N° 3957 - Rapport de M. André Chassaigne sur la proposition de loi de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues visant à encadrer les prix des produits alimentaires (3745)




N
° 3957

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2011

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI, visant à encadrer les prix des produits alimentaires (n° 3745),

PAR M. André CHASSAIGNE,

Député.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1ère  lecture : 3745

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I.— UNE SITUATION ÉCONOMIQUE TENDUE AUX CONSÉQUENCES SOCIALES DRAMATIQUES 9

A.— UNE AGRICULTURE EN CRISE 9

B.— DES MARGES EN HAUSSE 10

II.— UNE RÉGULATION À REPENSER 13

A.— GARANTIR DES PRIX RÉMUNÉRATEURS : UNE DEMANDE PARTAGÉE PAR LES AGRICULTEURS ET LES CONSOMMATEURS MAIS NON-SATISFAITE 13

B.— ÉTUDE DE CAS : L’ENCADREMENT DES PRIX DU LAIT AU QUÉBEC 16

TRAVAUX DE LA COMMISSION 19

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE 19

II.— EXAMEN DES ARTICLES 31

Article 1er (article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime) : Cœfficient multiplicateur 31

Article 2 : Prix minimum indicatif par production 35

Article 3 : Négociation annuelle sur les prix 40

TABLEAU COMPARATIF 43

ANNEXE 45

MESDAMES, MESSIEURS,

En 1957, l’article 39 du Traité de Rome avait donné comme ambition à la PAC d’assurer un revenu décent aux agriculteurs et d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

Les agriculteurs français sont pourtant confrontés à une dégradation durable des prix d’achat de leur production, ne leur permettant pas d’en couvrir les coûts. Ces dernières années, la faiblesse des prix d’achat a provoqué une accélération des cessations d’activité. Cette situation hypothèque par ailleurs la survie de plusieurs milliers d’autres exploitations à moyen terme comme l’installation de jeunes agriculteurs.

Parallèlement, les prix alimentaires pour les consommateurs n’ont cessé de croître ces dernières années, à un rythme de 2 % en moyenne annuelle, et jusqu’à 13,5 % pour les produits frais.

Cette double évolution trouve ses racines dans la dérégulation des marchés agricoles à l’échelle mondiale et européenne. Elle est accentuée, au plan national, par une évolution législative offrant toutes les garanties aux distributeurs pour faire pression à la baisse sur les prix d’achat, et favoriser un accroissement des marges, au détriment des consommateurs.

Les distributeurs organisent par ailleurs une politique active d’importation et de promotion, en fonction de l’arrivée des productions françaises sur les marchés, pour faire pression à la baisse sur les prix d’achat. L’exemple le plus remarquable de cette stratégie est mis en œuvre chaque année, au cours de l’été, sur les productions de fruits et légumes, avec des producteurs contraints d’écouler leur production auprès de la grande distribution à des prix très bas, largement inférieurs aux coûts de production.

L’ensemble des producteurs et des organisations professionnelles de la filière ont une nouvelle fois dénoncé ces pratiques au mois d’août 2011 et demandé au Gouvernement des mesures d’urgence. Car comment justifier qu’en cet été 2011, un kilo de prunes acheté 1,20 € au producteur soit vendu 2,60 euros sur les étals des supermarchés ? Comment justifier qu’un kilo de tomates acheté à 45 centimes le kilo se retrouve à 2 euros sur les étals et que le kilo de poires soit revendu deux à quatre fois son prix d’achat ?

La publication, en juin 2011, du premier rapport au Parlement de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires permet de dresser un premier état des lieux des marges commerciales pratiquées par les distributeurs. Mais, faute de données suffisantes accordées par les distributeurs, l’évaluation reste imprécise, et le simple outil statistique aux mains du Gouvernement, que constitue l’Observatoire, ne lui permet pas aujourd’hui de jouer un rôle de proposition pour limiter les marges excessives constatées ou pour lever les contraintes subies par les producteurs dans le cadre de leur négociation sur les prix d’achat.

Dans les conditions actuelles, pour la grande majorité des consommateurs, notamment les foyers les plus modestes, les recommandations sanitaires de consommer cinq fruits et légumes par jour ne peuvent rester que des vœux pieux. On constate ainsi une stagnation de la consommation de fruits et légumes depuis cinquante ans.

Pour les agriculteurs, des mesures d’encadrement apparaissent donc indispensables pour sortir de la vente à perte qui leur est imposée chaque année.

Votre rapporteur avait déposé, en 2009, une proposition de loi relative au droit au revenu des agriculteurs(1), dont beaucoup d'articles, la discussion générale en témoignait, s’étaient révélés consensuels. Un des seuls arguments opposé à l'époque à l’adoption de ce texte était qu'il intervenait à un moment inopportun, quelques mois avant que ne s'engage le débat sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, supposée résoudre la majorité des problèmes.

Deux ans après, on ne peut que constater, avec regret, l’inefficacité des mesures mises en place suite à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Dans ce contexte, il apparaît indispensable d’encadrer les marges et les pratiques de la grande distribution, avec l’ambition d’une alimentation de qualité accessible à tous, tout en permettant la rémunération du travail paysan.

Pour atteindre ce double objectif, trois outils concrets sont proposés :

– L’application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires (article 1),

– La définition d’un prix minimum indicatif pour chacune des productions (article 2),

– La mise en place d’une négociation annuelle sur les prix permettant de déterminer un prix plancher d’achat aux producteurs (article 3).

I.— UNE SITUATION ÉCONOMIQUE TENDUE AUX CONSÉQUENCES SOCIALES DRAMATIQUES

De 2000 à 2010, le nombre d’exploitations a diminué de 26 %, et l’emploi agricole de 22 %(2).

En dix ans, le nombre de petites exploitations a chuté de 6 % ; elles ne représentent plus que 36% du total des exploitations contre 42% en 2000. Celui des grandes exploitations se maintient, voire progresse dans le cas des cultures de céréales et d’oléoprotéagineux. La baisse touche surtout l’élevage et la polyculture-élevage, avec la « quasi disparition » des petits élevages bovins lait. Les grands élevages progressent.

L’extrême concentration du nombre d’exploitations sur le territoire national doit nous interpeller sur les caractéristiques du tissu rural en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité de notre pays à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine.

En période de fortes oscillations du revenu, il est très important de mettre en perspective les évolutions annuelles avec les évolutions de long terme.

Les niveaux de revenus des exploitations agricoles restent modestes en 2010 : le revenu moyen d’une exploitation professionnelle est de 24 000 euros.

Pourtant, l’année 2010 a été une année de rattrapage s’agissant du revenu des agriculteurs, les années 2008 et 2009 ayant été particulièrement mauvaises pour l’agriculture française. Sur ces deux années cumulées, le revenu moyen des exploitations professionnelles a été divisé par deux. La croissance enregistrée en 2010 constitue ainsi un simple retour – partiel d’ailleurs – à la situation de 2006.

Au-delà des forts taux de variation des revenus dans un sens ou dans l’autre, depuis 2000, le revenu des exploitations professionnelles est entré dans une période de décroissance de long terme.

Le revenu global dégagé par l’ensemble des exploitations professionnelles ne cesse de baisser d’année en année : il s’est réduit de près d’un tiers entre 1990 et 2010. La revue « Chambres d’agriculture » constate ainsi que : « même si les chiffres du ministère de l’agriculture ne l’indiquent pas, le revenu global de l’ensemble des exploitations professionnelles s’élevait à 10 milliards d’euros au début des années 1990, contre 7 milliards d’euros à la fin de la décennie 2000-2010, soit un recul de 30 %. Sans la restructuration démographique et la baisse continue du nombre d’exploitations professionnelles (-45 % entre 1990 et 2010), les résultats moyens des exploitations agricoles se dégraderaient dans une proportion bien plus importante que ce que l’on observe chaque année (3)».

L’Observatoire des prix et des marges a été créé par les pouvoirs publics, en mars 2008, après l’adoption de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs. Sa création coïncide également avec l’emballement des cours des produits agricoles et la hausse des prix des produits alimentaires.

L’Observatoire, qui est alimenté par les chiffres transmis par les entreprises spécialisées mais qui est également destinataire des données issues des enquêtes de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), analyse l’évolution des prix des produits de grande consommation (PGC), vendus par la grande distribution (alimentation, hygiène, droguerie, parfumerie), à l’exception des poissons frais.

S’agissant de la formation des prix, le premier rapport annuel de l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d’informations fournies par les distributeurs. Ces difficultés ont été abordées notamment, lors des débats sur le projet de loi visant à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs le 4 octobre 2011 (4).

Ce premier rapport a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines pratiques.

Les évolutions des marges brutes sur longue période sont le plus souvent :

– en hausse au niveau « distribution » : sur plusieurs produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans ;

– en hausse ou stable au stade « transformation » ;

– systématiquement stable au stade « production ».

Ces marges brutes ne sont pas des bénéfices, mais une ressource destinée à couvrir des charges.

Pour les fruits et légumes, la marge commerciale représente en moyenne 35 et 56 % du prix au détail.

En moyenne, de juillet 2010 à mars 2011, marges industrielles et de distribution représentent respectivement 23 et 29 % du prix au détail de la viande de « vache moyenne », la valeur de la matière première agricole (qui doit couvrir le coût de la production et le revenu de l’éleveur) y contribuant pour 43 %.

Au niveau de la production agricole, le revenu moyen de la spécialisation « bovins viande » se situe, depuis plusieurs années, parmi les plus bas de la ferme France, et ce, malgré les aides directes dont bénéficient spécifiquement ces éleveurs. La situation depuis 2007, sous l’effet de la baisse des cours et s’est aggravée avec la hausse des prix des aliments du bétail : « les prix actuels sont loin de couvrir les coûts de production »(5).

Chambres d’agriculture, n° 999, janvier 2011

II.— UNE RÉGULATION À REPENSER

Un sondage commandé par la Semmaris, société gestionnaire du marché international de Rungis, et réalisé par TNS Sofrès (6) du 27 au 30 mai 2011, sur le thème : « Quelles régulations pour l’agriculture et l’alimentation des citoyens ? » a mis en lumière la demande des Français d’une intervention politique sur l’encadrement des prix des produits alimentaires.

À la question : « l’État doit-il aider les producteurs à fixer leurs prix face aux distributeurs ? », 77 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables, contre 14 % qui estiment qu’il faut laisser les prix se fixer librement.

Les raisons invoquées pour expliquer les principales difficultés du monde agricole français sont, dans l’ordre, la difficulté de vendre les produits agricoles au juste prix, la concurrence d’autres pays et le faible pouvoir de négociation des agriculteurs face aux distributeurs industriels.

Les différentes lois votées depuis le début des années 2000 n’ont pas permis de développer des outils efficaces de régulation des relations entre distributeurs et fournisseurs, elles ont même souvent aggravé le déséquilibre existant.

La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a bien créé une Commission d’examen des pratiques commerciales, qui peut décider d'adopter des recommandations sur les questions portant notamment sur le développement des bonnes pratiques commerciales et exercer un rôle d'observatoire régulier de ces pratiques. Cependant, cette commission n’a aucun pouvoir réel en matière de contrôle et de sanction vis à vis abus des distributeurs.

