N° 2261 tome VI - Avis de M. Jean-Noël Carpentier sur le projet de loi de finances pour 2015 (n°2234)


N° 2261

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2014.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2015,

TOME VI

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

PRESSE

Par M. Jean-Noël CARPENTIER,

Député.

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Voir le numéro : 2234, 2260 (annexe n° 32).

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES AIDES À LA PRESSE DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2015 7

I. LES AIDES À LA DIFFUSION PAPIER : 80 % DU TOTAL DES AIDES 8

A. DES PROPOSITIONS IMMINENTES SUR LA RATIONALISATION DU SCHÉMA DE DIFFUSION DE LA PRESSE 8

B. L’AIDE AU TRANSPORT POSTAL AU CœUR DES RÉFLEXIONS SUR L’AVENIR DU SOUTIEN À LA DIFFUSION 9

C. LE MAINTIEN DE L’AIDE AU PORTAGE DANS LE CADRE D’UNE NOUVELLE RÉFORME DE SES MODALITÉS D’ATTRIBUTION 10

D. UN MONTANT IMPORTANT DE COMPENSATION DE L’EXONÉRATION DE CHARGES PATRONALES POUR LES VENDEURS-COLPORTEURS DE PRESSE 12

E. LE MAINTIEN À UN NIVEAU ÉLEVÉ DE L’AIDE À LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE QUOTIDIENNE NATIONALE D’INFORMATION POLITIQUE ET GÉNÉRALE 13

F. UNE LÉGÈRE DIMINUTION DU SOUTIEN AUX DIFFUSEURS DE PRESSE PARALLÈLE À UNE ÉVOLUTION INCERTAINE DE LEUR RÉMUNÉRATION 14

II. LES AIDES AU PLURALISME : DES AIDES STABILISÉES APRÈS UNE LÉGÈRE RÉFACTION EN 2014 15

III. LES AIDES À LA MODERNISATION 16

A. L’AIDE À LA MODERNISATION SOCIALE DE LA PRESSE QUOTIDIENNE D’INFORMATION POLITIQUE ET GÉNÉRALE 16

B. LE FONDS STRATÉGIQUE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRESSE : DES CRÉDITS STABILISÉS PARALLÈLEMENT À UNE RÉFORME DU FONDS 16

1. La fusion des trois sections et les modifications de la gouvernance 16

2. Un ciblage accru des bénéficiaires 17

3. Un effort de ciblage des dépenses éligibles 18

C. UN RENFORCEMENT DE LA CONTRACTUALISATION 18

D. LA DOTATION DE L’AGENCE FRANCE-PRESSE ET LES ENJEUX DU FUTUR CONTRAT D’OBJECTIFS ET DE MOYENS 19

DEUXIÈME PARTIE : QUEL SOUTIEN À LA PRESSE À L’ÈRE NUMÉRIQUE ? 21

I. LA PRESSE FRANÇAISE FACE AU DÉFI DU NUMÉRIQUE 21

A. LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE : UNE CHANCE POUR LA PRESSE À CONDITION QU’ELLE SACHE ADAPTER SON OFFRE 22

1. Une offre à redéfinir 22

2. Une presse française en retard dans sa migration numérique 25

B. DES RÉSULTATS D’AUDIENCE ENCOURAGEANTS, UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DIFFICILE 26

1. Des données encore lacunaires sur la presse en ligne 26

2. Des chiffres d’audience très encourageants 27

3. À la recherche d’un modèle économique viable : l’aporie du « tout gratuit » 29

4. Vers un nouveau journalisme ? 31

II. QUELLE PERTINENCE DU MODÈLE DE SOUTIEN À LA PRESSE À L’ÈRE NUMÉRIQUE ? 31

A. UN SOUTIEN LARGEMENT CENTRÉ SUR LE PAPIER ET QUI A PU RETARDER LES ADAPTATIONS DU SECTEUR 31

1. Un soutien massivement orienté vers le maintien d’un modèle en voie de disparition 31

2. De récentes améliorations du soutien à la presse en ligne 33

a. Le bilan négatif du plan d’aide à la presse en ligne mis en place à la suite des États généraux de la presse écrite 33

b. Des mesures récentes d’adaptation de l’intervention publique 34

B. UN QUESTIONNEMENT SUR LA JUSTIFICATION DES AIDES À LA PRESSE À L’ÈRE NUMÉRIQUE 36

1. La nécessité de repenser la notion de soutien au pluralisme 36

2. Une interrogation sur la philosophie et les effets des aides à la presse 38

C. LE FONDS GOOGLE : UN PIS-ALLER QUI NE SAURAIT CONSTITUER UNE SOLUTION D’AVENIR 39

1. La genèse du fonds « Google » 39

2. La gouvernance 40

3. Les règles de répartition des fonds 40

4. Articulation avec les soutiens publics 41

5. Une expérience qui ne saurait tenir lieu de solution d’avenir pour la presse 41

TRAVAUX DE LA COMMISSION 45

I. AUDITION DE LA MINISTRE 45

II. PRÉSENTATION DE L’AVIS 45

III. EXAMEN DES CRÉDITS 72

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 75

INTRODUCTION

Après avoir décrit et analysé l’évolution des crédits en faveur de la presse dans le présent projet de loi de finances – c’est-à-dire les crédits du programme 180 de la mission « Médias », mais également ceux de l’aide au transport postal inscrits sur le programme 134 de la mission « Économie », le rapporteur a souhaité s’interroger sur la pertinence du modèle de soutien à la presse à l’ère numérique.

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 80 % des réponses étaient parvenues.

PREMIÈRE PARTIE :
L’ÉVOLUTION DES AIDES À LA PRESSE DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2015

Les aides à la presse, hors abonnements de l’État à l’AFP, passent de 284,5 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2014 à 260,1 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, en autorisations d’engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP). Ces montants incluent l’aide au transport postal qui, malgré le souhait de plusieurs rapports budgétaires parlementaires et de la Cour de comptes d’un regroupement sur le programme « Presse », a été basculée vers le programme 134 de la mission « Économie » en loi de finances initiale pour 2014. Il s’agit pourtant de l’une des principales mesures de soutien de l’État à la presse.

Programme 180 « Presse »

LFI 2014

PLF 2015

AE

CP

AE

CP

Aides à la presse

134 070 500

134 070 500

130 117 832

130 117 832

Sous action 1 - Aides à la diffusion

57 227 519

57 227 519

58 543 125

58 543 125

Aide au transport postal

0

0

0

0

Aide au portage de la presse

36 000 000

36 000 000

36 000 000

36 000 000

Exonération charges patronales pour les porteurs

21 227 519

21 227 519

22 543 125

22 543 125

Réduction du tarif SNCF pour le transport de presse

Sous action 2 – Aides au pluralisme

11 475 000

11 475 000

11 475 000

11 475 000

Aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires

8 655 000

8 655 000

8 655 000

8 655 000

Aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces

1 400 000

1 400 000

1 400 000

1 400 000

Aide à la presse hebdomadaire régionale

1 420 000

1 420 000

1 420 000

1 420 000

Sous action 3 – Aides à la modernisation

65 122 481

65 122 481

60 099 707

60 099 707

Aide à la modernisation sociale

11 322 774

11 322 774

7 000 000

7 000 000

Aide à la distribution de la presse

18 850 000

18 850 000

18 850 000

18 850 000

Aide à la modernisation des diffuseurs

4 000 000

4 000 000

3 800 000

3 800 000

Fonds stratégique pour le développement de la presse

30 949 707

30 949 707

30 449 707

30 449 707

Réserve parlementaire

245 500

245 500

   
         

Total crédits aides à la presse (hors AFP) Programme 180

134 070 500

134 070 500

130 117 832

130 117 832

         

Aide au transport postal crédits du programme 134 (mission « Économie »)

150 495 041

150 495 041

130 000 000

130 000 000

         

Total crédits budgétaires aides à la presse (hors AFP)

284 565 541

284 565 541

260 117 832

260 117 832

Source : Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).

Le programme « Presse » distingue les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation. Cette classification est d’une lisibilité et d’une pertinence toutes relatives. D’une part parce que l’ensemble des aides poursuit un objectif de pluralisme. D’autre part parce que le ministère de la culture et de la communication fait figurer parmi les aides à la modernisation des aides qui sont en réalité des aides à la diffusion (le soutien à Presstalis, à travers l’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale et l’aide à la modernisation des diffuseurs).

Au total les aides à la presse diminuent de plus de 9 % soit près de 24 millions d’euros. Cette baisse est pour l’essentiel imputable à la diminution de l’aide à la Poste que nous évoquerons plus bas dans ce rapport. Pour le reste l’État poursuit un soutien important à la presse, l’un des plus importants des pays européens.

Ces aides constituent de loin la principale catégorie d’aides directes au regard de leur montant (211,2 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances), soit plus de 80 % du total des aides budgétaires. Elles soutiennent financièrement les deux formes principales de vente de la presse : la vente au numéro dans les points de vente et la vente par abonnement, cette dernière s’effectuant soit par transport postal, soit par portage.

Le rapport pour avis de M. Michel Françaix sur les crédits en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2013 puis le rapport de mai 2013 piloté par M. Roch-Olivier Maistre sur la réforme des aides à la presse ainsi que le rapport de la Cour des comptes du 18 septembre 2013 ont constaté que le soutien massif à la distribution de la presse porte sur des canaux de distribution qui se concurrencent au lieu de se compléter et qui exigent un effort de rationalisation urgent dans le contexte d’effondrement de la diffusion papier (transport postal, réseaux de portage, réseaux de distribution de la presse quotidienne régionale, Presstalis, Messageries lyonnaises de presse).

Ainsi, la réforme des aides à la presse annoncée le 10 juillet 2013 ouvrait-elle un chantier capital concernant l’avenir de la distribution de la presse, dont les transformations doivent s’accélérer pour faire émerger un modèle plus solidaire et plus efficace au plan industriel.

Les ministres de l’économie et des finances, du redressement productif et de la culture et de la communication ont donc lancé le 22 novembre 2013 une mission d’expertise conjointe sur l’avenir du schéma de diffusion de la presse écrite. Confiée à l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC), à l’inspection générale des finances (IGF) et au conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEiet), cette mission était chargée, dans un contexte de diminution des volumes de presse achetée, de proposer des solutions visant à accroître la complémentarité entre les trois modes de diffusion (portage, postage et vente au numéro) et de réfléchir à l’évolution des relations commerciales entre la presse et la Poste après 2015. La mission a rendu ses conclusions, lesquelles seraient en cours d’examen par les ministres concernés.

Le rapporteur déclare n’avoir à ce jour aucune information précise quant aux évolutions envisagées mais se prononce pour une plus grande mutualisation des différents moyens de diffusion (cf. plus bas).

Inscrite dans le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », l’aide au transport postal n’en demeure pas moins, comme il a été indiqué précédemment, la principale mesure d’aide budgétaire au secteur de la presse.

Le transport et la distribution des journaux et revues périodiques par voie postale constituent en effet une mission de service public répondant à un objectif d’intérêt général dont la finalité consiste, aux termes des articles L. 4 et R. 1-1-17 du code des postes et des communications électroniques, à « favoriser le pluralisme, notamment celui de l’information politique et générale ».

La principale aide directe : l’aide au transport postal et l’accord tripartite de 2008 entre l’État, La Poste et les entreprises de presse
(extrait du rapport de la Cour des comptes du 18 septembre 2013 sur les aides à la presse)

« L’aide au transport postal consiste en un ensemble de tarifs préférentiels accordés par La Poste au secteur de la presse, en contrepartie desquels l’opérateur reçoit une compensation financière de l’État.

« Depuis une trentaine d’années, le dispositif repose, dans ses modalités concrètes, sur des accords tripartites entre l’État, La Poste et les éditeurs de presse, qui ont pour principal objet de répartir la charge financière afférente à ces tarifs préférentiels entre les trois parties prenantes. Les accords de juillet 2008 conclus pour la période 2009-2015 ont représenté une nouvelle étape vers une gestion plus saine du dispositif en prévoyant :

« – une baisse globale de l’aide de l’État sur la période 2009-2015, de 242 M€ en 2009 à 180 M€ en 2015, soit une diminution de 62 M€ (– 25 %) ;

« – une augmentation des tarifs de service public tenant compte de la spécificité de chaque famille de presse : une différenciation est ainsi faite entre la presse d’information politique et générale, au sein de laquelle les quotidiens à faibles ressources provenant de la publicité ou des petites annonces bénéficient d’un tarif encore plus avantageux, et les autres titres agréés, qui se voient appliquer une progression plus forte des tarifs jusqu’en 2015 ;

« – l’établissement d’une offre tarifaire « universelle », distincte des tarifs de service public et destinée aux organes de presse qui ne peuvent ou ne veulent pas bénéficier du régime des aides à la presse et des tarifs de service public qu’il prévoit ;

« – enfin, en contrepartie de la hausse progressive des tarifs de service public imposés au secteur de la presse au cours de la période 2009-2015, et grâce aux nouveaux efforts de productivité de l’opérateur, les accords prévoient la disparition du déficit d’exploitation au terme des accords (2015), La Poste étant en tout état de cause réputée faire sien tout éventuel déficit résiduel. »

L’accord entre l’État, les représentants des éditeurs et La Poste (« accord Schwartz »), conclu le 23 juillet 2008, précise les conditions de prise en charge, d’acheminement, de traitement et de distribution de la presse par La Poste du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015.

À la contribution annuelle, s’ajoutait depuis 2009 la compensation d’un moratoire sur l’augmentation des tarifs postaux de presse fixée par l’accord Schwartz, moratoire décidé à l’issue des États généraux de la presse écrite. Le gouvernement a annoncé le 10 juillet 2013 sa décision de mettre fin à ce moratoire. La compensation versée à ce titre à La Poste a été supprimée à compter de 2014 et les tarifs préférentiels octroyés aux éditeurs, bien que demeurant significativement inférieurs aux tarifs du service universel postal, connaissent un renchérissement progressif sur deux ans. Toutefois, un soutien transitoire et partiel de l’État est prévu afin d’accompagner la sortie du moratoire pour la presse d’information politique et générale, en 2014 (à hauteur de 1,6 millions d’euros) et en 2015 (pour un montant restant à déterminer).

Par ailleurs, un ajustement correspondant à une fraction (50 millions d’euros) de l’impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est opéré à compter de 2014 sur la dotation versée par l’État à La Poste au titre de l’aide au transport postal, sans impact sur les tarifs de transport de la presse. De ce fait, le montant des crédits inscrits au titre de l’aide au transport postal s’élève à 130 millions d’euros en 2015 contre 180 millions prévus par les accords Schwartz.

Comme l’indique la DGMIC en réponse au questionnaire budgétaire, « les dotations 2016 et 2017 fixées à 130 millions d’euros dans le triennal feront l’objet d’un réexamen durant les travaux préparatoires au projet de loi de finances pour 2016 ; en effet, rien n’est encore décidé sur l’éventuel soutien public au transport postal de la presse, à l’issue des accords Schwartz. »

Le fonds d’aide au portage de la presse quotidienne d’information politique et générale a été créé par le décret n° 98-1009 du 6 novembre 1998. Ses crédits étaient alors limités à un peu plus de 8 millions d’euros. À la suite des États généraux de la presse écrite, un plan triennal d’aide au portage a été lancé conduisant à une explosion des crédits du fonds, passés subitement à 70 millions d’euros en 2009 et 2010, puis 67,9 millions en 2011. L’objectif, qui était d’accompagner massivement mais ponctuellement la transition du postage vers le portage, n’a pas été atteint.

