N° 1435 tome IV - Avis de Mme Marie-Anne Chapdelaine sur le projet de loi de finances pour 2014 (n°1395)



N
° 1435

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1395)
de
finances pour 2014

TOME IV

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

IMMIGRATION, INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

PAR Mme Marie-Anne CHAPDELAINE

Députée

——

Voir les numéros : 1428-III-31.

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2013, pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, l’intégralité des réponses relevant du ministère de l’Intérieur était parvenue à votre rapporteur pour avis, et aucune des réponses aux questions réattribuées au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Au 24 octobre 2013, l’intégralité de ces dernières étaient parvenues à votre rapporteure pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche de leur collaboration.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L’IMMIGRATION ET À L’INTÉGRATION 7

I. LE PROGRAMME « IMMIGRATION ET ASILE » 7

II. LE PROGRAMME « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE » 8

DEUXIÈME PARTIE : LES ENJEUX DE LA MOBILITÉ ÉTUDIANTE : RENFORCER LE RAYONNEMENT ET L’ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE 11

I. LA FRANCE RESTE ATTRACTIVE POUR LES ÉTUDIANTS INTERNATIONAUX, MAIS PERD DU TERRAIN 11

A. UN ENJEU CONSIDÉRABLE POUR NOTRE INFLUENCE ET NOTRE RAYONNEMENT 12

B. LA FRANCE RESTE BIEN POSITIONNÉE, MAIS EST EN PERTE DE VITESSE 13

1. Le nombre de nouveaux étudiants étrangers a chuté de 10 % en 2012 13

2. Un étudiant étranger sur deux est issu du continent africain 14

3. La répartition des étudiants étrangers par niveau de diplôme et par filière 15

4. Le déclin de la place de la France dans l’accueil des étudiants étrangers 16

II. RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE POUR LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS 16

A. FACILITER LES DÉMARCHES DES ÉTUDIANTS SOUHAITANT VENIR ÉTUDIER EN FRANCE 17

1. Réformer le régime des visas de long séjour étudiant 17

a. Améliorer la procédure de présélection et de délivrance des visas 17

b. Motiver les refus de visas de long séjour étudiants et scientifiques 19

c. Augmenter la durée de validité des VLS-TS étudiants 19

2. Privilégier la mobilité encadrée 20

B. SIMPLIFIER ET ALLÉGER LES FORMALITÉS QUE DOIVENT ACCOMPLIR LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS ADMIS EN FRANCE 20

1. Développer le recours aux « guichets uniques » 20

2. Supprimer ou « banaliser » la visite médicale obligatoire 22

3. Étendre le recours aux titres pluriannuels de séjour aux étudiants suivant un cursus de niveau licence 23

a. Un dispositif longtemps sous-utilisé 23

b. Les assouplissements déjà opérés 23

c. L’extension souhaitable des titres de séjour pluriannuel aux étudiants étrangers suivant un cursus de niveau licence 24

C. ATTIRER LES MEILLEUR ÉTUDIANTS EN LEUR OFFRANT DES PERSPECTIVES À L’ISSUE DE LEUR ÉTUDES 25

1. Deux procédures distinctes sont ouvertes aux étudiants désirant travailler en France à la fin de leurs études 25

2. L’assouplissement résultant de la loi du 22 juillet 2013… 26

3. …fait suite au durcissement opéré par la « circulaire Guéant », qui a durablement porté atteinte à l’image internationale de la France 26

4. La future loi sur l’immigration devrait permettre de nouveaux assouplissements 27

D. ENGAGER UNE RÉFLEXION STRATÉGIQUE SUR DEUX SUJETS MAJEURS 28

1. Mener une concertation sur la modulation des frais de scolarité 28

2. Encourager l’implantation internationale des établissements d’enseignement supérieur français 31

TROISIÈME PARTIE : LE SUIVI DES RECOMMANDATIONS DE L’AVIS BUDGÉTAIRE DE M. PATRICK MENNUCCI SUR L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE 35

EXAMEN EN COMMISSION 39

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 75

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 77

Mesdames, Messieurs,

L’accueil des étudiants étrangers contribue au rayonnement de notre pays, à la visibilité internationale de notre système d’enseignement supérieur et au dynamisme de notre économie. L’internationalisation de l’enseignement supérieur est en marche, dans le contexte d’une économie du savoir où les principaux facteurs de croissance reposeront sur la qualité des ressources humaines. Le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005, et devrait à nouveau doubler d’ici 2020.

La France, qui accueille chaque année près de 60 000 nouveaux étudiants étrangers et qui en compte plus de 280 000 inscrits dans ses établissements, a longtemps été bien placée parmi les pays de destination de ces étudiants. Premier pays non anglophone derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, elle est cependant passée à la cinquième place, l’Allemagne l’ayant dépassée. À la suite du signal de fermeture au monde, très négatif, envoyé par la circulaire du 31 mai 2011 sur les conditions d’accès au marché du travail des étudiants, une diminution de 10 % du nombre d’étudiants accueillis en France en 2012 a été constatée. Notre pays perd donc du terrain. Notre image auprès des étrangers désirant étudier à l’international a été durablement atteinte et doit être restaurée.

Un premier signal très positif a été envoyé, immédiatement après l’élection présidentielle, par l’abrogation de cette circulaire (dite « circulaire Guéant »), opérée le 31 mai 2012, conformément à l’engagement pris par le président de la République lors de sa campagne. D’autres mesures concrètes ont suivi, parmi lesquelles peuvent être citées les modifications apportées par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui a assoupli les conditions d’accès au marché du travail des étudiants à l’issue de leur cursus.

Les enjeux économiques, culturels et diplomatiques de l’accueil des étudiants étrangers pour la place de notre pays dans le monde sont considérables. Il convient donc d’aller encore plus loin et d’imaginer des solutions nouvelles, pour que la France demeure une destination de choix pour les meilleurs étudiants. C’est pourquoi votre rapporteure pour avis a souhaité consacrer le présent avis budgétaire à la mobilité étudiante, principalement (mais pas exclusivement) sous l’angle qui est celui de la commission des Lois, à savoir celui du droit des étrangers en France.

Le présent avis, après avoir exposé brièvement l’évolution des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration dans le projet de loi de finances pour 2014 (I), est consacré aux enjeux de la mobilité étudiante et comporte une série de recommandations visant à fonder une politique d’attractivité universitaire et scientifique ambitieuse (II). Il dresse également un bilan des suites qui ont été accordées par le Gouvernement aux préconisations de l’avis présenté l’année dernière par notre collègue Patrick Mennucci sur l’accès à la nationalité française (III).

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L’IMMIGRATION ET À L’INTÉGRATION

La mission « Immigration, asile et intégration » regroupe deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104). Les crédits de la mission, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2014, s’élèvent à 653,53 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 664,9 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution par rapport à la loi de finances initiale pour 2013 de 1,3 % en autorisations d’engagement et de 0,9 % en crédits de paiement.

L’essentiel du montant de la mission est, comme les années précédentes, consacré au programme « Immigration et asile », qui représente 90,6 % de ses crédits, avec 591,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et 602,6 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution de 0,8 % en autorisations d’engagement et de 0,3 % en crédits de paiement

Au sein de ce programme, l’action Garantie de l’exercice du droit d’asile, qui ne relève pas du présent avis budgétaire (1), absorbe 85,11 % des autorisations d’engagement, avec 503,73 millions d’euros, et 83,59 % des crédits de paiement, avec le même montant. Ces crédits sont en légère augmentation par rapport à la loi de finances pour 2013 (+ 0,5 %), qui les avait elle-même accrus de 22,6 %.

L’action Lutte contre l’immigration irrégulière reste le deuxième poste de dépense, avec 63,41 millions d’euros en crédits de paiement, soit 10,71 % des crédits de paiement du programme, et 73,41 millions en autorisations d’engagement, soit 12,18 % de celles-ci. Ces crédits connaissent une baisse de 8,44 % en autorisations d’engagement et de 3,1 % en crédits de paiement. Cette évolution résulte d’une diminution des crédits, d’une part, consacrés au fonctionnement des centres de rétention administrative (liée à la baisse du nombre de retenus et à la mutualisation des achats) et, d’autre part, dévolus aux éloignements, du fait de la diminution du coût moyen unitaire lié à la proximité des pays d’origine des éloignés et à l’augmentation du nombre de retours volontaires.

L’action Soutien regroupe 23,17 millions d’euros en autorisations d’engagement et 23,96 millions d’euros en crédits de paiement. Ces crédits sont en diminution de 8 % en crédits de paiement, afin de respecter les orientations gouvernementales en termes de baisse des dépenses de fonctionnement.

Enfin, l’action Circulation des étrangers et politique des visas représente 1,49 million d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement (en diminution de 3,7 % par rapport à 2013), soit une part marginale (0,25 %) de l’ensemble des crédits du programme.

Les crédits du programme « Intégration et accès à la nationalité française » ne représentent que 9,4 % des crédits de la mission. Ils s’élèvent, dans le projet de loi de finances initiale pour 2014, à 61,73 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 62,3 millions d’euros en crédits de paiement. Ces crédits connaissent une baisse de 3,89 millions d’euros (représentant 5,9 % du montant du programme) en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

L’action la plus importante du programme est consacrée aux Actions d’intégration des étrangers en situation régulière. Elle représente 34,95 millions d’euros, soit 56,61 % des autorisations d’engagement et 56,09 % des crédits de paiement. Elle est en diminution de 9,4 % par rapport à 2013, la baisse la plus sensible (12,6 %) concernant les activités d’intégration.

La deuxième action, en volume, du programme couvre les Actions d’intégration des réfugiés. Elle rassemble 14,36 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 23,26 % des autorisations d’engagements et 23,04 % des crédits de paiement du programme. Elle est en légère hausse, de 0,41 %, par rapport à 2013.

Les Actions nationales d’accueil des étrangers primo arrivants et de formation linguistique représentent 11,17 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 18,09 % des autorisations d’engagement et 17,9 % des crédits de paiement du programme. Elle couvre la subvention pour charges de service public versées à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui diminue de 3,8 % par rapport à 2013. Cette diminution est à déplorer, tant le travail d’accueil et d’intégration nécessite une prise en charge personnalisée, en particulier lorsqu’il s’agit d’actions liées à la formation linguistique par les organismes certifiés par le label qualité « Français langue d’intégration » (FLI) (2). Cela est d’autant plus dommageable que d’autres programmes, dans le cadre des politiques de cohésion sociale et d’insertion, ne pourront pas compenser cette baisse des crédits consacrés à l’apprentissage du français.

L’action Naturalisation et accès à la nationalité représente 1,25 million d’euros en autorisations d’engagement et 1,82 million d’euros en crédits de paiement, soit une hausse, respectivement, de 10,6 % et de 7,1 %. Cette augmentation doit notamment permettre à la sous-direction de l’accès à la nationalité française de faire face, en plus de ses dépenses de fonctionnement courant, à des frais de contentieux et d’archivage.

DEUXIÈME PARTIE : LES ENJEUX DE LA MOBILITÉ ÉTUDIANTE : RENFORCER LE RAYONNEMENT ET L’ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE

Conformément à l’engagement pris par le président de la République lors de sa campagne, un premier débat parlementaire sur l’immigration professionnelle et la mobilité étudiante s’est tenu au Sénat, le 24 avril 2013, et à l’Assemblée nationale, le 13 juin dernier. Il a été précédé par la publication, en avril 2013, d’un rapport du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (3). Ce premier débat constitue une initiative très positive, qui a permis d’éclairer le Parlement sur la réalité de ces flux migratoires et de dessiner les grands axes de la politique suivie dans ce domaine. Votre rapporteure pour avis a souhaité, en se fondant sur les enseignements de ce débat, le prolonger et l’approfondir sur un thème précis, celui de la mobilité internationale des étudiants.

La politique d’accueil des étudiants étrangers est partagée entre plusieurs ministères : celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et le ministère du Travail. Chacun d’entre eux a ses priorités et ses préoccupations. La mise en place d’une véritable politique d’attractivité universitaire et scientifique exige de ce fait une mise en cohérence de ces différentes logiques, à laquelle le présent avis espèrera contribuer. À cette fin, il formule une série de recommandations précises, dont certaines pourraient se traduire dans la future loi relative à l’immigration dont notre assemblée devrait être saisie en 2014.

La France dispose de nombreux atouts pour attirer les étudiants étrangers, mais apparaît en recul, dans un contexte de plus en plus concurrentiel (I). Il lui faut développer une véritable stratégie d’attractivité vis-à-vis des étudiants internationaux, déclinée en plusieurs propositions concrètes, afin de préserver son rayonnement et son influence (II).

L’accueil des étudiants étrangers est devenu un facteur important d’influence sur la scène internationale et un enjeu pour la compétitivité économique d’un pays. La France, longtemps premier pays d’accueil non anglophone, demeure attractive mais est en recul dans le classement international des pays de destination, où elle est passée de la quatrième à la cinquième place.

La mobilité internationale des étudiants est en forte croissance. La population étudiante mondiale devrait doubler de 2000 à 2015, atteignant 200 millions, dont les deux tiers en provenance des pays émergents et la moitié de la Chine et de l’Inde. Les étudiants en mobilité internationale étaient évalués à 3,6 millions en 2010 ; ils devraient être de 4 à 6 millions d’ici 2025.

Cette « explosion » du nombre d’étudiants internationaux s’accompagne d’une concurrence accrue entre les établissements d’enseignement supérieur pour les accueillir. Si les pays de l’OCDE ont longtemps été parmi les destinations privilégiées par ces étudiants, de nouveaux acteurs, particulièrement en Asie (Singapour, Qatar, Malaisie, Chine) font leur apparition.

L’attractivité exercée à l’égard de ces étudiants est devenue un facteur d’influence. Nos partenaires sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à mettre en place des stratégies destinées à attirer les meilleurs de ces étudiants. Il existe désormais un véritable marché de l’enseignement supérieur, sur lequel la concurrence internationale se durcit.

La Pologne et la Chine, par exemple, ont créé leur agence de promotion de leur enseignement supérieur à l’international.

En Australie, les revenus générés par les 402 000 étudiants internationaux accueillis (dont 80 % sont originaires de pays asiatiques) s’élèvent à 15 milliards de dollars australiens par an – soit 10 milliards d’euros environ – et représentent plus de 100 000 emplois. Un rapport public (4) recommande d’augmenter le nombre d’étudiants accueillis de 30 % d’ici 2020, soit 117 000 étudiants supplémentaires. Les frais d’inscription, qui y sont les plus élevés au monde (38 000 dollars US en moyenne) devant les États-Unis selon une étude réalisée par un cabinet de conseil en 2013 (5) représentent près d’un cinquième de certaines universités, comme celle de Monash (Melbourne), classée parmi les premières du pays.

Les retombées positives de l’accueil d’étudiants étrangers vont bien au-delà du seul domaine académique. Les étudiants formés en France sont une richesse pour leur pays, mais aussi de futurs « ambassadeurs » du nôtre. Par les liens qu’ils auront tissés avec notre pays, ils seront des relais puissants, des interlocuteurs privilégiés pour nos entreprises, nos universités et nos centres de recherche. Ils sont un facteur d’enrichissement pour les étudiants français et pour les établissements qui les accueillent, par l’ouverture sur le monde, le regard extérieur et la diversité qu’ils apportent. La visibilité et la réputation internationales des établissements d’enseignement supérieur est également accrue par cet accueil d’étudiants étrangers. Enfin, l’accès au marché du travail français des diplômés étrangers à fort potentiel contribue au dynamisme de notre économie et à la compétitivité internationale des entreprises françaises.

Un état des lieux statistique de l’accueil des étudiants étrangers démontre que la France dispose d’atouts importants et reste attractive pour les étudiants internationaux, mais que son classement parmi les pays d’accueil tend à décliner.

La France accueille, chaque année, environ 60 000 nouveaux étudiants étrangers, qui représentent environ 30 % des flux migratoires annuels, les études constituant le deuxième motif d’admission au séjour, derrière l’immigration familiale. Ce flux a connu une hausse régulière et significative entre 2008 et 2010, avec un taux d’augmentation supérieur à 10 % par an, puis a diminué, très légèrement en 2011 (– 0,6 %) et fortement en 2012 (– 10,5 %). La concomitance de cette diminution avec la circulaire du 31 mai 2011 sur les conditions d’accès au marché du travail des étudiants fait supposer que cette diminution (de 6 724 étudiants en valeur absolue), qui témoigne d’une perte d’attractivité de notre pays pour les étudiants internationaux, est corrélée à l’adoption de ce texte.

En « stock », si l’on peut employer un tel terme, et non plus en flux, le nombre d’étudiants étrangers inscrits en 2010-2011 était de 284 659 étudiants (dont environ 19 % originaires d’un autre État membre de l’Union européenne). En 2011-2012, il était de près de 289 000 (288 544) étudiants, soit 12,3 % de l’ensemble des étudiants (près de un sur huit inscrits), et quatre fois plus que le nombre de Français étudiant à l’étranger (54 407). En 2012-2013, la France a accueilli 289 274 étudiants étrangers, parmi lesquels près des trois quarts (74,7 %) étaient inscrits à l’université, qui est suivie par les écoles de commerce et les écoles d’ingénieurs.

Sur une plus longue période, le nombre d’étudiants étrangers a quasiment doublé : en 1998, il était d’environ 150 000.

ÉVOLUTION DU NOMBRE TOTAL D’ÉTUDIANTS INTERNATIONAUX EN FRANCE DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Source : Campus France.

Le premier pays d’origine des étudiants étrangers en mobilité en France en 2012-2013 est le Maroc. Il est suivi par la Chine, l’Algérie, la Tunisie et le Sénégal. 23 % des étudiants étrangers proviennent du Maghreb, et plus largement près d’un étudiant étranger sur deux est issu du continent africain. En 2011-2012, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ne représentaient que 14,3 % des étudiants étrangers. En flux annuel, ce sont les ressortissants chinois qui arrivent en premier, depuis 2008.

LES 20 PREMIERS PAYS D’ORIGINE DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS EN MOBILITÉ
EN FRANCE EN 2012-2013

Pays d’origine

Effectifs

Part

Évolution 2012 /2011

Évolution 2012/ 2009

Maroc

32 104

11,1 %

- 1,2 %

6,0 %

Chine

30 349

10,5 %

2,2 %

11,9 %

Algérie

22 697

7,8 %

- 4,4 %

9,2 %

Tunisie

11 909

4,1 %

- 8,2 %

- 7,1 %

Sénégal

8 995

3,1 %

- 5,9 %

- 6,5 %

Allemagne

8 778

3,0 %

- 0,2 %

9,7 %

Italie

8 441

2,9 %

6,1 %

32,9 %

Cameroun

7 401

2,6 %

- 1,1 %

11,4 %

Viêt Nam

6 295

2,2 %

2,9 %

0,7 %

Espagne

5 907

2,0 %

2,9 %

31,6 %

Russie

4 984

1,7 %

1,0 %

17,2 %

Brésil

4 939

1,7 %

5,7 %

26,4 %

États-Unis

4 700

1,6 %

5,6 %

10,7 %

Liban

4 563

1,6 %

- 7,5 %

- 18,8 %

Roumanie

4 532

1,6 %

- 6,0 %

0,5 %

Côte d’Ivoire

4 493

1,6 %

3,7 %

16,2 %

Madagascar

4 118

1,4 %

0,3 %

10,5 %

Gabon

4 095

1,4 %

- 4,6 %

- 3,4 %

Belgique

3 937

1,4 %

3,0 %

16,2 %

Portugal

3 912

1,4 %

2,3 %

26,0 %

Sources : MESR-DGESIP/DGRI-SIES et MEN-MESR DEPP

La part des étudiants étrangers à l’université augmente tout au long des cursus : ils représentent 11 % des inscriptions en licence, 19 % en master et 41 % en doctorat. L’origine géographique varie avec le niveau d’études de la formation suivie. Ainsi, on constate une plus forte représentation des étudiants originaires d’Asie en doctorat.

Si l’on s’attache à la répartition des étudiants étrangers selon la discipline, on observe que ce sont dans les disciplines générales et de santé à l’université, ainsi que dans les instituts nationaux polytechniques et dans les universités de technologie que la proportion d’étudiants étrangers est la plus forte (respectivement 16 %, 20,1 % et 24,1 %).

Le taux de réussite des étudiants étrangers reste significativement moins élevé que celui des étudiants français, mais tend à s’en rapprocher. Le taux de réussite des étudiants étrangers en cursus licence (diplômés de la dernière année de licence [L3] et inscrits en L3 une année donnée) était de 42,3 % au cours de l’année universitaire 2005-2006, contre 75,2 % pour les étudiants français ; il est passé à 55,5 % en 2011-2012 contre 78,7 % pour les étudiants français.

La France a longtemps été le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers, mais a été dépassée par l’Allemagne en 2012. La publication de la « circulaire Guéant » a diminué l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur et, plus largement, a porté atteinte à l’image d’ouverture et d’accueil de notre pays.

