N° 3953 - Rapport de Mme Marie-Hélène Thoraval sur le projet de loi , après engagement de la procédure accélérée, relatif à la rémunération pour copie privée (n°3875)



N° 3953

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI relatif à la rémunération pour copie privée,

PAR Mme Marie-hélène THORAVAL,

Députée.

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale  : 3875.

INTRODUCTION 5

I.- LE PRINCIPE DE LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE 7

II.- UN SYSTÈME CONTESTÉ 12

III.- LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI 16

TRAVAUX DE LA COMMISSION 19

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 19

II.- EXAMEN DES ARTICLES 35

Chapitre Ier : Dispositions modifiant le code de la propriété intellectuelle 35

Avant l’article 1er 35

Article 1er Exclusion des copies de source illicite de l’assiette de la rémunération pour copie privée 37

Article 2 Utilisation d’enquêtes d’usage pour la détermination du montant de la rémunération pour copie privée. 39

Article 3 : Information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement du montant de la rémunération pour copie privée 45

Après l’article 3 47

Article 4 : Exonération des personnes acquérant des supports à d’autres fins que la copie privée 49

Article 4 bis (nouveau) : Transmission au Parlement du rapport des SPRD sur l’utilisation à des fins culturelles d’un quart de la rémunération pour copie privée 54

Chapitre II : Dispositions transitoires 55

Article 5 : Prorogation des effets de la décision n° 11 de la commission de la copie privée et validation des rémunérations versées sur le fondement de cette décision 55

Article 6 : Limitation des demandes de remboursement aux seuls supports acquis postérieurement à la promulgation de la présente loi 63

TABLEAU COMPARATIF 65

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 71

ANNEXE 1 : ÉLÉMENTS D’INFORMATION SUR LE DROIT EUROPÉEN APPLICABLE OU EN COURS D’ÉLABORATION 77

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 83

INTRODUCTION

Le principe de rémunération pour copie privée a été introduit dans notre législation relative au droit d’auteur dès 1985. Il est la contrepartie de l’exception au monopole de l’auteur sur le droit de reproduction de son oeuvre, dès lors que cette exception est limitée strictement à l’usage du copiste. Ce principe a démontré sa pertinence puisqu’il est désormais appliqué dans vingt-cinq des vingt-sept pays de l’Union européenne, à l’exception de l’Irlande et du Royaume-Uni. Il a été consacré par la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

L’exception pour copie privée, qui a pour corollaire le versement d’une rémunération forfaitaire, permet bien sûr d’assurer aux ayants droit une juste rémunération, mais facilite également la diffusion de leurs œuvres. Elle élargit l’accès du public à la culture, et stimule la vente de supports d’enregistrement qui permettent de fixer de telles œuvres.

Mais la rémunération pour copie privée est aujourd’hui contestée, sous l’effet d’un triple mouvement :

– technique, avec le développement du cloud computing, qui permet de gérer via le Web des données stockées sur des serveurs distants ;

– juridique, avec l’affirmation d’un droit communautaire pas toujours compatible avec le droit national ;

– juridictionnel, avec la difficulté croissante à surmonter les contradictions d’intérêt entre fabricants, consommateurs et ayants droit, membres de la commission chargée de fixer le montant de la rémunération, difficulté qui se traduit par un recours systématique au juge pour arbitrer ces conflits.

C’est ainsi que dans un arrêt du 17 juin 2011, Canal + distribution, le Conseil d’État a annulé la décision n°11 de la commission de la copie privée, qui fixait les barèmes de rémunération pour une dizaine de supports, tirant ainsi les conséquences d’un arrêt Padawan de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 octobre 2010 selon lequel : « l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard [de supports] non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation des copies à usage privé » n’est pas conforme à la directive 2001/29.

Il convient donc d’en tirer les conséquences afin que notre code de la propriété intellectuelle soit mis en conformité avec la directive précitée telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice et le Conseil d’État. À cette occasion, d’autres principes dégagés par cette dernière juridiction vont également être intégrés à ce code : non assujettissement des copies réalisées à partir de sources illicites, obligation de fonder l’établissement des barèmes de rémunération sur des études d’usage. Enfin, l’information de l’acquéreur sur la rémunération pour copie privée acquittée sera renforcée, conformément aux recommandations du plan France numérique 2012.

En outre, le Conseil d’État a reporté au 22 décembre 2011 l’effet de sa décision d’annulation, qui ne présente donc pas d’effet rétroactif sous réserve des instances en cours. Compte tenu de l’obligation pour la commission de la copie privée de faire réaliser plus d’une dizaine d’études d’usage avant de prendre une nouvelle décision, celle-ci se trouve dans l’impossibilité de le faire dans les délais impartis. Par ailleurs, plusieurs instances en cours, introduites lorsque la décision d’annulation du Conseil d’État est apparue comme probable, pourraient, si elles devaient prospérer, avoir de graves effets sur l’équilibre de notre système, à la fois sur le plan financier, mais aussi sur le plan juridique et celui des principes. Le présent projet de loi procède en conséquence à une validation législative pour des motifs d’intérêt général qui seront développés dans le rapport.

Le texte présenté a donc des ambitions limitées au regard des défis qu’un système né il y a plus de vingt-cinq ans doit relever. Il n’en demeure pas moins indispensable et appelle une intervention rapide du législateur.

I.- LE PRINCIPE DE LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE

La loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique a réservé à l’auteur d’une œuvre protégée la faculté d’autoriser la reproduction de celle-ci. Il en va de même dans le domaine des droits voisins du droit d’auteur, puisque seuls les artistes interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ou les entreprises de communication audiovisuelle peuvent autoriser la reproduction et la mise à disposition du public, respectivement, de leur prestation ou de leurs productions.

La loi avait toutefois introduit plusieurs exceptions au droit ainsi reconnu d’autoriser la reproduction d’une œuvre, dont la plus importante porte sur la possibilité de réaliser des copies réservées à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective – dite « exception de copie privée ».

Toutefois, le développement des technologies, notamment numériques, a bouleversé l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux des consommateurs. La multiplication des copies permise par les lecteurs de cassettes, puis par les magnétoscopes et désormais par une gamme étendue d’appareils et de supports numériques (baladeurs MP3, tablettes numériques, smartphones...) qui se sont substitués aux matériels analogiques, a considérablement accru le manque à gagner des auteurs et des autres ayants droit.

C’est la raison pour laquelle la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle a créé une rémunération forfaitaire des titulaires de droits d’auteurs et de droits voisins au titre de la copie privée, codifiée à l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle. Cette rémunération est assise sur les supports d’enregistrement utilisables à des fins de copie privée ; elle est fixée pour chaque catégorie de support et est acquittée par les fabricants ou importateurs qui en répercutent ensuite le montant dans leur prix de vente.

La rémunération pour copie privée constitue un prélèvement à caractère privé, qui revêt la même nature que le droit d’auteur et les droits voisins dont elle constitue une modalité particulière d’exploitation.

Jusqu’en juin 2011, elle était collectée par deux sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs, au sens du Titre II du livre troisième du code de la propriété intellectuelle, la Société pour la rémunération de la copie privée sonore (SORECOP) et Copie France. Depuis cette date, Copie France a absorbé la SORECOP.

Enfin, l’article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle dispose que 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée sont consacrés à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes.

Exemples de manifestations et organismes soutenus

 La musique

Festival de jazz d'Hauterives, festival Musique en Vercors, festival de jazz de Crest, festival Futura de Crest ;Musica, Strasbourg ; Les Musicales, Béziers ;  Les Eurockéennes, Belfort ; Les Francofolies, La Rochelle, Les Transmusicales, Rennes ; Les Vieilles Charrues, Carhaix ; Printemps de Bourges ; Europa jazz du Mans ; Grenoble Jazz Festival ; Les Méditerranéennes, Port-Leucate ; Chorus des Hauts-de-Seine ; Agora et Résonances, Paris ; Futura, Crest ; Les Musiques, Marseille ; Les Manca, Nice ; La nuit des musiciens ; Festival de jazz de Marciac ; Festival de la Chaise Dieu ; Festival de la Roque d’Anthéron

 Le théâtre, la danse, le cirque

Festival d’Avignon, Festival de Sarlat, Faits d’hiver/Danse d’auteurs ; Festival d’Automne, Paris ; Les Francophonies, Limoges ; festival Actoral, Marseille ; Les chantiers de Blaye et de l’Estuaire ; Paris fait sa comédie ; Jeunes Talents Cirque ; Festival Chalon dans la rue

 L’écrit

Les correspondances de Manosque ; Festival Paris en toutes lettres ; Les 24 heures de la BD, Angoulême ; Lectures sous l’arbre, Haute Loire et Ardèche ; Les rencontres de Tamaris, La Seyne sur Mer ; Places aux nouvelles, Montauban ; Les banquets du Livre, Lagrasse ; E-KU, Paris ; Les Étonnants Voyageurs, Saint-Malo ; Les Rendez-vous de l’Histoire de Blois

 Les arts graphiques, plastiques et la photographie

Festival International du Photojournalisme « Visa pour l’image » à Perpignan ; Salon réalités nouvelles ; Salon d’Automne ; Salon comparaisons nouvelles ; Festival « Promenades photographiques » de Vendôme ; Festival de l’Image « Manifesto », Toulouse ; Chroniques nomades, Honfleur ; Festival du Plateau, Marseille ; Le Génie des Jardin, Paris ; alon réalités nouvelles, Paris ; Salon de Versailles ; Rencontres Internationales de la Photographie, Arles

 Le cinéma, la télévision et l’audiovisuel

Quinzaine des Réalisateurs, Cannes ; Festival du film court, Clermont-Ferrand ; Premiers Plans, Angers ; Les E-magiciens, Valenciennes ; Le Figra, Le Touquet ; Festival de l’animation, Annecy ; FIPA, Biarritz ; Festival de la Télévision, La Rochelle ; Festival International Musique et Cinéma d’Auxerre ; États Généraux du Documentaire, Lussas ; Cinéma du Réel, Beaubourg ; Comptoir du doc, Rennes ; Documentaire sur grand écran, Paris ;  Mois du film documentaire ; Les Escales documentaires, La Rochelle ; Traces de vies, Clermont-Ferrand ; Vidéo les Beaux jours, Strasbourg ;  Le Festival Cinéma Méditerranée, Montpellier ; estival ornithologique, Ménigoute ; Écrans documentaires, Arcueil ; Festival de Richmond ; Sunny Side of the Doc ; Festival international du documentaire de Marseille ; Les Rencontres de cinéma, Gindou

 Actions et organismes financés

Association Beaumarchais-Sacd ; Centre de formation Le Coach, Paris ; Centre de formation Didier Lockwood, Yvelines ; Le Prix Constantin ; TV France International ; Académie Européenne de Musique d’Aix-en-Provence ; Pro Quartet, Paris ; ACDA (Acanthes), Metz ; Émergence, Paris ; Musique Française d’Aujourd’hui ; Rencontres Cinématographiques de Dijon ; Rencontres Européennes des Artistes à Cabourg ; Classes à Pac ; Ateliers Varan ; Le Cinéma des Cinéastes ; Association des Indépendants du Premier siècle ; Euro cinéma ; ADRIC (Coalition Française pour la Diversité Culturelle) ; Unifrance Film International ; Studio des Variétés ; Jeunesses Musicales de France ; Zone Franche ; Les victoires de la musique ; Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle (CEEA) ; Ateliers du Cinéma Européen (ACE) ; Tous pour la Musique ; Bureau export ; Société des artistes français ; Maison des auteurs d’Angoulême ; Charte des Illustrateurs ; Maison des illustrateurs ; Maison des artistes ; Filmdocumentaire.net

Source : Association La culture avec la copie privée

75 % de la rémunération bénéficie donc aux ayants droit dans le domaine de la musique et de l’audiovisuel. Depuis une loi du 17 juillet 2001, deux nouvelles catégories d’ayants droit sont rémunérées par la copie privée : le collège des oeuvres de l’écrit et celui des oeuvres des arts visuels. La loi précise la clé de répartition de cette rémunération entre les différentes catégories d’ayants droit. Ainsi, la rémunération pour copie privée des phonogrammes bénéficie pour 50 % aux auteurs, pour 25 % aux artistes interprètes et, pour 25 %, aux producteurs. Celle des vidéogrammes est répartie à parts égales entre les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs. La rémunération pour copie privée des autres œuvres bénéficie à parts égales aux auteurs et aux éditeurs.

Les assujettis à la rémunération sont les fabricants ou importateurs de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres lors de la mise en circulation en France de ces supports. D’après les informations recueillies par la rapporteure, ils sont environ deux cents redevables, pour la quasi-totalité des importateurs.

Suite à ses auditions, la rapporteure a analysé le système de perception de la rémunération pour copie privée et notamment l’hypothèse d’un changement de redevable afin que le système de perception soit plus en phase avec la réalité du marché et des nouvelles obligations liées aux arrêts du Conseil d’État et de la CJUE (non assujettissement des usages professionnels). La rapporteure a ainsi évalué les avantages et les inconvénients d’un assujettissement au niveau des distributeurs plutôt qu’au niveau des fabricants ou importateurs. Ce système de perception aurait eu comme principale vertu d’isoler les acquéreurs professionnels qui s’approvisionnent chez des distributeurs professionnels. Cette hypothèse a finalement été écartée au motif que le nombre de distributeurs était manifestement nettement plus important que les fabricants et les importateurs. De plus l’organisme de perception, Copie France, ne dispose pas des moyens nécessaires pour lutter contre l’accroissement de la fraude qu’aurait constitué une augmentation du nombre de percepteurs. Dans le cadre de ses échanges, il a été porté à la connaissance de la rapporteure que 10 % des percepteurs étaient contrôlés chaque année.

Les supports assujettis, ainsi que les taux applicables à chaque type de supports, sont déterminés par une commission dite de la copie privée, créée par la loi de 1985, présidée par un représentant de l’État et composée à parité, d’une part, des représentants des ayants droit (douze membres), d’autre part, des consommateurs (six membres) et des fabricants et importateurs de supports de copie (six membres).

Tous les supports susceptibles d’enregistrement susceptibles d’être utilisés à de fins de copie privée sont assujettis, à deux exceptions près :

– l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle précise que la rémunération donne lieu à un remboursement pour certains acquéreurs limitativement énumérés : entreprises de communication audiovisuelle, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, éditeurs d’œuvres publiées sur des supports numériques, organismes utilisant les supports à des fins d’aide aux handicapés visuels ou auditifs ;

– la commission de la copie privée exclut depuis 1986 les supports qui, par leurs caractéristiques techniques ou leur circuit de distribution particulier, sont manifestement destinés exclusivement à un usage professionnel.

Tous les autres supports sont assujettis, que l’acquéreur final soit une personne physique dont l’achat est effectué à des fins de copie privée, ou bien une personne physique ou une personne morale dont l’achat est destiné à un usage professionnel. La neutralisation de cet usage professionnel est effectuée au moyen d’un abattement s’appliquant à tous les supports.

Évolution des perceptions de 1986 à 2007 en millions d’euros

Année

Copie France (audiovisuel)

Sorecop (sonore)

Collège Ecrit

Collège Arts visuels

Montants

1986

0,20

0,12

   

0

1987

24,70

11,13

   

36

1988

45,28

15,70

   

61

1989

49,39

17,38

   

67

1990

68,60

19,82

   

88

1991

78,66

18,90

   

98

1992

97,72

16,92

   

115

1993

96,65

19,51

   

116

1994

104,58

18,29

   

123

1995

89,34

16,77

   

106

1996

82,63

16,16

   

99

1997

77,90

14,18

   

92

1998

75,46

14,03

   

89

1999

69,67

14,18

   

84

2000

69,06

13,11

   

82

2001

58,5

36,81

   

95

2002

60,01

65,47

   

125

2003

59,02

86,95

0,30

0,30

147

2004

77,05

87,79

1,68

1,67

168

2005

70,30

82,48

1,27

1,27

155

2006

71,73

82,08

1,05

1,05

156

2007

79.74

81.85

0.9

0.9

163.40

2008

79.92

87

0.9

0.9

174

2009

85

88

4,80

3,80

184

Source : commission de la copie privée

Le droit communautaire a consacré l’existence de l’exception pour copie privée et la nécessité d’une « compensation équitable » : l’article 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information prévoit ainsi que « les État membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction ». Elle précise, au b du 2 du même article que « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, [cette faculté peut être exercée] à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable […] ».

Au sein de l’Union européenne coexistent deux modèles : l’un admettant la liberté de réaliser des copies privées sans autorisation en contrepartie d’une rémunération forfaitaire, l’autre soumettant toute copie fût-elle privée à une autorisation de l’ayant droit moyennant le versement d’une rémunération contractuelle.

Sur les 27 États membres de l’Union européenne, seules les législations de l’Irlande et du Royaume-Uni ne prévoient pas d’exception pour copie privée. Sur les 25 États membres qui prévoient cette exception, seuls quatre (Bulgarie, Chypre, Malte et Luxembourg) n’ont pas encore organisé leur système de compensation pour les titulaires de droits.

II.- UN SYSTÈME CONTESTÉ

Si personne ne conteste plus le principe d’une rémunération de la copie privée, en revanche le fonctionnement du système tel que nous le connaissons depuis plus de vingt-cinq ans est mis en cause par trois évolutions.

 Des évolutions technologiques

Le système de rémunération de la copie privée est aujourd’hui contesté, en premier lieu parce qu’il été conçu à l’époque des supports analogiques, et qu’il doit aujourd’hui s’adapter aux évolutions technologiques, qu’il s’agisse du numérique ou du cloud computing.

Le  cloud computing , ou informatique en nuage est un concept qui consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur le poste client de l’utilisateur.

Les utilisateurs ou les entreprises ne sont plus gérants de leurs serveurs informatiques mais peuvent ainsi accéder de manière évolutive à de nombreux services en ligne sans avoir à gérer l’infrastructure sous-jacente, souvent complexe. Les applications et les données ne se trouvent plus sur l’ordinateur local, mais – métaphoriquement parlant – dans un nuage (« cloud »), composé d’un certain nombre de serveurs distants interconnectés.

Ce mode de traitement et de stockage des données d’un client, dont l’exploitation s’effectue par internet, soulève plusieurs interrogations au regard de la territorialité du droit d’auteur ainsi que des questions de traitement et de protection des données personnelles, de confidentialité, de sécurité et de responsabilité

Le cloud computing remet en cause les fondements de la rémunération pour copie privée sur deux points essentiels :

– il prive la rémunération pour copie privée de son assiette puisque les fichiers copiés ne sont plus stockés sur des supports physiques, mais sont stockés à distance par le biais de services comme iMusic, iCloud ou Google Music ;

– il rend inopérante la notion d’usage à des fins privées puisque les contenus (livres, musique, vidéos, logiciels) sont accessibles sur tous les écrans connectés qui entourent l’utilisateur, où qu’il soit dans le monde.

Les bouleversements introduits par l’essor de l’informatique en nuage sont étudiés aussi bien par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, attentive à la question du respect des données personnelles, que par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui s’intéresse tout particulièrement à l’avenir de la rémunération pour copie privée vis-à-vis du cloud computing.