À la suite de ce plan triennal, la dotation du fonds a diminué tout en gardant un niveau élevé : 45 millions d’euros en 2012, puis 37,6 millions d’euros en 2013 et 36 millions d’euros en 2014. Dans le présent projet de loi de finances, la dotation du fonds est maintenue à 36 millions d’euros.

ÉVOLUTION DE L’AIDE AU PORTAGE

(en millions d’euros)

LFI 2008

LFI 2009

LFI 2010

LFI 2011

LFI 2012

LFI 2013

LFI 2014

PLF 2015

8,25

70

70

67,9

45

37,6

36

36

L’aide au portage a fait l’objet de nombreuses critiques. M. Michel Françaix, dans ses rapports pour avis sur les crédits en faveur de la presse dans les projets de loi de finances pour 2012 et 2013, puis la Cour des comptes dans son rapport du 18 septembre 2013 sur les aides à la presse, avaient dénoncé le manque d’efficacité de ce plan d’aide très coûteux et l’effet d’aubaine qu’il aurait entraîné pour certains éditeurs, notamment les éditeurs de presse quotidienne régionale ayant déjà massivement recours au portage. Il a également été observé que l’effort massif en faveur du transport postal consenti parallèlement n’avait pu inciter au « basculement » du postage vers le portage. Le rapport pour avis rendu par M. Rudy Salles sur les crédits en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2013 a pour sa part dénoncé l’effet d’aubaine lié à la prise en compte importante du portage collectif (portage de journaux par paquets notamment dans les hôtels et les aéroports).

La répartition de l’aide au portage est devenue un enjeu particulièrement conflictuel entre les éditeurs de presse quotidienne nationale et régionale.

Deux études ont dû être commandées par le ministère de la culture et de la communication en vue de définir des modalités plus satisfaisantes de répartition de cette aide. Une première étude a été réalisée en mars 2013 par le cabinet Arthur D. Little. Une seconde étude a été menée par le Cabinet Roland Berger en 2014.

Dans le cadre de la réforme des aides à la presse annoncée par Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, en juillet 2013, les conditions d’attribution de l’aide viennent d’être réformées par le décret n° 2014-1080 du 24 septembre 2014 avec l’objectif de la rendre plus incitative mais aussi de favoriser le portage multi-titres.

L’aide vise désormais les titres quotidiens ou hebdomadaires d’information politique et générale (IPG) et les publications qui apportent régulièrement des informations et des commentaires sur l’actualité de l’ensemble des disciplines sportives. Le nouveau dispositif, d’une complexité reflétant la difficulté à le calibrer, est divisé en deux sections :

– la première section soutient les éditeurs de presse pour le portage de leurs titres éligibles, en fonction du taux de progression du nombre d’abonnés portés (parmi l’ensemble des abonnés) entre l’année n-3 et l’année n de demande de l’aide ;

– la seconde section de l’aide soutient les réseaux de portage en fonction de la progression du taux de portage multi-titres (défini comme le portage de titres éligibles, édités par d’autres groupes de presse que le principal titre porté) entre les années n-3 et n.

Selon le ministère de la culture, « les coefficients affectés aux formules de calcul des deux sections de cette aide seront fixés par arrêté pour trois ans, afin de donner de la visibilité aux bénéficiaires, conformément aux préconisations des deux rapports remis en mai 2013 et mars 2014.

« Des mesures de transition entre 2013 et 2014 sont prévues afin d’accompagner et d’accoutumer les bénéficiaires de l’aide à son nouveau mode de calcul.

« Cette réforme doit permettre de répondre aux différentes critiques faites aux modalités en vigueur antérieurement. Le fait de se baser sur une évolution du portage prévisionnelle permet aux entreprises de presse de se fixer des objectifs et d’avoir les moyens de développer les structures du portage pour les atteindre. Ce mode de calcul permet aussi plus de prévisibilité et de visibilité pour les éditeurs sur l’aide qui sera perçue. Enfin, l’aide étant calculée sur le taux de progression du portage, seuls les titres dont le portage progresse en bénéficieront, ce qui permet d’endiguer l’effet d’aubaine constaté avec l’ancien mécanisme. »

Quoi qu’il en soit, l’efficacité de cette aide sera fortement conditionnée par l’évolution des distorsions importantes de coûts qui existent entre le transport postal et le portage, au détriment de ce dernier.

En complément de l’augmentation très importante de l’aide directe au portage, le soutien au développement de ce mode de distribution s’est traduit par l’adoption, en loi de finances rectificative du 20 avril 2009, d’un dispositif d’exonération de charges patronales des rémunérations des vendeurs-colporteurs et porteurs de presse afin de développer un réseau structuré de portage.

Cette exonération est applicable aux employeurs pour les porteurs de presse payante mais aussi pour les porteurs de presse gratuite, au titre de leur rémunération effective relative à l’activité de portage de presse.

Le montant de la compensation à la sécurité sociale par le budget général a été estimé pour 2014 à 21,2 millions d’euros (contre 16,9 millions d’euros en 2013). À compter de 2014, le coût de l’exonération a ainsi été revu à la hausse de façon importante par l’ACOSS. Cette augmentation répondait aux critiques répétées de sous-budgétisation de ce dispositif, qui obligeait à ouvrir des crédits complémentaires en gestion ou à procéder à des reports de charges sur les exercices suivants. Le montant de la compensation à la sécurité sociale par le budget général est estimé pour 2015 par l’ACOSS à 22,5 millions d’euros.

La dotation budgétaire pour l’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale est consacrée à la couverture d’une partie des surcoûts liés à la distribution des quotidiens et à la modernisation des structures de distribution de la presse quotidienne.

Presstalis (ex NMPP) est la seule société de messagerie qui distribue sur tout le territoire français les quotidiens nationaux d’information politique et générale, supportant à ce titre les contraintes logistiques et d’urgence spécifiquement attachées à cette activité.

La charge financière qui en résulte fragilise le système coopératif de distribution de la presse, qui repose sur une participation solidaire des éditeurs de quotidiens et de publications.

Les pouvoirs publics ont décidé de soutenir cet effort, dont dépend la pérennité de l’ensemble du système de distribution, en instituant l’aide à la distribution de la presse quotidienne d’information politique et générale en 2002.

Cette aide s’élevait à 11 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2009. Du fait de l’aggravation de la situation de Presstalis, l’État a décidé de majorer l’aide à 18 millions pour 2009, 2010 et 2011. De surcroît, au titre de l’année 2010, l’État a décidé de verser, sous la forme d’une aide exceptionnelle, une somme de 20 millions d’euros aux éditeurs de quotidiens nationaux.

En 2012, l’État a procédé à une avance sur l’aide à la distribution de 11,9 millions d’euros afin de soulager la trésorerie de Presstalis. Enfin, conformément à l’accord du 30 juillet 2012 sur le sauvetage de Presstalis, l’État a versé 5 millions d’euros supplémentaires à Presstalis en 2012 et 10 millions d’euros en 2013, par redéploiement de crédit au sein du programme 180 « Presse » de la mission Médias.

L’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale vendue au numéro en France sera dotée de 18 millions d’euros en 2015.

Depuis 2014, en plus du soutien à la distribution de la presse vendue au numéro en France, ce dispositif apporte également un soutien à la distribution de la presse à l’étranger, qui était auparavant soutenue par le fonds d’aide à la distribution et à la promotion de la presse française à l’étranger pour un montant fixé à 0,85 million d’euros en 2015.

La dotation globale est donc reconduite en valeur en 2015 à 18,85 millions d’euros.

Depuis plusieurs années, la vente au numéro est confrontée à une perte de densité et de qualité du réseau des points de vente et l’activité des diffuseurs s’inscrit dans un marché en forte érosion.

L’aide à la modernisation des points de vente de presse (modernisation de l’espace de vente, du mobilier et de l’informatique) instituée par l’article 134 de la loi de finances rectificative pour 2004 a été significativement renforcée à l’issue des États généraux de la presse écrite, passant d’un peu moins de 2 millions d’euros en 2008 à plus de 10 millions d’euros en 2009, 2010 et 2011, parallèlement à une évolution de ses modalités de calcul et d’attribution.

Pour l’année 2013 et 2014, le niveau de financement a été ramené à 4 millions d’euros, après une dotation de 6 millions d’euros en 2012. Pour 2015, cette aide subit une légère baisse pour s’établir à 3,8 millions d’euros.

Il convient de rappeler que l’objectif de la revalorisation de ce dispositif en 2009 était initialement d’accorder aux diffuseurs une aide d’urgence en attendant que les réformes du système de distribution permettent de dégager des marges nouvelles qui seraient réaffectées en bout de chaîne aux diffuseurs de presse sous forme d’une augmentation de leur rémunération.

Cette démarche a tardé à produire de premiers résultats. Une décision du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) en date du 1er juillet 2014 définit une nouvelle grille de rémunération simplifiée fondée sur une revalorisation de la commission moyenne perçue par le diffuseur de presse sur ses ventes.

Comme l’indique la DGMIC en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur, « cette augmentation devrait être comprise entre deux et trois points pour le réseau spécialisé sur la base de différents critères : lisibilité, représentativité, informatisation, géocommercialité, etc. En masse, cela représenterait un coût global supplémentaire de 27,6 millions d’euros pour les éditeurs, soit 1,7 % du coût de diffusion en l’état actuel des ventes. Néanmoins, tant le calendrier d’application de la nouvelle grille de commissions que les ressources nécessaires à cette augmentation restent à préciser. »

Il convient également de rappeler que l’année 2013 a vu la mise en place d’une aide exceptionnelle de 1,1 million d’euros ciblée sur les diffuseurs de presse indépendants et spécialistes les plus touchés par les conséquences du conflit social qui a débuté à l’automne 2012 à Presstalis et qui a entraîné plus d’une trentaine de journées de blocage de la distribution de divers titres.

*

Au final, le rapporteur constate et déplore la grande difficulté des éditeurs de presse papier à s’entendre pour améliorer la qualité et l’efficacité de leurs réseaux de diffusion. Il apparait pourtant clairement que des synergies sont indispensables dans ce secteur pour maintenir une activité papier en continuelle diminution. Les aides d’État ne pourront indéfiniment combler un manque de prise de décision de la part des acteurs de ce secteur. À ce stade le rapporteur estime que l’État devrait conditionner bien plus ses aides à la mise en place de ces synergies.

Les trois aides au pluralisme, qui mobilisent 11,48 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, soutiennent les titres de la presse d’information politique et générale qui présentent une fragilité particulière. Fait caractéristique de la politique d’aide à la presse, marquée par une extension des dispositifs, la mesure initiale qui s’adressait à la presse quotidienne nationale a été rapidement complétée par un deuxième en faveur de la presse quotidienne régionale et départementale, puis un troisième en faveur de la presse hebdomadaire régionale

– En 2015, l’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires se maintient à 8,66 millions d’euros.

Cette aide vise à soutenir les titres qui, du fait de leur positionnement éditorial, bénéficient structurellement de recettes publicitaires faibles. En 2015, comme en 2014, cette aide devrait bénéficier à huit titres (L’Humanité, La Croix, Libération, Présent, trois titres Play bac presse et L’Opinion).

– Le fonds d’aide aux quotidiens locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces, qui a pour objet de concourir au maintien du pluralisme et à la préservation de l’indépendance des titres concernés, est doté, comme en loi de finances initiale pour 2014, de 1,4 million d’euros dans le présent projet de loi de finances.

– L’aide à la presse hebdomadaire régionale est destinée à conforter les titres de la presse hebdomadaire d’information politique et générale dont le maintien est indispensable au pluralisme d’expression et à la cohésion du tissu économique et social. Le montant total des crédits alloués à cette aide en 2015 est maintenu à 1,42 million d’euros.

Compte tenu du poids écrasant des aides à la diffusion, les aides à la modernisation ne représentent que 37,45 millions d’euros sur un total de 260 millions d’euros d’aides. En réalité, sur ce montant, seuls les 30,45 millions d’euros du fonds stratégique pour le développement de la presse sont orientés vers le soutien à l’investissement, 7 millions étant consacrés au soutien à la résorption des sureffectifs observés dans les services de fabrication des journaux quotidiens.

À travers cette aide, mise en place par la loi de finances rectificative pour 2004, l’État apporte un soutien à la résorption des sureffectifs observés dans les services de fabrication des journaux quotidiens.

Les crédits ouverts en 2015 au titre de la participation de l’État au coût des départs anticipés pour la presse quotidienne nationale (PQN) et la presse quotidienne en régions ont été évalués à 7 millions d’euros et se répartissent entre la presse quotidienne nationale à hauteur de 2,8 millions d’euros et la presse quotidienne régionale et départementale (PQR et PQD) à hauteur de 4,2 millions d’euros.

Depuis 2006, 434 salariés de la presse quotidienne nationale ont adhéré au dispositif et 1 334 salariés pour la presse quotidienne en régions et en départements. L’entrée dans le dispositif est close depuis le 31 décembre 2011. À la fin de l’année 2014, le nombre d’allocataires s’élèvera à 116 pour la PQN et 244 pour la PQR et la PQD. Ce nombre continue de décroître progressivement.

Selon le ministère de la culture et de la communication, la réforme du fonds stratégique prévue par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse vise une plus grande efficacité des aides, un ciblage sur la presse d’information politique et générale et le recentrage des aides sur les projets innovants ou mutualisés.

Le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) était jusqu’à présent constitué de trois sections distinctes :

– la première section permettait de soutenir les opérations de mutation et de modernisation industrielles (imprimeries, systèmes rédactionnels), et correspond à l’ancien fonds de modernisation de la presse (FDM) ;

– la deuxième section était dédiée au soutien des projets de développement et d’innovations technologiques des services de presse en ligne. Le champ de ses bénéficiaires était jusqu’à présent très large, ce qui a contribué à limiter son efficacité ;

– la troisième section permettait de soutenir les projets de conquête de nouveaux lectorats (jeunes, publics à l’étranger) et ceux conduisant à une meilleure prise en compte des publics « empêchés » (en particulier dans les prisons, les hôpitaux, etc.).

Selon la DGMIC, « la distinction entre une section centrée sur les aides à la presse imprimée et une autre centrée sur la presse en ligne ne semblait plus pertinente compte tenu des mutations du secteur. »

Le décret du 23 juin 2014 procède à la fusion des trois sections décrites ci-dessus. Du fait de cette fusion, la procédure simplifiée pour les projets demandant moins de 50 000 euros d’aide au FSDP, jusque-là prévue uniquement pour la deuxième section, est étendue à l’ensemble des projets soumis au fonds. Dans le traitement de ces demandes, l’avis du comité d’orientation du fonds n’est pas nécessaire et la DGMIC s’est engagée sur des délais d’examen courts des dossiers. Le projet annuel de performance indique que cette modification devrait entraîner une forte augmentation du nombre de dossiers.

Par ailleurs, le comité d’orientation du FSDP est unifié et sa composition est modifiée, en particulier pour intégrer des personnalités qualifiées. La DGMIC indique que « par cette réforme, le Gouvernement a souhaité que l’ensemble des familles de presse se saisissent de l’ensemble des dossiers. Il s’agit également de bénéficier du regard de personnalités extérieures, disposant d’une bonne connaissance de l’innovation numérique, de l’imprimerie ou du financement de l’innovation ».