Plus récemment, la mise en œuvre de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et notamment la consécration « du principe de libre négociation des conditions générales de vente » n’a pas apporté les résultats escomptés. C’est notamment le constat fait par le rapport d’information n° 2312 du 23 février 2010 de MM. Patrick Ollier et Jean Gaubert : « S’agissant du premier objectif affiché, celui de la baisse des prix, le bilan paraît modeste : d’après l’INSEE, les prix de grande consommation auraient crû de 0,4 % entre septembre 2008 et septembre 2009, chiffre à mettre en parallèle avec les baisses de 2 ou 3 % avancées par les distributeurs lors des débats sur le texte, et à placer dans le contexte d’un dégonflement du prix des matières premières agricoles et de hausse importante des prix au cours des années 2007-2008 ». Ce rapport souligne en outre la persistance d’abus de la part des distributeurs avec des contrats pré-rédigés et identiques pour l’ensemble des fournisseurs, des renégociations systématiques…

Extraits du rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, de MM. Patrick OLLIER et Jean GAUBERT,

« La LME a renforcé les sanctions susceptibles d’être encourues en cas d’abus, mais ces abus persistent. Ainsi, l’application de la règle en vertu de laquelle la convention unique annuelle doit être signée au 1er mars soulève des difficultés s’agissant de la « période transitoire », celle des trois premiers mois de l’année n.

En effet, les accords conclus en année n–1 prévoient généralement que pendant les trois premiers mois de l’année n, les stipulations du contrat de l’année n–1 continuent de s’appliquer. En l’absence d’une telle précision, ce sont les CGV du fournisseur qui ont vocation à s’appliquer jusqu’au 1er mars. Or les distributeurs exigent souvent l’application du tarif n–1 pendant cette période. Ils imposent également le maintien des mêmes avantages obtenus au cours de l’année précédente, sans fournir aucune des contreparties qui les avaient justifiés.

La plupart du temps, les contrats sont fournis par le distributeur, pré-rédigés et identiques pour chacun de ses fournisseurs : on comprend l’intérêt pratique d’une telle formule lorsqu’un distributeur travaille avec plusieurs centaines de fournisseurs pour des milliers de référence, mais le fournisseur devrait en théorie pouvoir conserver la faculté de faire modifier ce contrat, sans quoi celui-ci révélerait alors un déséquilibre entre droits et obligations des parties, sanctionné par l’article L. 442-6 du code de commerce. Or bien souvent le fournisseur n’osera pas demander la modification d’une clause. Ces contrats vont parfois même jusqu’à préciser que les conditions d’achat du distributeur se substituent purement et simplement aux CGV du fournisseur, alors même que l’article L. 441-6 disposent que ces CGV constituent le socle de la négociation commerciale !

En outre, sitôt conclus, ces contrats sont presque immédiatement renégociés. L’article L. 441-7 du code de commerce prévoit bien que la convention unique peut être conclue sous forme d’un contrat cadre assorti de contrats d’application, mais ces contrats d’application ne doivent en aucun cas bouleverser l’équilibre général du contrat cadre. Une autre façon pour les distributeurs de bouleverser cet équilibre à leur avantage consiste également à facturer des prestations fictives via des centrales d’achat internationales. Enfin, il semble que les distributeurs imposent à leurs fournisseurs la conclusion de contrats de mandat afin de mettre en œuvre ce que l’on qualifie de « nouveaux instruments de promotion », les NIP, qui recouvrent des opérations du type « quatre pour le prix de trois ». Comme l’avait indiqué la circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales, « les nouveaux instruments promotionnels recouvrent plusieurs formes ; ils font l’objet soit d’un contrat de mandat par lequel le fournisseur consent au consommateur un avantage financier dont le distributeur fait l’avance à l’occasion du passage en caisse, soit d’un contrat de coopération commerciale. Dans le premier cas, l’avantage n’étant pas consenti au distributeur, il n’entre pas dans la catégorie des autres avantages financiers [susceptibles d’être imputés sur le SRP]. » (…) Enfin, la transparence accrue qu’a permise le dégonflement des marges arrière a pu engendrer certains effets pervers. Les fournisseurs indiquent ainsi que la coopération commerciale, et son imputation variable dans le SRP, laissée à la discrétion du fournisseur, permettaient de maintenir les clients dans une certaine ignorance des avantages consentis à leurs concurrents. La remontée de la coopération commerciale sur facture sous forme de remise tarifaire facilite la comparaison des prix de revente au consommateur, qui sont des prix « trois fois nets », et donc des tarifs, et entretiennent les revendications des distributeurs au bénéfice automatique des conditions tarifaires éventuellement plus favorables consenties à un concurrent. On a ainsi vu se multiplier des contrats assortis de clause de garanties de marge, ou des demandes de compensations financières destinées à permettre à un distributeur d’aligner ses prix sur un concurrent. Ces pratiques sont totalement interdites, notamment au regard de la nouvelle rédaction de l’article L. 442-6 qui sanctionne de nullité toute clause ayant pour objet « de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ». (…)

[Les] pénalités injustifiées et des déductions unilatérales ont explosé, en dépit de l’article L. 442-6 du code précité qui qualifie d’abusif le fait de « procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant. » Ainsi un très grand groupe du secteur de l’ultra frais avait versé 260 000 euros de pénalités diverses entre janvier et juin 2008, contre 2,8 millions d’euros entre janvier et juin 2009 ! »

Par ailleurs, la mise en œuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques depuis 2008, a considérablement affaibli les moyens de contrôle de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). 212 emplois de fonctionnaires dans les unités régionales et départementales ont été supprimés depuis 2008. Le niveau actuel des effectifs dans près d’un département sur deux interdit d’ores et déjà d’assurer l’ensemble de ses missions de service public, notamment celles relatives aux enquêtes et contrôles du respect des réglementations protectrices des intérêts des consommateurs, des transactions commerciales et du développement économique. Il existe un écart grandissant entre les missions confiées à la DGCCRF, notamment en matière de respect du droit commercial par les opérateurs économiques, et les moyens affectés au contrôle pour faire appliquer les sanctions administratives ou les sanctions pénales prévues. Le projet de loi visant à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs, actuellement en débat devant le Parlement, propose d’ailleurs d’élargir une nouvelle fois certaines compétences des agents de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, notamment en cas de non-respect des obligations contractuelles des opérateurs économiques. Mais il n’aborde absolument pas la question centrale des moyens humains et financiers supplémentaires indispensables à la conduite de tels missions. Dans ce contexte, la demande du Gouvernement faite à la DGCCRF (7), en lien avec l’observatoire des prix et des marges agricoles, « d’être extrêmement vigilant sur les hausses de prix des produits alimentaires qui seront observées et sur la formation de ces hausses » et « qu’il rendrait public le résultat des enquêtes » s’apparente plus à un affichage politique qu’à une réelle volonté d’intervention déterminée des services de l’Etat dans ce domaine.

Enfin, dans la continuité des dispositions contenues dans la loi de modernisation de l’économie et alors que les prix d’achat aux producteurs étaient au plus bas, le Gouvernement s’est refusé à inscrire des outils d’intervention sur les prix d’achat et sur les prix de vente aux consommateurs dans la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Pourtant, l’ensemble des syndicats agricoles auditionnés alors avaient indiqué que ce type d’outils était nécessaire pour rétablir une plus juste répartition de la valeur ajoutée.

Ainsi, le texte avait esquivé la question des revenus agricoles, en se bornant à promouvoir deux mesures sans effet sur le dérégulation des marchés et la domination des grandes centrales d’achat dans les relations commerciales avec les producteurs : la contractualisation pour toutes les productions, et le renforcement des organisations de producteurs dans le cadre de la libre négociation instituée par la loi de modernisation de l’économie.

Au rebours de la politique engagée par le Gouvernement, la présente proposition de loi présente trois outils visant à encadrer les prix des produits alimentaires.

L’encadrement des prix existe et fonctionne pour certains produits tels que le lait dans certains pays depuis des années. Le refus d’adopter ce type de mesures relève de choix politiques délibérés, qui découlent de la volonté de suppression des outils de gestion des marchés et des volumes à l’échelle européenne, mais également de choix nationaux. Ces choix politiques conduisent à laisser aux opérateurs industriels et de la distribution des prérogatives leur permettant de maintenir leurs propres règles dans la conclusion d’accords et de contrats avec les producteurs.

A contrario, au Québec, le prix du lait est fixé par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec depuis 1935. À l'époque, une pinte de lait, soit un peu plus d'un demi-litre, se vendait 0,10 $. La même quantité se vend aujourd'hui cinq fois plus cher. Après avoir tenu des séances publiques pour obtenir des informations des personnes intéressées, la Régie des marchés agricoles et alimentaires a fixé un prix minimum et un prix maximum pour le lait de consommation.

Le règlement sur les prix de lait et de consommation est constitué de cinq articles.

– L’article 1 précise que la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec est l’autorité compétente. Il définit aussi le « lait ».

– L’article 2 présente les trois régions de la province où le prix du lait est fixé.

– L’article 3 précise que les prix ne peuvent être plus haut ou plus bas que ceux présentés.

– L’article 3.1 limite le prix aux minimums indiqués par région, lorsque le lait est vendu à un détaillant ou à un distributeur-vendeur.

– L’article 4 précise les exceptions à la limite du prix aux laits ayant été traité à l’ultra haute température, au lait biologique certifié, au lait cacher et au lait à valeur ajoutée. De plus, l’article définit le lait à valeur ajoutée.

Cependant, les prix réglementés ne concernent que le lait régulier, c'est-à-dire les formats en carton, sans bouchon de plastique, ainsi que le lait en sac, sans filtration spécialisée ou ajout de vitamine.

Le prix du lait est composé de deux éléments :

– l'un fixant la part versée aux producteurs, déterminée au niveau canadien entre les provinces productrices et représentant environ 55 % du prix de vente au détail,

– l'autre étant la part versée aux transformateurs, distributeurs et détaillants. C'est sur cette dernière portion que la Régie intervient.

Le prix du lait est normalement fixé annuellement mais exceptionnellement en 2011, le prix a été fixé une fois en janvier 2011 et une autre en août 2011.

Décision du 15 juin 2011 de la régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 16 novembre 2011, la commission des affaires économiques a examiné, sur le rapport de M. André Chassaigne, la proposition de loi visant à encadrer les prix des produits alimentaires (n° 3745).

M. André Chassaigne, rapporteur. Cette proposition de loi s’appuie sur un double constat : d’une part, la dégradation durable des prix d’achat des productions agricoles issues de l’agriculture française ; de l’autre, l’augmentation constante des prix de vente des produits alimentaires aux consommateurs.

J’avais déposé, il y a deux ans, une proposition de loi sur le « droit au revenu des agriculteurs », dont beaucoup d’articles avaient retenu l’intérêt des parlementaires de toutes sensibilités. La principale objection, notamment de M. Le Maire, était l’inopportunité d’un tel texte à quelques mois du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP), puisque celui-ci allait, nous disait-on, régler tous les problèmes, il était urgent d’attendre. Aujourd’hui, force est de constater que les problèmes demeurent, et que la question des prix et des revenus agricoles est la grande oubliée de notre politique agricole et alimentaire.

La crise des fruits et légumes de cet été en est l’une des preuves les plus flagrantes. En 2011, les producteurs de melons, de poires, de prunes, de tomates ou encore de concombres ont connu une nouvelle année noire. Les prix d’achat étaient inférieurs de 15 à 45 % à la moyenne des cinq dernières années, provoquant des situations dramatiques pour des agriculteurs déjà touchés par des années de crise. Il n’était pas rare de voir les producteurs de pêches et de nectarines du Roussillon contraints de vendre à un euro leurs produits, lesquels se retrouvaient à 2,50 euros, voire plus de 3 euros, sur les étals des hypermarchés de la côte, à quelques kilomètres de là.

