N° 1435 tome VIII - Avis sur le projet de loi de finances pour 2014 (n°1395)



N
° 1435

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1395)
de
finances pour 2014

TOME VIII

JUSTICE

JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE

PAR M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC

Député

——

Voir le numéro : 1438-III-32.

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les réponses aux questionnaires budgétaires devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2013 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, la totalité des réponses relatives à la justice administrative a été transmise par le Conseil d’État, de même que l’intégralité des réponses relatives à la justice judiciaire a été transmise par la Chancellerie.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR 2014 8

I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME « CONSEIL D’ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES » 8

II. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE JUDICIAIRE 10

A. LE PROGRAMME « JUSTICE JUDICIAIRE » 11

1. L’évolution des crédits du programme 11

2. L’évolution des effectifs 13

B. LE PROGRAMME « CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE » 17

C. LE PROGRAMME « CONDUITE ET PILOTAGE DE LA POLITIQUE DE LA JUSTICE » 17

DEUXIÈME PARTIE : POUR UNE GESTION MAÎTRISÉE DES FRAIS DE JUSTICE 19

I. LES FRAIS DE JUSTICE ADMINISTRATIVE 20

A. UNE PROGRESSION IMPORTANTE SOUS L’EFFET DES DÉPENSES DE TRADUCTION 20

B. DES INITIATIVES ONT ÉTÉ PRISES POUR MAITRISER LA PROGRESSION DES FRAIS DE JUSTICE ADMINISTRATIVE 21

1. La maîtrise des frais postaux 21

2. La promotion des téléprocédures 21

II. LES FRAIS DE JUSTICE JUDICIAIRE 22

A. LES DÉPENSES DE FRAIS DE JUSTICE JUDICIAIRE REPRÉSENTENT UNE CHARGE TRÈS LOURDE ET EN CONSTANTE PROGRESSION 22

1. L’état des lieux : une évolution contrastée des différents postes de dépense 23

a. Des frais médicaux qui explosent 23

b. Des « honoraires juridiques » en forte progression, sous l’effet notamment de la hausse des frais de scellés et de gardiennage 24

c. Des frais d’expertise et de traduction en nette hausse 24

d. Des frais de réquisitions des opérateurs de communications électroniques qui amorcent une diminution 24

e. Des frais d’enquêtes sociales rapides, d’enquêtes de personnalité et de contrôle judiciaire qui ne devraient plus diminuer 24

f. Une apparente réduction des frais d’huissiers de justice qui cache de nombreuses créances impayées 25

2. La sous–budgétisation chronique induit une accumulation de retards de paiement 25

B. DES LEVIERS D’ACTION EXISTENT POUR RATIONALISER LA DÉPENSE DE FRAIS DE JUSTICE, DANS LE RESPECT DE L’INDÉPENDANCE DES MAGISTRATS 26

1. Identifier les facteurs de progression de la dépense 26

a. La responsabilité du législateur 26

b. La liberté de prescription du juge 27

c. Le prix de certaines prestations 28

2. Maîtriser la progression des frais de justice judiciaire 30

a. Donner une impulsion au plan central 30

b. Sensibiliser les prescripteurs à la dépense finale induite par les actes requis 32

3. Réduire les délais de paiement 34

a. L’indispensable rationalisation du circuit de la dépense 34

b. Trouver de nouvelles sources de financement 37

EXAMEN EN COMMISSION 39

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 69

INTRODUCTION

Mesdames, messieurs,

Alors que, dans le cadre d’une ambitieuse politique de redressement de nos comptes publics, les dépenses de l’État diminueront de 1,5 milliard d’euros en 2014 – hors service de la dette et pensions –, le budget de la Justice, qui demeure un des ministères prioritaires de l’action gouvernementale, voit dans le même temps ses crédits progresser de 1,7 %. Cette augmentation fait suite à une hausse, plus importante encore, de 4,3 % l’an passé ; sur l’ensemble de la mission, les effectifs augmentent parallèlement de 535 emplois, soit plus encore que dans le cadre du précédent budget où ils avaient déjà été augmentés de 480 emplois.

Cette évolution favorable permet à la part de la Justice dans le budget de l’État de poursuivre sa – trop lente – progression : elle représentait 2,39 % du budget de la Nation en 2008, 2,49 % en 2011 et 2,64 % en 2013 ; elle sera portée à 2,66 % en 2014.

L’augmentation des crédits de la Justice pour 2014 est, certes, moins importante que celle prévue dans le cadre du budget triennal pour 2013–2015 (1), ce qui est justifié par la situation de nos finances publiques et la nécessaire participation du ministère de la Justice à l’effort global de redressement des comptes publics : les crédits, hors masse salariale, seront réduits de 103 millions d’euros par rapport au plafond 2014 de la loi de programmation des finances publiques, la Chancellerie invoquant un effort sur les frais de justice et le report de certains projets immobiliers jugés non prioritaires.

L’analyse de l’évolution des crédits alloués au ministère démontre que la Justice demeure une des grandes priorités de l’action gouvernementale, ce qui se justifie pleinement au regard de l’ampleur du retard à combler et de la situation souvent difficile dans laquelle sont plongées les juridictions. Les crédits en progression permettront de financer les grandes réformes en cours ou à venir : mise en œuvre du parquet financier, renforcement des garanties de l’hospitalisation sous contrainte, réforme de la justice commerciale, collégialité de l’instruction, prévention de la récidive…

Votre rapporteur pour avis salue également les augmentations nettes d’emplois : dans le cadre du présent projet de loi de finances, les emplois progresseront de 535 emplois, dont 45 dans les services judiciaires, auxquels s’ajoutent 130 emplois redéployés grâce à la réalisation de projets informatiques ou techniques.

Une autre décision importante prise par la garde des Sceaux dans le cadre du présent projet de budget réside dans la suppression – tant attendue par nombre de professionnels du droit et de la justice – de la contribution pour l’aide juridique de 35 euros. Ce droit de timbre, institué par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, constituait une entrave à l’accès au juge, tout particulièrement pour les justiciables qui, bien que ne disposant que de revenus modestes, n’étaient pas éligibles à l’aide juridictionnelle – aide qui leur aurait permis de ne pas avoir à acquitter le droit de timbre. Cette contribution avait pour seul mérite de compléter les crédits budgétaires alloués au règlement des missions d’aide juridictionnelle des avocats ; sa suppression contraint donc le Gouvernement à trouver d’autres sources de financement. L’article 69 du projet de loi de finances, prévoit, dans sa rédaction initiale, de supprimer le dispositif de modulation selon les barreaux du prix des unités de valeur (UV) servant de base de calcul pour la rémunération des avocats commis au titre de l’aide juridictionnelle, mesure dont la Chancellerie estime qu’elle rapporterait 15 millions d’euros au budget de l’aide juridictionnelle. Une telle mesure, qui reviendrait à faire peser une plus lourde charge sur les petits barreaux qui bénéficient aujourd’hui d’un prix de l’UV supérieur à la moyenne, aurait posé plus de difficulté qu’elle n’en aurait résolu et a donc été abandonnée par le Gouvernement, ce que votre rapporteur pour avis approuve : dans son discours à l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux le 4 octobre 2013, la garde des Sceaux a ainsi annoncé qu’avec l’accord du Premier ministre, elle présenterait un amendement, au nom du Gouvernement, pour « demander au Parlement d’annuler l’application de cette démodulation pour l’exercice budgétaire 2014 ». Votre rapporteur pour avis attend impatiemment le dépôt dudit amendement.

Le présent avis porte, comme celui établi par votre rapporteur dans le cadre du précédent projet de loi de finances, sur les programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », ainsi que sur le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Après une analyse de ces crédits qui ne se veut pas redondante avec celle qu’effectuent les rapporteurs spéciaux de la commission des Finances, le présent avis étudiera plus particulièrement la question de la gestion des frais de justice, tant par les juridictions judiciaires que par les juridictions administratives, et des efforts de rationalisation qui doivent encore être menés en la matière, essentiellement par les juridictions judiciaires, dans un souci de meilleure allocation de la ressource publique. Le sujet des frais de justice n’est, à l’évidence, pas nouveau et la réputation de « mauvais payeur », dont pâtissent les juridictions judiciaires, est connue de tous. Dans le contexte budgétaire actuel, il n’est pas envisageable de doter le budget pour une année N des moyens permettant de couvrir l’ensemble des frais de justice constatés cette même année, d’où une sous-budgétisation chronique et des arriérés de paiement qui trop souvent mettent en difficulté des professionnels appelés à collaborer de manière occasionnelle avec le service public de la justice. Votre rapporteur pour avis estime qu’il n’est pas possible de se satisfaire d’une telle situation et que des pistes doivent être explorées, qui permettraient une meilleure gestion des frais de justice : sensibilisation des prescripteurs, négociations avec les grands prestataires, forfaitisation de certains tarifs, meilleur contrôle de l’exécution des prestations. La mise en œuvre de ces préconisations doit s’accompagner d’un effort de tous les acteurs : officiers de police judiciaire, magistrats, fonctionnaires, mais aussi de certains prestataires ; le législateur ne doit pas être en reste, qui doit veiller, dans les prescriptions que fait la loi aux magistrats ou aux officiers de police judiciaire, à éviter de systématiser le recours obligatoire à certains actes dont l’utilité pourrait bien mieux être appréciée, au cas par cas, par les magistrats.

Pour préparer cet avis, votre rapporteur a procédé à de nombreuses auditions (2) au cours desquelles il a entendu les inquiétudes fortes exprimées par les professionnels du droit et de la justice devant la dégradation qu’ils constatent des conditions dans lesquelles est rendue la justice dans notre pays ; tous ont souligné l’importance d’adopter une vision prospective à moyen terme, tant sur les besoins d’effectifs de magistrats et de fonctionnaires et leur localisation – le phénomène des vacances de poste devrait être très largement aggravé par les nombreux départs à la retraite attendus dans les quatre ans qui viennent – que sur moyens nécessaires au fonctionnement des juridictions. Magistrats et fonctionnaires se disent spectateurs de l’emballement de la machine judiciaire. Ils dénoncent aussi la dégradation des conditions de travail dans les juridictions. À cela s’ajoute le sentiment de manque de reconnaissance exprimé par les greffiers dont le régime indiciaire et indemnitaire n’a pas été revalorisé depuis des années.

Votre rapporteur pour avis espère que, des conclusions des groupes de travail mis en place par la garde des Sceaux, qui réfléchissent actuellement sur la justice du XXIe siècle, découlera la définition d’un cadre clair permettant au monde judiciaire de retrouver davantage de sérénité.

*

* *

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR 2014

Le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’État » regroupe les moyens affectés au Conseil d’État, aux huit cours d’administratives d’appel, aux quarante–deux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (3).

Le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » est doté, dans le cadre du présent projet de loi de finances, de crédits en progression de 1,5 %, qui fait suite à la progression de 5,9 % pour l’exercice précédent.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME
« CONSEIL D’ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

(en millions d’euros)

Actions

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2013

Demandées pour 2014

Évolution

Ouverts en 2013

Demandés pour 2013

Évolution

Fonction juridictionnelle : Conseil d’État

25,3

25,5

+ 0,9 %

25,3

25,5

+ 0,9 %

Fonction juridictionnelle : cours administratives d’appel

48,9

49,4

+ 1,2 %

48,9

49,4

+ 1,2 %

Fonction juridictionnelle : tribunaux administratifs

143,9

148,3

+ 3 %

143,9

148,3

+ 3 %

Fonction consultative

10,7

10,8

+ 1,1 %

10,7

10,8

+ 1,1 %

Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l’État et des collectivités

15,9

16

+ 0,8 %

15,9

16

+ 0,8 %

Soutien

130,5

114,1

– 12,6 %

103,3

102,6

– 0,7 %

Cour nationale du droit d’asile

21,6

22,2

+ 3 %

21,6

22,2

+ 3 %

Total programme

396,8

386,4

– 2,6 %

369,6

375

+ 1,5 %

Source : projet annuel de performances pour 2014.

En matière d’emplois, dans le cadre du budget triennal 2013-2015 était inscrite la création de quarante emplois par an, dont dix–sept magistrats et vingt-trois agents de greffe, afin de permettre aux juridictions administratives d’atteindre les objectifs fixés pour 2015 en termes de délai de jugement (neuf mois pour le Conseil d’État, dix mois pour les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs), sous réserve que l’augmentation du contentieux soit limitée à 3 %. Toutefois, dans le cadre du présent projet de loi de finances, ce ne sont que 35 emplois qui sont créés (quatorze magistrats et vingt et un agents de greffe), la mission étant appelée à participer aux efforts budgétaires supplémentaires demandés cette année. Le plafond d’emplois pour l’année 2014 s’établit donc à 3 738 emplois, dont 219 membres du Conseil d’État et 1 156 magistrats de l’ordre administratif.

Les juridictions administratives (hors CNDA) ont été saisies en 2012 de 220 251 affaires, soit une réduction de près de 2,5 % sur un an (4), et ont rendu un nombre de décisions en progression de 1,5 % sur un an : 236 315 décisions ont été rendues, dont 9 835 par le Conseil d’État, 29 545 par les cours administratives d’appel et 196 935 par les tribunaux administratifs.

Les délais moyens de jugement se sont réduits de manière très importante au cours de la dernière décennie, grâce à un effort très important des magistrats et aux créations d’emplois : l’objectif de ramener à un an les délais de jugement devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, fixé par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, a été pour la première fois atteint en 2011.

Le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock en 2012 s’est élevé, selon les éléments figurant dans le projet annuel de performances de la mission « Conseil et contrôle de l’État » pour 2014, à :

—  9 mois et 28 jours devant les tribunaux administratifs (contre un an, 7 mois et 21 jours en 2002) ;

—  11 mois et 11 jours devant les cours administratives d’appel (contre deux ans, 10 mois et 18 jours en 2002) ;

—  et 8 mois et 26 jours devant le Conseil d’État.

Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Mme Véronique Hermann–Jager, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats administratifs, a toutefois souligné les limites de ces indices globaux qui ne reflètent que très mal la réalité du terrain ; il conviendrait, à ses yeux, de distinguer selon la nature des contentieux et des décisions rendues par les magistrats, certaines d’entre elles devant obligatoirement être rendues très rapidement (notamment pour les procédures d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière), alors que d’autres affaires peuvent nécessiter plusieurs années de traitement, ce qui est notamment le cas de certains dossiers d’urbanisme ou de marchés publics. Cette remarque est d’ailleurs rejointe par l’analyse des statistiques, qui montrent que la proportion d’affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans devant les tribunaux administratifs était, en 2012, de 13 %.

M. Jean–Marc Sauvé, vice–président du Conseil d’État, responsable du programme, reconnaît dans le projet annuel de performances pour 2014 que les avancées mesurées par les indicateurs demeurent fragiles en raison essentiellement de la montée en puissance attendue de certains contentieux, tels que ceux du droit des étrangers, des questions prioritaires de constitutionnalité, du revenu de solidarité active, du droit au logement opposable ou des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Les représentants du Syndicat de la juridiction administrative, comme ceux de l’Union syndicale des magistrats administratifs, vont un peu plus loin et estiment que les juridictions administratives ont atteint les limites des gains de productivité et de réduction des délais de traitement compatibles avec le rendu d’une justice de qualité. Ces gains ont été permis notamment par le développement des procédures de juge unique et de possible dispense des conclusions du rapporteur public.

Sur ce dernier point, votre rapporteur pour avis est préoccupé des conséquences que pourrait avoir le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative en vertu duquel, à compter du 1er janvier 2014, les « requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi » (tels que ceux du droit au logement opposable - DALO -, du revenu de solidarité active, des plans de sauvegarde de l’emploi), en premier lieu, relèveront désormais du juge unique dans leur ensemble, feront, en deuxième lieu, partie des contentieux susceptibles d’être dispensés de conclusions d’un rapporteur public et, enfin, seront jugées par le tribunal administratif saisi en premier et dernier ressort. On peut craindre que l’application de telles procédures pour des contentieux impliquant le plus souvent des justifiables peu fortunés ne se traduise par une réduction des recours, la voie du pourvoi en cassation, avec représentation obligatoire par un avocat aux conseils, ne semblant pas la plus aisée à mettre en œuvre pour ces justiciables.

La mission « Justice », dotée pour 2014 d’un budget de plus de 7,8 milliards d’euros en crédits de paiement, se compose de six programmes, dont trois sont étudiés par le présent avis (5:

—  le programme « Justice judiciaire », dont les crédits augmentent de 1,7 % en crédits de paiement, et de 6,1 % en autorisations d’engagement ;

—  le programme « Conseil supérieur de la magistrature » (CSM) dont les crédits connaissent une réduction, après la très forte progression de l’exercice précédent : – 10 % en crédits de paiement et – 55,1 %  en autorisations d’engagement ;

—  le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », dont les crédits progressent de 3,8 % en crédits de paiement et de 36,4 % en autorisations d’engagement.

SYNTHÈSE DE L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE »
FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT AVIS

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Programme

LFI 2013

PLF 2014

LFI 2013

PLF 2014

Justice judiciaire

3 005

3 188

3 066

3 117

CSM

8,5

3,8

4,6

4,2

Conduite et pilotage de la politique de la justice

297

405

300

312

Total mission Justice

7 342

7 598

7 700

7 824

Le programme « Justice judiciaire » regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement de la justice civile, pénale, commerciale et sociale. Il concerne les magistrats et les agents des services judiciaires – fonctionnaires et contractuels –, ainsi que les juges non professionnels bénévoles ou rémunérés à la vacation
– juges consulaires, conseillers prud’hommes, assesseurs des tribunaux pour enfants, – juges de proximité… –, assistants et agents de justice, déployés dans les juridictions judiciaires.

Au 1er janvier 2014, les juridictions de l’ordre judiciaire comprendront : la Cour de cassation, 36 cours d’appel et le tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon, 165 tribunaux de grande instance et tribunaux de première instance, 304 tribunaux d’instance, 3 tribunaux de police et 135 tribunaux de commerce, 9 tribunaux mixtes de commerce dans les départements et collectivités d’outre-mer et 216 conseils de prud’hommes et tribunaux du travail.

Avec une dotation de 3 117 millions d’euros en crédits de paiement, le programme « Justice judiciaire » est en progression de 1,7 % par rapport à 2013 comme le montre le tableau ci-après.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME
« JUSTICE JUDICIAIRE »

(en millions d’euros)

Actions du programme « Justice judiciaire »

LFI 2013

PLF 2014

Évolution

Traitement et jugement des contentieux civils

953

951

– 0,2 %

Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

1 007

1 004

– 0,3 %

Cassation

58,5

58,5

Enregistrement des décisions judiciaires

14

12

–12,8 %

Soutien

920

949

+3,1 %

Formation

82,1

111,6

+35,9%

Support à l’accès au droit et à la justice

30,6

30

– 1,7 %

Total

3 066

3 117

+1,7 %

Source : projet annuel de performances pour 2014.

—  L’action « Traitement et jugement des contentieux civils », qui recouvre les moyens humains et budgétaires des juridictions civiles, commerciales et sociales, voit ses crédits diminuer très légèrement de – 0,2 % (après une hausse de 3 % au cours de l’exercice précédent), pour s’établir à 951 millions d’euros en autorisations d’engagement, comme en crédits de paiement. Cette action représente 29,8 % des crédits du programme.