En 2010, les cinq premiers pays d’accueil des étudiants internationaux étaient, selon les données de l’OCDE, les États-Unis (684 807), le Royaume-Uni (397 741) (6), l’Australie (271 231), l’Allemagne (263 972) et la France (259 935). On observera que les trois premiers pays sont des pays anglophones. Les dix premiers pays d’accueil (qui inclut les 5 premiers cités, auxquels il convient d’ajouter le Japon, le Canada, l’Afrique du Sud, la Fédération de Russie et l’Italie) accueillent à eux seuls 71 % des étudiants internationaux.

On observera que dans un contexte de forte augmentation du nombre d’étudiants en mobilité internationale, la France ne pourra conserver son rang que si elle augmente elle-même considérablement le nombre d’étudiants accueillis. Une telle augmentation aurait un impact très significatif sur ses établissements d’enseignement supérieur et leur dimensionnement.

Face au déclin, heureusement encore relatif, de la place de la France dans l’accueil des étudiants étrangers, il convient de mettre en place une politique d’attractivité ambitieuse. Celle-ci devrait comporter plusieurs leviers, dont certains peuvent être utilisés à court terme, tandis que d’autre relèvent d’une stratégie de plus long terme.

À court ou moyen terme, plusieurs mesures destinées à faciliter et à sécuriser le parcours des étudiants pourraient être adoptées afin de :

– faciliter, en amont, les démarches des étudiants étrangers souhaitant venir étudier en France ;

– simplifier les formalités auxquels les étudiants sont soumis, une fois admis sur le territoire français ;

– rendre notre pays plus attractif pour les meilleurs étudiants, en leur offrant des perspectives à l’issue de leurs études.

À plus long terme, une réflexion stratégique devrait être menée sur des sujets tels que la modulation des frais de scolarité et l’implantation des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.

Les étudiants se voient délivrer, depuis 2009 (7), un visa de long séjour dispensant de titre de séjour (VLS-TS). Sa durée maximale (et de principe, sauf circonstances spécifiques telles qu’une durée plus courte du cursus (8)) est d’un an. Ce type de visa dispense les étudiants de solliciter une carte de séjour en préfecture durant toute leur première année d’études en France, sous réserve d’accomplir certaines formalités d’enregistrement auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) (9).

La délivrance de ce type de visa constitue une simplification bienvenue des formalités à accomplir lors de la première année du séjour. Des améliorations peuvent cependant être apportées au dispositif existant, en ce qui concerne la délivrance des visas, la motivation des refus et la durée des visas délivrés.

Dans 30 pays (10), une procédure dématérialisée de candidature a été mise en place. Elle est définie par une convention-cadre « Centres pour les études en France » (CEF) signée en 2005 entre les ministères des Affaires étrangères, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, de la Culture et de la communication, la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. Elle permet au candidat d’effectuer une seule démarche d’inscription en ligne pour l’ensemble des établissements choisis, au maximum de quinze. Les étudiants sont conseillés dans leur choix par les agents des « espaces Campus France » (11). Dans les pays concernés, cette procédure CEF doit obligatoirement être suivie en vue de l’obtention d’un visa étudiant. Elle permet de couvrir 85 % de la demande de visas pour études. Au 1er août 2013, 239 établissements ont adhéré (12).

Cette procédure dématérialisée est positive, à la fois pour les étudiants et pour les établissements concernés, et la généralisation de la dématérialisation devrait constituer un objectif. Des dysfonctionnements diminuent cependant son efficacité et de nombreux représentants de la communauté universitaire entendus par votre rapporteure pour avis ont formulé des critiques concernant cette procédure. La répartition des rôles et la coopération entre les établissements d’enseignement supérieur, les agents des espaces Campus France et des autorités consulaires n’apparaissent pas toujours satisfaisantes. Par ailleurs, l’efficacité du dispositif dépend largement du niveau de compétence des agents des espaces campus France, qui sont des personnels contractuels locaux, particulièrement mobiles, devant disposer d’une connaissance fine de notre système d’enseignement supérieur et de l’offre de formation de nos établissements. Leur formation devrait donc être renforcée.

Proposition n° 1 :

Renforcer la formation des agents des espaces Campus France.

Votre rapporteure pour avis estime également qu’il conviendrait de renforcer la cohérence des avis émis par les services de coopération et d’action culturelle (SCAC), sur le plan académique, et par les autorités consulaires, s’agissant de la délivrance du visa. Afin d’éviter qu’un avis positif ne soit par la suite suivi d’un refus de visa, ce qui est difficilement compréhensible pour le postulant, il serait souhaitable que ces deux décisions soient prises simultanément et à l’issue d’une concertation entre les services concernés.

Proposition n° 2 :

Renforcer la cohérence des avis émis par les services de coopération et d’action culturelle (SCAC), sur le plan académique, et par les autorités consulaires, s’agissant de la délivrance du visa, en prévoyant une prise de décision simultanée.

Votre rapporteure pour avis se félicite, par ailleurs, des facilitations procédurales pour les étudiants opérées par le télégramme diplomatique envoyé aux postes consulaires le 27 mai 2013. Ce télégramme est venu préciser les critères d’instruction des dossiers, afin d’apporter plus de souplesse concernant trois points :

– la prise en compte du niveau atteint par les candidats dans leur cursus universitaire ;

– l’application du critère académique ;

– la mise en œuvre des critères consulaires, avec un allègement des pièces justificatives destinées à s’assurer que les conditions d’hébergement et de ressources sont réunies.

À la différence des refus de visa de court séjour, qui doivent être motivés depuis le 5 avril 2011 en application du règlement n° 810/2009 du 13 juillet 2009 (dit « code communautaire des visas »), les décisions de refus de visa de long séjour valant titre de séjour étudiant (VLS-TS) prises par les autorités diplomatiques ou consulaires ne sont pas motivées, en application de l’article L. 211-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Ces visas n’entrent en effet pas dans l’une des catégories de visas faisant exception à la règle de non-motivation, énumérées par les 1° à 7° de cet article L. 211-2.

Rappelons que les refus de visas étudiants devaient être motivés, en application de l’une des dispositions de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile (RESEDA), dite « loi Chevènement ». Cette obligation de motivation a été supprimée par l’article 2 de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Il conviendrait de rétablir cette obligation de motivation, sous réserve des considérations tenant à la sûreté de l’État, afin de renforcer les droits des demandeurs et de leur permettre de comprendre les motifs du refus qui leur a été opposé.

Proposition n° 3 :

Motiver les refus de visas de long séjour étudiants et scientifiques.

Les visas de long séjour valant titre de séjour étudiant (VLS-TS) ont une durée maximale de douze mois. Lors de son déplacement au centre de mobilité internationale (CMI) de Rennes, l’attention de votre rapporteure pour avis a été attirée sur les difficultés que rencontrent certains étudiants, lorsque la durée de validité de leur VLS-TS expire au cours de l’été, en particulier s’ils souhaitent retourner, durant les congés de cette période, dans leur pays d’origine. Cette situation conduit certaines préfectures à délivrer des « récépissés d’été » (c’est-à-dire des récépissés de demande de carte de séjour, RCS), d’une validité maximale de trois mois, aux étudiants ayant une attestation de pré-inscription, d’inscription ou une convention de stage pour l’année universitaire suivante. Si l’étudiant n’a pu se voir délivrer une attestation de pré-inscription, aucun récépissé ne peut cependant lui être délivré. Par ailleurs, les pratiques des préfectures pour faire face à ces difficultés sont variables, et certaines ne délivrent pas de tels récépissés, même lorsque l’étudiant est en mesure de produire une attestation de pré-inscription.

Afin d’éviter ces difficultés et de limiter l’afflux de demandes à l’approche de l’été, votre rapporteure pour avis invite le Gouvernement à allonger la durée de validité maximale des VLS-TS étudiants de quelques mois, afin qu’elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire. Cette réforme, de nature réglementaire, constituerait une simplification administrative significative pour les étudiants et allégerait la charge de travail des préfectures.

Proposition n° 4 :

Allonger la durée de validité maximale des visas de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) étudiants afin qu’elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire.

La mobilité encadrée concerne les étudiants inscrits dans le cadre d’échanges universitaires ou qui bénéficient de bourses d’études. Ce type de mobilité facilite l’accueil depuis le pays d’origine à l’arrivée en France, ainsi que le suivi et l’accompagnement des étudiants étrangers. Environ 20 % des étudiants étrangers viennent dans le cadre d’une mobilité encadrée : ce taux est assez faible et devrait être augmenté.

Le développement de la mobilité encadrée permettrait de renforcer l’implication des universités dans la qualité d’accueil et d’accompagnement des étudiants étrangers.

Ce développement exige un effort de rationalisation de la politique de coopération universitaire internationale des établissements d’enseignement supérieur. Certains établissements ont conclu près d’un millier de conventions. Ce nombre élevé n’est pas une difficulté en soi – il révèle même un dynamisme qu’il faut saluer – mais il compliquera la mise en place d’une stratégie cohérente et plus sélective au niveau national.

Proposition n° 5 :

Développer la mobilité encadrée des étudiants, s’inscrivant dans le cadre d’un échange universitaire ou d’une bourse.

Dans certains départements, des guichets d’accueil situés au sein même des établissements d’enseignement supérieur ou d’un groupement commun à plusieurs établissements ont été mis en place par les préfectures, par la voie de convention, afin de permettre aux étudiants étrangers de déposer leur demande de titre de séjour sans avoir à se déplacer en préfecture. Dans certains établissements, ce sont de véritables « guichets uniques » qui ont été créés, regroupant les services de la préfecture, de la caisse des allocations familiales (CAF), des œuvres universitaires (CROUS), des mutuelles étudiantes, des collectivités et des transports en commun. Les prestations offertes aux étudiants sont larges, incluant l’inscription administrative et pédagogique dans l’établissement, le titre de séjour, le logement, la couverture sociale, la visite de l’établissement, l’abonnement aux services de transport, la description de la ville de résidence, etc. Dans certains de ces dispositifs, seule la remise du titre de séjour nécessite encore un déplacement en préfecture ; dans d’autres, elle est assurée également dans les locaux de l’établissement ou du groupement commun à plusieurs établissements.

Dans le département d’Ille-et-Vilaine, par exemple, les services de la préfecture sont présents dans les locaux d’un groupement commun à onze établissements d’enseignement supérieur de Rennes et la communauté d’agglomération Rennes Métropole, le Centre de mobilité internationale de Rennes (CMI). Cette coopération a donné lieu à la signature d’une convention entre la préfecture, d’une part, et l’Université européenne de Bretagne (UEB) et le Centre de mobilité internationale de Rennes, d’autre part. Celle-ci prévoit que la constitution des dossiers est assurée par les personnels permanents du CMI, préalablement formés à cette fin par les services de la préfecture. Une fois les dossiers complets, les étudiants sont orientés vers les agents préfectoraux présents dans les locaux du CMI, au nombre de deux lors de la rentrée universitaire. Ceux-ci effectuent sur place la prise d’empreintes des étudiants, doctorants et chercheurs venant déposer leur demande, deux stations biométriques AGDREF (13) étant installées dans les locaux à cette fin, ainsi que la saisie sur l’application AGDREF des dossiers. Ils délivrent ensuite immédiatement le récépissé de demande de titre. Le dossier complet est ensuite transmis et instruit en préfecture. Si la décision est favorable, le titre est envoyé en fabrication, et il est délivré à l’étudiant étranger au CMI. Les « récépissés d’été » (évoqués supra) sont également délivrés au CMI de Rennes.

Des dispositifs similaires ont été mis en place, par exemple, dans l’Hérault au Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) de l’Université de Montpellier de l’Université Montpellier Sud, dans le Rhône à l’Espace multiservices étudiants de Lyon ou dans la Haute-Vienne à l’Université de Limoges. À Paris (où, par ailleurs, la préfecture de police dispose de locaux spécifiquement dédiés à l’accueil des étudiants étrangers, au Centre des étudiants étrangers), une antenne de la préfecture de police est installée à la Cité internationale universitaire de Paris pour recevoir les demandes de titre de séjour.

Dans d’autres départements, des guichets uniques ont été créés par des établissements, mais les services de la préfecture n’y sont pas présents, ce qui limite les prestations offertes aux étudiants, s’agissant du titre de séjour, seules des informations pouvant éventuellement être fournies à ce sujet, ainsi qu’une aide à la prise de rendez-vous en préfecture.

Pour la rentrée universitaire 2013, selon les informations transmises à votre rapporteure pour avis, l’ouverture de 22 nouveaux points d’accueil des étudiants étrangers hors préfectures a été programmée sur la base de conventions de partenariats conclues entre universités et préfectures. L’extension à de nouveaux sites est envisagée pour la rentrée universitaire 2014, afin d’assurer une couverture quasi-complète des sites universitaires.

Votre rapporteure pour avis souhaite que ces dispositifs, qui simplifient significativement l’accomplissement de leurs formalités administratives par les étudiants étrangers, soient encouragés et développés.

Ces mesures de simplification, si elles satisfont aux objectifs de lisibilité et d’efficacité qui sont les nôtres, devraient par la suite être étendues à l’ensemble des démarches des étrangers résidant en France.

Proposition n° 6 :

Développer le recours aux « guichets uniques » permettant aux étudiants de déposer leurs demandes de titres de séjour et de se voir délivrer ces titres dans l’établissement d’enseignement supérieur où ils sont inscrits.

Les étudiants étrangers titulaires d’un visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) sont tenus, comme la plupart des étrangers admis au séjour pour plus de trois mois, de passer une visite médicale auprès de l’Office de l’immigration et de l’intégration (OFII). Au cours de cette visite, ils bénéficient d’examens médicaux et paramédicaux obligatoires comprenant notamment une radiographie des poumons, un test poids-taille-vue, éventuellement un test de glycémie capillaire, etc. Cette visite de prévention a notamment pour but de dépister tout problème de santé et, au besoin, les orienter vers un centre de soins pour un bilan et une prise en charge médicale, ainsi que d’attirer leur attention sur les facteurs de risque en matière de santé : déséquilibre alimentaire, diabète, sida, etc.

On ne saurait négliger l’intérêt de cette visite de prévention d’un point de vue prophylactique et de santé publique. Il pourrait cependant être envisagé, non pas de la supprimer purement et simplement, mais de permettre qu’elle soit effectuée auprès d’un médecin de ville agréé ou auprès des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMP) (14) des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS).

Proposition n° 7 :

« Banaliser » la visite médicale obligatoire pour les étudiants, en leur permettant de l’effectuer auprès d’un médecin de ville ou des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé des CROUS.

La possibilité de délivrance de titres de séjour pluriannuels aux étudiants et aux chercheurs a été trop longtemps sous-utilisée. Les assouplissements apportés récemment sont bienvenus, mais devraient être renforcés par une extension du dispositif aux étudiants suivant un cursus de niveau licence.

Depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, l’article L. 313-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit la possibilité pour le préfet de délivrer un titre de séjour pluriannuel, d’une durée ne pouvant excéder quatre ans, à deux catégories de personnes :

– les étudiants admis à suivre une formation conduisant à l’obtention d’un diplôme au moins équivalent au grade de master (15), lors du renouvellement de sa carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » au titre de l’article L. 313-7 du CESEDA ;

– les chercheurs titulaires d’une carte de séjour temporaire portant la mention « scientifique-chercheur » au titre de l’article L. 313-8 ou, depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, d’un visa de long séjour dispensant et valant titre de séjour (VLS-TS) portant la mention « scientifique-chercheur ».

Ce dispositif a été peu utilisé, même si l’on observe un développement progressif : 31 titres de séjour pluriannuels ont ainsi été délivrés en 2008, 403 en 2009, 1 861 en 2010, 3 351 en 2011 et 5 095 en 2012. En pratique, la délivrance d’un titre de séjour annuel est restée la règle, y compris pour les étudiants en master et doctorat, contribuant à l’engorgement des services des préfectures.

● La circulaire du 10 juin 2013

Afin d’amplifier le recours à cette possibilité, les ministres de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur ont, dans un premier temps, adopté une circulaire en date du 10 juin 2013 (16).

S’agissant des étudiants éligibles au titre de séjour pluriannuel, celle-ci rappelle aux préfets que la délivrance de ce titre doit constituer le principe et que l’annualité doit être l’exception. Elle souligne qu’elle est de plein droit pour les étudiants éligibles, l’appréciation du préfet ne portant que sur la durée adéquate du titre de séjour pluriannuel délivré, comprise entre deux et quatre ans. Cette durée doit en principe correspondre à la durée prévisible restant à courir avant l’obtention du diplôme (soit deux ans pour un master et trois ans pour un doctorat).

S’agissant des scientifiques-chercheurs, la formulation retenue par l’article L. 313-4 du CESEDA indique, en revanche, que la délivrance n’est pas de plein droit, mais est laissée à l’appréciation de l’autorité administrative. La circulaire invite cependant les préfets à privilégier systématiquement le titre de séjour pluriannuel pour les scientifiques-chercheurs, compte tenu de l’importance que revêt le secteur de la recherche en France et des enjeux d’attractivité du territoire pour les chercheurs internationaux. La durée du titre de séjour doit, selon la loi, être établie en tenant compte de la durée des travaux de recherche du demandeur. La durée prévisible étant précisée dans la convention d’accueil, c’est celle-ci qui doit en principe être la référence pour fixer la durée du titre délivré.

● La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche

L’une des limites textuelles du dispositif était que le titre de séjour pluriannuel ne pouvait être obtenu par les étudiants qu’à la suite d’une première carte de séjour temporaire, et non d’un visa de long séjour dispensant et valant titre de séjour (VLS-TS), à la différence des chercheurs. Les étudiants n’étaient donc éligibles au dispositif qu’après deux années de présence en France. La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a supprimé cette limite. Désormais, les étudiants étrangers sont, à l’instar des chercheurs, éligibles au titre de séjour pluriannuel à l’expiration du VLS-TS, donc dès leur deuxième année de présence en France.

Une circulaire datée du 30 juillet 2013 (17) a précisé les modalités de mise en œuvre de cette modification aux préfets, afin qu’elle soit effective dès la campagne de renouvellement de la rentrée 2013. Un décret est également en cours d’élaboration pour apporter les modifications nécessaires aux dispositions réglementaires du CESEDA.

Dans l’objectif de faciliter davantage les formalités administratives auxquelles les étudiants étrangers sont soumis et d’alléger la charge de travail des préfectures, votre rapporteure pour avis recommande d’étendre ce dispositif aux étudiants admis à suivre un cursus de niveau licence. Cette extension utile pourrait être opérée par la future loi relative à l’immigration, et serait cohérente avec la généralisation du titre de séjour pluriannuel que devrait opérer ce texte.

Proposition n° 8 :

Étendre le recours aux titres pluriannuels de séjour aux étudiants suivant un cursus de niveau licence.

Les règles applicables à l’accès au marché du travail des étudiants étrangers à l’issue de leurs études ont fait l’objet d’évolutions très contrastées, témoignant d’approches divergentes, pour ne pas dire opposées, sous la précédente et l’actuelle législature. Après avoir été considérablement durcies, ces règles ont été récemment assouplies.

En l’état du droit, deux procédures sont ouvertes aux étudiants étrangers qui souhaitent travailler en France à la fin de leurs études :

– ils peuvent solliciter l’obtention d’une carte de séjour « salarié » dans les conditions de droit commun, prévues à l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Dans ce cas de figure, la situation de l’emploi leur est opposable ;

– ils peuvent solliciter, au titre de l’article L. 311-11 du CESEDA et sous conditions, une autorisation provisoire de séjour (APS) de douze mois (depuis la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche) non renouvelable, durant laquelle ils sont autorisés à chercher et, le cas échéant, à exercer un emploi. À l’issue de cette période de douze mois, l’intéressé titulaire d’un emploi ou d’une promesse d’embauche se voit délivrer une carte de séjour « salarié » sans que lui soit opposable la situation de l’emploi.

Ce second dispositif, plus favorable, est subordonné aux conditions suivantes :

– l’étudiant doit être titulaire d’un diplôme au moins équivalent au master obtenu dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au niveau national ;

– l’emploi doit être en relation avec la formation de l’intéressé et faire l’objet d’une rémunération égale à au moins 1,5 SMIC ;

– il doit s’agir d’une première expérience professionnelle ;

– l’APS doit avoir été sollicitée par l’étudiant 4 mois avant l’expiration de son titre de séjour.

En 2012, 7 507 cartes de séjour « salarié » ont été délivrées à des étudiants, soit environ deux tiers des cartes délivrées à ce titre. Ce chiffre était de 6 200 en 2009, 6 139 en 2010 et 6 776 en 2011.

Le dispositif prévu par l’article L. 311-11 du CESEDA a été assoupli récemment, par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Celle-ci a apporté les modifications suivantes :

– elle a allongé la durée de l’APS de six mois à douze ;

– l’activité professionnelle exercée pendant la durée de l’APS n’est plus limitée à un seul emploi ou à un seul employeur ;

– la délivrance de l’APS n’est plus subordonnée à la perspective du retour dans le pays d’origine, ni à la participation au développement économique de la France et du pays d’origine.

