables, impliquant le retour à une protection efficace à l'importation par des prélèvements variables qui ont assuré le développement spectaculaire de la production agricole de l'UE de 1962 à 1995.

De même, les écologistes expriment un désaccord avec l'idée que l'agriculture européenne doit contribuer à « nourrir le monde », d'autant qu'elle est fortement déficitaire vis-à-vis des pays du Sud. Il est nécessaire d'assurer à la fois la couverture des besoins européens, notamment sur les protéines végétales, et de favoriser le développement des agricultures des pays en difficulté, notamment vivrières. L'autosuffisance alimentaire et plus encore la souveraineté alimentaire doivent occuper une place centrale. L'Europe doit affirmer l'agriculture dont elle a besoin, et assurer sur le plan des échanges leur caractère équitable.

J'espère que cette contribution permettra d'enrichir les débats et saura être entendue tant par le gouvernement français que par les décideurs politiques européens. Les défis à relever relèvent en effet de la plus grande importance et seul un volontarisme politique fort, emprunt d'une approche globale, permettra réellement de générer une nouvelle dynamique dont dépend notre société et son avenir. Nous espérons que le Commissaire Dacian Ciolos fera des propositions législatives concrètes permettant de construire une PAC au service des paysans, des consommateurs et des territoires.

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Synthèse. Principes aux fondements de cette PAC refondée

Principes aux fondements de cette PAC refondée que nous appelons de nos vœux :

1. L’autonomie alimentaire européenne humaine et animale, dans le cadre d’un « modèle alimentaire européen » marqué par une très grande diversité des terroirs et des produits. La production spéculative n’a pas sa place dans une activité comme l’agriculture : l’agriculture européenne peut produire mieux sans mettre en danger l’équilibre alimentaire européen ou mondial.

2. Un revenu stable et décent pour les agriculteurs et les agricultrices. Via des outils et des mécanismes de régulation qui s’opposent à la volatilité croissante des marchés, mais aussi via la reconnaissance des divers rôles de l’agriculteur face à la société. Cela passe d'abord par une protection efficace à l'importation mais aussi par le développement de l’innovation et la promotion de relations loyales entre les partenaires des filières.

3. Un défi environnemental. En tant que politique publique, la PAC doit inciter l’agriculture européenne à prendre en compte la protection de l’environnement, le changement climatique et le bien-être animal, la qualité de l’eau, de l’air et des sols. C’est la préservation même du potentiel agricole qui est en jeu. Des dispositifs forts et attractifs doivent inciter les agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques et leurs systèmes.

4. La sauvegarde et l'extension de la biodiversité doivent constituer un principe en soi. Comme activité biologique, l'agriculture travaille avec des espèces vivantes et a une influence majeure sur la situation, l'environnement et l'évolution de ces espèces, comme elle bénéficie de l'activité et de la diversité de ces espèces.

5. Une cohésion sociale et territoriale. L’agriculture peut contribuer de façon importante au maintien et à la création d’emplois. A ce titre, il importe d’assurer un soutien particulier aux structures de taille artisanale et aux pratiques agricoles et types de productions reposant sur l’emploi plutôt que sur le capital ou les surfaces de terre disponible.

6. Un maintien des paysages ruraux. Via une préservation paysagère et architecturale mais également un soutien clair aux initiatives évitant ou limitant la spécialisation régionale et en encourageant au contraire la polyvalence et la cohérence agronomique entre cultures et élevage.

ANNEXE 2 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL

1) Auditions du 1er décembre 2010

 Institut national de la recherche agronomique (INRA)

M. Jean-Christophe Perrot, professeur et chercheur ;

M. Sébastien Jean, directeur de recherche à l’INRA et conseiller scientifique au CEPII.

2) Auditions du 15 décembre 2010

 Autres personnalités

M. Philippe Chalmin, membre du Conseil d’analyse économique, professeur à Paris Dauphine, spécialiste des matières premières et président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges.

3) Auditions du 19 janvier 2011

 Autres personnalités

M. Jean-Pierre Jouyet, co-auteur du rapport « Prévenir et gérer l’instabilité des marchés agricoles » ;

M. Bernard Sénécal, rapporteur pour le rapport sur les « Voies et moyens d’une nouvelle régulation » pour le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER).

4) Déplacement le 20 janvier 2011 à Genève

l Organisation mondiale du commerce (OMC)

M. Pascal Lamy, directeur ;

M. François Riegert, délégué permanent de la France auprès de l’OMC.

l Bunge Europe

M. Jean-Louis Gourbin, président.

5) Auditions du 26 janvier 2011

l Confédération nationale des syndicats d’exploitants familiaux (MODEF)

Mme Isabelle Daugreilh, secrétaire nationale ;

M. Alain Gaignerot, directeur.

l Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture (MOMAGRI)

M. Pierre Pagesse, président ;

Mme Dominique Lasserre, conseiller.

6) Table ronde du 2 février 2011 : « la PAC après 2013 »

l Institut national de la recherche agronomique (INRA)

M. Hervé Guyomard, INRA Paris ;

Mme Chantal Le Mouël, INRA Rennes ;

M. Jean-Pierre Butault, INRA Paris-Grignon et Nancy ;

M. Vincent Requillart, INRA Toulouse ;

M. Alexandre Gohin, INRA Rennes ;

M. Jean Cordier, AgroCampusOuest ;

- M. Pierre Dupraz, INRA Rennes ;

M. Alban Thomas, NRA Toulouse ;

M. Bertrand Schmitt, chef du département économie et sociologie - SAE2 - de l'INRA.

7) Auditions du 9 février 2011

l Commission de l’agriculture du Parlement européen

- M. Michel Dantin, député européen.

l Jeunes agriculteurs

Mme Carole Doré, vice-présidente, en charge de la PAC ;

Mme Noëlle Poisson-Hédouin, chef du service Économie et Europe ;

- M. Régis Rivailler, chargé des relations parlementaires.

l Confédération paysanne

- M. Régis Hochart, membre du Comité national.