Un club des innovateurs a été créé au sein du comité d’orientation du fonds par le décret du 23 juin 2014. Il développe une fonction de veille technologique, économique et réglementaire et peut lancer chaque année des appels à projets innovants et mutualisés, dotés de crédits spécifiques prélevés sur ceux du fonds stratégique.

Comme l’indique la DGMIC, le soutien du fonds stratégique est désormais « plus nettement ciblé sur les publications de presse et services de presse en ligne d’information politique et générale et assimilés ».

Le décret de 2014 procède en particulier au ciblage du soutien du fonds stratégique en ce qui concerne les services de presse en ligne. En effet, outre les services de presse en ligne (SPEL) d’information politique et générale (IPG), le décret de 2012 rendait éligibles les projets des SPEL « qui développent l’information professionnelle ou les connaissances pratiques du public ou de catégories de publics, favorisent le débat d’idées et la diffusion de la culture générale ». Cette catégorie avait pu paraître trop large, ce qui avait donné lieu à un saupoudrage important des crédits et à des bénéficiaires discutables. Le rapporteur reviendra plus en détail sur ce ciblage dans la deuxième partie du présent rapport.

Les projets éligibles sont les projets de développement et d’innovation présentés par un service de presse en ligne, un titre ou une agence de presse éligible. Ces projets doivent représenter une innovation, augmenter la production, améliorer la forme rédactionnelle ou assurer le rayonnement de la presse française à l’étranger. Les projets collectifs ainsi que les projets innovants doivent bénéficier par priorité des aides du fonds.

Parmi les critères d’attribution des aides, on trouve la nature et la qualité du projet (notamment son caractère innovant), le coût net pour l’entreprise, l’ensemble des aides dont il bénéficie, l’effet du projet sur l’emploi et la fiabilité des informations présentées.

Le décret modifie les taux de subvention du fonds stratégique en cohérence avec l’objectif de soutien renforcé à l’innovation et à la mutualisation : le taux normal est de 30 % (40 % pour les projets mutualisés), 50 % pour les projets représentant une innovation à l’échelle de l’ensemble du secteur de la presse (60 % pour ceux de ces projets qui sont mutualisés).

Afin de répondre à la critique selon laquelle le fonds subventionnait encore trop le développement de capacités voire de surcapacités d’impression, à compter de 2016, les projets de développement et d’innovation comprenant l’acquisition ou la location de matériels liés à l’impression ne pourront bénéficier du soutien du fonds que s’ils justifient de l’absence de surcapacité d’impression répondant à des besoins équivalents dans la zone de production concernée. Les aides apportées en 2014 et 2015 à des projets ne remplissant pas cette condition sont dégressives.

Il convient de souligner que le décret modifie l’assiette des dépenses éligibles, pour y inclure les dépenses internes de développement informatique. Le décret de 2012 avait en effet exclu les dépenses de développement informatique lorsqu’elles n’étaient pas sous-traitées.

Le décret du 23 juin 2014 traduit également les évolutions de gouvernance des aides publiques à la presse présentées au Conseil des ministres du 10 juillet 2013.

Il devient obligatoire de conclure une convention-cadre avec l’État pour bénéficier des aides à la presse, lorsque leur total moyen annuel (sur trois ans) dépasse un million d’euros par an (aide postale comprise), contre un seuil de 1,5 million d’euros auparavant.

Le dispositif des conventions-cadres, mis en place depuis 2012 mais dont on peine à mesurer les effets, est donc généralisé à l’ensemble des principaux groupes de presse. Le ministère de la culture indique qu’« il doit permettre d’assurer un échange régulier entre l’État et les entreprises de presse sur leur stratégie et la façon dont le soutien public peut l’accompagner. »

Une faculté de suspension du versement des aides à la presse est mise en place pour les groupes ou éditeurs de presse qui ne respecteraient pas leurs engagements en matière de bonnes pratiques professionnelles. Le décret prévoit ainsi un processus graduel d’échanges entre l’État et l’éditeur concerné, qui peut aboutir, si l’éditeur ne se met pas en règle, à suspendre le versement d’une aide à la presse à laquelle l’éditeur aurait sinon droit.

Jusqu’en 2012, la relation financière entre l’État et l’AFP a pris la forme d’abonnements souscrits par les administrations au service d’information générale de l’Agence France-Presse (AFP). À la suite d’échanges avec la Commission européenne, qui a souhaité s’assurer que ces versements étaient conformes aux règles européennes en matière d’aide d’État, à compter de 2015, sera distingué d’une part le paiement des abonnements commerciaux de l’État et, d’autre part, la compensation des missions d’intérêt général de l’Agence, missions prévues dès la loi du 13 janvier 1957 portant statut de l’AFP et explicitées par la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

Pour ce faire, l’AFP et l’État sont en cours de négociation du prochain contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’Agence, qui entrera en vigueur en janvier 2015. Le futur COM précisera les missions d’intérêt général de l’Agence en leur associant des objectifs et indicateurs de suivi. Il fixera les modalités de compensation financière de ces missions, dans le respect des règles agréées avec la Commission européenne. Ces règles visent à éviter toute surcompensation financière. D’autre part, l’AFP est reconnue comme prestataire de l’État pour la fourniture de fils d’informations. L’État et l’AFP sont actuellement engagés dans une négociation commerciale, visant à moderniser la nature des services fournis aux administrations publiques. La convention d’abonnements entrera en vigueur au 1er janvier 2015.

Comme l’indique le projet annuel de performances, « le montant présenté en projet de loi de finances initiale pour 2015 est le montant maximum susceptible d’être versé à l’AFP sur ces bases. Ce montant a été retenu pour permettre à l’AFP d’élaborer de façon normale son plan d’affaires et son budget. Il s’appuie, d’une part sur la compensation estimée des missions d’intérêt général permettant un accompagnement dans les meilleures conditions de l’Agence sans surcompensation financière, d’autre part sur le paiement estimé des abonnements, sur la base des besoins identifiés et des règles tarifaires applicables. Le montant précis des deux lignes prévues par la nomenclature budgétaire sera fixé fin 2014 ou début 2015. La dotation de l’Agence est réévaluée de 2 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, afin d’accompagner l’Agence dans la mise en œuvre de son nouveau contrat d’objectifs et de moyens, levier de sa modernisation et de la consolidation de son rang d’agence mondiale. Par ailleurs, la convention d’abonnements entre l’État et l’AFP en cours de parachèvement prévoit le transfert des abonnements de l’État sur le programme 180. Un montant de 1 139 268 euros vient ainsi abonder la dotation AFP en PLF 2015, le reste des transferts étant attendu en gestion 2015. »

Une proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse a été déposée par Bruno Leroux, Michel Françaix, Patrick Bloche et plusieurs de leurs collègues le 17 septembre 2014. Ce texte donne une traduction législative aux évolutions de la gouvernance de l’AFP préconisées par le rapport remis au Premier ministre au printemps 2014 par Michel Françaix. Ce rapport a souligné la nécessité d’ouvrir la composition du conseil d’administration de l’agence afin de diversifier les points de vue qui s’y expriment, dans le strict respect de son indépendance. Il a donc proposé de réduire le nombre de représentants des éditeurs de presse et d’intégrer dans le conseil d’administration des personnalités qualifiées nommées par le conseil supérieur de l’agence après validation des assemblées parlementaires. En outre, la mission sur l’avenir de l’AFP a fait plusieurs propositions tendant à faire évoluer la composition du conseil supérieur de l’AFP, précisément pour mieux assurer son rôle de garant de l’indépendance, de l’impartialité et de la qualité du travail de l’Agence. Elle a repris à son compte l’idée d’allonger le mandat du Président-directeur général de l’agence de 3 à 5 ans et de renforcer les prérogatives de la commission financière de l’agence.

DEUXIÈME PARTIE :
QUEL SOUTIEN À LA PRESSE À L’ÈRE NUMÉRIQUE ?

L’impact de la révolution numérique sur l’accès à l’information et les médias traditionnels fait l’objet d’une littérature abondante dans le monde entier sans que personne ne soit aujourd’hui en mesure de définir ce que seront le paysage médiatique et les usages à moyen ou long termes. Le rapporteur n’a évidemment pas l’ambition de trancher ce débat mais a souhaité s’interroger sur la pertinence du modèle français de soutien à la presse dans le nouveau contexte créé par le numérique. Au préalable, il souhaite formuler quelques observations sur la situation de la presse française face au défi du numérique.

Avec Internet les médias et industries culturelles (musique, livre, cinéma, audiovisuel, presse…) font face à une profonde mutation. Les évolutions technologiques sont puissantes, irréversibles et exponentielles. Elles modifient profondément l’écosystème de ces industries.

Le secteur de la presse et du journalisme est donc lui aussi transformé. Les comportements de nos concitoyens sont dorénavant modifiés. Toujours friands d’information, ils veulent pouvoir la consommer partout et tout le temps. Il faut qu’elle soit rapide et crédible. Dans L’économie de la presse à l’ère numérique, Patrick Le Floch le rappelle : « l’arrivée des sites d’actualités casse les frontières traditionnelles des marchés de la presse, l’aire géographique de diffusion et la périodicité n’ont plus de sens ».

Même si les français doutent parfois de l’indépendance des médias face aux pouvoirs politiques et économiques, ils font toujours davantage confiance aux médias dits traditionnels comme la radio, la presse écrite puis la télévision. Le résultat du « baromètre » annuel réalisé par TNS Sofres pour La Croix du 4 au 7 janvier 2013 montre que la confiance dans les informations diffusées par les médias n’est que de 54 % pour la radio, 49 % pour la presse écrite, 48 % pour la télévision, 35 % pour Internet. Internet progresse mais sa côte de confiance demeure moins élevée.

Néanmoins il serait erroné d’en conclure que la presse ne peut progresser sur Internet. Bien au contraire l’un des enjeux majeurs pour le débat public et pour notre démocratie est qu’un journalisme de référence, à travers des titres de presse reconnus et crédibles, donne des repères aux lecteurs sur la toile qui est devenue un espace de débat public essentiel.

Le numérique est souvent présenté comme un facteur de déstabilisation pour la presse car il remet en cause les outils de production et de distribution mais aussi les modèles économiques et éditoriaux. Il est par ailleurs parfois rendu responsable de la crise de la presse alors que les spécialistes s’accordent à reconnaître que cette crise est bien antérieure à l’avènement du numérique, qui agit davantage comme un révélateur des fragilités de la presse française que comme une cause de ses difficultés.

Au contraire, à l’issue de quelque 28 auditions sur le sujet, le rapporteur souhaite faire partager la conviction que le numérique est avant tout une chance pour la démocratie, l’information du citoyen et le journalisme, à condition que ce dernier sache se réinventer. Comme l’a indiqué Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique, lors de son audition, c’est à un âge d’or du journalisme que nous assistons ou que nous devrions assister.

Comme l’indiquait le rapport d’information de juin 2011 de Patrick Bloche et Patrice Verchère sur les droits de l’individu dans la révolution numérique (1), « Internet constitue incontestablement un vecteur d’accès à des sources sans cesse plus riches et nombreuses d’informations pour tous, et pas seulement pour les journalistes. Il permet la révélation de faits auxquels les médias traditionnels n’avaient pas accès ou que, parfois trop prudents ou pusillanimes, ils s’interdisaient de publier. Avec une rapidité que ne permettaient pas les médias traditionnels, certains témoignages peuvent être apportés par des amateurs, depuis l’atterrissage d’un avion civil sur le fleuve Hudson jusqu’à la mort d’Oussama Ben Laden. Internet offre également à chacun la possibilité de s’exprimer, à travers notamment les réseaux sociaux, Twitter étant par exemple devenu un indicateur des sujets de préoccupation du jour, partout dans le monde. »

Désormais, au-delà la concurrence de la radio et de la télévision, en particulier des chaînes d’information en continu, certains sites Internet, réseaux sociaux et blogs peuvent légitimement revendiquer le statut de média d’information et entrent en concurrence directe avec les contenus de la presse. Avec l’émergence du web 2.0, c’est-à-dire d’un web participatif et où tout le monde est potentiellement producteur et diffuseur de contenu, les médias traditionnels se sentent parfois bousculés.

Il s’agit pourtant d’une évolution positive qui confronte en permanence les médias traditionnels au commentaire et à la rectification. L’interactivité offre en outre l’opportunité de mieux tenir compte des attentes des lecteurs. Le numérique suppose aussi de repenser complètement le traitement de l’information qui doit s’enrichir de contenus vidéos, infographiques et se voit imposer un rythme nouveau. Ce nouveau contexte d’hyperinformation met surtout le journalisme au défi de faire la différence par des contenus à forte valeur ajoutée et une déontologie impeccable.

S’il est acquis que la presse ne se définit plus par son support, elle doit se définir par sa qualité.

La demande existe et le rapporteur est convaincu que les lecteurs sont plus que jamais disposés à payer pour une information de qualité et à haute valeur ajoutée. Dans cette perspective, selon de nombreux observateurs, les journaux doivent se recentrer sur l’investigation, le décryptage, l’analyse et la pédagogie.

D’autant que dans le monde de l’hyper choix d’informations, de rumeurs et de contenus qui circulent sur le numérique, le filtre, les analyses et le travail de mise en perspective d’experts et de journalistes qualifiés sont sans doute plus indispensables que jamais. Or, la presse bénéficie de l’atout de marques fortes pour se différencier d’autres contenus dans l’univers numérique.

À ce sujet, le rapporteur fait sien le constat de Benoît Thieulin, dans une interview à Atlantico publiée le 9 janvier 2013 : « On ne peut parler de crise de la demande au moment où le public consomme autant d’écrits. (…) Le principal problème en France provient de l’offre. Les journaux, en particulier la presse écrite quotidienne, manquent de valeur ajoutée, notamment parce que l’information très chaude est relayée par d’autres médias comme les réseaux sociaux ou les chaînes d’info. Cette information-là ne constitue pas une valeur ajoutée suffisante pour que les gens achètent leurs journaux ».

Ce constat rejoint celui d’Alain Murray, ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal, dans une interview publiée dans La Croix, le 27 février 2014 : « Le modèle économique des médias était centré sur les revenus de la publicité. C’était elle qui importait plus que le lecteur. Les médias n’ont pas développé une approche orientée vers leurs clients et les besoins de leurs clients. Les journaux, par exemple, ne se souciaient pas tellement de leur audience. C’était une question annexe, qui venait après les revenus publicitaires. Maintenant, les médias sont amenés, acculés même, à se poser cette question centrale : quelle est la valeur de ce que j’apporte ? »

En ce qui concerne la prise en compte des attentes du lecteur, Michel Françaix faisait dans son rapport pour avis sur les crédits en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2013 la constatation suivante : « Les journaux ne se soucient par ailleurs pas assez du lecteur. On écrit trop pour ses confrères, pour le pouvoir politique, économique, voire pour les publicitaires, et l’on a tendance à s’adresser à un lecteur qui présente la particularité d’être un homme blanc de plus de cinquante ans, ce qui exclut l’essentiel de la société française du lectorat potentiel. »

Jean-Marie Charon, spécialiste des médias, entendu par le rapporteur le 22 juillet a également souligné la faible adaptation des contenus de la presse française aux attentes du lecteur, ce qui expliquerait qu’elle ait abordé le choc du numérique dans des conditions moins satisfaisantes qu’ailleurs.

Par ailleurs, les études font état d’une aggravation de la perte de confiance du public dans les médias comme le montrent le baromètre annuel réalisé par TNS Sofres pour La Croix, ou le sondage réalisé en décembre 2012 par le CEVIPOF pour le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui évaluait la cote de confiance des Français envers leurs médias à 23 %. Cependant, la confiance en la presse écrite est de 49 % contre 35 % pour internet.