Nous aurions tort de penser que, pour la filière des fruits et légumes, cette mauvaise année 2011 tient aux fluctuations conjoncturelles des marchés : il s’agit d’un problème structurel qui affecte l’agriculture française dans son ensemble. J’ai donc la conviction que nous arrivons à la fin d’un système.

Les prix d’achat de la production agricole subissent de fortes pressions à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d’augmenter, qu’il s’agisse des prix de l’énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution ne peut qu’avoir des conséquences dramatiques.

Quelques chiffres permettront de mesurer l’ampleur de la crise qui affecte ce secteur essentiel pour notre pays. Si l’on en juge par les moyennes triennales, le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’a pas évolué depuis 1995. Les revenus des exploitations familiales et de taille modeste ont même baissé, plongeant des milliers de paysans et leurs familles dans la pauvreté.

Comment en sommes-nous arrivés là ? S’agissant de la formation des prix, nous ne disposons pas de données aussi précises qu’il le faudrait : le premier rapport annuel de l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d’informations fournies par les distributeurs. Il a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines pratiques. Ainsi, sur plusieurs produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans.

L’exemple de la longe de porc l’illustre. En 2000, 45 % du prix final de ce produit revenait à l’éleveur, contre seulement 36 % aujourd’hui. La part de l’industriel chargé de l’abattage a également chuté de 11 à 8,8 %. En revanche, le distributeur a considérablement augmenté sa marge, puisqu’il touche aujourd’hui 55 % du prix final, contre 39 % en 2000.

Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par les évolutions législatives récentes, en particulier la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l’économie. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs dans la négociation : tous les responsables du monde agricole en conviennent. Les pratiques contractuelles de la grande distribution – politique active d’importation en fonction de l’arrivée des productions françaises sur les marchés, par exemple – maintiennent une pression à la baisse des prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Dans ces conditions, comment s’étonner que les exploitations agricoles connaissent autant de difficultés ? De 2000 à 2010, le nombre d’exploitations a diminué de 26 %, et l’emploi agricole de 22 %. Ce sont évidemment les petites et moyennes exploitations, les exploitations familiales, qui ont payé le plus lourd tribut, alors que le nombre de très grandes exploitations s’est accru. L’extrême concentration du nombre d’exploitations sur le territoire national doit nous interpeller sur les caractéristiques du tissu rural en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité de notre pays à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine.

Pourtant, pour les consommateurs, les prix alimentaires ont crû de 2 % par an, avec des hausses allant jusqu’à 13,5 % pour les produits frais. Certes, la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 20 % dans les années 1960 à 13 % aujourd’hui, mais la consommation de fruits et légumes frais n’a pas progressé depuis cinquante ans. On le sait, la consommation de produits frais est directement liée au pouvoir d’achat des ménages et à leur catégorie socio-professionnelle. Une politique de l’alimentation ambitieuse suppose donc, en priorité, de soutenir la demande de produits frais pour les foyers les plus modestes.

Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable de réguler – pour employer un concept redevenu à la mode – les marges et les pratiques de la grande distribution, avec la double ambition d’une alimentation de qualité accessible à tous et d’une rémunération digne du travail paysan. C’est précisément l’objectif du présent texte, qui propose trois outils pour cela.

L’article 1er applique un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles. L’objectif est d’étendre l’application d’un dispositif qui a existé de 1945 à 1986, avant d’être réintroduit en droit français en 2005 pour le secteur des fruits et légumes, sans toutefois être mis en œuvre. Le coefficient multiplicateur tend en fait à limiter les taux de marge des distributeurs. Le principe en est simple : l’État fixe un coefficient, sous la forme d’un taux plafond, entre le prix d’achat au producteur et le prix de vente au consommateur. Pour une efficacité optimale, cette mesure s’appliquerait évidemment à toute la chaîne des intermédiaires.

L’article 2 propose de définir un prix minimum – indicatif, afin de ne pas contrevenir à la réglementation européenne – pour chacune des productions. Ce prix serait défini au niveau interprofessionnel, via une concertation au sein de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, FranceAgriMer.

L’article 3 institue une conférence annuelle par production, regroupant l’ensemble des acteurs des différentes filières – fournisseurs, distributeurs et producteurs –, en élargissant le champ de la représentativité syndicale agricole aux organisations minoritaires. Cette conférence annuelle donnerait lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix, et fixerait un plancher pour les prix d’achat aux producteurs. Les auditions que j’ai menées me conduisant à penser qu’un consensus est possible ; je défendrai, en séance publique, un amendement tendant à modifier la rédaction de cet article.

Une véritable logique articule donc les articles 2 et 3 : celui-ci complète celui-là en créant un prix plancher qui pourra servir de référence à la définition du prix minimal indicatif, avec l’objectif de modérer les marges de la distribution.

Par ailleurs, les associations de consommateurs auraient toute légitimité à participer aux négociations sur les prix : je défendrai donc un amendement en ce sens lors de l’examen en séance.

Alors que l’Europe a démantelé la plupart de ses instruments de gestion des marchés et déconnecté les aides de la production, afin de les supprimer plus facilement à l’avenir, les paysans se tournent vers l’État, lequel se tourne vers le G20 et vers l’Europe.

Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres : on ne peut les échanger sur des marchés mondialisés où la spéculation règne en maître, mettant en péril tant la survie de nos exploitations que l’autosuffisance alimentaire de l’Europe et, in fine, l’équilibre alimentaire mondial. Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture, tandis que s’opère un véritable racket sur les consommateurs, captifs des hypermarchés. Les mesures que je vous présente ne visent qu’à rétablir un juste équilibre entre tous les acteurs de la filière, au bénéfice des consommateurs.

Cette proposition de loi n’entend évidemment pas résoudre, à elle seule, tous les problèmes du monde agricole, mais apporter une première réponse concrète à la question des prix et des revenus. Je souhaite donc que ces mesures, bien entendu amendables, recueillent un large assentiment de notre commission : elles redonneraient un véritable espoir à des agriculteurs à bout de souffle, et ce sans pénaliser les consommateurs. Je vous donnerai, s’il en est besoin pour vous convaincre, les résultats d’un sondage réalisé par la TNS Sofrès du 27 au 30 mai 2011 pour le compte de la Semmaris, société gestionnaire du marché international de Rungis, sur le thème : « Quelles régulations pour l’agriculture et l’alimentation des citoyens ? » À la question : « l’État doit-il aider les producteurs à fixer leurs prix face aux distributeurs ? », 77 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables, contre 14 % qui estiment qu’il faut laisser les prix se fixer librement. Les raisons invoquées pour expliquer les principales difficultés du monde agricole français sont, dans l’ordre, la difficulté de vendre les produits agricoles au juste prix, la concurrence d’autres pays et le faible pouvoir de négociation des agriculteurs face aux distributeurs industriels.

M. Jean Gaubert. Nous connaissons une évolution de long terme, qui voit les prix d’achat baisser et les prix de vente augmenter. Le débat n’est pas nouveau, et l’on n’a cessé de le différer en nous promettant des solutions. De fait, la LMAP a créé un observatoire qui a le mérite d’exister, mais auquel on n’a pas voulu donner les moyens d’agir.

Si les aides européennes sont déterminantes dans certains secteurs, la majorité des agriculteurs, notamment dans les filières des fruits et légumes, du porc et de la volaille, tirent leurs revenus des prix de vente ; au surplus, ces produits ne sont guère stockables, contrairement au vin et à la sardine, qui sont même bonifiés par le stockage.

La part de l’alimentation dans le budget des ménages a considérablement décru, pour atteindre des proportions sans doute déraisonnables. Les gesticulations visant à augmenter le pouvoir d’achat par la baisse des prix n’ont d’autre effet que d’accroître les tensions sur les revenus des agriculteurs ; il en va de même, d’ailleurs, pour les produits manufacturés : toute baisse des prix se répercute sur les salaires, quand elle ne se traduit pas par des délocalisations.

Dans ce contexte, le coefficient multiplicateur peut être une solution : on la critique souvent, mais le fait est que l’on n’en trouve pas d’autres. Elle permettrait notamment de réguler le marché en subordonnant la marge du distributeur au coût d’achat du produit. S’il faut veiller à ne pas rendre ce coefficient inflationniste, il ne me semble pas anormal de contrôler les marges, d’autant qu’elles sont proportionnellement plus élevées sur les produits à bas prix.

Quant au prix indicatif, il fut adopté pour les producteurs de lait : le sujet mérite donc que l’on y réfléchisse.

Enfin, des progrès sont nécessaires sur l’étiquetage des provenances. C’est ce que souhaitent les consommateurs, mais les industriels résistent car ils subissent eux-mêmes les pressions de la grande distribution, réticente à toute transparence sur les produits ou éléments importés. L’éthique et la transparence exigent pourtant que le consommateur sache où le produit a été, non seulement assemblé, mais fabriqué. Je proposerai donc, d’ici à l’examen en séance, un amendement sur le sujet.

En tout état de cause, le groupe SRC soutient cette proposition de loi.

M. Jean Dionis du Séjour. Si le diagnostic de M. le rapporteur contient des éléments incontestables, les solutions proposées ne sont pas forcément adaptées.

La première d’entre elles est le coefficient multiplicateur. Nous en avons régulièrement défendu le principe, puisque c’est un amendement du sénateur centriste Daniel Soulage qui, en 2005, l’a introduit dans la loi, traduisant une volonté affichée par l’UDF depuis 2002. M. le rapporteur a néanmoins raison de dire que cet outil n’a jamais été utilisé : si le Gouvernement a été trop timide, la profession, à travers ses représentants syndicaux, s’est également montrée divisée. Reste que la crise de 2011 a été une occasion manquée d’appliquer ce coefficient pour les concombres et les tomates.

Cependant je suis réservé sur sa généralisation, car les marchés de fruits et légumes sont extrêmement volatils ; qui plus est, l’Union européenne s’y opposerait sans doute.

Pourquoi pas, par ailleurs, un prix minimum indicatif pour chaque type de production ; mais ce prix renvoie au prix de revient, lequel dépend des coûts de production et, par conséquent, peut varier grandement. La faiblesse de cette proposition de loi, d’ailleurs, est de délaisser la question des coûts, partant de la compétitivité de notre agriculture.

Je ne crois pas, compte tenu de la diversité des produits – et notamment des fruits et légumes –, à cette grand-messe que serait la négociation annuelle des prix de production. La meilleure des pistes, à défaut d’être la solution parfaite, reste donc la contractualisation.

Enfin, je le répète, il faut intensifier les efforts sur les coûts de production : c’est la meilleure façon d’aider les agriculteurs.

Bien qu’il juge le texte intéressant, le groupe Nouveau Centre, sceptique sur la généralisation du coefficient multiplicateur et la conférence annuelle, s’y opposera.

M. Pierre Gosnat. Cette proposition de loi s’appuie sur des faits connus de tous : le partage de la valeur ajoutée au sein du secteur agricole est de plus en plus déséquilibré en faveur de la grande distribution.

Ce déséquilibre n’est pas le fruit du hasard : il résulte de plus de trente années de déréglementation des échanges agricoles à l’échelle internationale et communautaire, mais aussi nationale. Couplée à la suppression des outils de gestion des marchés, cette déréglementation a mis les agriculteurs sous la dépendance de l’aval, c’est-à-dire de la grande distribution.