 Des dysfonctionnements de la commission de la copie privée

Le législateur de 1985 avait souhaité que la fixation des barèmes de rémunération pour copie privée soit établie dans des conditions permettant de recueillir le consensus le plus large possible parmi les intéressés, ayants- droit, consommateurs et industriels, qu’il a souhaité voir représentés au sein de la commission.

Mais concilier les points de vue d’interlocuteurs ayant des intérêts contradictoires s’est avéré de plus en plus difficile à mesure que les montants en jeu s’accroissaient. En dépit des bons offices du président de la commission, l’adoption même des procès verbaux des réunions occasionne des débats et des tensions.

Le décret n° 2009-744 19 juin 2009 relatif au fonctionnement de la commission instituée à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a introduit plusieurs modifications préconisées par le plan France numérique 2012 et destinées à apporter un certain apaisement :

– le président de la commission, personnalité indépendante ayant voix prépondérante en cas de partage des voix, est désormais nommé non plus par le seul ministre de la culture, mais conjointement par ce dernier ainsi que par les ministres en charge de l’industrie et de la consommation ;

– une évolution similaire a concerné la détermination des organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que du nombre de personnes que chacune est appelée à désigner ;

– enfin, a été reconnue au président la faculté de demander une deuxième délibération, le vote intervenant alors à la majorité des deux tiers.

Mais ces mesures se sont avérées insuffisantes pour ramener de la sérénité dans le fonctionnement de la commission. En conséquence, les cinq dernières décisions adoptées par cette dernière ont fait l’objet de recours devant la juridiction administrative, recours qui se sont tous soldés par des annulations, ce qui traduit un dysfonctionnement persistant qui ne peut qu’attirer l’attention du législateur.

 L’affirmation du droit communautaire et la nécessaire évolution du système français

La portée des dispositions de la directive de 2001 précitée a récemment été précisée : à la suite d’une question préjudicielle posée par l’Audiencia Provincial de Barcelone, dans le cadre d’un contentieux opposant une société de gestion collective de droits d’auteurs, la Sociedad General de Autores, à un magasin de distribution de supports, Padawan, la CJUE s’est prononcée sur les modalités de prise en compte de l’usage professionnel des supports d’enregistrement.

Elle a ainsi jugé qu’un « lien nécessaire » doit exister entre l’application de la redevance et « l’usage présumé [des supports] à des fins de reproduction privée ». Dès lors, « l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard [de supports] non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation des copies à usage privé » n’est pas conforme à la directive 2001/29.

L’interprétation de cette formule sibylline a partagé la doctrine : le système français était-il conforme aux exigences communautaires dégagées par la CJUE dans son arrêt ?

Certains prétendaient que la formule « non mis à disposition d’utilisateurs privés » devait être entendue comme l’équivalent de « non offerts à l’achat d’utilisateurs privés » : dans ce cas, le système français excluant les appareils ne pouvant être utilisés qu’avec un équipement de niveau professionnel, susceptibles d’être vendus dans des circuits de distribution spécialisés, était conforme au droit communautaire.

D’autres, au contraire, jugeaient que la formule « non mis à la disposition d’utilisateurs privés » devait être entendue comme « non vendus  à des utilisateurs privés » : dans ce cas le droit communautaire exigerait que tous les supports soient exclus de l’assiette de la rémunération dès lors qu’ils sont vendus à des professionnels. (1)

C’est la question que la société Canal + distribution a demandé au Conseil d’État de trancher, en demandant l’annulation de la décision n° 11 de la commission de la copie privée.

Dans son arrêt du 17 juin 2011, le Conseil d’État s’est rallié à la seconde interprétation : « En décidant que l’ensemble des supports, à l’exception de ceux acquis par les personnes légalement exonérées de la rémunération pour copie privée par les dispositions de l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d’exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, la décision attaquée a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 telle qu’interprétée par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ».

Plus précisément, « la circonstance alléguée en défense que la commission aurait pondéré le taux de la rémunération pour certains matériels à raison du degré professionnel d’usage, à la supposer établie, ne suffirait pas à assurer la conformité de la décision à l’exigence d’exonération des usages autres que la copie privée ».

La directive établit en effet un système de « présomptions croisées » : comme le rappelle la CJUE dans les attendus de l’arrêt Padawan, « la simple capacité des équipements à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance, à condition que les dits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés » : il n’est pas nécessaire que soit établi un usage effectif à des fins de copie privée pour qu’un support soit assujetti à la redevance, il suffit que cet usage puisse être présumé. Or une telle présomption ne peut être établie dès lors que le support est acquis par des professionnels : dans ce cas, « les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée. »

Comme le rappellent les conclusions de la rapporteure publique du Conseil d’État, Mme Delphine Hedary, « la directive permet qu’une "compensation équitable" soit perçue sur les supports permettant la copie " par une personne physique pour un usage privé". La directive institue donc une corrélation entre celui qui acquitte la rémunération et l’usage qu’il fait du support. Elle prône un "juste équilibre" entre les droits et intérêts des auteurs-compositeurs-interprètes et ceux des utilisateurs-consommateurs. »

Dès lors, faire payer des utilisateurs dont on ne peut présumer qu’ils font usage des supports à des fins de copie privée n’est pas conforme à la directive : « faire payer à tous la rémunération indistinctement n’opère pas la corrélation entre l’usage et le paiement. Le consommateur qui achète pour son usage personnel notamment destiné à la copie privée d’un CD ou d’un DVD bénéficiera d’une réfaction, tandis que le professionnel qui destine manifestement ce support à un usage professionnel paiera la rémunération qu’il ne doit pas. »

Le Conseil d’État a donc annulé la décision n° 11 de la commission pour la rémunération de la copie privée, qui fixait des barèmes pour une dizaine de supports.

III.- LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Le système de la rémunération pour copie privée connaît ainsi d’importantes mises en cause qui retiennent l’attention du législateur et imposeront tôt ou tard une réflexion en profondeur sur les évolutions nécessaires qu’il doit connaître. L’importance des montants en cause, la gravité des enjeux soulevés, l’exacerbation des tensions entre les parties prenantes, supposent un travail patient et responsable pour aboutir à un résultat aussi consensuel que celui qui fut obtenu en 1985, lorsque le projet de loi instaurant la rémunération pour copie privée fut adopté à l’unanimité.

Au regard de l’ampleur d’une telle tâche, l’ambition du présent projet de loi est nécessairement limitée par l’urgence imposée par les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État précité.

En outre, le projet de loi comporte un certain nombre de dispositions destinées à introduire dans le code de la propriété intellectuelle des principes dégagées par les juridictions ou des modifications suggérées par exemple par le plan France numérique 2012.

Ainsi, l’article 1er précise que la rémunération pour copie privée ne concerne que les copies réalisées à partir de sources licites, ce qui consacre une pratique de la commission de la copie privée observée depuis qu’un arrêt du Conseil d’État du 11 juillet 2008 a rappelé la nécessité d’exclure les copies réalisées à partir de sources illicites.

L’article 2, conformément aux exigences rappelées par le Conseil d’État dans son arrêt du 17 juin dernier, dispose que le montant de la rémunération doit être fixé en fonction des usages à des fins de copie privée, appréciés grâce à des enquêtes obligatoires. Il conforte également la pratique de la commission consistant dans certains cas à fixer des barèmes provisoires.

L’article 4 tire les conséquences des arrêts Padawan et Canal + distribution, en mettant fin au système de prise en compte des usages professionnels reposant sur une mutualisation entre acquéreurs et application d’un abattement. Les modalités retenues par le projet de loi prévoient des conventions d’exonération avec Copie France et, à défaut, des demandes de remboursement assorties de pièces justificatives. L’article 6 précise que ces demandes de remboursement seront recevables pour autant qu’elles concerneront des supports acquis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.

Le projet de loi a également pour objet d’éviter l’impasse dans laquelle le système de rémunération pour copie privée risque de se trouver à compter du 22 décembre.

En effet, le Conseil d’État a jugé que l’annulation de la décision n° 11 prendrait effet à cette date. Dans le même temps, il a considéré que les barèmes de rémunération devaient systématiquement être précédés d’études d’usage. La commission se trouve donc dans l’obligation de faire réaliser et d’examiner les résultats de plus d’une dizaine d’études, ce qui ne lui permet pas de délibérer dans les délais requis. Le I de l’article 5 du présent projet de loi vise en conséquence à proroger les barèmes de la décision n°11, en précisant toutefois que sont exclus les usages professionnels.

En outre, le Conseil d’État a précisé que sa décision d’annulation conservait toutefois son caractère rétroactif pour les instances en cours au 17 juin 2011. Si le motif d’annulation de la décision n°11 ne concernait que la non prise en comptes des usages professionnels, c’est bien l’ensemble de la décision qui a été annulée : les actions destinées à contester les paiements effectués sur le fondement de la décision n° 11 pourraient donc permettre à leurs auteurs de se voir rembourser la totalité des sommes versées, y compris celles correspondant à des usages à des fins de copie privée. Le II de l’article 5 a ainsi pour objet de valider les paiements effectués pour des supports destinés à un usage de copie privée, les requérants conservant, le cas échéant, la faculté de se voir rembourse les versements correspondant à des usages professionnels.

Outre des amendements rédactionnels ou de coordination, la commission a apporté quatre modifications au texte présenté par le Gouvernement, la première à l’initiative de M. Lionel Tardy, les trois suivantes à l’initiative de la rapporteure :

– le rapport transmis au ministre de la culture par les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) sur l’utilisation des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée et destinées à des actions culturelles sera également transmis aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

– le montant de la rémunération pour copie privée devra tenir compte du type de support et de la durée d’enregistrement ou, lorsque cette notion s’avère inadaptée, notamment pour les supports numériques, de la capacité d’enregistrement ;

– la notice explicative fournie avec le support afin d’informer l’acquéreur sur la rémunération pour copie privée et ses finalités pourra être intégrée au support lui-même sous forme dématérialisée ;

– le délai imparti à la commission de la copie privée pour prendre une nouvelle décision, fixé par le projet de loi à vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la loi, est réduit à douze mois.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du 16 novembre 2011.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Le Gouvernement a engagé la procédure d’examen accéléré de ce texte, inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du 23 novembre prochain. Je remercie tout particulièrement Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure, d’avoir accompli un important travail dans un délai très bref.

J’accueille avec plaisir M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, qui va maintenant présenter le projet de loi.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Dans son essai, intitulé L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin s’inquiétait de la perte de l’aura propre à une œuvre unique qu’entraîne sa reproduction en masse. Mais les effets de la technique ne se limitent pas à la perte éventuelle de la relation mystique à l’œuvre, ils affectent aussi – et peut-être surtout – le droit d’auteur.

Sous une apparence technique, le présent projet de loi répond à un enjeu simple et néanmoins impérieux, celui du financement d’une part essentielle de la création artistique française.

Je tiens donc à vous remercier, madame la rapporteure, pour l’efficacité avec laquelle vous vous êtes saisie de l’examen de ce projet de loi et pour le travail approfondi que vous avez effectué dans un délai très contraint.

Depuis les années 1980, les moyens techniques de reproduction des œuvres culturelles se sont considérablement démocratisés, hier avec les lecteurs-enregistreurs de cassettes audio et vidéo, puis avec les CD-ROM, les DVD, les clés USB et les baladeurs numériques, aujourd’hui avec les téléphones multimédia et les tablettes numériques. Cette multiplication des supports a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage, dites copies privées, et accru le manque à gagner des auteurs comme des autres ayants droit.

C’est pourquoi la loi du 3 juillet 1985, voulue et préparée par M. Jack Lang, et adoptée à l’unanimité, a instauré une rémunération « juste et équitable » visant à compenser financièrement le manque à gagner subi par les auteurs et les titulaires de droits voisins au titre des copies d’œuvres réalisées sans leur autorisation préalable. Le dispositif ne constitue ni une taxe ni la compensation d’un préjudice au sens du droit civil, mais une modalité particulière d’exploitation et de rémunération des droits d’auteur, à travers un paiement forfaitaire se substituant au paiement à l’acte, depuis lors propagé dans 21 pays de l’Union européenne et intégré au droit communautaire par la directive sur les droits d’auteur de 2001.

La rémunération pour copie privée représente en France une part essentielle des droits d’auteur et donc du financement de la création. Elle s’élève à plus de 180 millions d’euros par an, que la société de perception et de répartition Copie France répartit entre auteurs, artistes interprètes, producteurs de musique, de cinéma, d’audiovisuel, de l’image fixe et de l’écrit.

Si 75 % des sommes ainsi collectées sont directement reversés aux créateurs, le reste, soit 25 % de la rémunération pour copie privée, est obligatoirement dédié, en application de la loi de 1985 précitée, à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes.

En s’acquittant de cette rémunération, le public participe directement au financement de près de 5 000 manifestations culturelles recouvrant une grande diversité de genres et de répertoires : grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts, spectacles de rue ou de marionnettes, courts-métrages, documentaires de création…

Cette institution remarquable, qui a su s’adapter au numérique, se trouve aujourd’hui menacée, à la suite d’un arrêt rendu le 21 octobre 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), et d’une décision du Conseil d’État du 17 juin dernier.

Jugeant que les supports acquis pour un usage professionnel devaient être exemptés du paiement de la rémunération pour copie privée, le Conseil d’État a condamné le système mis en place par la commission de la copie privée qui, pour des raisons de simplicité et de prévention de la fraude, consistait à appliquer la rémunération correspondante aux supports susceptibles de servir à la fois pour un usage professionnel et pour un usage privé, à savoir les CD-ROM, la plupart des DVD, les téléphones multimédia, ou encore les clés USB, moyennant un abattement reflétant la part des usages professionnels. D’où l’urgence de l’examen du présent projet de loi.

La décision du Conseil d’État, en elle-même légitime, emporte des effets collatéraux extrêmement graves : elle prive de fondement juridique, à compter du 22 décembre prochain, l’essentiel des barèmes de perception de la copie privée, faisant ainsi peser une menace immédiate sur la perception de ces 180 millions d’euros.

Elle provoque en outre un effet d’aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011. Ceux-ci pourront en effet réclamer le remboursement des sommes versées, soit un montant de près de 60 millions d’euros, alors même que l’essentiel de ces sommes étaient effectivement dues, dans la mesure où n’étaient pas en cause des supports acquis à des fins professionnelles, et que la copie privée avait été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs.

Le principal objet du projet de loi est donc de remédier au risque d’une interruption ou d’une remise en cause de la rémunération pour copie privée lorsque celle-ci est effectivement due, en neutralisant les effets collatéraux de la décision du Conseil d’État : d’une part, en maintenant, au-delà du 22 décembre prochain, des barèmes de la rémunération pour copie privée ; d’autre part, en procédant à une validation ciblée des rémunérations antérieures au 17 juin 2011 qui font l’objet d’une action contentieuse.

Cette réponse, conforme à la Constitution et au droit européen, a été approuvée par le Conseil d’État lors de son examen du projet de loi. Conçue de manière à respecter la chose jugée, elle n’empêche pas les personnes ayant acquis un support pour un usage professionnel de faire valoir leurs droits.

Le projet de loi est également indispensable pour que nous nous conformions aux obligations du droit communautaire, la CJUE ayant consacré le principe d’une obligation de compensation effective du manque à gagner lié aux actes de copie privée.

Afin de mettre en œuvre la décision du Conseil d’État, le texte prévoit l’exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée. Il y procède selon deux modalités, directement inspirées de la pratique actuelle de la commission concernant certains supports déjà exemptés : soit sur le fondement d’une convention passée entre Copie France et les professionnels, permettant à ceux-ci d’être exonérés lors de l’acquisition des supports, notamment dans des circuits de distribution spécialisés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs, ceux-ci établissant la qualité de professionnel et l’usage présumé du support à des fins autres que de copie privée.

Le projet de loi comporte aussi des dispositions de portée plus limitée, consacrant la pratique de la commission de la copie privée en matière d’enquête d’usage, ou tirant les conséquences de la récente jurisprudence qui a écarté de l’assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés. Il prévoit par ailleurs l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement sur le montant de la rémunération auquel il est assujetti, ce qui représente une avancée intéressante pour la compréhension par chacun du mécanisme de la copie privée et de ses enjeux.

Ce projet de loi, justifié par une situation d’extrême urgence, a donc un objet circonscrit : il s’agit, d’ici au 22 décembre prochain, d’éviter un effondrement du système de la copie privée, qui constitue une mode de rémunération important des ayants droit mais aussi une source essentielle de financement de la création. Dans ce but, le texte privilégie une réponse pragmatique, immédiatement applicable et cependant respectueuse des jurisprudences du Conseil d’État et de la CJUE.

Le ministère de la culture poursuit parallèlement une réflexion à plus long terme afin de mesurer les incidences des évolutions technologiques sur la copie privée. Une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, que préside Mme Sylvie Hubac, a ainsi été chargée d’étudier l’incidence du cloud computing en matière de droits d’auteur et de copie privée.

Le présent projet de loi apporte une réponse indispensable à une situation d’urgence. Il prouve également notre réactivité et notre engagement commun en faveur du soutien à la création, de la défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, en somme de ceux qui prennent les risques artistiques.

Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure. Le projet de loi poursuit deux principaux objectifs : d’une part, garantir une compensation équitable des ayants droit au titre de l’exception de copie privée ; d’autre part pérenniser les financements en faveur de la création, du spectacle vivant et de la formation des artistes.

Les auditions que nous avons menées ont montré que les ayants droit, les associations de consommateurs et les représentants des industriels ne remettaient en cause ni la légitimité de l’exception pour copie privée ni son régime de rémunération.

Le système en vigueur vise à faciliter la copie à usage privée sans que l’autorisation de l’auteur soit requise à chaque fois. Il favorise ainsi la diffusion des œuvres et l’accès du public à la culture, comme il incite à l’achat de supports d’enregistrement. Il existe donc bien une convergence d’intérêts entre les créateurs et les industriels : les supports d’enregistrement se vendent en partie parce que le consommateur peut y copier des œuvres ; les œuvres trouvent leur public parce qu’elles deviennent disponibles sur des supports qui les ont fixées. On constate donc l’intérêt commun que conjuguent la diversité culturelle et la richesse de la création. Cette situation est l’essence même de l’exception culturelle française, dont chacun d’entre nous s’enorgueillit.

Avant d’en venir au cœur du débat, je me permets de vous apporter quelques éléments chiffrés sur le dispositif de la rémunération pour copie privée : l’assiette totale de celle-ci se montait, en 2010, à 189 millions d’euros ; la loi a prévu un prélèvement de 25 % de la recette brute, destiné à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes ; ce prélèvement permet à près de 5 000 projets culturels de voir le jour chaque année, et chacun d’entre nous peut en bénéficier sur son territoire ; enfin, la rémunération pour copie privée représente entre 5 % et 10 % des revenus des ayants droit. Il s’agit donc d’un dispositif indispensable tant pour les ayants droit que pour la création et le spectacle vivant.

Toutefois, le système rencontre des limites, qui doivent retenir notre attention de législateur : si les industriels adhérent à ces grands principes, ils multiplient néanmoins les recours afin de contester les décisions successives de la commission chargée de fixer les barèmes de la rémunération et, plus généralement, les mécanismes de rémunération pour copie privée au niveau européen, et ce en fonction de trois facteurs.

Un facteur juridique d’abord, en raison de l’affirmation des sources communautaires du droit d’auteur : les dispositions figurant dans la directive de 2001 sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, telles qu’interprétées par la CJUE, s’incorporent désormais dans notre droit national.

