N° 3995 - Rapport de M. Jean-Marc Roubaud sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande (n°3813)




N
° 3995

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 3813, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande,

par M. Jean-Marc  ROUBAUD

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro 3928.

A – UNE UNITÉ PLUS SYMBOLIQUE QU’ACTIVE 7

B – UN PROBLÈME POLITIQUE RÉCURRENT, DES DYSFONCTIONNEMENTS MATÉRIELS EN VOIE DE RÈGLEMENT 8

1) La sous-utilisation des corps européens de défense 9

2) Des logiques nationales d’engagement 9

3) Des problèmes matériels réglés par l’accord de 2004 10

II – UNE NECESSAIRE REMISE EN ORDRE JURIDIQUE 11

A – UN ENVIRONNEMENT JURIDIQUE COMPLEXE 11

B – UNE NÉCESSAIRE REMISE EN ORDRE JURIDIQUE EXIGÉE PAR LA CONSTITUTION 12

C – LE DISPOSITIF DE L’ACCORD 12

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

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ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 21

Mesdames, Messieurs,

Au-delà de son rôle (très relatif pour l’heure) dans notre dispositif de défense, la brigade franco-allemande (BFA) revêt un caractère hautement symbolique. Elle unit dans une fraternité d’armes deux pays qui se sont affrontés à trois reprises entre 1870 et 1945 et dont la réconciliation est à l’origine du projet européen.

La BFA est une unité interarmes binationale, créée le 2 octobre 1989 par un arrangement technique entre les ministères de la défense français et allemand. Son état-major se situe à Müllheim, dans le Bade-Würtemberg et elle dispose de garnisons à Donaueschingen, à Villingen et à Immendigen. Depuis juillet 2010, le 291ème bataillon allemand de chasseurs s’est installé à Illkirch-Graffenstaden, près de Strasbourg. Là encore, cette localisation ne comporte pas uniquement un aspect militaire : pour la première fois depuis 1945, des troupes allemandes sont présentes sur le sol français, ce qui souligne le chemin parcouru depuis plus de soixante ans par la France et l’Allemagne.

Ce projet de loi appelle d’emblée une remarque : rédigé principalement par le ministère de la défense, la présentation qui en est faite au Parlement est quelque peu sibylline. Il est en effet indiqué, dans le deuxième alinéa de l’exposé des motifs, que « les ministères de la défense français et allemand ont souhaité que le cadre juridique applicable au bataillon allemand soit défini dans les meilleurs délais ». Or les dispositions de l’ensemble de l’accord montrent qu’il concerne l’ensemble de la brigade franco-allemande et non ce seul bataillon.

Volontaire ou non, cette obscurité rédactionnelle résulte de la fragilité de la base juridique sur laquelle la BFA a fonctionné jusqu’à présent et de son coût par rapport à son utilité dans notre dispositif militaire, ce que la Cour des comptes a relevé dans son rapport public annuel de février 2011. Notant la sous-utilisation des forces européennes multinationales, elle indique : « Quant au bilan de la brigade franco allemande, il n’est guère meilleur : cette brigade a fourni le cœur combattant d’un groupement tactique de l’Union européenne en 2008, puis elle a défilé sur les Champs-Elysées le 14 juillet 2009. Elle a participé au tour d’alerte de l’Eurocorps en 2010… » En fin de rapport, la Cour souligne qu’elle « ne peut que réitérer les conclusions formulées dans son rapport de 2007. Sans méconnaître les lourdeurs inhérentes à toute décision d’emploi d’un corps multinational, elle s’interroge cependant sur les motifs justifiant le maintien et le développement de ces structures militaires permanentes ».