Celle-ci impose ses exigences de prix cassés à l’achat pour s’assurer des marges exorbitantes. Face à cette situation, l’encadrement des prix ne doit pas être considéré comme un tabou ou un horizon dépassé. Afin de répondre aux besoins actuels, les députés du groupe gauche démocrate et républicaine ont voulu être constructifs en proposant des mécanismes simples et immédiatement applicables : coefficient multiplicateur, définition de prix minimum indicatifs et tenue d’une conférence annuelle sur les prix.

Ces mesures peuvent répondre rapidement aux besoins des producteurs de fruits et légumes et leur assurer des prix décents. Chaque année, ils sont en effet victimes de la même hypocrisie : il leur est tout simplement impossible d’écouler leurs produits de qualité à un prix qui couvre seulement les coûts de production.

Il en va de même pour les producteurs de lait ou de viande, qui sont soumis aux exigences des industriels et de la distribution. Avec la suppression des quotas laitiers en 2015, la concurrence sera toujours plus féroce sur les prix, tandis que le mirage d’une contractualisation équitable ne cesse de s’éloigner.

À ce sujet, je dois revenir brièvement sur l’inefficacité de la loi de modernisation de l’agriculture adoptée l’an dernier. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les producteurs laitiers refusent la contractualisation, qui, bien qu’elle leur soit vendue comme un miracle, se fait toujours sur le dos des mêmes ; les producteurs de fruits et légumes, eux, ne croient pas davantage à la solution divine du renforcement des organisations de producteurs. Quant à la gestion des risques climatiques par l’extension de l’assurance privée, elle prête à sourire puisqu’il a fallu réhabiliter soudainement, en cette année 2011, un fonds public de garantie des calamités.

Je n’irai pas plus loin sur le bilan du Gouvernement en matière de prix et de revenus agricoles ; je préfère m’en tenir au fond du problème, qui touche les producteurs comme les consommateurs. Les différents outils contenus dans cette proposition de loi peuvent contribuer à modifier la donne : ils méritent d’être retenus, même s’ils restent amendables ; ils sont d’ailleurs largement soutenus par le monde agricole. Si nous attendons encore six mois ou un an, il est à craindre que des milliers d’autres exploitants se voient condamnés à cesser leur activité : faute de décisions politiques courageuses en matière de prix, la représentation nationale accompagnera la dislocation de notre tissu agricole, de ses spécificités et de ses productions reconnues.

Cette proposition de loi, présentée dans le cadre d’une niche parlementaire réservée à l’opposition, traduit la constance et la ténacité de notre groupe à porter la question des prix et des revenus agricoles devant la représentation nationale. Elle apporte des réponses concrètes aux principales préoccupations des agriculteurs ; c’est pourquoi je vous invite à la soutenir.

M. Louis Cosyns. Nous partageons tous les préoccupations exprimées par M. le rapporteur sur les prix et les marges. On ne peut toutefois ignorer les orientations du Gouvernement en la matière. En premier lieu, une stratégie a été mise en œuvre afin d’assurer un juste partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production. Cette stratégie écarte la logique des prix administrés, laquelle, en plus d’être contraire au droit, serait contreproductive dans une économie de marché.

La loi de modernisation de l’agriculture a créé les conditions d’une juste rémunération des producteurs en renforçant leur pouvoir de négociation, en améliorant la transparence sur les prix tout au long de la chaîne de production et en assurant une meilleure prise en compte des fluctuations des matières premières agricoles. Elle a également institué l’Observatoire des prix et des marges, qui, en juin dernier, a remis un premier rapport au Parlement. Le Gouvernement entend ainsi que toutes les parties prenantes, notamment la grande distribution, jouent le jeu. Un premier accord a été signé le 3 mai 2011 entre les acteurs de la filière, afin de favoriser la réouverture de négociations commerciales en cas de variations excessives, à la hausse ou à la baisse, des coûts de production.

Un second accord a été signé le 15 juin 2011 entre les filières végétales et animales pour garantir aux éleveurs une plus grande stabilité des prix de l’alimentation animale, dans un contexte de volatilité des matières premières agricoles toujours plus forte.

Dans le même esprit, le Président de la République a présidé à la signature, le 17 mai 2010, d’accords volontaires de modération des marges dans la filière des fruits et légumes en cas de crise conjoncturelle.

Bref, tout est fait pour garantir le revenu de nos producteurs, même si l’on peut encore constater quelques problèmes. La LMA est un texte relativement récent : laissons-la vivre, nous lui apporterons sans doute des améliorations dans l’avenir.

J’en viens aux articles.

L’instauration d’un coefficient multiplicateur proposée à l’article 1er ne garantit pas le relèvement mécanique du prix à la production. Il n’a pas paru opportun, dans la discussion de la LMA, de généraliser ce mécanisme : si l’on impose un coefficient aux enseignes, on prend le risque que celles-ci se détournent du produit au bénéfice d’un produit dont les conditions de vente ne seraient pas encadrées.

En outre, depuis le 17 mai 2010, les principales enseignes de la distribution se sont engagées à modérer leurs marges sur les fruits et légumes frais en période de crise conjoncturelle.

Quel serait l’intérêt d’instaurer le prix minimum indicatif prévu à l’article 2 ? S’il s’agit d’informer chacun des acteurs de la filière sur les coûts de production maillon par maillon, l’Observatoire de la formation des prix et des marges joue déjà ce rôle.

Enfin, le prix plancher de l’article 3 constitue une aide aux producteurs. Il est, de ce fait, contraire aux droits communautaire et du commerce international.

Le groupe UMP ne soutiendra pas cette proposition de loi.

Mme Laure de La Raudière. Sur quelque sujet que s’exprime André Chassaigne, on a toujours envie de le croire. Est-ce dû au timbre de sa voix, à son talent d’orateur ? Je crains pourtant qu’il ne s’agisse d’un chant des sirènes !

Tout comme les dispositions proposées tout à l’heure par M. Gosnat sur les loyers, celles que nous examinons sur les prix alimentaires sont des promesses. Mais elles ne peuvent marcher d’un point de vue économique. Il faut être réaliste : si l’on veut faire baisser les prix alimentaires dans la grande distribution, le principal axe est, comme l’a souligné M. Dionis du Séjour, l’amélioration de la compétitivité de l’agriculture française. L’encadrement des prix et des marges donnera lieu à toutes sortes de dérives et à une débauche d’imagination pour contourner la réglementation. Il ne résoudra pas le problème diagnostiqué par M. Chassaigne. Cela n’a jamais marché dans le passé, pourquoi cela marcherait-il aujourd'hui ?

M. Jean Gaubert. Cela n’a jamais été essayé !

Mme Laure de La Raudière. Si. Les prix ont déjà été encadrés plusieurs fois, vous le savez bien !

M. Pierre Gosnat. Ce sont les dispositions actuelles qui ne marchent pas !

Mme Laure de La Raudière. Bref, ce chant des sirènes ne sera pas suffisant pour que je vote cette proposition de loi.

M. Kléber Mesquida. Je m’interroge quant au titre du texte. Certains lobbyistes, voyant qu’il est fait mention des « produits alimentaires », ne risquent-ils pas d’écarter les produits de la viticulture, quitte à contester la qualité de savant de Pasteur, qui avait affirmé à juste titre que le vin est un aliment ?

Ces dernières années, les négociants ont proposé aux viticulteurs des prix qui se situaient en deçà du prix de revient brut. Il faut s’interroger à cet égard sur l’interdiction de certains produits phytosanitaires en France alors que l’Espagne les autorise, laisse traiter ses vignes et ensuite exporte ses vins dans notre pays. Les mêmes réglementations devraient s’appliquer à l’ensemble de l’Europe.

Si toutes les mesures d’encadrement et d’incitation sont les bienvenues, nous devons veiller à ce qu’une réduction des marges s’accompagne toujours d’une référence aux prix réels de production. Si l’on interdit les culbutes et les trop forts pourcentages de plus-value, le prix d’achat ne doit en aucun cas faire perdre de l’argent à ceux qui vont travailler tous les matins dans leur exploitation.

Je suis donc favorable à ce texte, qui devra néanmoins faire l’objet de quelques amendements. Il conviendra notamment, à côté des négociants et de la grande distribution, de discipliner les metteurs en marché dont les pratiques carnassières causent de grandes difficultés les agriculteurs et les viticulteurs.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Un coefficient multiplicateur pourrait à la limite suffire, à charge pour les filières de déterminer le prix de départ et le prix d’arrivée. Mais la France ne vit pas en vase clos. Nos principaux concurrents, sur le marché des fruits et légumes, sont espagnols, italiens, etc. La grande distribution a tout loisir de s’approvisionner en tomates produites au Maroc, par exemple.

Souvent, par méconnaissance du marché, ce sont nos producteurs eux-mêmes qui se tirent une balle dans le pied en faisant un peu n’importe quoi à la baisse, sous la pression d’acheteurs qui font valoir qu’ils peuvent acheter moins cher ailleurs même si ce n’est pas vrai. La solution serait de s’entendre sur les prix. Mais c’est un tabou. Depuis des décennies, la priorité est donnée à la défense du consommateur et au prix que celui-ci paie. Or, chaque fois que l’on a voulu intervenir sur les prix à la consommation, la distribution l’a fait payer à la production. En défendant le consommateur, on a tué le producteur. Et maintenant que l’on ne crée plus assez de richesse en raison de la baisse de la production, on se retourne vers le consommateur en augmentant la TVA !

Il serait plus simple d’autoriser les producteurs à s’entendre sur les prix. Face à eux, les acheteurs garderont la possibilité d’acheter à l’étranger, si bien que les prix ne se trouveront pas considérablement augmentés pour autant. Tout au moins évitera-t-on à nombre de producteurs d’arrêter de vendre en dessous de leur coût de production.

M. Thierry Lazaro. Pour les raisons évoquées, je partage la position du groupe UMP. Pour autant, ce n’est en effet pas la première fois que l’on a envie de suivre André Chassaigne – sans doute, en ce qui me concerne, un vieux fond de communisme qui me vient de mon parcours de militant gaulliste indécrottable !

Le constat de M. Chassaigne sur la grande distribution, auquel je souscris, ne concerne pas seulement l’agriculture. Les outils dont nous disposons aujourd'hui sont-ils assez efficaces ? Je n’en suis pas persuadé. Alors que mon département présente la plus forte concentration d’hypermarchés en France, sa démographie est paradoxalement en baisse.

La plus grande partie des produits manufacturés vendus par la grande distribution est importée de pays à bas coût de main-d’œuvre, où sévit parfois le travail des enfants. Les évolutions sont de plus en plus rapides. Elles doivent nous conduire à revenir rapidement sur les dispositifs existants. Si, hier, la richesse se trouvait dans la production d’une façon relativement équilibrée, les nouveaux « ultra-riches » d’aujourd'hui sont dans la grande distribution. Je trouve cela très choquant.

Je relève enfin qu’une ville communiste voisine de la mienne vient d’installer un grand centre commercial. Si les maires, de droite comme de gauche, étaient moins nombreux à céder aux sirènes de la grande distribution, nous n’en serions peut-être pas là aujourd'hui !

M. le rapporteur. Toutes vos interventions vont au cœur du sujet. Quelle que soit la sensibilité politique des orateurs, j’ai pleine conscience des problèmes qu’ils mettent en avant, notamment la difficulté à mettre en œuvre le coefficient multiplicateur, les blocages qu’engendre la réglementation européenne, la difficulté de réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs.

En présentant ce texte, notre groupe essaie d’apporter des réponses. Les auditions que j’ai menées, dans le temps limité qui m’était imparti, confirment la plupart de vos propos. Je le dis en toute transparence, elles ont révélé à quel point il est difficile de concrétiser ce que je propose.