8) Auditions du 16 février 2011

l Autre personnalité

- M. Michel Debroux, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles sur le thème PAC et droit de la concurrence.

l Autorité de la concurrence

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale ;

Mme Liza Bellulo, conseillère chargée des affaires européennes.

l Société des agriculteurs de France (SAF)

- M. Laurent Klein, président ;

- M. Valéry Elisseeff, directeur ;

- M. Patrick Durand, membre du Bureau.

9) Auditions du 2 mars 2011

l Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL)

- M. Dominique Chargé, président ;

Mme Christèle Josse, directrice.

l Association des producteurs de lait indépendants (APLI)

- M. Pascal Massol, président ;

- M. Jacky Gauvrit, représentant.

10) Auditions du 9 mars 2011 à l’Assemblée nationale

l Coop de France

M. Philippe Mangin, président ;

Mme Irène de Bretteville, chargée des relations institutionnelles.

l Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)

- M. Xavier Beulin, président ;

Mme Nadine Normand, attachée parlementaire ;

M. Claude Soudé, sous-directeur du département politique agricole, marchés et filières.

11) Auditions du 16 mars 2011

M. Henri Brichart, président ;

M. Gilles Psalmon, directeur.

17) Déplacement le 24 mai 2011 à Bruxelles

l Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

M. Philippe Duclaud, délégué pour les affaires agricoles.

l Direction générale de l’agriculture – Commission européenne

M. Pierre Bascou, chef de l'unité « analyse de la politique agricole et perspectives ».

l Représentation permanente de la Pologne auprès de l’Union européenne

- M. Andrzej Babuchowski, chef d'unité, ministre conseiller ;

M. Krystian Kęciek, premier secrétaire ;

M. Kamil Ochmański, premier secrétaire ;

M. Benjamin Gawlik, conseiller ;

M. Marcin Zieliński, conseiller ;

M. Pawel Zaręba, conseiller.

l Représentation permanente de l’Allemagne auprès de l’Union européenne

M. Alois Bauer, ministre conseiller ;

M. Bernd Soentgerath, premier secrétaire ;

M. Hinrich Snell, conseiller.

l Commission de l’agriculture et du développement rural

M. George Lyon, député européen, membre de la commission.

18) Audition du 25 mai 2011

l Confédération générale des betteraviers (CGB)

M. Alain Jeanroy, directeur général.

ANNEXE 3 :
EXTRAIT DU RAPPORT N° 956 SUR LE BILAN DE SANTÉ DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE DÉPOSÉ PAR LA DÉLÉGATION DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE POUR L’UNION EUROPÉENNE (11 JUIN 2008)

PAGES 25 A 42

Face aux risques de pénurie alimentaire, la gestion des marchés agricoles a depuis toujours été au centre des préoccupations politiques. En témoignent, dès l’antiquité, le contrôle du commerce du blé en Égypte ou la question agraire dans la Rome républicaine. Au siècle des lumières, l’abbé Galiani écrivit les « Dialogues sur le commerce des blés », un des premiers traités d’économie politique qui portait sur la liberté du commerce des céréales. Mais ce n’est qu’au vingtième siècle que les politiques agricoles se sont véritablement structurées et que furent créés les premiers instruments d’accompagnement de ces politiques.

Aujourd’hui, alors que la question des politiques agricoles se pose de nouveau avec acuité et que la PAC aborde un nouveau tournant, ce n’est qu’en ayant à l’esprit les fondements de la PAC et les grandes inflexions qui l’ont faite évoluer que l’on pourra tracer une nouvelle voie pour l’après 2013.

La politique agricole commune mise en place en 1962 en Europe est directement inspirée des principes du New deal de Roosevelt et ce n’est sans doute pas un hasard si la Banque mondiale et le Fonds monétaire international appellent aujourd’hui à un nouveau « New deal » alimentaire. Depuis, la plupart des pays, à de rares exceptions, ont fait le choix de politiques agricoles interventionnistes.

1) Les linéaments de la PAC : les leçons du New deal et une volonté forte de la France

Au lendemain de la guerre, les Européens se devaient de développer leur production agricole pour reconstruire leur économie et rétablir leur balance des paiements mais avant tout pour se nourrir. La Conférence de Stresa en juillet 1958 assignait ainsi à la politique agricole commune l’objectif suivant : « Sortir l’agriculture européenne du marasme de l’après-guerre et garantir la sécurité alimentaire des européens ».

a) Les expériences acquises

L’idée prédominante du New deal en matière agricole fut de déconnecter le revenu des paysans américains du marché afin de leur garantir un revenu minimum et d’éviter, autant que faire se peut, les traumatismes illustrés par John Steinbeck dans « Les raisins de la colère ». L’AAA (Agricultural Adjustment Act) avait ainsi pour objet de contrôler et de limiter l’offre agricole par des subventions, ce qui devait se traduire par un relèvement des prix agricoles et le maintien de prix bas pour le consommateur. Cette politique s’est depuis lors perpétuée au travers des différents « Farm bills ».

En France, l’exemple sera suivi par la création dès 1936 de l’Office national interprofessionnel du blé, devenu l’Office national interprofessionnel des céréales, rendue nécessaire par la crise de 1930 pour donner des garanties aux producteurs et de leur fournir la visibilité nécessaire à leurs investissements.