La logique de la Cour des comptes, avant tout gardienne de la bonne utilisation des deniers publics, n’est pas toujours celle du pouvoir politique. L’existence d’une brigade franco allemande était prévue dès le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963. Même s’il a fallu vingt-six ans pour la mettre en place, elle manifeste la volonté de la France et de l’Allemagne de bâtir une force bilatérale pouvant être mise à la disposition de l’OTAN ou de l’Eurocorps. Il est évident qu’une telle politique, dans un domaine où la délégation de souveraineté est si difficile, ne peut être construite sans que de multiples problèmes apparaissent. La Cour des comptes est dans son rôle quand elle les met en lumière. Le ministère de la défense, de son côté, aurait rempli le sien en montrant avec simplicité les raisons qui sous-tendent le présent accord, d’autant que nombreux sont les députés et les sénateurs qui suivent le fonctionnement de cette brigade et acceptent le principe de son existence, au nom du projet qu’elle porte.

Le présent projet de loi (n° 3813), dont est saisi la commission des Affaires étrangères, autorise l’approbation d’un accord relatif à la brigade franco-allemande, signé le 10 décembre 2010. La genèse de cet accord remonte à février 2009, lorsque la Chancelière Mme Angela Merkel et le Président de la République M. Nicolas Sarkozy ont décidé, en marge de la conférence annuelle de Munich sur la politique de sécurité (février 2009), d’implanter un bataillon de la BFA sur le sol français. Il s’agit d’une décision de principe que votre Rapporteur approuve. Elle entraîne ensuite une obligation juridique d’approbation par le Parlement.

Jusqu’à présent en effet, aucun accord ou traité ne s’appliquait au fonctionnement de cette brigade, créée par un simple arrangement technique. C’est parce que l’accord du 10 décembre 2010 « engage les finances de l’Etat » en application de l’article 53 de la Constitution qu’il est soumis à l’autorisation du Parlement. Du côté allemand, de telles règles n’existent pas dans la Loi fondamentale de 1949. Aussi le parlement ne devrait pas être saisi d’une demande de ratification.

Dans la mesure où la commission de la Défense et des forces armées est saisie pour avis du présent projet de loi, votre Rapporteur renverra les aspects militaires et budgétaires à la lecture du rapport de celle-ci et analysera principalement les aspects juridiques de ce texte. Au-delà de son volet technique, le débat sur la BFA permet au parlement de débattre sur les corps européens bi et multinationaux et sur les perspectives d’une défense européenne encore embryonnaire.

I – UNE UNITÉ DE DEFENSE PORTEUSE D’UN PROJET POLITIQUE

C’est dans le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 entre la France et l’Allemagne que se trouve l’origine de la BFA. Dans la partie II, au paragraphe B (Défense) est mentionnée une référence à des détachements d’unités entières. L’on relèvera que ce traité, texte fondateur de la coopération entre les deux pays, contenait peu de rubriques, citant uniquement comme axe de travail les affaires étrangères, la défense l’éducation et la jeunesse. Les concepteurs du traité avaient bien en tête l’idée que la défense constituait un enjeu fondamental pour la coopération politique, alors que l’échec de la communauté européenne de défense (CED, 1954) restait dans toutes les mémoires.

Il a fallu néanmoins attendre vingt six ans pour que l’arrangement technique du 2 octobre 1989 entre les ministère français et allemand de la défense fonde cette brigade, à la demande du Président François Mitterrand et du Chancelier Helmut Kohl qui tenaient à donner plus de substance au traité de l’Elysée. En 1989, l’idée d’une défense européenne demeurait dans les limbes et le projet franco-allemand de brigade en marquait les prémices. Qu’il s’agisse de 1963 ou de 1989, les décisions ont donc été prises par les plus hautes autorités politiques des deux pays.

A – Une unité plus symbolique qu’active

La genèse comme la mise en œuvre de la BFA ont été lentes, ce qui était inévitable en raison des traditions militaires différentes de la France et de l’Allemagne. L’idée de la créer remonte en novembre 1987, à l’issue d’un entretien entre François Mitterrand et Helmut Kohl lors du sommet de Karlsruhe. 1988 fut consacrée à l’installation d’un état-major mixte. Le 2 octobre 1989 eut lieu la cérémonie officielle de création du bataillon de commandement et de soutien, à Stetten, avant la mise en service effective le 17 octobre 1990.