—  Les crédits de l’action « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales » consacrée aux moyens humains et budgétaires des juridictions pénales, sont très légèrement réduits sur un an de 0,3  % s’établissant à 1,004 milliard d’euros ; ils représentent 31,5 % des crédits du programme.

—  Les crédits de l’action « Cassation », évalués à 58,5 millions d’euros, sont stables ; ils financent les rémunérations des magistrats, fonctionnaires et autres personnes affectées à la haute juridiction, ainsi que les frais de justice, les crédits de fonctionnement courant étant affectés à l’action « Soutien », conformément à la nouvelle architecture budgétaire issue de l’application Chorus.

—  Les crédits de l’action « Enregistrement des décisions judiciaires », qui recouvre l’ensemble des moyens humains permettant le fonctionnement du casier judiciaire national ainsi que ses frais de justice, connaissent une nette réduction de 12,8 %.

—  Les crédits de l’action « Soutien » représentent 32 % des crédits du programme et sont en progression sur un an de 3,1 %. L’action recouvre l’ensemble des moyens humains et de fonctionnement de la direction des services judiciaires, mais également les moyens ne pouvant être rattachés aux deux autres actions (contentieux civil et contentieux pénal) : c’est notamment sur cette action que sont imputés les crédits d’investissement pour la réalisation et l’entretien des bâtiments judiciaires.

Votre rapporteur pour avis attire à nouveau cette année l’attention du Gouvernement sur la nécessité de conforter les moyens de fonctionnement des juridictions judiciaires, dont la situation s’est dégradée depuis plusieurs années : nombre de juridictions doivent réduire les périodes de chauffage, faute de crédits pour remplir les cuves ; fonctionnaires et magistrats se voient refuser l’attribution de codes à jour, sans pour autant bénéficier systématiquement d’accès à des bases de données en ligne ; le papier manque parfois pour imprimer les jugements… Nombre de magistrats et de fonctionnaires entendus en audition ont souligné le fait que la date de cessation des paiements dans les juridictions ne cesse d’être anticipée d’année en année ; une juridiction qui ne pouvait plus honorer ses factures pour frais de fonctionnement courant en juin de l’année dernière ne le pouvait déjà plus en avril de cette année. On est bien loin de l’épure du principe de l’annualité budgétaire.

—  Les crédits de paiement de l’action « Formation », qui recouvre l’ensemble des moyens humains et budgétaires permettant d’assurer la formation initiale et continue des magistrats et fonctionnaires des greffes, enregistrent une très importante hausse de 35,9 % sur un an pour s’établir à plus de 111 millions d’euros.

La subvention pour charges de service public accordée à l’École nationale de la magistrature s’élève à 25,46 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 3,5 % sur un an. L’école connaît depuis 2012 une forte progression du nombre d’auditeurs de justice, passant de 450 EPTP en 2012 à 701 en 2014, ce qui justifie un besoin de financement accru ; toutefois, l’augmentation des crédits alloués n’en imposera pas moins, d’après les rédacteurs du projet annuel de performance, un « niveau supplémentaire et significatif d’économies ».

Les crédits consacrés, d’une part à la formation dispensée à l’École nationale des greffes (ENG), et d’autre part à la formation régionalisée, sont évalués respectivement à 1,04 et 3 millions d’euros.

 

Plafond LFI 2013

Plafond PLF 2014

Corrections techniques

Variation sur un an

Part dans l’effectif total de 2014

Magistrats de l’ordre judiciaire

9 051

9 174

– 19

+ 142

29 %

Personnels d’encadrement

2 887

2 950

– 6

+70

9,3 %

Personnel de greffe, d’insertion et éducatifs (catégorie B+)

8 746

8 915

– 18

+ 187

28,2 %

Personnels administratifs et techniques de catégorie B

423

442

– 1

+ 40

1,4 %

Personnels administratifs et techniques de catégorie C

10 348

10 159

– 21

– 168

32,1 %

Total

31 455

31 640

– 65

+ 271

100 %

Source : projet annuel de performances pour 2014

Le schéma d’emplois du programme prévoit la création de 63 emplois de magistrats (295 sorties pour 358 entrées, dont 175 primo–recrutements), de 130 greffiers (292 sorties pour 422 entrées) et de 24 personnels de la catégorie B ; il prévoit la poursuite de la suppression de postes de personnels de catégorie C, avec 130 suppressions d’emplois (349 sorties pour 219 entrées), ainsi que la suppression de 42 emplois de greffiers en chef (76 sorties pour 34 entrées).

À ces créations, s’ajoutent les effets des mesures de redéploiements d’emplois permis par la mise en place de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) et la fin du déploiement de Cassiopée dans les tribunaux de grande instance, évalués à 130 ETPT selon les éléments transmis à votre rapporteur pour avis.

Selon les éléments figurant dans le projet annuel de performances pour 2014 (6), les créations d’emplois permettront prioritairement de soutenir :

—  l’amélioration des conditions de mise en œuvre de l’exécution des peines (dix magistrats et quarante greffiers) ;

—  la mise en place de cinq nouvelles maisons de la justice et du droit (cinq greffiers) ;

—  la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 relative à l’hospitalisation sous contrainte (7), le soutien à l’activité des juges de la liberté et de la détention et la mise en œuvre de la future loi sur la protection des sources des journalistes (dix magistrats et dix greffiers) ;

—  la poursuite de la mise en œuvre de la collégialité de l’instruction (dix magistrats et dix greffiers) ;

—  la poursuite du renforcement de la justice des mineurs (dix greffiers) ;

—  le renforcement des juridictions d’instance et la mise en œuvre de la réforme des tutelles (8) (dix magistrats et quinze greffiers) ;

—  la création d’un parquet national anti–fraude (quinze magistrats et dix greffiers) ;

—  la réforme de la procédure de la justice commerciale (huit magistrats).

Votre rapporteur pour avis se réjouit de ces créations de postes, même si syndicats de magistrats et de fonctionnaires ont tous regretté que ces créations ne soient pas à la hauteur des réductions intervenues au cours des exercices précédents – seulement cent cinq postes ont été offerts aux trois concours de l’ENM de 2008 à 2010 –, alors même que la charge de travail n’a cessé de s’accroître et le devrait encore et que de très massifs départs à la retraite sont attendus dans les quatre années à venir : quelque 1 400 magistrats devraient partir en retraite d’ici 2017. Mme Virginie Valton, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats, a en outre souligné l’ambiguïté de la présentation des effectifs budgétés qui tiennent compte des personnels qui viennent d’être recrutés (les « primo–recrutements ») et ne seront pas affectés en juridiction avant le terme de leur formation qui dure trente et un mois. Au total, les juridictions demeurent dans une situation de pénurie de magistrats très importante, 390 postes étant déjà vacants au 1er janvier 2013, soit environ 5 % des postes localisés en juridictions.

S’agissant des fonctionnaires, votre rapporteur pour avis s’inquiète des conditions dans lesquelles se poursuit la réduction des postes de catégorie C qui ont déjà été réduits de 10 % en dix ans ; les changements technologiques et l’accroissement des qualifications permettent assurément de réduire le nombre des personnels d’exécution. Toutefois, il convient de veiller à ne pas atteindre un niveau en deçà duquel cette réduction pourrait nuire au bon fonctionnement des juridictions. Il ne serait pas de bonne politique de confier les tâches autrefois réalisées par des fonctionnaires de catégorie C à des magistrats ou des greffiers déjà surchargés ; il faut aussi veiller à ce que les personnels techniques demeurent en juridiction afin de faire fonctionner les équipements (photocopieuses, équipements de visio–conférence…). Là encore, il convient d’anticiper le fait que de très nombreux agents partiront en retraite dans les prochaines années.

Sur un plan indemnitaire, le présent projet de loi de finances consacre une enveloppe de 1,88 million d’euros à la revalorisation indemnitaire des rémunérations des agents de catégorie C. Votre rapporteur pour avis salue cette mesure juste à l’endroit de fonctionnaires qui n’avaient pas bénéficié d’une telle revalorisation depuis 2006, alors même que nombre d’adjoints administratifs font fonction de greffiers dans les juridictions.

Il regrette néanmoins très vivement que rien encore cette année ne soit prévu pour les personnels de greffe. Au cours des trois exercices précédents, des enveloppes ont été prévues pour la revalorisation du régime indemnitaire des magistrats exerçant leurs fonctions dans les juridictions du premier degré, ainsi que des magistrats de cours d’appel, le taux moyen de leur prime modulable ayant été revalorisé au 1er août 2011 (de 9 à 10,5 %), au 1er août 2012 (de 10,5 à 11,5 %) et enfin au 1er janvier 2013 (12 %). Près de 4 millions d’euros étaient consacrés par la loi de finances pour 2013 au dernier volet cette revalorisation progressive du taux moyen de la prime modulable. Il n’est pas ici question de remettre en cause un engagement qui avait été pris vis–à–vis des magistrats, mais de souligner le creusement de l’écart des rémunérations avec celles des fonctionnaires. Le régime indemnitaire des greffiers en chef et des greffiers n’a ainsi pas été revalorisé depuis 2003, contrairement aux fonctionnaires de catégorie B des autres ministères. Or, le montant des primes perçues par les fonctionnaires est sans commune mesure avec celles des magistrats, accroissant un écart de rémunération d’autant plus difficile à vivre sur le terrain que, si les responsabilités des magistrats et des fonctionnaires ne sont pas de même nature, tous sont appelés à fournir un effort très important. Les personnels attendaient un message fort de reconnaissance qui soit à la hauteur du rôle joué par eux dans le fonctionnement des juridictions. Les organisations syndicales entendues par votre rapporteur pour avis ont fait part de leur sentiment d’injustice, de « consternation » ou de « désillusion » face à ce qu’ils estiment être la marque d’un mépris à leur égard.

Il ressort des éléments transmis à votre rapporteur pour avis par la Chancellerie qu’une concertation est en cours entre le ministère de la Fonction publique et les organisations syndicales au sujet du régime indemnitaire des fonctionnaires et que des résultats de cette concertation dépendra l’évolution du régime indemnitaire des fonctionnaires de greffe. Votre rapporteur pour avis estime que le Gouvernement se doit d’envoyer un message fort aux fonctionnaires de greffe et de prévoir une revalorisation de leurs rémunérations dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015.

Lors de son audition par votre commission des Lois réunie en commission élargie à l’ensemble des députés le 24 octobre 2013(9), la garde des Sceaux a indiqué regretter de ne pas être en mesure de faire un effort en faveur des greffiers avant 2015, mais souligné le fait qu’un travail était engagé pour améliorer leurs conditions de travail : « Environ 1 000 greffiers sont actuellement en stage à l’École nationale des greffes ou dans les tribunaux, et devraient donc prendre leurs fonctions dans les juridictions d’ici à décembre 2014. Cela permettra d’améliorer la répartition de la charge de travail dans le corps des greffiers en attendant de pouvoir faire l’effort espéré » a–t–elle déclaré.

Afin d’assurer au Conseil supérieur de la magistrature une pleine autonomie budgétaire, la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution a prévu qu’un programme spécifiquement dédié aux crédits affectés au Conseil supérieur de la magistrature se substituerait à l’action correspondante du programme « Justice judiciaire ».

Pour 2014, le programme est doté en autorisations d’engagement de 3,8 millions d’euros et de 4,2 millions d’euros en crédits de paiement, soit respectivement une réduction sur un an de – 55 % et – 10 % (faisant suite à des hausses particulièrement importantes sur l’exercice précédent : + 131 % et + 32 %), comme l’illustre le tableau ci–après :

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

(en millions d’euros)

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2013

Demandées pour 2014

Évolution

Ouverts en 2013

Demandés pour 2014

Évolution

8,5

3,8

– 55 %

4,6

4,2

– 10 %

Source : projet annuel de performances pour 2014.

Au cours de l’exercice précédent, l’accroissement des crédits était lié au déménagement envisagé du Conseil supérieur de la magistrature. Celui–ci a eu lieu le 1er juin 2013, le Conseil emménageant à l’Hôtel Moreau–Lequeu situé 21 boulevard Haussmann dans le IXe arrondissement de Paris. L’option retenue a été celle de la passation d’un contrat de bail de cinq ans pour 3,14 millions d’euros en autorisations d’engagement, intégralement inscrites en loi de finances pour 2013.

Pour l’année 2014, compte tenu d’une négociation entre le CSM et le bailleur, le montant global des loyers versés ne sera que de 252 000 euros mais il augmentera de nouveau en 2015 ; à cela s’ajoutent les charges locatives et privatives et les dépenses d’aménagement, le total des dépenses de structures s’élevant pour 2014 à 615 000 euros en crédits de paiement.

Les dépenses d’activité (travaux d’impression, fournitures de bureau et frais de déplacement et de réception) s’élèveront à 460 000 euros ; enfin, 220 000 euros sont consacrés aux dépenses informatiques.

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2013

Demandées pour 2014

Évolution

Ouverts en 2013

Demandés pour 2014

Évolution

296,8

404,8

+ 36,4 %

300,2

311,7

+ 3,8 %

Source : projet annuel de performances pour 2014.

—  Les crédits de l’action « Gestion de l’administration centrale », qui finance l’activité des services d’administration centrale, ainsi que le budget de fonctionnement du casier judiciaire national, regroupent près de la moitié des crédits du programme ; sur un an, ils progressent de 2,8 %, pour atteindre 106,9 millions d’euros en crédits de paiement. La forte progression des autorisations d’engagement intègre les frais de construction du nouveau site Millénaire, destiné à accueillir le regroupement des services de l’administration centrale, ainsi que les reconductions de bail des actuels locaux occupés par les différentes directions dans l’attente de la livraison de ces nouveaux locaux.

—  Les crédits de « l’action sociale ministérielle » sont en baisse de 2 % sur un an, passant de 36,2 à 35,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. En 2014, l’ensemble des moyens consacrés à l’action sociale – hors dépenses de personnel – reste stable à 22,4 millions d’euros. La dotation du titre 2, qui correspond à des prestations versées directement aux agents et consacrées aux enfants handicapés et aux séjours d’enfants, progresse quant à elle de 70 000 euros pour faire face à l’augmentation du nombre de demandes.

—  Le budget de « l’action informatique ministérielle », qui constitue le support budgétaire des crédits de la sous-direction de l’informatique et des télécommunications, devrait atteindre 122 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 4,6  %, destinée à financer le programme de modernisation des systèmes d’information et de télécommunication du ministère.

DEUXIÈME PARTIE : POUR UNE GESTION MAÎTRISÉE DES FRAIS DE JUSTICE

Les frais de justice correspondent aux dépenses que l’État prend en charge – ou dont il fait l’avance, dans les matières autres que pénales –, soit en contrepartie d’une prestation prescrite par un officier de police judiciaire ou un magistrat – du siège ou du parquet – dans le cadre de procédures pénales, civiles ou commerciales, soit en exécution de mesures décidées par jugement. La maîtrise de ces frais, sujet de préoccupation déjà ancien pour le ministère de la Justice, représente un enjeu majeur pour les finances publiques compte tenu du volume de dépenses qu’ils représentent. Dans une récente enquête sur les frais de justice, réalisée à la demande de la commission des Finances du Sénat (10), en application du 2° de l’article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la quatrième chambre de la Cour des comptes, dresse le constat d’une situation très dégradée : « l’augmentation non maîtrisée du coût des frais de justice est intervenue dans un contexte de contrainte budgétaire et de sous–budgétisation structurelle » ; depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, les crédits alloués aux frais de justice ne sont plus des crédits évaluatifs mais des crédits plafonnés, ce qui, compte tenu de leur nature, rend leur gestion difficile en période de contrainte budgétaire.

Au-delà des enjeux budgétaires stricto sensu, c’est la qualité du rendu de la justice qui est en jeu : d’une expertise médicale correctement réalisée peut découler la réorientation d’une enquête criminelle ; d’une identification rapide des interlocuteurs téléphoniques d’une personne placée en garde à vue peut découler le démantèlement d’un réseau de trafiquants ; d’une traduction fiable et de bonne qualité dépend le bon exercice des droits de la défense d’une personne qui ne comprend pas notre langue.

Maîtriser les frais de justice semble une gageure car ils servent à rémunérer des actes indispensables à la manifestation de la vérité, dont la technicité croissante s’accompagne aussi de coûts plus élevés, et sont prescrits par des magistrats indépendants à qui il n’est pas question de refuser l’accès à certaines techniques en raison de leur coût. Pourtant, il faut s’atteler à la tâche car des leviers d’action existent qui devraient permettre de réduire les coûts des actes de masse, d’améliorer les contrôles de l’exécution des prestations, voire de trouver de nouvelles sources de financement. L’impulsion doit venir du niveau central et s’accompagner d’une sensibilisation des magistrats mais aussi des officiers de police judiciaire, sous l’autorité des parquets, qui doivent tous avoir pleinement conscience – et donc connaissance – de la dépense finale des actes dont ils demandent la réalisation.

Les dépenses de frais de justice en matière administrative sont essentiellement constituées des frais postaux (à 66 %) et de traduction (à 31 %) engagés par les juridictions. Pour 2014, leur montant s’élève à 14,25 millions ; il était de 11 millions d’euros en 2009, tout comme en 2012, date à partir de laquelle il a connu une augmentation significative.

La moitié de ces frais de justice concernent les tribunaux administratifs (7,37 millions d’euros) ; il s’agit surtout de frais postaux. Le reste se répartit entre la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (5,20 millions d’euros) – qui concentre l’essentiel des frais de traduction –, les cours administratives d’appel (1,35 million d’euros) et le Conseil d’État (0,33 million d’euros).

Les frais de justice sont, par leur nature même, directement liés à l’activité contentieuse. Le code de justice administrative impose de notifier un certain nombre de documents aux parties afin d’assurer le respect du contradictoire dans le cadre d’une procédure principalement écrite, où l’instruction est conduite par la juridiction. Par ailleurs, le montant des frais d’interprétariat dépend pour l’essentiel du nombre de décisions rendues par la CNDA. L’évolution des frais de justice est ainsi directement corrélée à l’évolution du nombre d’affaires introduites et jugées devant les juridictions administratives. Elle est aussi liée à l’augmentation des tarifs postaux.

Le nombre des affaires enregistrées, ainsi que le nombre d’affaires jugées devant les juridictions administratives étant en augmentation constante, la progression de ce type de dépenses, malgré les mesures d’économies mises en œuvre, est quasiment inéluctable. Selon les éléments transmis par le Conseil d’État, la dotation des frais de justice dans le cadre du présent projet de loi de finances a été calculée pour permettre de supporter une croissance de l’activité des juridictions de l’ordre de 6 % (et de 15 % pour la CNDA).

Mais cette progression risque de s’accélérer dans les années à venir, compte tenu, d’une part, du dynamisme des contentieux traditionnels, qui enregistrent une progression de 6 % en moyenne annuelle depuis près de quarante ans et, d’autre part, de la poursuite de la montée en puissance des nouveaux contentieux tels que celui du droit au logement opposable (DALO), du revenu de solidarité active (RSA) ou des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), ainsi que le transfert à la justice administrative du contentieux des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Malgré ces perspectives qui laissent entrevoir un nouvel accroissement à terme des frais de justice administrative, la situation des juridictions administratives demeure bien plus favorable que celle des juridictions judiciaires, d’autant que des initiatives ont été prises pour maîtriser la progression de ces frais.