Un facteur technologique ensuite, car le système suit la révolution numérique et doit notamment s’adapter au cloud computing. C’est pourquoi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique travaille actuellement sur les conséquences du développement de cette technique.

Enfin, un facteur lié à la composition de la commission de la copie privée : du fait de sa composition – des représentants industriels, des consommateurs et des ayants droit – la commission rassemble des intérêts contradictoires. Or ces contradictions sont de plus en plus difficiles à surmonter, ce que traduit la saisine systématique des juridictions et l’annulation contentieuse presque aussi systématique des décisions de la commission.

Certes, les enjeux sont immenses, mais nous devons d’abord faire face à une urgence : ce projet de loi a pour but d’y répondre et n’a pas d’autres ambitions. Certains le regrettent et je le regrette aussi. Cependant, compte tenu de l’importance des défis à venir et de la sensibilité du sujet, il serait imprudent que le législateur s’engage sur le terrain d’une réforme en profondeur du système de rémunération pour copie privée dans des délais d’examen aussi brefs. C’est pourquoi je ne proposerai pas aujourd’hui de bouleverser le régime de la rémunération pour copie privée, même si, à terme, le législateur devra s’atteler à son aménagement, notamment en raison des trois facteurs que j’ai cités.

On peut objecter qu’il suffirait de se donner un peu de temps pour cela. Mais je crains que nous ne puissions nous le permettre en raison de l’échéance du 22 décembre prochain, date fixée par le Conseil d’État pour que prenne effet l’annulation de la décision qu’il a prononcée le 17 juin dernier. Cette décision fixait des règles pour plus d’une dizaine de supports. À défaut d’une intervention de notre part, nous subirions un dramatique retour en arrière, et ce pour trois raisons : sans l’intervention du législateur, la rémunération des ayants droit reposerait sur des bases réduites à 27 % de l’assiette actuelle ; cette même rémunération se fonderait sur des bases obsolètes, c’est-à-dire sur des supports en perte de vitesse, en laisserait de côté les supports les plus modernes dont les ventes sont les plus dynamiques ; enfin, les dites bases seraient contraires au droit communautaire.

Le présent projet de loi a donc pour objet d’inscrire dans le code de la propriété intellectuelle les trois grands principes dégagés par le juge communautaire et le juge administratif.

En premier lieu, l’obligation de fonder tout barème de rémunération sur des études d’usage, sauf si des éléments objectifs permettent d’établir un barème provisoire pour une durée n’excédant pas un an.

En deuxième lieu, la non prise en compte, dans le calcul de la rémunération, des copies réalisées à partir de sources illicites.

En troisième lieu, la non prise en compte des usages professionnels puisque, par définition, la rémunération correspond à un usage pour copie privée : le choix retenu en la matière est celui de conventions d’exonération conclues entre Copie France et les utilisateurs professionnels ou, à défaut de convention, celui d’un système de remboursement.

Le projet de loi a également pour objectif de rendre le système plus transparent, en imposant que le montant de la rémunération soit porté à la connaissance de l’acquéreur et qu’une notice explicative lui soit communiquée. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous indiquer qui prendra en charge le coût de cette information car la question nous a été posée de façon récurrente. Je proposerai, lors de l’examen des articles, d’élargir les moyens de communication de cette notice par l’intermédiaire d’un fichier électronique présent sur l’ensemble des dispositifs de stockage assujettis à la rémunération pour copie privée.

Enfin, l’article 5 du projet de loi est important à un double titre. Dans son arrêt annulant la décision n° 11 de la commission de la copie privée, le Conseil d’État a jugé que l’intérêt général commandait que l’annulation – dont je rappelle qu’elle revient à considérer que l’acte n’a jamais existé – ne prenne effet qu’à compter du 22 décembre 2011, « sous réserve des instances en cours ». Il a également estimé indispensable que les décisions de la commission de la copie privée se fondent sur des études d’usage ; or comme la décision n° 11 concernait plus d’une dizaine de supports, celle appelée à la remplacer doit être précédée d’une dizaine d’enquêtes : autant dire que publier une nouvelle décision d’ici au 22 décembre s’avère pratiquement impossible. En outre, à défaut de nouvelle décision, les bases juridiques deviennent obsolètes, restreintes et encore moins conformes au droit communautaire que la décision n° 11 : c’est pourquoi le I de l’article 5 propose de proroger les effets de cette dernière jusqu’à ce que la commission de la copie privée prenne une nouvelle décision, au plus tard dans un délai de 24 mois.

La décision n° 11 continuera donc de s’appliquer, mais uniquement pour les supports acquis à des fins de copie privée, et non pour les usages professionnels, l’assujettissement de ces derniers étant le motif pour lequel le Conseil d’État a annulé la décision.

Le délai de 24 mois me semble toutefois trop long : la commission a commencé à examiner le résultat des premières études réalisées et son plan de charge devrait lui permettre d’en examiner la totalité d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Je pense qu’il faut adresser aux membres de la commission un signal montrant notre souhait de les voir aboutir rapidement et, à partir du moment où des études exhaustives, sur la méthodologie desquelles ils se sont mis d’accord, sont disponibles, de ne pas s’enliser dans d’interminables querelles à propos des barèmes.

Le Conseil d’État a également jugé que l’annulation de la décision n° 11 ne prenait effet qu’à compter du 22 décembre, « sous réserve des instances en cours au 18 juin 2011 ». Or certains fabricants, anticipant la décision du Conseil, avaient déjà saisi les tribunaux de grande instance afin de ne pas avoir à payer ou afin d’obtenir le remboursement des sommes réclamées par Copie France en application des barèmes de la décision n° 11. Pour ces instances en cours, l’annulation du Conseil d’État conserve une portée rétroactive.

Rappelons que la décision n° 11 a été annulée parce qu’elle n’exonérait pas les usages professionnels. Même s’il n’y avait qu’un seul motif d’annulation – la perception de la rémunération sur des supports susceptibles d’être utilisés à des fins de copie privée n’était pas contestée –, c’est l’ensemble de la décision qui a été annulé. Il en résulte que l’ensemble des sommes perçues, y compris sur des supports acquis à des fins de copie privée, peut être ainsi remis en cause, le trop perçu étant alors calculé par rapport à des décisions anciennes et obsolètes de la commission. Notons au passage que ces dernières assujettissent les usages professionnels et les copies réalisées également à partir de sources illicites !

En outre, les fabricants qui réclament le remboursement des sommes n’en ont pas réellement supporté le coût – sauf bien sûr le coût de gestion –, puisqu’ils les ont répercutées sur le consommateur. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques, s’ils en obtiennent le remboursement, ils ne le répercuteront probablement pas en sens inverse.

Le II de l’article 5 propose donc de valider la perception ou la demande de versement des rémunérations perçues sur le fondement de la décision annulée, c’est-à-dire d’empêcher que les fabricants obtiennent d’être remboursés ou de ne pas payer ces sommes, en s’attachant uniquement à celles relevant de la qualité de copie privée. Ils pourront tout de même prétendre au remboursement ou au non-versement des sommes qui correspondaient à des supports acquis notamment à des fins professionnelles : il s’agit là d’une validation législative poursuivant d’impérieux objectifs d’intérêt général. En la matière, des conditions très strictes doivent être observées afin que notre texte soit conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Mes chers collègues, il nous est demandé d’adopter ce projet de loi d’urgence. Et il est vrai qu’il y a urgence car si ce texte n’était pas voté avant le 22 décembre, les ayants droit et le spectacle vivant souffriraient d’un manque à gagner estimé à 15 millions d’euros par mois.

Bien sûr, cela ne nous dispensera pas, dans un avenir proche, de mener une réflexion approfondie en vue de conforter un système fragilisé par un environnement dont on ne peut ignorer les mutations.

Pour l’heure, je vous propose d’adopter le projet de loi qui nous est soumis.

M. Christian Kert. Mme la rapporteure a parfaitement montré les enjeux du projet de loi. Depuis la loi du 3 juillet 1985 instaurant un mécanisme de rémunération pour copie privée – qui ne constitue ni une taxe ni la compensation d’un préjudice au sens du droit civil, mais une modalité particulière d’exploitation et de rémunération des droits d’auteur à travers un paiement forfaitaire remplaçant le paiement à l’acte –, la démocratisation des moyens techniques de reproduction des œuvres a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur usage privé et a accru le manque à gagner des ayants droit.

Le ministre et la rapporteure ont rappelé l’arrêt du Conseil d’État faisant peser un risque sur la perception de la plus grande partie des 180 millions d’euros annuels tirés de la rémunération pour copie privée et entraînant un effet d’aubaine pour les redevables ayant engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011, puisque ces derniers peuvent ainsi réclamer le remboursement des sommes versées pour un montant total de 60 millions d’euros alors qu’il s’agit de sommes effectivement dues et dont le coût a déjà été répercuté sur le prix acquitté par les consommateurs. Les effets collatéraux de la décision du Conseil d’État sont donc très dangereux. Mais quelle que soit l’urgence qui en découle, on ne saurait se satisfaire d’un simple texte de validation : il nous faudra ultérieurement aller plus loin.

Deux problèmes principaux se posent : en premier lieu, celui de la gouvernance de la commission de la copie privée et celui de la méthodologie de la rémunération. Mais, légiférant dans l’urgence, nous ne nous disposons pas à refondre l’ensemble du système de la copie privée. La date couperet du 22 décembre s’impose à nos travaux. Il nous faudra donc, dans les années à venir, réinscrire l’ouvrage parmi les chantiers de notre commission.

Le deuxième problème concerne le mécanisme de remboursement de la rémunération : il convient à cet égard, comme l’a d’ailleurs indiqué Mme la rapporteure, de rester sur la ligne du gouvernement. L’arrêt du Conseil d’État prévoit de ne pas assujettir les professionnels à la rémunération pour copie privée plutôt que de les rembourser. Or cette solution ne pouvait qu’accroître les risques de fraude. La question reste centrale et devra faire l’objet d’une concertation et d’une réflexion plus poussées.

Il ne s’agit pas, à travers l’article 5 du projet de loi, de contourner la décision du Conseil d’État mais de permettre le bon fonctionnement de la commission de la copie privée en dépit des exigences nouvelles formulées par la juridiction administrative. Ce même article permet d’éviter un effet d’aubaine au profit des industriels ayant introduit des recours juridictionnels et pouvant obtenir un remboursement en raison d’un vide juridique.

Le présent projet de loi possède certes un objet restreint, mais il se justifie par une situation d’urgence. Il nous faut, en l’adoptant, éviter un effondrement du système de la copie privé, qui constitue à la fois un mode important de rémunération des ayants droit et une source de financement de la création. Nous le préserverons tout en le mettant en conformité avec la jurisprudence du Conseil d’État et avec le droit communautaire.

M. Patrick Bloche. L’enjeu est simple et il y a urgence à légiférer, tout le monde l’a compris. Nous devons éviter que, le 22 décembre prochain, il n’existe plus de possibilité de percevoir la rémunération pour copie privée, pour un montant mensuel de 15 millions d’euros. Au-delà, en raison du rapide développement des usages des outils numériques, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l’avenir du système.

L’examen de ce texte est aussi l’occasion de rappeler l’intérêt de la loi de 1985, votée à l’unanimité du Parlement, une loi intelligente par excellence car ayant su, à l’époque, prendre en compte l’usage fait par nos concitoyens des modes de reproduction des œuvres pour accéder à la culture. Elle reposait sur la compensation d’un manque à gagner par l’ouverture d’un droit à rémunération « juste et équitable » et ne cherchait pas à contourner ou à modifier l’usage des instruments offerts, à la différence de la loi dite HADOPI, qui, mettant en place des dispositions répressives, avait pour folle ambition de dicter leur comportement aux consommateurs.

La loi de 1985 constitue une dérogation au droit d’auteur, droit moral mais aussi patrimonial puisqu’il permet à son titulaire d’autoriser ou de refuser la diffusion de ses œuvres. Elle déroge également au principe du paiement à l’acte en permettant un versement forfaitaire, comparable à la licence légale pratiquée en radiodiffusion – tout le contraire de la philosophie de la loi HADOPI, qui entend maintenir le paiement à l’acte là où une rémunération forfaitaire serait davantage justifiée.

Il ne s’agit pas pour autant de revenir ce matin sur ce dispositif. Il nous faut seulement sauver un système dont la survie est essentielle pour la diffusion du spectacle vivant, pour l’aide à la création et pour la formation des artistes, trois domaines financés par les 25 % des ressources de la rémunération pour copie privée que nous entendons préserver, en dépit de ceux qui aimeraient les récupérer pour financer un éventuel Centre national de la musique. C’est en grande partie pourquoi nous voterons ce projet de loi.

En votant ce texte, nous nous mettrons en conformité avec le droit européen – arrêt Padawan de la CJUE du 21 octobre 2010 – et avec la décision du Conseil d’État du 17 juin 2011.

Je note que le respect de l’autorité de la chose jugée aboutit aussi à une exemption des supports acquis pour des usages professionnels et que le projet de loi permet de maintenir les barèmes provisoires fixés par la décision n° 11 de la commission de la copie privée.

Enfin, si le délai de 24 mois prévu par le projet de loi répond à la nécessité de prendre le temps de réaliser la douzaine d’études d’usage nécessaires avant la fixation de barèmes définitifs, consensuels et incontestables, il ne faut pas pour autant faire traîner les choses sachant comment fonctionne la commission de la copie privée.

Mme Marie-Hélène Amiable. Le projet de loi tire effectivement les conséquences de l’arrêt du 21 octobre 2010 de la CJUE et de l’annulation par le Conseil d’État, le 17 juin 2011, de la décision n° 11 de la commission de la copie privée.

L’étude d’impact accompagnant le projet de loi justifie l’intervention du législateur par l’intérêt général d’ordre culturel : préserver le mécanisme de rémunération pour copie privée, qui constitue un soutien essentiel à l’économie de la création et à la diversité culturelle. Il s’agit légitimement d’écarter le risque pesant sur la trésorerie des sociétés de perception et sur les ayants droit.

Nous notons toutefois que l’évolution du financement direct de la création a diminué de près de 10 % entre le projet de loi de finances pour 2008 et celui pour 2012.

Si la rémunération pour copie privée représentait un système pertinent et adapté de financement de la création dans les années 1980, elle n’est plus aujourd’hui suffisante, notamment au regard du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La majorité des artistes ne vit pas de ce mode de gestion collective des droits, alors que certains directeurs de sociétés de perception touchent des rémunérations pouvant dépasser 600 000 euros annuels.

Dans le domaine de la création artistique et de la diffusion de la culture, ce modèle peut donc paraître obsolète et, en tout cas, impropre à garantir un revenu décent aux créateurs de notre pays. Le huitième rapport de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) décrit un système insuffisamment au service des artistes comme des consommateurs. Les sommes prélevées par les SPRD ont progressé de 35 % entre 2000 et 2008, avoisinant 1,5 milliard d’euros en 2010. Les créateurs qui s’efforcent de vivre de leur art en profiteraient sans doute mieux si le système n’était pas aussi complexe et, parfois, opaque. Ainsi, la multiplication de sociétés intermédiaires fait exploser le coût de la collecte : il arrive que 50 % des droits d’auteur se volatilisent en frais de perception. Il revient donc à l’autorité de tutelle de corriger cette situation afin d’assurer la transparence des flux devant légitimement revenir aux artistes.

Il convient en somme de réaffirmer le lien étroit entre le soutien à la création et l’appropriation sociale et citoyenne des œuvres et des pratiques culturelles et artistiques ; la nécessité de faire prévaloir en toutes circonstances l’intérêt public afin d’affranchir notre économie de la culture de la soumission à l’argent ; la centralité du travail artistique et culturel au sein des politiques publiques en termes d’emplois, de droits sociaux, de statuts et de rémunérations ; enfin, l’indispensable prise en considération des nouvelles pratiques de diffusion de la création afin de garantir le respect des droits moraux ainsi que la rémunération des artistes, des auteurs et des interprètes.

Nous avons cependant compris que nous examinions ce projet de loi sous l’empire de l’urgence et nous espérons que notre débat permettra de l’améliorer.

Mme Muriel Marland-Militello. Le dépôt de ce projet de loi nous satisfait, notamment parce que son article premier montre bien que la copie privée ne constitue pas une autorisation de piratage mais le droit pour une personne, qui a légalement acquis une œuvre, d’en faire des copies pour son usage personnel.

L’informatique en nuage, ou cloud computing, constitue une forme particulière de gestion de l’information selon laquelle les données ne sont pas stockées dans l’ordinateur des personnes, ou dans un serveur local, mais dans des serveurs à distance. Or l’emplacement des données dans le nuage n’étant pas porté à la connaissance des clients, cela peut priver un grand nombre d’œuvres de droits à rémunération pour copie privée. Dès lors, comment peut-on intégrer le cloud computing, qui connaît aujourd’hui un essor considérable, dans le périmètre de la copie privée afin que les œuvres ainsi gérées contribuent également au financement des ayants droit et de la création artistique, à l’instar des architectures informatiques traditionnelles ? Il ne faudra pas rester inactifs pendant deux ans.

M. Marcel Rogemont. Je souhaiterais poser quatre questions à M. le ministre et à Mme la rapporteure.

Le dispositif qu’il nous est proposé d’adopter résulte de ce que la Cour européenne comme le Conseil d’État ont un peu bousculé notre régime de copie privée. Le texte réintroduit la notion de copie licite, ce qui laisse entendre que, jusqu’à présent, les copies illicites entraient également dans le champ de la rémunération de la copie privée et que nous étions déjà proches d’un système de licence légale. Le présent projet de loi vise-t-il à renoncer clairement à celui-ci ?

L’étude d’impact annexée au projet de loi déploie, dans ses pages 9 et 10, un trésor d’inventivité en matière de TVA puisque celle-ci s’applique à hauteur de 75 % de la rémunération pour copie privée au taux de 5, 5 % et à hauteur des 25 % restants au taux de 19,6 %. Il semble résulter de ce mécanisme que le consommateur paiera davantage que par le passé et que le distributeur bénéficiera d’une marge supplémentaire. Ai-je bien compris ?

Le régime de la copie privée intervient pour compenser l’exercice par le consommateur d’un droit à reproduction accordé par la loi du fait de l’absence d’un droit direct en faveur des auteurs. À partir du moment où les duplications deviennent incontrôlées dans le cadre de l’informatique en nuage, selon laquelle il n’existe plus véritablement de copie privée mais un simple stockage temporaire, que devient la base de la rémunération ?

Nous devons, comme l’a indiqué notre collègue M. Patrick Bloche, préserver les 25 % du produit de la copie privée et les faire échapper à divers appétits, dont celui du Centre national de la musique, en réalité des industries musicales. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer sur ce point ? Voilà quatre fois que je pose des questions sur le financement de ce Centre : puis-je espérer aujourd’hui recueillir quelques précisions ?