Dans son rapport pour avis sur les crédits en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2013, Michel Françaix indique que « cette défiance s’explique par divers dérapages : manque de fiabilité, priorité donnée aux faits divers, pratiques peu respectueuses des personnes, dérives « people » du journalisme politique, recherche du scoop à tout prix, suivisme à l’égard de la concurrence et des puissants, cynisme et désinvolture… Quant aux causes de ces dérapages, elles sont elles-mêmes diverses : conditions de travail souvent difficiles, formation souvent insuffisante ou standardisée, paupérisation et précarisation croissantes des journalistes, concurrence exacerbée entre médias, travail dans l’urgence, pressions économiques, difficulté à rendre compte de dossiers toujours plus divers et plus complexes ».

Pour certains, cette crise serait en partie la résultante des évolutions dictées par le numérique : nouveau rythme de l’information imposé par internet, diversification et dérégulation des sources de l’information, au travers des blogs ou encore des tweets. La révolution technologique aurait une incidence sur la qualité des pratiques, avec une tendance à la diminution des vérifications ou à l’absence de référence aux sources et un amalgame croissant entre information, d’une part, et communication ou opinions, d’autre part.

Au contraire, le rapporteur est d’avis que le numérique permet aujourd’hui un meilleur contrôle des citoyens sur les médias et des médias les uns sur les autres, les erreurs étant plus fréquemment et plus rapidement relevées, ce qui peut contribuer à la perte de confiance. L’exigence de qualité à laquelle l’univers numérique soumet la presse n’en est que renforcée.

Face à ce constat, des initiatives citoyennes se développent comme la création spontanée du collectif « Les Indignés du PAF », le 7 décembre 2011. La mise en place, en 2012, d’un Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) témoigne également d’un besoin de répondre à la défiance croissante des publics. Dans son premier rapport, publié le 5 novembre 2013, cet observatoire relève les critiques les plus fréquemment formulées à l’encontre des médias, qui concernent les dérives à l’égard des bonnes pratiques professionnelles, qu’elles concernent le respect du droit ou celui de la déontologie et la « qualité de l’information » (superficialité, simplification, absence de contextualisation, etc).

Le ministère de la culture a lancé une réflexion sur la création d’une instance de régulation de la déontologie de la presse, comme il en existe dans de nombreux pays. En février 2014, Mme Marie Sirinelli, première conseillère à la sixième chambre de la Cour administrative d’appel de Paris, a rendu un rapport qui montre que le sujet est source de profondes divisions dans le secteur. Le rapport évoque par ailleurs les travaux de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) présenté comme une première étape très utile.

Même s’il est difficile de tenir des discours généralisateurs, plusieurs observateurs entendus par le rapporteur ont indiqué que la presse française avait pris du retard dans son développement numérique. C’est le cas de Patrick Eveno, professeur en histoire des médias à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, entendu par le rapporteur le 17 septembre et de Jean-Marie Charon, sociologue, président de la Conférence nationale des métiers du journalisme. Ces deux spécialistes observent notamment que la fusion des rédactions papier et web est moins avancée en France que dans d’autres pays comparables. Contrairement aux éditeurs français, la plupart des journaux anglo-saxons auraient déjà adopté la logique « web first » dans laquelle le numérique prime les autres supports.

Dans un premier temps, les grands médias traditionnels semblent avoir considéré le web comme une menace plus que comme une opportunité de renouveler le lien avec leur public.

Certains résultats de l’enquête lancée en 2010 par la DGMIC sur les services de presse en ligne confirment cette idée de manière frappante.

En ce qui concerne la création de sites de presse en ligne, une première phase de développement (1996-2001) a été liée à la bulle internet dont l’éclatement a entraîné une période de faible intensité de création de sites jusqu’en 2005. Les créations reprennent entre 2006 et 2008 mais ralentissent fortement en 2009 au moment de la crise, avant de reprendre en 2010.

L’enquête de la DGRIC montrait également que les effectifs des services de presse en ligne étaient encore en 2010 à un niveau très faible. « Le développement des sites de presse en ligne ne génère que peu d’emplois, aussi bien au niveau de la gestion et de la maintenance qu’à celui de la rédaction et des journalistes. » La DGMIC en conclut que « les éditeurs ne semblent pas mettre véritablement en œuvre les conditions nécessaires à un réel démarrage de l’activité. Les raisons en sont multiples : les éditeurs peuvent ne pas croire encore au développement de ce type de services, ne pas avoir les moyens d’accompagner ou de le mettre en œuvre, repousser les recrutements pour des raisons conjoncturelles, ou encore être déçus par les résultats obtenus malgré les moyens mis en œuvre. Toutes les entreprises de presse n’ont pas obligatoirement d’effectif dédié aux activités de presse en ligne : les salariés qui font vivre le site peuvent être intégrés dans une structure plus large, le site n’étant parfois considéré qu’en tant qu’activité éditrice « marginale » ou « secondaire » au sein de la société ».

Cette étude n’a malheureusement pas pu être actualisée par la DGMIC. Il serait pourtant intéressant de disposer d’éléments fiables sur les évolutions intervenues depuis.

Le rapporteur souhaite attirer l’attention sur la faiblesse des données fiables sur la presse en ligne, tant en matière de chiffre d’affaires que d’audience.

Le chiffre d’affaires de la presse en ligne est difficilement mesurable, et ce pour de multiples raisons. La principale de ces difficultés est d’ordre comptable. La plupart des entreprises de presse ne distinguent dans leurs comptabilités ni les charges ni les produits de leur activité liée à leurs services de presse en ligne.

S’agissant des charges, les frais de personnel et notamment ceux des journalistes ne sont pratiquement jamais isolés ou très rarement dans le cas d’une comptabilité analytique précise et élaborée dans ce but.

S’agissant des revenus, les formules d’abonnements liés à la seule consultation numérique du titre sont quasi-inexistantes et ne font de ce fait pas non plus l’objet d’une ligne comptable dédiée.

Certains éditeurs produisent des chiffres d’affaires précis mais quelques résultats individuels affichés ne peuvent en aucun cas refléter l’ensemble d’une situation et ne peuvent être invoqués qu’à titre d’exemple, positif ou négatif, selon le point de vue que l’on souhaite éclairant.

La DGMIC avait publié une enquête administrative en 2010 sur la presse en ligne. Interrogée sur son actualisation, le ministère de la culture indique que « l’enquête administrative annuelle lancée par la DGMIC sur les entreprises ayant pour activité un ou plusieurs services de presse en ligne ne produit pas à ce jour les résultats escomptés et ne fait pas encore l’objet d’une publication de résultats, tant ceux-ci restent peu satisfaisants en terme de qualité. L’activité elle-même n’est pas encore suffisamment inscrite dans la durée pour permettre l’obtention de résultats fiabilisés en terme statistique, domaine dans lequel la constance, la durée et la pérennité sont pour le moins nécessaire ».

En ce qui concerne les audiences, les mesures de fréquentation des différents supports dématérialisés mises en place par l’OJD 2 depuis 2001 se multiplient (applications mobiles, sites web et hybrides, web radios, applications tablettes...). La plupart de ces mesures se font sur la périodicité mensuelle de fréquentation, présentant des chiffres imposants, souvent supérieurs au million d’unités, rendant par le fait illisible toute comparaison de volume avec la presse écrite.

Comme l’indique la DGMIC, « en distinguant le nombre de visites totales du nombre de visiteurs uniques, en indiquant un ratio moyen de visites par visiteurs ou de pages vues par visiteur, sans pouvoir donner clairement un nombre moyen quotidien d’individus sur l’ensemble d’une année consultant tel ou tel site comme on le fait avec la diffusion des quotidiens et des magazines papiers, les résultats de ces mesures peuvent parfois laisser perplexe l’utilisateur moyen aussi bien que l’utilisateur averti. »

En dépit de ces limites méthodologiques, il apparaît que le numérique constitue une chance indéniable pour élargir et rajeunir l’audience. Les données dont on dispose montrent que les offres de presse en ligne sont très bien placées dans les différents classements, notamment par rapport aux offres de l’audiovisuel. Les tableaux suivants montrent que les sites les plus consultés en France sont ceux de la presse quotidienne nationale, devant ceux des autres médias que sont TF1, France Télévisions ou les sites de radio en ligne.

CLASSEMENT DES 20 PREMIÈRES APPLICATIONS MOBILE LES PLUS FRÉQUENTÉES
EN VISITES SUR LE MOIS DE JUIN 2014.

Rang

Applications mobile

Visites totales

Visiteurs uniques

Visites par visiteurs

1

Appli l’Équipe

103 182 782

2 651 840

39

2

Appli Télé-Loisirs

36 215 046

2 591 450

14

3

Appli La Chaîne-Météo

31 602 073

2 700 323

12

4

Appli Le Monde.fr

25 837 067

1 739 069

15

5

Appli LeParisien.fr

23 154 356

1 164 151

20

6

Appli Le Figaro

20 267 601

2 066 043

10

7

Appli Public

18 469 901

603 435

31

8

Appli Tele 7

18 005 842

1 367 262

13

9

Appli 20minutes.fr

14 177 041

949 879

15

10

Appli Europe 1

13 260 782

249 267

53

11

Appli Metronews

7 073 122

678 748

10

12

Appli NRJ

6 611 331

779 791

8

13

Appli Closer

6 604 627

361 360

18

14

Appli LePoint.fr

6 494 611

442 703

15

15

Appli Pages Jaunes

6 347 928

1 722 319

4

16

Appli RMC Sport

5 392 421

284 019

19

17

Appli BFM TV

5 000 556

528 153

9

18

Appli Sud Ouest

4 698 314

236 715

20

19

Appli Jeuxvideo.com

4 287 211

162 287

26

20

Appli Lexpress.fr

3 694 960

271 432

14

Source : juin 2014 OJD.

CLASSEMENT DES SITES WEB GRAND PUBLIC – JUILLET 2014

Rang

Titre

Famille

Visites totales

Pages vues totales

Pages vues / visite

1

Orange.fr

Portail / communautaire

373 207 102

2 949 743 610

7,90

2

Leboncoin.fr

Annonces

248 269 452

5 114 672 057

20,60

3

LeMonde.fr

Actualités / informations

66 028 666

270 341 159

4,09

4

L’Equipe.fr

Actualités / informations

65 625 994

411 614 437

6,27

5

Pagesjaunes.fr

Services

63 476 738

250 802 796

3,95

6

LeFigaro.fr

Actualités / informations

59 414 035

291 591 082

4,91

7

Jeuxvideo.com

Actualités / informations

53 414 261

414 859 072

7,77

8

Tele-loisirs.fr

Actualités / informations

49 258 756

176 280 590

3,58

9

Caisse-epargne.fr

Services

36 922 990

239 099 677

6,48

10

Doctissimo.fr

Portail / communautaire

31 922 404

107 292 092

3,36

11

LeParisien.fr

Actualités / informations

31 909 516

104 432 631

3,27

12

NouvelObs.com

Actualités / informations

31 531 433

117 252 938

3,72

13

Lachainemeteo.fr

Services

29 521 590

114 397 076

3,88

14

Boursorama.com

Actualités / informations

25 371 190

241 840 678

9,53

15

Bfmtv.com

Actualités / informations

22 079 225

69 218 492

3,14

16

20minutes.fr

Actualités / informations

22 032 228

96 267 389

4,37

17

Francetvinfo.fr

Actualités / informations

21 089 781

50 628 025

2,40

18

Lexpress.fr

Actualités / informations

21 005 651

62 754 010

2,99

19

Mappy.com

Services

20 287 454

133 368 002

6,57

20

Seloger.com

Annonces

17 337 657

165 402 248

9,54

21

Voila.fr

Actualités / informations

17 223 430

156 432 216

9,08

22

Liberation.fr

Actualités / informations

17 187 542

50 708 105

2,95

23

LePoint.fr

Actualités / informations

17 027 355

63 702 027

3,7

Source : enquête Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).

Tout l’enjeu est de « monétiser » ces bons résultats d’audience.

C’est un fait : alors que les revenus de la presse papier diminuent fortement, l’internet est encore une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse.

Selon la DGMIC, en 2012, l’ensemble du chiffre d’affaires lié aux services dématérialisés ne parvenait pas à dépasser les 5 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des 300 éditeurs de presse écrite les plus importants (4,5 %). Il réussit en 2013 à franchir la barre des 5 %, ce qui reste faible.

Il convient cependant d’affiner le commentaire de ce résultat d’ensemble par deux observations :

– les chiffres détaillés par catégories de presse montrent que la presse technique professionnelle et la presse gratuite d’annonces affichent des résultats remarquables, bien supérieurs à la moyenne observée (respectivement 19,7 % et 43,7 % en 2013).

– les forts résultats obtenus par ces deux catégories de presse ne représentent qu’un faible volume (respectivement 216 et 74 millions d’euros en 2013).

Les résultats obtenus par les autres catégories de presse restent modestes comme le montre le tableau suivant :

PART DE L’ACTIVITÉ INTERNET DANS LE CHIFFRE D’AFFAIRES

(en pourcentage)

Chiffre d’affaires presse

2012

2013

Info générale et politique nationale

2,17

2,7

Info générale et politique locale

0,30

0,38

Presse gratuite d’information

2,17

8,13

Presse spécialisée grand public

2,65

2,81

Presse spécialisée technique

16,11

19,68

Presse gratuite d’annonces

35,47

43,74

Ensemble

4,52

5,19

Source : Enquête Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).

Cependant ces faibles revenus sont à mettre en parallèle avec des coûts de fabrication et de distribution incomparables avec ceux de la presse imprimée.

Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire que le modèle économique de la presse en ligne est encore en formation : en seulement quelques années il a déjà changé plusieurs fois au gré des innovations technologiques et des implantations plus ou moins rapides ou réussies de nouveaux supports de lecture.

Comme l’indique très justement la DGMIC, ce modèle « ne se trouvera véritablement défini que lorsque l’ancien modèle concurrent de la presse papier aura cessé de s’imposer en tant que référent, que lorsque ses recettes de ventes seront établies et sécurisées ou totalement et définitivement abandonnées. Le règlement de ce dernier point est crucial en cette période de crise économique. Tout modèle de financement aura beaucoup de difficulté à s’imposer, du moins tant que la question de la « gratuité » le contraindra à se cantonner aux ressources des seules recettes publicitaires, dont l’inventivité au niveau du marketing semble sans limites. »

La plupart des observateurs reconnaissent que la presse ne pourra en effet pas trouver de modèle économique en ligne si elle n’opte pas pour des offres payantes, le paiement au click étant aujourd’hui considéré comme une des pistes les plus prometteuses. Face à la difficulté à monétiser leurs audiences par des recettes publicitaires, les éditeurs de presse en ligne optent de plus en plus pour des modèles dits « freemium » alliant contenus gratuits et premium payants.

En tout état de cause, comme l’a fait remarquer Edwy Plenel, secrétaire général du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) et en cohérence avec l’idée que le consentement à payer pour une information à haute valeur ajoutée existe, « il n’y avait aucune fatalité à la destruction de valeur sur internet. » En faisant le choix du tout gratuit, les entreprises de presse ont sans doute commis une erreur industrielle collective.

Le numérique modifie également la manière de « faire du journalisme ».