Par ailleurs, au plan mondial, après une période de libéralisation des échanges, y compris des échanges alimentaires, des mécanismes de protection (droits de douane, offices et contrôle des marchés agricoles) ont été mis en place pour garantir l’autonomie alimentaire au sein de territoires cohérents. Ceci explique que l’agriculture ait longtemps résisté à son intégration dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) : les premiers accords en 1947 autorisaient alors presque tous les instruments de protection en matière agricole.

b) Une volonté forte de la France et des intérêts complémentaires des six États fondateurs

La politique agricole commune, pourtant inscrite dans le traité de Rome, a mis plusieurs années à se mettre en place. En effet, pendant longtemps, le prix unique des céréales fut l’objet d’un différend entre l’Allemagne et la France car les intérêts de ces deux pays ne se rejoignaient pas. Cependant, même si les agricultures des pays fondateurs connaissaient de grandes disparités, ils avaient des intérêts en commun. En effet, la France était le principal pays producteur de céréales en Europe et l’Allemagne, du fait de la division de l’Europe, était coupée de ses principales sources d’approvisionnement. Les autres pays pouvaient, quant à eux, espérer tirer profit d’avantages comparatifs (produits méditerranéens pour l’Italie, productions animales et agriculture de transformation pour les pays du Nord).

Si la candidature à l’adhésion au marché commun de la Grande-Bretagne avait été acceptée en 1961, la PAC ne serait sans doute pas ce qu’elle est devenue par la suite. En effet, la Grande-Bretagne se caractérise par une « économie de comptoir », fruit de son histoire et conforme à la théorie des avantages comparatifs : elle se veut ainsi entièrement ouverte sur l’extérieur pour son ravitaillement (blé, beurre, sucre et viande importés des pays du Commonwealth). Avant toute chose, elle demeure attachée aux principes du libre-échange et longtemps les producteurs britanniques n’ont bénéficié d’aides directes que quand les cours mondiaux étaient inférieurs à leurs prix de revient(90).

2) Une mise en place progressive

Ce n’est qu’à partir de 1962 que seront concrètement adoptées les premières mesures agricoles. Les discussions pour y aboutir furent souvent tendues. L’idée d’une politique agricole commune ne s’est donc pas imposée d’emblée et surtout celle-ci ne pouvait concerner tous les produits.

a) Les principes d’origine de la PAC toujours d’actualité

Les objectifs de la PAC sont énoncés au sein du traité de Rome, dans son article 43, devenu article 33 dans le traité sur la Communauté européenne, et désormais repris dans le traité de Lisbonne. Il est bon de s’y attarder un peu.

Selon cet article, la politique agricole commune a pour but :

- d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu'un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d'œuvre ;

- d'assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture ;

- de stabiliser les marchés ;

- de garantir la sécurité des approvisionnements ;

- d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

Dans l’élaboration de la politique agricole commune et des méthodes spéciales qu'elle peut impliquer, il doit en outre être tenu compte :

- du caractère particulier de l'activité agricole, découlant de la structure sociale de l'agriculture et des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles ;

- de la nécessité d'opérer graduellement les ajustements opportuns ;

- du fait que, dans les États membres, l'agriculture constitue un secteur intimement lié à l'ensemble de l’économie.

b) Une mise en place délicate

(1) Les mécanismes essentiels : une politique des prix

La structure de la PAC est régie par trois principes fondamentaux que sont :

- l’unicité du marché (suppression des barrières douanières, harmonisation des règles sanitaires et des normes techniques, instauration de mécanismes régulateurs visant à l’unicité des prix) ;

- la préférence communautaire (achats de produits d’origine communautaire, protection à la frontière) ;

- la solidarité financière (ressources affectées à des dépenses communes et non en fonction des contributions des États membres).

Il s’agit là d’éléments structurants de la construction européenne : leur mise en œuvre au travers de la politique agricole fait de la PAC le véritable acte fondateur du marché commun.

Les mécanismes instaurés – prix d’intervention, prix de seuil pour les importations, restitutions à l’exportation et prélèvements à l’importation – visaient à garantir la préférence communautaire et permettre une présence sur les marchés tiers afin de rétablir la balance des paiements de l’Europe de l’après-guerre.

Ainsi, la première PAC était avant tout une politique des prix qui offrait aux producteurs une garantie d’écoulement de leur production. La stabilisation des prix permettait en effet de réduire les risques et d’éliminer toute concurrence entre producteurs ; des prix intérieurs alignés sur des prix d’intervention élevés entraînaient par ailleurs des gains de productivité.

(2)Une mise en œuvre non universelle

En 1962, sur la base des conclusions de la Conférence de Stresa, les premières mesures agricoles furent décidées avec la création des six premières organisations communes de marché qui concernaient les céréales, le porc, les œufs, les volailles, les fruits et légumes et le vin. Tous les produits n’étaient donc pas concernés et l’instauration de ces instruments ne se fit pas sans heurts : ce sont des discussions souvent tendues qui aboutirent à l’accord du 23 décembre 1963 sur les règlements agricoles relatifs à la moitié de la production des six États membres (produits laitiers, viande bovine, riz) et sur les fonds agricoles.

En 1962, le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), qui finance les dépenses de la PAC fut créé mais sa mise en place effective ne se fit qu’à partir du 1er juillet 1964.

Il a enfin fallu plusieurs années pour qu’on aboutisse au marché unique des céréales en raison du différend franco-allemand, du porc, des œufs, de la volaille, des graines oléagineuses, suivi en 1968 de celui du lait, de la viande bovine et des produits transformés à base de fruits et de légumes.

3) Des défis relevés aux premières crises

a) La réalisation des objectifs fixés par le traité de Rome

Rapidement, dès le début des années 70, les buts escomptés en terme de sécurité alimentaire furent atteints. Mais la PAC a également accompagné les mutations économiques de l’agriculture européenne : recul de la population active agricole(91), gains de productivité. Pour les céréales, les produits laitiers et la viande bovine, la production européenne a enregistré une croissance annuelle d’environ 5 %, soit un doublement en 15 ans(92). Alors que l’Europe ne produisait que 80 % de sa consommation alimentaire en 1962, elle est devenue un grand exportateur agricole.

b) Expansion et remises en question

(1) Des déséquilibres structurels

Les mécanismes de la PAC historique basée sur une politique des prix contenaient en germe des facteurs de déséquilibre. En effet, la stabilisation des prix et des prix d’intervention élevés ont induit une croissance de la production, indépendante de la demande finale et, par voie de conséquence, une accumulation des stocks, des exportations subventionnées et finalement un accroissement des dépenses budgétaires. Les dépenses de soutien de marché dans les six États membres fondateurs furent multipliées par quatre entre 1960 et 1968. De 11 milliards d’euros en 1981, les dépenses atteignirent plus de 30 milliards en 1992.