Cet assouplissement contraste fortement avec les restrictions apportées par le précédent Gouvernement, par la circulaire du 31 mai 2011 du ministre de l’Intérieur et du ministre du Travail (18). Cette circulaire, connue sous le nom de la « circulaire Guéant » invitait l’administration à faire une application très restrictive de ces dispositions. La procédure de changement de statut des étudiants devait ainsi faire l’objet d’un contrôle approfondi, et l’exception prévue pour les étudiants sollicitant une APS rester « rigoureusement limitée ». La circulaire affirmait également que « le fait d’avoir séjourné régulièrement en France en tant qu’étudiant […] ne donne droit à aucune facilité particulière dans l’examen de la procédure de délivrance d’une autorisation de travail ». Cette circulaire, qui a suscité de très fortes réactions de la part de la société française (étudiants, présidents d’établissements d’enseignement supérieur, intellectuels, etc.), a par la suite été assouplie par une deuxième circulaire, en date du 12 janvier 2012 (19).

À la suite du changement de majorité et conformément à l’engagement pris par le président de la République, ces deux circulaires ont été abrogées par la circulaire du 31 mai 2012 des ministres de l’Intérieur, du Travail de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et de l’Enseignement supérieur et de la recherche (20), afin d’instaurer une relation renouvelée entre la France et les étudiants étrangers. L’administration y est notamment invitée à réduire les délais d’instruction à un maximum de deux mois, afin d’éviter à l’étranger le risque de perdre l’emploi auquel il postule.

L’atteinte à l’image et la réputation de notre pays, auprès des étudiants et chercheurs étrangers, résultant de la circulaire du 31 mai 2011 a cependant été considérable. Le message de fermeture au monde envoyé par ce texte a durablement entaché notre image, et réduit l’attractivité exercée par la France.

Quantitativement, la diminution de 10 % du nombre de visas étudiants sollicités en 2012 semble directement corrélée à cette circulaire, qui a sans doute dissuadé de nombreux étudiants étrangers de venir faire leurs études en France.

Plus directement, pendant la durée d’application de la circulaire, environ 4 demandes de changement de statut sur 5 ont été refusées par la préfecture de police de Paris. Après l’abrogation, cette proportion s’est inversée. Au niveau national, le taux de refus des autorisations de travail sollicitées dans le cadre d’un changement de statut (21) au dernier trimestre 2011 était de 42,9 %, et il est repassé aux environs de 20 % en 2013 (18,3 % au premier trimestre et 20,1 % au deuxième).

Les difficultés relatives aux démarches administratives des entreprises souhaitant employer des jeunes diplômés étrangers ne sont plus à démontrer. L’audition par votre rapporteure pour avis de M. Christian Queffélec, président directeur général de la société Astellia, spécialisée dans les nouvelles technologies, a illustré les obstacles que rencontrent les chefs d’entreprises désirant recruter des jeunes étrangers diplômés.

Ainsi, pour effacer le message négatif envoyé par la circulaire du 31 mai 2011, de nouveaux assouplissements apparaissent nécessaires.

L’un d’entre eux peut être opéré par la voie réglementaire. Il consisterait à supprimer le délai de quatre mois prévu par l’article R. 311-35 du CESEDA, qui impose à l’étranger titulaire d’une carte de séjour « étudiant » de solliciter la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour au plus tard quatre mois avant l’expiration de son titre.

Proposition n° 9 :

Supprimer l’obligation pour le titulaire d’une carte de séjour « étudiant » de solliciter la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour prévue par l’article L. 311-1 du CESEDA quatre mois avant l’expiration de son titre.

Une autre réforme, plus ambitieuse et de niveau législatif, consisterait à supprimer l’opposabilité de l’emploi pour les étudiants étrangers titulaires d’un diplôme d’un niveau au moins équivalent au master souhaitant acquérir une première expérience professionnelle, sans limiter cet assouplissement à un passage préalable par une autorisation provisoire de séjour. Afin d’éviter tout risque de détournement de la mobilité étudiante, il pourrait être envisagé de limiter cette suppression aux emplois qualifiés rémunérés à au moins 1,5 SMIC, comme pour le dispositif d’APS prévu par l’article L. 311-11 du CESEDA.

Proposition n° 10 :

Supprimer l’opposabilité de la situation de l’emploi pour les étudiants étrangers titulaires d’un master ayant obtenu une promesse d’embauche ou un contrat de travail pour un emploi rémunéré au moins 1,5 SMIC, sans imposer le passage préalable par une autorisation provisoire de séjour.

Le dispositif actuel apparaît par ailleurs exagérément restrictif pour les scientifiques-chercheurs, qui ne peuvent pas se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour en application de l’article L. 311-11 du CESEDA pour rechercher une première expérience professionnelle. Sur ce point également, une ouverture devrait être opérée.

Proposition n° 11 :

Assouplir l’accès des scientifiques-chercheurs à la procédure de délivrance d’une carte de séjour « salarié ».

S’agissant des titulaires d’un doctorat, l’accès à une carte de séjour particulièrement attractive devrait être envisagé, afin de valoriser la détention de ce diplôme de haut niveau.

Proposition n° 12 :

Prévoir l’accès à une carte de séjour plus attractive pour les titulaires d’un doctorat.

Les politiques suivies par les principaux pays de l’OCDE en matière de frais de scolarité diffèrent profondément, à la fois en termes de niveau et de modulation.

En ce qui concerne le niveau des frais de scolarité, la France est caractérisée par une quasi gratuité de l’enseignement universitaire, qui contraste avec les frais pratiqués par ses principaux concurrents pour l’accueil des étudiants étrangers. Le montant des frais constatés en Australie, où ils sont le plus élevés, est ainsi de 25 375 dollars US (22). Ce pays est suivi, dans le classement des pays pratiquant les frais les plus importants, par le premier pays d’accueil, les États-Unis, où ils s’élèvent à 25 226 dollars US. Le troisième pays de destination des étudiants étrangers, le Royaume-Uni, arrive également en troisième position pour les frais de scolarité (19 291 dollars US). Le quatrième pays d’accueil, l’Allemagne, se situe en revanche à un niveau nettement plus faible (635 dollars US).

En ce qui concerne la modulation des frais, une majorité d’États (Australie, Autriche, Belgique, Canada, République tchèque, Estonie, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Turquie, Royaume-Uni et États-Unis) pratique des frais de scolarité plus élevés pour les étudiants internationaux que pour les étudiants nationaux. Les pays ayant des frais de scolarité identiques pour les nationaux et les étrangers sont minoritaires (France, Italie, Japon, Corée du Sud, Mexique et Espagne).

Les pays combinant des frais de scolarité élevés et la différenciation des frais pour les étudiants internationaux et nationaux ont clairement fait le choix de rentabiliser l’excellence de leur enseignement supérieur, en s’adressant aux élites solvables des pays émergents. Leur attractivité auprès de ces dernières ne semble pas en souffrir ; certains soulignent qu’au contraire, c’est la modicité de nos frais d’inscription qui constituerait un handicap auprès des élites de certains pays (asiatiques en particulier), car elle serait perçue comme un signe de moindre qualité de notre enseignement supérieur. Les ressources de leurs établissements d’enseignement supérieur en sont significativement accrues, ce qui leur permet de procéder aux investissements nécessaires (locaux, recrutements, etc.) pour accroître leur visibilité et leur réputation internationales.

La stratégie retenue par la France est différente. Elle revient à faire financer par la collectivité la scolarité des étudiants internationaux – y compris ceux issus des classes aisées de certains pays émergents – qu’elle accueille, au même titre que celle des étudiants français.

La contribution financière du budget de l’État à l’accueil des étrangers est ainsi évaluée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche à environ 2,5 milliards d’euros par an, si l’on prend en compte les coûts réels des études suivies et les avantages liés au statut d’étudiants. Il convient cependant de souligner que cette approche strictement comptable n’offre qu’une vision partielle et économiquement incomplète. Durant leurs études, les étudiants étrangers, par leurs dépenses de vie quotidienne (évaluées entre 6 000 et 12 000 euros par an selon les profils) génèrent également des revenus pour l’économie française. Après leurs études, ils contribuent au dynamisme de l’économie française ainsi qu’au budget de l’État et la sécurité sociale, soit directement s’ils restent en France pour y travailler, soit indirectement si, retournés dans leur pays d’origine ou installés dans un autre État, ils conservent des liens avec la France, ses entreprises et ses établissements de recherche.

La question du maintien et de la pertinence de la stratégie française en matière de frais de scolarité, dans un contexte marqué par une augmentation considérable du nombre d’étudiants internationaux et de fortes contraintes budgétaires, mérite cependant d’être débattue. En effet, si les projections selon lesquelles le nombre d’étudiants internationaux doublera d’ici 2025-2030, pour maintenir sa place parmi les pays de destination, la France devrait, en théorie, doubler elle aussi le nombre des étudiants étrangers qu’elle accueille, donc son effort budgétaire, qui devrait être porté à plus de 5 milliards d’euros par an. Ses concurrents parmi les pays d’accueil sont confrontés au même défi, mais évidemment mieux à même de le surmonter, dès lors que des étudiants internationaux supplémentaires signifient, non pas un coût, mais un surcroît de moyens pour leurs établissements d’enseignement supérieur. Pour ces derniers, un doublement du nombre d’étudiants internationaux aurait de nombreuses retombées positives, puisqu’il se traduirait par davantage d’enseignants-chercheurs, de publications, de participation à des colloques internationaux, par exemple, donc par une visibilité internationale accrue.

C’est la raison pour laquelle une organisation comme la Conférence des grandes écoles, qui préconise un accroissement très significatif, en dix ans, du nombre d’étudiants internationaux (+ 50 000 par an), recommande que cette augmentation s’accompagne d’une modulation des frais de scolarité pour ces étudiants, afin d’assurer un autofinancement de cette dynamique et de l’accompagner par la mise en place d’un système de bourses plus généreux, permettant de maintenir l’accessibilité de nos établissements d’enseignement supérieur aux étudiants des pays moins avancés. Cette proposition de modulation des frais de scolarité a cependant fait l’objet d’un rejet par toutes les associations étudiantes rencontrées par votre rapporteure pour avis, à l’exception de l’une d’entre elles.

Une autre option, moins radicale, consisterait à accroître le recours aux possibilités offertes par le décret n° 2002-564 du 30 avril 2002 relatif à la rémunération de services de formation proposés dans le cadre de leur mission de coopération internationale par les établissements publics d’enseignement supérieur. Ce texte permet en effet aux établissements de faire financer par les étudiants étrangers les formations spécifiquement adaptées qu’ils leur offrent, en France, sur place ou à distance (tels que des cours de français, par exemple).

Les enjeux de ce débat pour notre système d’enseignement supérieur, sa place internationale et, plus largement, pour le rayonnement de notre pays sont considérables. Ils méritent qu’une vaste concertation soit menée sur ce sujet, avec les organisations étudiantes et la communauté universitaire dans son ensemble. Celle-ci devrait notamment aborder les questions suivantes :

– la France doit-elle, pour maintenir la place de son système d’enseignement supérieur dans le monde, accroître très significativement le nombre d’étudiants étrangers qu’elle accueille au cours des dix prochaines années ?

– si la réponse à cette question est positive, est-elle en mesure de le faire dans les conditions actuelles, c’est-à-dire en maintenant à la fois la modicité de ses frais d’inscription et leur caractère indifférencié entre étudiants français et internationaux ?

– si une différenciation des frais de scolarité entre les étudiants étrangers (hors pays appartenant à l’Espace économique européen) et les autres étudiants est envisagée, quelle devrait être l’ampleur de cette hausse ? Quel serait son impact sur l’attractivité de la France pour les étudiants étrangers ?

– Quelle devrait être la part des revenus générés par la modulation des frais allouée au financement d’une expansion du nombre de bourses accordées aux étudiants internationaux, destinée à maintenir l’accessibilité de notre enseignement supérieur aux étudiants moins favorisés ?

Proposition n° 13 :

Mener une concertation sur la modulation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux.

L’implantation d’établissements d’enseignement supérieur s’est considérablement développée, sous des formes très diverses, au cours des dix dernières années. Les établissements britanniques, américains et australiens ont été extrêmement actifs dans ce domaine.

Si l’on prend l’exemple du Royaume-Uni, sur les 200 campus délocalisés (« international branch campuses ») recensés dans le monde en 2012, 21 sont britanniques. Ils ont été ouverts par 16 universités différentes (23) dans neuf pays (Australie, Chine, Ghana, Hong Kong, Malaisie, Singapour, Afrique du Sud, Émirats arabes unis et Ouzbékistan). Le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans un programme développé par un établissement britannique à l’étranger s’élève à 503 781 étudiants. Il est désormais supérieur à celui des étudiants étrangers inscrits au Royaume-Uni.

L’implantation des établissements français à l’étranger prend des formes très diverses. Il convient de distinguer l’implantation physique d’établissements à l’étranger des délocalisations de formations sans implantation physique.

L’implantation physique d’établissements est une forme marginale du processus plus large de délocalisation des formations françaises. Deux catégories d’établissements peuvent être distinguées :

– les « campus off shore » développés en majorité à l’initiative des établissements français eux-mêmes. Ils peuvent être soutenus par le ministère des Affaires étrangères (Écoles centrales à Pékin), les gouvernements locaux (Sorbonne à Abu Dhabi) ou relever d’un financement uniquement privé (ESSEC à Singapour) ;

– les « universités françaises » de droit local (Égypte, Arménie, Turquie à Galatasaray) ou les écoles (l’École supérieure algérienne des affaires [ESAA], l’École supérieure des affaires [ESA] au Liban, le Centre de formation franco-vietnamien à la gestion [CFVG] ou encore l’Institut de technologie franco-sud-africain [F’SATI]) relevant d’accords intergouvernementaux, ainsi impulsés à un niveau politique. Ces universités ou écoles créées ex nihilo fonctionnent grâce à la mise en place de consortiums d’établissements français partenaires.

Les délocalisations de formations – sans implantation physique mais en partenariat avec une structure locale – sont plus importantes en nombre. Ainsi, pour le seul Maroc, le dernier recensement des formations délocalisées effectué en 2010 faisait état de 230 formations françaises.

Plusieurs types de formations délocalisées existent. Elles peuvent conduire les étudiants à un diplôme national français (licence, master ou doctorat), diplôme d’université (DU) ou un certificat ; les diplômes peuvent être délivrés en co-diplômation (un seul diplôme cosigné par les deux partenaires), en double diplômation (deux diplômes distincts sanctionnant la même formation) ; la formation peut être suivie intégralement à l’étranger ou à l’issue d’une mobilité à part égale entre les deux pays.

On peut également distinguer, outre les « campus off shore » :

– les filières universitaires francophones, formes abouties de coopération proposant le plus souvent à l’étranger un cursus francophone complet depuis le niveau Licence 1 (au Liban : filière de droit à l’Université libanaise). Le ministère des Affaires étrangères et l’agence universitaire de la francophonie soutiennent particulièrement ces filières ;

– les formations initiées par les établissements, non nécessairement inscrites dans des programmes nationaux ou internationaux de coopération ni soutenues par des financements extérieurs. Elles se développent particulièrement au niveau master dans des disciplines nécessitant peu d’investissements en équipement (moins onéreux en engagement financier car exigeant moins d’heures de cours, et incluant des stages réduisant la durée des études).

Ces stratégies d’implantation internationale, développées par les établissements eux-mêmes le plus souvent, doivent être soutenues par l’État. Celui-ci pourrait notamment encourager la constitution de consortiums d’établissements, afin de regrouper les initiatives de plusieurs universités et écoles et de développer, autour d’un projet de coopération, des actions de formation et de recherche en commun, plutôt qu’un éparpillement des initiatives.

Proposition n° 14 :

Encourager l’implantation internationale des établissements d’enseignement supérieur français.

TROISIÈME PARTIE : LE SUIVI DES RECOMMANDATIONS DE L’AVIS BUDGÉTAIRE DE M. PATRICK MENNUCCI SUR L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

L’avis budgétaire présenté en octobre 2012 par notre collègue Patrick Mennucci sur les crédits consacrés par la loi de finances pour 2013 à l’immigration, à l’intégration et à l’accès à la nationalité française de la loi, avait pour thème l’accès à la nationalité française (24).

Rappelons que ce rapport a démontré que la chute brutale des naturalisations constatée en 2011, de près de 30 %, était due à une hausse, sans précédent, du taux de décisions défavorables, qui a plus que doublé entre 2008 (26,2 %) et 2012 (55,34 %). Cette hausse considérable des décisions de rejet et d’ajournement des demandes a résulté d’un durcissement des critères d’appréciation desdites demandes, opéré dans l’opacité la plus complète par le précédent Gouvernement, par le biais d’instructions ministérielles confidentielles adressées aux préfets, sous forme de « fiches blanches », sans en-tête ni signataire. Ce durcissement a porté principalement sur les critères relatifs à l’insertion professionnelle et au séjour irrégulier. Ses effets ont, par ailleurs, été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation, intervenue le 1er juillet 2010 en application du décret n° 2010-725 du 29 juin 2010 relatifs aux décisions de naturalisation et de réintégration dans la nationalité française. Cette déconcentration a permis aux préfets à prendre directement les décisions défavorables, seules les décisions favorables continuant à faire l’objet d’une double instruction, à l’échelon déconcentré puis au niveau central.

Le rapport de notre collègue Patrick Mennucci formulait plusieurs recommandations pour mettre un terme à ces dérives. Votre rapporteur pour avis a souhaité évaluer les suites qui ont été données par le Gouvernement à ces préconisations.

La première de ces recommandations était que toute instruction ministérielle ayant pour effet de modifier substantiellement l’appréciation par l’administration des critères de naturalisation soit désormais opérée par la voie d’une circulaire, évidemment publiée, afin que les critères appliqués soient transparents, clairs et accessibles à tous. Cette recommandation a été suivie d’effet : le changement de la « doctrine ministérielle » opéré par le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, s’est ainsi matérialisé dans deux circulaires, une première datée du 16 octobre 2012 (25) et une seconde en date du 21 juin 2013 (26). Il reste cependant encore à publier la « circulaire-cadre » annoncée par le ministre en octobre 2012. Selon les informations transmises à votre rapporteure, ce texte devrait être publié au début de l’année 2014.

La deuxième recommandation était de mettre fin au durcissement des critères opéré par le précédent Gouvernement en ce qui concerne l’insertion professionnelle et la régularité du séjour du postulant, afin de revenir à des critères justes et équitables, conformes aux valeurs républicaines. Cette recommandation a également été prise en compte.

S’agissant de l’appréciation de l’insertion professionnelle, la circulaire du 16 octobre 2012 a invité les préfets à adopter une approche globale du parcours professionnel, tenant compte du contexte de crise économique. L’appréciation doit ainsi porter sur l’ensemble de la carrière professionnelle, et non pas sur la situation précise du postulant au seul moment de la demande de naturalisation. Par ailleurs, la nature du contrat (contrat à durée déterminée, intérim) ne doit plus constituer un obstacle en soi, dès lors que l’activité réalisée permet de disposer de ressources suffisantes et stables. C’est la cohérence et la persévérance dans le parcours qui doivent être appréciées. La circulaire insiste également sur la présomption d’assimilation existant au bénéfice des jeunes de moins de 25 ans résidant en France depuis au moins 10 ans et ayant suivi une scolarité continue d’au moins 5 ans. Elle recommande aux préfets de mieux prendre en compte les potentiels des jeunes diplômés ayant obtenu immédiatement, après la fin de leurs études, un contrat à durée indéterminée ainsi que des étudiants des grandes écoles françaises, des doctorants et des attachés temporaires d’enseignement et de recherche. La circulaire du 21 juin 2013 a réitéré ces orientations, demandant aux préfets de ne pas faire des périodes de chômage, ni de la succession de contrats précaires, des éléments systématiquement défavorables, compte tenu de la situation du marché du travail français.

S’agissant de la régularité du séjour, la circulaire du 16 octobre 2012 a mis fin à la pratique consistant à refuser systématiquement la naturalisation en cas de séjour irrégulier supérieur à dix ans, quelle que soit son antériorité. Un séjour régulier de cinq ans (réduit à deux ans en cas de dispense de stage) reste cependant strictement exigé au stade de la recevabilité de la demande, dont il constitue une condition légale. La circulaire du 21 juin 2013 a précisé que les faits d’aide au séjour irrégulier (notamment en direction du conjoint ou des enfants) entrant dans les cas d’exonération définis à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour et du droit d’asile à la suite de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, ne doivent plus être pris en compte.

Ces nouvelles orientations ont eu un effet significatif sur le sort accordé aux demandes de naturalisations. Le taux de décisions défavorables des préfets, qui était de 54 % au 30 juin 2012, a ainsi été ramené à 41 % au 30 juin 2013.