Pour les grands titres de presse la nécessité de réactualiser continuellement l’information exige de nouveaux moyens. Il faut notamment permettre la vérification des sources et renforcer les équipes de rédaction avec de nouveaux professionnels. Assurément un journalisme de qualité sur le Net nécessite que les éditeurs de presse consentent des investissements humains importants mais indispensables.

Internet permet aussi plus d’interactivité avec le lecteur, ce qui modifie le rôle du journaliste. À travers ce nouveau rapport entre le lecteur et l’information et des coûts d’investissement moins importants que dans la presse papier, Internet permet également l’émergence de nouveaux titres de journaux dit « pure players » qui se veulent plus indépendants des pouvoirs économiques et offrent assurément un ton différent et plus libre sur plusieurs sujets de l’actualité.

Le soutien de l’État à la presse demeure massivement centré sur la diffusion papier. En 2013, après avoir été fortement revalorisées, les aides à la presse en ligne atteignaient environ 20 millions d’euros sur plus d’un milliard d’aides publiques, directes et indirectes ! Dans le présent projet de loi de finances, les aides à la presse en ligne continuent de représenter une partie très faible (moins de 10 %) des aides budgétaires.

Face à ce constat, on ne peut que souscrire à l’observation de Michel Françaix dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2013 : « l’écosystème actuel continue à orienter l’essentiel de ses ressources vers le maintien de modèles anciens, indépendamment de toute réflexion sur leur finalité, leur pertinence et leur viabilité. »

Cette politique est vouée à l’échec dans un contexte où la mutation numérique apparaît inéluctable. Alors que le soutien à la diffusion papier s’est considérablement renforcé au cours de la dernière décennie, en particulier à la suite des États généraux de la presse écrite qui ont conduit à un doublement des dépenses budgétaires (324 millions d’euros en 2009 contre 165 millions d’euros en 2008 sur le programme « Presse », hors abonnements de l’État à l’AFP), la baisse de la diffusion papier s’accélère et la crise de la presse papier persiste et s’accroît.

ÉVOLUTION DE LA DIFFUSION TOTALE ANNUELLE DE 1985 À 2012

Source : DGMIC

Cette courbe montre sur une longue période le déclin de la diffusion de la presse papier (nationale, locale ou magazine). Elle montre clairement, puis le début des années 2000, une accélération de cette baisse qui atteint -25% de 2000 à 2012. Cette tendance à la baisse semble inexorable, et ce malgré les aides de l’État. C’est donc bien le modèle de la presse à l’heure du numérique qu’il nous faut interroger. Un système ancien disparaît, un nouveau apparaît.

Les rapports qui se succèdent sur les aides à la presse ne peuvent donc que souligner leur inefficacité, leur illisibilité mais aussi souvent, ce qui est plus grave, leur caractère contre-productif.

La Cour des comptes dans son rapport de 2013 observe que les aides ont insuffisamment incité les entreprises à engager leurs nécessaires mutations technologiques dans un contexte général marqué par le développement de la presse sur support numérique.

Lors de son audition par le rapporteur, Jean-Marie Charon, sociologue, a indiqué que les aides à la presse n’avaient pas eu les effets escomptés et avaient pu ralentir la modernisation du secteur.

De même, M. Francis Morel, président du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) auditionné le 22 juillet, a reconnu que l’État avait trop soutenu la dimension industrielle de la presse papier et notamment le développement des capacités d’impression au détriment du soutien à la presse en ligne.

Le rapporteur rejoint le constat dressé par Emmanuel Derieux dans son Droit des médias : « entretenant la presse dans un régime d’assistanat généralisé, ces mécanismes d’aides n’ont jamais réussi – et peut-être ne l’ont-ils pas véritablement cherché !—à entraîner de nécessaires réformes ou adaptations des structures, des contenus ou des modes de gestion ».

Le rapporteur est convaincu que le soutien massif à la presse papier est en partie responsable du retard de la presse française dans une mutation qui apparaît irréversible.

Le développement de la presse sur les supports numériques avait très justement été identifié par les États généraux de la presse écrite comme le premier chantier auquel cette dernière devait faire face. Cependant les actions mises en œuvre pour répondre à ce constat n’ont pas été à la hauteur des enjeux.

Tout d’abord, la presse en ligne est restée pénalisée par rapport à la presse papier par l’application d’un taux de TVA de 19,6 %, ce qui constituait un frein certain à la migration des abonnés vers le numérique.

Outre que le soutien à la presse est demeuré massivement centré sur le papier, les aides directes à la presse en ligne se sont heurtées à des défauts importants. À l’issue des États généraux de la presse écrite, un fonds d’aide au développement des services de presse en ligne (SPEL), doté de 20 millions d’euros, a été créé pour une durée de trois ans, succédant au fonds d’aide au développement des services en ligne des entreprises de presse créé en 2004, qui n’avait été doté que de 500 000 euros de 2006 à 2008…

M. Michel Françaix a dressé un bilan très négatif de ce fonds dans ses rapports pour avis sur les crédits en faveur de la presse dans les projets de loi de finances pour 2012 et 2013.

Il a relevé que cette aide n’était pas du tout ciblée sur les titres d’information politique et générale, ce qui a entraîné un saupoudrage très important de l’effort financier, lequel a bénéficié à un grand nombre de sites dont la contribution au pluralisme de l’information est plus que discutable tels que Hôtels & Lodges, velo101.com, le journal de la moto, Surfsession…

Dénonçant la prise en charge de dépenses de fonctionnement dans le cadre du fonds de modernisation (ancêtre du fonds stratégique pour le développement de la presse), dont l’objectif était d’aider à l’investissement, Michel Françaix a relevé que le fonds pour le développement des services de presse en ligne avait été exemplaire en la matière ! Les dépenses éligibles au fonds « SPEL » comprenaient certes des dépenses d’investissement (investissements en équipement et investissements immatériels notamment les dépenses de logiciels et de développement informatique, dépenses permettant la numérisation des contenus) mais aussi, et contrairement à l’objectif affiché de ciblage des seules dépenses d’investissement, des dépenses de fonctionnement, en particulier les salaires bruts des journalistes affectés au numérique. « Ont même été inclus dans le champ des dépenses éligibles les salaires des journalistes « réaffectés » du « papier » vers le « web », ce qui a donné lieu à un très important effet d’aubaine et gâchis d’argent public. Selon les informations transmises par la DGMIC, cette prise en compte des salaires des journalistes a donné lieu à « des demandes qui ont pu paraître abusives (basculement de l’ensemble d’une rédaction) ». En 2010, ces dépenses ont représenté 40 % du montant total des aides octroyées au titre du fonds « SPEL ». Le périmètre des dépenses éligibles a donc été corrigé à compter de 2012.

● L’application d’un taux de TVA super réduit aux services de presse en ligne

La première mesure dont se félicite le rapporteur est l’application, à compter du 1er février 2014, d’un taux de TVA super réduit de 2,1 % à la presse en ligne par la loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, issue de l’adoption à l’unanimité d’une proposition de loi présentée par MM. Bruno Leroux, Patrick Bloche et Michel Françaix.

Cette mesure, pour consensuelle qu’elle soit, n’en demeure pas moins contraire à la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA. La Commission a adressé à la France le 10 juillet 2014 une lettre de mise en demeure, première étape d’une procédure pré-contentieuse susceptible d’aboutir à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Dans sa réponse, la France fait valoir que l’application d’un taux de TVA super réduit à la presse en ligne lui paraît conforme au droit de l’Union européenne, notamment au regard du principe de neutralité fiscale. Parallèlement à la procédure contentieuse, la France doit poursuivre ses démarches de conviction auprès de ses partenaires européens et auprès de la future Commission, tendant à ce que cette dernière propose une révision de la directive précitée.

● Un ciblage accru du fonds stratégique sur les services de presse en ligne d’information politique et générale

Par ailleurs, comme il a été indiqué précédemment, le décret du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse procède au ciblage du soutien du fonds stratégique en ce qui concerne les SPEL.

Le décret de 2014 reconnaît comme éligibles les projets présentés par les SPEL d’information politique et générale (IPG) ainsi que des SPEL apportant des informations et des commentaires sur l’actualité nationale et internationale de l’ensemble des disciplines sportives, reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).

Ce resserrement de l’éligibilité des SPEL comporte deux amodiations :

– d’une part, alors que le décret de 2012 définissait l’IPG sur la base de l’article 2 du décret du 29 octobre 2009 sur les SPEL, le décret de 2014 se réfère à cet article ainsi qu’à la définition prévue à l’article 39 bis A du code général des impôts. Il s’agit d’une catégorie d’information politique et générale un peu plus large, et qui assure un parallélisme de traitement entre presse imprimée et presse en ligne ;

– d’autre part, le fonds demeure ouvert en 2014 et 2015 aux SPEL relevant de la presse technique, spécialisée, scientifique, culturelle ou contribuant au débat d’idées.

Cette catégorie est plus resserrée que celle énumérée par le décret de 2012 puisque les SPEL d’information pratique du public ne sont plus éligibles au soutien du fonds.

Le rapporteur se félicite de ce ciblage même s’il est souhaitable, comme l’a fait le ministère de la culture et de la communication, de lancer une réflexion sur la notion d’information politique et générale, en particulier à l’ère numérique.

En outre, le décret de 2014 rend inéligibles les projets portés par des agences de presse, SPEL ou entreprises de presse dont les crédits publics assurent une part déterminante du financement. Comme l’indique la DGMIC, « il s’agit de garantir la cohérence de la politique publique de soutien à un certain nombre de médias en excluant qu’ils soient susceptibles de solliciter des financements complémentaires auprès du fonds stratégique. » En pratique, le FSDP ne doit venir soutenir ni l’audiovisuel public, ni l’audiovisuel privé pour leurs sites de presse en ligne… Cette disposition pose la question des frontières entre les politiques en faveur de la presse ou de l’audiovisuel à l’ère de la convergence des contenus. En effet, les contenus numériques développés par les groupes audiovisuels publics ou privés comme France Télévisions, TF1, BFM ou encore les sites des radios entrent désormais en concurrence directe sur internet avec ceux de la presse, avec des contenus de plus en plus comparables faits de texte et de contenu audiovisuel, alors même qu’ils font l’objet de politiques et de modes de régulation parfois différents.

● Un recentrage du soutien du fonds stratégique pour le développement de la presse sur les projets innovants et mutualisés

Le rapporteur se félicite de l’effort de recentrage des subventions du fonds stratégique sur les projets innovants et mutualisés.

Comme il a été indiqué précédemment, le décret de 2014 précité vise également à répondre à la critique selon laquelle le fonds subventionnerait encore trop massivement le développement des capacités d’impression.

La politique d’aide à la presse trouve son fondement dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a reconnu à plusieurs reprises le fondement constitutionnel de cette politique publique, et plus particulièrement celui de l’objectif de préservation, et même de développement, du pluralisme de la presse. En parallèle, la liberté d’expression ou de communication, dans l’acception retenue par le Conseil constitutionnel, recouvre non seulement la liberté des journalistes ou de ceux qui possèdent ou contrôlent des publications, mais aussi celle des lecteurs.

Comme l’indique le projet annuel de performance, « conforter les conditions du pluralisme et de la diversité de la presse » reste l’un des objectifs stratégiques majeurs de la politique conduite par le ministère de la culture et de la communication en faveur de la presse.

L’avènement du numérique a fait basculer l’univers des médias de la rareté à l’hyperabondance. Contrairement à l’édition d’un journal sous format papier ou à la diffusion d’une chaîne de télévision, la création d’un site internet ne nécessite pas une infrastructure importante. Les barrières à l’entrée sont bien moindres et les opinions peuvent s’exprimer sans médiation, dans toute leur diversité. De ce fait, le rapporteur estime que la question du pluralisme ne peut donc plus se poser dans les mêmes termes.

Comme l’indiquait Marc Tessier dans un rapport de 2007 sur la presse au défi du numérique, « Dans ces conditions, pour l’information politique et générale, la question du pluralisme n’est plus posée en termes d’accès à l’information, puisque celle-ci est immédiatement disponible en ligne. L’enjeu du pluralisme sur Internet se situe donc davantage en termes de qualité de l’information en ligne. La difficulté consiste en effet à pouvoir identifier les informations fiables, vérifiées, traitées selon un processus éditorial et journalistique au sein d’une profusion et une confusion de contenus dont l’origine et les modalités de production sont bien souvent inconnues ».

Le rapporteur note à cet égard avec satisfaction que le ministère de la culture et de la communication a introduit le nombre de services de presse en ligne d’information politique et générale parmi les indicateurs du pluralisme dans le projet annuel de performances. De fait, alors que le nombre de titres d’information politique et générale est passé de 400 à 394 entre 2012 et 2015, le nombre de services de presse en ligne d’information politique et générale est en forte augmentation.

NOMBRE DE TITRES D’INFORMATION POLITIQUE ET GÉNÉRALE

 

Unité

2012 Réalisation

2013 Réalisation

2014 Prévision PAP 2014

2014 Prévision actualisée

2015 Prévision

2017
Cible

Nombre de titres d’information politique et générale

Nombre

400

390

400

392

394

396

Nombre de quotidiens d’information politique et générale

Nombre

87

85

84

85

86

87

Nombre de services de presse en ligne d’information politique et générale

Nombre

159

195

210

230

270

350

Source : Projet annuel de performances PLF 2015

Dans ces conditions, le rapporteur considère que le soutien au pluralisme des courants d’opinion comme justification d’une politique d’aide massive en faveur de la presse papier est largement affaibli. Il convient cependant d’accorder une attention toute particulière aux journaux à faibles recettes publicitaires qui perçoivent à ce titre des aides spécifiques.

Dans un secteur qui regroupe environ 2 200 entreprises et emploie 80 000 salariés dont 25 000 journalistes, les aides à la presse papier, sans améliorer réellement les conditions du pluralisme, ont en réalité induit une dépendance pour les éditeurs de presse mais également pour l’ensemble des acteurs chargés de la distribution et de la diffusion des journaux.

Dans ces conditions, compte tenu des enjeux sociaux et en l’absence d’efficacité des aides, le rapporteur estime que les aides à la presse imprimée obéissent largement aujourd’hui à une logique de soutien à un secteur industriel en difficulté.

Il note également que si les aides à la presse écrite sont fréquentes dans beaucoup de pays, leur niveau est plus élevé en France que dans la plupart des pays de taille comparable, où le soutien à la presse se limite à des aides indirectes, généralement un taux préférentiel de TVA. Il relève que les aides directes telles que nous les pratiquons en France sont d’ailleurs interdites par la loi fondamentale allemande et ne se concevraient pas dans les pays anglo-saxons au nom même de la liberté de la presse. Il observe que la presse étrangère, avec des systèmes d’aides moins généreux, ne se porte pas plus mal que la presse française.

Le maintien d’un système d’aide particulièrement généreux et sans efficacité contribue à nourrir les interrogations, voire le soupçon, sur les objectifs poursuivis. Pour Emmanuel Derieux dans Le droit des médias, les aides de l’État « paraissent parfois ne constituer, par l’octroi d’avantages et de privilèges, que le moyen, pour les responsables politiques, de tenter de s’assurer les faveurs d’une presse « faiseuse d’opinion » et constituant, en cela, un groupe de pression fort efficace et particulièrement choyé ».

Patrick Eveno, historien des médias entendu le 17 septembre par le rapporteur, note sur la durée une certaine réserve ou retenue générale de la presse à l’égard du pouvoir politique qui serait plus forte que dans d’autres pays. Il note également que les aides ont « déconnecté les titres de leurs publics ».