Depuis 1990 s’est écoulée une longue période au cours de laquelle la BFA a acquis graduellement des capacités opérationnelles. Sans doute jugera-t-on, à l’instar de la Cour des comptes, que le rendement opérationnel de cette brigade a été bien ténu au regard des nombreuses opérations extérieures qu’a conduit notre pays en vingt ans, notamment en Afghanistan et en Afrique. En dehors d’entraînements réguliers, la brigade n’a été engagée qu’à quelques reprises dans les Balkans et de manière marginale en Afghanistan. Ces opérations ne doivent toutefois pas être évaluées avec condescendance ou ironie : les personnels de la brigade ont été engagés dans leurs secteurs nationaux respectifs et non selon un mode intégré (ce qui aurait été dans l’esprit qui a présidé à sa conception) et ont acquis un savoir-faire indéniable. Ce qui leur manque en revanche est de travailler en symbiose puisqu’il n’existe pas d’unités mixtes.

Chronologie des activités de la brigade franco-allemande

Années

Opérations

1991

Exercice de combat ALB 91

1992

Transfert de l’état-major à Müllheim

1993

Baptême de la caserne à Müllheim – Subordination de la BFA au corps européen

1994

Défilé de la brigade sur les Champs-Elysées – Participation à l’exercice Pegasus du corps européen.

1995

Exercice en Guyane française – Exercice Eurotransitex en France et en Espagne – Exercice Concordia à Müllheim – Nouvel exercice Pegasus du corps européen.

1996

Cérémonie commune à Dampierre – Engagement de la BFA au sein de la SFOR, en Bosnie-Herzégovine, jusqu’en 1998 (5 mandats successifs) – Déploiement au sein de la KFOR, au Kosovo

1997

Stage de commando en forêt gabonaise – Nouvel exercice Concordia à Mailly-le-Camp

1998

Participation à Vigipirate et à l’exercice goldener Schild

1999

Présence en Macédoine du bataillon 292 de chasseurs allemands, exercices en Belgique, en République tchèque, en Pologne et en Guyane

2000

Nouvel engagement dans les Balkans (KFOR)

2002

Participation au mandat de la SFOR à Mostar

2004

Participation de militaires de la BFA à des opérations en Afghanistan, mais dans leurs zones nationales respectives

2009

Décision d’installer un bataillon allemand dans l’Est de la France – Défilé sur les Champs-Elysées le 14 juillet

2010

Signature de l’accord du 10 décembre 2010 relatif à la brigade franco-allemande

2011

Participation de militaires de la brigade à des missions d’équipes de liaison en Afghanistan

La BFA compte environ 5 500 hommes (2 400 français et 3 100 allemands) et devrait atteindre un effectif de 6 000 hommes (1 500 français et 4 500 allemands en 2012. Sur un plan opérationnel, elle est placée sous le commandement du corps européen lorsqu’elle intervient dans une opération de l’Union européenne ou de l’Alliance atlantique.

Il convient de relever que l’utilisation de la BFA a été ralentie depuis 2004. Le ministère de la défense reconnaît lui-même « qu’elle n’a pas été redéployée depuis 2004 en raison de la rareté des missions extérieures relevant du niveau de la brigade », en réponse à une question écrite du 23 septembre 2011 de notre collègue François Cornut-Gentille. Du côté allemand, le ministre fédéral de la Défense Christian Schmidt s’est interrogé sur son utilité réelle. Elle est néanmoins maintenue comme symbole de la réconciliation franco-allemande. Elle ne risque guère en revanche de se développer compte tenu de la divergence majeure qui a marqué les relations entre Paris et Berlin sur la Libye en 2011.