Les excédents que l’on oublie aujourd’hui en période de pénurie touchaient alors un grand nombre de secteurs : céréales, viande et surtout secteur laitier(93). L’organisation commune de marché (OCM) du lait et des produits laitiers, mise en place en 1968(94), comprenait des éléments classiques de la PAC permettant d’agir tant sur l’offre que sur la demande : des prix de soutien relativement élevés étayés par des retraits subventionnés et par le stockage des excédents, des aides visant à écouler les excédents sur le marché communautaire ainsi que des aides à l’exportation pour l’écoulement sur les marchés mondiaux. A la fin des années 70, les livraisons de lait ayant constamment progressé du fait de cette politique de soutien des prix, la production de lait était supérieure à la consommation totale. En 1983, un record historique de 22,3 millions de tonnes d’excédent avait été enregistré rendant urgent un rééquilibrage du secteur.

(2) Des perturbations monétaires

Les fluctuations des monnaies ont également été un facteur de déséquilibre et ont menacé la stabilité indispensable au bon fonctionnement de la PAC. Dans la mesure où il n’existait pas de monnaie européenne unique, les prix agricoles communs étaient fixés dans une unité communautaire, l’unité de compte (UC) jusqu’en 1979, puis en écu après l’introduction du système monétaire européen. Ils étaient ensuite convertis en monnaie nationale. Ce fonctionnement supposait la stabilité de la parité entre monnaies. Or, à partir de 1970, les parités sont modifiées, notamment entre le franc et le mark allemand. Toute modification des taux de change entraînait une hausse des prix agricoles dans les pays à monnaie dévaluée et pour garantir la continuité des échanges communautaires, il a fallu mettre en place un mécanisme correcteur complexe, les montants compensatoires monétaires (MCM).

(3) Les premiers ajustements : réformes structurelles et mesures de gestion de l’offre

Dans ce contexte, Sicco Mansholt, commissaire européen à l’agriculture de 1958 à 1973, publia un mémorandum(95) qui soulignait les limites de la politique des prix et des marchés jusqu’alors pratiquée et qui conduisait inévitablement à une augmentation des dépenses communautaires futures. Par ailleurs, malgré l’augmentation de la production et des dépenses communautaires, le niveau de vie des agriculteurs ne s’accroissait que peu et le mémorandum insistait sur la nécessité de mettre en place une politique commune structurelle pour accroître la productivité, relever les revenus des agriculteurs et renforcer le soutien aux régions défavorisées (notamment l’agriculture de montagne). Il préconisait ainsi la création d’unités modernes de production et la mise en place de mesures de reconversion.

Les mesures qui suivirent furent modestes. En 1972, furent adoptées trois directives socio-structurelles, sur les investissements, les incitations au départ et la formation. En 1975, fut décidée la création d’un programme d’aide spéciale en faveur des zones de montagne et des régions défavorisées qui jouent un rôle important dans la protection de l’espace avec, notamment, l’instauration des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN).

S’agissant des excédents, des mesures sectorielles de gestion de l’offre furent adoptées. Ainsi, les taxes de coresponsabilité instaurées en 1977 dans les secteurs sucrier et laitier furent étendues au secteur des céréales en 1986. En outre, des mesures de contrôle de quantités complétèrent ce dispositif : régime de quotas sur le sucre dès les années 60 et sur le lait à partir de la campagne 1984/1985 ; instauration d’un régime des quantités maximales garanties (QMG) appliqué aux céréales en 1988 et gel des terres.

B. L’acte II de la PAC : un changement de cap depuis 1992

Ces réformes n’ont toutefois pas introduit d’inflexion radicale de la PAC. C’est pourquoi en 1985, dans son Livre vert, la Commission européenne préconisa une modification de la politique des prix jusque-là pratiquée, qui permettrait de rapprocher les prix intérieurs des prix mondiaux afin d’ajuster les baisses des prix en fonction des excédents. Elle recommandait par ailleurs une réduction du protectionnisme ainsi qu’un gel des dépenses budgétaires.

Depuis lors, on peut affirmer que la philosophie des réformes successives de la PAC a reposé sur un rééquilibrage entre la part accordée au soutien des prix du marché et celle consacrée aux aides à la formation du revenu agricole.

Un tournant fut ensuite pris sous l’influence de facteurs internes, essentiellement budgétaires, et externes, les problèmes agricoles devenant à partir de 1986 un sujet de négociations commerciales internationales.

C’est ainsi que la réforme dite « Mac Sharry »(96) en 1992 initia un premier mouvement de baisse des soutiens par les prix, entraînant inévitablement une perte de revenu pour les exploitants agricoles compensée alors par des aides directes.

1) Le poids des contraintes internes et externes

a) Les pressions budgétaires

Le problème du financement de la PAC a dès l’origine été une pomme de discorde entre les États membres. En 1965, une crise majeure éclata, portant moins sur les principes du mode d’alimentation du budget (en 1962, il avait été décidé que les ressources communautaires reposeraient sur des prélèvements douaniers et des contributions nationales) que sur les procédures de décision (majorité ou unanimité) au sein de la Commission européenne. Le « compromis de Luxembourg » du 26 janvier 1966 a donné globalement satisfaction à la France en introduisant la notion d’« intérêts nationaux très importants » justifiant un accord unanime. Par ailleurs, un plan de financement de la PAC fut adopté, le budget étant alimenté à hauteur de 45 % environ par les prélèvements douaniers et pour l’essentiel du solde, par des contributions des États selon une clé de répartition actualisée.