Francis Balle dans Médias et société évoque lui aussi les « risques auxquels est exposée l’indépendance des journaux, du seul fait de l’assistance économique consentie par l’État. Immanquablement, la dépendance des journaux s’accroît à mesure que les gouvernants acquièrent un droit de vie ou de mort sur leurs assistés. Et les liaisons entre la presse et les gouvernants ne peuvent manquer d’être suspectes et adultérines : on croit difficilement à l’indépendance d’une presse qui peut, à tout instant, se présenter en mendiante devant les gouvernants ».

Pour Edwy Plenel, auditionné le 17 septembre 2014, il est indéniable que les aides peuvent être « corruptrices de la vitalité de la presse ».

Sur la base de l’observation de l’évolution du profil des patrons de presse, le rapporteur note également comme d’autres observateurs qu’on n’achète plus aujourd’hui un titre de presse pour sa rentabilité mais pour l’influence politique, la notoriété, l’accès plus direct au pouvoir qu’il procure. Dans un tel contexte, les aides à la presse viennent hélas conforter des logiques d’influence plus que des logiques d’investissement au service du journalisme et de l’information du citoyen.

Si le sujet fait l’objet de débats, le rapporteur ne croit pas en l’avenir de la presse papier, du moins en ce qui concerne la presse quotidienne d’information politique et générale, au cœur du dispositif de soutien public à la presse. Le papier ne mourra peut-être pas complètement mais demeurera sous une forme résiduelle.

Compte tenu de l’ensemble des éléments évoqués précédemment, le rapporteur estime que la question d’une suppression progressive des aides directes à la presse doit désormais être posée, avec bien entendu un accompagnement social indispensable dans un secteur qui emploie plusieurs milliers de personnes notamment dans l’imprimerie et la diffusion.

Google, comme les autres moteurs de recherche Internet, utilise des contenus produits par la presse sans les rémunérer. Il en tire pourtant lui-même des revenus publicitaires (bannières, mots-clés achetés...).

S’inspirant d’un projet de loi allemand surnommé « lex Google », l’association des éditeurs de presse d’information politique et générale (association IPG) s’est constituée en mai 2012 avec l’objectif d’obtenir la création d’un droit à rémunération au profit des éditeurs et agences de presse en cas d’utilisation, à des fins commerciales, des contenus de leurs sites d’information, sous forme d’indexation ou de référencement par un moteur de recherche. Les éditeurs de presse italiens, portugais et suisses se sont associés à la démarche de leurs homologues français et allemands.

Des négociations confidentielles entre Google et l’AIPG ont été engagées durant deux mois sous les auspices d’un médiateur nommé et rémunéré par l’État, M. Marc Schwartz, ancien membre de la Cour des comptes, associé du cabinet Mazars, le Gouvernement menaçant de légiférer pour créer un droit voisin aux droits d’auteur en faveur des éditeurs et agences de presse, sur le modèle allemand.

Au terme de ces discussions, un accord de principe a été signé en présence du Président de la République et du président de Google, M. Éric Schmidt, le 1er février 2013. Le détail de ces négociations entre Google et l’AIPG ont définitivement abouti le 13 juin 2013.

Malgré la demande du syndicat de la presse d’information indépendance en ligne (SPIIL), cet accord reste à ce jour non publié, bien que signé à l’Élysée, sous l’égide du président de la République. Selon la DGMIC, « l’État n’étant partie prenante ni aux négociations, ni à l’accord, et celui-ci étant revêtu d’une clause de confidentialité, l’administration n’a pas connaissance de son contenu. » Il apparaît toutefois que l’accord trouvé entre Google et l’AIPG comporte deux volets :

– la mise en place d’un fonds abondé par Google d’un total de 60 millions d’euros pour « faciliter la transition de la presse vers le monde numérique ».

– la mise en place d’une coopération en matière de régie publicitaire en ligne.

Selon le ministère de la culture et de la communication « le fonds Google constitue ainsi une initiative privée entre cette firme et certains éditeurs de presse. Il ne se substitue donc pas à l’action des pouvoirs publics en matière d’accompagnement de la transition numérique de la presse écrite ».

Le fonds « Google », rebaptisé fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), a été mis en place au second semestre 2013. Il est dirigé par les parties prenantes à l’accord, à savoir l’AIPG et Google. Il comporte une présidence tournante : M. Carlo d’Asaro Biondo, PDG de Google (Mme Béatrice de Clermont-Tonnerre est sa suppléante), et Mme Collin, présidente sortante de l’AIPG (M. Bouchez est son suppléant). Au conseil d’administration siègent également MM. Morel et Feuillée pour la presse (MM. Viansson-Ponté et Lesouëf à titre de suppléants), aux côtés de trois personnalités extérieures : M. Stéphane Ramezi (de l’INA), Mme Marie-Christine Levet (du fonds d’investissement Jaïna Capital) et M. Mats Carduner (dirigeant de la firme d’analyse marketing en ligne Fifty-Five). La composition de ce conseil d’administration devrait prochainement évoluer compte tenu du départ de Mme Collin du Nouvel Observateur. M. Ludovic Blecher, anciennement responsable du numérique chez Libération, entendu le 23 juillet par le rapporteur, a rejoint le FINP comme directeur.

Le conseil d’administration attribue le soutien du FINP après examen des dossiers présentés par les sites de presse en ligne.

En 2013, sur 39 projets présentés devant le FINP, 23 ont été retenus pour un total de 16,4 millions d’euros. Le FINP a publié les montants perçus au titre de chacun de ces projets.

Les règles de répartition ne sont pas publiques mais il ressort tant des informations publiées par le FINP que des échanges entre le ministère de la culture et de la communication et ce dernier, que certains critères ont pu être communiqués.

Seuls sont éligibles les services de presse en ligne d’information politique et générale, agréés par la CPPAP, bimédias ou tout en ligne (« pure players »). Les projets doivent être récents (mis en place après le 1er janvier 2013). Sont éligibles « les projets éditoriaux numériques, de développement d’audience numérique, de monétisation et de développement technologique permettant l’innovation des sites de presse en ligne d’information politique et générale et l’accélération de la mutation vers le numérique, et sur tous les supports (internet, smartphones, tablettes, TV connectées…). » Les critères d’analyse des dossiers sont notamment la viabilité économique, la capacité de mener le projet à bien. Sont éligibles l’ensemble des dépenses du projet : investissement, prestations extérieures et exploitation, y compris les salaires de journalistes et techniciens. Un plafond de 2 millions d’euros et 60 % des dépenses engagées est applicable. En termes de versement, une première avance de 30 % du montant de l’aide est consentie sans devis ni facture.

Le fonds Google – AIPG ne doit pas interférer avec le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), principal outil de soutien de l’État à l’investissement dans le secteur. Dans le cadre de la réforme du FSDP, intervenue avec le décret du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse, une nouvelle disposition a été introduite dans le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012, qui a créé le FSDP. Cette disposition permet de demander qu’un soutien éventuel du Fonds Google soit mentionné dans le formulaire de demande au FSDP, puis de ne pas accorder le soutien du FSDP à un projet ayant bénéficié du FINP. Réciproquement, le FINP indique s’interdire de soutenir un projet ayant reçu le soutien du FSDP.

Plusieurs acteurs en particulier le SPIIL et la fédération nationale de la presse spécialisée ont critiqué la règle d’exclusivité du fonds au profit des seuls sites IPG reconnus comme tels par la CPPAP.

En septembre 2013, le SPIIL a dénoncé des risques de distorsion de concurrence et de conflit d’intérêt estimant que :

– les règles de confidentialité, même strictement appliquées, n’empêchent pas que les administrateurs du fonds aient accès à des informations commerciales stratégiques sur leurs concurrents, ce qui serait contraire aux principes mêmes du droit de la concurrence ;

– les critères d’éligibilité et de fonctionnement laissent place à une marge d’interprétation qui ne garantiraient pas l’égalité des demandeurs ;

– même s’il est précisé que « les projets financés par le fonds n’ont aucune obligation d’utiliser des produits Google », rien ne garantit que l’utilisation, ou non, de ces produits n’aura pas d’influence sur l’appréciation du caractère « innovant » du projet. Aux risques d’entente horizontale, s’ajouteraient donc des risques d’entente verticale ;

– enfin, la composition du conseil d’administration présenterait un risque de conflits d’intérêts par le seul fait qu’y dominent les principaux bénéficiaires du fonds.

Le rapporteur relève toutefois que le fonds Google a constitué une solution pragmatique et astucieuse d’autant que la « lex Google » allemande, adoptée le 1er août 2013, présente un bilan négatif.

La lex Google

Cette loi oblige pour un an les agrégateurs ou moteurs de recherche commerciaux à reverser des commissions aux éditeurs pour l’utilisation d’articles d’actualité, les éditeurs devant à leur tour rémunérer les auteurs de ces articles.

La loi a un champ étroitement circonscrit : seules sont visées les utilisations commerciales par les moteurs de recherches et d’autres agrégateurs de nouvelles (à l’exclusion, donc, d’utilisations par des personnes privées ou des blogueurs) ; en outre, les courts extraits des textes et les citations ainsi que les liens ne font pas partie de ce droit et sont toujours libres.

Surtout, Google a mis en place avant l’entrée en vigueur du texte un système d’option (opt-in) pour les éditeurs de presse qui veulent figurer gratuitement sur Google News. En pratique, les éditeurs ont pour l’instant accepté l’opt-in et la loi est vidée de son effet. À l’avenir, l’Allemagne va devoir rester attentive à la façon dont Google et les autres acteurs de l’Internet réagiront lorsque les sociétés de gestion collective opérant pour le compte des éditeurs commenceront à demander de l’argent, sur le fondement de la loi.

Actuellement le conflit se durcit entre la presse allemande et Google. Après avoir déposé une plainte au civil contre le moteur de recherche américain, douze éditeurs allemands et la société de gestion des droits intellectuels VG Media ont saisi l’office fédéral allemand anti-cartel. Google refuse en effet de payer pour les petits extraits d’articles qui figurent sur ses sites Internet, en se fondant sur la loi, qui permet aux moteurs de recherche d’utiliser « des mots seuls ou les plus petits extraits de texte ».

Les éditeurs qui ont saisi l’Office allemand anti-cartel reprochent au moteur de recherche, qui contrôle 90 % du marché allemand, sa décision de les exclure de ses services s’ils n’acceptent pas ses conditions. Les éditeurs estiment que cette menace est un abus de position dominante car ne plus être référencé auprès d’un quasi-monopole comme Google, et donc ne plus être visible, a des conséquences lourdes.

Certains éditeurs, dont le magazine « Spiegel » ou le quotidien « BAZ » ne se sont pas joints aux plaintes. Ils préfèrent rester référencés sur Google pour créer du trafic sur leur propre site Internet.

L’office fédéral a rejeté cette demande dans une réponse en date du 11 août 2014. VG Media a indiqué rejeter l’analyse juridique de l’office anti-cartel.

Plusieurs éditeurs auditionnés par le rapporteur se sont déclarés satisfaits du compromis du fonds Google, qui offre des ressources supplémentaires pour des projets numériques innovants dans un contexte où les aides publiques à l’innovation numérique ne représentent que des montants limités. Mais d’autres ont relevé qu’il ne pouvait s’agir d’une fin, ni d’une solution de long terme, même si la question de la prorogation de l’accord se pose.

Le rapporteur estime que le fonds Google ne saurait constituer une solution aux défis de la presse en ligne et à l’enjeu des conditions de diffusion et de rémunération des contenus de cette dernière. Compte tenu de la position dominante du moteur de recherche, son rôle capital et controversé dans l’accès à l’information, il serait malsain que Google devienne de manière durable le principal mécène de la presse française.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE LA MINISTRE

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède, le jeudi 23 octobre 2014, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2015 des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Avances à l’audiovisuel public » (2).

II. PRÉSENTATION DE L’AVIS

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen des rapports pour avis de Mme Martine Martinel (Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public), de M. Jean-Noël Carpentier (Presse), et de M. Rudy Salles (Livre et industries culturelles) sur les crédits pour 2015 des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Avances à l’audiovisuel public » lors de sa première séance du mercredi 22 octobre 2014.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2015 avec la présentation des trois rapports pour avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que ceux figurant au compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », autrement dit, la répartition de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), communément appelée redevance.

Dans leurs avis budgétaires, Mme Martine Martinel, M. Jean-Noël Carpentier et M. Rudy Salles ont chacun abordé un thème spécifique, ce qui leur a permis de porter un éclairage particulier sur une entreprise, un secteur ou un enjeu particulièrement important pour l’action publique dans le domaine des médias et des industries culturelles.

Je vous rappelle que Mme la ministre de la culture et de la communication nous présentera demain soir son budget « Médias » pour 2015 en commission élargie.

Nos trois rapporteurs pour avis présenteront successivement leurs travaux avant que n’interviennent un représentant de chaque groupe politique, puis les orateurs qui le souhaitent.

Mme Martine Martinel, rapporteur pour avis. J’ai consacré la partie thématique de mon rapport pour avis à Radio France qui, ces dernières années, a fait l’objet de beaucoup moins d’attention que les autres sociétés de l’audiovisuel public, en particulier France Télévisions et France Médias Monde.

L’année qui s’achève a été marquée à Radio France par la nomination d’un nouveau président, M. Mathieu Gallet, la fin de l’application du contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2010-2014 et la préparation d’un nouveau COM pour la période 2015-2019. Il s’agit donc pour l’entreprise d’une période de bilan et de transition.

La Cour des comptes, dont le dernier contrôle remontait à 2005, devrait publier prochainement un rapport très attendu sur Radio France. Alors que le CSA annonce un bilan détaillé de France Télévisions sous la présidence de M. Rémy Pflimlin, je regrette qu’un travail similaire n’ait pas été réalisé pour Radio France. La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a pourtant prévu que le CSA rende un avis motivé sur les résultats des sociétés de l’audiovisuel public quatre ans après le début du mandat de leurs présidents. Ce bilan aurait été très utile pour éclairer le choix d’un projet stratégique et préparer l’avenir d’une entreprise confrontée à des défis majeurs.

La stratégie éditoriale constitue le premier de ces défis.

Radio France est confrontée à une crise de ses audiences. Si des évolutions favorables ont été constatées entre 2009 et 2013, depuis 2013, les résultats sont beaucoup plus inquiétants pour la plupart des antennes. Et les résultats de 2014 amplifient ces inquiétudes : France Inter est tombée à 9 % d’audience en juillet, son plus mauvais score depuis 2006, France Musique est à 1,4 % alors que Radio classique passe la barre des 2 %, et France Info ne dépasse pas les 7,5 %.

Radio France connaît aussi un vieillissement très préoccupant de ses auditeurs dont l’âge médian est supérieur de dix ans à celui des auditeurs du média radio : il frôle soixante ans pour certaines antennes et atteint soixante-huit ans pour France Musique. Le rajeunissement doit donc être au cœur de la stratégie du nouveau COM ; il en va de l’avenir du service public de la radio. Par ailleurs, les chiffres montrent que l’objectif affiché par le COM de voir les antennes s’adresser à tous les publics, en termes de profil sociologique, et favoriser la diversité sociale des auditeurs, est loin d’être atteint.

Le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, que notre Commission a entendu le 18 juin dernier, comporte des propositions très intéressantes qui vont dans le sens d’une clarification de l’identité des antennes. Elle est nécessaire pour éviter les phénomènes de prédation de l’audience entre stations. L’un des objectifs consiste à rendre à France Info son identité de chaîne d’information en continu. Le COM devra également clarifier la place de la musique sur les antennes.