M. Jean Dionis du Séjour. Le régime de la copie privée date, on l’a dit, de 1985. La loi correspondait alors aux pratiques en vigueur, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le numérique les a fait disparaître : ainsi la notion de cercle familial, inscrite dans le code de la propriété intellectuelle, n’a plus guère de fondement. Le temps des copies de cassettes données à des parents ou à des amis est révolu depuis que l’on peut transmettre des données à l’autre bout de la terre et les adresser à des milliers de personnes en même temps. Notre législation est donc devenue obsolète, aussi bien sur ses fondements que relativement à la distribution des produits. Sur les 189 millions d’euros tirés de la rémunération pour copie privée, combien, après le prélèvement de 25 % et l’évaporation au profit des SPRD, reviennent aux ayants droit ? Selon certaines indications, le montant s’établirait autour de 60 millions, soit un rendement de seulement un tiers – pour l’ingénieur que je suis, c’est une pompe à rendement faible.

La partie des fonds collectés qui alimentent le soutien à la création ressort également d’un système périmé : comment, juridiquement, l’indemnité compensatrice d’un préjudice peut-elle contribuer, par un canal de dérivation pour 25 % de son flux, à financer des initiatives locales ? Inévitablement, un tel système sera de plus en plus contesté.

Au fond, le problème majeur est celui du financement de la culture dans l’univers numérique. Je ne suis pas hostile à l’idée de faire payer les industriels mais pas sur des bases dépassées.

L’argument du Gouvernement en faveur de son projet de loi consiste à considérer que 189 millions d’euros étant en jeu, il faut maintenir le système coûte que coûte, d’où la rédaction des articles 4 et 5. Mais ce texte n’éteindra pas les contentieux qui se développent : il suffit de discuter avec les trois parties prenantes – ayants droit, industriels et consommateurs – pour s’en rendre compte. Nous aurions donc intérêt à réfléchir à un système plus moderne plutôt que de nous en tenir à la situation d’urgence comme principal motif du projet.

En fin de compte, notre débat exhale un petit parfum de loi HADOPI.

M. Michel Herbillon. Je voudrais féliciter notre collègue Marie-Hélène Thoraval pour l’excellence de son rapport. Ce projet de loi restreint vise à répondre à une situation d’urgence en apportant une réponse pragmatique et rapide, conforme à la jurisprudence du Conseil d’État et au droit communautaire.

Quelle que soit notre appartenance politique, nous sommes tous très sensibles aux questions abordées ici, qui sont au cœur de notre politique culturelle. Car c’est l’honneur de notre pays que de vouloir protéger les artistes, soutenir la création et défendre les droits d’auteur.

J’ai tout lieu de penser que ce texte sera voté à l’unanimité, ce dont je me réjouis.

Monsieur le ministre, nous sommes tous d’accord sur le fait que ce texte ne constitue qu’une réponse à court terme, qui ne nous dispense pas d’une réflexion à long terme sur la rémunération de la copie privée. Mais quels seraient, selon vous, les modalités et le calendrier d’une telle réflexion ?

Mme Monique Boulestin. Monsieur le ministre, ce projet a notamment pour objet de soutenir la création artistique française. La commission indépendante, destinée à assurer aux représentants des ayants droit une rémunération pour copie privée, tout comme l’affectation d’un pourcentage de 25 % des montants perçus à des actions d’intérêt culturel, restent d’actualité. Ces dispositions, héritées de la loi Lang de 1985, n’ont donc rien d’obsolètes, et nous y sommes toujours favorables.

Néanmoins, des interrogations subsistent, tant du côté des professionnels que des consommateurs. Le Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques (SIMAVELEC) estime que ce projet est entaché d’illégalité et l’UFC-Que choisir, qui a été écartée de la commission, craint que le consommateur ne continue à être doublement taxé et demande une refonte de la redevance pour copie privée. Quelles assurances pouvez-vous leur apporter aujourd’hui, sachant que nous allons approfondir notre réflexion dans les mois qui viennent, en tenant compte, entre autres, de l’évolution des nouvelles pratiques de diffusion des offres artistiques ?

M. Lionel Tardy. Nous sommes tous conscients que ce texte est bancal, fragile et ne saurait être que provisoire. C’est une « rustine » qui devra tenir jusqu’à la reconstruction d’un dispositif viable et conforme au droit européen, permettant aux ayants droit de toucher une juste compensation à l’exception pour copie privée. Certes, nous devrons adopter ce projet de loi pour éviter l’effondrement des recettes des sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur, qui constituent tout un pan du système de financement de la création, mais n’oublions pas que ce n’est qu’un sursis avant l’adoption d’une réforme de fond.

Mon vote sur ce texte sera très clairement conditionné par les engagements qui seront pris par toutes les parties prenantes, à commencer par les ayants droit et le monde de la culture, pour ramener la rémunération pour copie privée à des proportions raisonnables, dans un cadre juridique compatible avec le droit européen, et pour revoir complètement les mécanismes d’aide à la création qui étaient assis sur ce dispositif. De fait, il ne suffira pas de modifier simplement la rémunération pour copie privée, il faudra aussi réexaminer les missions confiées aux sociétés de gestion des droits, qui doivent se recentrer sur leurs métiers de base – la perception et la répartition des droits – et laisser à d’autres organismes le soutien à la création.

La grande question est de savoir qui finance la création, par quels circuits, et avec quelle légitimité. Il est clair que le modèle d’un financement de la création par le biais d’une rémunération pour copie privée hypertrophiée, gérée par des SPRD dans un mode de relations conflictuelles avec les redevables, est arrivé en bout de course. Des solutions existent. En tout cas, nous devons dès maintenant, tous ensemble, spécialistes de la culture et du numérique, chercher de nouveaux mécanismes pour que le monde du numérique verse une juste et équitable contribution à la création.

Mme Françoise Imbert. La rémunération au titre de la copie privée ne s’appliquera plus aux usages professionnels. Cela signifie que les disques durs, DVD vierges et autres supports de stockage achetés par des professionnels ne seront plus soumis à cette taxe. Les acquéreurs professionnels devront-ils apporter la preuve formelle que le support n’est pas utilisé à des fins de copie privée ? Comment pourront-ils le faire ?

Il ne peut y avoir de création durable et de qualité sans la garantie d’une juste rémunération de l’ensemble des auteurs et des ayants droit. En excluant les supports d’enregistrement acquis à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, ne pensez-vous pas que le législateur va à l’encontre des intérêts des auteurs ?

Mme Jacqueline Irles. Certains manquements seraient sanctionnés par une peine d’amende administrative. Quel en serait le montant ? Et sur quelle grille cette amende serait-elle indexée ?

M. le ministre. Monsieur Dionis du Séjour, vous m’avez interrogé sur la manière dont les ayants droit sont rémunérés. Je vous répondrai en vous citant mon cas personnel : pour une interview d’Albert Du Roy, de deux heures, diffusée à quatre reprises, j’ai touché 31 euros ; pour mes émissions sur Dominique Desanti ou Marceline Loridan, de trois fois deux heures, 31 et 32 euros ; pour une émission sur Dalida, en Belgique… 1 centime ; pour la réalisation du film documentaire La délivrance de Tolstoï, diffusé au moins une dizaine de fois sur deux ans, 426 euros ! C’est vous dire que je suis conscient de l’urgence qu’il y a à rouvrir le chantier de la rémunération pour copie privée.

L’excellente loi de Jack Lang – après un débat difficile – avait été adoptée à l’unanimité. Mais c’était en 1985, il y a vingt-cinq ans ! Aujourd’hui, nous sommes contraints de poser, comme le dit Lionel Tardy, une « rustine ». C’est qu’il est temps de procéder à une complète remise à plat de ce texte, qui a pris un coup de vieux.

Je sais que je ne toucherai rien sur les centaines de DVD des émissions que j’ai pu réaliser, mais mon cas personnel n’a pas d’importance. En revanche, les milliers de personnes qui subissent le même traitement mériteraient que l’on redéfinisse leur part. Il est urgent d’y réfléchir.

Monsieur Bloche, je vous assure que nous n’attendrons pas vingt-quatre mois avant d’agir. Nous allons nous y mettre tout de suite, et ensemble. Ce serait formidable d’obtenir, sur une « loi Lang 2 », la même unanimité qu’en 1985 ! Cela me semble possible, parce que c’est pour le bien collectif que nous travaillons. Le ministère a déjà commencé à se pencher, avec Sylvie Hubac, sur le cloud computing, et nous vous présenterons des préconisations en la matière. Quant à la méthode de calcul de la copie privée, nous allons l’étudier tous ensemble.

Selon moi, le mécanisme d’urgence que nous mettons au point aujourd’hui ne devrait pas être contesté. Tout le monde comprendra que nous appliquons un pansement sur une blessure et que la véritable guérison aura lieu au fil d’un travail législatif que nous mènerons de concert.

Monsieur Rogemont, vous m’avez déjà interrogé quatre fois sur le financement du CNM – qui sera le Centre national de la musique et non pas celui des industries musicales ! Toutefois, je crains que vous ne soyez amené à le faire une cinquième fois, voire une sixième fois : tant que je n’aurai pas reçu les préconisations de M. Didier Selles, je ne vous donnerai pas de réponse. Cela étant, il est évident que certains fournisseurs d’accès prospèrent, notamment, grâce à la diffusion de la musique. Nous aurons donc tendance à tourner notre regard vers eux. Par ailleurs, je vous rappelle que le produit de la taxe sur les billets des spectacles s’élève à 25 millions d’euros, lesquels seront évidemment versés dans le lot commun.

Tout ce qui est essentiel – comme la répartition des droits ou les 25 % – sera abordé au cours du débat général sur « la copie privée 2 ». Quant aux copies dites « illicites », elles ont été déjà exclues de l’assiette de la rémunération pour copie privée, à la suite d’une décision du Conseil d’État, en 2008.

Mme la rapporteure. Je constate avec plaisir que nous sommes capables de dépasser les logiques partisanes lorsqu’il s’agit de l’intérêt de notre pays, de son image et du rayonnement culturel de la France.

Dans le cadre de nos auditions, les mêmes problèmes ont été soulevés. On y a également affirmé la nécessité de revoir le système actuel, que M. Dionis du Séjour a d’ailleurs assimilé à une pompe dont le débit serait trop faible. Mais je vais rassurer l’ingénieur qu’est M. Dionis du Séjour : nous sommes suffisamment motivés pour en faire une pompe surpressée !

Nous allons nous engager dans la réforme de ce secteur. De toute façon, nous ne pouvons pas continuer ainsi. Le système, qui fonctionnait très bien avec l’analogique, n’est pas adapté au numérique : les ayants droit ont un manque à gagner, qui est dû notamment à la lenteur du système par rapport à la vitesse de progression des supports.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

Chapitre Ier

Dispositions modifiant le code de la propriété intellectuelle

Avant l’article 1er

La Commission est saisie des amendements identiques AC 10 de M. Jean Dionis du Séjour et AC 2 de M. Lionel Tardy, portant article additionnel avant l’article 1er.

M. Jean Dionis du Séjour. Il s’agit de revenir à une définition stricte, conforme à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’arrêt du Conseil d’État, qui excluent les usages professionnels de la redevance pour copie privée.

L’article 4 précise bien que la rémunération n’est pas due pour les supports d’enregistrement acquis à des fins professionnelles. Sauf qu’à défaut d’une convention, les professionnels devront se faire rembourser cette rémunération sur production de justificatifs. Or on sait bien – on espère même – qu’un certain nombre d’entre eux ne se donneront pas la peine de produire ces justificatifs. En fin de compte, on encaissera une partie des usages professionnels.

Monsieur le ministre, nous avons tout intérêt à voter un texte clair car, contrairement à ce que vous pensez, ce projet de loi risque bien d’être attaqué. C’est en tout cas ce qui ressort des rencontres avec les parties prenantes.

Par rapport à l’assiette totale de 184 millions d’euros, que représentent les usages professionnels ? A-t-on mené une étude d’impact sur la solution que l’on propose ? Combien va-t-on « gratter » avec ceux qui ne vont pas demander le remboursement parce qu’ils ne pourront pas fournir de justificatif ? Finalement, ne « s’embête »-t-on pas pour pas grand-chose ?

M. Lionel Tardy. Cet amendement est important, car il touche une faille majeure de la redevance pour copie privée, à savoir le niveau de perception des droits. Actuellement, ce sont les importateurs qui paient la redevance aux ayants droit, à charge pour eux de répercuter ce coût sur leurs clients. C’est très confortable pour les ayants droit, qui n’ont qu’un petit nombre d’interlocuteurs, de surcroît solvables et faciles à contrôler.

Avec l’obligation imposée par le droit européen d’exonérer les personnes morales et les acheteurs professionnels, ce système ne peut plus tenir. Il est impossible, au niveau de l’importateur, de faire la part entre ce qu’il vendra à des personnes physiques, assujetties, et ce qu’il vendra à des personnes non assujetties. Seul le vendeur, en contact direct avec l’utilisateur final, peut procéder à cette ventilation. Il est donc nécessaire de faire descendre jusqu’au revendeur le niveau de perception, ce qui amène à revoir complètement le système de perception. Je ne vois pas comment faire autrement pour être en règle avec le droit européen, qui impose d’exonérer les acheteurs professionnels. Le maintien du système de perception actuel, avec remboursement pour les professionnels, n’est pas juridiquement acceptable. Si une redevance n’est pas due, elle ne peut pas être perçue. Les redevables refuseront de payer, iront devant les tribunaux, et gagneront.

Mme la rapporteure. Je comprends les intentions des auteurs de ces amendements, et leur volonté de simplification. Mais leur proposition est incompatible avec l’organisation actuelle de Copie France et de notre système. Nous pourrons malgré tout y réfléchir une fois que l’on aura posé les bases d’une nouvelle organisation.

L’adoption de ces amendements rendrait plus difficile l’appréciation de la fraude, en raison du nombre plus élevé d’interlocuteurs concernés. L’évaluation même du nombre d’intervenants dans la distribution serait délicate. Certes, on pourrait imaginer, d’un côté, une chaîne de distribution dédiée aux professionnels et, de l’autre, une chaîne de distribution dédiée au grand public, mais ce serait oublier qu’il existe un grand nombre d’indépendants, sur de très petites structures. Bref, Copie France ne serait pas en mesure d’assurer sa collecte dans de bonnes conditions. Je ne dis pas que le système actuel est efficient, mais celui que vous proposez le serait encore moins.

J’émets donc un avis défavorable.

M. le ministre. Je retiens l’argumentation de Jean Dionis du Séjour, comme celle de Lionel Tardy, pour bâtir la prochaine loi – la loi Lang revisitée. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas aller dans cette direction car les délais qui nous sont impartis sont trop courts. Pour l’instant, n’ouvrons pas la boîte de Pandore. Avis défavorable.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Au vu de ces explications, messieurs, retirez-vous vos amendements ?

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre, vous considérez que la « rustine » ne sera pas attaquée. Mais comme je vous l’ai dit, je ne partage pas votre optimisme. Je maintiens donc mon amendement.

M. Lionel Tardy. Moi aussi.

La Commission rejette, par un seul vote, les amendements AC 10 et AC 2.

Article 1er

Exclusion des copies de source illicite de l’assiette de la rémunération pour copie privée

Le présent article vise à modifier l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle afin d’exclure de l’assiette de la rémunération pour copie privée les copies de source illicite.

Cet article tire les conséquences de la décision Simavelec rendue par le Conseil d’État le 11 juillet 2008. Dans cette décision, le Conseil d’État annule la décision du 20 juillet 2006 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, au motif que celle-ci avait tenu compte, pour chaque support, du préjudice subi non seulement du fait des copies licites mais aussi du fait des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes.

Il faut rappeler que la rémunération pour copie privée constitue une exception au principe du consentement de l’auteur à la copie de son oeuvre. Elle est une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur, fondée sur la rémunération directe et forfaitaire, par les personnes qui mettent en circulation, en France, certains supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, des sociétés représentant les titulaires des droits d’auteur ou de droits voisins.

En conséquence, le Conseil d’État a jugé que la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l’usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d’œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées.

Le montant de la rémunération pour copie privée ne peut légalement prendre en compte que les copies licites, réalisées dans les conditions prévues par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, ce qui inclut notamment les copies réalisées à partir d’une source licitement acquise.

En effet, une rémunération qui viserait à compenser les pertes de revenus liées à l’usage licite et illicite de copies privées aurait pour effet de légitimer les téléchargements illicites, le piratage et la contrefaçon. Elle pourrait en outre être assimilée à une forme de recel. Autrement dit, la rémunération pour copie privée ne compense que le préjudice occasionné par les pratiques de « copiage licite ».

La commission de la copie privée a d’ores et déjà tiré les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État dans ses décisions, et le présent article a pour objet de fixer ce principe dans le code de la propriété intellectuelle.

Le premier alinéa du présent article propose de mettre en application la décision du Conseil d’État en inscrivant cette modification de l’assiette de la rémunération pour copie privée à l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle. Ce dernier ouvre droit à la rémunération pour copie privée, telle que définie aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle, aux auteurs et artistes-interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes ainsi qu’aux producteurs de ces supports, d’une part, et aux auteurs et éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support et reproduites sur un support d’enregistrement numérique, d’autre part.

Le précise que la rémunération, au titre de la reproduction de leurs œuvres, des auteurs, artistes-interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes et des producteurs des phonogrammes ou vidéogrammes sur lesquels les œuvres sont fixées, ne peut être réalisée qu’à partir d’une source licite. Il faut entendre les termes « source licite » à la fois comme l’usage licite d’une copie d’œuvre et comme les copies réalisées à partir d’une source licite.

Le dispose que la rémunération à laquelle ont droit les auteurs et éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support que les phonogrammes et vidéogrammes au titre de leur reproduction sur un support d’enregistrement numérique ne peut être perçue que lorsque cette reproduction est réalisée à partir d’une source licite.

*

La Commission est saisie de l’amendement AC 1 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement propose de préciser, en complément des dispositions de l’article 1er, que l’exception de copie privée ne sera exigible que sur les copies réalisées à partir d’un support licite, c’est-à-dire d’un fichier ou d’un CD acheté.

Cet amendement n’est pas anodin car, quoi qu’en disent les ayants droit, la copie privée est apparue à beaucoup comme une compensation de fait pour piratage et échange illicite de fichiers sur internet. Qu’il faille traiter le problème du piratage sur internet, je n’en disconviens pas – même si je ne vois pas quelles solutions techniques on pourrait lui apporter –, mais sa résolution ne passe pas par l’exception pour copie privée. La difficulté vient justement de cette extension non assumée et de l’arrêt Padawan. Cet amendement constitue donc un coup d’arrêt à cette dérive.

Mme la rapporteure. C’est une mesure de coordination utile. J’y suis donc favorable.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1ermodifié.

Article 2

Utilisation d’enquêtes d’usage pour la détermination du montant de la rémunération pour copie privée.

Cet article a pour objet de préciser les conditions dans lesquelles le montant de la rémunération pour copie privée est défini.

Lorsque la commission dite de la copie privée a décidé qu’un support doit être assujetti à la rémunération pour copie privée, il lui appartient de fixer le montant de cette dernière.

L’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que ce montant est déterminé en fonction du type de support et de la durée d’enregistrement qu’il permet. Il précise en outre qu’il tient compte du degré d’utilisation des mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires des droits et de leur incidence sur les usages relevant de l’exception pour copie privée.

En pratique, la commission a le plus souvent recours à des études, généralement confiées à des instituts de sondage, chargées d’évaluer les pratiques de copie privée à partir des supports d’enregistrement, au terme desquelles elle prend une décision fixant des barèmes de rémunération.