La généralisation d’une application informatique, dénommée Télérecours, doit permettre, à partir de l’année prochaine, de gérer la communication dématérialisée des requêtes, des mémoires et des actes de procédure entre les juridictions administratives et les parties ; dans un premier temps, seuls les administrations (préfectures, directions des finances publiques, notamment) et les avocats seront encouragés à utiliser les voies dématérialisées pour échanger leurs mémoires.

Sa mise en exploitation dans tous les tribunaux administratifs métropolitains doit débuter en décembre 2013, après que les téléprocédures ont été expérimentées devant le Conseil d’État (depuis 2005) et, en matière de contentieux fiscal, devant les juridictions franciliennes – cours administratives d’appel de Paris et de Versailles, tribunal administratif de Cergy-Pontoise, de Melun, de Paris, de Versailles ainsi que de Montreuil-sous-Bois (depuis 2009).

Le Conseil d’État attend de la montée en puissance attendue de l’utilisation de cet outil des économies évaluées à 1,5 million d’euros en 2015, soit environ 15 % de la dépense d’affranchissement ; il faut toutefois noter qu’aucune obligation n’est faite aux requérants d’utiliser la voie dématérialisée pour introduire leurs requêtes. Comme l’a fait remarquer, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Mme Anne Baux, présidente de l’Union syndicale des magistrats administratifs, certains contentieux de masse devant les tribunaux administratifs se prêtent mal au recours à la voie dématérialisée, compte tenu de la situation des justiciables, bien souvent dépourvus d’une connexion à Internet. Il n’est d’ailleurs pas dans les intentions du Conseil d’État d’obliger les particuliers à utiliser ce type d’outils.

Année

Montant

Évolution sur un an

2005

487

 

2006

375

– 23 %

2007

388

+ 3,5 %

2008

401

+ 3,4 %

2009

432

+ 7,7 %

2010

467

+ 8,1 %

2011

481

+3 %

2012

454

– 5,7 %

Évolution 2007–2012

 

+ 16,9 %

Source : ministère de la Justice

L’analyse de ces chiffres ne doit pas conduire à penser que la situation se serait améliorée en 2012, car la réduction constatée de 5,6 % sur un an est très largement due à un double changement de périmètre de l’enveloppe des frais de justice :

—  les frais postaux induits par les frais de justice sont, depuis 2012, rattachés aux crédits de fonctionnement courant des juridictions, conformément à une recommandation d’audit sur les frais de justice établi par les inspections générales des finances et des services judiciaires en juin 2011 ; une telle imputation a été jugée préférable, car elle met fin à une distinction des frais postaux selon leur origine, qui était source de complexité pour les juridictions (les frais d’affranchissement engagés au titre des frais de justice s’élevaient à plus de 57 millions d’euros en 2011) ;

—  les crédits affectés au paiement des mémoires datant de l’année précédente sont désormais inscrits à l’action « soutien », de même que les montants payés au titre de la médecine légale (ils représentaient 54 millions d’euros en 2012).

Sans ces différents changements, le montant total des frais de justice judiciaire continuerait sa progression tendancielle.

Les frais de justice pénale demeurant la composante essentielle des frais de justice (ils en représentent plus des deux tiers), votre rapporteur pour avis a choisi de concentrer principalement son analyse sur ce type de frais. Parmi les frais de justice pénale, les frais d’expertise ont connu une très forte progression depuis 2007, comme l’illustre le tableau ci–après :

ÉVOLUTION DU MONTANT DES FRAIS D’EXPERTISE PÉNALE
DEPUIS 2007

(en millions d’euros)

Année

Montant

Évolution sur un an

2007

98,04

 

2008

106,02

+ 8 %

2009

113,26

+ 6,8 %

2010

133,76

+ 18 %

2011

148,60

+ 11 %

2012

153,10

+ 3 %

Évolution 2007–2012

 

+ 56 %

Source : ministère de la Justice

Là encore, les comparaisons sont rendues difficiles du fait du changement de périmètre de ces dépenses liées à la mise en place du système Chorus. Depuis 2011, les frais d’expertise sont répartis entre la catégorie « actes médicaux et analyses génétiques », qui englobe d’autres frais que les expertises (les examens médicaux des personnes gardées à vue ou des victimes, par exemple) et la catégorie « autres services et prestations de services », qui inclut aussi d’autres types de frais (tels les frais de traducteurs interprètes).

Les frais de réquisitions aux opérateurs de communications électroniques correspondent, d’une part, aux frais de production et de fourniture de données techniques (identification d’abonnés à partir de leur numéro d’appel, détail des appels entrants et sortants d’un abonné sur une période donnée, géo-localisation…) et, d’autre part, aux frais d’interception de communications.

Avant 2005, la très forte progression des frais de justice était due avant tout aux dépenses liées à la téléphonie mobile et à Internet. Entre 2006 et 2009, ces frais ont connu une tendance à la baisse en raison des efforts importants déployés en vue de la maîtrise des coûts. Les réquisitions aux opérateurs représentaient 34 millions d’euros en 2007, 68 millions d’euros en 2011 mais seulement 40 millions en 2012, soit une baisse de 40 % sur un an, due très largement aux efforts de maîtrise engagés par la Chancellerie (cf. infra, III B).

Compte tenu de l’insuffisance des moyens alloués aux frais de justice depuis de nombreuses années, les juridictions n’arrivent pas à honorer leurs dettes. En début d’année, les crédits versés servent prioritairement à résorber le stock des créances dues au titre des années antérieures. Les collaborateurs occasionnels du service public de la justice entendus par votre rapporteur pour avis ont confirmé l’existence d’un cycle dans le paiement de leurs mémoires, les juridictions arrivant à honorer leurs dettes en début d’année, puis à nouveau en fin d’année lorsque de nouveaux crédits sont débloqués.

L’audit sur les frais de justice établi par les inspections générales des finances et des services judiciaires en juin 2011 faisait état d’une dette d’un montant de 106 millions d’euros au 31 décembre 2010. Or, comme le rappelle la quatrième chambre de la Cour des comptes dans sa communication à la commission des Finances du Sénat précitée, « les reports de charge, c’est–à–dire le report sur l’année suivante de dépenses qui auraient dû être payées au cours de l’exercice, constituent une irrégularité au regard du principe d’annualité budgétaire ».

La part des crédits consacrés chaque année au paiement des engagements des années antérieures ne cesse d’augmenter. Seuls 48 % des mémoires d’une année sont payés la même année en moyenne. Cette proportion était de 60 % il y a quelques années.

Cette situation dégradée s’ajoute à un phénomène analogue qui frappe les frais de fonctionnement courant des juridictions : plus de 17 % des crédits de l’année servent à apurer les « restes à payer » de l’année précédente.

Dans ces conditions, il est bien compréhensible que certains collaborateurs occasionnels du service public de la justice, découragés par l’image de mauvais payeur du ministère, se détournent de cette mission, engendrant une pénurie d’experts ou de traducteurs compétents. M. Marc Taccoen, président du Conseil national des compagnies d’experts de justice, a mis en garde contre le risque à terme d’un « appauvrissement intellectuel » des listes d’experts auprès des cours d’appel, les professionnels les plus qualifiés étant découragés par l’impécuniosité de la justice. On ne peut à l’évidence pas souhaiter en arriver à une situation dans laquelle les magistrats n’auraient pas confiance dans les experts missionnés et préfèreraient en requérir successivement plusieurs, ce qui aurait un coût supérieur encore pour une qualité de service rendu moins grande.

Il revient au législateur une part non négligeable de responsabilité dans l’accroissement de la dépense de frais de justice ; les personnes entendues par votre rapporteur pour avis n’ont d’ailleurs pas hésité à le souligner. Ainsi en va-t-il lorsqu’il adopte des dispositions qui prescrivent des actes générateurs de frais. En matière de sécurité routière par exemple, la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants a mis en place les contrôles dits « aléatoires », c’est-à-dire non liés à l’implication dans un accident corporel, tandis que l’arrêté du 24 juillet 2008 facilite ce type de dépistages en homologuant le recours aux tests salivaires, qui peuvent être réalisés hors présence d’un médecin ; en cas de résultat positif du dépistage, des examens médicaux et des analyses toxicologiques sont prescrites. Il s’ensuit une augmentation des prescriptions d’examens payés sur l’enveloppe des frais de justice.

La même loi a modifié l’article 706–54 du code de procédure pénale relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) qui, depuis la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, conserve les empreintes génétiques des personnes condamnées pour certaines infractions graves, et non plus uniquement sexuelles, mais aussi de personnes mises en cause dans ce type d’affaires. Au 31 août 2012, ce fichier contenait les profils génétiques de plus de deux millions d’individus, dont 400 000 personnes condamnées. S’il n’est pas question de nier l’utilité de ce fichier, qui sert à faciliter l’identification et la recherche des auteurs d’infractions à l’aide de leur profil génétique, mais aussi de personnes disparues (à l’aide du profil génétique de leurs descendants ou de leurs ascendants), votre rapporteur pour avis s’interroge sur le champ très large d’infractions ainsi concernées.

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale, l’article 712–21 du code de procédure pénale subordonne l’octroi d’aménagements de peine (libération conditionnelle, mais aussi permissions de sortir ou placement en régime de semi–liberté, notamment) à une personne condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru à une expertise psychiatrique préalable, cette expertise devant être réalisée par deux experts lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l’assassinat ou le viol d’un mineur de quinze ans. Le périmètre des infractions pour lesquelles est encouru le suivi socio–judiciaire rend très fréquent le recours obligatoire à une expertise psychiatrique, alors même qu’il est des cas où les magistrats l’estiment inutile.

Le législateur est aussi parfois tenu de se conformer à des exigences internationales ou européennes. Tel vient d’être le cas avec l’adoption de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, qui transpose en droit interne la directive n°2010/64/UE relative aux droits à l’interprétariat et à la traduction dans le cadre des procédures pénales. En application de cette loi, l’article préliminaire du code de procédure pénale dispose que, si la personne mise en cause « ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées (…) ». Une provision de 15 millions d’euros a été allouée dans le cadre du présent projet de loi de finances afin de couvrir le surcoût lié à la transposition de la directive, qui rendra nécessaire la traduction d’un nombre important de pièces de dossiers.

Le principe constitutionnel de l’indépendance des juges emporte la liberté de prescrire les mesures qu’ils estiment nécessaires à la manifestation de la vérité, ainsi que celle de choisir le prestataire auquel est demandée la mesure et il n’est évidemment pas question de remettre en cause ce principe.

Ainsi, les juges peuvent désigner, pour procéder à des constatations, leur fournir une consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur une liste d’experts ou, le cas échéant et sous réserve de motivation, toute autre personne de leur choix. Une liste des experts judiciaires est dressée par chaque cour d’appel et une liste nationale est dressée par la Cour de cassation : l’inscription initiale sur une liste établie par une cour d’appel est faite à titre probatoire pour une durée de deux ans, les réinscriptions ultérieures étant d’une durée de cinq ans ; l’inscription sur la liste nationale est subordonnée à une inscription sur une liste dressée par une cour d’appel durant trois années consécutives ; l’inscription et les réinscriptions suivantes sont faites pour une durée de sept ans.

Une fois sa mission accomplie, l’expert adresse son mémoire de frais à la juridiction. Sa rémunération fait l’objet soit d’une certification par le greffe (systématique dans le cadre des expertises soumises à un tarif réglementaire), soit d’une ordonnance de taxe rendue par le magistrat (dans le cas des frais non tarifés dont le montant dépasse 460 euros). Dans ce dernier cas, c’est le magistrat qui fixe alors les honoraires de l’expert, au regard des diligences accomplies par celui-ci, du respect du délai imparti et de la qualité du travail fourni.

Si les tarifs fixés par le code de procédure pénale sont obligatoires et ne peuvent être dépassés, sauf disposition réglementaire expresse, comme l’a d’ailleurs récemment rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation (11), les prestations non tarifées peuvent donner lieu à des abus, malgré le système de contrôle : au–delà d’un montant fixé à 460 euros, un devis doit être transmis par l’expert avant le commencement de ses travaux, devis qui doit être transmis au ministère public qui peut faire ses observations ; en cas de désaccord, c’est le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel qui statue en dernier ressort. Il n’existe en revanche aucune obligation pour le magistrat de mettre en concurrence plusieurs experts.

—  Les revalorisations de certains tarifs

Certains frais de justice sont tarifés par le code de procédure pénale : l’article R. 117 du code prévoit ainsi le barème de calcul des honoraires reçus dans le cadre des actes de médecine légale, selon la nature de l’acte pratiqué ; l’article R. 122 prévoit la tarification des prestations demandées aux interprètes-traducteurs…

Certains tarifs font régulièrement l’objet de revalorisations : ainsi, le décret n° 2008-764 du 30 juillet 2008 relatif au recouvrement des amendes forfaitaires et à certains frais de justice criminelle ou assimilé a procédé à la revalorisation de 25 % des honoraires des experts psychiatres et étendu aux expertises des victimes d’infractions sexuelles le tarif majoré prévu pour les expertises faites sur les auteurs de ces infractions.

De la même manière, les revalorisations successives, en 2006, 2007 et 2011 de la lettre C (12) de la Sécurité Sociale, a mécaniquement conduit à l’augmentation des tarifs de certains actes, tels que les examens médicaux des personnes gardées à vue ou des victimes, les examens médico-psychologiques ou les examens sanguins en matière de recherche d’alcoolémie.

Le tarif horaire des interprètes, qui variait jusque–là autour de 15 euros a été porté à 25 euros en 2008 et 42 euros en 2009 par le décret n° 2008–764 du 30 juillet 2008 et son arrêté d’application du 2 septembre 2008.

—  Le recours à de plus coûteuses techniques d’investigation

La recherche de la preuve conduit enquêteurs et magistrats à avoir de plus en plus recours à des techniques d’investigation modernes, particulièrement coûteuses dans les premières années de leur utilisation. Ainsi, entre 2003 et 2011, le nombre des interceptions de sécurité a été multiplié par quatre, passant de 10 500 à 43 000. Depuis lors ce sont les demandes de géolocalisation sur Internet qui ont fortement cru.

Les analyses génétiques sont également devenues depuis quelques années un outil essentiel pour les enquêteurs qui y ont recours tant pour les infractions criminelles que pour la délinquance de masse. Entre 2007 et 2010, les frais qu’elles représentent sont passés de 16,8 à 23,3 millions d’euros, soit une progression de 38 %.

—  L’application de la TVA aux expertises à compter du 1er janvier 2014

Le prix de certaines prestations est aussi grevé par les taxes et cotisations sociales, ce qui peut aboutir à des situations aberrantes, comme ce sera le cas, à compter du 1er janvier prochain, dans le cadre des expertises qui se verront appliquer à la fois les cotisations sociales et la TVA. Les collaborateurs occasionnels du service public sont, depuis la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, assimilés à des salariés et donc affiliés au régime général, ce qui conduit le ministère de la Justice à cotiser pour leur part employeur.

Parallèlement, le droit communautaire impose de réserver l’exonération de la TVA aux seules expertises médicales poursuivant, à titre principal, un but thérapeutique, ce qui n’est pas le cas des expertises pénales. Il est donc prévu d’appliquer une TVA de 20 % sur les expertises à compter du 1er janvier 2014.

La compatibilité de ces deux règles pose cependant une difficulté ; selon l’estimation de la Chancellerie, l’application cumulée des charges patronales et de la TVA aurait pour effet d’augmenter la dépense d’expertises judiciaires de l’ordre de 40 %.

—  Prendre appui sur le bureau des frais de justice et de l’optimisation de la dépense créé en 2011 au sein de la direction des services judiciaires

Depuis le 1er janvier 2011, un bureau des frais de justice et de l’optimisation de la dépense a été créé au sein de la direction des services judiciaires avec pour objectif d’améliorer le pilotage de ces dépenses. Il a en particulier pour mission de renforcer la sensibilisation et l’animation de l’ensemble des acteurs de la chaîne de la dépense, de sa prescription à son exécution.

Il a aussi pour mission de rechercher de meilleures stratégies d’achats, par la mise en concurrence ou la tarification, mais aussi de simplifier les modalités pratiques de saisie informatique des données relatives aux mémoires de frais.

Votre rapporteur pour avis, qui a entendu la chef de ce bureau et son adjointe, a perçu la forte implication des personnels, sous l’impulsion du directeur des services judiciaires, dans l’objectif de maîtrise de la dépense de frais de justice. Il estime qu’une attitude plus offensive encore pourrait permettre de négocier des tarifs plus avantageux auprès des grands opérateurs.

—  Adopter une attitude plus offensive dans les négociations avec les grands prestataires

– Des efforts qui ont déjà porté leur fruit : l’exemple des frais d’analyses génétiques

Pour les analyses génétiques, il a été passé quatre marchés publics depuis 2005 qui ont permis, grâce à la mise en concurrence des laboratoires, une réduction significative du coût unitaire des analyses : le coût des analyses sur les individus est passé de 67 euros (hors taxes) en 2005, à 23 euros HT en 2007, 17 euros HT en 2008 et 13,45 euros en 2013. Le coût des analyses sur traces biologiques est passé d’un coût moyen de 265 euros HT (hors marché) à un coût de 92 euros HT en 2009, puis 73,72 euros HT en moyenne en 2011.

La réduction des coûts a permis de compenser l’augmentation du volume des analyses pratiquées et de maintenir inchangé le niveau global de dépenses.

– La mise en place de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires

La plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), tant attendue, devrait être opérationnelle d’ici la fin de cette année. Elle permettra aux officiers de police judiciaire d’envoyer de façon dématérialisée aux opérateurs de communications électroniques leurs réquisitions puis, une fois la prestation réalisée, de valider le service fait. Les opérateurs de communications électroniques, qui n’auront plus à établir de mémoires de frais, adresseront mensuellement et de façon dématérialisée leur facture pour paiement. Les frais seront payés au plan central, et non plus par chaque juridiction de manière décentralisée.

De la mise en place de la plate–forme sont attendues de substantielles économies, liées à la suppression des frais de location de matériel d’interception (qui s’élevaient à 27,4 millions d’euros en 2012) et à la centralisation de la gestion qui permettra de libérer des effectifs en juridictions. Elle doit en outre permettre de réduire les délais de traitement des factures et d’assurer un meilleur pilotage de la dépense. Votre rapporteur pour avis insiste surtout sur la nécessité, compte tenu de la diminution des frais induite pour les prestataires, de renégocier les tarifs pratiqués.

– Une négociation à poursuivre avec les opérateurs de communications électroniques pour encore réduire les frais de réquisition

Une tarification a été mise en place en matière de production et de fourniture de données techniques par le décret n° 2006-358 du 24 mars 2006 et l’arrêté du 22 août 2006 ; une nouvelle tarification applicable aux réquisitions des opérateurs de communications électroniques en matière de téléphonie a été fixée par un arrêté du 21 mars 2012. En vertu de ce nouveau tarif, l’identification d’un abonné à partir de son numéro d’appel est facturée 4,59 euros HT, tandis que le détail des trafics d’un abonné à la téléphonie mobile est facturé 9,69 euros HT pour le premier mois et 1,50 euro HT par mois supplémentaires. Les opérateurs de téléphonie fixe sont par ailleurs rémunérés 6,12 euros HT pour l’identification d’un abonné ADSL et de son fournisseur d’accès à Internet.