La politique de soutien par les prix s’est, par la suite, avérée très coûteuse et les premières mesures pour tenter de limiter les dépenses furent d’une efficacité toute relative. Ainsi, le prélèvement de coresponsabilité(97) institué en 1977 s’est révélé inopérant pour enrayer la croissance de la production laitière : les dépenses communautaires relatives au stockage des produits laitiers ont fini par absorber jusqu’à 30 % du budget de la PAC.

Ce problème de coût fut au cœur des propositions du mémorandum Mansholt et du Livre vert de la Commission de 1985 précités. Le Conseil européen de Bruxelles de février 1988 imposa ensuite une discipline budgétaire qui limitait la croissance des dépenses agricoles en les soumettant à une ligne directrice. Il convient de souligner que l’enjeu budgétaire avait pris encore plus de relief avec l’entrée dans l’Europe en 1973 de la Grande-Bretagne, dont la position à l’égard de la PAC a toujours été plus que réservée, ainsi qu’avec l’instauration du programme Phare (Pologne, Hongrie, aide à la reconstruction économique), principal instrument financier du rapprochement amorcé dès 1989 avec les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en vue de l’élargissement à ces pays.

b) L’agriculture, enjeu des négociations commerciales internationales

Les États-Unis avaient accepté en 1962 que le problème agricole soit hors champ du GATT, en échange de l’entrée à droit nul des protéagineux américains en Europe.

Dans les années 1980, une nouvelle donne devait être prise en compte : bien que la demande mondiale eût baissé, la Communauté européenne restait exportatrice nette de céréales grâce aux restitutions et par voie de conséquence, les États-Unis voyaient leurs parts de marché se réduire. La guerre commerciale qui s’ensuivit fut avivée par la décision des États-Unis, en 1973, de restreindre les importations de soja vers l’Europe, ce qui fit prendre conscience à celle-ci des inconvénients de sa dépendance pour l’approvisionnement en protéines végétales. L’Europe décida alors de favoriser la production de protéagineux et oléagineux en instaurant une aide contestée par les États-Unis comme contraire à l’accord de 1962 précité.

Depuis lors, l’agriculture est devenue un sujet du « GATT »(98) officiellement visé comme tel dans la déclaration de Punta del Este (1986) définissant quatorze domaines de négociations relatifs au commerce, dont l’agriculture. Celle-ci devait donc désormais être soumise aux trois principes suivants :

- la clause de la nation la plus favorisée (toute concession commerciale consentie à un pays membre doit être appliquée à tous les autres) ;

- le traitement national (les importations ne doivent pas être traitées moins favorablement que les produits nationaux) ;

- la transparence des politiques et des réglementations nationales.

Le cycle dit « d’Uruguay », ayant abouti le 15 avril 1994 à l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a également eu pour la PAC des conséquences concrètes :

- en matière d’accès au marché, la substitution de droits de douane aux mesures de restriction quantitatives (quotas) et la diminution progressive de ces droits de douane ;

- la réduction des soutiens internes à l’agriculture(99) avec un objectif de division par deux par rapport à la période de base de 1986-1988, et la distinction, dans ces soutiens internes, des aides totalement découplées de la production (dites de la « boîte verte ») exclues des engagements de réduction, des aides relevant de la « boîte bleue » (aides liées à la diminution de la production, et qui sont, sous certaines conditions, exemptées de réduction) et enfin des aides relevant de la « boîte orange » qui sont les aides couplées à la production, donc réputées agir sur les échanges en créant des distorsions, dont il convient par conséquent de se débarrasser et qui sont expressément visées par la réduction des volumes de soutien ;

- l’autorisation des subventions à l’exportation pour les parties s’étant engagées à les réduire ;

- un traitement spécial et différencié prévoyant des obligations moins contraignantes pour les pays en voie de développement et, en particulier, pour les pays les moins avancés.

Ce sont là les bases sur lesquelles l’Union européenne a engagé trois réformes successives, prenant en compte la nécessité de définir des modalités de soutien compatibles avec les règles de non-distorsion de concurrence promues dans les négociations internationales.

2) La réforme Mac Sharry : une réforme de fond

Le démantèlement des instruments de la PAC, rendu indispensable par l’application des règles de l’OMC, exigeait donc la mise en place d’autres variables d’ajustement. La Commission a présenté ses propositions en juillet 1991 et la réforme est entrée en application au 1er janvier 1993. Elle a donné une nouvelle impulsion à la PAC en modifiant les modalités du soutien public à l’agriculture et en imposant une première baisse des prix d’intervention compensée par le versement d’aides directes aux exploitations.

a) Les principes de la réforme

Les objectifs de la réforme étaient :

- d’assurer la compétitivité de l’agriculture européenne au niveau mondial par un rapprochement avec les prix mondiaux, et de permettre la reconquête du marché intérieur, notamment pour les céréales ;

- de maîtriser les dépenses budgétaires ;

- de contribuer à l’aménagement du territoire et à la préservation de l’environnement.

b) Les mécanismes : une baisse des prix de soutien compensée par des aides directes

La réforme Mac Sharry reposait sur le triptyque suivant :

- une diminution importante des prix de soutien, notamment dans le secteur céréalier, fer de lance de la guerre commerciale que se livraient les États-Unis et l’Europe et, dans une moindre mesure, dans le secteur des produits animaux(100;

Ces deux régimes continuaient à bénéficier d’un soutien élevé contrairement à d’autres secteurs qui n’en bénéficiaient pas ou peu (fruits et légumes, porcs, volailles) ;

- une compensation de ces baisses de prix par des aides découplées mais liées aux niveaux historiques de production ;

- une maîtrise de l’offre par une obligation pour les bénéficiaires de montants compensatoires de geler des terres.

c) Un bilan globalement positif

Les marchés ont retrouvé un certain équilibre et les stocks publics se sont dégonflés notamment pour les céréales. Les prix agricoles se sont rapprochés des prix mondiaux grâce à la baisse des prix d’intervention et à une situation conjoncturelle favorable, notamment une remontée des prix mondiaux. En matière budgétaire, la ligne directrice fixée n’a pas été dépassée.