B – Un problème politique récurrent, des dysfonctionnements matériels en voie de règlement

La question de la BFA est inséparable des corps européens de défense. Si les symboles politiques revêtent une importance fondamentale, la difficile période budgétaire que nous connaissons rend inévitable de s’interroger sur leur efficacité. D’un coté, des forces sans réalité concrète et avec un processus de décision complexe; de l’autre, un état-major de l’Union européenne sans forces réelles.

1) La sous-utilisation des corps européens de défense

Eurocorps – dont la BFA constitue un élément – Eurogendfor, Eurofor, Euromarfor, sont autant de sigles caractérisant des unités qui sont sous-utilisées et dont le caractère européen est sujet à caution.

L’Eurocorps et la brigade franco-allemande n’ont guère été mobilisés depuis 2004, comme précédemment indiqué par votre Rapporteur. L’Eurogendfor (force de gendarmerie européenne créée en 2004 à l’initiative de la France) est engagée depuis 2007 en Bosnie-Herzégovine, où elle arme une partie de l’unité de police intégrée de l’opération européenne Althéa. Depuis décembre 2009, elle contribue également à la formation de la police afghane au sein de la mission de l’OTAN. Mais l’on observera qu’il s’agit dans ces deux cas de missions de police et non de missions militaires alors que la gendarmerie est une unité militaire.

L’Eurofor, force non permanente, dont la création en 1995 a été souhaitée par l’Italie, mécontente de ne pas faire partie de l’Eurocorps, n’a été engagée que trois fois depuis 1995, sa dernière opération étant en Bosnie en 2007. Comme l’Italie a rejoint en 2009 l’état-major d’Eurocorps comme membre associé, l’existence d’Eurofor est clairement en question. Euromarfor (force maritime européenne) n’est intervenue qu’au Liban en 2008 (FINUL navale). Elle est inactive depuis cette date. Quant à la force navale franco-allemande (FNFA), la Cour des comptes relève « qu’elle n’a été engagée que deux fois depuis sa création en 1991, la dernière en date, dans l’Océan indien, remontant à 2005. La marine allemande n’ayant pas souhaité l’utiliser depuis pour des missions opérationnelles, son avenir parait désormais tout à fait hypothétique. »

2) Des logiques nationales d’engagement

Les forces précitées ne répondent pas à une logique européenne pour ce qui concerne leur engagement. Leur création a répondu, pour chacune d’entre elles, à une situation particulière. Instituées par des traités, leurs statut n’est pas uniforme et leur fonctionnement, comme la décision de les employer, obéissent à la règle du consensus, ce qui signifie que chaque État membre peut bloquer toute décision.

Parallèlement, l’Union européenne ne dispose, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, que d’un état-major général sans chaîne de commandement. La décision du cadre d’emploi de chaque force reste donc exclusivement nationale. Face à cette situation, il est logique que la Cour des comptes ait posé la question de la suppression de certains de ces corps, soulignant simplement que le lien de subordination opérationnel qui relie la BFA à l’Eurocorps « a pris de la consistance » et que l’on peut se satisfaire de l’évolution de cette brigade.

3) Des problèmes matériels réglés par l’accord de 2004

Le fonctionnement progressif de la BFA a généré quelques contentieux, peu nombreux, résolus par l’accord du 26 octobre 2004, qui remplaçait l’arrangement technique de 1989.

Cet accord de 2004 (lui-même abrogé par le présent projet de loi) a permis de résoudre la question des coûts annexes de construction (2 millions d’euros de 1991 à 1998) que l’Allemagne estimait être à la charge de la France. Ces coûts ont été compensés par un remboursement de la TVA perçue à tort par l’Allemagne sur les financements français. Un second contentieux, relatif au coût des personnels civils, a fait l’objet d’un règlement, la France ayant remboursé 3,5 millions d’euros à la partie allemande.