Je m’interroge fortement sur l’avenir du Mouv’. À l’heure où nous sommes contraints par des choix budgétaires, devons-nous conserver une antenne qui réunit un si petit nombre d’auditeurs et coûte 20 millions d’euros par an ? Pour le Mouv’, le COM 2010-2014 devait être celui de la dernière chance. Le nouveau président annonce une relance fondée sur une nouvelle ligne éditoriale en cours de définition : il s’agirait de faire de la station la radio des jeunes et des cultures urbaines, notion qui n’a pas été clarifiée au cours des auditions. J’ai déjà eu l’occasion de regretter le caractère de chaîne « alibi » ou « ghetto » de France Ô. Je mets en garde contre le même risque pour le Mouv’. Le rajeunissement et la diversification de l’audience doivent au contraire irriguer l’ensemble des antennes et surtout constituer un axe majeur de la stratégie numérique. Si le choix est néanmoins fait de maintenir la station, il conviendra de bien clarifier son identité de service public par rapport à l’offre existante privée.

Enfin, pour diversifier les publics, il faut évidemment que l’antenne soit représentative de la diversité de la société française. À cet égard, je note que trop peu de femmes s’expriment encore à l’antenne – elles n’étaient que 37 % environ en 2013. Par ailleurs elles ne représentent que 33 % des cadres de direction alors que le COM fixe un objectif de 35 %.

Le numérique constitue un autre défi pour Radio France. Le démarrage en la matière a été tardif puisque l’entreprise ne l’a véritablement amorcé qu’en 2012 avec la création de la direction des nouveaux médias. Une grande partie du retard a pu être comblée, mais les résultats apparaissent contrastés. En matière de podcasts, ils sont remarquables pour France Culture mais demeurent assez modestes pour les autres antennes.

En ce qui concerne la fréquentation des sites, les comparaisons que j’ai établies dans mon rapport font état d’un retard de Radio France. Calculées en nombre de visiteurs uniques mensuel, les audiences, pour l’année 2013, des sites d’Europe 1 et de RTL atteignent à 2 millions contre un peu plus de 960 000 pour France Inter, et 580 000 pour France Culture. Par ailleurs, je note qu’on ne trouve aucune des applications mobiles de Radio France parmi celles qui ont été les plus fréquentées au mois de juillet 2014. Radio France ne fait donc pas encore suffisamment figure de « média de référence » sur les réseaux numériques, d’où l’urgence de définir des offres numériques communes à l’ensemble de l’audiovisuel public. Lors des cinquante ans de la Maison de la radio, le Président de la République a d’ailleurs affirmé que cette articulation était nécessaire.

Cette ambition figure dans le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, et je m’en félicite, mais il ne peut agir seul. L’idée d’une coordination se fonde sur le constat qu’on ne peut plus raisonner par type de média à l’ère de la convergence, comme le montre la stratégie retenue avec succès par les groupes audiovisuels publics dans de nombreux pays européens, tels que la BBC en Grande-Bretagne, ou la RTBF en Belgique. Notre audiovisuel public est trop cloisonné : les relations entre les sociétés sont davantage marquées par la concurrence que par la recherche de complémentarités. Mme Véronique Cayla, présidente d’Arte, l’a rappelé : l’idée même de créer des renvois entre les sites des uns et des autres ou de faire des promotions croisées n’a jamais pu être menée à bien… Pour renforcer et pérenniser le service public audiovisuel à l’ère numérique, il me semble impératif de lancer ce chantier à la faveur de la négociation des nouveaux COM qui va avoir lieu pour l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public d’ici à 2016.

Dans la continuité de ce que nous avons été plusieurs à exprimer lors de l’audition de M. Mathieu Gallet, je réitère mon opposition à la remise en cause de la gratuité des podcasts dans le cadre de la nouvelle stratégie numérique. Cette solution me paraîtrait de nature à fragiliser l’acceptation de la redevance et les fondements mêmes de la notion de service public audiovisuel à l’ère numérique.

En ce qui concerne la couverture du territoire par Radio France, je rappelle qu’à travers la redevance, les contribuables financent les sept programmes du groupe. Il ne me paraît donc pas acceptable que certains n’en reçoivent que trois. C’est pourquoi je soutiens la volonté du président de Radio France de tout mettre en œuvre pour les rendre accessibles. À cet égard, je souhaite également qu’un indicateur de couverture soit fixé par le futur COM selon la même méthodologie que celle appliquée par le CSA aux autres services.

Pour le nouveau président de Radio France, la clarification de la stratégie des formations musicales constituera par ailleurs un enjeu majeur du futur COM dans le contexte d’ouverture du nouvel auditorium en fin d’année.

La modernisation de la gestion apparaît comme un autre défi et comme une priorité dans un contexte de contrainte forte sur les ressources publiques et alors que les marges d’augmentation des ressources propres sont modérées.

La maîtrise de la masse salariale devrait rester le premier objectif de gestion du futur COM. Je rappelle qu’elle représente presque 60 % des dépenses de l’entreprise et qu’elle a continué d’augmenter de manière dynamique ces dernières années, au point que le CSA en octobre 2013 a appelé Radio France à une meilleure maîtrise de ses charges de personnel. Au cours des auditions, mon attention a été appelée sur un effet pervers du COM auquel il conviendra de remédier. Il fixe en effet un plafond d’emplois – 4 619 équivalents temps plein – qui ne prend pas en compte les cachets et les piges. L’entreprise est donc de facto encouragée à recourir à l’intermittence pour contourner ce plafond. À cet égard, je propose que soit évaluée l’idée de créer un groupement des employeurs de l’audiovisuel public sous forme d’une association loi de 1901, qui permettrait d’employer les intermittents dits « techniques » en CDI.

Dans un contexte de baisse des moyens de l’entreprise, l’augmentation continue de la masse salariale rend également indispensable la modernisation de la gestion des ressources humaines, qui est, selon les observateurs, « éloignée des standards applicables dans les grandes entreprises ». Cette modernisation passe d’abord par la renégociation encore en cours des conventions collectives. Le nouveau président a dit sa volonté de voir un nouvel accord collectif signé avant la fin de l’année.

Au cours des auditions, des observations sévères ont été formulées sur la gestion et ses étonnants archaïsmes. Ont notamment été relevés l’absence, jusqu’en 2012, de procédures formalisées, publiées, contrôlées dans leur mise en œuvre, l’absence de comptabilité analytique, une organisation « en silo » marquée par un dialogue insuffisant entre les directions opérationnelles et les directions de soutien. S’y ajouteraient une architecture des systèmes informatiques obsolète, des défaillances dans la mise en œuvre des règles applicables aux achats publics, et une gestion globalement lourde, inefficiente et insuffisamment contrôlée. La Cour des comptes apportera sans doute plus de précisions sur ces aspects. Quoi qu’il en soit, le renforcement du contrôle interne est logiquement affiché comme l’une des priorités du management.

Des améliorations de la gouvernance et de la transparence seraient également souhaitables. Je salue les efforts réels fournis en la matière par la nouvelle direction. Cependant, afin d’améliorer encore la transparence, je suggère que les comptes des entreprises publiques financées majoritairement par l’impôt soient rendus publics, et qu’ils soient accessibles sur la plateforme data.gouv.fr. En matière de gouvernance, les observateurs, y compris la direction, appellent de leurs vœux une dynamisation du conseil d’administration – ce qui ne concerne évidemment pas notre collègue Michel Françaix. (Sourires) Une clarification me paraît en outre nécessaire sur les rôles respectifs des tutelles et du CSA.

Je souhaite conclure sur un autre défi de taille : le chantier de réhabilitation de la Maison de la radio, qui a mis au jour les défauts de gestion que je viens d’évoquer. Depuis 2004, le coût total de ce chantier a fait l’objet de nombreuses réévaluations. Il est aujourd’hui estimé à 584 millions d’euros, dont 116 millions d’euros de coûts de fonctionnement, soit une augmentation de plus de 80 % par rapport aux prévisions sur lesquelles s’est fondé le choix des travaux en 2004.

Les objectifs du COM concernant le chantier sont donc loin d’être tenus. En termes de calendrier, la date prévisionnelle d’achèvement des opérations, fixée à août 2016 à la signature du COM, est désormais repoussée à la fin de l’année 2017 par le rapport d’exécution du COM pour 2013. Certains observateurs n’excluent pas une dérive supplémentaire du coût tandis que la fin des opérations ne devrait pas avoir lieu avant le début de 2018.

Lors de son audition, Radio France a mis en avant la complexité, réelle, d’une telle opération de réhabilitation en site occupé et estimé que les dépassements qui résultent nécessairement de la « vie d’un chantier » seraient « mesurés » compte tenu de la difficulté des travaux. Les auditions ont toutefois montré que la programmation des besoins et des opérations a été notoirement insuffisante. Une analyse des dépassements montre qu’ils sont dus pour au moins plus de la moitié, voire les deux tiers, à des décisions de l’entreprise.

La tutelle indique avoir été alertée très tardivement de ces surcoûts – pas avant février 2014. Cependant, la Cour des comptes et la mission de contrôle de Bercy s’accordent à estimer que la pression exercée par les tutelles – la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture, et la direction du budget à Bercy –, sur l’entreprise de manière générale, et dans ce dossier en particulier, a été insuffisante, le conseil d’administration s’étant contenté de constater les dépassements. La Cour des comptes apportera, je l’espère, plus de précisions concernant une gestion de chantier aujourd’hui très mal vécue par les salariés : ces derniers évoquent un « gouffre financier » et portent un regard sévère sur un dossier géré, disent-ils, avec « amateurisme ». Quoi qu’il en soit, on ne peut que regretter avec eux que les débordements de cette opération de réhabilitation soient amenés à peser lourdement sur l’équation financière du groupe, notamment sur ses marges d’investissement dans la stratégie éditoriale et numérique.

M. Jean-Noël Carpentier, rapporteur pour avis. La partie thématique de mon rapport pour avis est consacrée au soutien à la presse à l’ère numérique. Je ne vous parlerai donc pas ce matin de l’imbroglio des aides d’État à la presse, de leur efficacité toute relative ni des effets d’aubaine qu’elles suscitent chez certains patrons d’industrie qui s’offrent ainsi de l’influence à bon compte. Permettez-moi simplement de faire quelques remarques concernant l’actualité de la presse à l’heure du numérique.

Aujourd’hui 40 % de la population mondiale est connectée sur la toile, et ce n’est pas fini ! Déjà, près de 80 % des habitants des pays de l’OCDE sont connectés. Résultat d’une évolution des technologies spectaculaire, le numérique bouscule tout ; certains évoquent même une véritable révolution industrielle. En 1950, les plus gros ordinateurs traitaient mille opérations par seconde ; depuis, ce nombre a été démultiplié tous les ans, et les ordinateurs peuvent aujourd’hui effectuer plusieurs milliards d’opérations dans ce même laps de temps. Cette progression est exponentielle : il faut s’attendre à voir émerger, comme le préconisent certains, des machines dotées de la capacité du cerveau humain.

Cette puissance informatique alliée à la connexion massive à internet modifie profondément nos sociétés. Le travail, les loisirs, les communications, l’éducation et la circulation de l’information : rien n’est dorénavant plus tout à fait comme avant ! Nos démocraties elles-mêmes évoluent sans doute, et certains chercheurs affirment qu’un nouveau monde est né. Un monde incertain dans lequel l’on se demande si le système capitaliste va redistribuer aux peuples les dividendes des avancées technologiques. Un monde aussi où l’on a l’impression parfois de perdre pieds tellement il va vite. Un monde où l’on peut légitimement s’inquiéter d’être fichés et suivis à la trace par les géants du net, les fameux « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Mais le numérique offre aussi des potentialités puissantes pour l’économie et des outils nouveaux et formidables pour la démocratie.

Au terme des auditions que j’ai menées pour préparer mon rapport pour avis, j’ai acquis la conviction que le numérique était une chance pour la presse et le journalisme, à condition que le journalisme sache se réinventer et que les éditeurs de presse remettent en question un système en difficulté.

Avec internet, les médias et les industries culturelles (musique, livre, cinéma, audiovisuel…) font face à une profonde mutation qui modifie leur écosystème. Le secteur de la presse et du journalisme est donc lui aussi transformé. Les comportements de nos concitoyens sont dorénavant modifiés. Toujours friands d’information, ils veulent pouvoir la consommer partout et tout le temps. Il faut qu’elle soit rapide et crédible. M. Patrick Le Floch le rappelle dans son ouvrage L’économie de la presse à l’ère numérique : « L’arrivée des sites d’actualités casse les frontières traditionnelles des marchés de la presse, l’aire géographique de diffusion et la périodicité n’ont plus de sens. » Alors qu’un monde ancien recule, un nouveau émerge.

Pourtant, même si les Français doutent parfois légitimement de l’indépendance des médias face aux pouvoirs politiques et économiques, ils font toujours davantage confiance aux médias dits « traditionnels », comme la radio, la presse écrite et la télévision, qu’à internet, même si sa cote de confiance progresse. On sent comme une retenue de nos concitoyens face au flot d’informations disponibles. Il serait toutefois erroné d’en conclure que la presse ne peut progresser sur internet. Bien au contraire, la tendance est bien celle-là.

Pour le débat public et pour notre démocratie, il est essentiel qu’à travers des titres de presse reconnus et crédibles un journalisme de référence donne des repères aux lecteurs sur la toile. Le numérique est avant tout une chance pour la démocratie. Internet n’est pas qu’un danger pour la presse ; c’est aussi une opportunité. Il est d’ailleurs rassurant de constater que les sites les plus consultés en France sont ceux de la presse quotidienne nationale, devant ceux des autres médias que sont TF1, France Télévisions, ou les radios en ligne. On ne peut que s’en féliciter. La récente proposition de rachat de LCI par le groupe Le Monde témoigne des évolutions en cours.

Internet n’est pas seulement une opportunité en termes économiques, elle en est également une pour le journalisme. Pour les grands titres de presse, la nécessité de réactualiser continuellement l’information exige de nouveaux moyens. Il faut notamment permettre la vérification plus rapide des sources afin d’éviter la propagation de rumeurs, enrichir les contenus par la vidéo ou par l’infographie, et puis, surtout, créer plus d’interactivité avec le lecteur, ce qui modifie le rôle du journaliste et des rédactions.

Sur internet, le nouveau rapport entre le lecteur et l’information, ainsi que des coûts d’investissement moins importants que dans la presse papier, permettent l’émergence de nouveaux titres de journaux dits « pure players » qui se veulent plus indépendants des pouvoirs économiques et offrent assurément un ton différent et plus libre sur plusieurs sujets de l’actualité.

Le modèle de soutien de l’État est-il pertinent à l’ère numérique ?

Le soutien de l’État à la presse demeure massivement centré sur la diffusion papier et sur la distribution – points de vente, distribution des abonnements… Il s’élève à environ 260 millions d’euros. Comme les années précédentes, les aides à la presse en ligne continuent de représenter une partie très faible des aides budgétaires, environ 10 %. Déjà en 2013, Michel Françaix, alors rapporteur pour avis de notre Commission, faisait ce constat : « L’écosystème actuel continue à orienter l’essentiel de ses ressources vers le maintien de modèles anciens, indépendamment de toute réflexion sur leur finalité, leur pertinence et leur viabilité. »

On peut légitimement s’inquiéter de la grande difficulté des éditeurs de presse papier à s’entendre et à améliorer ensemble l’efficacité de leurs réseaux de diffusion. Des synergies sont pourtant indispensables pour maintenir une activité papier en constante diminution. Des aides d’État ne pourront indéfiniment combler les carences des éditeurs qui se refusent à prendre des décisions.