3) L’Agenda 2000 : continuité et nouvelles attentes

Le chantier de l’Agenda 2000, lancé dès 1995 afin de fixer le cadre financier de la PAC au-delà de 2000 dans la perspective de l’élargissement, dura plus de trois ans. La communication de la Commission « Agenda 2000 » de juillet 1997 était avant tout axée sur une volonté de maîtrise budgétaire. Dans ce contexte, deux conceptions s’opposèrent, celle de la France qui mettait plutôt en avant le plafonnement des dépenses, la dégressivité des aides et la modulation(101), et celle de l’Allemagne qui préférait un cofinancement de la PAC.

a) La réponse à de nouvelles exigences

Les exigences auxquelles l’Europe agricole devait répondre au début des années 2000 étaient multiples :

- l’élargissement aux PECO tout d’abord ;

- la perspective d’un cycle de négociations de l’OMC ;

- de nouvelles orientations budgétaires ;

- un accroissement de la demande alimentaire mondiale et, partant, le maintien de la place de l’Europe sur les marchés mondiaux ;

- de nouvelles attentes de la société en termes de respect de l’environnement, d’amélioration de la qualité des produits et de renforcement de la politique de développement rural.

b) La poursuite de la baisse des prix d’intervention

La révision des différentes OCM a été marquée par la baisse généralisée des prix d’intervention. Toutefois, nombre d’aides furent créées au sein du 1er pilier, souvent à l’initiative de la France, afin de compenser cette évolution. Ainsi, pour les cultures arables, le prix d’intervention baissa de 15 % sur deux ans, compensée à 50 % selon un régime d’aides uniques directes pour toutes les cultures, permettant d’introduire un certain niveau de découplage des aides entre les différentes cultures (sauf pour le blé dur et les protéagineux).

Le prix de la viande bovine diminua de 20 %, en trois étapes, avec un système d’intervention dit « filet de sécurité ». Cette baisse de la perte de revenus fut compensée par un accroissement des primes animales bovines telles la prime au maintien du troupeau des vaches allaitantes (PMTVA).

S’agissant du lait et des produits laitiers, il fut décidé de maintenir le principe des quotas jusqu’en 2006 avec une réduction de 15 % des prix d’intervention du beurre et du lait écrémé en poudre, la compensation de la perte de revenus s’effectuant par une prime directe basée sur le quota du producteur.

c) La création du deuxième pilier

Les accords de Berlin ont élevé la politique de développement rural au rang de 2ème pilier de la PAC. Il s’agissait d’introduire une nouvelle logique, en renforçant les mesures agri-environnementales, en aidant davantage les régions défavorisées et en donnant aux zones rurales un rôle diversifié, à la fois économique, social, environnemental et territorial.

Le règlement « Développement rural »(102) mettait donc l’accent sur le rôle multifonctionnel de l’agriculture et la prise en compte de sa dimension environnementale.

Il fut décidé que son financement serait assuré par le FEOGA-Garantie et une participation des États membres (cofinancement).

A posteriori, la réforme de 1999 apparaît comme une simple adaptation de la réforme de 1992, des orientations plus radicales (éco-conditionnalité obligatoire et modulation) étant finalement introduites lors de la réforme de 2003.

4) Le compromis de Luxembourg en 2003 : une réforme anticipée contre un allongement des perspectives budgétaires jusqu’en 2013

La réforme de 2003 ne devait à l’origine n’être qu’une revue à mi-parcours de l’Agenda 2000 mais elle a, en fait, en contrepartie de la négociation d’une « paix budgétaire » jusqu’en 2013, apporté des inflexions fondamentales à la PAC. La proposition initiale de la Commission était d’inspiration très libérale : il s’agissait de poursuivre le mouvement de baisse des prix et de découpler totalement les aides directes(103).

Finalement, un compromis a été trouvé avec un découplage partiel, une poursuite de la baisse des prix et la prorogation du régime des quotas laitiers.

a) Le découplage des aides

Une aide unique au revenu par exploitation est instaurée, découplée en tout ou partie de la production, avec pour vocation de remplacer les aides directes existantes dans les secteurs des grandes cultures, de la viande bovine, de la viande ovine et des produits laitiers.

L’entrée en vigueur des droits à paiement unique s’échelonna entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2007 dans les modalités de mise en œuvre des DPU : ceux-ci pouvaient être déterminés soit à l’échelon individuel, soit à l’échelon régional. Par ailleurs, sous la pression des autorités françaises, les aides purent n’être que partiellement découplées afin d’éviter le risque d’abandon de l’activité agricole dans les zones fragiles(104).

b) Le caractère obligatoire de la conditionnalité des aides

Dans la réforme de 1999, la Commission avait souhaité subordonner les paiements directs au respect d’exigences environnementales mais cette mesure avait finalement été laissée à l’appréciation des États membres.

Dans la réforme de 2003, ce principe d’éco-conditionnalité devient obligatoire ; il est par ailleurs élargi et précisé : il vise désormais le respect de dix-neuf directives européennes en matière d’environnement, de sécurité alimentaire, de santé des animaux et des végétaux et de bien-être animal. Le non-respect de ces règles entraîne une réduction des aides directes du 1er pilier perçues par l’exploitation (aides couplées et non couplées).

c) Le deuxième pilier et la modulation des aides

La réforme de 2003 consacre l’existence du 2ème pilier de la PAC dont les priorités sont recentrées autour de trois axes :

- l’amélioration de la compétitivité des secteurs agricoles et forestiers (aides à la formation, à la restructuration et à l’adaptation aux nouvelles normes européennes pour les exploitations) ;

- l’aménagement de l’espace (mesures en faveur des zones fragiles telles les zones de montagne, application de la directive Natura 2000, boisement des terres agricoles) ;

- la diversification de l’économie rurale et la promotion d’une meilleure qualité de vie (développement des activités touristiques, préservation du patrimoine rural).