II – UNE NECESSAIRE REMISE EN ORDRE JURIDIQUE

L’accord du 10 décembre 2010 n’a pas pour objet de fixer le cadre juridique dans lequel évoluera le bataillon allemand (plus précisément le 291ème bataillon de chasseurs) présent à Illkirch-Graffenstaden, contrairement à ce qui est écrit dans le deuxième alinéa de l’exposé des motifs. Il fixe en réalité le statut de la BFA, qui résulte de deux textes (l’arrangement technique du 2 octobre 1989 et l’accord du 26 octobre 2004), qui n’avaient en outre jamais été soumis au Parlement.

A – Un environnement juridique complexe

La BFA est uniquement régie par les arrangements et accords bilatéraux entre la France et l’Allemagne. Son cadre juridique est plus complexe. Ses règles de fonctionnement s’insèrent dans un ensemble de textes internationaux et bilatéraux qui déterminent les conditions de son activité et qui sont énumérés dans le préambule de l’accord précité.

Les relations militaires entre la France et l’Allemagne se déroulent dans le cadre de l’OTAN, dont elles sont toutes deux membres. Aussi la convention de Londres du 19 juin 1951 (dite SOFA OTAN) (1) qui régit les mises à disposition de troupes entre alliés s’applique tant aux troupes françaises en Allemagne qu’aux forces allemandes en France. Cette convention détermine des droits et obligations, comme les conditions du port de l’uniforme et du port d’arme, les priorités de juridiction, le règlement des dommages, les modalités d’imposition et les exemptions douanières s’agissant des matériels destinés aux forces et des biens pour les personnels. Elle s’accompagne des textes relatifs aux forces étrangères stationnées en Allemagne fédérale (convention du 23 octobre 1954 et accord du 3 août 1959 complétant cette convention).

A l’échelle européenne, la déclaration du conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 10 novembre 2000 à Vittel, confirmée par la déclaration des 22 et 23 janvier 2003 à Paris ont proposé de faire de la BFA la force de déploiement initial du corps européen (Eurocorps), institué un an plus tard par le traité de Strasbourg du 22 novembre 2004.

Sur un plan bilatéral, la BFA résulte du traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 et de l’arrangement technique du 2 octobre 1989, lui-même modifié par l’accord du 26 octobre 2004.

B – Une nécessaire remise en ordre juridique exigée par la Constitution

Jusqu’à présent, aucun des accords bilatéraux sur la BFA n’avait été soumis au Parlement. Or les accords et traités qui engagent les finances de l’Etat doivent être approuvés par une loi, en application de l’article 53 de la Constitution.

L’installation d’un bataillon allemand de chasseurs à Illkirch-Graffenstaden engage effectivement les finances de l’Etat, à double titre :

– du côté des recettes, les biens et prestations de services destinés aux troupes allemandes seront exonérés de la taxe sur le chiffre d’affaires et d’accises éventuelles ;

– du côté des dépenses, il revient à la France d’assumer la remise en état des locaux d’Illkirch, soit une dépense évaluée à 9,3 millions d’euros, répartie sur 2010, 2011 et 2012. En outre, les personnels allemands de la BFA bénéficieront des privilèges fiscaux résultant de l’accord de procédure du 26 février 1962, dans sa version modifiée du 15 juin 1990.

Il n’était donc pas possible d’accepter l’implantation du bataillon allemand de chasseurs, avec tout ce qu’elle comporte en terme de fonctionnement, de fiscalité ou encore de protection des données, sans recourir à un nouvel accord fixant le statut de la BFA. Le mérite de ce texte est de clarifier juridiquement le fonctionnement de l’ensemble de cette brigade.

C – Le dispositif de l’accord

L’article 1er procède aux classiques définitions en usage dans un traité. L’article 2 précise que le présent accord a pour objet de régir l’organisation et le fonctionnement de la BFA, les modalités de mise en œuvre pouvant être définies par des accords subséquents.