La troisième recommandation du rapport pour avis de M. Patrick Mennucci visait à réformer la déconcentration de la procédure de naturalisation. Le rapport évoquait notamment la création de « plateformes interdépartementales » chargées d’instruire les demandes de naturalisation et de réintégration, afin de permettre une mutualisation des ressources (dispersées sur 180 sites différents), de renforcer la professionnalisation des agents et d’éviter l’atomisation des centres de décision. Cette recommandation a été mise en œuvre, à titre expérimental, par le décret n° 2013-795 du 30 août 2013 modifiant l’article 26 du code civil et tendant à expérimenter de nouvelles modalités d’instruction des demandes de naturalisation et de réintégration ainsi que des déclarations de nationalité souscrites à raison du mariage. Des plateformes ont été créées dans trois régions à compter du 1er septembre 2013 (Lorraine et Franche-Comté) et du 1er janvier 2014 (Picardie). Cette expérimentation s’achèvera le 31 décembre 2014. Un bilan de l’expérimentation sera dressé par le préfet du département « pilote » (dont les services auront diligenté la réception et l’instruction des demandes et des déclarations pour les autres départements du groupe concerné) au cours du mois de septembre 2014, et un rapport d’évaluation de l’expérimentation sera remis par le ministre chargé des naturalisations au Premier ministre en octobre 2014.

La quatrième recommandation concernait l’amélioration de l’accueil des demandeurs en préfecture. Elle portait notamment sur la configuration des locaux, peu adaptée, sur la prise de rendez-vous pour la délivrance des dossiers, leur dépôt et les entretiens, ainsi que sur le déroulement de l’entretien.

Depuis, afin d’améliorer l’accueil des usagers étrangers au sein de leurs locaux, une mission d’appui des préfectures a été mise en place, et présentée par le ministre de l’Intérieur devant l’ensemble des secrétaires généraux de préfecture, le 4 décembre 2012, au cours d’une réunion consacrée spécifiquement à l’accueil des étrangers. En matière d’acquisition de la nationalité, cette mission préconise notamment la création d’un portail internet auprès de chaque préfecture. Ce portail s’appuierait sur la mise à disposition d’une « rubrique étrangers » présentant les mêmes informations de fond sur l’ensemble du territoire national, tout en laisse au niveau local le soin d’y inclure les éléments propres à son organisation (horaires, etc.). Une circulaire spécifique (27) a été adressée par le ministre de l’Intérieur aux préfets, le 4 décembre 2012 également, les invitant à établir un diagnostic des conditions d’accueil des étrangers dans leurs préfectures et à élaborer un plan d’action afin de résoudre les difficultés identifiées.

Par ailleurs, M. Matthias Fekl, parlementaire en mission auprès du ministre de l’Intérieur, a formulé plusieurs propositions visant à améliorer, plus généralement, l’accueil des étrangers dans les préfectures (28). Peuvent être citées, par exemple, la clarification, par voie de circulaire, des conditions dans lesquelles les préfectures peuvent refuser de recevoir certains dossiers de demande de titre de séjour, remettent des récépissés de dépôt et ont recours à la procédure de rejet implicite, ou la mise à disposition des usagers sur un portail internet des informations relatives à l’état d’avancement de leur dossier de demande de titre de séjour.

Enfin, le décret n° 2013-795 du 30 août 2013, précité, a créé, à titre expérimental, une nouvelle procédure pour l’entretien d’assimilation, confié à une commission et non plus à un seul agent de préfecture.

La cinquième recommandation portait sur le renforcement du contrôle parlementaire. M. Mennucci préconisait notamment que le Gouvernement communique, dans son rapport annuel au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’intégration, l’évolution du taux de décisions défavorables en matière d’acquisition de la nationalité française et des motifs sur lesquels elles se fondent. Cette recommandation, qui permettrait d’éviter qu’à l’avenir une réorientation majeure de notre politique de la nationalité puisse être opérée subrepticement, n’a pas été suivie d’effet dans le neuvième rapport au Parlement établi en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), ce que votre rapporteure pour avis déplore. Elle souhaite qu’il n’en soit pas de même dans le prochain rapport, qui devrait être présenté en décembre prochain.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 5 novembre 2013, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2014.

M. le président Gilles Carrez. Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » en commission élargie. Vous connaissez tous désormais cette procédure, dont l’intérêt est de permettre, entre le ministre et les parlementaires, des échanges précis et concis.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La Commission des affaires étrangères se saisit chaque année pour avis de cette mission, portant sur trois sujets qui sont bien loin de se réduire à des questions de politique intérieure.

Le droit d’asile, qui devrait bientôt faire l’objet d’une vaste réforme, annoncée depuis bien longtemps d’ailleurs, est certes garanti par la Constitution mais repose aussi et surtout sur la convention de 1951 sur le statut des réfugiés, dite « convention de Genève » ; un travail d’harmonisation vient d’être mené à son terme au niveau européen et l’un des enjeux de la réforme à venir sera sa bonne transposition en France.

En matière d’intégration, des politiques nationales efficaces sont nécessaires au niveau national afin d’assurer la cohésion sociale au sein de l’Union européenne. La question des Roms présente à cet égard un caractère spécifique, s’agissant pour l’essentiel de ressortissants communautaires, et non de pays tiers, mais elle illustre la même nécessité.

Enfin, le drame tout récent de Lampedusa, qui n’est hélas pas isolé, a tragiquement montré le besoin d’une politique européenne en matière d’immigration, d’asile et de gestion des frontières extérieures de l’Union. Sans revenir sur les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 octobre derniers, je voudrais insister sur la nécessité de nous doter sur ces sujets d’une stratégie et de moyens plus importants : c’est une dimension que nous ne devons pas oublier, même lorsque nous débattons de politiques nationales.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La mission « Immigration, asile et intégration » suscite traditionnellement beaucoup de commentaires, et l’actualité en ce domaine est toujours riche.

La commission des lois a désigné deux rapporteurs pour avis, l’une, Mme Marie-Anne Chapdelaine, appartenant à la majorité, l’autre, M. Éric Ciotti, à l’opposition, ce qui est la garantie d’une expression plurielle. La première a consacré la partie thématique de son avis à l’accueil des étudiants étrangers, question essentielle pour l’influence de la France dans le monde mais aussi domaine où des choix malheureux ont été faits par le passé et où il convient donc de redoubler d’efforts. Le second s’est quant à lui, comme l’an dernier, penché sur le droit d’asile, qu’il souhaite voir réformer – chantier dont personne ne conteste l’intérêt et que vous avez d’ailleurs lancé, monsieur le ministre de l’intérieur, en confiant une mission en ce sens à deux parlementaires. Je tiens à souligner à ce propos que, pour beaucoup d’entre nous, cette question doit être clairement distinguée de celle de la gestion des flux migratoires.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des finances. Le projet de budget pour la mission « Immigration, asile et intégration » s’attache à conjuguer humanité, efficacité et économie.

Fixées à 653,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 664,9 millions d’euros en crédits de paiement, les dotations de la mission diminueront respectivement de 8,8 et de 5,6 millions d’euros par rapport aux crédits initiaux pour 2013. Cette baisse traduit les contributions de la mission à la réduction des déficits.

L’action 02 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » connaîtra une légère progression : de 0,5 %, soit de 2,6 millions d’euros, portant ces crédits à 503,7 millions d’euros. Mais cette quasi-stabilité masque un nouveau renforcement des capacités d’accueil et de traitement de la demande d’asile. Ces mesures permettent d’espérer que l’on réussira enfin à endiguer les dépenses d’urgence tout en offrant une prise en charge de meilleure qualité.

Les autres actions de la mission seront, quant à elles, marquées par une optimisation des dépenses, sans renoncement aux objectifs poursuivis : ainsi, s’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière, la réduction des dotations ne traduit pas une diminution programmée de ces activités, mais une rationalisation des frais engagés que nous avions souhaitée. Et, si l’on peut regretter la nette baisse des crédits alloués aux actions d’intégration, l’année 2014 verra la poursuite des évaluations et réflexions lancées en 2013 pour tendre vers des dispositifs plus pertinents et plus efficaces.

Monsieur le ministre, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, le Gouvernement a demandé aux inspections générales de l’administration et des affaires sociales d’évaluer, d’ici à la fin de l’année, les dispositifs d’accueil développés autour du contrat d’accueil et d’intégration (CAI), proposé aux primo-arrivants s’installant durablement en France. Si ce rapport vous a été remis, pouvez-vous nous présenter les principales orientations que vous en retenez ? Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous néanmoins préciser de premières pistes de réforme ?

L’apprentissage du français est considéré comme un facteur puissant d’intégration, voire comme la condition d’une insertion réussie. Des formations linguistiques sont ainsi proposées aux signataires du CAI ainsi qu’aux personnes étrangères déjà installées, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ou dans le cadre des programmes régionaux d’intégration des personnes immigrées (PRIPI). Plusieurs opérateurs m’ont toutefois fait part de dysfonctionnements et d’opacité en matière d’appels à projets, de labellisation ou de définition des prestations. Comment le ministère travaille-t-il à l’harmonisation et à l’amélioration de ces prestations, qui constituent un des piliers de la politique nationale d’intégration ?

Dans ce champ de l’intégration comme dans celui de l’accueil des demandeurs d’asile, beaucoup d’intervenants appartiennent à des associations dont l’équilibre budgétaire dépend fortement des ressources publiques qu’elles reçoivent. Elles sont particulièrement sensibles aux retards de paiement des fonds de concours européens – retards pouvant aller jusqu’à trois ans – et la complexité du montage et du suivi des dossiers nécessaires pour bénéficier de ceux-ci est telle que certaines envisagent de renoncer à cette ressource. La France pourrait alors sous-consommer des financements auxquels elle contribue pourtant. Comment le Gouvernement prévoit-il d’aider les associations à utiliser au mieux le nouveau fonds de concours européen « Asile et migration » (FAM), au cours de la période 2014-2020 ?

Le rapport commun des trois inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales d’avril 2013 sur l’hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d’asile a fait état de dysfonctionnements dans la gestion de l’allocation temporaire d’attente (ATA) par Pôle Emploi, ce qui se traduit par un taux de versements indus non négligeable. Quelles mesures envisagez-vous pour, à court terme, corriger ces dysfonctionnements et, à plus long terme, améliorer la gestion de cette allocation ?

La lutte contre l’immigration irrégulière hors des frontières nationales s’organise, notamment, autour de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, Frontex. Pouvez-vous nous préciser le coût financier des contributions de la France à cette agence et à ses actions ? Comment l’Union européenne envisage-t-elle de la mobiliser pour éviter que ne se renouvellent des drames comme ceux de Lampedusa ?

S’agissant enfin de la prise en charge qu’offre notre pays aux mineurs étrangers isolés, j’ai eu l’occasion d’exprimer mes doutes sur les tests osseux pratiqués, et j’appelle votre attention sur les grandes disparités d’accueil d’un département à un autre. Mon département de la Côte-d’Or est le troisième à suspendre l’accueil de ces mineurs étrangers. Qu’envisage le Gouvernement pour assurer un traitement digne et égal à ces enfants particulièrement fragiles et pour faire appliquer la loi dans tous les départements ?

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Ce budget est en partie un budget de transition ; en effet, de vastes réformes ont été annoncées pour la fin de cette année ou pour l’année prochaine : une profonde révision de notre système d’asile, dont on peut dire qu’il est aujourd’hui à bout de souffle, une refondation de notre politique d’intégration, qui semble en panne, mais aussi la création de titres de séjour pluriannuels, afin de mieux sécuriser les parcours.

Pour autant, ce budget comporte déjà des inflexions que je veux saluer. Dans le domaine de l’asile, tout d’abord, les grandes orientations fixées par le Président de la République vont conduire à une réorientation particulièrement bienvenue des crédits vers l’hébergement de droit commun – dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) – et à un nouvel effort, volontariste et salutaire, de réduction des délais de réponse aux demandes d’asile. Les résultats ne pourront être que positifs, mais il faut avouer aussi que la course de vitesse perpétuelle entre l’augmentation des demandes d’asile et l’augmentation des moyens nécessaires pour les traiter est de plus en plus difficilement soutenable. Une réforme du système d’asile a donc été annoncée.

Toute la difficulté sera de bien placer le curseur entre les garanties indispensables à accorder aux demandeurs d’asile et la nécessaire efficacité du dispositif, qui ne doit pas pour autant devenir expéditif. Sans préjuger des résultats de la concertation en cours, quelles seraient les marges de manœuvre et sur quels paramètres agir ? Que pensez-vous de l’idée, parfois avancée mais controversée, selon laquelle il faudrait donner un signal de durcissement du système d’asile, afin d’enrayer l’augmentation des demandes ? Partagez-vous cette conception ?

Les crédits de notre politique d’intégration doivent connaître une baisse sensible en 2014, dans le cadre général de l’effort de redressement des comptes publics, mais aussi dans le cadre plus particulier de cette mission, dont certaines dotations sont en hausse. Cette évolution budgétaire suscite des questions, au regard de l’importance que revêt une politique d’intégration efficace et bien conçue pour la cohésion sociale de notre pays.

Comme le rapporteur spécial, je voudrais connaître, monsieur le ministre, vos projets en matière d’accueil des étrangers primo-arrivants. Devant les limites de l’actuel contrat d’accueil et d’intégration, et sans préjuger là encore des réflexions en cours, quel sort pensez-vous réserver à l’idée selon laquelle il faudrait changer de paradigme et raisonner désormais sur plusieurs années, dans le cadre de véritables parcours d’intégration ?

Pour les Roms, dont la situation est spécifique puisqu’il s’agit de ressortissants communautaires, la Commission européenne a engagé un effort en faveur de leur intégration en demandant aux États membres d’adopter des stratégies nationales. Une sorte de triptyque a été constitué entre les États « d’origine », les États « de résidence » et l’Union européenne. Même si la situation est contrastée selon les pays, elle reste globalement insatisfaisante, voire parfois choquante. Quel jugement portez-vous sur l’action engagée par la Commission depuis 2011 ? Pensez-vous qu’il conviendrait de passer à la vitesse supérieure en renforçant son action, et, le cas échéant, de quelle manière ? Avons-nous besoin, selon vous, d’une véritable politique européenne des Roms ?

Dans le domaine de l’immigration, le drame de Lampedusa a mis en lumière la nécessité d’une action européenne plus déterminée en matière de protection, de prévention et de solidarité. Cela nécessitera des moyens supplémentaires, notamment pour la surveillance des frontières maritimes. Des crédits supplémentaires seront-ils prévus pour Frontex, ainsi qu’une participation accrue de la France à ses opérations ? Quelle position défendra la France en ce qui concerne la solidarité à manifester à l’égard des États membres les plus sollicités ?

Les aides au retour ont été réformées en 2013, en raison des effets pervers constatés au cours des années précédentes. Depuis, le nombre des bénéficiaires a nettement chuté, parfois dans des proportions considérables pour certains pays. Pensez-vous que nous avons aujourd’hui atteint un point d’équilibre ? Estimez-vous le niveau des aides désormais satisfaisant ?

Le dernier sujet que je voudrais aborder est la nécessité de maintenir l’attractivité de notre pays pour certains publics bien ciblés. La Grande-Bretagne met en place pour la délivrance des visas un nouveau système dont on dit qu’il permettra prochainement de faire une demande de visa aussi facilement que l’on peut réserver son billet d’avion. Nous avons appris que le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères avaient eux aussi le projet de simplifier les procédures et de fluidifier la situation. Quels sont le calendrier de ce projet, son coût prévisionnel et surtout ses objectifs précis ? Dans ce domaine, deux impératifs doivent être conciliés : l’attractivité, certes, mais aussi le contrôle. Quelles évolutions concrètes prévoyez-vous ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour l’immigration, l’intégration et l’accès à la nationalité française. Je commencerai par saluer le travail qu’avait effectué l’an dernier, à cette place, Patrick Mennucci ; je me suis d’ailleurs attachée à examiner les suites données à ses propositions.

Mon avis porte pour la plus grande part sur la mobilité des étudiants, enjeu économique, culturel et diplomatique considérable pour notre pays et pour sa place dans le monde. Chacun se souvient que la circulaire du 31 mai 2011, dite « circulaire Guéant », avait considérablement durci les conditions d’accès au marché du travail des étudiants à l’issue de leurs études. Les effets directs de cette circulaire ont été massifs : pendant sa durée d’application, environ quatre demandes de changement de statut sur cinq ont été refusées par la préfecture de police de Paris, alors qu’auparavant la proportion était inverse. Au niveau national, le taux de refus des autorisations de travail demandées dans le cadre d’un changement de statut a plus que doublé, passant de 20 % à 43 %.

Les effets indirects de ce texte ont également été considérables. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis par la France a chuté de 10 % en 2012. Notre pays, qui était le premier pays non anglophone pour cet accueil, est passé au cinquième rang mondial, derrière l’Allemagne. La France a donc perdu du terrain et le signal de fermeture au monde envoyé par la circulaire Guéant a durablement dégradé notre image.

Celle-ci devait être restaurée. Un premier signal très positif a été envoyé, immédiatement après l’élection présidentielle, par l’abrogation de cette circulaire. D’autres mesures concrètes ont suivi, notamment avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche qui a assoupli les conditions d’accès au marché du travail des étudiants ayant obtenu un master. Pour que la France reste une destination de choix pour les meilleurs étudiants, il convient d’aller plus loin.

Nous devons nous doter d’une politique d’attractivité universitaire et scientifique ambitieuse. À cette fin, grâce aux auditions que j’ai effectuées, j’ai formulé une quinzaine de propositions concrètes, et j’aimerais recueillir votre avis sur certaines d’entre elles, même si elles ne relèvent pas exclusivement de votre ministère.

Il convient tout d’abord de faciliter les démarches de ceux qui souhaitent venir étudier en France. Seriez-vous favorable, par exemple, au rétablissement de la motivation des refus de visas de long séjour « étudiants » et « scientifiques » ? Prévue par la loi dite Chevènement de 1998, elle a été supprimée en 2003 ; or il me paraît indispensable qu’un étudiant qui s’est vu opposer un refus puisse en comprendre les motifs.

Il faut aussi répondre aux difficultés que rencontrent certains étudiants lorsque la validité de leur visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) expire au cours de l’été, en particulier lorsqu’ils souhaitent retourner, durant les congés, dans leur pays d’origine. Certaines préfectures délivrent, pour surmonter ces difficultés, des « récépissés d’été », d’une durée de validité maximale de trois mois, mais les pratiques sont très variables d’un département à l’autre. Ne pourrait-on envisager d’allonger la durée de validité maximale des VLS-TS étudiants de quelques mois, afin qu’elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire ? Ce serait une simplification pour les étudiants et allégerait la charge de travail des préfectures.

Il convient aussi de simplifier et d’alléger les formalités que doivent accomplir les étudiants étrangers une fois admis en France. Certains départements ont imaginé des « guichets uniques » qui permettent aux étudiants de déposer leur demande de titre de séjour dans leur université, sans avoir à se déplacer jusqu’à la préfecture. J’ai pu constater à Rennes que ce dispositif fonctionnait bien : son extension me semble donc hautement souhaitable, afin d’assurer à terme une couverture quasi complète des sites universitaires.

Je suis également favorable à une banalisation de la visite médicale obligatoire que doivent actuellement effectuer les étudiants auprès de l’OFII. Ne serait-il en effet pas plus simple qu’elle puisse être effectuée auprès d’un médecin de ville ou des services universitaires de médecine préventive des CROUS ?

Par ailleurs, je souhaite que les titres de séjour pluriannuels soient étendus aux étudiants suivant un cursus de niveau licence, à l’issue de leur première année d’études. Pourriez-vous nous confirmer que cette extension figurera dans le futur projet de loi relatif à l’immigration ?

Je suis enfin convaincue que notre pays doit accompagner et respecter, plus qu’il ne l’a fait ces dernières années, celui qui y construit son avenir avec le nôtre, en apportant la valeur ajoutée de son travail et de son histoire. Il est dès lors essentiel que notre politique d’accueil de l’immigration estudiantine s’accompagne d’un profond changement d’orientation dans les perspectives que nous voulons nous donner en matière d’immigration économique. Il y a en effet un décalage entre l’attractivité et la qualité de notre système de formation et la difficulté pour les entreprises et les jeunes diplômés de concrétiser un dessein professionnel commun.

L’abrogation de la « circulaire Guéant » était un pas dans la bonne direction. Il convient d’aller plus loin, d’abord en supprimant le délai de quatre mois imposé aux étudiants pour déposer leur demande d’autorisation provisoire de séjour, ensuite – et c’est une réforme plus ambitieuse – en supprimant l’opposabilité de la situation de l’emploi pour les étudiants étrangers titulaires d’un master : ce serait une simplification bienvenue, car il n’est guère justifiable, lorsqu’un étudiant a obtenu une promesse d’embauche avant la fin de ses études, de l’obliger à solliciter une autorisation provisoire de séjour, afin de bénéficier du régime favorable procuré par ce dispositif. Il conviendrait également d’assouplir l’accès des scientifiques et chercheurs à une carte de séjour « salarié ».