Je ne mets pas en doute que l’on ait eu la volonté d’apporter des réponses par le passé, mais les réponses sont peu efficaces. La contractualisation mise en place par la loi de modernisation de l’agriculture, par exemple, devait garantir des prix aux producteurs. Or cela ne marche pas, au point que les producteurs ne signent pas les contrats.

Le développement des interprofessions est également un échec relatif. Leur rôle est plus d’offrir du volume aux acheteurs, notamment aux centrales d’achats, que de régler le problème du prix payé au producteur.

C’est pour apporter des réponses à ces problèmes que j’ai proposé un nouvel outil. Certes, comme plusieurs intervenants l’ont souligné, il faut apporter des améliorations à mon texte.

Devrait-on par exemple établir un dispositif de coefficient multiplicateur permanent, auquel cas il faudrait inscrire dans la loi un mécanisme de déclenchement – comme il en existe un aujourd'hui pour les fruits et légumes –, permettant de garantir un revenu minimum en période de crise ? Je suis tout disposé à examiner des amendements en ce sens.

De même, l’application d’un coefficient multiplicateur à l’ensemble des produits alimentaires ne va pas de soi. Le niveau de transformation du produit peut rendre complexe la mise en œuvre d’un coefficient sur l’ensemble de la chaîne. Mais on a réalisé des progrès en la matière. L’Observatoire des prix et des marges – dont la création est le grand acquis de ces dernières années sur ces questions – est capable de réaliser les calculs nécessaires.

S’agissant des importations, je prends note des mesures d’étiquetage proposées, mais je souligne que le coefficient multiplicateur peut s’appliquer aux produits importés. Aujourd'hui, on importe pour casser les prix de nos productions, notamment les productions saisonnières. Or, avec un coefficient multiplicateur sur les importations, la grande distribution n’aura plus intérêt à acheter à des prix très bas à l’étranger puisque sa marge bénéficiaire sera beaucoup plus étroite.

Le dispositif demande à être travaillé davantage pour éviter les effets pervers, je le conçois bien, mais cette réponse peut être mise en place et elle n’épargne pas les importations.

Pour ce qui est du prix minimum indicatif, je conviens qu’il existe un réel problème au regard de la réglementation européenne. En revanche, l’article 3 peut sans doute nous réunir dès lors que nous en aurons modifié la formulation.

Les responsables de l’Observatoire et de FranceAgriMer l’ont souligné lorsque je les ai rencontrés : on est capable de dresser le constat de la situation, mais ce constat n’aboutit pas à une action concrète. Une conférence annuelle sur les prix par type de production permettrait de réunir tous les acteurs, grande distribution et consommateurs compris. De l’avis de tous mes interlocuteurs, il faut se parler. Or, les contacts n’existent pas aujourd'hui. Les échanges noués dans une conférence annuelle pourraient aboutir à la mise en œuvre des conclusions de l’Observatoire des prix et des marges sur le prix de revient des produits, l’évolution des charges et des coûts, l’augmentation du prix des intrants, etc.

En créant cet outil, nous serions à même d’établir un socle de négociation assorti d’indicateurs. Certains pays le font : au Canada, par exemple, l’évaluation du coût de production à partir des charges et des revenus de l’agriculteur se traduit par la fixation d’un prix minimum permettant à chacun de vivre.

S’il faut en effet s’attaquer aux marges, il se pose également un problème de civilisation, de mode de vie, de consommation et de production, que nous nous devrons bien un jour prendre à bras-le-corps.

Vous comparez mon discours à un chant des sirènes, madame de La Raudière. J’en suis flatté, cela vaut mieux qu’un chant du cygne !

Reste que le texte est amendable. J’espère que l’examen en séance publique nous permettra de nous mettre d’accord, non pas sur un plus petit dénominateur commun, mais sur une ou deux actions qui permettraient aux agriculteurs de mieux vivre de leur travail, et aux consommateurs d’être également bénéficiaires au bout de la chaîne.

La Commission procède à l’examen des articles de la proposition de loi.

II.— EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

(article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime)

Cœfficient multiplicateur

L’article 1er a pour objet l’application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires

1. Historique

Le coefficient multiplicateur a été mis en place à la Libération afin de protéger les paysans et les consommateurs des pratiques abusives des intermédiaires, notamment en matière de marges, et cela dans une optique de souveraineté alimentaire de la nation.

L’objectif était alors de permettre la satisfaction des besoins des Français par une maîtrise publique et d’empêcher les spéculateurs de déstabiliser les prix et de déclencher des crises, comme cela fut le cas dans les années 1930.

Exemple de tableau de fixation d’un coefficient multiplicateur : « Pourcentage de marge commerciale et coefficients multiplicateurs T.T.C. correspondants avec TVA à 5,5 % », in « La commercialisation des produits agricoles et agroalimentaires », Louis Lagrange, Collection Agriculture d’aujourd’hui, Techniques et documents, Lavoisier, 1989.

C’est suite à la demande des représentants de la grande distribution que le coefficient multiplicateur instauré à la Libération a été supprimé en 1986 par le gouvernement de M. Jacques Chirac. L’entrée des pays d’Europe du sud dans le marché commun et les perspectives d’ouverture des frontières extra communautaires, inscrites dans les projets européens et du GATT (devenu aujourd’hui OMC) semblaient alors offrir des possibilités d’achat de marchandises à bas prix, voire très bas prix, sur le marché mondial, avec lesquelles le coefficient multiplicateur ne cadrait pas. En effet, ce dernier obligeait la grande distribution à acheter les produits d’importation à un prix élevé pour pouvoir continuer à dégager des marges correctes. Il contraignait par ailleurs les grandes et moyennes surfaces (GMS) à appliquer des prix à la revente très faibles sur les produits importés achetés à bas prix. Ces deux effets étaient profondément contraires à la recherche de profits des grands groupes de la distribution.

2. Droit en vigueur

Ce dispositif a pourtant été réintroduit dans le droit français par l’article 23 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux issu d’un amendement sénatorial. Il fait l’objet de l’article L. 611-4-2 du code rural et ne concerne actuellement que les fruits et légumes. Son déclenchement est laissé à la libre appréciation des ministres chargés de l’économie et de l’agriculture.

En période de crises conjoncturelles définies à l’article L. 611-4 du code rural ou en prévision de celles-ci, les ministres concernés peuvent ainsi décider de l’application d’un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des fruits et légumes périssables à un taux et pour une durée qu’ils définissent, dans la limite toutefois de trois mois. Ils établissent la liste précise des produits visés par cette mesure.

Si, depuis l’instauration de ce dispositif, son activation a été évoquée à plusieurs reprises, jamais cette démarche n’a été concrétisée. L’idée selon laquelle le coefficient multiplicateur serait en quelque sorte une « arme de dissuasion » à l’égard des distributeurs a depuis été largement répandue, si bien qu’au plus fort de la crise des fruits et légumes de 2011, il n’a même pas été question d’y avoir recours ! Pourtant, les prix d’achat des melons, poires, prunes, tomates ou encore concombres étaient inférieurs de 15 à 45 % à la moyenne des cinq dernières années, provoquant des situations dramatiques pour des agriculteurs déjà touchés par des années de crise.

3. Proposition de loi

Le présent article a pour objet l’application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires

En effet, si le coefficient multiplicateur était utilisé, il constituerait un outil très efficace pour éviter les situations dans lesquelles les producteurs sont obligés de travailler à perte.

En outre, cela permettrait de protéger les consommateurs contre les augmentations injustifiées des prix. Une hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité a par exemple été annoncée le 23 mars 2011 par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) en raison de la flambée des prix des matières premières agricoles.

L’exemple du blé (rapport n° 3863) sur le prix des matières premières, de Mme Catherine Vautrin et de M. François Loos

Après une augmentation constante depuis le début des années 2000, le prix du blé a véritablement explosé entre 2007 et 2008 (hausse de 190 %), le boisseau (soit 27,2 kg) passant de 4,60 $ en avril 2007 à 13,18 $ en mars 2008, la tonne ayant même été négociée au prix astronomique de 272 euros au coeur du mois d’août 2007. Face à une dégradation des conditions météorologiques et une hausse importante de la demande (notamment de l’Égypte), les prix se sont donc envolés au détriment des pays les plus pauvres. Puis, brusque retournement de situation, les récoltes ayant été abondantes, le climat plus favorable et les stocks s’étant quelque peu reconstitués, le prix du boisseau a fortement diminué pour finalement atteindre 7,31 $ en mai 2008. Après avoir atteint environ 120 euros la tonne en octobre 2009, le cours du blé a de nouveau entamé une hausse longue et persistante à compter du mois de juin 2010.

Il ne s’agit pas de nier la hausse du coût de certaines matières premières, mais les répercussions des prix obéissent également à d’autres facteurs.

Les prix des farines devraient ainsi progresser en moyenne de 15 à 20 %. Celui des pâtes de 5 à 10 %, le pain de 5 à 7 % et les biscuits entre 3 et 10%. Cette inflation ne sera pas indolore pour les Français, qui consacrent en moyenne 13,6 % de leur budget à l'alimentation, d'après l'INSEE.

La FNSEA a déclaré être « scandalisée » par l'ampleur des hausses annoncées et « l'opacité » qui entoure ces augmentations. Le syndicat agricole a notamment fustigé la hausse du prix du pain : la part de la matière première est minime pour ce dernier où le blé ne représentant qu'environ 5% du coût. « La grande distribution ou les intermédiaires doivent d'abord rendre ce qu'ils ont capté en période de baisse des matières premières agricoles, avant d'envisager une hausse des prix », a par ailleurs estimé M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir(8). Cette augmentation annoncée des prix alimentaires n'est pas sans rappeler l’année 2008, où ils avaient grimpé de 5,2% en moyenne annuelle, estime enfin l'Insee.

En conséquence, le présent article propose une réécriture de l’article L. 611-4-2 du code rural (alinéa 1). En premier lieu, il est indiqué que le coefficient multiplicateur s’applique « entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires » et non plus des seuls fruits et légumes périssables (alinéa 2). En outre, ce coefficient est supérieur dans le cas de la vente assistée.

La référence à l’article L. 611-4 du code rural définissant les crises conjoncturelles est supprimée. L’alinéa 3 dispose qu’« après consultation des syndicats et organisations professionnelles agricoles, les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture fixent le taux du coefficient multiplicateur, sa durée d’application et les produits visés. » Le présent article rajoute donc à la liste des consultations préalable les syndicats agricoles, ce qui parait une nécessité. Il supprime la limitation de trois mois de l’application du coefficient multiplicateur.

Enfin, l’alinéa 4 reprend à l’identique les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 611-4-2 du code rural qui renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les modalités d’application de cet article ainsi que les sanctions applicables en cas de méconnaissance de ses dispositions.

À la suite des auditions qu’il a effectuées, votre rapporteur a décidé de déposer un amendement en séance sur cet article afin d’introduire la possibilité de différencier le coefficient multiplicateur applicable, en tenant compte notamment de la taille des distributeurs pour prendre en compte les contraintes et les besoins spécifiques des petits commerçants.

*

* *

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 1.

Article 2

Prix minimum indicatif par production

L’article 2 a pour objet la définition d’un prix minimum indicatif pour chacune des productions.

1. Droit existant

Le droit européen de la concurrence (articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ainsi que le droit français (articles L.420-1 et L.420-2 du code de commerce) interdisent les ententes et les abus de position dominante.