Le présent article poursuit trois objectifs : rendre le recours à ces études obligatoires ; ajouter aux critères pris en compte pour la détermination du montant de la rémunération pour copie privée celui de l’usage du support ; prévoir la possibilité d’établir des barèmes provisoires en fonction des seuls critères du type de support et de la durée d’enregistrement.

Le premier alinéa modifie donc l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle.

Le insère ainsi deux alinéas nouveaux : le premier complète l’article codifié en précisant que le montant de la rémunération pour copie privée doit tenir compte de l’usage qui est fait du support. Ce critère s’ajoute donc aux trois critères existants : type de support, durée d’enregistrement, impact des mesures techniques destinées à limiter les usages non autorisés.

Dans son arrêt du 17 juin 2011, Canal+ distribution, le Conseil d’État a en effet indiqué dans son premier considérant que « la commission doit apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d’usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu’il lui appartient d’actualiser régulièrement ». Il a également précisé que « si cette méthode repose nécessairement sur des approximations et des généralisations, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des évidences supposées ».

Le Conseil d’État impose donc la prise en compte de l’usage des supports par les utilisateurs, c’est-à-dire l’évaluation de l’utilisation des supports à des fins de copie privée. Il rappelle en effet que le montant de la rémunération doit être fixé à un niveau « globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit par chaque auteur d’une copie privée, s’il était possible de l’établir et de la percevoir ».

Le deuxième alinéa du 1° tire les conséquences des principes dégagés par le Conseil d’État, en rendant obligatoire la prise en compte de l’usage des supports susceptibles d’être assujettis, usages dont l’évaluation devra reposer sur des enquêtes.

Notons qu’en application du Plan de développement de l’économie numérique, France numérique 2012, dont l’action n° 47 prévoyait de « doter la commission de la copie privée de moyens propres, affectés à la réalisation d’études indépendantes », le ministère de la culture et de la communication prend désormais en charge le coût de ces enquêtes, ce qui constitue un gage d’impartialité des résultats. Un accord cadre a été conclu en 2009 avec TNS-Sofres, Médiamétrie et CSA : ce procédé permet des mises en concurrence internes pour l’attribution des marchés publics découlant de l’accord cadre, sans procéder à de nouvelles mises en concurrence externes, et réduit ainsi la durée des formalités administratives préalables (2).

Une question s’impose à ce stade : est-il légitime de fonder, comme l’admet le Conseil d’État, la détermination du niveau de la rémunération pour copie privée sur des « approximations et des généralisations », fussent-elles basées sur des études objectives ?

On pourrait en effet objecter que la rémunération pour copie privée devrait être fixée à un niveau correspondant à l’usage effectif réalisé par les acquéreurs du support à des fins de copie privée, exactement égal à ce qui serait perçu par le titulaire du droit si chaque copie était facturée.

En réalité, la rémunération pour copie privée ne repose pas sur une base contractuelle liant les ayants droit aux acquéreurs de supports : il est matériellement impossible aux ayants droit d’identifier et de facturer à chaque utilisateur la réalisation de toutes les copies privés. C’est la raison pour laquelle elle est fondée sur une présomption juridique d’utilisation des supports à des fins de copie privée.

La rémunération est perçue en contrepartie des usages présumés, et donc de la faculté de copier. L’arrêt Padawan de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 octobre 2010 ne dit d’ailleurs pas autre chose : « la simple capacité des équipements à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la rémunération, à condition que les dits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés ».

Pour autant, un « lien nécessaire », pour reprendre les termes de l’arrêt Padawan, doit exister entre l’application de la rémunération perçue sur certains équipements et l’usage qui en est fait à des fins de copie privée.

Dès lors, comme le rappelle la rapporteure publique du Conseil d’État dans ses conclusions sous l’arrêt Canal+ précité, « nous déduisons que la rémunération pour copie privée, si elle doit être fondée sur des critères juridiquement exacts et aboutir à un résultat conforme aux objectifs de la directive (3), peut n’être assise que sur une approximation de la réalité des pratiques ».

Seule une « différence manifestement évidente entre le droit fixé par la commission et la réalité analysée par des études et sondages, ou une insuffisance manifeste de ces études et des biais grossiers dans ces sondages » pourrait être censurée par le juge administratif.

Le troisième alinéa du 1° aborde le cas particulier des supports qui sont susceptibles d’être utilisés à des fins de copie privée, donc assujettis à la rémunération pour copie privée, sans qu’il soit possible de réaliser une étude d’usage compte tenu de leur nouveauté ou du faible nombre d’utilisateurs et partant, de définir le montant de la rémunération.

Il s’agit d’un cas de figure problématique puisque dès lors que la commission juge qu’un support est éligible au dispositif de rémunération de la copie privée, la fixation du montant de la rémunération et sa perception ne sauraient intervenir à l’issue d’un trop long délai. L’obligation de résultat que fait peser sur les États membres la directive précitée, comme l’a récemment précisé la CJUE dans un arrêt Stichting de Thuiskopie du 16 juin 2011 (4), interdit un tel retard, d’autant que certains produits peuvent connaître un très grand succès dès les tout premiers mois de leur mise sur le marché.

En pratique, la commission de la copie privée a ainsi été amenée à adopter par deux fois des barèmes provisoires tout en limitant leur application dans le temps :

– par une décision n° 10 du 27 février 2008 ont été assujettis à titre provisoire les téléphones mobiles multimédia, ce jusqu’au 31 décembre 2008. Dans ce délai, la commission a mené une étude d’usage et adopté une décision fixant des barèmes définitifs le 17 décembre 2008 ;

– les tablettes tactiles multimédia ont été assujetties à titre provisoire par la décision n° 13 du 12 janvier 2011, qui deviendra caduque au 31 décembre 2011. L’institut de sondage chargé de réaliser l’étude d’usage a présenté les résultats à la commission le 13 septembre 2011, cette dernière est donc en mesure d’adopter un barème définitif dans les délais impartis.

Le troisième alinéa du 1° sécurise cette pratique : si des éléments objectifs, montrent qu’un support peut être utilisé pour la reproduction à usage privé, en d’autres termes s’il est éligible à la rémunération pour copie privée, la commission peut lui appliquer un barème de rémunération provisoire pour une durée d’un an à compter de la décision par laquelle elle l’a déclaré assujetti.

Ces éléments objectifs peuvent par exemple reposer sur la campagne marketing du lancement d’un produit axée sur ses possibilités de copie d’œuvres, des informations sur les fonctionnalités techniques des produits recueillies par le biais d’audition des fabricants ou par les fiches techniques des produits, la similitude de ces fonctionnalités avec celles d’un autre support déjà assujetti, des sondages menés par des personnes autres que la commission dans des États où le produit est déjà commercialisé.

Notons que contrairement à ce qu’indique l’exposé sommaire du projet de loi, ces barèmes provisoires ne sont pas nécessairement définis par analogie avec les barèmes applicables à des supports existants. Le troisième alinéa du 1° dispose qu’ils seront déterminés en fonction des critères mentionnés au deuxième alinéa de l’article codifié, c’est-à-dire en fonction du type de support et de la durée d’enregistrement.

En effet, un produit nouveau peut ne pas être assimilé à un produit existant : la détermination d’un barème provisoire ne saurait dans ce cas reposer sur une analogie avec un barème existant.

Le 2° de cet article est une disposition rédactionnelle de coordination.

*

La Commission est saisie de l’amendement AC 9 de M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Cet amendement concerne l’assiette de la rémunération pour copie privée éligible à la TVA. Mais je le retire, car nous devons encore y travailler. Nous y reviendrons peut-être en séance.

L’amendement AC 9 est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement AC 12 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. À l’ère du numérique, la durée d’enregistrement n’est plus un instrument de mesure pertinent. Il convient de lui substituer la notion de « capacité d’enregistrement », laquelle est le plus souvent exprimée en octets.

M. le ministre. Favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AC 13 de la rapporteure.

La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements AC 8 de M. Jean Dionis du Séjour et AC 3 de M. Lionel Tardy.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous souhaitons qu’un organisme qualifié et indépendant définisse une méthodologie stable applicable aux études d’usage. Faut-il que ce soit l’Institut national de recherche en informatique et en automatique – INRIA – ou un autre organisme ? Ce qui est sûr, c’est que cet organisme devra être compétent et indépendant des ayants droit et des industriels. Si les décisions de la commission chargée de déterminer les montants de la rémunération pour copie privée sont si souvent source de contentieux, c’est parce que ceux qui lui font des propositions sont en position d’être à la fois juges et parties.

M. Lionel Tardy. Actuellement, les études menées pour déterminer les usages et fixer l’assiette et les taux sont contestables, et donc contestées. Pour qu’elles deviennent incontestables – même si cela n’empêchera pas les recours –, il convient qu’une méthodologie stable soit définie préalablement, sous le contrôle d’un organisme indépendant des différentes parties et donne lieu à une consultation publique : tel est l’objet de mon amendement.

Mme la rapporteure. Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, ces études, bien que réalisées par des organismes extérieurs, manquent parfois d’une certaine objectivité. Néanmoins, j’émettrai un avis défavorable car cela relève de la commission de la copie privée, et non du législateur.

M. le ministre. Je suis frappé par la qualité des interventions, qui soulèvent des problèmes sur lesquels nous devrons très sérieusement nous pencher lorsque nous retravaillerons sur le sujet. Je suis également frappé par la manière dont Mme la rapporteure, dans un délai très rapide, a maîtrisé un dossier techniquement complexe.

Cela dit, je maintiens ma position : les questions de fond qui sont soulevées aujourd’hui appellent des études plus longues et plus approfondies. Ce n’est pas cet exercice auquel nous devons nous prêter aujourd’hui.

Mon avis est donc défavorable.

M. Patrick Bloche. Sur le fond, nous partageons évidemment tous le souci de transparence qui a conduit nos collègues à déposer ces amendements. Toutefois, si nous décidons de faire appel à un organisme qualifié, indépendant, pour qu’il définisse une méthodologie, nous devrons amender le projet de loi, et ce n’est plus deux ans, mais sans doute trois, qu’il nous faudra pour sortir de la situation actuelle.

J’observe néanmoins que tous les amendements qui ont été déposés contribuent à notre réflexion future. On peut en effet s’interroger sur la manière dont les barèmes sont établis à partir d’études payées par certains des membres de la commission de la copie privée… Bref, ces mécanismes ont vécu, et plus de transparence s’impose.

Mme la rapporteure. Le problème est que l’on a voulu quantifier le qualitatif.

Il s’agit d’études d’usages : leur seul objectif doit être de définir l’usage des supports sur lesquels elles portent.

La Commission rejette, par un seul vote, les amendements AC 8 et AC 3.

Puis elle est saisie de l’amendement AC 4 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Le système actuel de présomption d’usage pour copie privée n’est plus applicable. Si l’on veut assujettir un nouveau support, il faut prouver qu’il a servi effectivement à réaliser des copies privées. Je suis parfaitement conscient que cela restreint le champ de cette redevance, et donc son rapport, mais c’est dans la logique même des différents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du Conseil d’État. Il faut ramener la redevance pour copie privée à son juste niveau : c’est d’ailleurs le prix à payer pour son acceptabilité.

Mme la rapporteure. J’ai bien compris que cet amendement visait à préciser que la rémunération pour copie privée compensait une perte réelle subie par l’auteur. Cela m’amène à rappeler qu’en théorie, le droit de reproduction est un monopole de l’artiste et que, dans la pratique, deux situations peuvent se présenter : soit chaque copie est autorisée par l’auteur dans le cadre d’un contrat ; soit il est possible de réaliser des copies à usage strictement personnel sans contrat ni autorisation de l’auteur, et c’est le système d’exception pour copie privée. Dans le premier cas, l’usage réel est constaté dans un contrat et rémunéré à un prix convenu entre l’auteur et le copiste. Dans le second cas, la rémunération pour copie privée est forfaitaire et repose, non sur une réalité, mais sur une présomption de copie privée. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. le ministre. Je me rallie à l’opinion de Mme la rapporteure. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AC 14 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3

Information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement du montant de la rémunération pour copie privée

Le présent article a pour objet d’informer l’acquéreur d’un support d’enregistrement du montant de la rémunération pour copie privée auquel ce support est assujetti.

Cet article répond aux conclusions formulées dans le Plan France Numérique 2012. L’action n° 46 préconisait d’ « afficher le montant de la rémunération pour copie privée du prix de vente, afin de renforcer la transparence et d’informer les consommateurs sur la finalité de la rémunération pour copie privée. » Il s’agit de sensibiliser les consommateurs à l’importance de la rémunération pour copie privée pour le financement de la création artistique au moyen d’un message explicatif figurant dans les notices de vente.

Le premier alinéa modifie le code de la propriété intellectuelle en insérant, après l’article L. 311-4, l’article L. 311-4-1.

Le deuxième alinéa crée le premier alinéa du nouvel article L. 311-4-1, qui dispose que le montant de la rémunération pour copie privée propre à chaque support est porté à la connaissance de l’acquéreur. Le terme « acquéreur » est d’une acception plus large que « consommateur » et regroupe à la fois le consommateur final (personne physique qui fait l’acquisition du support à des fins privées) et les professionnels, y compris les intermédiaires.

Les dispositions du présent article répondent donc à un double objectif : introduire davantage de transparence dans la fixation des prix, sensibiliser le consommateur à l’importance de la rémunération pour copie privée en l’informant des finalités de cette rémunération qui, d’une part, attribue aux artistes une juste compensation de la perte de revenu engendrée par la reproduction d’une œuvre, acquise légitimement par un acquéreur, pour son usage personnel, et d’autre part, participe au financement de la création et à la promotion de la diversité culturelle.

Cette information de l’acquéreur intervient au moment de la mise en vente des supports, par l’apposition d’une étiquette et sera complétée par la délivrance d’une notice explicative.

Le troisième alinéa crée le deuxième alinéa de l’article L. 311-4-1 du code de la propriété intellectuelle. Cet alinéa prévoit que les manquements à l’obligation d’informer l’acquéreur du montant de la rémunération pour copie privée seront sanctionnés par une peine d’amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros.

Le pouvoir d’enquête nécessaire à la constatation des manquements aux dispositions du présent article est octroyé à une liste limitative d’agents cités au II de l’article L. 450-1 du code de commerce.

Il s’agit :

1) « des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie » ;

2) « des fonctionnaires de catégorie A relevant du ministre chargé de l’économie, spécialement habilités à cet effet par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la proposition du ministre chargé de l’économie. »

Les conditions dans lesquelles s’effectuent les enquêtes sont prévues par l’article L. 141-1 du code de la consommation. Les agents susmentionnés disposent d’un large pouvoir d’investigation prévu par les articles L. 450-1 à L. 450-4, L. 450-7, L. 450-8, L. 470-1 et L. 470-5 du code de commerce.

Ils peuvent établir des procès-verbaux et, le cas échéant, des rapports d’enquête (article L. 450-2 du code de commerce) ; accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en obtenir ou prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications (article L. 450-3 du code de commerce) ; accéder à tout document ou élément d’information détenu par les services et établissements de l’État et des autres collectivités publiques (article L. 450-7 du même code).

Leurs pouvoirs sont encadrés par l’article L. 450-4 du code de commerce, qui prévoit, notamment, que l’autorisation qui leur est faite de procéder aux visites en tous lieux ainsi qu’à la saisie de documents et de tout support d’information, n’est effective que dans le cadre d’enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l’économie ou le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

Le coût administratif des opérations de contrôle visant à assurer la bonne application de cette nouvelle disposition sera supporté par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Le quatrième alinéa crée le troisième et dernier alinéa de l’article L. 311-4-1 du code de la propriété intellectuelle. Il prévoit que les conditions d’application des dispositions introduites par le présent article seront définies par décret en Conseil d’État. Ainsi, il n’est pas encore précisé qui, d’entre le distributeur et le fabricant, aura à charge de supporter le coût humain et financier généré par l’apposition de l’étiquette et de la notice explicative sur les supports d’enregistrement.

Il faut mentionner que le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs adopté par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2011 propose, dans son article 9 tel que modifié par notre Assemblée, l’insertion d’un même article L. 311-4-1 dans le code de la propriété intellectuelle, mais avec une rédaction légèrement différente. En particulier, à la place du terme « acquéreur », est utilisé le terme « consommateur », qui exclut les professionnels.

Par conséquent, si le présent projet de loi venait à être adopté dans des délais plus brefs que le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, il faudrait envisager de modifier par amendement le texte de ce dernier, puisque la rédaction proposée par le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée est plus large, qu’il recouvre le champ sémantique du vocable consommateur, et qu’il convient de réserver l’usage de ce dernier au code de la consommation.

*

La Commission est saisie de l’amendement AC 15 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet article prévoit qu’une notice explicative sur la rémunération pour copie privée devra être portée à la connaissance du consommateur. Je propose d’intégrer cette notice sur le support numérique concerné. Une telle solution économise du papier et n’utilise que très peu de mémoire.

M. le ministre. Favorable. Cela me semble effectivement assez sage.

M. Éric Berdoati. C’est une excellente proposition. Je suggère malgré tout que la notice apparaisse dès l’installation du support, pour que le consommateur puisse en prendre immédiatement connaissance.

La Commission adopte l’amendement AC 15 de la rapporteure.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC 16, AC 17 et AC 18 de la rapporteure.

La Commission adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

La Commission est saisie de l’amendement AC 11 de M. Jean Dionis du Séjour, portant article additionnel après l’article 3.

M. Jean Dionis du Séjour. Cet amendement est important. Notre Assemblée a le choix : soit elle peut se contenter de prendre acte du climat détestable qui règne aujourd’hui dans la commission de la copie privée, dont la presque totalité des décisions sont contestées devant les tribunaux – depuis 1986, sur les treize décisions adoptées par cette commission depuis 1986, cinq ont été annulées ; soit elle peut tenter de rendre ce climat un peu plus consensuel et, ainsi, faire baisser le nombre des contestations.

Aujourd’hui, les industriels et les consommateurs ont systématiquement l’impression de se faire marcher dessus. Pour que cela cesse, nous proposons d’instaurer un système de double délibération : en cas de seconde délibération, les décisions seraient prises à la majorité des deux tiers. Mettons un peu d’union nationale dans la commission pour la copie privée !

Mme la rapporteure. La commission de la copie privée est composée de trois collèges. Celui des ayants droit possède la moitié des voix, celui des fabricants et celui des consommateurs en possèdent chacun un quart.

Vous proposez de rendre obligatoire une deuxième délibération, avec un vote à la majorité des deux tiers, dès lors que l’un des collèges rejette un projet de décision. Sachant que les ayants droit et les industriels sont systématiquement en désaccord et que les consommateurs sont bien souvent partagés, adopter une telle disposition aboutirait à bloquer le fonctionnement de la commission.

M. Jean Dionis du Séjour. Alors, vous irez systématiquement au tribunal !

M. le ministre. Monsieur Dionis du Séjour, nous n’irons pas très longtemps, puisque nous allons refaire la loi.

Encore une fois, vous soulevez une question extrêmement pertinente, que nous devrons chercher ensemble à résoudre, ce qui nous prendra un peu de temps. Ce n’est donc pas encore le moment. Avis défavorable.

M. Patrick Bloche. En instituant cette commission paritaire, les législateurs de 1985 espéraient parvenir à un certain consensus entre les ayants droit, les industriels et les consommateurs. Malheureusement, ils étaient trop optimistes car, au fil du temps, celle-ci est devenue un lieu de conflits permanents.