Le financement du 2ème pilier repose quant à lui sur le principe de la modulation. Au-delà d’une franchise de 5 000 euros par exploitation, les subventions directes perçues au titre du 1er pilier doivent être réduites de 3 % en 2005, de 4 % en 2006 et de 5 % par la suitepour alimenter le 2ème pilier(105). Les fonds ainsi générés par la modulation sont répartis entre les États membres selon un point de pourcentage calculé sur la base de trois critères : surface agricole utilisée, emploi agricole et produit intérieur par habitant. De fait, via la modulation, on aboutit à une réduction des aides directes de marché.

Pour la Commission, cette première étape exigeant d’être suivie d’autres rendez-vous déjà programmés dans le cadre des clauses de révision, la réforme de 2003 était la « première étape d’un processus visant à ancrer la PAC dans le XXIe siècle ».

Cet autre rendez-vous, c’est aujourd’hui le bilan de santé de la PAC : est-ce à dire que celle-ci est malade ? Si tel est le cas, force est de constater que, paradoxalement, la Commission n’entend pas faire évoluer le régime qu’elle lui a imposé depuis maintenant cinq ans mais qu’au contraire, elle souhaite aller plus loin. A tort ou à raison, nul ne saurait le dire aujourd’hui. Le fait est en tout cas que pour le diagnostic comme pour le remède, les points de désaccord sont nombreux.

ANNEXE 4 :
APPEL DE PARIS POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE ET ALIMENTAIRE COMMUNE
106
(11 DÉCEMBRE 2009)

Nous sommes à un moment crucial pour l’avenir de l’Europe et de son agriculture. Il y a dix jours entrait en vigueur le traité de Lisbonne qui confirme, sans les modifier, les objectifs de la politique agricole commune fixés par les pères fondateurs : « assurer le développement rationnel de la production agricole, assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements, assurer des prix raisonnables aux consommateurs ». Dans quelques semaines, la nouvelle Commission entrera en fonction et les grandes orientations de la prochaine législature sont sur le point d’être tracées.

Ensemble, nous sommes convaincus que l’agriculture est au cœur d’enjeux cruciaux pour notre société : alimentation, préservation des ressources naturelles, création d’emplois, biens publics, vitalité économique des zones rurales et plus généralement développement rural. L’agriculture est un atout pour l’Europe et son développement politique et économique, notamment dans le contexte de la future stratégie UE 2020.

Pour répondre à ces enjeux, nous estimons qu’une approche équilibrée entre le jeu du marché et la préservation de nos choix collectifs en faveur d’une alimentation sûre et de qualité, de l’environnement et des territoires est possible. Face au changement climatique, à l’insécurité politique et alimentaire mondiale, à la volatilité des cours mondiaux et à la recrudescence des crises sanitaires, seule une politique publique ambitieuse, conduite à l’échelle du continent et avec des ressources adaptées peut garantir l’indépendance de l’Europe.

Ensemble, nous faisons résolument le choix de cette politique agricole et alimentaire européenne, dont les principes sont les suivants :

- Développer le modèle alimentaire européen, marqué par une très grande diversité à laquelle nous sommes tous attachés. Pour cela, nous voulons une politique qui assure une alimentation à la fois sûre, saine, équilibrée et de qualité,accessible à tous. L’Europe doit être en mesure de répondre aux besoins de 500 millions de consommateurs et de contribuer à l’équilibre alimentaire mondial. Pour cela, l’agriculture européenne doit être tout à la fois compétitive, durable et maintenue sur l’ensemble des territoires européens, dans le respect du modèle européen d’agriculture.

- Donner aux agriculteurs les moyens de mieux répondre aux signaux du marché et de construire des stratégies gagnantes pour toutes les filières. Pour qu’ils puissent investir et développer le potentiel agricole européen, nous devons leur assurer un revenu stable et décent face à la volatilité croissante des marchés. Cela passe par une régulation européenne qui permette d’affronter les situations de crise et de volatilité extrême des marchés. Cela passe aussi par le développement de l’innovation et la promotion de relations loyales entre les partenaires des filières.

- Relever le défi environnemental. L’agriculture est une activité trop stratégique pour n’être considérée que comme un simple outil de lutte contre le changement climatique. En revanche, comme toute activité économique, l’agriculture doit davantage prendre en compte la protection de l’environnement et du bien-être animal. C’est la préservation même du potentiel agricole qui est en jeu. C’est la raison pour laquelle la politique européenne doit mettre l’agriculture en situation de produire mieux et de valoriser sa contribution positive à l’environnement et à la croissance verte.

- Assumer nos choix collectifs. La sécurité alimentaire et sanitaire, la préservation de l’environnement et des paysages, l’équilibre des territoires et la diversité des exploitations sont autant de biens publics européens auxquels nous sommes attachés. Mais ils ont un coût que les agriculteurs ne peuvent prendre à leur seule charge. Nous devons aussi garantir que les produits importés en Europe respectent bien toutes nos normes.

Ensemble, nous sommes prêts à examiner sans tabou, et avec le souci permanent de la simplification, tous les instruments existants ou nouveaux pour atteindre ces objectifs, qui demeurent au cœur du projet politique pour l’Europe. Dans ce contexte, sans préjudice des perspectives financières pour la période d’après 2013, nous nous engageons à examiner les possibilités de développement du mécanisme des paiements directs, en vue de renforcer sa légitimité au niveau européen, visant à traiter de façon égale des situations égales.

Seule une politique à l’échelle européenne peut le permettre, en apportant une valeur ajoutée significative par rapport à une juxtaposition de politiques nationales inadaptées à notre marché intérieur unifié. Nous devons avoir les moyens de nos ambitions. L’agriculture ne saurait être une variable d’ajustement.