– Par le terme « entente », on désigne notamment tout partage de marché, fixation de quota de production ou accord sur les prix entre entreprises. Un régime d'exemption peut cependant autoriser un certain type de coopération qui améliore la distribution de produits ou permet le progrès technique, dans un secteur d'activité donné.

– Les abus de position dominante visent les cas où, lorsqu'une entreprise domine un marché donné, elle profite de cette situation pour imposer des conditions de vente déloyales : prix abusifs, accords de vente exclusifs, primes de fidélité visant à détourner les fournisseurs de leurs concurrents. On parle alors d'abus de position dominante.

Les règles de la concurrence appliquée à l’agriculture connaissent certains aménagements en raison des spécificités de ce secteur. Elles sont définies par le règlement (CE) n° 1184 /2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles. Trois exceptions au droit de la concurrence sont prévues :

– celles s’insérant dans une organisation nationale de marché,

– celles nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC dans le cadre des organisations communes de marché,

– celles entre exploitants agricoles et coopératives les regroupant.

Ces exceptions sont toutefois strictement encadrées.

Droit européen de la concurrence appliqué à l’agriculture (extrait du rapport n° 2086, Droit au revenu des agriculteurs, M. André Chassaigne, annexe 1)

Les spécificités de l’application du droit de la concurrence en agriculture résultent de l’articulation de plusieurs textes communautaires. L’article 42 du Traité sur l’Union européenne (ancien article 36) laisse au Conseil et au Parlement européen le soin de déterminer dans quelle mesure les règles communautaires de concurrence s’appliquent à la production et au commerce des produits agricoles, en tenant compte des objectifs de la politique agricole commune (PAC). Ces objectifs, énumérés par l’article 39 (anciennement 33), sont les suivants: accroissement de la productivité, garantie apportée à la population agricole d’un niveau de vie équitable, stabilisation des marchés, sécurité d’approvisionnement et prix raisonnable pour le consommateur.

Le règlement (CE) n° 1184 /2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles prévoit trois exceptions au droit de la concurrence : celles s’insérant dans une organisation nationale de marché, celles nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC dans le cadre des organisations communes de marché et celles entre exploitants agricoles et coopératives les regroupant. Ces exceptions sont strictement encadrées.

Les accords dans le cadre d’une organisation nationale de marché sont interprétés de façon très restrictive, dans la mesure où la Commission a une marge d’appréciation importante. En 1974, dans l’affaire Frubo, la Cour de Justice des Communautés européennes avait approuvé la Commission pour avoir sanctionné un accord imposant une exclusivité d’approvisionnement en fruits et légumes sur les places de ventes aux enchères, au motif que l’accord n’était pas indispensable pour assurer la productivité de l’agriculture ou pour assurer un niveau de vie équitable pour la population agricole. En 1995, la Cour a jugé contraires au droit de la concurrence certaines dispositions statutaires de sociétés coopératives laitières qui imposaient le paiement d’une indemnité de départ aux adhérents désireux de quitter la coopérative. Elle a en effet estimé que si des restrictions pouvaient être imposées aux adhérents pour garantir leur fidélité et constituer en cela un facteur d’efficacité, elles ne pouvaient excéder ce qui est nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de la coopérative et en particulier, lui garantir une base commerciale suffisamment large et une certaine stabilité de la participation sociale.

Plus récemment, en 2003, l’affaire de la viande bovine française a eu un fort retentissement. Alors que ce secteur traversait une crise sanitaire et économique grave, les autorités françaises avaient pris des mesures pour tenter de rééquilibrer la situation : suspension des importations et application d’une grille de prix d’achat minimum de la viande par les transformateurs. La Commission européenne a estimé dans une décision du 2 avril 2003, confirmée par le Tribunal de première instance, dont l’arrêt fait l’objet d’un recours devant la Cour, que ces mesures constituaient une violation de deux principes fondateurs du droit communautaire, la libre circulation des marchandises et la liberté des prix.

Dans le rapport d’information sur la filière laitière, le Sénat fait l’analyse suivante : « Les accords passés dans ce cadre ne sont pas considérés comme licites s’ils ne sont ni le seul moyen ni le meilleur pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune. Un accord conclu dans une organisation nationale de marché doit par ailleurs favoriser la réalisation de l’ensemble des objectifs de la PAC et pas seulement quelques uns d’entre eux, condition qu’il est très difficile de remplir. En tout état de cause, comme l’a montré l’affaire de la viande bovine en 2003, des accords sur les prix constituent des infractions au droit de la concurrence systématiquement sanctionnées ».

Les organisations communes de marché (OCM) prévoient des règles particulières portant notamment sur les normes de commercialisation, la mise en place d’organisations de producteurs autorisées à réguler l’offre et les mises sur le marché des produits, à optimiser les coûts de production, à mettre en place des contrats types, à promouvoir la qualité des produits et à orienter la production vers certains débouchés. Les dispositions contenues dans les OCM exemptent ce type d’activités de l’application du droit de la concurrence, mais à des conditions strictes. Sont ainsi interdits les accords de cloisonnement de marché, les distorsions de concurrence non nécessaires à la satisfaction des tous les objectifs de la PAC et les mesures aboutissant à la fixation des prix ou à des discriminations. Les marges de manœuvre sont donc quasiment nulles pour mettre en œuvre des accords ou pratiques se réclamant des objectifs de la PAC, qui sont supposés être contenus dans l’OCM.

Les producteurs peuvent se regrouper dans le cadre d’organisations de producteurs (OP) relevant d’un seul Etat membre et conclure ainsi des accords qui, sans fixer de prix déterminé, concernent la production ou la vente de produits, ou l’utilisation d’installations communes (stockage, traitement, transformation). Si les OP sont en principe admises dans tous les secteurs agricoles, le règlement communautaire ne l’organise que dans certains secteurs : houblon, huiles d’olive et de table, fruits et légumes et vins.

Les secteurs agricoles peuvent, comme tout secteur économique, déroger au droit de la concurrence si quatre conditions posées par l’article 101 du Traité sont réunies : contribuer à améliorer la production ou la distribution de produits ou promouvoir le progrès technique ou économique ; réserver aux producteurs une part équitable du profit ; ne pas imposer aux entreprises des restrictions non indispensables aux objectifs précités et ne pas donner à des entreprises la possibilité d’éliminer la concurrence.

Sur la base de ces principes, en France, l’Autorité de la concurrence a rendu plusieurs avis, notamment en 2008 sur l’organisation économique de la filière « Fruits et légumes ». Rappelant le caractère fragmenté, aléatoire et non stockable des produits en cause, l’Autorité de la concurrence (ex Conseil de la concurrence) conclut que l’inélasticité de l’offre peut entraîner une forte volatilité des prix susceptible de provoquer des problèmes de trésorerie pour les producteurs qui sont confrontés en outre à un rapport de force inégal avec les producteurs. Dans ce contexte, l’Autorité de la concurrence se montre favorable aux associations d’organisations de producteurs de commercialisation mais rappelle que l’OCM pose une limite à cette concentration de l’offre, à savoir l’interdiction d’aboutir à une position dominante. De même, elle ne voit pas d’inconvénient à ce que les producteurs procèdent à un échange d’informations régulier et détaillé, au motif que le marché n’est pas oligopolistique au niveau de l’offre et que les échanges d’information seraient dés lors probablement générateurs de faibles effets négatifs, en raison du caractère atomisé du marché et de l’absence de barrières à l’entrée. Un raisonnement similaire avait été suivi en 2002 dans un avis portant sur un contrat cadre relatif à la situation du marché de la pêche et de la nectarine, le Conseil de la concurrence estimant que les échanges d’informations qui seraient prohibés en situation normale parce qu’ils auraient pour objet de restreindre volontairement l’accès au marché des produits pour faire face à une chute des prix de cession, s’inscrivaient ici dans un contexte de programmation des mises en production et des apports qui sont l’essence même de l’activité des OCM.

Cependant, est affirmée l’opposition à toute démarche qui pourrait aboutir à la fixation de prix en commun. Cette pratique avait été sanctionnée dans le cadre d’un barème de prix agricoles pour le séchage du maïs et d’un mécanisme de prix de cession à la première mise en marché (avis précité du 1er octobre 2002). Le rapport précité du Sénat indique que « l’interprétation très stricte de ces conditions ne permet pas d’appliquer cette exemption de droit commun aux pratiques de régulation des marchés agricoles, en particulier aux pratiques d’encadrement des prix. Une exemption notable reste cependant admise : les accords fixant des prix minimum à la production en échanges d’exigences de qualité particulière, à condition que la concurrence entre filières de qualité demeure et que la fixation du prix au niveau du consommateur reste libre, n’ont pas été condamnées par les autorités nationale ou européenne de la concurrence ».

Ainsi, à partir de 1997, l’interprofession regroupant les producteurs et transformateurs dans le cadre du centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL) a diffusé des recommandations de prix à la production. En avril 2008, dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat des ménages notamment lié à l’envolée des prix des matières premières, la direction générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a mis en garde le CNIEL sur le risque encouru, au regard des règles de concurrence, par la mise en œuvre de telles pratiques.

Dans son avis du 2 octobre 2009 sur le secteur laitier, l’Autorité de la concurrence a également estimé que « sans préjuger de ce que l’examen d’une saisine contentieuse révélerait, l’émission de recommandations de prix au niveau national, voire au niveau régional, par l’Interprofession présente un réel risque juridique au regard des règles de la concurrence ».

2. Proposition de loi

Le présent article contribue donc à revaloriser le rôle des interprofessions en leur donnant un véritable levier d’action pour organiser les relations commerciales au sein de chaque filière. Arrêter des prix minima indicatifs en fonction par exemple du calcul de prix de revient favorise en effet la concertation au sein des filières et permet de confronter les anticipations de chacun des acteurs afin d’aboutir à une vision partagée de la conjoncture qui permette de trouver un accord sur un juste prix des produits.

En outre, dans la mesure où le prix indicatif conserve le caractère d’une simple information, non contraignante et ne pouvant être assimilée à une recommandation, il n’y a aucune raison de penser que le dispositif pourrait être contraire au droit de la concurrence.

Le présent article prévoit en conséquence qu’un prix minimum indicatif par production agricole est défini par l’interprofession compétente. Il précise que ce prix minimum indicatif fait l’objet d’une révision régulière (les recommandations du CNIEL étaient trimestrielles) notamment afin de « tenir compte de l’évolution des coûts de production et des revenus des producteurs ».

La connaissance des coûts de production pour établir un prix minimum indicatif pourrait s’appuyer sur les données déjà existantes, fournies notamment par le réseau des Instituts Techniques des filières animales et végétales (ACTA). L’Institut de l’élevage a par exemple fourni une évaluation des charges par grands types d’exploitations.

Le coût moyen du lait, France Milkboard, (d’après l’article, « le juste prix pour les bons contrats », Campagnes solidaires, n° 267, novembre 2011)

Les données permettant de calculer les prix minima existent bel et bien. Ainsi, France MilkBoard a calculé le prix du lait à partir de la base des données de l’Institut de l’élevage. En fonction des différents types d’exploitation définis par l’institut et au prorata des effectifs de chaque type d’exploitation a été construit un modèle d’exploitation française. Celui-ci ne tient néanmoins pas compte des spécificités des exploitations de montagne et des fermes en agriculture biologique.

- Charges : Pour l’exploitation type, la prise en compte des charges et des amortissements donne un prix moyen de 353 euros pour la production de 1 000 litres, hors rémunération du travail ;

- Rémunération du travail : MilkBoard considère qu’il faut en moyenne neuf heures de travail pour produire mille litres de lait, ces neuf heures comprenant l’astreinte et le travail de saison.