Comme la rapporteure, j’estime que cet amendement aurait pour conséquence de bloquer complètement le fonctionnement de cette commission. Bien sûr, je ne suis pas dupe de la façon dont elle fonctionne, mais voter cet amendement reviendrait à aller à l’encontre de ce que voulait les législateurs de 1985.

Mme la rapporteure. Je remarque que s’il y avait quelques industriels en 1985, il n’en reste plus qu’un aujourd’hui. La plupart des représentants de ceux que l’on appelle les industriels n’en sont pas : ce sont majoritairement des importateurs. Ainsi, le marché a évolué, mais pas le système.

M. Jean Dionis du Séjour. Les consommateurs et les industriels n’ont pas l’intention de bloquer le système. Ils souhaitent seulement qu’on ne leur marche pas systématiquement dessus ! Le recours à un second vote ralentirait certes le processus de décision, mais obligerait les membres de ces trois collèges à se parler et limiterait les contentieux.

M. Marcel Rogemont. En votant cet amendement, nous risquons de déplacer le centre de gravité de la commission pour la rémunération pour la copie privée. La rémunération pour copie privée bénéficiant d’abord aux ayants droit, il est normal que leur expression soit majoritaire au sein de la commission. Or, avec une majorité des deux tiers et une opposition systématique entre importateurs et ayants droit, ce sont les consommateurs qui décideront.

La Commission rejette l’amendement.

Article 4

Exonération des personnes acquérant des supports à d’autres fins que la copie privée

Le présent article a pour objet de tirer les conséquences des arrêts précités Padawan de la CJUE et Canal + distribution du Conseil d’État, qui ont jugé que l’assujettissement des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de préjuger un usage de copie privée, n’est pas conforme au droit communautaire.

La prise en compte des usages professionnels par le système français.

Le système français de rémunération de la copie privée est assis sur les supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres. Il s’agit en effet de n’assujettir, parmi les supports, que ceux pour lesquels existe une présomption d’usage à des fins de copie privée et d’écarter ceux dont on peut penser qu’ils ne sont pas utilisés à de telles fins, notamment lorsqu’ils sont utilisés à des fins professionnelles.

La commission de la copie privée établit donc une typologie des supports :

– elle écarte les supports qui du fait de leurs caractéristiques techniques ou de leur circuit de distribution particulier, sont manifestement consacrés à un usage exclusivement professionnel ;

– elle assujettit les supports mis à la disposition de personnes privées et manifestement consacrés à un usage de copie privée, comme par exemple les enregistreurs de salon ou les baladeurs MP3 ;

– reste le cas de supports dits « hybrides », susceptibles d’être utilisés à la fois à des fins de copie privée ou à des fins qui y sont étrangères. A titre d’exemple, on peut citer le cas des clés USB ou des disques durs externes.

Au sein des supports hybrides, deux types de solutions peuvent être mis en œuvre afin d’écarter les supports manifestement non utilisés à des fins de copie privée :

– soit une exonération des supports acquis par des professionnels, quel que soit d’ailleurs le circuit de distribution, professionnel ou grand public ;

– soit une application de la rémunération à tous les supports hybrides, sans considération de la qualité de l’acheteur, moyennant l’application d’un abattement destiné à tenir compte des usages professionnels. C’est le choix qui a été fait par la commission française.

Le système français de mutualisation de la rémunération pour les supports hybrides

La commission de la copie privée a décidé, dans sa décision n° 1 du 4 janvier 2001, d’appliquer de manière uniforme la rémunération pour copie privée sur les supports acquis par des particuliers et par des professionnels sous réserve d’un abattement pour usage professionnel qui tienne compte des quantités de produits consommés par les professionnels qui ne serviront jamais à de la copie privée.

Ce taux d’abattement pour usage professionnel est déterminé par la commission à partir des résultats des études qu’elle mène sur les supports assujettis.

Les taux d’usage professionnel fixés dans la décision n° 11 du 17 décembre 2008, finalement annulée par le Conseil d’État le 17 juin 2011, étaient les suivants :

– DVD : 24 % ;

– CD : 24 % ;

– clés USB : 30 % ;

– cartes mémoires : 10 % ;

– supports de stockage externe : de 75 % pour les tranches de capacités de 20 Go à 120 Go jusqu’à 83 % pour 1 To.

Enfin, l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle prévoit un système de remboursement des supports acquis par certains professionnels, limitativement énumérés : entreprises de communication audiovisuelle, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et les personnes qui assurent pour leur compte la reproduction de ces œuvres, éditeurs d’œuvres publiés sur support numérique, personnes morales ou organismes utilisant les supports d’enregistrement à des fins d’aide aux handicapés visuels ou auditifs.

Ces acquéreurs peuvent demander le remboursement de la rémunération de la copie privée à la société Copie France, qui la perçoit.  Celle-ci examine la recevabilité de la demande et le cas échéant rembourse la rémunération perçue.

La non conformité au droit communautaire du système de prise en compte des usages professionnels.

À la suite de l’arrêt Padawan de la CJUE, Le Conseil d’État a annulé la décision n° 11 de la commission de la copie privée en raison de la non-conformité au droit communautaire de notre système de prise en compte des usages professionnels. Afin d’y remédier, le présent article modifie l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle : en effet, si la commission de la copie privée est compétente pour exclure certains supports du champ de la rémunération pour copie privée, en revanche seul le législateur peut opérer des distinctions entre les catégories d’acquéreurs.

Les dispositions de l’article 4

Comme l’explique l’étude d’impact annexée au projet de loi, deux options étaient possibles afin, pour reprendre les termes du Conseil d’État, « d’exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée » : une exonération « en amont » au niveau des fabricants et des importateurs, ou un remboursement « en aval ».

En réalité, la solution de l’exonération des professionnels impliquerait en tout état de cause un remboursement : elle peut intervenir en amont, lors de l’achat du support auprès des redevables de la rémunération, à savoir les fabricants et importateurs, lorsqu’il s’agit de circuits professionnels dédiés. Mais il paraît nécessaire de la compléter par un système d’exonération en aval, lors de l’achat du support auprès du distributeur, pour les professionnels qui ne s’approvisionnent pas dans des circuits dédiés mais dans des circuits grand public. Ce serait au distributeur de vérifier la qualité de l’acquéreur et de demander le remboursement à Copie France.

L’étude d’impact explicite les raisons qui ont finalement conduit à retenir la solution du remboursement, qui tiennent à la fois à des considérations de lutte contre la fraude et de simplification.

Le 1° de cet article modifie donc l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle. Il introduit tout d’abord une disposition de clarification rédactionnelle en introduisant un I dans l’article codifié, afin de regrouper ses dispositions actuelles relatives au remboursement de certains acquéreurs limitativement énumérés (entreprises de communication audiovisuelle, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, éditeurs d’œuvres publiées sur des supports numériques, personnes qui utilisent les supports à des fins d’aide aux personnes handicapées).

Le 2° de cet article modifie le code de la propriété intellectuelle afin de poser le principe du non assujettissement de ce que l’on peut appeler, par simplification, les usages professionnels.

Le deuxième alinéa du 2° reprend la formule employée par le Conseil d’État dans son arrêt Canal + distribution et dispose que la rémunération pour copie privée n’est pas due pour les supports d’enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée.

Le troisième alinéa du 2° introduit un III dans l’article codifié, qui précise les modalités de ce non assujettissement des usages professionnels, mais aussi des acquéreurs spécifiques d’ores et déjà visés par l’article L. 311-8 dans sa rédaction actuelle.

Cet article dispose aujourd’hui que ces acquéreurs spécifiques bénéficient d’un système de remboursement des sommes versées au titre de la rémunération pour copie privée. La décision de la commission de la copie privée du 30 juin 1986 a également admis que la société Copie France puisse ne pas procéder à la perception de la rémunération, sous réserve de la conclusion d’une convention avec les entreprises et producteurs visés à l’article L. 311-8.

Le troisième alinéa du 2° du présent article prévoit un système de non assujettissement commun à ces entreprises et producteurs ainsi qu’aux usages professionnels, inspiré des dispositions existantes : alors que la rédaction actuelle de l’article L. 311-8 prévoit aujourd’hui, pour certaines entreprises et certains producteurs, un remboursement, l’exonération étant admise sur le fondement d’une décision de la commission de la copie privée à condition que soit conclue une convention, le 2° de l’article 4 prévoit, pour ces entreprises et producteurs ainsi que pour les usages professionnels, un système d’exonération sur le fondement d’une convention et à défaut, un système de remboursement par la société de perception et de répartition des droits chargée de la perception de la rémunération, à savoir Copie France. L’exonération a plutôt vocation à concerner els « grands comptes », tandis que le remboursement vise plutôt les « petits » professionnels.

La convention d’exonération pourra être conclue :

– avec les bénéficiaires du I, c’est-à-dire avec les entreprises de communication audiovisuelle, les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, les éditeurs d’œuvres publiées sur des supports numériques, les personnes qui utilisent les supports à des fins d’aide aux personnes handicapées ;

– avec les bénéficiaires du II, c’est-à-dire les acquéreurs de supports à des fins professionnelles.

D’après les informations recueillies par la rapporteure, le mécanisme devrait fonctionner de la manière suivante.

La rémunération pour copie privée est versée par le fabricant ou l’importateur au moment de la sortie de son stock des supports assujettis.

Si l’acquéreur s’approvisionne directement chez le fabricant, il produira la convention d’exonération : le fabricant se tournera alors vers Copie France en excipant de cette convention pour ne pas payer la rémunération pour copie privée, et n’aura donc pas à la répercuter dans le prix facturé à l’acquéreur.

Si l’acquéreur s’approvisionne chez un distributeur, la rémunération pour copie privée a été versée par le fabricant au moment de la sortie de son stock et répercutée dans le prix facturé au distributeur. L’acquéreur produit sa convention d’exonération et ne peut se voir facturer la rémunération pour copie privée. Pour obtenir le remboursement, le distributeur se tourne alors vers le fabricant, lequel se tourne ensuite vers Copie France.

À défaut de convention, les acquéreurs pourront prétendre au remboursement de sommes versées, qu’ils pourront exiger auprès de Copie France, à condition de produire des justificatifs dont la liste sera déterminée par les ministres chargés de la culture et de l’économie.

Que ce soit via une convention d’exonération ou une demande de remboursement, Copie France se voit ménager la possibilité d’exercer un certain contrôle de la qualité de l’acquéreur et de l’usage qu’il fait du support, et notamment de prendre en compte les usages à des fins de copie privée qui pourraient être faits de certains supports acquis à des fins professionnelles.

Les demandes de remboursement pouvant avoir lieu pendant cinq ans, elle devra provisionner les sommes dont elle estime qu’elles pourraient faire l’objet d’une demande.

En outre, les remboursements devront être effectués toutes taxes comprises. Or, lorsque le fabricant ou l’importateur s’acquitte de la rémunération à Copie France, il acquitte un taux de TVA réduit. En effet, Copie France calcule le montant de la rémunération due, et applique un taux de TVA de 5,5 % pour la part de la rémunération due aux auteurs, artistes interprètes et éditeurs, et de 19,6 % pour la part versée au producteur. (5) Cette différenciation est logique : la rémunération étant une modalité de rémunération des droits d’auteurs, elle doit se voir appliquer le même taux réduit de TVA. En revanche, lorsque le fabricant ou l’importateur répercute la rémunération pour copie privée dans le prix de vente en « aval », il applique une TVA de 19,6 %, identique au taux applicable au support vendu. Il y a donc une différence entre la TVA versée par Copie France au Trésor public et la TVA acquittée par l’acquéreur du support et reversée au Trésor public par le distributeur.

Afin que le remboursement de la rémunération soit effectué TTC, soit Copie France devra compenser pour l’acquéreur ce différentiel de TVA, à charge pour le Trésor public de le lui rembourser, soit Copie France n’inclut pas ce différentiel dans le remboursement de la rémunération et l’acquéreur du support devra obtenir le remboursement auprès du Trésor public. D’après les informations recueillies par la rapporteure, la première solution a les faveurs du Gouvernement.

*

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AC 19 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement AC 6 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Si une redevance n’est pas due, il est anormal qu’elle soit perçue puis remboursée. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de constater par convention une exonération qui est accordée de plein droit par la loi. Ce serait juridiquement incohérent.

Mme la rapporteure. Ce n’est pas forcément un bon système, mais c’est le moins mauvais par rapport à l’organisation actuelle du marché. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas être assurés que le professionnel n’ira pas sur un circuit grand public. Voilà pourquoi nous sommes allés vers un système de remboursement. Cela dit, les professionnels dont l’objet de l’entreprise justifie des achats réguliers de consommables, de gros supports informatiques ou de grosses capacités de stockage, passeront par un système de convention, ce qui les dispensera de devoir demander à être remboursés. Avis défavorable.

M. le ministre. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement AC 6.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC 20 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Article 4 bis (nouveau)

Transmission au Parlement du rapport des SPRD sur l’utilisation à des fins culturelles d’un quart de la rémunération pour copie privée

La Commission est saisie de l’amendement AC 5 de M. Lionel Tardy portant article additionnel après l’article 4.

M. Lionel Tardy. Par cet amendement, je propose que le rapport remis au ministre de la culture à propos de l’utilisation des sommes venant de la rémunération pour copie privée pour le soutien à la création soit également remis aux deux Commissions des affaires culturelles de l’Assemblée et du Sénat. Ce serait l’occasion d’ouvrir en douceur le débat sur les 25 % de la rémunération pour copie privée qui doivent être dédiés à la création culturelle.

La rémunération pour copie privée, qui est normalement destinée à compenser l’éventuel préjudice subi par les ayants droit, a progressivement servi à financer la création. Il s’agit là d’une dérive regrettable. Ces 25 % sont de toute manière condamnés à disparaître à brève échéance, la CJUE ayant clairement dit que cela contrevient à la directive, faute de lien direct.

Ce serait aussi l’occasion de s’interroger sur la légitimité des sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs à jouer un rôle dans le soutien à la création. Qui doit assurer la gestion des fonds dédiés au soutien de la création ? C’est une question très politique. Personnellement, je ne pense pas que ce soit aux SPRD de le faire. C’est très clairement une prérogative de l’État, dans la mesure où la redevance ou la taxe qui sort de la poche du consommateur contribuable est destinée à financer une politique publique. Il faut continuer à financer la création, qui n’est pas économiquement viable, tout en assumant le fait que les ressources qui lui sont consacrées sont des prélèvements fiscaux ou assimilés, qui doivent être gérés par un organisme de statut public, sous le contrôle de l’État. En ce sens, la création du Centre national de la musique constitue une réponse pertinente.

Mme la rapporteure. Cet amendement répond à un souci de transparence. Avis favorable.

M. le ministre. Je m’en remets à la sagesse de la Commission, tout en penchant plutôt du côté de Mme la rapporteure.

M. Patrick Bloche. Le groupe SRC votera l’amendement de M. Tardy.

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Chapitre II

Dispositions transitoires

Article 5

Prorogation des effets de la décision n° 11 de la commission
de la copie privée et validation des rémunérations versées
sur le fondement de cette décision

Le présent article a un double objet : éviter un arrêt des versement de la rémunération pour copie privée à compter du 22 décembre prochain, et valider rétroactivement son barème.

En effet, dans sa décision Canal + distribution du 17 juin 2011, le Conseil d’État a fait application de sa jurisprudence du 11 mai 2004 dite Association AC ! et autres, par laquelle il module dans le temps les effets d’une annulation contentieuse.

En règle générale, un acte administratif annulé est réputé n’avoir jamais existé. L’annulation contentieuse a donc un effet rétroactif.

Toutefois, le Conseil d’État admet depuis 2004 et dans certains cas comme celui qui intéresse le projet de loi, « qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ».

C’est le cas s’il apparaît que « l’effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets ».

Pour l’apprécier, le juge administratif prend en considération, « d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ».

S’il juge que les conséquence d’une annulation rétroactive sont manifestement excessives, il peut alors prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause :

– tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation sont considérés comme définitifs ;

– l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine.

C’est la solution que le Conseil d’État a retenue dans son arrêt Canal + distribution, puisqu’il a décidé que l’annulation de la décision n° 11 de la commission de la copie privée ne vaut que pour l’avenir – sous réserve des instances en cours – et ne prendra effet qu’au 22 décembre 2011.

D’après les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteure publique, la disparition rétroactive de la décision attaquée « ferait revivre des règles antérieurement en vigueur qui ne soumettent à la rémunération pour copie privée qu’une fraction des matériels susceptibles de servir à l’exercice du droit de copie privée, qui incluent les copies illégales dans l’assiette de la rémunération et qui ne réservent pas la possibilité d’exempter les usages professionnels ». En effet, les précédentes décisions n° 7 à 10 de la commission de la copie privée ayant été annulées, l’annulation de la décision n° 11 ferait revivre les décisions n° 3 à 6, qui ne représentent que 27 % des recettes. Outre le fait que le système reposerait alors sur des décisions moins conformes encore au droit communautaire que la décision n° 11 et que la perte pour les ayants droit serait considérable, des supports en perte de vitesse feraient l’objet d’une surpondération, comme par exemple les DVD-R et RW data, alors que d’autres supports plus récents, plus modernes et plus porteurs ne seraient plus assujettis.

Il serait donc porté atteinte « à l’existence même du système de rémunération du droit de copie privée régi par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 » ; aussi le Conseil d’État juge-t-il qu’ « en application du principe de sécurité juridique, reconnu par le droit de l’Union, une nécessité impérieuse [commande] de différer pour une période de 6 mois l’effet de la présente décision », soit jusqu’au 22 décembre prochain.

Deux difficultés demeurent toutefois :

1) Le Conseil d’État ayant imposé des études d’usage pour la détermination du montant de la rémunération pour copie privée, la prochaine décision de la commission de la copie privée doit nécessairement avoir été précédée par de telles enquêtes, ce qui suppose des délais administratifs, de réalisation des entretiens, de rendu et d’analyse des résultats, de dialogue et de prise de la décision incompatibles avec l’exigence que cette décision intervienne avant le 22 décembre. C’est d’autant plus vrai que la décision n° 11 fixait les barèmes pour une dizaine de supports, pour lesquels il faut donc réaliser autant d’études pour fonder la prochaine décision de la commission. Il apparaît nécessaire, en conséquence, de prolonger les barèmes de la décision n° 11 au-delà du 22 décembre pour maintenir un fondement à la poursuite de la perception de la rémunération. C’est l’objet du I de l’article 5.

2) La limitation du caractère rétroactif de l’arrêt du Conseil d’État réserve le cas des instances en cours : en d’autres termes, avant le 22 décembre, la décision n° 11 n’est pas considérée comme illégale, sauf dans le cadre des recours formés contre des décisions prises sur le fondement de cette décision n° 11. Ainsi, des requérants contestant devant un tribunal de grande instance les injonctions de payer adressées par Copie France, sur le fondement et en application des barèmes de la décision n° 11, sont fondés à considérer que cette décision ayant été annulée par le Conseil d’État, elle est réputée n’avoir jamais existé : Copie France se fondant sur une décision inexistante pour réclamer le paiement de la rémunération, celle-ci n’est pas due. De fait, peu après que les conclusions de la rapporteure publique ont été connues et qu’il est apparu très probable que le Conseil d’État allait annuler la décision n° 11, des redevables ont cessé de payer la redevance, obligeant Copie France à les assigner devant les juridictions judiciaires pour obtenir le paiement des sommes réclamées, ou ont eux même assigné Copie France pour contester les injonctions de payer qu’ils avaient reçues. L’étude d’impact estime à 58 millions d’euros les sommes que Copie France devrait rembourser si les divers recours en cours devaient prospérer.