Notre politique d’accueil, d’immigration et d’intégration nécessite une vaste réflexion, nous en convenons tous. Commençons par en faire à nouveau l’un des vecteurs du rayonnement économique et culturel de la France !

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’asile. L’asile est bien sûr au cœur de nos valeurs républicaines et doit être préservé. Pour cela, nous devons réformer profondément notre système de demande d’asile, qui est aujourd’hui à bout de souffle. Tout récemment, les 200 tentes plantées sur une place de Clermont-Ferrand ont montré à quel point nous manquions de places d’hébergement d’urgence et de places en CADA. Je ne reviens pas sur le psychodrame de la reconduite à la frontière de la famille Dibrani ; « l’affaire Leonarda » n’a pas fait honneur à notre pays.

Les demandes d’asile continuent d’augmenter : à la fin de 2013, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devrait avoir reçu plus de 70 000 demandes, ce qui constitue un record absolu et une hausse prévisible de 11 %, après déjà une hausse de 7 % en 2012. Vous rappellerez certainement, monsieur le ministre, que le nombre de demandeurs d’asile avait déjà fortement crû au cours des années précédentes, mais la situation atteint aujourd’hui un niveau de gravité très préoccupant. Il est faux de penser que nous n’avons pas prise sur cette situation. Ainsi, lorsque l’Arménie a, en 2009, été inscrite sur la liste des pays considérés comme sûrs, les demandes ont chuté de 82 %. En revanche, lorsque le Conseil d’État a rayé de cette liste l’Albanie, le Kosovo et le Bangladesh, les demandes d’asile de ressortissants de ces pays ont augmenté respectivement de 173 %, de 160 % et de 166 %.

Cette hausse des demandes d’asile se traduit par une augmentation du stock d’affaires en instance à l’OFPRA, qui est passé de 24 200 au 1er janvier 2013 à 30 400 au 30 juin 2013, soit une hausse de plus de 25 % en six mois ! Malgré les discours, malgré les annonces, la situation continue de se dégrader. La durée moyenne d’examen d’un dossier est passée de 14 mois et 6 jours en 2012 à probablement 16 mois en 2013. Je note aussi que près de la moitié des protections sont accordées non par l’OFPRA, mais par la Cour nationale du droit d’asile, c’est-à-dire en appel, ce qui constitue une anomalie.

La longueur de ces délais permet un détournement de la procédure à des fins d’immigration économique. Les failles de notre système en font une porte d’entrée dans l’immigration illégale ; il encourage les phénomènes de filière et crée alors un cercle vicieux : les délais longs renforcent l’attractivité de notre système d’asile et donc sa saturation, ce qui allonge encore les délais…

Vous envisagez une réforme du droit d’asile. Envisagez-vous, comme cela a été annoncé, de passer par la voie d’ordonnances ?

Avec cette réforme, la décision de rejet de l’OFPRA, en l’absence de recours, ou de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en cas de recours et de rejet de ce dernier, vaudra-t-elle automatiquement obligation de quitter le territoire français (OQTF) ? Cela raccourcirait considérablement les délais. Je propose également, comme les trois corps d’inspection, que le demandeur soit tenu de déposer sa demande dans un délai maximal de trois mois à compter de son entrée sur le territoire. J’ai rencontré à l’OFPRA un demandeur d’asile qui était arrivé d’Afghanistan dans notre pays cinq ans avant le dépôt de sa demande !

Ma troisième question concerne les moyens que vous entendez affecter à la réduction des délais. Vous avez recruté dix officiers de protection supplémentaires en 2013, et trente avaient été recrutés en 2011. Vous prévoyez d’en recruter encore dix en 2014 : ce chiffre paraît, au regard des besoins, très insuffisant.

La transposition des récentes directives européennes va rendre la procédure plus complexe encore. Ces questions n’en sont donc que plus urgentes.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le rapporteur spécial, un rapport sur l’accueil des primo-arrivants m’a été remis le 10 octobre dernier ; il pose un diagnostic très étayé, mais les propositions qu’il formule nécessitent d’être encore expertisées car leur application emporterait des conséquences importantes en termes d’organisation et de financement. Je partage le constat qui y est fait selon lequel le dispositif actuel du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) reste trop standardisé pour répondre à l’évolution des besoins des primo-arrivants. Il ne permet pas de lever les principaux obstacles rencontrés par ceux-ci, à savoir l’absence de maîtrise de la langue et l’inadaptation à l’emploi ; la notion de contrat n’est pas assimilée et le suivi décline fortement après trois ou quatre mois alors que ce sont les cinq premières années qui sont déterminantes dans le parcours d’insertion. Le rapport préconise une approche plus personnalisée de la situation de chaque nouvel arrivant grâce à une évaluation initiale plus approfondie, puis, sur cette base, suggère d’accorder une priorité à la maîtrise de la langue française, en élevant le niveau requis, ainsi qu’à la rénovation des outils d’accompagnement à l’emploi.

Je souhaite développer une nouvelle politique de l’accueil autour des orientations suivantes, actuellement en cours d’élaboration : préparer au mieux l’arrivée en France ; réaffirmer la responsabilité régalienne de l’État en matière d’apprentissage des valeurs et de la langue ; refonder notre partenariat avec les acteurs locaux pour permettre aux primo-arrivants d’accéder plus rapidement aux dispositifs de droit commun, au sein desquels leurs besoins particuliers devront être prise en compte ; abandonner la notion de contrat pour privilégier l’idée d’un parcours dont chacun sera acteur et responsable, à charge bien sûr pour l’État de satisfaire aux exigences relevant de sa responsabilité ; enfin, veiller à bien articuler le parcours d’insertion avec les conditions de délivrance des titres – notamment dans la perspective de la création d’un titre pluriannuel.

La maîtrise de la langue française est l’une des conditions d’une bonne insertion et nous devons, je le répète, relever le niveau exigé. La réforme de la politique d’accueil offre un levier pour parvenir à une meilleure adéquation entre la formation et les besoins des migrants – en particulier en matière d’emploi –, pour simplifier et rendre plus transparents les mécanismes d’appel à projet, pour diversifier et coordonner l’offre de formation au niveau local ; elle représentera également l’occasion de mettre à plat les différents dispositifs de labellisation, pour les rendre eux aussi plus simples et plus efficaces.

Enfin, je souhaite recentrer les interventions du ministère de l’intérieur à partir de l’idée que l’insertion se joue au cours des cinq années suivant l’arrivée en France. La tâche de l’administration doit donc être de les accompagner tout au long de cette période.

La France se prépare au déploiement du fonds « Asile et immigration » depuis novembre 2011 ; nous avons surtout cherché à résoudre les difficultés rencontrées par les porteurs de projets – notamment associatifs – dans l’utilisation des crédits du fonds européen pour l’intégration (FEI). À partir de 2014, la mise en place d’un fonds unique couvrant les thématiques de l’asile, de l’accueil, de l’intégration et du retour permettra d’optimiser cette utilisation, grâce à la présence d’une seule autorité garante de la cohérence entre les priorités décidées et les réponses apportées. Les organismes associatifs pourront avoir accès plus simplement à l’argent européen, ce qui permettra de financer des projets de trois ans – et non plus simplement de douze mois ; le plafond de cofinancement du fonds européen sera relevé de 50 à 75 %, ce taux passant même de 75 à 90 % pour les projets relevant de priorités spécifiques, comme ceux à destination des publics vulnérables ; enfin, les règles de gestion seront assouplies grâce à l’application de notions de forfait et de coût unitaire, se substituant à une exigence de justification exhaustive des dépenses..

Malgré l’augmentation significative du nombre de places dans les CADA, les crédits consacrés à l’ATA et à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile connaissent un accroissement important ; ainsi, les dépenses liées à l’ATA ont triplé entre 2008 et 2012, passant de 47,5 millions à 150 millions d’euros, et celles allouées à l’hébergement d’urgence ont progressé dans le même temps de 57 millions à 135 millions d’euros. Mes services ont diligenté dès la fin de 2012 une mission d’inspection de ces dépenses, dont le rapport, remis en avril dernier, a été suivi d’un travail de croisement des fichiers afin d’identifier les versements indus ; ceux-ci s’élevaient à 6,9 millions d’euros au 30 mai 2013, soit environ 12 millions d’euros en année pleine, et concernaient 7,2 % des bénéficiaires. Ce n’est pas le Gouvernement actuel qui est responsable de cette situation ! Pour garantir le bénéfice de l’ATA à ceux à qui il revient, nous souhaitons en confier la gestion à un opérateur plus impliqué dans les questions d’asile – l’OFII est sans doute le plus apte à l’assurer –, mais la transition ne pourra s’opérer dans de bonnes conditions qu’au 1er janvier 2015, Pôle Emploi continuant jusque là d’assumer cette mission.

La contribution de la France au budget de Frontex transite par notre contribution au budget général de l’Union européenne ; les crédits de cette agence installée à Varsovie s’élèvent à 85 millions d’euros en 2013 et j’ai demandé, avec plusieurs de mes homologues européens, que soient annulées les amputations décidées sur ce montant. Des opérations maritimes coordonnées par Frontex permettraient d’éviter des drames comme celui de Lampedusa mais, au cours des deux dernières années, Frontex a déjà contribué à sauver 16 000 vies en mer Méditerranée. Afin de prolonger jusqu’en novembre 2013 l’opération Hermès qu’elle supervise au large des îles de Lampedusa et de la Sardaigne, 2 millions d’euros ont été débloqués et Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne aux affaires intérieures, demandera aux États membres de lui accorder une rallonge financière. D’autre part, le conseil des ministres Justice et Affaires intérieures (JAI) a décidé de créer une task force de l’Union sur la situation en Méditerranée, composée des États membres de Frontex, d’Europol, du bureau européen d’appui en matière d’asile, de l’Agence des droits fondamentaux et de l’Agence européenne de sûreté maritime. Ce groupe s’est réuni pour la première fois le 24 octobre et le conseil JAI des 5 et 6 décembre prendra des décisions opérationnelles à partir de ses propositions. La Commission européenne a proposé le déploiement d’une opération Frontex de recherche et de secours en mer Méditerranée ; néanmoins, la mission première de Frontex consiste à surveiller les frontières et les États membres de l’agence ont mis en garde contre toute erreur de communication à propos d’une opération de sauvetage qui pourrait être utilisée comme argument « publicitaire » par les passeurs et de ce fait créer un appel d’air pour l’immigration clandestine. Le succès de l’action dans ce domaine reposera largement sur des dispositifs de coopération comme ceux déployés par l’Espagne avec le Sénégal, la Mauritanie ou le Maroc, et il est essentiel d’en développer avec la Libye et avec la Tunisie en particulier.

En 2012, une démarche interministérielle a été entamée sous la conduite du ministère de la justice pour préciser les mécanismes de prise en charge des mineurs étrangers isolés ; un travail important, conduit en association avec l’Assemblée des départements de France (ADF) – les présidents des conseils généraux estimant subir un poids croissant en la matière – a abouti le 31 mai dernier à la signature d’un protocole national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation de ces mineurs, protocole qui organise la prise d’une décision sur la minorité d’un jeune dont les déclarations suscitent le doute. Du personnel qualifié mènera des entretiens et l’on pourra vérifier les documents d’état civil étrangers produits sur le fondement de l’article 47 du code civil. Le ministère de l’intérieur apportera aux départements et à l’autorité judiciaire son expertise en matière de détection de la fraude documentaire et les conclusions de cette investigation seront adressées au président du conseil général et au procureur de la République concernés. Dans ce cadre, un test osseux pourra être pratiqué, mais uniquement en dernier recours et dans le cadre d’un processus garantissant le respect des droits de la personne.

Je précise que l’État fournit au département une aide quotidienne de 200 euros pendant cinq jours, délai nécessaire à la détermination de l’âge du jeune concerné.

Monsieur Jean-Pierre Dufau, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et moi-même avons pris des initiatives pour fluidifier le traitement des demandes de visa, en nous inspirant du rapport que MM. Bernard Fitoussi et François Barry Delongchamps nous ont remis l’an dernier. Notre politique de délivrance de visas s’articule autour de trois axes. Elle vise d’abord à simplifier la procédure pour certains publics cibles : des instructions conjointes viennent d’être adressées à l’ensemble du réseau pour que le taux de délivrance des visas de circulation et leur durée de validité soient augmentés, afin de faciliter les déplacements des hommes et des femmes d’affaires, des universitaires, des scientifiques, des chercheurs, des artistes et des touristes ayant la France pour destination privilégiée ou récurrente ; au niveau européen, des propositions seront formulées dans le cadre du projet de révision du code communautaire des visas, élaboré sous la conduite de la Commission européenne. La France veillera à assurer une meilleure coordination consulaire au niveau local et à renforcer l’application harmonisée de la politique commune des visas.

En second lieu, nous entendons poursuivre l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs de visa : sur ce point, les postes du réseau ont reçu des instructions conjointes fixant les principes généraux et les critères objectifs de notre politique d’accueil, en vue d’assurer un service quotidien de qualité, des conditions matérielles dignes et des délais d’attente resserrés. Parallèlement, le processus d’externalisation se poursuit avec l’ouverture de centres, l’emménagement dans de nouveaux locaux dans certains pays et l’intégration à des centres délocalisés dans les pays les plus vastes.

Enfin, la refonte du système d’information doit permettre d’importants gains de productivité et une fluidification des procédures de traitement des demandes, au profit des agents comme des demandeurs. Plusieurs orientations se dégagent des études menées à cette fin : constitution d’un portail d’information unique sur Internet, ouverture de téléprocédures, création d’une base centrale partagée permettant le travail en réseau de l’ensemble des services, dématérialisation des dossiers, déploiement d’un outil de collecte biométrique unifié et simplifié et renforcement de la sécurité informatique. Ce projet devrait aboutir d’ici à 2017 sous réserve que nous disposions des 15 millions d’euros nécessaires.

La Commission européenne veille à la fois à la non-discrimination des populations d’origine rom et à leur intégration, et, contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là, elle n’a, sur le premier point, aucun reproche à adresser à la France ; s’agissant de l’intégration, elle a mis en place un cadre institutionnel : le réseau des points de contact, dont l’une des missions consiste à évaluer les politiques nationales d’inclusion. La France lui transmettra très prochainement une nouvelle stratégie marquant une évolution forte, dans la ligne de la circulaire du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites. La Commission mobilise également le fonds européen de développement régional (FEDER) et le fonds social européen (FSE), même si la politique d’inclusion reste de la seule compétence des États-membres. La France pourrait sans doute mieux utiliser ces fonds, mais le problème majeur réside dans les faibles capacités d’intégration sociale de ces populations par leurs pays d’origine, comme l’admet le Premier ministre roumain, M. Victor Ponta.

J’assume la baisse de l’aide au retour, car elle engendrait des éloignements artificiels ; depuis la réforme du 1er février 2013, les retours aidés – qui s’élevaient à 15 000 en 2012 – ont diminué de plus de 50 %, ce taux atteignant 80 % pour les Roumains et les Bulgares, preuve de l’existence du circuit que dénonçaient les autorités roumaines, les associations et les ONG européennes ; nous constatons une baisse du nombre de Roms venant de ces pays en France. Nous réaliserons un bilan complet de cette réforme en février 2014.

Madame Marie-Anne Chapdelaine, Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même nous sommes engagés à améliorer l’accueil des étudiants étrangers ; ceux-ci sont utiles au rayonnement de la France. L’immigration se trouve souvent diabolisée alors qu’organisée et régulée, elle peut constituer un vecteur de l’attractivité de notre pays. Le nombre d’étudiants étrangers doublera d’ici à 2020 dans le monde : la France doit tenir son rang à cet égard si elle veut compter demain. Longtemps premier pays non anglophone d’accueil des étudiants étrangers, elle se trouve maintenant dépassée par l’Allemagne et le nombre d’étudiants accueillis s’est contracté – de 10 % – pour la première fois en 2012. Il faut voir dans cette baisse brutale et inédite un effet de la circulaire du 31 mai 2011 – dite circulaire Guéant – qui a donné l’impression que la France ne souhaitait plus recevoir d’étudiants étrangers. Dès ma prise de fonctions, nous avons abrogé cette circulaire et nous avons ouvert 22 guichets uniques entre les universités et les préfectures en 2013 ; cet effort doit être poursuivi en 2014, cette mutualisation devant devenir la norme. La délivrance du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants en master et en doctorat est maintenant la règle, les conditions du passage du statut d’étudiant à celui de salarié ont été simplifiées et le montant de la taxe sera abaissé le 1er janvier prochain. Cependant, vous avez raison : il faut aller plus loin : le titre de séjour pluriannuel pourrait être généralisé dès la licence ; un titre unique destiné aux chercheurs internationaux ou aux étudiants étrangers trouvant en France un emploi très qualifié pourrait être créé ; le changement de statut pourrait encore être simplifié pour les étudiants de niveau master trouvant un emploi qualifié, correctement rémunéré et en lien avec leur formation, et, dans le cadre de la réforme de l’OFII, la visite médicale pourrait être simplifiée. Enfin, nous devrions motiver les refus de visas étudiants – sans alourdir la charge des consulats – et nous pencher sur les questions de l’accès des étudiants étrangers aux bourses, de l’opportunité de faire davantage contribuer certains étudiants étrangers à leurs frais universitaires et de l’évaluation du rôle de Campus France. Un débat sans vote a eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat sur ce sujet de l’accueil des étudiants étrangers en France, et il en ressort que les positions sont plus consensuelles qu’on ne le pense ; le Gouvernement s’engage en tout cas à restaurer la place de la France dans l’accueil des étudiants étrangers.

Depuis 2007, le nombre des demandes d’asile augmente en moyenne de 10 % chaque année et devrait atteindre 68 000 à la fin de 2013 ; pour 80 %, ces demandes se concluront par une décision de rejet de l’OFPRA et de la CNDA. Notre système d’asile ne se trouve pas au bord de l’implosion, il implose ! Les délais d’instruction s’allongent, les demandeurs d’asile se concentrent dans certaines régions comme Rhône-Alpes et la Lorraine mais arrivent aussi dans des villes comme Dijon, Rennes ou Roanne qui ignoraient jusqu’ici ce genre de phénomène et les déboutés non éloignés saturent les hébergements et occupent l’espace public au prix de conditions de vie insupportables. Dans un contexte de crise sociale et économique, cette présence tend à rompre les équilibres entre les populations. Ce n’est pas seulement notre politique de l’asile qui part à la dérive, c’est aussi notre politique de droit au séjour qui est mise à mal. M. le président de la Commission des lois a raison d’insister pour que nous tenions ces politiques séparées mais, si nous pouvons tous nous rassembler autour du principe, partagé au sein de l’Union européenne, qui fait de l’asile un droit fondamental à préserver, nous devons prendre conscience que les déboutés du droit d’asile entrent dans le champ des politiques migratoires et que les questions de délais et d’accueil revêtent de ce fait une importance essentielle.

En dépit des efforts considérables consentis par ce gouvernement et par le précédent pour accroître le nombre de places d’hébergement et l’effectif de l’OFPRA, le temps est venu de refonder l’ensemble du système en nous montrant ambitieux et courageux mais aussi en recherchant un consensus. Cette question de l’asile ne doit pas être un sujet d’affrontement politique ! J’ai donc lancé en juillet dernier une concertation que j’ai voulue la plus large possible, puisqu’elle associe les collectivités territoriales, l’Association des maires de France (AMF), l’ADF, les villes de Rennes, Besançon, Nancy et Mulhouse, les administrations, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la CNDA et toutes les associations travaillant dans ce champ de l’asile ; j’espère que cette méthode se révélera fructueuse. Dans le même souci d’aboutir à une réforme consensuelle, j’ai demandé à Mme Valérie Létard, sénatrice UDI du Nord, et à M. Jean-Louis Touraine, député SRC du Rhône, d’être les médiateurs de cette concertation et de me transmettre des propositions. La première étape de cette concertation a été consacrée au diagnostic, la deuxième aux pistes de réforme par thème et la dernière, en cours, porte sur l’élaboration de scénarios de réforme globale.

Cette concertation est sur le point de s’achever et les deux parlementaires – très impliqués dans leur mission et conscients des enjeux qu’elle recouvre – me remettront leur rapport avant la fin du mois de novembre. Il nous appartiendra ensuite de fixer le calendrier politique et législatif de la réforme et nous aurons alors l’occasion d’en reparler avec tous ceux d’entre vous que le sujet intéresse. À ce stade, aucun scénario de réforme ne peut être dessiné avec certitude dans la mesure où les différentes hypothèses possibles restent encore en discussion dans les ateliers. Cela étant, les cinq points essentiels autour desquels s’articulera le scénario définitif ont d’ores et déjà été identifiés par Mme Valérie Létard et par M. Jean-Louis Touraine.