L’article 3 n’est rien d’autre que la récapitulation des missions de la BFA, telles qu’antérieurement définies par l’arrangement technique de 1989 et l’accord de 2004 précités. Il rappelle que la BFA est une formation binationale ayant vocation à s’engager dans des opérations conduites par l’OTAN et l’Union européenne. Les conditions de cet engagement sont déterminées en commun par les autorités françaises et allemandes. L’article 3 ajoute que la BFA est placée sous l’autorité du Corps européen pour des opérations de l’OTAN ou de l’Union européenne, mais que la subordination de la BFA à ce Corps nécessite l’accord de la France ou de l’Allemagne. En d’autres termes, le fonctionnement du corps européen obéit avant tout à des considérations nationales, comme l’a relevé la Cour des comptes.

Le personnel de la brigade demeure soumis à ses autorités nationales d’origine. Cette disposition est facilement applicable pour les unités nationales de la brigade. Elle l’est moins pour les unités mixtes, mais il n’en existe pas pour l’heure.

Enfin, la BFA doit rechercher la plus grande interopérabilité possible entre ses personnels et ses matériels.

L’article 4 fixe les principes de fonctionnement de la BFA :

• les charges découlant de son organisation et de son fonctionnement doivent être équilibrées, la généralité de ce terme permettant un accord ad hoc sur chaque dossier par les autorités en charge du commandement ;

• la responsabilité de chaque garnison est assurée par une seule partie ;

• la BFA doit s’efforcer d’uniformiser ses équipements. En pratique, cet objectif est pour l’heure hors d’atteinte ;

• les deux parties demeurent propriétaires des équipements mis à disposition des unités mixtes ;

• les deux parties doivent créer les conditions permettant à leurs personnels d’exécuter les instructions qui leur sont données, quelle que soit la nationalité des militaires qui émettent ces instructions.

L’article 5 prévoit que l’état-major de la BFA est ouvert aux pays membres de l’Eurocorps, lui assignant ainsi l’ambition d’être le noyau d’une future force européenne. L’article 6 définit les modalités d’attribution des postes de responsabilité au sein de la BFA. L’article 7 pose le principe d’exonération permanente de la taxe sur le chiffre d’affaires et d’éventuelles accises pour les livraisons de biens et de services nécessaires au fonctionnement de la brigade.

L’article 8, relatif à la protection des personnels, des systèmes d’information et des installations de chaque partie n’appelle pas de commentaire particulier. L’article 9 établit une commission paritaire commune chargée, comme dans tout traité, de résoudre les problèmes d’application du présent accord. Il lui revient donc d’évaluer la répartition des charges financières liées au fonctionnement de la BFA.

L’article 10 fixe les principes de répartition des dépenses entre les deux pays :

• chaque partie assume pour ses personnels les salaires, indemnités et dépenses diverses (alimentation, habillement, équipement individuel) ;

• chaque partie assure le financement du fonctionnement de ses unités nationales (communication, transmission, logistique, matériels militaires) ;

• pour le fonctionnement des unités mixtes, la France et l’Allemagne conviennent d’un partage des coûts ;

• la partie responsable d’une garnison assume les dépenses suivantes : raccordements aux réseaux de communication publics, fonctionnement et entretien des installations de transmission, carburants terrestres, coûts divers d’infrastructures et charges de garnison ;

• les parties déterminent au prorata des effectifs nationaux les dépenses d’entretien des immeubles faisant l’objet d’une utilisation commune ;

• enfin, les coûts d’utilisation des diverses installations d’entraînement sont répartis soit en fonction des effectifs nationaux, soit en fonction des activités qui y sont effectuées.

L’article 11, relatif aux modalités de paiement des dépenses, n’appelle pas de commentaire particulier ; il en est de même pour les articles 13 à 17, relatifs à la gestion, l’aménagement et l’entretien des immeubles ainsi qu’à la fourniture de biens meubles et à l’assistance mutuelle pour le fonctionnement de la BFA. L’article 12 fixe les modalités de mise à disposition par une partie de ses immeubles et infrastructures à l’autre partie, le principe de base étant la gratuité.