Milkboard considère par ailleurs qu’une unité de main d’œuvre correspond à 2 200 heures de travail par an. A raison de neuf heures pour mille litres, une unité de main d’œuvre ne peut assurer que 250 000 litres par an

Le salaire net moyen des salariés intermédiaires du secteur privé ou semi- public s’élève à 2 069 euros par mois, soit 24 828 euros par an.

Si l’on applique ces chiffres au secteur laitier, cela donne le calcul suivant : 24 828 euros pour 250 000 litres = 99 euros pour 1 000 litres.

En outre, Milkboard estime qu’il faut ajouter quarante euros de charges sociales pour mille litres.

- Coût de production : Le calcul est donc le suivant : 353€ + 99€ + 40€ = 492€. Le coût de production moyen est donc estimé à 492 euros pour mille litres.

Une marge de sécurité estimée à 5 % s’ajoute à ce résultat, ce qui donne un coût total de 517 euros pour mille litres.

- Produits : Les coûts de production de l’atelier de lait doivent être couverts par les produits directement corrélés à l’atelier, ce qui recouvre les produits viande – liés à l’atelier lait, les produits joints – vente ou cession en interne des veaux de huit jours et autoconsommation des vaches et génisses laitières, les aides communautaires du premier pilier ainsi que le produit lait.

Les données de l’Institut de l’élevage permettent d’estimer le prix total produit (hors lait) à 105 euros pour mille litreq.

- Prix moyen : Le prix de base pour le lait défini par France MilkBoard suit donc le calcul suivant : 517€ - 105€ = 412€.

Le prix de base pour le lait est estimé à 412 euros pour mille litres.


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* *

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 2.

Article 3

Négociation annuelle sur les prix

L’article 3 a pour objet la mise en place d’une négociation annuelle sur les prix permettant de déterminer un prix plancher d’achat aux producteurs

Le présent article complète l’article précédent en créant un prix plancher - c’est-à-dire un prix de revient - qui puisse servir de socle à la définition du prix minimum indicatif. Les deux dispositifs sont donc complémentaires.

Le prix plancher est également arrêté au niveau interprofessionnel, mais n’est pas destiné à être revu aussi régulièrement que le prix minimum indicatif, car il fait l’objet d’une « négociation interprofessionnelle » plus large, qui a lieu dans le cadre d’une « conférence annuelle sur les prix » rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs, organisée par chaque interprofession.

L’article prévoit en outre que sont conviés à y participer l’ensemble des syndicats agricoles. Cela permettra donc aux syndicats minoritaires qui ne siègent pas dans les interprofessions mais sont néanmoins représentatifs d’une partie de la profession agricole – on l’a vu notamment dans le secteur laitier où le mouvement de contestation a mis à jour les insuffisances du syndicat majoritaire dans lequel de nombreux producteurs ne se reconnaissent plus – de participer au moins à cette négociation annuelle.

Votre rapporteur est convaincu que l’importance de certains enjeux doit susciter un large rassemblement de toutes les parties prenantes. Le refus opposé par le ministre de l’agriculture M. Bruno Le Maire à l’entrée des syndicats minoritaires (Confédération paysanne, Coordination rurale, Mouvement de défense des exploitants familiaux, Association des producteurs de lait indépendants) dans l’interprofession laitière arguant du fait que le CNIEL est un organisme de droit privé qui définit seul ses modalités de fonctionnement ne parait pas convaincant dans la mesure où les interprofessions font l’objet d’une reconnaissance par l’autorité administrative et se voient accordées des prérogatives spécifiques par la loi. Il est donc logique qu’en retour, la puissance publique puisse avoir son mot à dire sur les modalités de fonctionnement de ces interprofessions.

À l’issue des auditions qu’il a effectuées, votre rapporteur a décidé de déposer un amendement en séance visant à réécrire cet article afin de le rendre conforme. Cet amendement précisera que l’objet de la conférence sur les prix sera de définir des indicateurs tels que les coûts de production et l’inflation, qui serviront ensuite de base aux négociations interprofessionnelles.

En outre, l’amendement précisera que les associations de consommateurs sont conviées à cette conférence.

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* *

Contre l’avis du rapporteur, la Commission rejette l’article 3.

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La Commission rejette l’ensemble de la proposition de loi n° 3745.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Texte adopté par la Commission

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Article 1er

Article 1er

Code rural et de la pêche maritime

L’article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :

(Rejeté)

Art. L. 611-4-2. – Un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des fruits et légumes périssables peut être instauré en période de crises conjoncturelles définies à l'article L. 611-4 ou en prévision de celles-ci. Ce coefficient multiplicateur est supérieur lorsqu'il y a vente assistée.

« Art. L. 611-4-2. – Un coeffici-ent multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des produits agricoles et alimentaires est instauré. Ce coef-ficient multiplicateur est supérieur lorsqu’il y a vente assistée.

 

Les ministres chargés de l'économie et de l'agriculture fixent le taux du coefficient multiplicateur, sa durée d'application, dans une limite qui ne peut excéder trois mois, et les produits visés après consultation des organisations professionnelles agricoles.

« Après consultation des syndicats et organisations profession-nelles agricoles, les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture fixent le taux du coefficient multiplicateur, sa durée d’application et les produits visés.

 

Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article et les sanctions applicables en cas de méconnaissance de ses dispositions.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article et les sanctions appli-cables en cas de méconnaissance de ses dispositions. »

 
 

Article 2

Article 2

 

Un prix minimum indicatif est défini pour chaque production agricole par l’interprofession compétente. Ce prix minimum indicatif est revu régu-lièrement afin, notamment, de tenir compte de l’évolution des coûts de pro-duction et des revenus des producteurs.

(Rejeté)

 

Article 3

Article 3

 

Une conférence sur les prix rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs est organisée annuellement pour chaque production agricole par l’interprofession compétente. L’ensem-ble des syndicats agricoles sont conviés à y participer. Cette conférence donne lieu à une négociation interprofes-sionnelle sur les prix, destinée, notamment, à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs.

Rejeté)

ANNEXE

Extraits des débats sur l’article 9 du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs

Première séance du mardi 4 octobre 2011

(…)

« M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 149 rectifié.

La parole est à Mme Annick Le Loch.

Mme Annick Le Loch. Cet amendement concerne la marge nette des grands distributeurs.

Il tend à insérer un alinéa ainsi rédigé : « Les moyennes et grandes surfaces affichent de manière visible la liste des marges nettes adressées à l’observatoire des prix et des marges prévu à l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime. Tout manquement à cet affichage est passible d’une amende administrative de 15 000 euros. ».

Il existe un observatoire des prix et des marges depuis un an. Or il semblerait que certaines informations soient très difficiles à obtenir de certains grands distributeurs pour préciser les marges brutes et les marges nettes.

Il est nécessaire d’aller plus avant, comme tendait à le faire une proposition de loi de M. Estrosi. Je regrette d’ailleurs que son amendement concernant l’étiquetage des produits alimentaires frais, en conserve et transformés ait été retiré.

Je vous renvoie à cette proposition de loi qui, dans son exposé des motifs, dresse un état des lieux des marges de la grande distribution. C’est édifiant. Il serait intéressant d’adopter notre amendement, qui permettrait de connaître précisément les marges nettes, notamment sur les produits agricoles ou les produits alimentaires de première nécessité.

Je vous suggère de lire l’exposé des motifs de la proposition de loi de M. Estrosi. Vous constaterez que, malgré l’existence de l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, il ne se passe pas grand-chose. Les marges brutes de la grande distribution, sur dix ans, sont à la fois très confortables et peu influencées par l’effondrement des prix au producteur. Quant à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche, il évoquait dernièrement des marges excessives. L’exposé des motifs de la proposition de loi indique que les marges de la grande distribution varieraient, selon les produits, de 30 à 50 %, et que les fruits et légumes, ainsi que les viandes rouges, seraient les produits sur lesquels la grande distribution réaliserait les marges les plus importantes. Tout est ainsi décliné dans cet exposé des motifs.

Il me semble donc intéressant d’aller plus loin en obligeant à afficher en magasin les marges nettes alimentaires réalisées. Cet affichage permettrait une transparence des pratiques à l’égard des clients, tout en étant parfaitement compréhensible par tous.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Défavorable, comme il l’était déjà en commission, au mois de juillet.

L’Observatoire de la formation des prix et des marges n’a pas reçu des entreprises de distribution toutes les informations qu’elles s’étaient engagées à transmettre sur les marges brutes et les marges nettes. Mais qu’est-ce qu’une marge brute ? Et qu’est-ce qu’une marge nette ? Le débat est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît, surtout si l’on veut faire des comparaisons.

Toujours est-il qu’un engagement de confidentialité a été donné – bien qu’il ne l’ait pas été à temps. En échange de cet engagement, l’Observatoire devrait recevoir, pour son prochain rapport, l’ensemble des éléments dont il a besoin – et dont il aurait eu besoin pour son premier rapport. Un engagement clair a été donné par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, notamment à travers son délégué général. Laissons l’Observatoire travailler sur la base de ces informations plus concrètes et plus précises, mais qui ne seront transmises que parce qu’il y a un engagement de confidentialité.

C’est en cela que votre amendement, madame la députée, pose problème. Et c’est pour toutes ces raisons que la commission est défavorable à l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Il nous semble regrettable de ne pas profiter de ce projet de loi sur les droits et l’information des consommateurs pour essayer d’aller un peu plus avant en matière de marges dans la grande distribution.

Vous connaissez comme moi les conflits perpétuels qui existent entre les producteurs et les distributeurs, notamment pour ce qui concerne les denrées agricoles. C’est vrai en particulier pour les fruits et légumes, et il n’y a pas un été sans actions, parfois violentes, de producteurs qui dénoncent les prix de la grande distribution. Ils font remarquer que le prix est souvent multiplié par deux, trois ou quatre, par rapport au prix de départ qui leur est payé. Certes, nous savons qu’il y a des intermédiaires, mais nous aurions tort de laisser passer l’occasion, d’une part, de mieux informer le consommateur – c’est un devoir de vérité –, d’autre part, de mettre fin à la suspicion entre producteurs et distributeurs, et nous sommes nombreux dans cet hémicycle à essayer de régler ces problèmes.

Il ne faut pas oublier non plus qu’afficher les marges nettes, c’est-à-dire afficher ce que l’on va donner à l’Observatoire des prix et des marges aurait un effet. Nous avons pu mesurer cet effet quand, dans la loi d’orientation agricole de 1999,…

M. François Brottes. Très bonne loi !

M. Germinal Peiro. …nous avons instauré un double affichage. Vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues, cela avait eu pour effet que la grande distribution avait rogné ses marges. Autrement dit, si vous adoptez notre amendement, le consommateur s’y retrouvera en termes d’information, mais aussi de pouvoir d’achat.

Il y a là une idée à creuser et il faut essayer d’aller plus avant à l’occasion de ce texte.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. L’utilisation de l’Observatoire des prix et des marges est une question primordiale qui concerne les consommateurs, mais aussi les producteurs agricoles de ce pays.

L’Observatoire des prix et des marges a été mis en place. Pendant dix-huit mois, il a eu les pires difficultés à avoir une lisibilité sur la fabrication du prix entre le prix payé au producteur et celui payé par le consommateur. Il a fallu exercer des pressions sur la grande distribution et les entreprises agroalimentaires pour savoir où se fabriquait le prix, d’où venaient les différences énormes, de un à cinq, par exemple, sur les fruits et légumes, entre le prix payé au producteur et celui que l’on voit à l’étal du supermarché, sans même qu’il y ait eu un quelconque conditionnement. Je vous laisse donc imaginer, quand il y a transformation du produit, la difficulté d’avoir une visibilité.