Le premier consiste en une réduction significative des délais de traitement des dossiers, qui s’élèvent aujourd’hui à dix-sept mois en moyenne et que nous souhaiterions ramener à neuf mois en 2015. Cela suppose que nous simplifiions les pratiques en vigueur ainsi que la répartition des tâches entre acteurs publics et associatifs, par une mutualisation des structures existantes afin de réduire le nombre des intervenants.

Le deuxième consiste en la détermination, dès l’arrivée d’un demandeur d’asile, de la recevabilité ou non de sa demande. Cette étape, indispensable pour éviter tout engorgement des files d’attente, suppose un traitement réellement accéléré des demandes manifestement infondées.

Le troisième, en un pilotage directif des hébergements, favorisant un certain équilibre entre les territoires. Les filières et trafics se nourrissent en effet de l’extrême permissivité de notre système : lorsque les taxis d’un pays organisent l’acheminement systématique de demandeurs d’une nationalité donnée vers une grande ville française de la région Rhône-Alpes, c’est bien à une filière que l’on a affaire. Et c’est bien la ville de Lyon qui, en l’occurrence, en est la première victime. La conseillère fédérale suisse, que j’ai eu l’occasion de rencontrer ce matin, m’a décrit le système en vigueur dans son pays : déterminé par votation, le délai de traitement des dossiers est actuellement fixé à quarante-huit heures. Ce système est le fruit d’un partenariat très étroit entre la Confédération helvétique et des pays européens tels que le Kosovo, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. Sans doute nous faudrait-il examiner de plus près ce dispositif. En attendant, nous devrons faire en sorte que les demandeurs d’asile soient dirigés vers des centres d’hébergement en fonction des places disponibles et, dans la mesure du possible, qu’ils soient sanctionnés en cas de refus de s’y rendre.

Quatrième objectif : une territorialisation accrue de toute la procédure, car l’efficacité passe par la prise en compte des réalités locales. Si les préfets sont les premiers concernés par la mise en œuvre de cette idée, les collectivités locales devraient également être associées le plus en amont possible à la détermination de schémas régionaux d’hébergement. Cela nécessitera que tous accomplissent un véritable effort de solidarité.

Enfin, il convient de créer des lieux dédiés à l’assignation à résidence et d’éloigner les déboutés du droit d’asile. Ces derniers représentant 80 % des demandeurs, aucune réforme du système actuel ne sera viable s’ils continuent d’engorger nos centres d’hébergement. Rappelons à cet égard que 50 % des places d’hébergement d’urgence sont actuellement occupées par des étrangers en situation irrégulière.

Le Gouvernement se prononcera rapidement sur ces cinq propositions, qui ne sont pas exclusives d’autres.

En tout état de cause, il ne nous paraît pas optimal de réformer le droit d’asile par voie d’ordonnance. Certes, il nous faudra transposer rapidement la directive européenne sur l’asile mais, à l’exception de cette exigence, il me semblerait contradictoire de charger deux parlementaires d’une mission sur un sujet pour ensuite dérober celui-ci au débat parlementaire. Il m’importe donc que le Parlement s’en saisisse afin d’aboutir, j’y insiste, à la solution la plus consensuelle possible.

Enfin, dès sa nomination comme directeur général de l’OFPRA en décembre dernier, j’ai demandé à M. Pascal Brice de réorganiser sans attendre l’office afin de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile. Ainsi le contrat d’objectifs et de performance que j’ai conclu à l’été 2013 avec l’établissement public prévoit de ramener ce délai, en moyenne, de six à trois mois d’ici à 2015, dans le cadre d’un délai global de traitement des dossiers par l’OFPRA et par la CNDA ramené à neuf mois. Cette réorganisation s’appuie sur une concertation menée au début de l’année 2013 par la direction de l’office auprès des officiers de protection et de leurs syndicats, concertation qui a abouti à un plan de réforme mis en application depuis l’été et qui produira ses pleins effets dès le début de l’année 2014. Cette évolution repose sur un traitement des dossiers plus adapté à la réalité différenciée des besoins de protection des demandeurs ; sur une polyvalence accrue des officiers de protection, leur permettant de traiter des demandes provenant d’un nombre plus important de pays ; sur le développement d’outils d’instruction harmonisés ; sur le renforcement du contrôle de la qualité des décisions prises, notamment grâce à l’appui fourni par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés ; et enfin, sur le renforcement de la protection des femmes victimes de violence, des mineurs, des personnes persécutées pour leur orientation sexuelle ainsi que des personnes originaires de territoires en situation de conflit généralisé, tels que les Syriens. C’est dans le cadre de cette réorganisation que l’OFPRA a institué en 2013 des missions de traitement de la demande d’asile en région, à Lyon et à Metz, afin de répondre à des situations locales d’urgence dans des délais de traitement de deux mois. À cette réorganisation en cours s’ajoute le recrutement de dix agents supplémentaires en 2013 et de dix autres encore en 2014. L’OFPRA sera ainsi en mesure d’exercer plus efficacement ses missions dans le cadre d’un droit d’asile réformé.

Si telles sont les réponses que je souhaitais vous apporter, je ne doute pas que les porte-parole des groupes et d’autres orateurs comptent eux aussi m’interroger sur ces sujets complexes, dont le traitement politique mérite d’être revu. Vous aurez compris ma détermination à mener ces réformes. J’ignore s’il existe des politiques de gauche ou de droite sur de tels sujets. Je sais en tout cas que la politique que je mène est profondément républicaine et fidèle aux valeurs de la France.

M. le président Gilles Carrez. La parole est maintenant aux orateurs des groupes.

Mme Elisabeth Pochon. Nous examinons ce soir les moyens que l’État entend mettre au service de sa politique d’immigration, d’asile et d’intégration. Si les chiffres des programmes 303 et 104 du budget 2014 traduisent les efforts fournis par la nation en ce domaine, ils nous révèlent surtout quelles priorités politiques le Gouvernement s’est fixées pour assurer un traitement humain des étrangers sur notre territoire.

Cette mission me paraît particulièrement sensible, non seulement parce que sa présentation nous permet d’appréhender quelles conditions d’accueil nous réservons aux migrants, mais aussi parce qu’elle s’inscrit dans un contexte économique, social et politique marqué par une tendance au repli national et par une certaine angoisse de l’avenir – en un mot, dans un contexte défavorable à une approche apaisée de la situation des migrants. Si ces derniers ont quitté leur terre natale et leur famille, c’est tantôt à la recherche d’un avenir meilleur, tantôt pour fuir les persécutions et sauver leur vie. D’autres, déjà installés, aspirent pour leur part à devenir enfin Français. Devant une telle diversité de situations, la France se doit de se maintenir dans le rôle qu’elle a hérité de son histoire mais qui découle également des engagements qu’elle a souscrits dans le cadre des conventions internationales qu’elle a signées.

Sur le traitement des étrangers, la majorité actuelle aspirait à une véritable rupture avec la brutalité dont avait fait preuve l’ancienne majorité en dévissant le bouchon du flacon d’un poison politique qu’il est aisé d’agiter en période de crise mais bien difficile de refermer ensuite, de sorte que ses effluves continuent à nous poursuivre. C’est pourquoi nous saluons les décisions fortes que vous avez déjà prises en la matière, monsieur le ministre, qu’il s’agisse de l’abandon de la politique du chiffre pour le chiffre dans l’éloignement des étrangers, de l’abrogation de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, de l’interdiction de placer les enfants en centre de rétention, ou encore de la signature d’une circulaire définissant des critères de régularisation transparents.

Si la mission budgétaire que nous examinons ce soir porte sur à la fois sur l’asile, sur l’immigration et sur la naturalisation, je me limiterai ici au premier sujet et, plus particulièrement, à la question des délais de traitement des demandes d’asile dont la longueur actuelle a des conséquences négatives en cascade sur l’hébergement et sur l’accompagnement des personnes concernées, sans parler de son coût. L’actualité récente nous a ainsi rappelé que, si la loi continue à s’imposer, la longueur des procédures fait perdre beaucoup de sens et de poids aux principes fondamentaux en vigueur. Cette remarque est d’ailleurs valable pour la justice en général.

Le budget général de la mission fait apparaître une hausse des demandes d’asile pour la sixième année consécutive, après un accroissement de 61,4 % entre 2007 et 2012. Si cette évolution devait se confirmer en 2013, nous serions confrontés à une hausse sans précédent, sachant que l’on observe depuis 2008 une dégradation progressive des délais de traitement des demandes d’asile et, par conséquent, une augmentation des stocks de demandes.

Jouant les Cassandre, M. Ciotti nous prédit 70 000 demandeurs d’asile et des coûts infinis pour cette année, sous-entendant qu’une telle explosion des chiffres serait le fruit de la libéralité d’un gouvernement de gauche et que la droite aurait, elle, obtenu des résultats probants et fait preuve d’une vraie volonté et d’un véritable savoir-faire, tandis que nous ne serions que des laxistes, voire des aspirateurs à demandeurs d’asile ! Or la réalité est tout autre : notre système d’asile n’est plus satisfaisant depuis plusieurs années. Reconnaissons-le sans quoi nous ne pourrons le sauver, alors même que l’asile est un principe constitutif de notre République.

Pendant sa campagne, le Président de la République avait d’ailleurs fixé le cap de la réforme en soulignant qu’« outre une dotation adéquate du dispositif d’accueil, [c’était] une autre gouvernance du système qu'il [faudrait] également privilégier. » Or, où en est-on aujourd’hui ? Si le budget général de la mission est en légère baisse, la dotation en faveur de notre politique d’asile augmente de 0,5 % en 2014, le Gouvernement affichant deux priorités en la matière : la réduction des délais d’instruction des demandes d’asile et une rénovation du dispositif d’accueil des demandeurs privilégiant l’hébergement pérenne, aujourd’hui saturé. Ces objectifs se traduisent concrètement par une augmentation des moyens budgétaires de l’OFPRA et par l’affectation d’agents supplémentaires à cet établissement. Ils se matérialisent aussi par la création de 2 000 places supplémentaires dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile. Si de telles mesures sont temporairement satisfaisantes, elles demeurent cependant insuffisantes à long terme. Mes recherches m’ont d’ailleurs permis de constater qu’une véritable réforme était menée en amont des prochains changements annoncés : un contrat d’objectifs et de performance a ainsi été signé avec l’OFPRA, énonçant les principes d’un renforcement de la protection et du droit d’asile, d’une réduction des délais d’examen des demandes d’asile, d’un traitement adapté de ces dossiers, et d’une réorganisation des conditions de travail des agents qui, s’ils voyaient leurs emplois stabilisés, pourraient travailler plus efficacement.

Monsieur le ministre, vous avez, parallèlement à la conclusion de ce contrat, confié à deux parlementaires, le député Jean-Louis Touraine et la sénatrice Valérie Létard, le soin de mener une concertation nationale sur la réforme du droit d’asile, en vue de transposer en droit français des normes adoptées par l’Union européenne en juin dernier : quels en sont les premiers résultats ? Dans quelle direction le Gouvernement s’oriente-t-il en la matière ? Vous savez la majorité de gauche attachée à une politique de l’asile qui conserve son caractère spécifique. Le président de la Commission des lois a d’ailleurs exprimé le souhait de ne pas voir traités dans une même loi l’asile et l’immigration.

Le besoin d’asile s’explique tant par les conflits internationaux à nos portes que par l’instrumentalisation du viol comme arme de guerre contre les femmes dans certains conflits ou encore par la nécessité de protéger les petites filles contre des coutumes barbares. Or, si la France est le deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile en Europe, elle n’est qu’en vingt-et-unième place pour l’octroi du statut de réfugié. Ces chiffres relativisent donc les procès en laxisme qui nous sont intentés mais notre pays se grandit en prenant sa part à l’accueil des souffrances humaines. C’est pourquoi, dans cette période budgétaire contrainte, le budget consacré à l’asile me paraît satisfaisant.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, nous nous accordons pour sortir des jeux de rôle artificiels, car dans le dialogue entre le ministre de l’intérieur que vous êtes et les députés d’opposition que nous sommes, il n’y a pas, d’un côté, un laxiste gauchiste et, de l’autre, des crypto-fascistes. Contrairement à ce que semblent penser votre collègue Cécile Duflot et une partie des députés censés appartenir à la majorité, vous êtes républicain, tout comme nous qui respectons l’État dans ses missions régaliennes et savons que l’ordre est la condition de la liberté. Nous sommes donc convaincus que la France doit réguler l’immigration de manière raisonnable et responsable, dans le respect des personnes.

C’est pourquoi notre désaccord ne porte pas sur les finalités de la politique d’immigration que vous cherchez à mener, mais sur la réalité de cette politique éclatée entre différents ministères – sans cap présidentiel clair.

J’évoquerai à cet égard trois sujets de préoccupation immédiate, qui sont autant de signaux d’alerte.

Tout d’abord, la lutte contre l’immigration irrégulière est entravée par des initiatives contradictoires. Lorsque les préfets, les policiers et les gendarmes reconduisent dans leur pays les personnes venues en France sans nous en demander l’autorisation, ils ne font rien que leur travail, qui consiste à faire appliquer la loi. Je regrette très vivement que de tels efforts ne soient pas soutenus par l’ensemble des autorités de la République. Lorsque le Premier ministre – dans l’hémicycle – puis le Président de la République – devant la France entière – expliquent que, dans l’affaire bien connue de tous, les policiers ont manqué de « discernement » en renvoyant au Kosovo des clandestins ayant fait l’objet de trois décisions de justice ordonnant leur reconduite à la frontière, policiers et gendarmes se sentent désavoués au sommet de l’État. On entend dire en ce moment même dans notre pays que la haute hiérarchie préfectorale n’est pas toujours particulièrement motivée pour lutter contre l’immigration irrégulière, tant elle craint d’être désavouée par l’Élysée. On murmure également que le préfet de police a déjà donné instruction orale aux préfets de l’agglomération parisienne de ne plus éloigner de parents de lycéens ou de collégiens. Si tel était le cas – mais sans doute le démentirez-vous –, cela constituerait un renoncement à lutter contre l’immigration clandestine, puisqu'il suffira de scolariser un mineur pour avoir le droit au séjour en France.

Ensuite, l’immigration régulière n’est pas suffisamment régulée. Il est clair qu’en ce domaine, vous avez cherché à envoyer des signaux symboliques à une partie de la majorité, tant sur la question des étudiants étrangers qu’en évoquant la possibilité d’instaurer un titre pluriannuel de séjour. Mais le véritable enjeu est ailleurs : qu’en est-il de la gestion des quelque 2,2 millions de visas – dont 1,9 million de visas de court séjour – et des 200 000 cartes de séjour qui sont délivrés chaque année ? Le Gouvernement souhaite-t-il faire augmenter ou diminuer ces chiffres ? Dans quelles proportions ? Pour quels pays ? Pour quelles voies d’immigration ? Pour que ces visas soient délivrés de manière intelligente, encore conviendrait-il d’entamer un véritable dialogue avec les pays d’origine des demandeurs et négocier avec ces États des traités subordonnant l’aide au développement qui leur est accordée aux efforts de régulation de l’immigration qu’ils fournissent. Cela paraît cependant difficile lorsque notre ministre du développement s’appelle Pascal Canfin et qu’il appartient à un parti écologiste hostile à toute politique de régulation de l’immigration. La cohérence en ce domaine ne nous saute donc guère aux yeux.

Troisième difficulté : il n’existe toujours aucune politique européenne d’immigration. Si un pacte a certes été négocié puis signé par les vingt-sept États membres de l’Union européenne il y a cinq ans, encore faudrait-il passer du pacte aux actes et l’on se croirait d’ailleurs parfois revenu au temps de la Société des nations car l’immigration en provenance des pays tiers n’est guère traitée à l’échelon européen. En outre, le budget de Frontex a diminué puisqu’il s’élevait à 115 millions d’euros en 2011 et qu’il n’est plus que de 85 millions en 2013. Il est également urgent de définir un véritable régime d’asile commun aux États membres, au-delà des directives procédurales et bureaucratiques, afin d’éviter que la France ne soit une destination privilégiée pour les demandeurs. Ce régime d’asile très intégré serait fondé sur une liste de pays d’origine sûrs commune aux cinq ou six pays qui concentrent 80 % des demandes d’asile. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous essayez de faire progresser ce dossier dans le cadre du conseil Justice et Affaires intérieures, mais sans doute le sujet doit-il être pris en main directement par les chefs d’État si l’on veut sortir du type de conclusions vaporeuses auquel a abouti le dernier Conseil européen, qui s’est contenté de remettre le traitement de la question à une prochaine réunion. Enfin, il conviendra aussi d’aborder sans tabou la question de l’immigration interne à l’Union européenne. Quel contrôle celle-ci exerce-t-elle aujourd’hui sur l’utilisation, par la Roumanie et la Bulgarie, des 17 milliards d’euros de fonds communautaires versés pour favoriser l’insertion des Roms dans les pays dont ils ont la nationalité ? Quel bilan faites-vous de l’application de la directive sur le détachement des travailleurs ? On recense aujourd’hui 140 000 travailleurs européens détachés en France, dont 70 000 dans le secteur du bâtiment, pour un coût du travail inférieur de 30 % à celui des ouvriers français !

Faute de traiter ces urgences, la politique d’immigration est condamnée à l’échec. C’est pourquoi le groupe UMP votera contre un budget qui n’en est que le reflet.

M. Arnaud Richard. Avec près de 665 millions d’euros de crédits demandés en 2014, le budget consacré à l’immigration baisse de 1 % en autorisations d’engagement et en crédits de paiement par rapport à l’année précédente – preuve que l’on est loin des bonnes intentions affichées par le Gouvernement en début de mandat et que l’immigration n’est pas pour lui une priorité. Certes, on relève l’effort fourni en matière d’asile. Vous avez d’ailleurs eu des propos très forts à ce sujet, monsieur le ministre, affirmant qu’il ne s’agissait d’une politique ni de droite ni de gauche mais bien d’une politique républicaine. Les chiffres étant ce qu’ils sont, vous avez eu le louable courage de reconnaître que le système était à bout de souffle et qu’une large concertation était nécessaire dans le champ du droit d’asile. Sauf qu’il s’agit aujourd’hui d’un champ de ruines ! Nous partageons tous ce point de vue et si vous êtes assez mal à l’aise sur ce sujet, vous n’en êtes pas moins extrêmement courageux lorsque vous affirmez la nécessité d’établir un diagnostic et de définir des pistes de réforme. Espérons que le rapport dont vous avez chargé nos collègues parlementaires aura d’heureux résultats car la permissivité de notre système est flagrante et l’engorgement de nos centres d’hébergement d’urgence atteint un niveau dramatique, non seulement en Île-de-France mais aussi dans toutes les capitales régionales.

Si le groupe UDI déplorait l’an dernier, à propos de cette mission, une forme de non-choix politique, il considère qu’un véritable effort est fourni cette année. Cela étant, nous n’en attendions pas moins compte tenu de l’actualité. Certes, vous semblez mieux assumer vos choix en la matière, mais vous les avez opérés au détriment de la lutte contre l’immigration irrégulière et de la politique d’intégration alors qu’elles constituent des composantes indissociables de notre politique migratoire.

Nous attendons à présent les conclusions du rapport de nos collègues parlementaires en mission. Pour m’en être entretenu avec Valérie Létard, je sais qu’ils auront des scénarios courageux à nous proposer et j’espère que vous saurez les suivre. Compte tenu de la situation actuelle, je doute toutefois de votre capacité à réduire à neuf mois les délais de traitement des dossiers par l’OFPRA et par la CNDA. Mais j’estime encore une fois que vous menez une politique courageuse, même si toute la majorité ne la perçoit pas nécessairement ainsi.

M. Sergio Coronado. Lors de l’examen du budget de l’immigration l’an dernier, plusieurs d’entre nous avaient salué votre volonté d’extraire ce thème du débat politicien et d’un contexte passionnel. Or, aujourd’hui, entendant notre collègue Larrivé et gardant en mémoire certaines déclarations publiques, je m’aperçois qu’à l’approche des échéances électorales, ce vœu risque de s’évaporer, à mon grand regret.

Adopter un budget, c’est aussi valider une orientation politique. Or nous avons des désaccords à exprimer à cet égard. Bien que je n’aie pour ma part jamais remis en cause votre attachement à la République, permettez que ce même attachement ouvre à d’autres le droit à la critique.

J’avais déposé l’an dernier un amendement visant à réduire les montants investis dans les centres de rétention administrative (CRA), amendement qui avait suscité l’intérêt du rapporteur et de l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac. Or, rien n’a été fait depuis pour fermer les centres non utilisés, alors même que le taux d’occupation de ces lieux n’est que de 50 %. Seriez-vous opposé par principe à la fermeture à ceux de ces centres qui sont sous-utilisés ?