Votre rapporteur pour avis note que, s’agissant des tarifs applicables, aux opérateurs téléphoniques, les prestations sont réalisées à titre gratuit aux États-Unis ou en Allemagne ; de même, l’Italie a récemment négocié la gratuité en échange de l’octroi des licences de nouvelle génération. Il estimerait par conséquent assez légitime que de nouveaux efforts soient demandés aux opérateurs, consistant, par exemple, sans aller peut-être jusqu’à exiger la gratuité des prestations, à accepter une rémunération annuelle forfaitaire pour les prestations requises dans un cadre judiciaire, quel qu’en soit le volume ce qui limiterait encore davantage la charge liée au contrôle et au paiement pour les juridictions, comme pour les services centraux.

Le ministère de la Justice, en association d’ailleurs avec le ministère de l’Intérieur, pourrait mettre davantage l’accent sur des actions de sensibilisation des magistrats et des officiers de police judiciaire, prescripteurs de frais de justice, à la dépense finale induite par les actes qu’ils commandent. Cela suppose déjà qu’ils aient connaissance des coûts des différents actes, ce qui est bien loin d’être le cas.

—  Des actions de sensibilisation à tous les niveaux

– Alerter les chefs de cour sur l’enjeu de la maîtrise des frais de justice

Malgré la mise en place en 2012, sur décision de la garde des Sceaux, des budgets opérationnels de programme (BOP) interrégionaux, chaque cour d’appel conserve la maîtrise des moyens qui lui sont alloués ; cette réforme n’interfère ainsi pas sur le choix des politiques juridictionnelles des Premiers présidents et Procureurs généraux qui demeurent le pouvoir adjudicateur des marchés publics et discutent directement de leurs crédits, en lien avec l’activité juridictionnelle du ressort, avec le responsable de programme. En outre c’est aux chefs de cour que sont rattachés les services administratifs régionaux (SAR) qui jouent un rôle important en matière de paiement des frais de justice.

C’est pourquoi il est important que les chefs de cour soient particulièrement sensibilisés à l’enjeu que constitue une meilleure gestion des frais de justice. La Chancellerie s’est engagée à ce que cette question soit systématiquement abordée lors des dialogues de gestion organisés chaque année, de même que lors de chaque regroupement des chefs de cour, organisés par la direction des services judiciaires au moins deux fois par an.

– Au-delà du rôle crucial des « référents frais de justice » au sein des juridictions, sensibiliser tous les magistrats du ressort

Depuis 2006, il est demandé à des magistrats d’être désignés « référents » pour les frais de justice auprès des cours d’appel et des tribunaux de grande instance. En 2011, l’organisation du réseau des référents a été simplifiée : le nombre de référents par cour d’appel est désormais limité à deux : un magistrat désigné par les chefs de cour et le directeur du service administratif régional de la cour d’appel.

Ces magistrats référents, réunis au plan national une fois par an, sont chargés de communiquer aux juridictions du ressort les informations en provenance de l’administration centrale, notamment celles portant sur les évolutions tarifaires, les passations de marchés publics et les expérimentations en matière de frais de justice. Il leur appartient aussi de recueillir et d’analyser les éléments statistiques relatifs aux engagements et aux paiements des frais de justice. Il relève également de leur mission de diffuser les bonnes pratiques et de faciliter la mise en concurrence locale des prestataires. Ils peuvent, en outre, être saisis par les magistrats prescripteurs, soit pour une aide à la mise en concurrence de prestataires, soit pour une analyse des mémoires reçus.

Au cours des auditions qu’il a menées, votre rapporteur pour avis a perçu l’importance de l’implication individuelle de tous les magistrats sur la question des frais de justice pour l’amélioration de la situation dans un ressort ; ainsi, il lui a été rapporté qu’un magistrat du parquet dans un tribunal de grande instance important est parvenu, en quelques mois, à « vider » les fourrières du ressort des véhicules indûment conservés par la juridiction après clôture des enquêtes correspondantes. Le problème est néanmoins réapparu lors de son départ de la juridiction…

– La formation continue des régisseurs et des directeurs de greffe

La complexité des circuits de financement (cf. infra C. 1), les modifications régulières qui leur sont apportées et la mise en place de nouveaux logiciels imposent qu’une formation régulière soit délivrée aux régisseurs et chefs de greffe des tribunaux de grande instance ; ils jouent en effet un rôle crucial dans le contrôle des mémoires de frais de justice et peuvent apporter de très précieuses informations aux magistrats prescripteurs sur les questions de tarification.

Ces fonctionnaires doivent pourvoir s’appuyer sur l’aide du bureau des frais de justice et de l’optimisation de la dépense de la direction des services judiciaires en cas de questionnement sur un cas particulier.

—  Encourager les bonnes pratiques au sein des juridictions

– En matière de scellés

Malgré le vote de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, qui a notamment facilité la vente anticipée des biens saisis dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, et la publication d’une circulaire conjointe de la direction des affaires criminelles et des grâces et de la direction des services judiciaires en date du 13 décembre 2011 relative à la gestion des scellés (13), qui rappelle l’ensemble des règles applicables en la matière et s’accompagne de fiches techniques spécialisées par catégorie de scellé (armes, véhicules, stupéfiants, …), il a été indiqué à votre rapporteur pour avis que de très nombreux scellés sont conservés bien au-delà de leur utilité pour l’enquête. Or, une telle situation peut s’avérer très coûteuse pour la juridiction. Votre rapporteur pour avis rappelle que l’article R. 147 du code de procédure pénale prévoit, pour les frais de garde des scellés et de mise en fourrière des véhicules automobiles, un montant de 3,20 euros par jour pour les voitures particulières et de 2,44 euros pour les autres véhicules immatriculés.

Il estimerait utile de mettre en place un système d’alerte dans le logiciel Cassiopée signalant l’existence de scellés au moment où le magistrat envisage la clôture d’un dossier, ce qui lui permettre de systématiquement statuer sur le sort des scellés et d’éviter, le cas échéant, d’inutiles et coûteux frais de gardiennage.

– Renforcer l’assistance pratique au magistrat

Un magistrat saisi d’une affaire est avant tout préoccupé par la recherche de la vérité et il n’a que peu de temps à consacrer au choix du prestataire qu’il va mandater pour l’aider dans cette recherche ; il est donc nécessaire de lui fournir, sans délai, une information opérationnelle lui permettant de faire son choix. Votre rapporteur pour avis plaide pour qu’une base de données soit mise en ligne sur le site Intranet des juridictions contenant des listes de prestataires assorties de leurs coordonnées, ainsi qu’une grille indicative des tarifs ordinairement pratiqués afin de mettre les magistrats en mesure de faire jouer la concurrence.

Cela permettrait de lutter contre le poids des habitudes, qui conduit le plus souvent les magistrats à faire appel aux mêmes experts, mais aussi contre le démarchage, parfois très insistant, de certains opérateurs privés. M. Douglas Berthe, vice–procureur au tribunal de grande instance de Lille, a ainsi signalé à votre rapporteur pour avis que les laboratoires d’analyse biologiques n’hésitaient pas, avant que ne soient conclus les marchés publics, à démarcher les magistrats pour les encourager à avoir recours à leurs services plutôt qu’à d’autres.

—  Un circuit complexe

La Chancellerie estime que les juridictions sont saisies de l’ordre de 2,8 millions de mémoires de frais chaque année, adressés par les différents prestataires au greffe de la juridiction devant laquelle les frais ont été engagés. Il existe une multitude de traitements différenciés des mémoires de frais de justice selon leur nature et leur montant. Le circuit comprend trois étapes : la prescription, l’attestation de service fait, puis le paiement.

La prescription résulte d’une décision judiciaire (réquisition d’un officier de police judiciaire, commission d’expertise…). Pour les frais d’expertise non tarifés d’un montant supérieur à 460 euros, il existe un mécanisme de contrôle a priori de la dépense, qui est exercé par le parquet a qui est transmis le devis de l’expert.

Pour ce qui est de l’attestation de service fait, les frais de justice sont, selon leur nature et leur montant, soit certifiés par un greffier (pour les frais tarifés n’excédant par le montant de 460 euros) soit « taxés » par ordonnance prise par un magistrat, qui n’est pas nécessairement celui qui est à l’origine de la prescription de l’acte (pour les frais non tarifés et les frais tarifés supérieurs au montant précité). La certification est une décision administrative, tandis que la taxation est une décision de nature juridictionnelle, susceptible de recours. La certification comme l’ordonnance de taxe, précédées d’un contrôle de la conformité du mémoire présenté à la prescription (le cas échéant, assortis d’un redressement), valent ordre de paiement.

En aval, au moment du paiement, les mémoires inférieurs à 2 000 euros
– qui représentent l’immense majorité des mémoires – sont payés directement par la régie du tribunal ; au-delà de cette somme, ils ont transmis au service administratif régional au niveau de la cour d’appel, qui les vérifie et procède au paiement. Certaines dépenses sont payées directement par le budget opérationnel de programme (BOP) de l’administration centrale : il s’agit des frais donnant lieu à un marché public national, ce qui est notamment le cas des marchés d’analyses génétiques et de certains frais de médecine légale.

En optimisant la gestion et le contrôle des mémoires transmis par les prestataires, les juridictions devraient être à même de réduire les délais de paiement.

—  Une simplification d’ores et déjà amorcée

Un décret a été récemment pris – décret n° 2013-770 du 26 août 2013 relatif aux frais de justice – afin de simplifier, rationaliser et fluidifier le traitement des frais de justice.

Le traitement des mémoires de frais est désormais centralisé : afin de professionnaliser ce traitement, le décret prévoit que tous les mémoires doivent être adressés par les différents tribunaux d’un arrondissement judiciaire au service centralisateur du tribunal de grande instance.

Afin de renforcer l’efficacité de la certification, le décret étend la faculté de certifier aux secrétaires administratifs et introduit la possibilité de moduler les contrôles, en fonction des enjeux financiers et de la volumétrie des prestations : de manière dérogatoire, les mémoires inférieurs à 150 euros ne font pas tous l’objet d’un contrôle approfondi mais d’un simple contrôle formel qui ne se traduit pas par une certification, mais par une simple validation de paiement.

Il assouplit par ailleurs les règles de taxation en supprimant la compétence exclusive du juge d’instruction, du juge de l’application des peines et du juge des enfants. Cette compétence exclusive était souvent synonyme de retard de traitements pour les mémoires taxés qui n’étaient pas systématiquement des mémoires à forts enjeux financiers.

Cette modification du cadre réglementaire se double d’évolutions pratiques liées à la présentation des mémoires : traditionnellement, le paiement des frais de justice repose sur un paiement à l’acte, sur présentation d’un mémoire ou d’un état de frais. Une circulaire du 26 juin 2013 (14) encourage désormais la pratique dite des « mémoires groupés » et fournit aux juridictions des modèles de bordereaux récapitulatifs de paiement regroupant au maximum cinquante prestations, accompagnant l’émission du mémoire à échéance fixe en fonction de l’activité du prestataire. Dans les juridictions qui ont mis en œuvre cette pratique de manière expérimentale, la réduction du volume de mémoires oscille entre 50 et 80 %, ce qui est considérable.

Par ailleurs, un circuit de dépense dit « simplifié » a été mis en place par une circulaire du 19 mars 2012 (15), pour ce qui concerne les frais des opérateurs de communications électroniques, loueurs de matériels d’interceptions et laboratoires d’analyses médicales, circuit reposant sur un paiement de factures mensuelles directement par le BOP de l’administration centrale, tout en maintenant un contrôle – par sondages – et une certification au niveau de chaque juridiction. Le volume annuel de mémoires supprimés est évalué à 500 000. En contrepartie, les créanciers sont assurés d’un paiement régulier de leurs factures, à soixante jours.

Votre rapporteur pour avis, qui comprend l’intérêt d’un tel système qui a d’ailleurs contribué à réduire les frais de justice liés aux opérateurs de téléphonie, regrette néanmoins que priorité soit ainsi de facto donnée au paiement des mémoires des plus gros prestataires et ce, au détriment des collaborateurs occasionnels qui peuvent être placés dans une situation financière autrement plus délicate.

—  Vers la mise en place d’un portail informatique centralisé

Le regroupement des mémoires constitue une première étape dans un projet bien plus ambitieux consistant dans la mise en place d’un portail informatique centralisé dans lequel chaque prestataire devra adresser son mémoire sous forme dématérialisée : les données seront d’abord saisies par le prestataire, puis contrôlées par les services centralisateurs, avant d’être directement traitées dans Chorus, ce qui évitera les multiples et fastidieuses étapes de saisies. Sur un plan plus global, cet outil permettra – enfin – de disposer d’une vision d’ensemble des dépenses de frais de justice, ce qui en facilitera l’analyse, le contrôle et la précision.

Selon les informations transmises par la Chancellerie, le portail devrait être expérimenté sur le ressort de trois cours d’appel en 2014, puis déployé en 2015 sur l’ensemble du territoire.

—  Parce qu’un effort budgétaire ponctuel ne saurait être à la hauteur de l’enjeu…

Pour 2013 un effort budgétaire particulier avait été décidé par la garde des Sceaux : les crédits alloués aux frais de justice dans le cadre du précédent projet de loi de finances avaient progressé de 15 %, passant de 415 à 477 millions d’euros, afin, comme l’avait indiqué la garde des Sceaux lors de son audition par votre commission des Lois, de corriger l’image de « mauvais payeur » qu’a le ministère de la Justice. Ces crédits devaient permettre d’améliorer une situation très dégradée des juridictions dont les « reste à payer » avaient augmenté de 58 % entre 2011 et 2012. D’un point de vue global, c’étaient 305,9 millions d’euros de mémoires qui restent à payer dans les juridictions, les plus anciens datant de 2007.

Pourtant, et malgré cet effort que salue votre rapporteur pour avis, le compte n’y est pas et les juridictions continuent de devoir « éponger » les dettes des années précédentes, hypothéquant encore davantage la dotation de l’année suivante et ainsi de suite. Cette situation est régulièrement relevée par la Cour des comptes qui dénonce l’insincérité budgétaire issue de la sous–budgétisation qu’elle estimait à 78 millions d’euros en 2011. Dès lors, les juridictions sont contraintes de redéployer des crédits de fonctionnement pour assurer le paiement de certains frais de justice, ce qui, compte tenu des budgets de fonctionnement alloués aux juridictions, fait peser sur elles le risque de paralysie et ne peut plus longtemps être considéré comme un moyen de gestion de ces crédits.

L’insuffisance des crédits alloués aux frais de justice induit des coûts de gestion indirects. Elle oblige les régies des tribunaux à procéder au paiement par à-coups, privilégiant les mémoires anciens ou ceux présentés par les collaborateurs occasionnels du service public les plus fragiles. Ce travail de sélection des mémoires est chronophage. La dégradation de l’image de la justice qui est induite auprès des prestataires conduit de nombreux professionnels à se détourner de cette collaboration, ce qui oblige magistrats et enquêteurs à consacrer davantage de temps à la recherche d’un expert ou d’un traducteur.

Cette insuffisance est manifeste mais il ne saurait être envisageable, compte tenu de l’état de nos comptes publics, d’abonder le budget à une hauteur suffisante pour régler le problème. Votre rapporteur pour avis s’est donc demandé s’il ne serait pas pertinent, dans ces conditions, de rechercher une ressource nouvelle.

—  … Il pourrait être pertinent de réfléchir à une nouvelle source de financement

Votre rapporteur pour avis s’interroge sur l’opportunité de mettre à la charge du condamné en matière pénale une partie de la charge qu’a induite la procédure.

L’article 1018 A du code général des impôts prévoit que la personne condamnée par un tribunal correctionnel est redevable d’un droit fixe de procédure d’un montant de 90 euros. Ce montant est plus élevé en appel (120 euros) et aux assises (375 euros).

Ce droit est censé représenter le coût engagé par la justice pour les frais liés à la procédure ; or, en moyenne, chaque affaire pénale (y compris celles qui ne sont pas jugées par le tribunal correctionnel mais font l’objet d’alternatives aux poursuites, par exemple) induit 300 euros de frais de justice (16).

Votre rapporteur pour avis se demande s’il ne serait pas possible de prévoir soit une augmentation de ce droit fixe de manière uniforme pour tous les condamnés, soit son remplacement par une fourchette de tarifs, assortie d’une possibilité offerte à la juridiction de jugement de moduler le montant du droit exigé de la personne condamnée en fonction des frais de procédure engagés dans l’affaire en cause et de sa solvabilité.

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Mieux contrôler la dépense, afin de mettre fin à quelques – très minoritaires mais avérés – abus de certains prestataires, retrouver des délais de paiement acceptables, afin de ne pas décourager les interprètes et les experts, sensibiliser l’ensemble des acteurs du monde judiciaire aux bonnes pratiques, dans le respect de l’indépendance des magistrats – car il ne s’agit nullement de nuire aux capacités d’enquête, mais de demander aux magistrats d’avoir le souci, dans leur recherche de la vérité, de ne pas engager plus de dépense qu’il n’est nécessaire. La tâche est ardue, mais l’enjeu est d’importance, au profit d’une meilleure allocation des crédits alloués à la justice. Car cet effort collectif doit permettre, par des gains d’efficience de la dépense publique, de dégager des marges de manœuvre budgétaires qui pourraient, notamment, trouver aisément à être réemployées dans le budget de fonctionnement courant des juridictions.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 24 octobre 2013, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2014.

M. le président Gilles Carrez. Mes chers collègues, nous sommes réunis en commission élargie pour examiner les crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2014 consacrés à la mission « Justice ». La conférence des présidents a décidé cette année de soumettre l’ensemble des crédits – soit vingt-six missions – à cette procédure. En effet, les commissions élargies autorisent un débat plus interactif qu’en séance, permettant à chacun de poser les questions aux ministres.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je suis très heureux d’accueillir Mme la garde des Sceaux dans le cadre de la première commission élargie à laquelle participe la commission des lois. Les quatre avis que notre commission rend sur les crédits de la mission « Justice » passent rapidement sur les questions budgétaires, largement traitées par le rapporteur spécial de la commission des finances, pour se concentrer chacun sur un thème particulier qui s’inscrit dans la mission de contrôle qui nous incombe.

Jean-Yves Le Bouillonnec a travaillé sur les crédits de la justice administrative – qui ne relèvent pas de cette mission à proprement parler – et de la justice judiciaire, abordant spécifiquement la question des frais de justice, un sujet essentiel et préoccupant dans le contexte budgétaire actuel.

Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis pour les crédits relatifs à l’administration pénitentiaire, a traité le problème de la sécurité dans les établissements.

Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a abordé la question de la prise en charge éducative des mineurs incarcérés.

Enfin notre commission salue le travail sur l’aide aux victimes que Nathalie Nieson, rapporteure pour avis pour les crédits relatifs à l’accès au droit et à la justice, a effectué cette année à l’initiative de la garde des Sceaux. Nous espérons tous que ses préconisations seront suivies d’effets, permettant d’élaborer et d’appliquer des mesures concrètes. Son avis porte sur l’accès au droit et l’aide aux victimes dans le cadre des procédures de jugement rapide ou simplifié.