Aujourd’hui, il semble que des progrès aient été faits, mais ils ne vont pas assez loin. Car, au nom du caractère confidentiel, certaines entreprises de distribution refusent de communiquer les marges qu’elles appliquent aux produits. Cela n’est pas acceptable.

Il faut faire preuve de volontarisme politique et prévoir des sanctions très fortes afin de savoir comment l’argent est réparti sur l’ensemble de la chaîne. Ce n’est plus tolérable, et encore moins lorsqu’on observe les profits des grands groupes en fin d’année, qui apparaissent d’ailleurs au CAC 40. Ces profits tournent en moyenne autour de 500 millions d’euros par an. Il y a là, en revanche, une lisibilité qui permet de voir où passe l’argent entre le producteur, le distributeur et, au passage, ceux qui accumulent les profits.

Par ailleurs, l’Observatoire des marges et des prix n’a aujourd’hui qu’une fonction d’observation, laquelle est, de surcroît, mal remplie. Il faut, bien sûr, dépasser cette simple fonction d’observation et disposer d’un levier. À partir des constatations qui seront faites, nous devrions être à même, en particulier par le biais de conférences qui pourraient avoir lieu pour chaque production, de définir ce que pourrait être le prix plancher payé au producteur à partir de son coût de production, et faire en sorte qu’il y ait une articulation entre le prix plancher payé au producteur et le prix final payé par le consommateur. Par conséquent, ce n’est pas seulement un observatoire qu’il faut, pas un simple outil qui ferait une sorte de radioscopie, il faut un véritable levier qui permette de jouer sur le prix payé au producteur et sur celui payé par le consommateur.

Le coefficient multiplicateur peut être une réponse, au moins pour certaines productions, de façon qu’à tous les niveaux de la chaîne on puisse avoir un coefficient permettant d’évaluer l’augmentation du prix. Ce problème est recensé par de nombreuses personnes, y compris, monsieur Lefebvre, par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui, en juin 2010, aux côtés des principaux groupes de la grande distribution, avait signé un accord non contraignant de modération des marges dans le secteur des fruits et légumes. Toutefois, cet accord ne concernait que la relation distributeur-consommateur, et on a pu constater, un an plus tard, c’est-à-dire durant l’été 2011, l’immense réussite de cet accord : l’affichage politique ne s’est pas transmis au niveau de l’affichage des prix. Et, cet été, les problèmes sont restés les mêmes.

Je citerai le premier rapport, rendu au Parlement en juin 2011, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, baptisé rapport Chalmin, sur la construction de l’Observatoire, l’état d’avancement, les méthodes suivies. Il a dressé un premier état des lieux des marges commerciales pratiquées par les distributeurs. Mais, faute de données suffisantes accordées par la grande distribution, l’évaluation reste imprécise. Il se contente de faire des constats et il n’y a pas d’évolution qui permette des changements.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Si les bonnes décisions étaient prises d’entrée de jeu, nous ne serions pas obligés de légiférer aussi souvent.

Lorsque nous avons débattu de la LME, nous avions trouvé la martingale pour régler tous les problèmes : d’abord, nous allions baisser les prix à la consommation. Je vous renvoie à tout ce que l’on a pu mesurer depuis. Le seul moment où l’on a noté une petite baisse, c’est après la dépression de 2008, et chacun a compris qu’elle n’était pas liée à la LME, mais plutôt à la crise financière.

Que s’est-il passé ? Les prix à la consommation n’ont pas baissé, mais la marge des intermédiaires, elle, a souvent diminué. Cela a aidé la grande distribution à exercer, à son profit, une pression encore un peu plus forte sur les entreprises, en particulier sur les entreprises de transformation. Et nous savons comment se déroulent aujourd’hui les négociations. La plus grande entreprise laitière française en a pâti cette année.

On ne peut que constater l’échec de la LME, la loi qui nous était proposée par le Président de la République en début de mandat et qui nous était vendue par l’un de ses intermédiaires, M. Michel-Édouard Leclerc ; certains ont même dit que LME signifiait « Leclerc Michel Édouard » ! C’est lui qui vous a vendu cette solution – que nous n’avons d’ailleurs pas votée.

S’agissant de l’Observatoire, nous avions imaginé qu’un observatoire observait, comme un observatoire pour ce qui est de la météo. Mais ce n’est même pas cela ! Pour le moment, l’Observatoire ne peut toujours pas observer parce qu’il n’a pas les moyens d’obtenir les données. La météo, elle, a les moyens de regarder s’il fait beau ou froid, s’il y a du vent ou de la pluie. L’Observatoire de la formation des prix et des marges n’a pas cette possibilité. Vous devez accepter, pour observer, un accord de confidentialité qui ne vous permettra même pas d’aller vérifier si les chiffres que l’on vous a donnés sont justes. Voilà la vérité : personne n’a les moyens, aujourd’hui, de vérifier que les chiffres donnés sont justes. Ils vous donnent ce qu’ils veulent ! Et comme les chiffres et les marges sont différents d’une région à l’autre, d’un secteur commercial à l’autre, cela les gênerait que l’on affiche les marges dans leurs magasins. Car vous pourriez constater que c’est pas forcément dans les zones de fruits et légumes que leur marge est la moins forte sur les légumes, alors qu’ils sont à leur porte. Que ce n’est pas forcément dans les zones où l’on transforme beaucoup de viande que les prix sont les plus bas et que leur marge est la moins forte, alors qu’ils ont la viande à leur porte.

Voilà ce que nous constatons. Mais vous avez beau le savoir, vous refusez d’aller au bout de la démarche. Quant à la confidentialité, monsieur le secrétaire d’État, certains distributeurs respectent-ils la confidentialité des prix de leurs voisins ? Quand, aujourd’hui, ils achètent de grandes pages dans la presse pour donner leur baromètre des prix, cela ne les dérange pas du tout ! Au contraire ! Eh bien, les méthodes qui arrangent certains dérangent les autres.

Monsieur le secrétaire d’État, arrêtez avec cette histoire d’observatoire, car si vous ne lui donnez pas de moyens, nous n’avancerons pas. Vous pourrez toujours dire que la DGCCRF peut le faire, mais vous ne donnez pas les moyens de vérifier la réalité des chiffres qui sont donnés.

Deuxième point : si vous ne donnez pas au consommateur les moyens de vérifier, lui aussi, ce qui a été offert et ce qui a été affiché, vous ne progresserez pas dans cette recherche. Je sais que vous êtes sincère, monsieur le secrétaire d’État, mais il y a des lobbies qui pèsent très lourd, et nous le savons depuis le début.

J’ai été choqué, en début de législature, je le dis très clairement, de voir M. Leclerc venir nous expliquer ce qu’était la LME.

(…)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Il est inutile, je le dis comme je le pense, de s’affronter sur un tel sujet. En effet, vous constaterez, lorsque j’aurai terminé mon propos, qu’au-delà des questions de forme et de méthode nous sommes en réalité tous d’accord.

Chacun doit se souvenir que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, auquel ont fait référence de nombreux intervenants – Mme Le Loch, MM. Chassaigne, Peiro et Gaubert –, a été créé par le Gouvernement voici un peu plus d’un an. Ils ont cité son premier rapport – le rapport Chalmin – rendu en juin 2011, rapport qui fait état d’un écart entre les prix et les marges. Or l’Observatoire n’avait connaissance, chacun a pu le constater, que des marges brutes. L’amendement de Mme Le Loch vise à contraindre les distributeurs à communiquer les marges nettes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À les afficher !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Le fait que l’Observatoire ne dispose que des marges brutes a permis alors à tous les acteurs de la distribution d’affirmer que ces marges brutes ne correspondent pas à la réalité, puisqu’elles n’intègrent pas certains frais comme ceux afférents au transport, entre autres. Ils doivent donc communiquer ces marges nettes. Plusieurs amendements ont été déposés sur ce sujet. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi certains ont été déposés sur cet article et d’autres sur l’article 10. Mme Le Loch a fait référence aux amendements de Christian Estrosi.

M. Jean Gaubert. Mais il n’est pas là !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Un amendement, assez proche de celui-ci, a, en effet, comme objectif de contraindre la distribution à donner les marges nettes. Le Gouvernement y sera favorable. En effet, le Président de la République, le ministre de l’agriculture et moi-même avons expliqué que, si l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires avait été créé, c’était bien pour travailler sur les marges nettes grâce à des informations solides. Nous nous sommes par conséquent tous accordés sur la nécessité de créer cette obligation.

Deuxième point, Jean Gaubert a fait référence au fait que la LME n’aurait pas permis de veiller à la protection des fournisseurs lors des négociations commerciales. Je tiens à préciser qu’aujourd’hui cinquante-trois procédures pour déséquilibres significatifs lors de négociations commerciales sont pendantes devant la justice.

M. Jean Gaubert. C’est la preuve !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Ces procédures ont été engagées grâce à la loi mise en place, qui avait justement pour objectif de protéger les fournisseurs dans leurs relations avec les distributeurs. Or, vous le savez, la question prioritaire de constitutionnalité fait partie des règles que nous nous sommes fixées dans cet hémicycle lorsque nous avons réformé la Constitution. Le recours à cette QPC a retardé ces procédures, puisqu’il a fallu attendre la validation du principe du déséquilibre significatif par le Conseil constitutionnel. C’est aujourd’hui chose faite. Le Gouvernement, comme vous le souhaitez sur tous les bancs, est engagé dans cette logique de protection et d’application des règles prévues la LME. Faut-il ou non une publicité ? Le rapporteur a évoqué la question de l’affichage. Nous ne sommes pas favorables à l’affichage, lequel irait contre l’intérêt des consommateurs, pour la simple raison qu’il faciliterait les ententes sur les prix évidemment les plus hauts, car vous pensez bien que l’alignement ne se fera pas vers le bas.

L’amendement de M. Estrosi propose quant à lui de transmettre les informations à FranceAgriMer, qui les remettra à l’Observatoire, lequel disposera, pour l’élaboration de son futur rapport, des marges nettes et pourra ainsi dénoncer, s’il y a lieu, des écarts inacceptables.

J’ai entendu les discours des uns et des autres, ce qui me permet de penser que nous sommes vraiment tous d’accord sur le fond. J’ai montré, je le crois, depuis le début de cette discussion, que j’étais prêt à accepter les amendements, quelles que soient les sensibilités politiques de leurs auteurs, s’ils apportent des réponses aux questions posées. Vous l’avez constaté, madame Le Loch, j’ai, à plusieurs reprises dans cet hémicycle et de nombreuses fois en commission, accepté vos amendements. Que ce soit en conséquence bien clair : si le Gouvernement et le rapporteur sont défavorables à cet amendement, ce n’est absolument pas sur le fond, puisque nous allons accepter ultérieurement un amendement qui a exactement le même objectif. Les différents amendements qui seront prochainement examinés, et dont je ne me rappelle pas s’ils sont tous de M. Estrosi, ont d’ailleurs l’avantage de proposer une sanction beaucoup plus lourde en cas de non-respect de la transmission des informations que celle qui est proposé dans votre amendement.

Compte tenu de ces explications, l’idéal aurait été d’accepter de retirer cet amendement. Mais rassurez-vous : nous aurons ce débat et nous pourrons trouver un accord dans l’hémicycle.

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