Je reviendrai ensuite sur une situation qui a provoqué une mobilisation importante de la part des personnels de justice et des associations. L’annexe du tribunal de grande instance de Meaux, située sur le site du CRA du Mesnil-Amelot, a été inaugurée le lundi 14 octobre. D’après plusieurs associations et figures du monde judiciaire, la création de ces villages – qui ont eux aussi un coût – contrevient aux principes d’impartialité et d’indépendance des juges, de respect des droits de la défense, de publicité des débats et de dignité des personnes. Qu’en pensez-vous, sachant que la ministre de la justice a demandé la création d’une mission d’évaluation de ces villages ?

Maintes fois repoussé, l’appel d’offres pour les associations impliquées dans les CRA a été publié le 23 octobre dernier : il entérine la poursuite de la politique menée antérieurement puisque vingt-quatre des vingt-cinq centres de rétention resteront ouverts tout en conservant leur taille actuelle. La prévision du nombre de personnes qui y seront enfermées se fonde sur les chiffres les plus élevés enregistrés au cours des années précédentes – ceux des années 2011-2012. On peut donc supposer que vous nous confirmerez le choix de ne faire diminuer ni le nombre des enfermements ni celui des expulsions.

En ce qui concerne le droit d’asile, nous nous accordons pour juger que notre système est à bout de souffle. L’augmentation de dix unités de l’effectif des officiers de protection pour faire face à l’augmentation des demandes d’asile est une bonne chose. Notre collègue Ciotti l’a d’ailleurs reconnu, même s’il a rappelé que l’ancienne majorité avait accompli un effort supérieur en la matière. Mais quelle est la position de votre ministère à l’égard des demandeurs d’asile syriens ? Plusieurs journalistes se sont en effet étonnés dans des articles de presse qu’un nombre aussi faible d’entre eux obtiennent le statut de réfugiés.

Je rappellerai également que la gauche européenne a mené un combat très déterminé en faveur de l’exclusion du Kosovo de la liste des pays sûrs et a ardemment soutenu Thomas Hammarberg, le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, qui avait plaidé en ce sens. Je me réjouis donc de la décision du Conseil d’État à cet égard.

Je me réjouis également de votre détermination à construire 2 000 places supplémentaires en centre d’accueil des demandeurs d’asile. C’est en effet nécessaire, compte tenu de l’augmentation du nombre de demandes, mais n’est-ce pas contradictoire avec la décision de diminuer les crédits destinés à financer l’allocation temporaire d’attente et l’hébergement d’urgence ?

Enfin, la présidence de l’Assemblée nationale ayant pris l’excellente initiative de créer une mission d’information sur les migrants âgés – dont les conclusions, rendues en juin dernier, ont été adoptées à l’unanimité de ses membres –, quelles mesures avez-vous déjà prises sur ce thème et quel sera votre plan d’action pour soutenir les quatre priorités définies par la mission ?

M. Marc Dolez. J’insiste à mon tour sur la nécessité de réformer en profondeur la procédure de traitement des demandes d’asile et le dispositif d’accueil des demandeurs, notamment dans l’esprit du rapport rendu en février dernier par la Coordination française pour le droit d’asile, qui regroupe une vingtaine d’associations. Et je salue le lancement en juillet dernier du processus de concertation que vous venez d’évoquer, monsieur le ministre.

Si la longueur des délais de traitement des demandes d’asile tient au manque de moyens et de personnel de l’OFPRA – ainsi que vous l’avez d’ailleurs souligné –, il convient à mon sens de tenir compte des spécificités propres à ce contentieux et faire en sorte que le raccourcissement de ces délais ne s’opère pas au détriment de la qualité de l’instruction. Je rappellerai d’ailleurs à ce propos que le demandeur ne peut toujours pas se faire assister d’un avocat dans ce cadre.

La Cour nationale du droit d’asile est, elle, une juridiction, mais qui n’intervient qu’en appel ; si ses délais d’instruction peuvent peut-être être réduits, ce n’est que dans une faible mesure, en raison des contraintes propres à la procédure administrative, mais surtout de la nécessité absolue de garantir les droits de la défense.

Les décisions prises par l’Union européenne après le drame de Lampedusa ne sont pas satisfaisantes. De nombreux dysfonctionnements majeurs demeurent sans réponse, comme la surcharge supportée par les pays méditerranéens situés en première ligne, et qui doivent traiter les dossiers en vertu du règlement de Dublin II selon lequel cette responsabilité incombe au pays d’arrivée. La Cour de justice de l’Union européenne est appelée à se prononcer sur ce règlement, tant ses dispositions sont insuffisantes à garantir le respect par les États membres des droits fondamentaux énoncés par la charte et applicables aux ressortissants d’États tiers. Ne considérez-vous pas qu’une refonte de ce texte serait bien utile ?

En ce qui concerne la politique migratoire, pouvez-vous faire le point sur l’application de la circulaire du 6 juillet 2012, qui interdit l’enfermement des enfants en centre de rétention ?

N’y a-t-il pas contradiction entre les circulaires du 11 février 2013 et du 11 mars 2013, relatives, respectivement, à la lutte contre le travail illégal et à la lutte contre l’immigration irrégulière, et celle du 28 novembre 2012 ? Autrement dit, les deux premières ne risquent-elles pas de dissuader les employeurs de personnes sans papiers d’engager une procédure en vue de régulariser la situation de ces salariés ? Jusqu’à présent, les employeurs qui entreprenaient de telles démarches n’étaient pas poursuivis. Pouvez-vous nous garantir que ce sera toujours le cas ?

Concernant l’intégration et l’accès à la nationalité française, les assouplissements auxquels la circulaire du 16 octobre 2012 a procédé sont en réalité minimes. En outre, elle ne dit rien sur un motif fréquemment utilisé à l’appui des décisions d’ajournement : le fait d’avoir hébergé des proches, voire son conjoint, en situation irrégulière, parfois des années auparavant. Ne serait-il pas opportun d’exclure explicitement un tel motif ?

Enfin, vous avez beaucoup insisté sur la nécessité pour les migrants de maîtriser la langue française, mais c’est lorsqu’ils ont l’assurance d’un droit au séjour stable qu’ils peuvent apprendre notre langue et s’intégrer. N’y a-t-il pas là contradiction ?

M. le président Gilles Carrez. Ceux de nos collègues qui souhaitent interroger le ministre à titre personnel peuvent maintenant le faire, en se limitant à deux minutes.

Mme Cécile Untermaier. La France, terre des droits de l’homme, est très attachée à la défense du droit d’asile. Notre pays s’est toujours efforcé d’accueillir les personnes dont la situation l’exigeait et, pour cette raison, a toujours refusé de prévoir des causes d’irrecevabilité, sauf lorsque le cas relève de la compétence d’un autre État membre. Or l’article 33-2 de la directive du Parlement et du Conseil européens du 26 juin 2013, destinée à instaurer des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, prévoit de telles causes d’irrecevabilité, légèrement révisées par rapport à celles retenues auparavant. Sont maintenus en particulier les motifs suivants : protection accordée par un autre État membre ; premier pays d’asile ; pays tiers sûr ; demande distincte déposée sans justification par une personne à charge. La transposition par notre pays de cette directive aura-t-elle pour conséquence l’institution de nouvelles procédures d’irrecevabilité ?

La circulaire du 16 octobre 2012, complétée par celle du 21 juin 2013, a modifié les conditions de naturalisation. Pouvez-vous nous en dire plus sur le livret qu’elle prévoit ? Comment fonctionnent les nouveaux pôles de compétence que vous avez institués sous la forme de trois plateformes régionales d’instruction ? Quelles sont les perspectives d’évolution sur le sujet ?

M. Michel Terrot. Mon expérience permettra d’illustrer le propos de M. Ciotti : alors que la commune de 26 000 habitants dont je suis l’élu, située dans l’agglomération lyonnaise, accueille déjà 220 demandeurs d’asile, le préfet lui demande d’en héberger 300 autres, d’origine kosovare et albanaise. Or la Grande-Bretagne, la Belgique, la Suisse – pour ne citer que ces trois pays – considèrent l’Albanie et le Kosovo comme des pays sûrs. Je suis donc très surpris de voir la France soutenir le contraire depuis un arrêt du Conseil d’État de mars 2012 – soit il y a plus de dix-neuf mois. Pourtant, sur le site du ministère des affaires étrangères, je ne trouve aucune information de nature à mettre en doute le caractère sûr de ces pays. Le Conseil d’État n’étant pas la Bible, que faut-il faire pour amener l’OFPRA à réexaminer sa position ?

Mme Sandrine Mazetier. Je regrette que la mission, telle qu’elle est présentée dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, ne nous permette pas d’examiner les crédits du titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel. Tout se passe comme si cette politique était désincarnée. Pourtant, derrière les programmes et les actions se trouvent des hommes et des femmes : agents de la police de l’air et des frontières, fonctionnaires des services préfectoraux, préfets – certains, il est vrai, plus inspirés que d’autres. J’invite donc mes collègues, en particulier ceux de l’opposition, à consulter le document de politique transversale qui retrace l’ensemble des 19 programmes et des 13 missions qui concourent à la politique française de l’immigration et de l’intégration, dont vous êtes, monsieur le ministre, le chef de file.

En revanche, les indicateurs de la mission « Immigration, asile et intégration », qui ont profondément évolué, appellent des félicitations, tant ils marquent une rupture avec la politique du chiffre et avec les pratiques d’affichage de vos prédécesseurs.

De même, je vous félicite pour l’approche pacifiée que vous avez proposée sur ces questions en organisant, à froid et en dehors de tout texte de loi, un débat sur l’immigration de travail et sur l’immigration étudiante. Ce débat s’appuyait sur un rapport très complet auquel les partenaires sociaux et des universitaires avaient pu contribuer.

Afin de prolonger cette démarche, et pour faire échapper ces questions à toute polémique ou instrumentalisation, ne serait-il pas utile de créer, sur l’immigration, un observatoire statistique indépendant de votre ministère, sur le modèle de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale ?

M. Philippe Cochet. Monsieur le ministre, il y a les déclarations et il y a la vraie vie. Vous, vous êtes confronté à la vraie vie. J’aimerais avoir quelques précisions sur un sujet qui préoccupe nos concitoyens.

Tout d’abord, quel est le coût réel, chaque nuit, de l’hébergement d’urgence ? Cette information est en effet très difficile à obtenir.

Ensuite, quelle est la situation budgétaire des préfectures s’agissant de la gestion de ce même hébergement d’urgence ? Il semblerait que certaines aient d’ores et déjà consommé leurs crédits. De ce fait, la construction de bidonvilles – qu’il sera long de faire évacuer – les arrange bien.

En dépit de certaines représentations caricaturales, l’accueil des demandeurs d’asile est de bonne qualité. C’était déjà vrai avant votre nomination et cela le reste aujourd’hui. Pour avoir visité plusieurs pays confrontés à des demandes comparables, je peux affirmer que la France traite correctement les demandeurs. On ne le dit pas assez souvent.

Cela étant, j’attends des réponses précises à mes questions tant le sujet suscite l’exaspération de nos concitoyens.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Je me réjouis de constater la sincérité du budget de la mission, en rupture avec la pratique précédente de sous-budgétisation des actions en faveur du droit d’asile et avec la politique d’affichage auparavant appliquée en matière de reconduite à la frontière.

L’action n° 3 du programme « Immigration et asile », consacrée à la lutte contre l’immigration illégale, intègre de manière opérationnelle le fonctionnement des centres de rétention administrative, les frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, la construction et l’entretien des centres de rétention, la prise en charge sanitaire dans ces centres, l’accompagnement social, etc. Elle est au centre de changements importants, entre la réorientation dès l’année dernière des priorités vers la lutte contre les filières d’immigration irrégulière – réorientation qui produit des résultats, comme l’atteste l’indicateur 3.2 – et l’ouverture cette année d’une réflexion sur la rétention et sur ses alternatives. Pouvez-vous détailler les perspectives d’évolution de cette action au sein de la mission budgétaire ?

Le système de délivrance des visas dans les consulats repose sur une application informatique ancienne qui, de l’avis général, obère nos capacités de délivrance des visas, notamment dans les pays émergents. Par conséquent, de nombreux demandeurs préféreraient solliciter un visa dans un consulat d’un autre État de la zone Schengen. Ce sont l’attractivité et l’image de la France qui sont en jeu. Est-il envisagé à brève échéance une refonte de cette application ?

Depuis l’arrivée de la gauche aux responsabilités, la politique de naturalisation a été réorientée pour que l’acquisition de la nationalité redevienne l’aboutissement d’un parcours d’intégration réussi. Entre 2011et 2012, une baisse de 30 % des naturalisations a été constatée. Le Gouvernement a réagi très vite en donnant aux préfets de nouvelles consignes quant à l’interprétation de la loi. Quels en sont les résultats ?

M. Bernard Gérard. Lorsqu’un pays de l’Union ne respecte pas la réglementation européenne, il peut être conduit à verser des pénalités. Or plusieurs pays d’Europe qui reçoivent 17 milliards d’euros pour s’occuper de leurs ressortissants ne font rien ou quasiment rien de cette somme. Comment se fait-il, par exemple, que le non-respect par la Roumanie de ses obligations n’entraîne aucune conséquence ?

Le 5 décembre dernier, nous avons reçu M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, qui a expliqué ce qu’il comptait faire pour réduire à neuf mois la durée moyenne d’instruction des dossiers, ce qui entraînerait d’évidentes conséquences budgétaires. Depuis, nous n’avons observé aucune évolution. Or des directives européennes vont bientôt entrer en application, que nous allons devoir transcrire en droit français. La marche à franchir ne risque-t-elle pas d’être beaucoup plus haute ? Je suis très attaché aux libertés publiques et je pense que cette évolution représente un progrès, mais elle est aussi une source de difficultés supplémentaires. Va-t-elle également entraîner un allongement des délais ?

Enfin, nous n’avons pas une idée claire de ce que coûte la politique du droit d’asile en France, entre les CADA, les CHRS, les chambres d’hôtel, les dépenses assumées par les conseils généraux… Pouvez-vous nous donner un chiffre précis ?

M. Erwann Binet. Monsieur le ministre, dans votre analyse de la question de l’accès au droit d’asile, vous avez fortement lié les difficultés relatives aux procédures et à leur longueur et celles qui tiennent à l’hébergement des demandeurs et des déboutés. Depuis la régionalisation de la demande d’asile, décidée en 2009, les difficultés d’hébergement ne sont plus seulement quantitatives – dues à l’insuffisance du nombre de places –, ni qualitatives – liées à la répartition de ces places entre les CADA et l’hébergement d’urgence -, mais aussi d’ordre géographique. Mon département, l’Isère, est un pôle d’accueil régional. Or, comme l’État voit ses dispositifs saturés, le conseil général a dû se substituer à lui, ce qui pose de réels problèmes, non seulement en raison des difficultés budgétaires que connaissent aujourd’hui les conseils généraux, mais aussi parce qu’il en résulte une inégalité, au sein d’une même région, entre les départements dont la préfecture accueille des demandeurs d’asile et les autres.

Dans le budget pour 2014, les crédits pour l’hébergement augmentent globalement, avec un rééquilibrage au bénéfice des CADA. Vous nous avez part de vos réflexions sur cette question en insistant sur la nécessité de mieux répartir l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire national. À très court terme, comment allez-vous prendre en compte ce déséquilibre géographique dans la distribution des moyens supplémentaires prévus ?

M. Didier Quentin. Vous avez convenu vous-même que les délais d’instruction des demandes d’asile tendent à s’allonger, ce qui pèse sur l’ensemble du système. Notre dispositif n’octroie l’asile qu’à une faible part des demandeurs, créant ainsi, après une instruction d’une durée moyenne de vingt mois, les conditions d’une immigration illégale, dans la mesure où la majorité des demandeurs, après refus de leur dossier, demeurent sur le territoire national. De plus, les demandes sont concentrées sur certains territoires, l’Île-de-France en recueillant 45 %.

Vous venez de confirmer votre volonté de réformer notre droit d’asile à partir des recommandations de Mme Létard et de M. Touraine, avec l’objectif d’apporter des garanties nouvelles aux demandeurs d’asile, de renforcer l’efficacité des procédures, l’accès au système d’accueil et d’hébergement sur le territoire et l’insertion des bénéficiaires d’une protection internationale. Mais comment allez-vous éviter de créer de nouveaux immigrés illégaux, compte tenu de la durée d’instruction des demandes ?

S’agissant des régularisations, combien ont été faites sur le fondement de la circulaire de novembre 2012 ? Combien d’éloignements ont été opérés en 2013 ? Le « bleu » budgétaire est muet sur ce point, ce dont on peut s’étonner.

M. Lionel Tardy. La régionalisation des demandes d’asile pose problème dans certains cas. En Bourgogne par exemple, elle a été annulée. L’impact de cette réforme est-il significatif en termes budgétaires ?

Concernant les frais d’éloignement, vous expliquiez l’année dernière que la baisse de 1 million d’euros était due au fait que les éloignements étaient effectués vers des pays proches. Qu’est-ce qui explique la nouvelle baisse des crédits observée cette année, plus importante encore puisqu’elle atteint 3 millions d’euros ?

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Je remarque que chacun des groupes a confirmé la volonté de rechercher le consensus sur cette question, même si le premier acte posé par l’opposition consiste à voter, par principe, contre ce budget en liant les questions budgétaires à des problématiques politiques plus générales – mais c’est un droit que je ne lui conteste pas ; nous en avons fait autant dans le passé.

Je laisserai de côté la question de l’asile, car je souhaite, dans ce domaine, attendre que la concertation parvienne à son terme.

Monsieur Larrivé, en ce qui concerne les parents d’enfants scolarisés et les jeunes majeurs, ce gouvernement a défini des critères de régularisation pérennes et simples – même si leur application ne l’est pas toujours –, fondés sur une durée minimale de présence sur le territoire et de scolarisation des enfants. Pour une famille, ces durées sont respectivement de cinq et trois ans ; en outre, pour la première fois, la régularisation est possible lorsque les deux parents sont en situation irrégulière, ce que la circulaire signée en 1997 par Jean-Pierre Chevènement n’avait pas autorisé. Un jeune majeur doit, lui, justifier de deux ans de présence sur le territoire lorsqu’il atteint dix-huit ans, ainsi qu’une scolarité assidue. La situation au regard du séjour des parents est également prise en compte.

Enfin, ces critères insistent sur l’importance de l’intégration et de l’absence de troubles à l’ordre public. Et si la seule scolarisation ne peut constituer un motif suffisant de régularisation, ce gouvernement, très attentif à ces questions, en a fait un élément devant être pris en compte.

Il ne peut y avoir de politique en la matière que fondée sur des critères objectifs. Dans le cas contraire, la décision dépend des préfectures ou des familles concernées, et la politique s’adapte en fonction des circonstances. À moins de ne régulariser personne – ou au contraire de régulariser tout le monde –, il faut se doter de critères clairs de régularisation. C’était d’ailleurs un engagement du Président de la République pendant la campagne.

Les préfets appliquent toutes ces règles. Toute politique est mise en œuvre par le ministre concerné ; dès lors que l’application des règles ne donne lieu à aucune faute, les préfets méritent tout le respect. Je leur rends d’ailleurs hommage, ainsi qu’aux forces de l’ordre, policiers et gendarmes qui, en matière d’immigration illégale, assument des missions extrêmement difficiles. Nous disposons d’un corps préfectoral de très grande qualité et le mettre en cause ne pourrait conduire qu’à son délitement, au détriment de la continuité républicaine. J’invite donc à ne pas réclamer la démission de tel ou tel préfet sans raison valable.

J’en viens à la question des flux migratoires après la disparition du programme 301 sur le développement solidaire. Entre 2007 et 2008, la France a conclu une quinzaine d’accords. Depuis 2013, le transfert des crédits du programme 301 au ministère des affaires étrangères a conduit à modifier l’équilibre de gestion des accords existants et à écarter le volet « développement solidaire » du champ des accords à venir. La stratégie du Gouvernement en la matière consiste à évaluer les effets des accords signés et à s’inscrire plus résolument dans la stratégie européenne des partenariats pour la mobilité, dont l’économie est inspirée de celle des accords de gestion concernés. C’est M. Canfin qui conduit cette politique.

Une mission conjointe des ministères de l’intérieur et des affaires étrangères vient d’être lancée en vue de procéder à l’évaluation de ces accords et, plus généralement, de faire des propositions sur la place des questions migratoires dans la politique extérieure de la France.

M. Larrivé m’a également interrogé sur le bilan de la directive relative au détachement des travailleurs – qui, d’ailleurs, ne relève pas directement de ma compétence. Cette directive est une conséquence de la liberté de circulation en Europe, dont les Français bénéficient également. Le problème est son détournement par des entreprises qui organisent le dumping grâce à de faux détachements. Michel Sapin est particulièrement mobilisé contre cette forme de fraude. La lutte a été renforcée et continuera à l’être.