M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs à la justice. « La justice coûte cher. C’est pour ça qu’on l’économise », disait Marcel Achard. En 2014, le budget de la justice augmente de 1,7 % ; le taux d’inflation étant de l’ordre de 1,3 %, l’augmentation nette représente 0,4 %. Sur les dix dernières années, entre 2003 et 2013, ce budget a crû de quelque 53,8 % ; corrigée de l’inflation de 18,8 %, l’augmentation effective représente 34,48 %, soit environ 3,4 % par an. Le PLF 2014 signe donc un ralentissement de l’augmentation du budget de la justice. Comment le justifier ? À quelles conséquences peut-on s’attendre ?

Ce budget traduit une augmentation des dépenses d’investissement mais une diminution de celles de fonctionnement. Sur l’année 2012, les délais de traitement des procédures civiles et pénales – indicateur mesurant la rapidité d’intervention de la justice – se sont dégradés. Quelles seront les incidences de la diminution des dépenses de fonctionnement sur ce phénomène ?

Les effectifs de la magistrature constituent un autre sujet de préoccupation. Les plafonds d’emploi augmentent ; pourtant, certains postes de magistrats restent non pourvus, et le nombre global de magistrats stagne, voire diminue. Quelles mesures entendez-vous prendre pour pourvoir aux postes créés ?

Dans les documents qui nous ont été remis, deux indicateurs de performance sur l’exécution des peines ne sont pas renseignés : le taux de mise à exécution des peines et le délai moyen d’exécution des peines. Il serait souhaitable que ces paramètres essentiels nous soient communiqués l’année prochaine. De manière générale, sur l’année 2013, on constate une dégradation dans le rythme et le taux d’exécution des peines. Quelles en sont les causes ? Quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en œuvre pour y remédier ?

La diminution des crédits alloués aux frais de justice pose un sérieux problème aux magistrats. À l’occasion d’une visite à la Cour d’appel de Lyon, j’ai appris que, pour boucler l’année 2012, le président de la Cour avait été obligé de puiser dans les crédits de fonctionnement à hauteur de quelque 8 millions d’euros. Après retraitement des frais postaux et des conséquences de la réforme de la médecine légale, la diminution des moyens prévus pour les frais de justice est de l’ordre de 4 %. Le Gouvernement n’a-t-il pas sous-estimé les besoins des juridictions en la matière ? Il indique qu’il essaiera de maîtriser l’évolution des frais de justice ; quelles mesures effectives compte-t-il prendre ?

En matière de performance du service pénitentiaire, on constate une dégradation des ratios : ainsi, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est passé de 113,2 % au début de 2012 à 117 % au 1er janvier 2013 ; celui des places en maison d’arrêt augmente de 124 % en 2011 à 133 % en 2013. Il en va de même pour le nombre de détenus par cellule. Entre le 1er janvier 2012 et le 1er juillet 2013, le Gouvernement a créé quatre-vingt-quatre places de prison ; il annonce aujourd’hui la création de 6 500 places à l’horizon 2017. Compte tenu du ralentissement observé en 2013, le Gouvernement peut-il indiquer précisément le détail des créations de places dès 2014 ?

Le budget du programme 182 – consacré à la PJJ – est en baisse, alors que les dépenses de rémunération augmentent. Il est nécessaire d’agir rapidement : depuis une dizaine d’années, les délais de traitement des infractions commises par les mineurs se sont considérablement réduits ; ne craignez-vous pas que la réduction des dépenses de fonctionnement en 2014 puisse dégrader ces ratios ?

Le progrès que le Gouvernement affiche en matière d’accès au droit constitue une illusion d’optique. En réalité, la suppression de la contribution pour l’aide juridictionnelle (CPAJ) qui représente 60 millions d’euros, le renoncement au projet de modulation de l’unité de valeur et la mise en œuvre de plusieurs mesures visant à maîtriser le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle posent question. Dans ce contexte, madame la garde des Sceaux, pouvez-vous nous exposer les mesures qui seront prises pour maintenir l’accès au droit, alors même que les crédits sont en diminution ? Le Gouvernement doit s’expliquer précisément sur cette question.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire. Dans le PLF 2014, les crédits de la justice administrative et judiciaire progressent de 1,7 %, après avoir crû de 4,3 % l’année dernière. Il s’agit donc d’un processus d’augmentation, même s’il prend place dans l’encadrement budgétaire conduit par le Gouvernement.

L’effort le plus important concerne les effectifs, avec 535 emplois créés ; la ligne budgétaire des frais de justice se retrouve, au contraire, érodée. Les frais de justice sont sinistrés depuis une quinzaine d’années, la dégradation étant accentuée par l’effet des dispositions législatives et par les conséquences des directives européennes. Ainsi, l’obligation – parfaitement légitime – de fournir un traducteur à toute personne placée sous main de justice et qui ne parle pas français est à l’origine d’un processus d’inflation des frais extrêmement important. D’autres dispositions législatives ont pour conséquence d’augmenter considérablement le recours à des prestataires externes – experts, légistes –, mais également aux techniques nouvelles. Le problème est donc devenu récurrent, menaçant de se transformer en une véritable crise institutionnelle si la justice ne pouvait plus faire face à ses obligations. En effet, l’État ne semble pas avoir la capacité financière de répondre aux demandes des magistrats.

En matière de juridiction administrative, aux termes du décret d’août 2013, certains contentieux pourront être examinés par un juge unique, sans intervention du rapporteur public. Cette mesure – qui prend place dans le contexte d’une juridiction saturée – concerne le domaine de la solidarité, notamment le droit au logement opposable (DALO). Ne laisser, comme voie de recours dans ce domaine, que le seul pourvoi en cassation ne favorise pas l’accès des personnes concernées – souvent de condition modeste – à ces procédures.

S’agissant de la gestion prévisionnelle des effectifs, plus de 1 400 magistrats devraient partir en retraite dans les quatre années à venir ; la situation est similaire pour les personnels de catégorie C. Si nous ne prenons pas en compte ces départs, nous irons au-devant de graves difficultés.

Si les personnels de catégorie C ont été sensibles à l’augmentation de leur rémunération, il faut également réviser celle des greffiers, qui stagne depuis près de dix ans.

Des économies restent possibles dans plusieurs domaines. Il faut par exemple améliorer la technique de gestion des frais de justice en réduisant notamment le nombre de mémoires dont la surabondance gêne le fonctionnement de la justice. Les commissariats comme les juridictions doivent pour leur part prendre en compte les conséquences financières des décisions de sollicitation d’avis. Mon rapport fait des propositions sur l’ensemble de ces questions.

Enfin, une source de financement – la taxation des frais de procédure – mériterait d’être revue ; il faudrait notamment réviser l’ordonnance de taxe mise à la charge des personnes condamnées définitivement.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’« Administration pénitentiaire ». Le budget de l’administration pénitentiaire pour 2014 est quasiment stable en matière de crédits, les variations – moins 1,2 % en autorisations d’engagement, plus 1,4 % en crédits de paiement – apparaissant peu significatives après l’effondrement de 38,5 % en autorisations d’engagement l’année dernière. Ce budget prévoit une légère augmentation du plafond d’autorisations d’emploi, représentant 112 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Du fait des redéploiements d’emplois, cette augmentation du plafond doit notamment permettre l’affectation de 300 ETPT – principalement de conseillers d’insertion et de probation – pour la mise en œuvre du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, et de 30 ETPT pour le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires, avec la création de deux nouvelles brigades cynotechniques.

Pour autant, ce projet de budget ne saurait satisfaire le rapporteur pour avis que je suis, car il ne répond pas au principal problème de nos établissements pénitentiaires, celui de la surpopulation carcérale. Je reste convaincu que la mise en œuvre du projet de loi sur la récidive, dont les perspectives de discussion parlementaire et d’adoption sont pour le moins lointaines, ne permettra pas de le pallier. L’objectif de 80 000 places de prison qu’avait fixé la loi de programmation pour l’exécution des peines du 27 mars 2012 me semble toujours aussi pertinent ; je déplore l’abandon de cet objectif, et j’émettrai un avis défavorable aux crédits du programme « Administration pénitentiaire ».

Dans le cadre de cet avis budgétaire, je me suis intéressé à la question récurrente de la sécurité des établissements pénitentiaires, revenue sur le devant de la scène au mois d’avril dernier à l’occasion de l’évasion violente survenue à Lille-Sequedin. Je tiens à exprimer ma sympathie et mon soutien aux agents pris en otage lors de cette évasion, ainsi qu’à tous les agents pénitentiaires victimes de violences.

En choisissant ce thème, je me suis fixé comme objectif de formuler des propositions pragmatiques et efficaces pour renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires – objectif qui peut et doit nous rassembler, quel que soit le groupe auquel nous appartenons. Vous pouvez prendre connaissance de mes suggestions à la page 41 du projet d’avis.

J’insisterai ici uniquement sur ce qui constitue aujourd’hui le talon d’Achille des établissements pénitentiaires, à savoir l’introduction d’objets interdits. Les volumes de saisies ont connu une forte progression au cours des dernières années, et les chiffres pour 2012 – détaillés page 24 du rapport – sont édifiants : 20 500 téléphones, 8 750 produits stupéfiants, 705 armes saisis dans nos prisons.

Ces objets, qui menacent tous la sécurité des établissements pénitentiaires – y compris les stupéfiants, car ils génèrent trafics et violences –, y entrent par deux voies : soit par la porte, introduits par des personnes autorisées à y accéder, soit par les airs, par ce que l’on appelle des « projections ». Je me félicite du plan de sécurisation des établissements pénitentiaires annoncé par Mme la ministre en juin 2013, qui prévoit le financement de moyens de lutte contre ces projections : filets anti-projection et renforcement des glacis. Pour ma part, je propose de donner en outre à des agents pénitentiaires la qualité d’agents de police judiciaire, afin qu’ils puissent intervenir en dehors des établissements pour appréhender les auteurs de projections. Aujourd’hui, lorsque des personnes sont repérées aux abords d’une prison en train de lancer des objets par-dessus les murs d’enceinte, les agents de l’administration pénitentiaire ne peuvent qu’appeler la police ou la gendarmerie en espérant qu’elles arrivent assez vite pour les appréhender. Autant dire que cela n’arrive quasiment jamais. La proposition que je formule permettrait de mieux lutter contre les projections, et s’inscrirait dans la dynamique de l’évolution amorcée depuis quelques années, qui consiste à diversifier les missions de l’administration pénitentiaire par des missions exercées « hors les murs », telles que les extractions judiciaires ou la surveillance des unités hospitalières.

Je formule aussi plusieurs propositions pour lutter contre l’introduction d’objets par des personnes entrant dans l’établissement. La question a pris une acuité particulière depuis l’interdiction, par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, des fouilles systématiques, qui, de l’avis unanime des personnels que j’ai pu rencontrer, a rendu les établissements beaucoup plus vulnérables et mis les personnels en danger. Le principal problème de cette disposition est de n’avoir retenu, pour permettre de procéder à des fouilles, que des critères individuels – la présomption d’une infraction ou le comportement de la personne –, laissant totalement de côté le risque systémique d’introduction d’objets interdits dans certaines situations de la vie en détention, telles que les visites au parloir. L’interdiction des fouilles systématiques met aussi en danger les détenus les plus vulnérables et leurs familles, forcés de jouer le rôle de « mules ».

Pour remédier à ces difficultés, je propose tout d’abord de modifier l’article 57 de la loi pénitentiaire afin de permettre aux agents de procéder à des fouilles systématiques des détenus, soit dans certaines zones, soit à certains moments de la vie en détention qui présentent des risques particuliers d’introduction d’objets interdits.

Ma deuxième proposition consiste à permettre aux équipes cynotechniques de l’administration pénitentiaire de procéder, dans le cadre d’opérations de police judiciaire menées sous l’autorité du parquet, à des contrôles de recherche de stupéfiants et d’explosifs sur les personnes entrant dans les établissements.

Enfin, je suggère de permettre la réalisation, par les agents pénitentiaires, de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements. Ces fouilles – qui consistent seulement en une recherche extérieure et au-dessus des vêtements, par tapotements, d’objets interdits – sont pratiquées quotidiennement par des personnels de sécurité privée dans les aéroports ou à l’entrée des stades et des salles de spectacle. Il s’agit d’un geste peu intrusif, dont chacun comprend la nécessité et auquel chacun est désormais parfaitement accoutumé.

Prévenir en amont l’introduction d’objets interdits compenserait la perte d’efficacité qu’a entraînée l’adoption de l’article 57 interdisant les fouilles systématiques des détenus, et permettrait de renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires. Je pense – et j’espère – que mes propositions pourront recueillir l’approbation de Mme la ministre, car il est de notre responsabilité commune de rechercher ensemble, de façon pragmatique, les moyens d’améliorer la sécurité des personnels, celle des détenus, et la sécurité publique dans son ensemble.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la « Protection judiciaire de la jeunesse ». La priorité que le Président de la République et le Gouvernement ont choisi de donner à la justice et à la jeunesse s’était traduite dès la loi de finances pour 2013 ; c’est à nouveau le cas cette année avec le projet de budget pour 2014.

Comme je sais que l’opposition a le goût des chiffres, ce qui lui a masqué l’essentiel lorsqu’elle était aux responsabilités, je rappellerai que l’application de la révision générale des politiques publiques (RGPP) au budget de la PJJ a eu pour conséquence de sacrifier la prise en charge des mineurs au profit d’un rapprochement idéologique de la justice des mineurs de celle des majeurs. C’est aussi cela qu’il nous faudra corriger durablement.

À première vue, le budget de la PJJ pour 2014 pourrait sembler quelque peu décevant, compte tenu de la baisse des crédits qui lui sont consacrés – moins 2,3 % en autorisations d’engagement et moins 0,6 % en crédits de paiement. Cette baisse des crédits traduit la participation du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » à l’effort de réduction de la dépense publique.

Cependant, grâce à une rationalisation et à une réorganisation des missions de la PJJ, le projet de budget pour 2014 prévoit une augmentation du plafond d’autorisations d’emplois à hauteur de 37 ETPT, qui permettra – grâce à des redéploiements au sein du schéma d’emploi – d’affecter 99 nouveaux ETPT sur l’action qui constitue le cœur de métier de la PJJ, à savoir la mise en œuvre des décisions judiciaires.

Le budget de la PJJ m’apparaît satisfaisant dans le contexte budgétaire que nous connaissons, et je donnerai un avis favorable aux crédits du programme.

Néanmoins, je tiens à exprimer une certaine préoccupation quant aux crédits de fonctionnement de la mission, en baisse de 9,2 % en autorisations d’engagement et de 4,5 % en crédits de paiement par rapport à 2013. Les organisations syndicales que j’ai entendues craignent que cette baisse des dépenses de fonctionnement n’entraîne soit une augmentation de la dette de la PJJ vis-à-vis du secteur associatif habilité – que le Gouvernement avait commencé à résorber dans le cadre de la loi de finances pour 2013 –, soit l’interruption du financement de certaines actions éducatives en fin d’exercice 2014.

Si la PJJ doit, comme l’ensemble des administrations, participer à l’effort de réduction de la dépense publique, il ne faut pas oublier qu’elle a déjà vu ses moyens diminuer très fortement entre 2008 et 2012 et a perdu 632 ETPT. Par ailleurs, le secteur associatif habilité est un partenaire essentiel de la PJJ pour la mise en œuvre des mesures judiciaires, et l’État doit entretenir avec lui des relations financières saines. Par conséquent, j’émets le vœu que les crédits de fonctionnement de la PJJ puissent, en tant que de besoin, bénéficier des mesures de levée de gel de crédits en fin d’exercice 2014, afin de permettre à la PJJ de poursuivre ses missions dans les meilleures conditions possible tout au long de l’année à venir.

J’en viens à la présentation du thème que j’ai choisi de traiter cette année, celui de la prise en charge éducative des mineurs incarcérés.

Leur nombre est relativement bas depuis de nombreuses années, et demeure assez stable : 729 mineurs étaient incarcérés au 1er janvier 2013, contre 808 au 1er janvier 2003. Du fait de la hausse générale du nombre de détenus, la part des mineurs a d’ailleurs baissé, passant de 1,33 % en 2003 à 1,06 % en 2013. Les mineurs incarcérés sont également très minoritaires parmi l’ensemble de la population suivie par la PJJ.

Pour autant, la société a le besoin impérieux et l’obligation morale de rendre possible l’insertion de ces mineurs. J’ai donc cherché à identifier les améliorations qui pourraient être apportées à leur prise en charge éducative, afin de faire de cette incarcération une période utile dans leur parcours.

Ma conclusion est que l’individualisation du suivi doit être un objectif prioritaire, que ce soit lors du choix du lieu d’incarcération ou au moment de la sortie, quand il s’agit de garantir la continuité de l’action éducative engagée. Comment le ministère de la justice envisage-t-il d’encourager une meilleure prise en compte, par l’autorité judiciaire et l’administration pénitentiaire, de l’intérêt éducatif du mineur au moment de choisir le lieu de détention ?

La situation particulière des jeunes filles mérite également d’être soulignée. Du fait de leur petit nombre – trente-cinq jeunes filles étaient incarcérées au 1er janvier 2013 –, les établissements pouvant les accueillir sont rares, et elles souffrent toujours d’un certain isolement, que ce soit par rapport aux garçons quand elles sont en EPM – établissement pour mineurs – ou par rapport aux majeures lorsqu’elles sont en quartier pour mineurs.

Pour remédier à cette difficulté, je me demande s’il ne serait pas possible d’imaginer, sur le modèle de l’accompagnement scolaire des enfants en situation de handicap par des assistants de vie scolaire (AVS), que les jeunes filles détenues puissent bénéficier d’un « assistant de vie en prison ». Celui-ci, qui pourrait être rattaché à des équipes mobiles de la PJJ, telles qu’il en existe dans l’administration pénitentiaire pour renforcer les services pénitentiaires d’insertion et de probation faisant face à un grand nombre de mesures à exécuter, aurait pour mission de concevoir pour la mineure des activités éducatives individualisées, mais aussi de l’accompagner dans le cadre des activités scolaires.

Quelle est votre position sur cette piste de réflexion, madame la garde des Sceaux, et quelles actions entendez-vous mener pour mieux prendre en compte la situation particulière des jeunes filles ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer, dans la continuité des informations que vous nous aviez données l’an dernier, les actions que le ministère de la justice a menées en 2013 et compte mener en 2014 pour renforcer la diversité des lieux de placement des mineurs ?

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis de la commission des lois pour l’« Accès au droit et à la justice ». Je veux tout d’abord féliciter le Gouvernement qui, malgré des efforts importants en faveur d’une diminution de la dépense publique, est parvenu à préserver, et même à augmenter les crédits du ministère de la justice. Cela traduit une véritable mobilisation de la garde des Sceaux pour mettre en œuvre la priorité donnée par le Président de la République.

Le programme « Accès au droit et à la justice » bénéficie de cette progression, puisque son budget augmente de 9 %, principalement sous l’effet de l’augmentation de 30 millions d’euros de la dotation pour l’aide juridictionnelle. Son rôle est essentiel, car il regroupe les crédits destinés à permettre à nos concitoyens de connaître leurs droits et de les faire valoir, quels que soient la situation sociale et le point du territoire dans lesquels ils se trouvent.