L’étude d’impact mentionne à cet égard un effet d’aubaine, terme qui a pu être mal compris : en effet, si les sommes en cause ont été perçues sur le fondement d’une décision illégale, elles n’étaient de toutes façons pas dues. En réclamer le remboursement ne serait qu’un juste retour des choses.

En réalité, le Conseil d’État a annulé la décision n° 11 compte tenu du fait qu’elle ne neutralise pas les usages professionnels. Il s’est, selon sa technique habituelle, abstenu de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les requérants (contestation de l’assujettissement de certains supports ou du niveau des barèmes fixés), mais la lecture des conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteure publique, laissent supposer que la décision n° 11 n’était contestable que du seul point de vue de la non prise en compte des usages professionnels.

La perception de la rémunération pour copie privée sur les supports acquis par des particuliers à des fins de copie privée n’est pas contestée. Pourtant, en l’absence de base juridique, les juridictions judiciaires pourraient admettre les demandes de remboursement de la totalité des sommes perçues ou réclamées sur le fondement de la décision n° 11, y compris celles destinées à compenser l’exception de copie privée qui bénéficie aux particuliers. C’est en cela qu’un effet d’aubaine peut être évoqué.

De même, si les fabricants et importateurs ont bien versé une rémunération pour copie privée sans nécessairement qu’elle soit due, ils l’ont de toutes façons répercutée dans le prix de vente en aval et donc au consommateur final. Or rien ne dit, ne serait-ce que pour des raisons pratiques, que les fabricants qui obtiendraient des remboursements les reverseraient à ces consommateurs…

Le I de l’article 5 du projet de loi a pour objet de résoudre la première difficulté.

Il dispose que jusqu’à l’entrée en vigueur de la prochaine décision de la commission de la copie privée, et pendant deux ans au plus, la décision n° 11 continue d’être applicable, dans sa rédaction issue des deux décisions qui l’ont suivie et modifiée, les décisions n° 12 et n° 13, qui précisent respectivement l’application de la redevance aux supports de stockage externes et aux systèmes de navigation intégrant des disques durs dédiés à l’enregistrement et à la lecture d’œuvres.

Cette décision continue de s’appliquer sous réserve des nouvelles règles introduites par le présent projet de loi à l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire que ne sont plus assujettis les usages professionnels.

Le II de cet article a pour objet de remédier à la deuxième difficulté susmentionnée : il s’agit d’une validation législative des rémunérations perçues sur le fondement de la décision n° 11.

Le Conseil d’État n’a pas conféré à sa décision d’annulation de portée rétroactive, sous réserve des instances en cours qui contesteraient les rémunérations perçues en application de la décision n° 11. L’annulation de cette décision ayant alors un caractère rétroactif, les rémunérations ont été réclamées sans base légale, et les juridictions judiciaires saisies pourraient alors considérer qu’elles doivent être remboursées.

Le II de l’article 5 valide ces rémunérations, sous réserve d’un certain nombre de conditions posées par les exigences constitutionnelles et européennes au regard de cette pratique.

Les validations législatives

La validation législative tend à soustraire au risque d’annulation par le juge un acte ou une série d’actes qui sont généralement des actes administratifs. En dépit de l’article 2 du code civil qui prévoit que « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif », l’objectif même d’une mesure de validation est d’avoir un effet rétroactif et de purger une irrégularité afin de couper court à toute contestation fondée sur cette irrégularité. En effet, cette disposition du code civil ayant simple valeur législative, elle peut être écartée par la loi, une loi pouvant défaire ce qu’une autre loi a fait précédemment. L’interdiction demeure cependant en matière pénale en application de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, aux termes duquel « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit ».

Le législateur ne jouit toutefois pas d’une liberté totale en matière de validation. Il est limité à double titre :

– par des principes constitutionnels, qui peuvent être sanctionnés par le Conseil constitutionnel, soit dans le cadre de la saisine avant la promulgation de la loi, soit dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

– par des principes découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à un procès équitable et limite l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige. Le respect de ces principes peut être contrôlé soit par la Cour européenne des droits de l’Homme, à condition que les voies de recours internes aient été épuisées, soit dans le cadre de ces voies de recours internes, au moyen de ce que l’on appelle l’exception d’inconventionnalité : cette exception signifie notamment qu’un juge administratif ou judiciaire peut écarter l’application d’une loi s’il constate qu’elle n’est pas conforme à la CEDH. Les juridictions françaises ont quasiment aligné les critères d’appréciation de la conventionnalité des validations législatives sur les critères dégagés par la Cour européenne.

Les règles encadrant les validations législatives sont les suivantes :

Conseil constitutionnel

CEDH

La validation ne saurait remettre en cause une décision de justice devenue définitive ou, selon une expression équivalente, passée en force de chose jugée.

La Cour de Strasbourg considère que l’interdiction faite au pouvoir législatif de s’immiscer dans le cours de la justice implique que l’engagement d’une procédure de validation ne soit pas tardif par rapport au déroulement des procédures juridictionnelles.

La validation ne saurait rétroactivement fonder une sanction pénale. Cette interdiction s’étend, au-delà du domaine pénal, à toute sanction ayant le caractère d’une punition.

La validation doit être justifiée par la poursuite d’un « objectif d’intérêt général suffisant » (continuité d’un service public, menace pour la paix publique ...). Un motif purement financier n’est pas recevable à moins que les montants concernés soient tels qu’il y ait une menace économique, sociale ou budgétaire.

L’acte validé ne doit contrevenir à aucun principe de valeur constitutionnelle, à moins que le but d’intérêt général poursuivi par la validation n’ait lui-même une portée constitutionnelle.

La validation doit être justifiée par « d’impérieux motifs d’intérêt général ». La Cour de Strasbourg exerce comme le juge constitutionnel un contrôle de proportionnalité sur le caractère suffisant du motif financier.

Pour le Conseil, la validation doit avoir une portée limitée : la mesure de validation doit comporter la mention de l’irrégularité sur le fondement de laquelle l’acte ou la procédure concerné ne pourra plus être à l’avenir contesté.

La Cour de Strasbourg prend également en considération l’existence de décisions juridictionnelles majoritairement favorables aux requérants, la bonne foi de ces derniers ainsi que le caractère prévisible du recours à la procédure de validation.

Source : Le régime juridique des validations législatives, note de synthèse du service des études juridiques du Sénat, 10 février 2006

Il concerne les rémunérations perçues ou exigées sur le fondement de la décision n° 11 annulée par le Conseil d’État.

À l’exception des rémunérations perçues sur des supports acquis à des fins manifestement étrangères à la copie privée, notamment à des fins professionnelles, ces rémunérations ne pourront être contestées en invoquant les moyens suivants :

– la perception est privée de base légale puisque la décision n° 11 a été annulée ;

– les barèmes n’ont pas été établis au moyen d’études d’usage ;

– il n’a pas été tenu compte, dans la décision n° 11, des usages professionnels.

En d’autres termes, il ne sera pas possible pour les redevables de réclamer le remboursement des sommes versées ou de ne pas payer les sommes réclamées, en application des barèmes de la décision n° 11, au titre de supports utilisables à des fins de copie privée en invoquant les motifs précités, mais uniquement de réclamer le remboursement des sommes versées ou de ne pas payer les sommes réclamées pour les supports acquis à des fins manifestement étrangères à la copie privée et notamment à des fins professionnelles.

Cette validation ne s’applique évidemment pas aux décisions passées en force de chose jugée.

Il convient par ailleurs d’apprécier si l’intervention du législateur répond à d’impérieux motifs d’intérêt général. Cela semble être le cas – notamment – en raison des obligations communautaires de la France.

En effet, dans un arrêt du 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie, la CJUE a considéré que s’impose « à l’État membre qui a introduit l’exception de copie privée dans son droit national une obligation de résultat, en ce sens que cet État est tenu d’assurer, dans le cadre de ses compétences, une perception effective de la compensation équitable destinée à indemniser les auteurs lésés du préjudice subi ».

Cette obligation de résultat pourrait être compromise à la fois en l’absence de prolongation des barèmes découlant de la décision n° 11 au-delà du 22 décembre, réserve faite des usages professionnels, mais aussi en cas de remboursement des sommes versées ou réclamées sur le fondement de cette décision.

Pour l’avenir, la rémunération perçue reposerait sur les décisions nos 3 à 6 de la commission de la copie privée, les décisions nos 7 à 10 ayant été annulées par le Conseil d’État. Ces décisions représentent 27 % des recettes actuelles.

De même, le trop perçu exigé devant les juridictions judiciaires serait calculé par la différence entre les sommes versées au titre de la décision n° 11 et les sommes qui auraient dû être versées sur les décisions applicables, en l’occurrence les décisions nos 3 à 6. Ces remboursements pourraient s’élever à 58 millions d’euros, selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, soit 20 % des collectes réalisées entre le 1er janvier 2009 et l’été 2011.

Outre le risque financier pesant sur les sociétés de perception et les ayants droit, le fait de faire revivre les décisions nos 3 à 6 aurait pour effet de distendre le lien, exigé par le droit communautaire, entre les usages de copie privée et la rémunération, puisque celle-ci serait calculée sur le fondement de décisions en partie obsolètes, qui surpondèrent notamment les DVD-R et RW data.

Par ailleurs, cette solution ne serait pas satisfaisante sur le plan des principes puisque les décisions en question sont encore plus contestables, au regard des exigences du droit communautaires, que la décision n° 11, dans la mesure où elles incluent non seulement les supports acquis à des fins professionnelles mais également les copies réalisées à partir de sources illicites.

Enfin, un intérêt public culturel s’attache à l’intervention du législateur : l’article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle dispose que 25 % des sommes perçues doivent être consacrées à des actions d’intérêt général de soutien à la culture. Ce sont près de 5 000 manifestations culturelles qui bénéficient des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée, et qui pourraient donc être déstabilisées sans l’intervention du législateur.

L’avantage qui s’attache au maintien d’une partie des effets de la décision n° 11 est en conséquence supérieur aux inconvénients qui découleraient de l’absence des dispositions prévues par le présent article.

*

La Commission examine l’amendement AC 21 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le délai plafond de vingt-quatre mois me paraît excessif. Un délai de douze mois me paraît largement suffisant, eu égard à la situation. Tel est le sens de cet amendement.

M. le ministre. Favorable.

M. Patrick Bloche. Le groupe SRC est favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels AC 22, AC 23, AC 24 et AC 25 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement AC 7 de M. Lionel Tardy, visant à supprimer le II de l’article 5.

M. Lionel Tardy. Si je comprends la finalité de l’article 5, qui vise à sécuriser l’argent perçu par les ayants droit et à éviter les contentieux en chaîne, je suis dubitatif quant à sa solidité juridique. Il s’agit là d’une validation législative. Or les validations législatives constituent un empiétement du législatif sur une décision du judiciaire, et donc une entorse au principe de séparation des pouvoirs, et ne peuvent se justifier que par un impératif d’intérêt général, ce qui ne me semble pas être évident dans le cas présent.

Le risque juridique existe donc, et il se concrétisera très vite sous la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il serait bon d’en tenir compte et de limiter la portée de cette validation au strict minimum.

Mme la rapporteure. Nous procédons bien ici à une validation législative. L’objectif même d’une telle mesure de validation est d’avoir un effet rétroactif et de purger une irrégularité, afin de couper court à toute contestation fondée sur cette irrégularité.

Bien sûr, le législateur ne jouit pas d’une liberté totale et doit notamment veiller à ce que la validation réponde à d’impérieux motifs d’intérêt général. En l’occurrence, c’est bien le cas, pour les raisons que j’ai évoquées en présentant mon rapport.

Avis défavorable.

M. le ministre. Nous revenons encore au débat de fond sur l’urgence et la non-urgence ; or ce n’est pas le moment d’en parler. Donc, avis défavorable.

M. Patrick Bloche. Le Conseil d’État a donné son avis sur ce projet de loi. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, s’il a trouvé quelque chose à redire concernant le II de l’article 5 ?

M. le ministre. L’article 5, dont la rédaction a été validée par le Conseil d’État lors de l’examen du projet de loi, n’a pas pour effet de censurer le dispositif de la décision du 17 juin 2011, mais de maintenir les effets de la décision n° 11 en la purgeant, en quelque sorte, du motif d’annulation soulevé par le Conseil.

M. Marcel Rogemont. Je ne pense pas qu’il y ait de problème avec le Conseil d’État, dans la mesure où il a, par ailleurs, préconisé l’adoption de ce dispositif législatif, qui permet d’éviter le remboursement des sommes versées.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC 26, AC 27 et AC 28 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 5 modifié.

Article 6

Limitation des demandes de remboursement aux seuls supports acquis postérieurement à
la promulgation de la présente loi

L’unique alinéa de cet article dispose que l’extension du dispositif de remboursement prévu à l’article 3 du présent projet de loi, qui modifie l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle afin de tenir compte des arrêts de la CJUE et du Conseil d’État, ne peut s’appliquer qu’aux supports que les bénéficiaires du II de ce dernier article(6) , c’est-à-dire les acquéreurs de supports à des fins autres que la copie privée, auront acquis après la promulgation de la présente loi.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC 29 et AC 30 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

La Commission adopte enfin l’ensemble du projet de loi à l’unanimité.

*

* *

En conséquence, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte du projet de loi

___

Texte adopté par la Commission

___

 

Projet de loi relatif

à la rémunération pour copie privée

Projet de loi relatif

à la rémunération pour copie privée

 

Chapitre Ier

Division

 

Dispositions modifiant le code de la propriété intellectuelle

et intitulé sans modification

Code de la propriété intellectuelle

Article 1er

Article 1er

 

L’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

Alinéa sans modification

Art. L. 311-1. – Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3.

1° Au premier alinéa, le mot : « réalisées » est remplacé par les mots : « réalisée à partir d’une source licite » ;

Alinéa sans modification

Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée, dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 122-5, sur un support d'enregistrement numérique.

2° Au second alinéa, après le mot : « réalisée », sont insérés les mots : « à partir d’une source licite ».

Alinéa sans modification

     
   

II. – Au 2° de l'article L. 122-5 du même code, après les mots « copies ou reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d'une source licite et ».

     
   

III. – Au 2° de l'article L. 211-3 du même code, après le mot « reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d'une source licite, ».

Amendement n° AC1

 

Article 2

Article 2

Art. L. 311-4. – ………………...

L’article L. 311-4 du même code est ainsi modifié :

Alinéa sans modification

   

1°A Au deuxième alinéa, après le mot : « durée », sont insérés les mots : « ou de la capacité ».

Amendement n° AC12

Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet.

………………………………….

1° Après le deuxième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

Alinéa sans modification

 

« Ce montant est également fonction de l’usage de chaque type de supports. Cet usage est apprécié sur le fondement d’enquêtes.

« Ce …

… de

support. Cet …

… d’enquêtes.

Amendement n° AC13

 

« Toutefois, lorsque des éléments objectifs permettent d’établir qu’un support peut être utilisé pour la reproduction à usage privé d’œuvres et doit, par suite, donner lieu au versement de la rémunération, le montant de cette rémunération peut être déterminé par application des seuls critères mentionnés au deuxième alinéa, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet assujettissement. » ;

« Toutefois,…

… doit, en conséquence, donner …

… assujettissement. » ;

Amendement n° AC14

Ce montant tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière.

2° Au début de la première phrase du dernier alinéa, les mots : « Ce montant » sont remplacés par les mots : « Le montant de la rémunération ».

Alinéa sans modification

 

Article 3

Article 3

 

Après l’article L. 311-4 du même code, il est inséré un article L. 311-4-1 ainsi rédigé :

Alinéa sans modification

 

« Art. L. 311-4-1. – Le montant de la rémunération prévue à l’article L. 311-3 propre à chaque support est porté à la connaissance de l’acquéreur lors de la mise en vente des supports d’enregistrement mentionnés à l’article L. 311-4. Une notice explicative relative à cette rémunération et à ses finalités est également portée à sa connaissance.

« Art. L. 311-4-1. – Le …

… à ses finalités, qui peut être intégrée au support de façon dématérialisée, est … connaissance.

Amendement n° AC15

 

« Les manquements au présent article sont recherchés et constatés par les agents visés au II de l’article L. 450-1 du code de commerce, dans les conditions fixées à l’article L. 141-1 du code de la consommation. Ces manquements sont sanctionnés par une amende administrative au plus égale à 3 000 €.

« Les …

… agents mentionnés au II …

… administrative dont le montant ne peut être supérieur à 3 000 €.

Amendements n°s AC16 et AC17

 

« Les conditions d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

Alinéa sans modification

   

« II. – Au premier alinéa de l’article L. 311-5 du même code, la référence : « du précédent article », est remplacée par la référence : « de l’article L. 311-4 ».

Amendement n° AC18

 

Article 4

Article 4

 

L’article L. 311-8 du même code est ainsi modifié :

Alinéa sans modification

 

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

Alinéa sans modification

     

Art. L. 311-8. – La rémunération pour copie privée donne lieu à remboursement lorsque le support d'enregistrement est acquis pour leur propre usage ou production par :

« I. – La rémunération pour copie privée n’est pas due lorsque le support d’enregistrement est acquis pour leur propre usage ou production par : » ;

Alinéa sans modification

………………………………….

2° Sont ajoutés des II et III ainsi rédigés :

Alinéa sans modification

     
 

« II. – La rémunération pour copie privée n’est pas non plus due pour les supports d’enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée.

« II. – La …

… pas due non plus pour …

… privée.

Amendement n° AC19

     
 

« III. – Une convention constatant l’exonération et en fixant les modalités peut être conclue entre les personnes bénéficiaires des I et II et l’un des organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 311-6.

« III. – Une …

… bénéficiaires du I ou II …

… L. 311-6.

Amendement n° AC20

 

« À défaut de conclusion d’une convention, ces personnes ont droit au remboursement de la rémunération sur production de justificatifs déterminés par les ministres chargés de la culture et de l’économie. »

Alinéa sans modification

   

Article 4 bis (nouveau)

   

La première phrase du dernier alinéa de l'article L. 321-9 du même code est complétée par les mots : « et aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat ».

Amendement n° AC5

 

Chapitre II

Division

 

Dispositions transitoires

et intitulé sans modification

 

Article 5

Article 5

 

I. – Jusqu’à l’entrée en vigueur de la plus proche décision de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle et au plus tard jusqu’au dernier jour du vingt-quatrième mois suivant la publication de la présente loi sont applicables à la rémunération pour copie privée les règles, telles que modifiées par les dispositions de l’article L. 311-8 du même code dans sa rédaction issue de la présente loi, qui sont énoncées dans la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du même code, publiée au Journal officiel du 21 décembre 2008, dans sa rédaction issue des décisions n° 12 et 13 des 20 septembre 2010 et 12 janvier 2011, publiées au Journal officiel, respectivement, des 26 octobre 2010 et 28 janvier 2011.