L’article 18 détermine les modalités de règlement des différends, qui sont préalablement soumis à la commission paritaire commune. L’article 19 est relatif à l’entrée en vigueur de l’accord.

Le dispositif est complété par cinq annexes :

• l’annexe A indique les lieux de stationnement de la brigade ;

• l’annexe B précise les termes qui concernent les dépenses visées par l’article 10 de l’accord ;

• les annexes C, D et E sont respectivement relatives aux charges de fonctionnement des garnison, aux modalités de paiement et au paiement des prestations d’alimentation et apurement des comptes.

CONCLUSION

Il y avait urgence à asseoir le statut de la brigade franco-allemande pour lui permettre de fonctionner. Il convient en conséquence d’approuver le présent projet de loi autorisant l’approbation de l’accord du 10 décembre 2010.

L’essentiel du débat se trouve en réalité sur un terrain éminemment plus politique. La Cour des comptes a mis en lumière la sous-utilisation des différents corps européens de défense. Si nul ne conteste le symbole qu’ils représentent, leur coût devient préoccupant à l’heure où nos Etats accomplissent de grands efforts de maîtrise de leurs dépenses publiques.

Cette interrogation est d’autant plus légitime que les outils militaires n’ont aucune valeur intrinsèque. Ils sont au service d’une vision stratégique. La défense de la France est assurée au travers de l’OTAN et, dans une moindre mesure, de la PESD que notre pays a l’ambition légitime de développer. C’est avant tout le traité de Lisbonne qu’il convient de faire vivre avec l’ensemble de nos partenaires européens.

La brigade franco-allemande constitue certes un symbole, mais elle n’aura de substance que si Paris et Berlin opèrent un rapprochement en politique étrangère. L’affaire libyenne a donné lieu à une sévère divergence entre les deux pays au sein du Conseil de l’Atlantique Nord et les partis politiques allemands n’admettent aujourd’hui qu’avec réserve le succès de l’intervention de l’OTAN. Cette divergence n’a rien d’irrémédiable d’autant qu’elle porte sur un dossier qui entre désormais dans une nouvelle phase – la stabilisation politique de la Libye – mais elle démontre, comme en matière économique, que la France et l’Allemagne doivent encore accomplir des efforts importants pour rapprocher leurs points de vue.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 22 novembre 2011.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jacques Myard. Sur le plan militaire, on ne comprend vraiment pas l’utilité de cette brigade alors que 60 000 hommes sont mobilisables par l’OTAN et un nombre équivalent dans le cadre de l’accord de coopération franco-britannique. Cette brigade constitue uniquement un symbole politique. Ce qui me semble le plus problématique, c’est le fait qu’elle soit stationnée près de Strasbourg, dans une région où l’influence allemande est extrêmement forte. Il y a là un problème culturel que l’on ne peut nier. Je veux bien croire que son installation près de Strasbourg réponde au souci de compenser la diminution du nombre de militaires français stationnés dans cette zone mais ce choix est inacceptable et c’est la raison pour laquelle je voterai contre le projet de loi.

M. Jacques Remiller. Le rapporteur a répondu par anticipation à la question que je souhaitais lui poser sur l’article 3 de l’accord. Si j’ai bien compris ce qu’il a dit, la brigade franco-allemande n’est plus intervenue à l’étranger depuis la guerre en ex-Yougoslavie. Si c’est bien le cas, on ne peut que s’interroger sur la réalité de son utilité. Par ailleurs, quel en est le coût pour la France ?

M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur. Peut-être certaines difficultés linguistiques étaient-elles plus faciles à surmonter dans la région de Strasbourg… En tout cas, je prends note de la remarque de M. Myard sur le choix de son implantation.