À l’intention de M. Richard, j’indique que la lutte contre l’immigration irrégulière a été marquée en 2013 par trois tendances. La première est la hausse sensible du nombre de filières démantelées : pour la première fois depuis que cet indicateur existe, il atteint un chiffre record de 200, contre 184 en 2012, qui était déjà une très bonne année. Cela étant, des progrès restent à accomplir dans ce domaine, car d’autres filières poursuivent leurs activités.

La deuxième tendance est à la stabilité du nombre des éloignements contraints, qui sera approximativement de 21 000 en 2013, comme en 2012 et en 2011. La dynamique est plus forte qu’en 2009 et en 2012, puisque ce nombre était alors de 17 000. Chacun doit en être conscient. L’un d’entre vous l’a dit : il y a les paroles, et il y a les actes. Voilà les actes. La vraie vie, pour reprendre l’expression de M. Cochet, je la connais, pour avoir été maire pendant onze ans d’une ville ouverte au monde, qui a bénéficié de la force que peut apporter l’immigration mais sait aussi quels problèmes elle peut poser.

Les chiffres que je vous donne rappellent la difficulté, quand on gouverne, de mener des politiques de régularisation et d’éloignement du territoire, et l’écart entre les grands discours et la réalité. C’est pourquoi j’invite l’opposition à mesurer ses critiques. Ce sont des politiques difficiles, mais il faut les mener, avec nos valeurs, avec nos lois, après des débats tels que celui organisé sur l’immigration liée au travail. Cette dernière représente une part très faible de l’immigration, à côté de l’accueil des étudiants étrangers – ils sont 60 000 –, de l’immigration liée à la famille et de l’asile.

La troisième tendance est la diminution du nombre de retours aidés. On comptait 15 000 départs volontaires en 2012 ; nous n’en attendons guère plus de 7 000 pour 2013. Cette diminution de 50 % est quasi exclusivement imputable à la baisse des retours aidés des ressortissants roumains et bulgares. Je revendique cette évolution : les aides au retour trop généreuses accordées aux ressortissants communautaires étaient à l’origine d’installations massives et incontrôlées de populations attirées par un avantage que la France était le seul pays d’Europe à offrir.

Le Gouvernement lutte contre l’immigration irrégulière et il veille à limiter les effets d’aubaine liés à certaines aides. Cette politique claire produit des résultats.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur la baisse des crédits destinés à la lutte contre l’immigration illégale. Entre 2007 et 2012, le précédent gouvernement pratiquait l’affichage budgétaire pour montrer sa détermination, mais les dépenses exécutées étaient systématiquement très éloignées des prévisions. En moyenne, sur la période de 2009 à 2012, seulement 75 % des crédits inscrits en loi de finances initiale ont été consommés dans le périmètre qui nous intéresse. Quant aux crédits de billetterie, ils n’ont été consommés qu’à hauteur de 77 %.

En 2013, en inscrivant 76 millions d’euros en loi de finances initiale, nous avons en conséquence veillé à ajuster la budgétisation à la réalité de la dépense. En 2014, nous proposons d’inscrire 73 millions d’euros. L’ajustement entre 2013 et 2014 s’explique par la passation de nouveaux marchés plus globaux pour le fonctionnement hôtelier des CRA, qui se traduit par une baisse de 0,8 million d’euros des crédits nécessaires; par un recul de 2,7 millions en billetterie – le total des crédits de 21,6 millions correspond au niveau moyen constaté entre 2011 et 2013 –, par la progression de l’investissement immobilier en raison de la construction du centre de rétention de Mayotte et par l’augmentation des dépenses d’action sociale et sanitaire en CRA.

En matière de rétention, madame Françoise Descamps-Crosnier, monsieur Sergio Coronado, le Gouvernement entend garantir que la privation de liberté, parfois inévitable pour assurer l’éloignement, soit la plus brève possible et se déroule dans le respect des droits de la personne étrangère et dans les meilleures conditions. Il souhaite également limiter les déplacements avec escorte qui mobilisent les forces de l’ordre pour des opérations à faible valeur ajoutée en termes de lutte contre l’immigration irrégulière. La fermeture d’un grand nombre de centres de rétention n’est pas souhaitable car elle entraînerait une hausse de la promiscuité. Depuis septembre, le taux d’occupation des CRA est globalement de l’ordre de 60 % – il est plus élevé pour les hommes seuls, atteignant dans ce cas 75 %, que pour les femmes isolées ou les familles. Depuis la circulaire du 6 juillet 2012, les familles ne sont qu’extrêmement rarement placées en détention, j’y reviendrai.

D’autre part, le Gouvernement entend faciliter l’accès des migrants aux droits et à des « temps d’occupation ». Un texte relatif à la simplification de l’accès des associations aux CRA sera publié avant la fin de l’année, et l’accès des journalistes accompagnant des parlementaires sera également facilité. Le marché public pour l’accès des personnes retenues à une procédure d’assistance juridique est en cours de passation pour une période de trois ans. Une concertation avec l’ensemble des associations spécialisées a conclu à la nécessité de développer des activités pour rompre l’isolement des intéressés ; des projets sont à l’étude et une première expérimentation doit avoir lieu avec le GÉNÉPI, le groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées.

Monsieur Coronado, la baisse des crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente s’explique par la suppression des versements indus, à la suite de la mission conjointe menée par les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration. La baisse des crédits d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) est due à la création de 4 000 places de CADA en 2013 et 2014, qui devrait avoir pour conséquence une moindre sollicitation de ces dispositifs.

En 2012, la France a reçu sept cents demandes d’asile de la part de ressortissants syriens : en 2013, elle en a reçu le double. Le taux d’attribution de la protection accordée par l’OFPRA s’élève à 85 %. À l’instar d’autres dirigeants européens, le Président de la République a annoncé la volonté de la France d’accueillir, en 2013-2014, cinq cents personnes supplémentaires en provenance des camps de réfugiés gérés par le HCR. Depuis deux ans, la France a accueilli 3 700 Syriens. Elle assume ses responsabilités tout en privilégiant l’accueil par les pays qui se trouvent à proximité de la zone concernée.

Dès la publication du rapport d’information parlementaire consacré aux immigrés âgés, j’ai mis en œuvre une réforme qui va au-delà des préconisations de la mission d’information. Tout immigré âgé de plus de soixante ans qui sollicite le renouvellement de sa carte de résidence doit se voir remettre une carte de résident valable sans limitation de durée – sauf évidemment en cas de problèmes spécifiques liés au demandeur.

Monsieur Dolez, la préservation et l’amélioration de la qualité des procédures mises en œuvre par l’OFPRA et par la CNDA constituent des objectifs essentiels. La concertation en cours sur l’asile s’est pleinement saisie de la question et je souhaite que la future loi apporte des garanties supplémentaires en la matière, particulièrement au bénéfice des personnes vulnérables.

Les employeurs d’étrangers en situation irrégulière qui s’engagent pour la régularisation d’un travailleur migrant satisfaisant aux critères de la circulaire du 28 novembre 2012 ne sont, en pratique, jamais inquiétés. Il n’y a aucune contradiction entre la possibilité de régularisation par le travail, qui implique des employeurs vertueux, et la lutte contre le travail illégal, qui constitue l’une des priorités du Gouvernement.

Le règlement de Dublin vient d’être réformé : il prévoit une procédure renforcée avant la décision de réadmission et un recours suspensif. Même si les débats se poursuivent au niveau européen, l’équilibre ainsi atteint paraît satisfaisant.

La loi du 31 décembre 2012 a supprimé le « délit de solidarité » applicable aux personnes ayant aidé un étranger en situation irrégulière dans un cadre humanitaire. Désormais, ces faits dépénalisés ne peuvent plus être retenus contre les personnes qui souhaitent acquérir la nationalité française.

La circulaire du 6 juillet 2012 a mis fin au primo-placement de parents accompagnés d’enfants mineurs. Un an après, une dizaine de familles seulement avait dû être placée en centre de rétention après avoir mis en échec une procédure d’assignation à résidence ou d’éloignement. Au second semestre 2012, cinquante familles ont été assignées à résidence à l’initiative de seize préfectures, conformément à la procédure prévue par la circulaire. À titre de comparaison, entre le 1er janvier et le 30 avril 2012, au moins soixante-dix familles avaient séjourné en centre de rétention durant au minimum quelques heures.

Madame Untermaier, concernant la déconcentration de la procédure de naturalisation, nous avons tiré les conclusions de l’avis budgétaire présenté l’année dernière par M. Patrick Mennucci. J’ai souhaité la création de plateformes expérimentales en Lorraine et en Franche-Comté, à partir du 1er septembre 2013, et en Picardie, à partir du 1er janvier 2014. Cette expérimentation s’achèvera le 31 décembre 2014 ; elle donnera lieu à un bilan dressé par le préfet du département pilote. Au mois d’octobre, un rapport d’évaluation sera remis par le ministre chargé des naturalisations au Premier ministre.

Je tiens à souligner qu’entre septembre 2012 et septembre 2013, les naturalisations ont augmenté de 18 %. Nous avons donc inversé la tendance par rapport à la période précédente – marquée par un recul qui ne résultait d’aucun texte et n’avait fait l’objet d’aucun débat alors même qu’il nous semble contraire à l’idée que nous nous faisons de la France. Nous poursuivrons dans cette voie sans rien brader, car devenir Français, c’est à la fois une fierté et une exigence !

Monsieur Terrot, j’ai personnellement rencontré les familles et les enfants albanais et kosovars qui risquent de se retrouver sous le pont Kitchener à Lyon dans des conditions insupportables. L’OFPRA a réagi très rapidement, mais les recours devant la CNDA doivent être instruits. En attendant, il faut que le préfet du Rhône trouve les solutions adéquates pour répartir ces personnes sur un territoire où la question de l’accueil des migrants pose déjà de grandes difficultés. Dans le cadre de la réforme du système d’asile, des améliorations devront être apportées concernant l’établissement de la liste des pays d’origine sûrs. Des évolutions ont d’ores et déjà lieu : l’Arménie par exemple est désormais un « pays sûr ». À mon sens, il faut considérer comme tels les pays européens qui frappent à la porte de l’Union. L’OFPRA et le ministère doivent prendre des initiatives et agir rapidement.

Madame Mazetier, vous avez raison, derrière les missions, les programmes et les actions, il y a des hommes et des femmes. Les dépenses de personnel retracées au titre 2 s’élèveront en 2014 à 41 millions d’euros pour la direction générale des étrangers en France (DGEF), l’ex-secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (SGII), qui compte quelque 550 emplois équivalents temps plein. Il nous revient de soutenir et d’encourager les personnels du ministère, de l’OFII et de l’OFPRA – ce qui pourrait d’ailleurs aider, pour ce dernier, à réduire un turn-over préjudiciable à l’efficacité du dispositif d’asile.

Monsieur Cochet, le ministère de l’intérieur ne connaît que de l’hébergement d’urgence lié à l’asile, à l’exclusion des dispositifs de droit commun relevant de Mme Cécile Duflot. Les situations rencontrées cette année dans le Rhône ou à Clermont-Ferrand ont démontré l’existence d’une réelle tension en matière budgétaire. J’ai toutefois obtenu de mon collègue chargé du budget, M. Bernard Cazeneuve, le versement au début du mois d’octobre d’une rallonge de 18 millions d’euros aux préfectures les plus en difficulté.

Madame Mazetier, vous proposez la création d’un observatoire statistique de l’immigration. Il existe déjà au sein de la DGEF un service ministériel qui produit de façon indépendante et transparente des statistiques présentées dans un rapport annuel adressé à tous les parlementaires. Nous réfléchissons à renforcer ses moyens afin d’améliorer les statistiques relatives à la lutte contre l’immigration irrégulière. Je reste cependant ouvert à toute proposition en la matière.

La politique d’asile portée par le ministère de l’intérieur coûte environ 500 millions d’euros par an, mais il est exact que nous manquons de données consolidées sur le coût global supporté par l’ensemble des acteurs de cette politique.

Oui, monsieur Binet, le système de l’asile est à bout de souffle et il doit être réformé. Si la répartition géographique des places d’hébergement constitue un enjeu majeur, il faut se souvenir que 45 % de l’accueil se fait en Île-de-France. Nécessairement, ce territoire doit être pris en compte de façon spécifique dans la réforme en cours.

Monsieur Quentin, la circulaire du 28 novembre 2012 a généré des demandes supplémentaires de régularisation en préfecture. On a par exemple constaté un triplement des demandes d’admission exceptionnelle au séjour en Seine-Saint-Denis ou à Paris. Depuis vingt ans et dans de telles circonstances, ces phénomènes sont habituels. Malgré cet afflux, les préfectures ont su gérer la situation avec un grand professionnalisme. L’amélioration de l’accueil est l’un des objectifs prioritaires que je leur ai assignés ; les étrangers doivent évidemment en bénéficier et des progrès certains ont été constatés à cet égard.

Depuis décembre 2012, environ 16 600 personnes ont été régularisées au titre de la circulaire : on ne peut donc pas parler d’opération de régularisation massive. Ces régularisations sont, pour 80 % d’entre elles, demandées pour un motif familial – dans une majorité de cas, il s’agit de parents d’enfants scolarisés. La circulaire résout ainsi des cas autrefois inextricables, mais elle reste exigeante en matière de preuves d’intégration – elle exclut notamment de régulariser au seul motif de l’ancienneté de résidence sur le territoire. Il faut toutefois prendre les données chiffrées avec précaution, d’autant qu’elles ne sont que provisoires et que nombreuses sont les régularisations effectuées au titre de la circulaire qui auraient eu lieu sans celle-ci. Il serait donc faux d’affirmer que la circulaire est à l’origine de 16 600 régularisations supplémentaires. En fait, par rapport au volume de régularisations habituellement constaté, nous devrions enregistrer sur l’ensemble de l’année 2013 une hausse conjoncturelle de l’ordre de 10 000 régularisations. Nous constaterons ces chiffres lors de la publication des données consolidées de l’immigration en 2013, dont les premiers éléments devraient être disponibles à la fin du premier trimestre de l’an prochain. Ce phénomène est évidemment conjoncturel ; il est, je le répète, comparable à ceux provoqués par de précédentes circulaires de régularisation, la dernière datant de 2006.

Monsieur Quentin, le « bleu budgétaire » ne fixe pas d’objectif en matière de reconduites à la frontière car la politique du chiffre a été abandonnée. Les parlementaires sont toutefois informés postérieurement du nombre de reconduites effectuées grâce au rapport annuel du programme.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le ministre, nous vous remercions.

*

* *

À l’issue de l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, la Commission examine, sur le rapport de Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française » et de M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis « Asile », les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

La Commission examine l’amendement n° II-CL21 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement est identique à un amendement que j’avais déjà déposé l’année dernière. Il vise à redéployer cinq millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement du programme « Immigration et asile » vers le programme « Intégration et accès à la nationalité française », afin de diminuer la dotation consacrée aux centres de rétention administrative et d’augmenter celle allouée à l’accueil et à l’intégration des étrangers. Le taux moyen d’occupation des centres de rétention administrative, qui était de 50 % et qui est désormais de 60 % selon le chiffre que nous a communiqué le ministre, reste faible. La fermeture de certains centres inutiles serait opportune.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits « Immigration, asile et intégration ». Cet amendement pose la question du « maillage territorial » des centres de rétention administrative. La fermeture de certains centres pourrait engendrer des frais supplémentaires de transport des personnes retenues. Les conséquences de l’adoption de cet amendement nécessiteraient donc d’être évaluées.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française ». Je suis défavorable à cet amendement, car la fermeture de centres de rétention aurait pour conséquence d’éloigner les étrangers retenus des personnes et des associations dont elles sont proches. Elle risquerait de dégrader leurs conditions de rétention, en raison de l’augmentation de la densité d’occupation. Enfin, elle allongerait la durée de transport.

M. Sergio Coronado. Faudrait-il en déduire que l’implantation de centres de rétention administrative sur tout le territoire serait alors un objectif ?

La Commission rejette l’amendement.

La Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2014 suivant les conclusions de Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française ».

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

I. Faciliter les démarches des étrangers souhaitant venir étudier en France

Proposition n° 1 :

Renforcer la formation des agents des espaces Campus France.

Proposition n° 2 :

Renforcer la cohérence des avis émis par les services de coopération et d’action culturelle (SCAC), sur le plan académique, et par les autorités consulaires, s’agissant de la délivrance du visa, en prévoyant une prise de décision simultanée.

Proposition n° 3 :

Motiver les refus de visas de long séjour étudiants et scientifiques.

Proposition n° 4 :

Allonger la durée de validité maximale des visas de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) étudiants afin qu’elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire.

Proposition n° 5 :

Développer la mobilité encadrée des étudiants, s’inscrivant dans le cadre d’un échange universitaire ou d’une bourse.

II. Simplifier et alléger les formalités que doivent accomplir les étudiants étrangers admis en France

Proposition n° 6 :

Développer le recours aux « guichets uniques » permettant aux étudiants de déposer leurs demandes de titres de séjour et de se voir délivrer ces titres dans l’établissement d’enseignement supérieur où ils sont inscrits.

Proposition n° 7 :

« Banaliser » la visite médicale obligatoire pour les étudiants, en leur permettant de l’effectuer auprès d’un médecin de ville ou des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé des CROUS.

Proposition n° 8 :

Étendre le recours aux titres pluriannuels de séjour aux étudiants suivant un cursus de niveau licence.

III. Attirer les meilleurs étudiants en leur offrant des perspectives à l’issue de leurs études

Proposition n° 9 :

Supprimer l’obligation pour le titulaire d’une carte de séjour « étudiant » de solliciter la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour prévue par l’article L. 311-1 du CESEDA quatre mois avant l’expiration de son titre.

Proposition n° 10 :

Supprimer l’opposabilité de la situation de l’emploi pour les étudiants étrangers titulaires d’un master ayant obtenu une promesse d’embauche ou un contrat de travail pour un emploi rémunéré au moins 1,5 SMIC, sans imposer le passage préalable par une autorisation provisoire de séjour.

Proposition n° 11 :

Assouplir l’accès des scientifiques-chercheurs à la procédure de délivrance d’une carte de séjour « salarié ».

Proposition n° 12 :

Prévoir l’accès à une carte de séjour plus attractive pour les titulaires d’un doctorat.

IV. Engager une réflexion stratégique sur le long terme

Proposition n° 13 :

Mener une concertation sur la modulation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux.

Proposition n° 14 :

Encourager l’implantation internationale des établissements d’enseignement supérieur français.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

• Ministère de l’Intérieur

Cabinet du ministre

– M. Raphaël Sodini, conseiller immigration

– Mme Magali Alexandre, conseillère parlementaire

Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (SGII)

–  M. Luc Derepas, secrétaire général, conseiller d’État

Préfecture de Police

– M. Cyrille Maillet, directeur de la police générale

– M. Christophe Besse, chef du 6e bureau

• Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche

– M. Guillaume Houzel, conseiller pour les affaires sociales, la vie étudiante et la culture scientifique et technique de la ministre

– Mme Simone Bonnafous, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle

– M. Marc Rolland, directeur par intérim des relations européennes et internationales et de la coopération

– M. Anthony Aly, conseiller parlementaire de la ministre

• Campus France

– M. Antoine Grassin, directeur général

• Conférence des présidents d’université

– M. Jean-Pierre Gesson, ancien président de la commission des relations internationales de la CPU, ancien président de l’Université de Poitiers

– M. Jean-Luc Nahel, coordinateur des activités internationales de la CPU

• Conférence des Grandes Écoles

– M. Pierre Aliphat, délégué général

• Fédération des associations étudiantes de France (FAGE)

– M. Julien Blanchet, président

– M. Morgan Ravel, vice-président en charge des affaires sociales

• Mouvement des étudiants (UNI-MET)

– M. Jean-Rémi Costa, délégué national adjoint de l’UNI-MET

• Solidaires étudiants

– M. Yoann Carré, membre

– M. Florian Mathieu, membre

• Union nationale des étudiants de France (UNEF)

– M. Julien Million, responsable des questions sociales

– Mme Lisa Ribeaud, en charge de la thématique des étudiants étrangers

• Collectif du 31 mai

– Mme Hajer Gorgi, trésorière

– M. Jean-Philippe Foegel, responsable juridique

Déplacement à Rennes

• Préfecture d’Ille-et-Vilaine

– M. Claude Fleutiaux, secrétaire général de la préfecture

– M. Jean Chevalier, directeur de réglementation et des libertés publiques

– M. Jean-Paul Clément, chef du bureau des étrangers

• Centre de mobilité internationale de Rennes

– M. Pierre Le Cloirec, président

– Mme Sylvie Durfort, directrice

• Université de Rennes 1

– M. Pierre Van De Weghe, vice-président chargé des relations internationales

– M. Gilles Lesventes, chargé de mission « affaires documentaires »

• Université de Rennes 2

– M. Jean Émile Gombert, président

• Société Astellia

– M. Christian Queffélec, président directeur général

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