Je salue tout particulièrement la décision de renoncer au forfait de 35 euros réclamé lors de toute action judiciaire, qui constituait une entrave à la justice. Dans ma circonscription, l’association locale de défense des victimes de l’amiante (ALDEVA), dont l’action pâtissait de cette mesure, m’a chargée d’exprimer sa satisfaction de la voir supprimée.

Cette année, j’ai souhaité concentrer mes travaux sur la situation des victimes et des personnes mises en cause dans le cadre des procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou l’ordonnance pénale délictuelle.

Ces procédures représentent une partie importante du nombre total des affaires suivies par les tribunaux correctionnels et sont même en progression : 50 % en 2012, contre 42 % en 2007. Elles permettent à la justice d’apporter une réponse rapide aux besoins de la société comme à ceux des victimes. C’est pourquoi je me réjouis de la création, cette année, de 150 bureaux d’aide aux victimes, qui a permis de tripler leur nombre.

De même, les crédits accordés aux 173 associations d’aide aux victimes conventionnées, déjà augmentés de 25 % l’an dernier, sont encore accrus de 6,5 % cette année.

Les bureaux d’aide aux victimes permettent aux associations de renseigner les victimes sur leurs droits, de les orienter, le cas échéant, vers des avocats, et de les aider à résoudre leurs difficultés.

Cela étant, tout reste perfectible. Ces bureaux bénéficient d’une dotation financière modulable de 20 000 euros. Or les critères de la modulation mériteraient d’être mieux expliqués, car elle n’est pas toujours comprise par l’INAVEM, la fédération nationale des associations d’aide aux victimes. Je présenterai par ailleurs un amendement destiné à doter ces associations de moyens supplémentaires.

Enfin, une enveloppe de 200 000 euros est prévue pour financer une expérimentation intéressante destinée à transposer la directive européenne sur les victimes. Celle-ci prévoit de nouveaux droits, comme l’évaluation de la vulnérabilité des victimes, afin de mieux adapter leur prise en charge. J’en attends les résultats avec impatience.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avant de répondre aux questions posées, je me dois de rendre plus intelligible le budget de la justice en rappelant ce qui fait sa cohérence et de quelle façon il traduit les priorités définies par le Gouvernement. Le budget pour l’année 2013 était construit selon une logique triennale ; les priorités établies l’an dernier sont donc consolidées, qu’il s’agisse des crédits ou de l’action du ministère sur le terrain.

En 2012, nous avions entrepris de corriger les injustices accumulées au cours des dernières années, et décidé de consentir un effort particulier en faveur de la jeunesse, et donc de la protection judiciaire de la jeunesse. Aujourd’hui, nous en venons à une phase plus qualitative de l’organisation de la PJJ, qui passe notamment par une diversification des réponses en matière d’hébergement, sur le plan éducatif et en termes de sanctions auxquelles peuvent recourir les juges et tribunaux pour enfants.

Dès l’année dernière, nous avions annoncé que nous serions vigilants et actifs au sujet des ressources humaines, qui constituent la force principale du ministère de la justice. Cela ne recouvre pas seulement la question des effectifs, mais aussi celle de l’organisation du travail, des conditions de travail, de la répartition des charges, des méthodes, ainsi que des procédures et formalités qui peuvent pénaliser l’activité des magistrats, greffiers et fonctionnaires.

Cette année encore, nous proposons la possibilité de créer 590 nouveaux postes pour l’ensemble de la justice : 35 pour la justice administrative et 555 pour la justice judiciaire, la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire. Cette augmentation est d’autant plus remarquable que les effectifs de l’État vont être globalement réduits de 3 200 postes en 2014. C’est la marque incontestable d’un maintien de la priorité accordée à la justice par le Président de la République. De même, comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, le budget de la justice augmente de 1,7 %, alors que le budget de l’État enregistre une baisse en valeur.

Le ministère de la justice est peut-être celui qui porte la plus lourde part de l’action réformatrice de l’État. Il suffit de rappeler le nombre de textes qui viennent d’être adoptés, dont l’examen est en cours ou qui vont être examinés par le Parlement : le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, qui entraîne des conséquences en termes d’effectifs ; le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le projet de loi modifiant les relations entre le garde des Sceaux et le parquet, qui n’est pas sans effet sur l’organisation du travail et les relations entre les parquets généraux et la Direction des affaires criminelles et des grâces ; le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; les projets de loi ordinaire et organique créant le parquet financier, qui conduisent à débloquer des moyens budgétaires spécifiques et à créer de nouveaux postes de magistrat et de greffier.

Nous avons également déposé un projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction. En effet, la loi du 5 mars 2007, dont l’entrée en vigueur a déjà été reportée deux fois, prévoyait un principe de collégialité systématique dont l’application aurait eu pour effet d’alourdir l’instruction et de nécessiter la création de 354 postes de magistrat, une charge que nous ne pouvons pas assumer. Une chose est d’ouvrir des postes au concours, une autre est de trouver des magistrats en chair et en os pour les occuper. Je reviendrai d’ailleurs sur les dispositions que nous prenons pour pallier le manque de vocations.

D’autres textes sont susceptibles d’entraîner des effets sur le budget de la justice pour 2014, comme la réforme de l’hospitalisation sous contrainte. Bien que ce projet de loi soit porté par le ministère de la santé et des affaires sociales, il implique la création de postes de juge des libertés et de la détention, mais aussi de greffiers et de fonctionnaires. Il en va de même s’agissant de la réforme de la justice commerciale, ou du texte sur le secret des sources des journalistes.

L’action du Gouvernement se caractérise donc par la continuité, qu’il s’agisse de la création de postes, de la réforme des méthodes et de l’organisation du travail ou de la modification de certaines procédures.

Pour illustrer ce dernier aspect, on peut citer l’exemple des mesures de tutelle. Les tribunaux d’instance étaient engorgés par le nombre de mesures à réviser, et nous nous sommes aperçus, à la mi-2012, qu’il serait impossible de parvenir avant la fin 2013 à une résorption du stock. Nous avons abandonné l’idée de prévoir un délai pour l’application de l’obligation de révision, car cela n’aurait fait qu’augmenter le nombre de mesures restant à réviser. Nous avons donc engagé les moyens nécessaires, en termes d’effectifs et d’organisation du travail, pour éviter que les autres contentieux civils ne soient pénalisés par le traitement du contentieux relatif à la protection des majeurs. Les effectifs sont en place, et nous sommes désormais en mesure de résorber le stock de tutelles à réviser, ce dont il faut rendre grâce aux personnels.

Mais nous avons aussi tiré les enseignements de cette expérience. Pour éviter de faire peser sur les tribunaux d’instance une charge de travail inconsidérée, nous envisageons que le juge puisse autoriser, dans certains cas particuliers – notamment en cas de pathologie lourde et évolutive, lorsqu’une révision au bout de cinq ans ne se justifierait probablement pas –, que la révision de la mesure initiale ait lieu au-delà de ce délai, au plus tard au bout de dix ans.

L’objectif du Gouvernement est donc d’améliorer l’efficacité de la justice, mais aussi de la rendre plus accessible et plus diligente.

La question des délais est évidemment essentielle. Or les effectifs font partie des facteurs qui déterminent la durée des procédures, civiles comme pénales. Alors qu’il nous manque déjà 358 postes de magistrats pour répondre aux besoins, nous allons devoir faire face à 1 400 départs à la retraite pendant la durée du quinquennat. Il aurait donc fallu ouvrir 300 postes par an en moyenne au cours des six dernières années. Or, pendant la législature précédente, entre 80 et 120 postes seulement étaient ouverts chaque année. En 2013, nous avons porté ce nombre à 300, et cette année, nous en ouvrons 420. Malheureusement, 64 de ces postes n’ont pas trouvé preneur.

Nous avons recherché les raisons de la désaffection qui touche la magistrature en dépit de la beauté de ses missions et de la variété des métiers qu’elle propose, aussi bien au parquet qu’au siège. Il ne fait pas de doute que la nature des relations observées ces dernières années entre l’exécutif et la magistrature, ainsi que les mises en cause régulières dont font l’objet les décisions de justice, n’incitent pas les jeunes à se précipiter vers ce type de carrière.

Nous avons donc décidé de rendre la magistrature plus attractive. La campagne de communication que nous avons organisée l’année dernière commence à donner ses fruits, même si, comme on l’a vu, elle reste insuffisante. Nos efforts concernent les trois voies d’accès à l’École nationale de la magistrature : en septembre, nous avons réuni les doyens des facultés de droit pour leur demander d’inciter leurs meilleurs étudiants à passer le concours, mais nous renforçons également les recrutements latéraux, c’est-à-dire externes.

Ayant été beaucoup sollicitée pour autoriser des magistrats à servir dans d’autres organismes, j’ai fait recenser le nombre de professionnels dans cette situation : ils sont environ 250, certains étant hors juridiction depuis plus de dix ans, voire depuis une vingtaine d’années. Pour réduire les délais de jugement et répondre aux besoins en effectifs, nous avons donc entrepris, il y a quelques mois, de les inciter à revenir en juridiction.

En matière d’emplois, l’année 2013 a été essentiellement consacrée à la PJJ, non pour la privilégier, mais pour rompre avec la RGPP, qui avait conduit à la suppression de 8 % de ses effectifs en trois ans, soit plus de 630 emplois en moins entre 2008 et 2012. Nous en avons recréé 205 – essentiellement des éducateurs – de façon que la prise en charge des mineurs ayant affaire à la justice soit assurée dans les cinq ans.

Vous savez, en effet, qu’une prise en charge rapide est indispensable, non seulement pour ne pas donner un sentiment d’impunité à la personne ayant commis un acte répréhensible, mais aussi parce que les statistiques montrent que la réitération a lieu rapidement après le premier acte commis. Une prise en charge rapide permet donc de casser la dynamique qui entraîne les mineurs toujours plus loin dans la délinquance.

Compte tenu de la présentation du projet de loi de prévention de la récidive, nous faisons cette année un effort particulier en faveur des conseils d’insertion et de probation, sur lesquels pèsera l’essentiel du travail d’encadrement, de suivi et de surveillance du respect des obligations et interdictions, qu’il s’agisse de la contrainte pénale, des autres exécutions de peine en milieu ouvert ou du dispositif conduisant à l’examen de la situation d’un détenu aux deux tiers de l’exécution de sa peine.

Nous allons donc créer un millier d’emplois sur les trois ans à venir pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) : 400 dès 2014, puis 300 par an en 2015 et 2016. En outre, nous travaillons sur la diversification du recrutement, les méthodes de travail, les outils de prise en charge et d’encadrement, les référentiels métier. J’ai installé la semaine dernière un groupe de travail sur les SPIP. Nous réorganisons également ce corps à l’intérieur de l’administration pénitentiaire.

Sur le plan immobilier, 1 097 places en prison vont être livrées en 2014. Je rappelle que nous avons pris l’engagement de faire passer le nombre de places disponibles de 57 000 à 63 500, soit 6 500 en plus. J’entends bien, monsieur Huyghe, votre désapprobation à l’égard de ce que vous appelez « l’abandon du programme de création de 80 000 places de prison », mais il convient de souligner le caractère fantomatique de ce dernier, qui n’était pas financé.

On peut d’ailleurs faire pire qu’afficher des programmes non financés : lancer des programmes dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Certes, dans ce cas, l’État ne dépense pas un euro dans un premier temps, mais il fait porter sur deux générations le remboursement d’investissements qui auront triplé, voire quintuplé. C’est un choix que ce gouvernement ne fait pas : tout ce qu’il annonce est financé, dont la création de ces 6 500 places supplémentaires. Sans doute aurait-il fallu livrer de nouvelles places de prison dès le mois de juin 2012. Mais il faut tout de même prendre le temps de mener des études, de lancer des appels d’offres et de construire les bâtiments !

Dès cette année, nous avons procédé à d’importantes rénovations, comme à la prison des Baumettes – une centaine de cellules ont été entièrement refaites – ou à Fleury-Mérogis. Une tripale de 700 cellules va par ailleurs être livrée le 31 octobre. Le travail se poursuit donc à un rythme soutenu. En tout état de cause, dans la mesure où la politique pénale vient en amont de la politique carcérale, vous pouvez difficilement vous dire surpris par le phénomène de surpopulation carcérale.

Concernant l’aide aux victimes, je vous remercie, madame la rapporteure pour avis, de votre présentation et des éléments d’information que vous avez apportés. Nous menons une politique d’aide aux victimes très active, dynamique et attentionnée, comme en témoigne la progression des crédits qui y sont consacrés, de 25,8 % l’année dernière et de 9 % cette année.

Conformément à l’engagement qui avait été pris devant vous, nous avons ouvert une centaine de bureaux d’aide aux victimes pour la seule année 2013, ce qui porte leur nombre à environ 150. Dès le mois de juin 2012, j’ai confié à l’inspection générale des services judiciaires un audit sur leur ouverture et leur installation. À la suite de ces conclusions, nous avons substitué à la dotation forfaitaire initiale, une dotation modulable afin de proposer une réponse adaptée à chaque situation. Par souci d’efficacité, nous devons pouvoir procéder aux ajustements nécessaires, car les besoins ne sont pas identiques pour tous les bureaux. Pour certains, l’effort doit porter sur l’équipement ; pour d’autres, sur les modalités d’accueil. D’ici à un an, je demanderai une évaluation du fonctionnement de l’ensemble des bureaux. D’ores et déjà, les corrections que nous avons apportées sont de nature à améliorer leur efficacité.

Vous avez évoqué l’expérimentation en matière d’individualisation du suivi des victimes. La France doit transposer avant décembre 2015 une directive européenne établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité. Ses dispositions sont très intéressantes pour les victimes puisqu’elle leur ouvre de nouveaux droits et leur offre une meilleure prise en charge. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de lancer, avant même la transposition, une expérimentation dans quelques tribunaux de grande instance à laquelle 200 000 euros de crédits sont alloués.

La rémunération des greffiers n’a pas été revalorisée depuis dix ans, en dépit de plusieurs projets, et leur intégration dans le nouvel espace statutaire n’a pu aboutir, car celui-ci est contraire à leur statut. L’an dernier, tout en ayant bien conscience de l’injustice de cette situation, j’avais reconnu que nous ne pourrions pas faire d’effort en leur faveur avant 2015. Cette réalité est d’autant plus douloureuse pour moi que je dois constamment la répéter aux greffiers que je rencontre dans les juridictions et qui réclament légitimement un effort statutaire et indiciaire. En revanche, nous travaillons sur leurs conditions de travail. Environ 1000 greffiers sont actuellement en stage à l’École nationale des greffes ou dans les tribunaux, et devraient donc prendre leurs fonctions dans les juridictions d’ici à décembre 2014. Cela permettra d’améliorer la répartition de la charge de travail dans le corps des greffiers en attendant de pouvoir faire l’effort espéré.

Monsieur Le Bouillonnec, pour les agents de catégorie C, nous faisons un geste – modeste, j’en conviens – en accordant une prime de 219 euros nets. Je ne croyais pas, l’année dernière, que ce serait possible : c’est donc une bonne surprise.

Mme Axelle Lemaire. Vous avez déjà abordé de nombreux sujets qui sont au cœur des préoccupations du groupe SRC. Je tiens à vous féliciter pour les équilibres trouvés par le Gouvernement dans le budget de 2014, et, en particulier, pour les avancées concrètes que vous avez obtenues, madame la garde des Sceaux, dans un contexte qui, nous le savons, est très contraint pour nos finances publiques.

La justice est au cœur de notre combat. Les députés de la majorité sont profondément attachés à la défense des victimes, au respect des droits et libertés fondamentaux, à la garantie de la sécurité physique et juridique de tous. C’est donc avec une attention toute particulière qu’ils ont examiné ce budget.

On ne peut le comprendre sans avoir à l’esprit les budgets précédents, notamment le dernier exercice qui avait marqué la fin de l’application de la RGPP, dont les conséquences ont été, de l’avis unanime, désastreuses pour nos juridictions. Pour y remédier, 1 500 emplois seront créés sur la période 2013-2015, dont 500 dès 2013.

Cette année, le budget que vous nous présentez, en augmentation de 1,7 %, prévoit la création de 555 emplois, absolument nécessaires pour permettre à l’administration pénitentiaire et à la justice d’exercer correctement la mission qui leur est confiée. Pour autant, ce budget, ramené au PIB, classe la France au trente-septième rang sur quarante-trois en Europe, et ce depuis cinq ans. Cette situation oblige le Gouvernement à se livrer à un véritable exercice de rattrapage depuis l’année dernière.

Les sources potentielles de tensions au sein de la justice restent nombreuses, vous le savez, madame la garde des Sceaux, puisque vous vous efforcez au quotidien de les apaiser : atrophie des effectifs, notamment chez les magistrats et les greffiers, réforme de la garde à vue dont nous avons hérité et qui avait été très mal préparée, encombrement des juridictions, inquiétante surpopulation carcérale – il y aurait désormais 900 matelas à terre dans les prisons. Les dix années précédentes ont laissé une trace que deux exercices budgétaires ne peuvent suffire à effacer.

Une partie de la solution à l’ensemble de ces problèmes se trouve dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, qui a été présenté en Conseil des ministres et sera débattu l’année prochaine par notre assemblée. La première de ces solutions est l’individualisation des peines avec la suppression des peines planchers et du caractère automatique de la révocation des sursis en cas de nouvelle condamnation. Cette justice automatique, nous n’en voulons pas, ne serait-ce que parce qu’elle est contre-productive.

La seconde solution réside dans les peines alternatives à l’enfermement, dont nous savons qu’il n’est pas toujours efficace dans la lutte contre la récidive. Ainsi, la nouvelle peine de contrainte pénale, créée par votre projet de loi, pourra s’appliquer aux personnes majeures, auteurs des délits les moins graves – pour lesquels la peine maximale encourue est inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement. Cette nouvelle peine comportera des obligations et des interdictions : obligation de réparer le préjudice causé, interdiction de rencontrer la victime ou d’aller dans certains lieux, obligation de formation, de travail, de stage, ou obligation d’exécuter un travail d’intérêt général, de respecter une injonction de soins, etc.

Le budget de l’administration pénitentiaire prend en compte par avance cette réforme pénale que vous nous présenterez en avril. Ainsi, 432 nouveaux emplois seront créés, et plus de 3 milliards seront désormais consacrés à nos prisons.

Vous avez également annoncé la création de 6 500 places supplémentaires de prison d’ici à 2017. Enfin, des outils statistiques et informatiques accompagneront l’instauration d’un observatoire de la récidive.

Les citoyens connaissent mal leur justice, et y accéder peut relever du parcours du combattant. L’augmentation des crédits du programme « Accès au droit et à la justice » et de l’aide aux victimes est la preuve de l’importance que la majorité accorde à cette question.

En 2014, 165 bureaux d’aide aux victimes couvriront l’ensemble du territoire, après l’ouverture d’une centaine de ces bureaux en 2013. Animés par des représentants d’associations d’aide aux victimes locales et coordonnés par le juge délégué aux victimes du tribunal de grande instance, les bureaux d’aide aux victimes incarnent un service public des victimes à part entière.

Dans le même esprit, les députés socialistes ont été sensibles à la grande avancée du budget 2014, à savoir la suppression du droit de timbre de 35 euros. Cette taxe était une TVA judiciaire, et nous nous réjouissons de sa suppression.

Le groupe SRC soutient donc ce budget.