I. – Jusqu’à …

… du

douzième … … la

promulgation de la …

… sont prévues

par la …

… commission précitée,

publiée …

… n° 12 du 20 septembre 2010 publiée au Journal officiel du 26 octobre 2010, et n° 13 du 12 janvier 2011 publiée au Journal officiel du 28 janvier 2011.

Amendements n°s AC21, AC22, AC23, AC24 et AC25

     
 

II. – Les rémunérations perçues ou réclamées sur le fondement de la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée qui ont fait l’objet d’une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011 et n’ont pas donné lieu, à la date de publication de la présente loi, à une décision passée en force de chose jugée sont validées en tant qu’elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d’État a, par sa décision du 17 juin 2011, annulé cette décision de la commission ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation.

II. – Les …

… réclamées en application de la …

… date de promulgation de la …

… décision de justice passée …

… annulation.

Amendements n°s AC26, AC27 et AC28

 

Article 6

Article 6

 

Les demandes de remboursement formées par les personnes bénéficiaires du II de l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle issues de la présente loi s’appliquent aux supports d’enregistrement acquis postérieurement à la publication de ladite loi.

Les …

… intellectuelle dans sa rédaction issue de …

… la promulgation de ladite loi.

Amendements n°s AC29 et AC30

     

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AC 1 présenté par M. Lionel Tardy

Article 1er

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

« II. – Au 2° de l’article L. 122-5 du même code, après les mots : « copies ou reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d’une source licite et ».

« III. – Au 2° de l’article L. 211-3 du même code, après les mots : « les reproductions », sont insérés les mots : « réalisées à partir d’une source licite, ».

Amendement n° AC 2 présenté par M. Lionel Tardy

Avant l’article 1er

Insérer l’article suivant :

« I. – La rémunération prévue à l’article L. 311-3 du code de la propriété intellectuelle est versée par la personne qui a fait l’acquisition à des fins privées de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction d’œuvres réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l’article L. 122-5 et au 2°de l’article L. 211-3. Cette rémunération est collectée, auprès de l’acquéreur final des supports d’enregistrement concernés, par le professionnel auprès duquel cette acquisition est faite. Les modalités de cette collecte seront précisées par décret en Conseil d’État. »

« II. – En conséquence, l’article L. 311-8 du même code est abrogé. »

Amendement n° AC 3 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

Compléter l’alinéa 3 par les mots : « , respectant une méthodologie stable définie par un organisme qualifié et indépendant et donnant lieu à consultation publique selon des modalités fixées par décret ».

Amendement n° AC 4 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

À l’alinéa 4, substituer au mot : « peut être », les mots : « est principalement ».

Amendement n° AC 5 présenté par M. Lionel Tardy

Après l’article 4

Insérer l’article suivant :

« La première phrase du dernier alinéa de l’article L. 321-9 du même code est complétée par les mots : « et aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ».

Amendement n° AC 6 présenté par M. Lionel Tardy

Article 4

Supprimer les alinéas 6 et 7.

Amendement n° AC 7 présenté par M. Lionel Tardy

Article 5

Supprimer l’alinéa 2.

Amendement n° AC 8 présenté par M. Jean Dionis du Séjour

Article 2

Compléter ainsi l’alinéa 3 :

« respectant une méthodologie stable définie par un organisme qualifié et indépendant. Cette méthodologie est construite de manière à ce que la rémunération pour copie privée constitue une contrepartie du préjudice réel subi par l’auteur ».

Amendement n° AC 9 présenté par M. Jean Dionis du Séjour

Article 2

Après le premier alinéa, insérer les deux alinéas suivants :

« 1° A Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La rémunération est appliquée au prix net payé par le consommateur, après que le détaillant a appliqué sa marge et qu’a été appliquée la TVA. »

Amendement n° AC 10 présenté par M. Jean Dionis du Séjour

Avant l’article 1er

Insérer l’article suivant :

«  I. – Le premier alinéa de l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle est abrogé et remplacé par un nouvel alinéa 1er ainsi rédigé :

« La rémunération prévue à l’article L. 311-3 est versée par la personne physique qui a fait l’acquisition à des fins privées de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction d’œuvres réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l’article L. 122-5 et au 2° de l’article L. 211-3. Cette rémunération est collectée par le professionnel auprès duquel cette acquisition est faite. Les modalités de cette collecte seront précisées par décret en Conseil d’État. »

« II. – L’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle est abrogé. »

Amendement n° AC 11 présenté par M. Jean Dionis du Séjour

Après l’article 3

Insérer l’article suivant :

« Le troisième alinéa de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle est ainsi complété :

« Le président devra soumettre à une seconde délibération toute décision qui n’aura pas donné lieu à au moins un vote favorable de la part de chacune des trois catégories de représentants visées à l’alinéa 1er. Cette seconde délibération interviendra dans le mois suivant la première délibération et la décision en résultant sera adoptée selon la majorité qualifiée définie par voie réglementaire. »

Amendement n° AC 12 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 2

Avant l’alinéa 2, insérer l’alinéa suivant :

« 1°A. Au deuxième alinéa, après le mot : « durée », sont insérés les mots : « ou de la capacité ».

Amendement n° AC 13 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 2

À l’alinéa 3, substituer au mot : « supports », le mot : « support ».

Amendement n° AC 14 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 2

À l’alinéa 4, substituer aux mots : « par suite », le mot : « en conséquence ».

Amendement n° AC 15 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 3

À la seconde phrase de l’alinéa 2, après les mots : « à ses finalités », insérer les mots : « , qui peut être intégrée au support de façon dématérialisée, ».

Amendement n° AC 16 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 3

À la première phrase de l’alinéa 3, substituer au mot : « visés », le mot : « mentionnés ».

Amendement n° AC 17 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 3

Après les mots : « amende administrative », rédiger ainsi la fin de l’alinéa 3 : « dont le montant ne peut être supérieur à 3 000 €. »

Amendement n° AC 18 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 3

Compléter cet article par l’alinéa suivant :

« II. – Au premier alinéa de l’article L. 311-5, la référence : « du précédent article », est remplacée par la référence : « de l’article L. 311-4 ».

Amendement n° AC 19 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 4

À l’alinéa 5, substituer aux mots : « non plus due », les mots : « due non plus ».

Amendement n° AC 20 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 4

À l’alinéa 6, après les mots : « bénéficiaires du I », substituer au mot : « et », le mot : « ou ».

Amendement n° AC 21 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au premier alinéa, substituer au mot : « vingt-quatrième », le mot : « douzième ».

Amendement n° AC 22 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au premier alinéa, substituer au mot : « publication », le mot : « promulgation ».

Amendement n° AC 23 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au premier alinéa, substituer aux mots : « énoncées dans », les mots : « prévues par ».

Amendement n° AC 24 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au premier alinéa, après les mots : « 17 décembre 2008 de la commission », substituer aux mots : « prévue à l’article L. 311-5 du même code », le mot : « précitée ».

Amendement n° AC 25 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Après les mots : « issue des décisions », rédiger ainsi la fin du premier alinéa : « n° 12 du 20 septembre 2010, publiée au Journal officiel du 26 octobre 2010, et n° 13 du 12 janvier 2011, publiée au Journal officiel du 28 janvier 2011. »

Amendement n° AC 26 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au second alinéa, substituer aux mots : « sur le fondement », les mots : « en application ».

Amendement n° AC 27 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au second alinéa, substituer au mot : « publication », le mot : « promulgation ».

Amendement n° AC 28 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 5

Au second alinéa, après les mots : « à une décision », insérer les mots : « de justice ».

Amendement n° AC 29 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 6

Substituer au mot : « issues », les mots : « dans sa rédaction issue ».

Amendement n° AC 30 présenté par Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure

Article 6

Substituer au mot : « publication », le mot : « promulgation ».

ANNEXE 1

ÉLÉMENTS D’INFORMATION SUR LE DROIT EUROPÉEN APPLICABLE OU EN COURS D’ÉLABORATION

(en application de l’article 86, paragraphe 7, du Règlement)
(document établi par le secrétariat de la Commission des affaires européennes)

I. Une visée générale : constituer un marché pleinement intégré en Europe, notamment pour les droits de propriété intellectuelle

A) Les objectifs

La constitution d’un marché intérieur pleinement intégré poursuit deux niveaux d’objectifs :

- à l’échelle européenne, contribuer à la stimulation de la croissance, à la création d’emplois durables et au renforcement de la compétitivité sur notre continent, conformément à l’optique de la stratégie Union européenne 2020 et à la philosophie de l’examen annuel de la croissance ;

- au plan mondial, relever les grands défis auxquels l’humanité est confrontée, ceux de la sécurité alimentaire, de la maîtrise du changement climatique, du vieillissement démographique et de la santé.

A l’ère de la mondialisation et de la dématérialisation de l’économie, la propriété intellectuelle est dans ce cadre tout aussi cruciale, pour le secteur productif européen, que l’accès aux matières premières ou la possibilité de s’appuyer sur une base d’industrie manufacturière. Par ailleurs, la libération du potentiel d’innovation et de créativité en Europe, notamment dans les secteurs du commerce électronique ou des technologies numériques, passe par un marché intégré pour les droits de propriété intellectuelle (DPI).

B) La stratégie européenne de mai 2011

En mai 2011, dans le cadre de l’« Acte pour le marché unique »7, la Commission européenne a adopté une stratégie en matière de DPI, visant à moderniser le cadre législatif en vigueur, subdivisée en quatre initiatives :

1. Une proposition de directive « sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines »8 tend à faciliter la numérisation et la mise à disposition de ces œuvres, dont les auteurs ne peuvent être identifiés ou trouvés. Il s’agit de promouvoir la diffusion du patrimoine intellectuel et culturel de l’Europe en garantissant une reconnaissance mutuelle de ces œuvres et en développant des bibliothèques numériques européennes et nationales permettant d’y accéder en ligne de manière licite, par-delà les frontières.

2. Une proposition de règlement « concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle »9, modifiant le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil du 22 juillet 2003, est destinée à clarifier et renforcer les compétences des administrations douanières en matière de lutte contre l’entrée sur le territoire européen des marchandises soupçonnées de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle.

3. Une proposition de règlement visant à confier « à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) certaines tâches liées à la protection des droits de propriété intellectuelle, notamment la convocation de représentants des secteurs public et privé dans le cadre d’un Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage »10. La démarche consiste à adosser l’Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), afin de le faire bénéficier de son expertise.

4. Enfin, une communication intitulée « Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle – Doper la créativité et l’innovation pour permettre à l’Europe de créer de la croissance économique, des emplois de qualité et des produits et services de premier choix »11, aborde les thématiques suivantes :

- la réforme du système européen des brevets ;

- la modernisation du système européen des marques ;

- la création d’un cadre global pour les droits d’auteur dans le marché unique numérique ;

- la protection complémentaire des actifs incorporels ;

- la lutte contre la contrefaçon et le piratage ;

- la dimension internationale des DPI.

Au paragraphe 3.3.4 de cette communication, il est indiqué que le « bon fonctionnement du marché intérieur suppose aussi de concilier les redevances pour copie privée avec le principe de la libre circulation des marchandises. Autrement dit, il faut permettre le libre échange transfrontière des biens soumis à redevance pour copie privée. La Commission entend redoubler d’efforts pour amener les parties prenantes à un accord fondé sur le projet de protocole d’accord qu’elle avait négocié en 2009. Un médiateur indépendant de haut niveau sera nommé en 2011. Il aura pour tâche d’explorer les approches possibles pour harmoniser l’assiette de calcul des redevances et améliorer l’administration de cette taxe, notamment en ce qui concerne le type d’équipement qui y est soumis, la fixation de taux tarifaires et l’interopérabilité des systèmes nationaux, compte tenu des effets transfrontières que des systèmes différents peuvent avoir sur le marché intérieur. Un effort concerté de toutes les parties pour régler les problèmes encore en suspens devrait ouvrir la voie à une initiative législative globale de l’UE d’ici à 2012. »

D’autres textes sont prévus, d’ici à la fin du mandat actuel de la Commission européenne, en matière de brevet unitaire européen, de propriété industrielle ou encore de droits d’auteur.

II. La réglementation européenne en matière de rémunération pour copie privée

A) La directive de mai 2001

La législation européenne en matière de rémunération pour copie privée se fonde sur la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information »12. Dans les considérants de ce texte législatif, qui crée un cadre juridique européen protecteur des droits intellectuels des créateurs, il est indiqué :

« (38) Les États membres doivent être autorisés à prévoir une exception ou une limitation au droit de reproduction pour certains types de reproduction de produits sonores, visuels et audiovisuels à usage privé, avec une compensation équitable. Une telle exception pourrait comporter l’introduction ou le maintien de systèmes de rémunération destinés à dédommager les titulaires de droits du préjudice subi. Même si les disparités existant entre ces systèmes de rémunération gênent le fonctionnement du marché intérieur, elles ne devraient pas, en ce qui concerne la reproduction privée sur support analogique, avoir une incidence significative sur le développement de la société de l’information. La confection de copies privées sur support numérique est susceptible d’être plus répandue et d’avoir une incidence économique plus grande. Il y a donc lieu de tenir dûment compte des différences existant entre copies privées numériques et analogiques et de faire une distinction entre elles à certains égards.

« (39) Lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exception ou la limitation pour copie privée, les États membres doivent tenir dûment compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui concerne la copie privée numérique et les systèmes de rémunération y afférents, lorsque des mesures techniques de protection efficaces sont disponibles. De telles exceptions ou limitations ne doivent faire obstacle ni à l’utilisation de mesures techniques ni à la répression de tout acte de contournement. »

Le 2.b) de l’article 5 de la directive dispose en conséquence que « Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants : […] lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ».

B) Un dispositif source de contentieux

La directive de 2001 prévoit que les actes de reproduction d’une oeuvre ou d’un objet protégé soient exemptés du droit de reproduction sous quatre conditions :

- être provisoires ou accessoires ;

- constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique ;

- dont l’unique finalité est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite ;

- qui n’ont pas de signification économique indépendante.

Mais la directive ouvre également aux Etats membres, outre le cas de la copie privée, la possibilité d’élargir le champ de ces exemptions et limitations aux reproductions effectuées dans de nombreuses situations particulières, notamment à des fins de documentation, d’enseignement, de recherche, de discours politique, de communication et de sécurité publique, ce qui contrevient à l’objectif de marché intérieur de la propriété intellectuelle et est propice aux contentieux.

Quant au mécanisme de la rémunération pour copie privée, il est censé compenser en amont, par mutualisation, au stade de l’acquisition des matériels, le préjudice financier potentiellement subi par les titulaires de droits sur des œuvres reproduites sans consentement. Mais le prélèvement frappe en réalité sans discernement tous les acheteurs de ces matériels de reproduction voire, en réalité, leurs fabricants. L’arrêt du 21 octobre 2010 de la Cour de justice de l’Union européenne, dit arrêt Padawan13, sanctionne cette absence de distinction entre professionnels et non-professionnels :

« 1) La notion de « compensation équitable », au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée d’une manière uniforme dans tous les Etats membres ayant introduit une exception de copie privée, indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable.

« 2) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le « juste équilibre » à trouver entre les personnes concernées implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l’introduction de l’exception de copie privée. Il est conforme aux exigences de ce «juste équilibre» de prévoir que les personnes qui disposent d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition des utilisateurs privés ou rendent à ces derniers un service de reproduction sont les redevables du financement de la compensation équitable, dans la mesure où ces personnes ont la possibilité de répercuter la charge réelle de ce financement sur les utilisateurs privés.

« 3) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’un lien est nécessaire entre l’application de la redevance destinée à financer la compensation équitable à l’égard des équipements, des appareils ainsi que des supports de reproduction numérique et l’usage présumé de ces derniers à des fins de reproduction privée. En conséquence, l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé, ne s’avère pas conforme à la directive 2001/29. »

Parallèlement, la Commission s’apprête à désigner un médiateur chargé d’améliorer la gestion de ces redevances. Il aura pour missions de mieux définir le type d’équipements concernés et d’élaborer une méthodologie commune aux Etats membres pour le calcul des tarifs, afin de remédier aux grandes disparités constatées dans le marché intérieur.

* *

ANNEXE 2

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø Alliance-Tics – M. Lionel Thoumyre, président de la commission copie privée du SFIB, Mme Maxence Demerlé, déléguée générale adjointe du SFIB, M. Stéphane Elkon, délégué général du GITEP, Mme Marie-Laure Daridan, conseil et M. Patrick Jacquemin, FEVAD

Ø Commission de la copie privée – M. Raphaël Hadas-Lebel, président

Ø Association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV) – M. Olivier Gayraud, chargé de mission « Consommation »

Ø SACEM – M. Bernard Miyet, président, et M. Thierry Desurmont, vice-président

ADAMI – M. Bruno Boutleux, directeur général

SCAM – M. Hervé Rony, directeur général

SPEDIDAM – M. François Lubrano, gérant

Association « la Culture avec la Copie Privée » Mme Claire Giraudin, déléguée générale

Ø Nokia France – M. Xavier des Horts, communications & public affairs manager and corporate social responsibility manager

Ø Apple – Mmes Josianne Morel et Sophie Mertschersky

Ø Canal+ – M. Olivier Zegna-Rata, directeur des relations extérieures et M. Blaise Mistler, directeur des relations extérieures de Canal+ Overseas

Ø Fédération française des télécoms – M. Jean-Marie Danjou, directeur général délégué au collège mobile

Ø M. Olivier de Chazeaux, avocat chez Nixon Peabody

Ø UFC-Que Choisir – M. Édouard Barreiro, directeur adjoint au département des études

Ø Syndicat national des supports, d’image et d’information (SNSII) – M. Marc Héraud, secrétaire général

© Assemblée nationale

1 () Pour plus de précisions, voir « Commission pour copie privée devant le Conseil d’État : un blâme », Emilie Bouchet-Le Mapian, Revue Lamy Droit de l’immatériel, n°74, août 2011.

2 () Pour autant, les études commandées par la commission, à la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 17 juin 2011, dans le but de préparer une nouvelle décision et qui concernent pas moins de 12 supports, ont dû être prises en charge pour partie par les ayants droit : les offres reçues excédant les plafonds retenus dans l’accord cadre, il aurait été nécessaire de recourir à un nouvel appel d’offre de droit commun, hors la procédure simplifiée permise par l’accord cadre, ce qui aurait considérablement ralenti l’élaboration d’une nouvelle décision.

3 () Directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

4 () « L’État membre est tenu d’assurer […] une perception effective de la compensation équitable en dédommagement du préjudice subi par les auteurs ».

5 () Rappelons que l’article L. 311-7 du code de la propriété intellectuelle fixe des clés de répartition de la rémunération différentes selon qu’il s’agit des phonogrammes (50 % de la rémunération va aux auteurs, 25 % aux artistes interprètes et 25 % aux producteurs), des vidéogrammes (50 % pour les auteurs et 50 % pour les artistes interprètes et producteurs), ou des autres catégories d’œuvres (50 % pour les auteurs et 50 % pour les éditeurs).

6 () cf. commentaire de l’article 3 du présent projet de loi

7 COM (2011) 206 final.

8 COM (2011) 289 final.

9 COM (2011) 285 final.

10 COM (2011) 288 final.

11 COM (2011) 287 final.

12 2001/29/CE.

13 Affaire C-467/08, Padawan SL contre Sociedad General de Autores y Editores de Espana (SGAE).