La brigade franco-allemande est intervenue à plusieurs reprises depuis la guerre en ex-Yougoslavie ; elle a notamment effectué des opérations au cours des trois dernières années, la plus récente étant liée aux opérations militaires en Afghanistan. Pour ce qui est du coût, il est prévu d’investir 9,3 millions d’euros pour la base d’Illkirch sur la période 2010-2012. Les dépenses de fonctionnement sont composées des frais d’administration générale qui atteignent 6,2 millions d’euros par an, répartis entre la France à hauteur de 2,5 millions d’euros et l’Allemagne à hauteur de 3,7 millions d’euros, et des frais d’infrastructures de 16,25 millions d’euros dont 10,3 millions d’euros à la charge de la France.

M. Jean-Paul Dupré. Pourriez-vous nous préciser les effectifs de la brigade et son champ d’intervention potentiel en l’absence d’opérations internationales ? Pour résumer, quelles sont ses activités qui pourraient justifier de telles dépenses de fonctionnement ?

M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur. La brigade compte 5 500 hommes dont 2 400 Français. Les reproches qui sont formulés à l’encontre de sa faible activité sont en fait la conséquence de la lenteur de la construction d’une véritable défense européenne. Soit on abandonne toute ambition dans ce domaine, et on supprime la brigade franco-allemande, soit cette volonté perdure, et cela justifie son maintien, voire une intensification de ses activités.

M. François Loncle. Je tiens à saluer l’objectivité du rapporteur. Il a souligné les difficultés, les retards, les insuffisances du projet de défense européenne, auquel j’adhère depuis son origine. Il est évident que la faible utilisation de la brigade et les blocages qu’elle connaît résultent de la lenteur de cette construction. C’est justement parce que l’on est d’accord avec ce projet que l’on doit tirer la sonnette d’alarme pour attirer l’attention sur cette situation très inquiétante.

M. Robert Lecou. Le rapporteur a en effet fait preuve d’une grande franchise. Au-delà du symbole, on est obligé de soulever la question de l’utilité de cet instrument, quelles que puissent être les promesses pour le futur. La conduite de la politique européenne de sécurité et de défense est en cause et je ne voterai ce projet de loi qu’avec des réserves.

M. Serge Janquin. Je salue également l’objectivité du rapporteur et son sens de la mesure. La question du rapport entre le coût et l’utilité de la brigade franco-allemande reste entière. Tant que nous n’aurons pas de politique étrangère européenne – et celle que mène aujourd’hui Lady Ashton est pour le moins évanescente – il n’y aura pas non plus d’Europe de la défense. Nous dépensons donc de l’argent pour un outil dormant à l’utilité future incertaine. La question est bien de savoir s’il convient de le garder pour l’avenir ou de le supprimer. Pour le moment, au regard de la faiblesse de son activité, on ne peut que douter de son utilité.

Le président Axel Poniatowski. Vous semblez dire qu’une armée ne sert à rien en temps de paix, ce qui est très contestable.

M. Serge Janquin. Ce n’est pas ce que je veux dire mais un instrument doit pouvoir servir en cas de besoin, ce qui n’est pas évident en ce qui concerne la brigade franco-allemande !

M. Jacques Myard. Je vous rappelle que l’article 42, paragraphe 7, alinéa 2, du traité de Lisbonne dit que l’OTAN reste le socle de la défense des Etats qui en sont membres. Il faut savoir que personne ne souhaite véritablement une défense européenne !

M. Jean-Claude Guibal. Il semble bien que la brigade franco-allemande soit un outil symbolique peu opérationnel. Mais au moment où la France se rapproche de l’Allemagne au plan économique et social, il est inimaginable de la supprimer.

M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur. La question de l’utilité de la brigade franco-allemande est centrale. Je tiens à préciser que, en plus de constituer un symbole européen et l’embryon d’une future défense européenne, elle a des activités dans le cadre des plans vigipirate nationaux et que chaque unité conserve son rôle dans le cadre de la défense nationale des deux Etats. On ne peut en outre pas contester qu’une armée conserve son utilité en temps de paix.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 3813).

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La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande (ensemble cinq annexes), signé à Illkirch-Graffenstaden le 10 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 3813).

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