M. Gérald Darmanin. Le budget constitue un acte politique important, car il permet d’identifier les priorités du Gouvernement et de mettre à l’épreuve la cohérence entre les déclarations politiques et les actes qui en découlent. Force est de constater que la mission « Justice » n’apparaît pas, en termes budgétaires, comme une priorité de la politique gouvernementale, alors même qu’elle relève des missions régaliennes de l’État. Le budget connaît ainsi une quasi-stagnation entre 2013 et 2014, malgré vos belles promesses de campagne. Rien ne laisse donc penser que vous vous apprêtez à faire une réforme ambitieuse de la justice pénale.

En outre, la politique pénale que vous souhaitez mettre en place doit nécessairement s’accompagner de créations de postes. Le projet de budget prévoit la création de 555 postes, mais l’essentiel – soit 432 – en sera affecté aux services pénitentiaires, alors que de nombreux postes de magistrat seront toujours vacants au 1er janvier prochain. Nous avons compris que, cette fois, ce n’était pas la faute de SFR, mais celle de Nicolas Sarkozy.

Sur ce sujet, nous notons la création des 300 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour appliquer la réforme pénale que nous attendons en février 2014. Néanmoins, la création de ces 300 postes risque d’être bien insuffisante au regard de la situation actuelle et de vos ambitions.

Alors qu’actuellement un conseiller suit quatre-vingt-onze personnes, l’objectif, selon l’étude d’impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, est d’atteindre un ratio de quarante personnes par conseiller pour la libération sous contrainte. Cette même étude indique que, « suivant les scénarios envisagés, entre 3 600 et 10 400 personnes seront suivies en libération sous contrainte ». Ce seront donc autant de dossiers supplémentaires pour les conseillers pénitentiaires.

Sur ce sujet, vous ne pouvez d’ailleurs pas nous faire de leçon de morale, car l’ancienne majorité a augmenté les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation de 80 % entre 2002 à 2011.

Enfin, il est prévu la création de soixante-dix-huit postes pour renforcer les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse et de vingt-cinq postes de magistrats dédiés à la seule création du futur parquet financier. Cette réforme du parquet financier paraît tout à fait inopportune. Comme à votre habitude, vous réagissez avec excès à une affaire particulière – en l’espèce l’affaire Cahuzac – et en oubliez la vraie priorité : protéger les Français dans leur quotidien.

Vous souhaitez lutter contre l’engorgement des prisons. Mais vous vous attaquez aux conséquences du problème et non à ses causes. C’est bien l’insuffisance du parc immobilier pénitentiaire qui est à l’origine de la surpopulation carcérale, comme l’a d’ailleurs souligné, à plusieurs reprises, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls. Dans sa lettre à François Hollande du 25 juillet 2013 sur le projet de réforme pénale que vous portiez, dans le point 2 intitulé « Des désaccords sur le fond », celui-ci écrit : « la surpopulation carcérale s’expliquerait exclusivement par le recours “par défaut” à l’emprisonnement, et par l’effet des peines planchers. […] Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire ».

La comparaison avec nos voisins européens est à cet égard très parlante : en France, on compte 57 235 places de prison, pour plus de 68 500 détenus et 65 millions d’habitants ; au Royaume-Uni, ce chiffre est de 96 200 pour une population identique.

Pour remédier à cette difficulté, nous avions lancé un grand programme immobilier baptisé « 13 200 » sur lequel vous revenez largement.

Le problème ne tient donc pas au nombre de détenus, mais à l’insuffisance de places de prisons, et ce n’est pas la multiplication des peines alternatives à l’incarcération, parfois nécessaires, qui permettra de résoudre ce problème.

De plus, le raisonnement selon lequel la récidive sera limitée par la suppression des peines planchers et la mise en place de la contrainte pénale relève de l’angélisme idéologique et met en péril la sécurité de nos concitoyens. Vous aurez beau doter la mission « Intérieur » d’un budget important et accroître les effectifs de police, si la justice ne met pas en place les réponses pénales adaptées, cela n’aura aucun effet.

Par ailleurs, l’efficacité et la cohérence de la sanction sont d’autant plus grandes que celle-ci est rapide. Or, l’indicateur 3.4 du programme 166 relatif au délai moyen de mise à exécution montre bien que ce dernier ne cesse d’augmenter, qu’il s’agisse des peines de prison ferme ou des peines d’amende.

Enfin, l’aide juridictionnelle est le symbole de l’attitude de votre gouvernement, caractérisée par l’hésitation et l’amateurisme. Depuis que la droite a mis en place un droit de timbre de 35 euros, la gauche n’a cessé de hurler, considérant qu’il s’agissait d’un frein inacceptable pour ester en justice. Nous l’avons encore entendu ce matin. Mme Lemaire ne dénonce pas la hausse de la TVA au 1er janvier mais se félicite de la suppression de ce qu’elle qualifie de « TVA judiciaire ». Pourtant, cette contribution, en vigueur depuis le 1er octobre 2011, sert précisément à financer l’aide juridictionnelle dont bénéficient les plus démunis.

Ainsi, vous aviez promis de supprimer ce droit de timbre dès le PLF pour 2013 avant d’y renoncer, et de reporter la réforme à 2014. Vous allez, semble-t-il, présenter en séance des amendements à l’article 69, parce que Bercy n’a pas pu, ou pas voulu, les étudier avant. Quelle impréparation ! Pouvez-vous, madame la garde des Sceaux, nous apporter quelques précisions sur ces amendements ?

M. Michel Zumkeller. Le budget que vous présentez repose sur une conception de la justice que le groupe UDI ne partage pas et qu’incarne la réforme pénale annoncée. Cette réforme, comme le budget, est envisagée à travers le seul prisme de la lutte contre la surpopulation carcérale et laisse de côté les principaux enjeux de notre système pénal que sont la prévention de la récidive, la lutte contre la délinquance des mineurs ou l’exécution des peines.

L’exécution des peines a d’ailleurs fait, sous les précédentes législatures, l’objet de multiples rapports, sans que l’on enregistre d’avancées significatives : il faudrait commencer par disposer de données statistiques qui font encore défaut aujourd’hui. Les bureaux d’exécution des peines sont une très bonne chose, mais on attend toujours leur mise en place. Que comptez-vous faire en la matière pour les majeurs, mais aussi pour les mineurs, pour lesquels c’est la protection judiciaire de la jeunesse qui assure le suivi ?

En ce qui concerne les créations de postes, les 300 nouveaux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont principalement vocation à mettre en œuvre votre réforme pénale. À cet égard, le groupe UDI s’inquiète fortement du projet de contrainte pénale qui va à l’encontre de la nécessaire sanction et de l’indispensable réparation dans l’intérêt des victimes. Nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement.

Je partage l’avis du groupe UMP pour ce qui est des places de prison. Peut-être restait-il des places à financer sur les 80 000 prévues par la précédente majorité, mais cela n’a rien d’inhabituel. On ne fera pas l’économie de la création de nouvelles places de prison, ne serait-ce qu’au nom de la dignité humaine. Nous devrons trouver ensemble les moyens de les financer.

La suppression du droit de timbre a pour conséquence une baisse du budget alloué à l’aide juridictionnelle : nous ignorons comment vous comptez la compenser. Vous avez indiqué que vous feriez des économies. Pouvez-vous être plus précise ?

M. Sergio Coronado. La justice demeure une priorité du Gouvernement et du Président de la République, et cela est heureux en ces temps de forte contrainte budgétaire. À l’intention de M. Darmanin, je veux rappeler que le rapport de M. Raimbourg sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale a établi que l’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais réglé la question de la surpopulation. Ses conclusions n’étaient peut-être pas totalement consensuelles, mais, à l’époque de sa publication, loin de pousser les hauts cris, certains représentants de l’opposition avaient même exprimé leur assentiment. Il vaut donc mieux, sur le sujet, s’abstenir de toute polémique.

Madame la garde des Sceaux, l’année dernière, vous aviez eu des mots très durs et très justes contre les PPP qui hypothèquent notre capacité d’action et constituent une dette laissée aux générations futures. Je regrette que les positions et les engagements que vous aviez pris alors avec le soutien de la majorité ne se retrouvent pas complètement dans votre politique. La construction du tribunal de Caen fait ainsi l’objet d’un PPP.

Mais les PPP ne sont pas seuls à poser problème. Je pense à la gestion déléguée dans le cas du centre pénitentiaire de Beauvais.

Dans ses recommandations relatives au centre pénitentiaire des Baumettes, le contrôleur général des lieux de privation de liberté indiquait que celui-ci devait accueillir des détenus transférés d’établissements sous gestion déléguée, aux fins de « désencombrement », car un surcroît d’occupation dans ces établissements entraîne pour l’État le versement de pénalités. À cet égard, il serait utile de connaître le coût d’un détenu en fonction du type d’établissement – établissement en gestion déléguée, sous PPP, ou établissement public. Pour sortir de l’idéologie et pour la bonne information de la représentation nationale, il serait souhaitable de pouvoir quantifier sur des bases solides la dette laissée aux générations futures et ainsi établir l’irresponsabilité qui consiste à s’engager dans des PPP.

En ce qui concerne le calendrier de la réforme pénale, je suis, semble-t-il, moins bien informé que mes collègues Mme Lemaire et M. Darmanin. Pouvez-vous me préciser les dates d’examen de cette réforme que nous appelons de nos vœux depuis longtemps, pour rompre avec le « tout carcéral » et le « tout sécuritaire » de l’ancienne majorité. Sur ce sujet, vous savez pouvoir compter sur le soutien du groupe écologiste.

Enfin, je me félicite de la suppression du timbre fiscal, mais je m’inquiète du financement de l’aide juridictionnelle. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements que je serai ravi de retirer si le Gouvernement en présente en séance afin d’apporter des solutions en la matière.

M. Marc Dolez. Le groupe de la gauche démocrate et républicaine porte une appréciation nuancée mais plutôt positive sur le budget de la justice. Après une hausse significative en 2013, il connaît une légère progression pour 2014.

Nous nous félicitons de la suppression du timbre que nous avions réclamée dès le début de la législature en déposant une proposition de loi à cet effet. Quant à sa compensation, nous nous réjouissons que vous vous apprêtiez à renoncer à la démodulation de l’aide juridictionnelle, qui aurait pour conséquence de diminuer le montant de l’indemnisation des avocats dans 157 barreaux sur 161. Nous souhaitons que la concertation permette de trouver une solution juste, efficace et pérenne.

D’autre part, les emplois créés dans l’administration pénitentiaire seront affectés à l’ouverture de nouveaux établissements et à l’application de la future loi sur la récidive que nous soutenons. Ils ne pourvoiront pas aux postes vacants et ne compenseront pas les départs en retraite. Pourtant, la situation est très préoccupante dans de nombreux établissements pénitentiaires. Ainsi, le directeur de la maison d’arrêt de Douai a annoncé dans une note interne la mise sous tutelle budgétaire de son établissement.

Enfin, pour les services judiciaires, la création de postes de magistrats sera insuffisante pour pourvoir aux postes vacants et compenser les départs en retraite dans les trois prochaines années – respectivement au nombre de 400 et 1400. En outre, les budgets de fonctionnement des juridictions stagnent alors que nombre d’entre elles sont en situation délicate. Ces deux éléments font craindre une nouvelle dégradation du service public de la justice.

Le budget de la PJJ enregistre cette année une baisse inquiétante qui touche les structures éducatives. Quelles sont les conclusions de la mission d’inspection des services judiciaires sur les centres éducatifs fermés, que vous avez diligentée il y a plus d’un an ? Nous considérons que les emplois créés dans ces structures pourraient être plus judicieusement affectés à d’autres lieux d’accueil et de réinsertion.

Quels seront l’affectation et le type des emplois créés en faveur de la santé des mineurs ?

Sur les 297 emplois affectés à l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, 210 proviendront de redéploiements. Quels sont les postes concernés ?

Le Gouvernement a-t-il l’intention de continuer à signer des PPP, qui coûtent fort cher ?

M. Dominique Raimbourg. Madame la garde des Sceaux, trois indicateurs disent la difficulté de votre tâche : 80 % des personnes sortant de prison se trouvent actuellement sans suivi ; 57 % de cette même population sont à nouveau condamnés dans les cinq ans – cette condamnation n’est pas nécessairement prononcée en récidive et elle n’amène pas toujours les individus concernés à retourner en prison ; en moyenne, une cellule de maison d’arrêt est occupée par 1,64 détenu.

À la lecture de ces chiffres, la justice semble inefficace. Quant aux conditions de travail du personnel pénitentiaire, elles sont anormales, de même que les conditions de détention – qui sont même, parfois, indignes. Nous héritons de cette situation, même si les difficultés financières sont très anciennes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci de le reconnaître !

M. Dominique Raimbourg. La solution consistant à augmenter le nombre de places de prison a montré ses limites. Plus on a créé de places – et un réel effort a été consenti depuis dix ans en la matière –, plus le nombre de détenus a augmenté : il est passé de 48 000 à 68 000 sur la même période.

Comment rendre notre justice plus efficace ? Comment assurer des conditions de détention plus dignes ? Comment améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires ?

M. Philippe Goujon. Madame la ministre, dans la perspective de la future réforme pénale, vous envisagez l’automaticité de l’examen par le juge de la libération du condamné aux deux tiers de sa peine. En tenant compte des réductions de peines automatiques, cette mesure entraînerait la libération de 2 500 à 6 000 détenus. Vos services estiment que 40 % d’entre eux seront placés en régime de semi-liberté ou hébergés en placement extérieur. De quels moyens bénéficieront les centres de semi-liberté afin de faire face à un tel afflux ?

La Direction des affaires criminelles et des grâces a récemment publié un rapport consacré à la politique pénale qui montre qu’en matière d’exécution des peines les dysfonctionnements sont nombreux. Plusieurs parquets décident même de reports d’incarcération en raison du surpeuplement des prisons. Les bureaux d’exécution des peines se heurtent aussi à des difficultés. Quels moyens comptez-vous dégager pour résoudre ces problèmes ?

Pourriez-vous également nous donner quelques éléments sur l’état d’avancement du programme des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) – celle de Villejuif verra-t-elle le jour ? Où en est le chantier du TGI de Paris aux Batignolles ? Il semble qu’il soit suspendu. Que pouvez-vous nous dire de la prison de la Santé ?

Mme Colette Capdevielle. Le ministère de la justice travaille sur une réforme de la justice commerciale, et la création de huit postes de magistrats est d’ores et déjà prévue dans ce budget.

Le rapport d’information de nos collègues, Cécile Untermaier et Marcel Bonnot, sur le rôle de la justice commerciale, formulait en avril dernier trente propositions concrètes pour rénover l’organisation des procédures commerciales dans un souci de transparence et d’efficacité. Ce rapport propose notamment de « faciliter la procédure de “dépaysement” en l’accordant, de droit, aux parties qui la demandent », et d’ouvrir la possibilité pour les parties d’obtenir un jugement par une formation mixte.

Quelles propositions du rapport d’information envisagez-vous de retenir dans un futur projet de loi ? Selon quel calendrier ce dernier sera-t-il élaboré et examiné ? Quelles mesures financerez-vous en priorité ? Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer la situation de la justice commerciale ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la garde des Sceaux, pouvons-nous connaître, une fois pour toutes, la position du Gouvernement sur les partenariats public-privé ?

De nombreuses associations qui aident à la réinsertion des détenus ont du mal à renouveler leur agrément ou à obtenir des subventions. Elles effectuent pourtant, dans la plus grande discrétion, un travail particulièrement utile et tout à fait remarquable qui fait souvent intervenir d’anciens détenus et reste, en définitive, relativement peu coûteux pour les deniers publics. Quelles mesures comptez-vous prendre dans le budget pour 2014 afin qu’elles disposent de plus de moyens ?

L’année dernière, dès octobre ou novembre, certains établissements pénitentiaires n’ont plus reçu la part de dotation de l’État qui leur revenait. En conséquence, le paiement aux fournisseurs a été retardé. Au-delà des flux décrits dans le budget, se pose donc un problème d’ajustement de trésorerie qui n’est pas sans conséquence pour le secteur privé. Quelles dispositions prenez-vous afin que ces graves incidents ne se reproduisent pas ?

Mme Élisabeth Pochon. Ma question concerne le financement de l’enquête Violences et rapports de genre, dite « enquête VIRAGE », qui entend actualiser et approfondir la connaissance statistique des violences faites aux femmes et se propose d’étendre son champ d’investigation à la population masculine. Cette enquête quantitative de grande envergure concernera 35 000 personnes. L’opération de collecte est prévue pour 2015 en métropole, et ultérieurement dans les départements d’outre-mer.

Intitulé Violences et rapports de genre (VIRAGE) : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes, ce projet a d’ores et déjà reçu le soutien financier du ministère des droits des femmes, de la Caisse nationale des allocations familiales et de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité via le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance. Cette enquête qui s’étalera sur trois ans permettra de constituer des sources de données comparables à celles d’autres pays européens ; d’évaluer des politiques publiques engagées depuis l’enquête de violence envers les femmes de 2002 ; d’adapter la prévention aux réalités vécues par les deux sexes, et de faciliter le travail des associations qui se battent au quotidien contre ces violences.

Je salue à cette occasion l’observatoire des violences faites aux femmes de mon département de Seine-Saint-Denis, qui réalise depuis 2002 un travail remarquable et dont le modèle s’exporte même vers d’autres territoires – comme vers le Pays basque depuis août dernier.

Le ministère de la justice qui veut mieux protéger et garantir les droits des victimes pourrait-il soutenir financièrement cette enquête qui lui serait à ce titre très utile ? De façon plus large, elle serait bénéfique à tous ceux qui s’engagent dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Yann Galut. Pendant des années, la justice a vu son budget malmené, des postes ont été supprimés – notamment dans la lutte contre la délinquance économique et financière –, et les magistrats ont été mis en cause. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui rompt avec cette logique.

Les inconséquences passées expliquent la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement tant en ce qui concerne le nombre de magistrats que pour ce qui touche à leur situation matérielle. Ces questions se posent aussi pour les greffiers, pourtant si efficaces et utiles. Comment résoudrez-vous les problèmes auxquels nous continuerons de nous heurter dans les années qui viennent ?

M. Joaquim Pueyo. L’efficacité de la peine d’emprisonnement dépend essentiellement du niveau de sécurité des établissements pénitentiaires, de la qualité de la prise en charge, et de l’anticipation et de la préparation de la sortie des détenus – qui vise notamment à éviter les sorties sèches.

Madame la garde des Sceaux, le 3 juin dernier, vous avez présenté un dispositif de sécurisation des établissements pénitentiaires particulièrement ambitieux, afin de lutter contre les évasions, contre les projections de l’extérieur, d’empêcher l’introduction d’objets et de produits interdits, de rendre plus efficaces les brouilleurs de communications téléphoniques et d’améliorer le contrôle de la population pénale en utilisant notamment les techniques de pointe. Certaines mesures annoncées amélioreront les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des personnels. C’est le cas de l’installation des coûteux portiques à ondes millimétriques – 60 000 euros par dispositif – qui réglera en partie le problème des fouilles intégrales.