Nous appelons tous ceux qui le souhaitent à participer à ce grand débat ouvert. Parce que l’agriculture européenne, c’est nos emplois. Parce que l’agriculture, c’est notre alimentation. Parce que l’agriculture, c’est notre environnement et nos territoires. Parce que l’agriculture, ce sont des biens publics et des externalités positives. Parce que l’agriculture, c’est notre indépendance. Parce que l’agriculture, c’est la conception que l’on se fait de notre avenir en Europe et de l’avenir de l’Europe dans le monde. L’agriculture européenne, c’est l’affaire de tous les Européens.

ANNEXE 5 :
POSITION FRANCO-ALLEMANDE POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE FORTE AU DELÀ DE 2013
(14 SEPTEMBRE 2009)

Le traité de Lisbonne reconnaît le rôle des parlements nationaux dans le bon fonctionnement de l’Union. Les délégations du parlement français et du parlement allemand entendent exercer leur responsabilité pour faire connaître leur position sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Les travaux des deux parlements s’inscrivent dans le cadre de la bonne collaboration entre la France et l’Allemagne, qui se reflète également dans la « Position franco-allemande pour une politique agricole commune forte au-delà de 2013 », adoptée le 14 septembre 2010. Ainsi, ce jeudi 3 février 2011, pour la première fois, les délégations de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Bundestag allemand se sont réunies à Paris pour débattre de la réforme de la PAC après 2013, suite à la communication de la Commission européenne du 18 novembre 2010.

Les délégations des deux parlements ont adopté la position commune suivante.

1. Une orientation plus poussée de la PAC vers le marché requiert des conditions-cadres politiques et économiques permettant de maintenir et d’accroître la compétitivité. Cette exigence est conforme aux objectifs du traité, à la stratégie Europe 2020, et elle est un atout pour les agriculteurs

2. La volatilité croissante des prix agricoles montre que la seule compétitivité ne peut être une orientation unique. Cette volatilité impose le maintien d’un cadre de régulation. Ces mesures à prendre dans le futur doivent comprendre un filet de sécurité pour protéger les agriculteurs en cas de crises exceptionnelles des marchés.

3. Si la recherche de compétitivité est légitime, la société a des attentes non moins légitimes. La compétitivité doit favoriser l’emploi, l’environnement et développer nos territoires.

4. Le modèle européen de l’agriculture multifonctionnelle doit être préservé. Les formes diverses et variées d’agriculture doivent y trouver leur juste place.

1. Les instruments de marché doivent être aménagés pour former un filet de sécurité plus efficace. La crise du lait a clairement montré que des mesures rapides, limitées dans le temps, peuvent s’avérer nécessaires. Il convient dès lors de réexaminer les possibilités de flexibilisation et de simplification des instruments actuels.

2. Dans cette optique, la PAC doit contribuer à moderniser les instruments de gestion des exploitations et à assurer la transparence des marchés.

3. Elle peut dans ce cadre favoriser, sur une base volontaire pour les États membres et les acteurs de l’économie, la contractualisation entre producteurs, industriels et distributeurs et renforcer le poids des producteurs afin de rééquilibrer les rapports dans la chaîne alimentaire. Toutes ces mesures doivent toutefois conserver un caractère facultatif, ne peuvent conduire à des distorsions de concurrence et doivent satisfaire aux exigences du marché intérieur.

1. Les aides directes constituent une contribution importante à la garantie des revenus et à la protection des risques pour les agriculteurs. Elles sont dès lors indispensables à la plupart des exploitations. Elles sont en outre une juste compensation des surcoûts de production induits par les normes communautaires et contribuent à rémunérer la fourniture de biens publics utiles à la société, qui ne peuvent être garantis par le marché.

2. Le régime des paiements uniques doit, comme la Commission européenne l’a proposé, évoluer, s’agissant de l’attribution individuelle de ressources financières aux exploitations, vers des primes à l’hectare uniformes au niveau régional. Le système des références historiques appliqué dans de nombreux États membres pour l’attribution de paiements directs individuels aux exploitations n’est plus compatible avec les objectifs futurs de la PAC.

3. La convergence progressive des niveaux d’aide entre États membres est nécessaire. Elle doit cependant être aménagée de façon progressive et doit tenir compte des ressources des deux piliers. Il convient également de prendre en considération le contexte économique général et les intérêts durables des États membres dans le cadre du budget de l’Union européenne.

4. Une simplification de la PAC est indispensable. Cet objectif doit être présent dès la conception d’ensemble de la future PAC.

1. L’agriculture utilise presque la moitié de la superficie de l’Union européenne. La Politique agricole commune a dès lors une fonction-clé dans la réalisation des objectifs horizontaux de l’Union européenne pour l’environnement, qui constitue un patrimoine commun. Compte tenu des défis de politique environnementale (protection du climat, des eaux et de la biodiversité) et de la nécessité de préservation des surfaces naturelles de production, une intégration optimale des objectifs environnementaux dans la PAC sert aussi bien les intérêts de la société dans son ensemble que des agriculteurs eux-mêmes

2. Le verdissement de la Politique agricole commune doit prendre en compte dans sa conception même la nécessaire suppression de la bureaucratie et respecter les objectifs de politique agricole du traité de Lisbonne. Les paiements directs restent indispensables à l’avenir également pour atteindre ces objectifs.

3. Des services supplémentaires liés à l’environnement ont toute leur place dans le deuxième pilier, afin d’assurer le développement des zones rurales, une large flexibilité pouvant être laissée aux États membres et aux régions pour favoriser tel et tel axe en fonction de leur intérêt propre. L’idée de taux de cofinancements variables selon les objectifs environnementaux et territoriaux, à l’image de la politique de cohésion, mérite d’être explorée. S’agissant de la contribution environnementale de la PAC, il convient de définir les instruments permettant d’inciter davantage au recours à des mesures agro-environnementales simples, fondées sur la superficie et prenant en compte les handicaps naturels.

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