La sécurité générale des détentions est également liée aux modalités de prise en charge des détenus les plus signalés. Cela implique de mettre en place des formations adaptées et différenciées des personnels qu’il faut replacer au centre du projet d’exécution des peines. Dans les maisons centrales, où l’application d’un plan d’action spécifique est prévue, la pratique professionnelle des surveillants en contact avec les détenus dangereux doit être analysée. Qu’en est-il aujourd’hui de ce plan d’action des maisons centrales, et de la sécurisation des établissements pénitentiaires ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Madame la garde des Sceaux, l’aide juridictionnelle constitue pour le groupe SRC la garantie de l’égalité d’accès au droit. Le 4 octobre dernier, devant le Conseil national des barreaux, vous avez annoncé que vous présenteriez au Parlement un amendement afin de revenir sur la suppression de la modulation de l’unité de valeur qui sert de base à cette aide. Comment comptez-vous compenser la suppression de cette mesure, inscrite à l’article 69 du PLF, qui aurait rapporté 15 millions d’euros au budget de l’aide juridictionnelle ?

M. le président Gilles Carrez. Madame la garde des Sceaux, je me permets de vous faire part d’un sentiment personnel après que la commission des finances a été amenée à de nombreuses reprises depuis plusieurs années à examiner la question des PPP.

Si ces partenariats paraissent justifiés lorsque le service public donne lieu à un péage par l’utilisateur – comme c’est le cas pour le tunnel sous la Manche ou le viaduc de Millau –, la question est plus délicate lorsque les usagers ne peuvent être redevables d’un paiement et que l’État doit régler un loyer public – comme c’est le cas pour les hôpitaux ou les établissements pénitentiaires.

Sur le strict plan financier, les taux auxquels l’État emprunte aujourd’hui restant inférieurs à ceux consentis au secteur privé, il ne peut y avoir d’avantage à conclure un PPP.

On fait parfois intervenir d’autres types de considérations en affirmant que l’efficacité des partenaires privés serait supérieure pour la conception, la réalisation, voire l’exploitation des projets, mais rien n’a jamais pu me convaincre que ces missions ne pouvaient pas être gérées aussi efficacement au sein des services de l’État.

Mme la garde des Sceaux. Monsieur le président de la commission des finances, je suis heureuse de partager votre analyse sur les partenariats public-privé. La Cour des comptes a évoqué les dangers que fait courir le recours au PPP pour la construction d’équipements publics : il crée un différé de charges très onéreux. Pour un investissement initial de moins de 600 millions d’euros consacré à la construction du futur Palais de justice de Paris aux Batignolles, l’État déboursera au final 2,4 à 2,7 milliards d’euros ! Monsieur Goujon, le maître d’ouvrage a effectivement interrompu les travaux. La société de projet Arelia fait valoir que les banques hésitent à débloquer des financements en raison des incertitudes juridiques liées à la procédure entamée par plusieurs associations d’avocats. L’État ne peut intervenir au risque de voir le marché contesté par les soumissionnaires qui n’ont pas été retenus.

Plusieurs PPP sont déjà en cours au ministère de la justice qui concernent principalement des établissements pénitentiaires. Dix établissements ont fait l’objet de partenariats entre 2004 et 2008 : Lyon, Nancy, Béziers, Roanne, Poitiers, Le Mans, Le Havre, Lille, Nantes et l’établissement sud-francilien. En 2014, le total des loyers les concernant s’élève à 124 millions d’euros. L’année dernière, j’ai interrompu les projets qui pouvaient l’être sans pénaliser ni la capacité d’accueil à terme ni les intérêts de l’État. J’ai maintenu les lots des établissements de Valence et de Riom, ainsi que le projet de Beauvais ; ils étaient trop engagés pour que leur interruption ne coûte pas à l’État – le projet des Batignolles se trouvait d’ailleurs dans le même cas.

M. le président Gilles Carrez. L’exemple des Batignolles montre bien que l’argument selon lequel le PPP serait un gage de simplicité et de rapidité est contestable. Un grain de sable dans la machine – en l’espèce, c’est un contentieux – peut créer des conséquences en chaînes.

Mme la garde des Sceaux. J’en viens aux questions transversales, et d’abord à l’aide juridictionnelle. Je remercie ceux d’entre vous qui ont souligné la suppression du timbre que devaient acquitter les justiciables disposant d’un niveau de ressources inférieur à 924 euros pour bénéficier de cette aide. Incontestablement, il s’agissait d’une entrave à la justice pour des personnes vulnérables. C’est ainsi que, dans certains ressorts, l’année dernière, le recours à la justice a diminué de 10 %, ce qui est considérable s’agissant de contentieux liés à la fragilité économique. Ce timbre, d’un montant de 35 euros, était vraiment une mesure d’injustice sociale que je m’étais engagée à abroger. En raison d’un délai trop contraint pour trouver la ressource qui compenserait les 55 millions d’euros qu’avait rapportés ce timbre, cela n’a pas été possible dans le budget de 2013. Pour 2014, la compensation est assurée par un abondement du budget du ministère de la justice de 60 millions d’euros. C’est un effort du Gouvernement qu’il convient de saluer en ce qu’il réintroduit de la justice sociale et rouvre l’accès gratuit au juge pour les justiciables vulnérables.

Pour ce qui est de la démodulation, elle ne concerne nullement les justiciables. En aucune façon les critères d’accès à l’aide juridictionnelle n’ont été modifiés. La démodulation est une mesure d’harmonisation sur l’ensemble du territoire de l’unité de valeur qui permet de rémunérer les avocats pratiquant l’aide juridictionnelle. Cette unité de valeur était comprise entre 22,50 euros et 25 euros. Pour les uns, l’harmonisation se traduira par une amélioration de leurs revenus ; pour les autres, elle se traduira par une perte. Le Conseil national de l’aide juridique le dit et les avocats eux-mêmes en conviennent, aucun élément économique ne justifie de différencier l’unité de valeur sur le territoire. Le principe de l’harmonisation ne fait donc pas débat, ce qui n’est pas le cas pour le montant de l’unité de valeur. Si nous l’avions fixée à 25 euros, personne n’aurait su que nous avions harmonisé.

L’aide juridictionnelle est une vraie prestation de service public, et les avocats consentent à la pratiquer par engagement. Il convient donc de veiller à ce que leur rémunération soit correcte. Or on sait que l’aide juridictionnelle est fragile, et cela depuis le rapport Bouchet qui date de 2001. Depuis, six rapports ont été publiés, dont, en 2007, celui du sénateur Roland du Luart intitulé L’aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle. Tous ces rapports proposent des pistes de financement de l’aide juridictionnelle, tout à fait pertinentes pour certaines. Pendant huit mois, j’ai mobilisé mon cabinet et l’administration pour essayer de construire un financement solide et pérenne. Nous n’y sommes pas parvenus avant que le budget soit adopté en Conseil des ministres, ce que je regrette profondément. L’aide juridictionnelle est donc financée de la façon qui vous est présentée et que je me suis engagée à modifier au cours de la discussion au Parlement, par voie d’amendement. Cet amendement est rédigé, il devrait être déposé dans les délais prévus avant le débat public. Je ne saurai vous dire quand, car la règle veut que ce soit le ministère du budget qui le fasse. Je peux vous indiquer en substance qu’il prévoit de ne pas appliquer la démodulation en 2014, de récupérer les honoraires d’avocat auprès du succombant, c’est-à-dire la personne qui aura perdu le procès, et de demander au juge que le règlement de l’avocat ne soit pas inférieur à l’aide juridictionnelle. Ainsi, vous pourrez exercer votre mission de contrôle à propos d’un amendement dont on peut considérer, n’étant pas déposé, qu’il n’existe pas encore.

Nous avons repris les discussions sur des points techniques avec le CNB, qui a traversé une période transitoire. J’envisage de confier une mission à une personnalité pour consulter au-delà de la profession. Nous devons vraiment régler de façon stable et pérenne le financement de l’aide juridictionnelle – ce serait l’honneur du Gouvernement d’y parvenir avec l’aide du Parlement. Bien sûr, nous aurions pu procéder indépendamment de la profession, mais ce gouvernement a fait le choix de privilégier la concertation, de construire ensemble, et cela demande du temps. Or nous en avons peu devant nous, car les discussions sur le prochain budget vont commencer dans quatre ou cinq mois.

Autre question transversale, le projet de prévention de la récidive et d’individualisation des peines. Je n’ai cessé de dire, depuis le mois de juin 2012, avant même d’installer la conférence de consensus, qu’il ne s’agit pas d’un texte visant à réduire la surpopulation carcérale. Il a pour objet de prévenir la récidive, de donner un sens à la peine, de rendre efficace la sanction, de permettre la réinsertion. S’il a un effet sur la surpopulation carcérale, tant mieux, car celle-ci est préjudiciable à l’exercice professionnel des personnels pénitentiaires, qui font un travail considérable dans des conditions extrêmement difficiles sur l’ensemble du territoire. Elle est également préjudiciable à la réinsertion des détenus, dont il faut rappeler qu’ils finiront bien, à l’exception des condamnés à la réclusion à perpétuité, par sortir de prison. Dans l’intérêt de la société, mieux vaut que cette sortie se passe dans les meilleures conditions d’insertion.

L’objectif est de réduire les sorties sèches, dont M. Raimbourg a rappelé qu’elles atteignaient 80 %, alors qu’il est établi statistiquement, en France comme dans d’autres pays, qu’elles présentent des risques de récidive. Le Gouvernement se donne les moyens de l’efficacité en prenant dès aujourd’hui des dispositions d’accompagnement de ce projet de loi : création d’un millier de postes sur trois ans pour les services d’insertion et de probation ; réorganisation du ministère public sur la base des préconisations de la commission Nadal dont le rapport me sera remis fin novembre ; renforcement, engagé en 2013, des postes d’application des peines au siège et d’exécution des peines au parquet.

En vertu de la séparation des pouvoirs, il ne m’appartient pas de définir le calendrier d’examen du texte. Le Gouvernement a indiqué très clairement que, s’agissant d’un sujet extrêmement important, il n’envisageait pas de demander la procédure accélérée, non seulement par respect pour le Parlement, mais aussi parce que la navette parlementaire permet vraiment d’enrichir les textes. Il est important que les parlementaires fassent valoir toutes les réflexions qu’ils ont accumulées sur ces sujets depuis plusieurs années, même ceux de l’opposition qui ont signé des rapports de très grande qualité. Il ne faut pas tarder, car la situation actuelle est dangereuse pour la sécurité des Français. Plus nous tarderons à rendre la peine efficace et à faciliter la réinsertion, plus nous aurons à répondre du fait que cette situation aura duré. Pour autant, ce débat ne doit pas avoir lieu dans la précipitation. Je me déplace beaucoup sur le territoire pour expliquer le contenu du projet de loi, éviter les caricatures, les raccourcis et la déformation du texte. Il importe d’inciter la société à s’interroger sur le sens de la peine et l’efficacité de la sanction, et de faire en sorte d’en finir avec les discours sommaires, faciles et absurdes.

Les données statistiques posent en effet un souci, qui nécessite de réorganiser les systèmes permettant de les établir. Nous allons installer un observatoire de la récidive et de la désistance qui aura pour mission de produire des chiffres précis, construits indépendamment de toute tentation d’instrumentalisation. S’il apparaît nécessaire de disposer de chiffres clairs, ceux-ci ne devront pour autant pas être établis de façon photographique, mais plutôt dynamique, c’est-à-dire qu’ils devront permettre de suivre le parcours des personnes sur l’ensemble du territoire. Outre un système d’observation, nous organisons le traitement des données en matière pénale à travers l’interconnexion des données de la justice et celles de la police et de la gendarmerie. Les bases de données de la gendarmerie étant relativement semblables à celles de la justice, l’interconnexion est établie depuis juin 2013. Celles de la police sont très différentes, il faudra donc attendre décembre 2014.

Si nous disons que les sorties sèches aggravent les risques de récidive, la conclusion raisonnable à en tirer, c’est la nécessité de préparer la sortie en organisant un retour progressif à la liberté. Pour plus d’efficacité, nous avons décidé d’un rendez-vous judiciaire aux deux tiers d’exécution de la peine. Ce rendez-vous judiciaire sera préparé en amont par le conseil d’insertion et de probation. Il aura eu lieu devant une commission d’application des peines qui prononcera éventuellement une libération sous contrainte ou un maintien en détention. La contrainte pénale est bien une contrainte ; elle est même beaucoup plus contraignante que certaines mesures d’exécution de peine en milieu ouvert. Ces libérations sous contrainte pourront prendre des formes différentes, comme le bracelet électronique, le placement extérieur ou la semi-liberté. À cet égard, je me suis engagée à ouvrir 800 places supplémentaires au cours du quinquennat, mais il faut savoir que certains centres ne sont pas occupés en totalité pour des raisons territoriales. Nous travaillons sur le maillage du territoire, sur la typologie des bassins.

S’agissant des effectifs, je reviens sur ceux de la justice qui bénéficiera de 555 créations de postes, mais également des redéploiements que permettra d’opérer la poursuite de l’effort d’informatisation, tant sur le système CASSIOPEE que sur le casier judiciaire GENESIS, grâce auquel des postes seront dégagés. Les effectifs de la pénitentiaire feront également l’objet de 432 créations de postes et de redéploiements. Je vous ferai parvenir le détail des chiffres ultérieurement. Je suis en train de faire procéder au contrôle de l’exécution du budget 2013, même si l’année n’est pas terminée, pour dresser l’état des créations de postes. Il faut livrer une telle bataille budgétaire pour les obtenir que je ne suis pas disposée à les laisser non pourvus. Pour l’heure, je sais que le recrutement des magistrats rencontre des difficultés, les postes ouverts ne trouvant pas preneur. Je vous ferai établir un tableau précis et compréhensible de la situation.

L’inspection générale des services judiciaires a établi un rapport très intéressant sur les centres éducatifs fermés (CEF). Je vous le ferai également parvenir. La protection judiciaire de la jeunesse travaille d’arrache-pied sur la base de ce rapport pour améliorer la gouvernance et inscrire les CEF dans le parcours du mineur, c’est-à-dire dans toute la palette des réponses judiciaires à la délinquance des mineurs. Jusqu’à présent, on a plutôt tendance à y envoyer certaines catégories de mineurs sans qu’il y ait forcément correspondance avec la durée de la mesure de justice.

Nous allons traiter la justice commerciale en deux étapes. La première passe par la simplification. Plusieurs mesures tendent à faciliter la prévention dans le cadre des procédures collectives qui pénalisent fortement les entreprises et les emplois. La seconde étape sera la réforme de la justice commerciale, dont le texte sera totalement bouclé pour le mois de janvier 2014. J’ai mis en place des groupes de travail qui ont produit des rapports de qualité, dont celui de Cécile Untermaier et Marcel Bonnot. La matière de la justice commerciale recouvre des sujets quelque peu délicats. Si nous avançons bien avec la profession sur de nombreux points, l’échevinage sonne comme un gros mot pour certains et suscite beaucoup de réticences, même intervenant en appel.

Nous disposons des coûts à la journée pour les PPP, mais nous vous enverrons des chiffres plus fins.

Nous consacrons 1,4 million d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, dans laquelle le ministère est très engagé en termes de politiques publiques. Combattre le fort taux d’acceptabilité des violences dans la société passe par des campagnes de sensibilisation et d’information. Aussi avons-nous lancé plusieurs actions. D’abord, en chargeant l’École nationale de la magistrature de mettre en place une formation adressée aux magistrats, aux policiers, aux gendarmes et aux personnels des services sociaux, qui aura pour contenu la connaissance de la loi et des procédures, ainsi que la formation à l’accueil et à l’enregistrement des plaintes.

Ensuite, nous avons introduit, dans le texte sur l’égalité des hommes et des femmes porté par la ministre des droits des femmes, des dispositions contre le recours à la composition pénale dans les cas de violence domestique. Ceux-ci requièrent vraiment des sanctions et parfois une prise en charge de l’auteur en termes de soins et de formation. Avec la ministre des droits des femmes, nous avons également lancé une double mission de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration sur l’ordonnance de protection. Moi-même, j’avais mobilisé le Conseil national de l’aide aux victimes sur cette même question. Les rapports convergent pour augmenter, jusqu’à la doubler, la durée du prononcé de l’ordonnance. Elle pourra donc être de deux fois six mois.

Nous généralisons encore sur l’ensemble du territoire le téléphone de grand danger, après une expérimentation en Seine-Saint-Denis et dans le Bas-Rhin. Une autre expérimentation est en cours sur le très grand danger. Enfin, bien entendu, nous soutenons les associations d’aide aux victimes de violences conjugales.

Sur les 33 millions d’euros affectés au plan de sécurisation des établissements pénitentiaires, 9 ont été consommés au titre de l’exécution du budget de 2013 et 24 le seront au titre du budget de 2014. Ce plan permettra de renforcer les dispositifs de lutte contre les projections, tels que les filets ou les glacis, et de presque doubler le nombre des portiques à masse métallique dans les zones sensibles de tous les établissements, d’équiper vingt maisons centrales et maisons d’arrêt de portiques à ondes millimétriques.

L’exécution du plan est déjà bien engagée : l’échéancier est établi, les commandes sont passées et les établissements commencent à être équipés. Cela va permettre d’améliorer de façon substantielle les conditions de travail des personnels pénitentiaires, en allégeant les contraintes qui pèsent sur eux.

Je vous remercie pour la qualité et la densité de nos échanges, et je remercie également ceux qui ont posé des questions qui n’étaient pas exemptes de mauvaise foi – c’est la loi de l’exercice, et nous serions déconcertés si l’on venait à y manquer –, mais ne se départaient pas d’une certaine élégance.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie de vos réponses, madame la garde des Sceaux.

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À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, la Commission examine, sur le rapport de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis des crédits de la justice administrative et judiciaire, de M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis des crédits de l’administration pénitentiaire, de M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse et de Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis des crédits relatifs à l’accès au droit et à la justice et à l’aide aux victimes, les crédits de la mission « Justice » pour 2014.

Article 69 : Renforcement de l’équité en matière d’aide juridictionnelle

La Commission examine l’amendement n° II-CL2 rectifié de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Comme je l’ai annoncé lors de la commission élargie, nous sommes d’accord avec la suppression du timbre fiscal, mais opposés à la diminution de la valeur de référence du barème de l’aide juridictionnelle, et donc de la rémunération des avocats qui se dévouent pour assurer la tâche importante que représente l’aide juridictionnelle, qui concerne tous les barreaux. Nous avons pris acte de l’engagement de la ministre de la Justice selon lequel le Gouvernement déposerait, en réponse à la préoccupation exprimée par l’ensemble des groupes de la majorité, un amendement revenant sur le système de démodulation proposé ; je suis tenté de faire confiance au Gouvernement et retire donc mon amendement, en attendant l’examen de l’amendement gouvernemental en séance publique.

L’amendement n° II-CL2 rectifié est retiré.

M. Jean-Jacques Urvoas, président. Selon les informations dont on m’a fait part à ce stade, l’amendement en question pourrait être déposé dès demain.

Après l’article 69

L’amendement n° II-CL4 de Mme Nathalie Nieson est retiré.

Conformément aux conclusions de M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour la « Justice administrative et judiciaire », de M. Jean-Michel Clément pour la « Protection judiciaire de la jeunesse » et de Mme Nathalie Nieson pour l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes », mais contrairement à l’avis de M. Sébastien Huyghe pour l’« Administration pénitentiaire », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2014.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR
POUR AVIS

■ Justice administrative

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