Cette politique est vouée à l’échec dans un contexte où la mutation numérique apparaît inéluctable tant la baisse de la diffusion papier s’accélère : le recul est tout de même de 25 % en douze ans alors que la population sur la même période a augmenté de près de 10 %. Cette baisse de la diffusion, inégale selon les médias, touche plus particulièrement la presse quotidienne nationale. M. Francis Morel, président du syndicat de la presse quotidienne nationale, a reconnu lors de son audition que l’État avait trop soutenu la dimension industrielle de la presse papier au détriment du soutien à la presse en ligne, ce qui explique peut-être en partie le retard de la presse française dans sa mutation numérique.

L’État a toutefois fait évoluer les choses positivement avec notamment l’application du taux de TVA super-réduit de 2,1 % à la presse en ligne – le président de notre Commission n’étant pas étranger à cette évolution. De même, un ciblage accru du fonds stratégique pour les services de presse en ligne (SPEL) est mis en place depuis le mois de juin dernier. Désormais, seuls les SPEL d’information politique et générale sont éligibles à ce fonds et les sites d’information pratique en sont écartés. Je me félicite de ce ciblage resserré qui n’est que la première étape dans la révision complète du modèle de soutien français à la presse.

Nous devons en effet nous interroger sur la pérennité de notre système d’aides à la presse à l’ère numérique.

Contrairement à l’édition d’un journal sous format papier, la création d’un site internet ne nécessite pas d’infrastructure très importante : les barrières à l’entrée du secteur sont bien moindres et les opinions peuvent s’y exprimer plus facilement dans toute leur diversité. De ce fait, la question de la protection du pluralisme, qui fonde le système français d’aide à la presse, ne peut plus se poser dans les mêmes termes depuis l’avènement du numérique.

Nous pouvons aussi interroger notre système d’aides en le comparant à celui de nos voisins. Si les aides à la presse papier existent chez un grand nombre d’entre eux, leur niveau est beaucoup plus élevé en France. Les aides directes telles que nous les pratiquons sont d’ailleurs interdites dans plusieurs pays au nom même de la liberté de la presse.

Au final, on peut s’interroger sur le maintien d’un système d’aide particulièrement généreux qui contribue parfois à nourrir les interrogations de nos concitoyens sur l’indépendance politique de la presse. De même, l’évolution récente du profil des propriétaires de presse accrédite l’idée qu’on n’achète plus aujourd’hui forcément un titre de presse pour sa rentabilité mais peut-être plutôt pour l’influence politique qu’il procure. Dans un tel contexte, les aides à la presse peuvent, hélas ! conforter des logiques d’influence plus que des logiques d’investissement au service du journalisme et de l’information du citoyen.

Le même raisonnement me fait m’interroger sur les fondements du « fonds Google ». Si le principe de cet accord de compromis avec Google reste pragmatique puisqu’il offre des ressources supplémentaires, il ne peut constituer à mon sens une solution à long terme pour résoudre les défis auxquels est confrontée la presse en ligne, et répondre à l’enjeu que représentent les conditions de diffusion et de rémunération des contenus de cette dernière. Compte tenu de la position dominante de ce moteur de recherche et de son rôle capital et controversé dans l’accès à l’information, il serait malsain que Google devienne de manière durable le principal mécène de la presse française. Ces accords devront être encadrés. Ceux qui profitent de contenus produits par d’autres doivent rémunérer ceux qui les ont créés.

Au vu des évolutions du secteur de la presse, la question d’une redéfinition et d’une réduction de certaines aides à moyen ou à long terme peut désormais être posée. Il faut le faire sereinement, en veillant à ne pas déstabiliser un secteur industriel qui emploie des milliers de personnes et en accordant aux quotidiens à faibles ressources une attention particulière afin de préserver le pluralisme.

Dans le temps très limité qui m’était imposé, j’ai peut-être présenté certaines de mes propositions de façon abrupte, mais la mutation numérique déjà engagée doit impérativement être accélérée. Les patrons de presse, les journalistes et les citoyens ont tout à gagner si elle se fait au nom de la démocratie et du débat public.

M. Rudy Salles, rapporteur pour avis. J’ai choisi cette année de consacrer l’avis budgétaire relatif au programme « Livre et industries culturelles » au jeu vidéo. En effet, longtemps dominé par le livre, le secteur des industries culturelles compte désormais un nouveau venu : le jeu vidéo, qui est devenu le bien culturel le plus vendu en France et représente le deuxième marché de divertissement. Il mérite d’autant plus notre attention qu’il constitue un enjeu culturel et économique pour notre pays.

Enjeu culturel, tout d’abord : le jeu vidéo n’est plus seulement une affaire de passionnés : son public élargi est même devenu familial. Quelques chiffres sont susceptibles de bouleverser les idées reçues : la moyenne d’âge du joueur tourne autour de quarante et un ans, et 52 % des joueurs sont des joueuses. Le jeu vidéo est un vecteur d’influence culturelle, et les jeux français se distinguent à la fois par la qualité de leur création et par leurs innovations technologiques. Notre savoir-faire est reconnu internationalement : 80 % de la production est destiné au marché étranger. La filière musicale n’a pas le monopole de la « touche française » !

Les studios français bénéficient d’équipes de qualité composées de graphistes, de scénaristes, de monteurs ou d’ingénieurs. Nos écoles de formation sont réputées dans le monde entier et notamment l’école des Gobelins à Paris, pour n’en citer qu’une.

Le jeu vidéo est ensuite un enjeu économique. On compte en France trente et un million de joueurs, et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) estime qu’un joueur dépense en moyenne 40 euros par mois. La filière française est très dynamique, son chiffre d’affaires direct, qui était de 700 millions d’euros en 2002, a atteint presque 3 milliards d’euros en 2013. La société Ubisoft, troisième éditeur mondial de jeu vidéo, en est l’exemple même.

L’État soutient le secteur à travers deux dispositifs spécifiques : le crédit d’impôt pour les dépenses de création de jeu vidéo et le fonds d’aide au jeu vidéo.

Le premier permet aux entreprises installées en France de déduire de leur impôt sur les bénéfices 20 % de leurs dépenses affectées directement à la création de ces jeux. Ce dispositif contribue à éviter la délocalisation des entreprises en comblant partiellement la différence entre les coûts de conception dans les studios français et ceux des studios étrangers. De plus, il génère des recettes fiscales : en 2013, pour 1 euro de crédit versé, 1,80 euro de recettes fiscales et sociales a été perçu par l’État.

Le deuxième dispositif, le fonds d’aide au jeu vidéo, comprend trois aides : l’une destinée à la réalisation de prototypes de jeux – l’aide à la pré-production, une autre destinée à créer une valeur patrimoniale – l’aide à la création de propriétés intellectuelles, et la dernière consacrée à la promotion de ces jeux et de la profession – l’aide aux opérations à caractère collectif.

Malgré ce soutien, la position française s’effrite, concurrencée par le marché asiatique, canadien, mais aussi européen où se positionnent la Finlande, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. En dix ans, nous sommes passés du cinquième au huitième rang des pays producteurs de jeu vidéo. L’emploi dans le secteur a été divisé par deux : seulement 12 000 salariés y travaillaient en 2013, alors qu’ils étaient 25 000 durant les années 2000.

Le Syndicat national du jeu vidéo et l’IDATE ont publié le 15 octobre dernier un baromètre annuel du jeu vidéo en France. On y apprend que 62 % des entreprises interrogées considèrent la France comme peu attractive. C’est pourquoi il est urgent que le soutien de l’État soit repensé. De nombreuses pistes existent, des solutions sont connues, des projets annoncés. Il est temps que ces annonces soient suivies d’effet, et que ces projets deviennent opérationnels. Trois grandes priorités devraient s’imposer.

Première priorité : l’aménagement du crédit d’impôt au jeu vidéo. Ce dispositif n’est plus adapté à l’évolution des jeux. De plus, il est concurrencé par des dispositifs extrêmement agressifs mis en place à l’étranger, notamment à Singapour qui propose un crédit d’impôt de 50 %. La production des jeux sur supports physiques, dits de nouvelle génération, nécessite de longues années de travail, c’est pourquoi la procédure d’agrément doit être revue – le délai entre l’agrément provisoire et l’agrément définitif doit être allongé. En revanche, les coûts de développement des jeux dématérialisés sur tablettes ou téléphones sont moindres, ce qui devrait permettre d’abaisser, pour ce qui les concerne, le seuil des dépenses éligibles au crédit d’impôt.

Ces points d’amélioration ont été identifiés et des aménagements ont été votés l’année dernière, lors de l’examen de la loi de finances pour 2014. Cependant, le nouveau dispositif n’est toujours pas applicable et il n’est pas certain qu’il s’appliquera en 2015. En effet, une aide d’État doit être notifiée à la Commission européenne et validée. Je m’étonne que la transmission à Bruxelles ne soit intervenue que cet été, retardant d’autant la mise en œuvre effective du nouveau crédit d’impôt.

Deuxième priorité : inciter les entreprises du secteur à prétendre à des aides transversales liées à l’innovation, à la recherche ou à la compétitivité, comme les crédits d’impôts recherche ou innovation, le dispositif jeune entreprise innovante, ou des projets dans le cadre du fonds interministériel. Encore faut-il que l’administration fiscale joue le jeu ! Les entreprises du secteur peuvent prétendre au crédit d’impôt recherche. Malheureusement, depuis un an, les dépenses éligibles à ce crédit d’impôt qu’elles déclarent sont requalifiées, et nombre d’entreprises subissent de ce fait des redressements fiscaux. Je déplore cette instabilité juridique qui ne leur permet pas de rivaliser avec la concurrence internationale.

Troisième priorité : l’accès au financement. Il s’agit d’un enjeu crucial pour un secteur composé majoritairement de très petites entreprises qui ne disposent pas de fonds propres, ce qui menace leur pérennité. Le secteur bancaire, traditionnellement frileux à l’égard des industries culturelles, l’est plus encore lorsqu’il a affaire à un secteur méconnu où les risques sont grands.

Sur ce sujet également, plusieurs projets sont en gestation. En particulier celui d’un fonds d’octroi de prêts participatifs géré par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), doté de 20 millions d’euros, qui servirait de levier aux entreprises pour trouver ensuite des crédits complémentaires auprès du secteur bancaire traditionnel. La Banque publique d’investissement (BPI France) devrait aussi s’impliquer davantage dans ce secteur. Son manque d’intérêt et sa prudence dans ce domaine doivent être dépassés. Un projet existe : la signature d’une convention cadre avec l’IFCIC lui permettrait de co-garantir des crédits et d’utiliser le réseau régional de ses agences.

Il est grand temps que tous ces dispositifs soient opérationnels afin de préserver un secteur culturel d’avenir, à forte valeur ajoutée.

M. Le président Patrick Bloche. Ces trois rapports pour avis portant sur la même mission budgétaire, il n’y aura qu’un seul orateur par groupe. Au demeurant, les représentants des groupes auront trois fois l’occasion d’intervenir : ce matin, demain soir en commission élargie et in fine la semaine prochaine, en séance publique.

M. Michel Françaix. Italo Calvino s’interrogeait sur nos capacités réelles à pouvoir reconnaître un nouveau monde s’il se présentait à nous et sur la cécité devant ce qui émerge de neuf d’une société tout entière occupée à prévoir le passé, l’œil rivé au rétroviseur. Gramsci, quant à lui, définissait la crise comme le moment où une société se meurt sans qu’une autre soit encore née. Gardons-nous donc de sauter sans discernement sur toute technologie nouvelle ; à force de vouloir voir du nouveau partout, on finit par ne plus en voir nulle part. Si le numérique a réellement bouleversé nos vies et modifié nos repères, s’il faut accepter le changement et inventer de nouveaux formats sans nous retrancher derrière une ligne Maginot, attention toutefois aux effets de mode et au « bougisme ». Pour paraphraser Robert Filliou, le numérique est ce qui rend la vie plus intéressante que le numérique… à condition de la rendre plus intéressante !

L’ordre ancien de la presse vacille : érosion continue et vieillissement inexorable du lectorat, déclin prolongé de la diffusion, réduction régulière du nombre de points de vente – si les kiosquiers étaient mieux payés, peut-être le problème serait-il différent –, déstabilisation de Presstalis, diminution du chiffre d’affaires et chute significative des recettes publicitaires, rentabilité négative des entreprises, fragmentation de l’offre, c’est tout l’écosystème de la presse écrite qui est engagé dans une spirale cruelle.

Même si le pluralisme de la presse est aujourd’hui reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle, il serait illusoire de penser que l’État assurera à lui seul le renouveau de la presse, dans un contexte où le nombre total de journaux vendus chaque année en France est passé de 6,5 à 4 milliards depuis 2000. Cette baisse est inéluctable mais la presse papier n’aura pas disparu pour autant en 2050 : les exemples anglais ou américains ont montré que tous les titres ayant abandonné le papier pour le numérique sont morts. Et l’idée de marque reste encore particulièrement présente.

Sur les 4 milliards de journaux diffusés, 2 milliards le sont par la vente au numéro, dont 1 milliard par Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) et 2 milliards par abonnement – 1,2 milliard par la poste et 800 millions par portage. Cela m’inspire trois réflexions. La première est qu’il conviendrait de donner davantage de pouvoir aux instances de régulation, afin de mieux rationaliser l’organisation de Presstalis et des MLP ; à défaut, je ne suis pas loin de penser, comme Marie-George Buffet, qu’il faudrait peut-être fusionner ces deux structures. Il est ensuite important de correctement répartir les aides accordées au transport postal et au portage, lequel concerne essentiellement la presse quotidienne. Si La Poste ne fait pas son boulot, donnons tout au portage ! Mais les autres formes de presse ne sont pas intéressées par le portage et il faut donc les aider via La Poste… Reste que l’État se concurrence lui-même en donnant de l’argent aux mêmes deux fois : il faudrait pour le moins rationaliser tout cela. Enfin, notre système d’aides doit tenir compte du fait que 40 % des diffuseurs ont aujourd’hui une rémunération inférieure au SMIC – je m’étonne d’ailleurs qu’on ouvre encore de nouveaux kiosques aujourd’hui et qu’il n’y en ait pas davantage qui ferment.

Entre l’immobilisme, qui n’est plus tenable, et la révolution, mon grand âge m’incite à défendre une troisième voie, qui consiste à accompagner la transition en évitant la rupture.

Un mot pour conclure sur l’AFP qui subit aujourd’hui la concurrence d’internet. Or elle est la seule à vérifier ses informations. Sur dix scoops sortis sur internet, sept sont faux ! Et l’on trouvera à peine deux lignes le lendemain pour démentir… L’AFP doit demeurer un champion national, vecteur de l’exception culturelle, reconnu pour l’excellence de son travail. Son statut se justifie pour autant qu’il lui permet de remplir cette mission et d’être pour la France un instrument de souveraineté et d’expression. Mais si l’AFP est unique, elle est aussi une entreprise comme les autres. Par conséquent, elle doit continuer à se développer en se diversifiant ; elle doit convaincre ses clients et en recruter de nouveaux, dans un contexte de concurrence de plus en plus âpre et en constante évolution. Face à ces enjeux, tout immobilisme conduira inéluctablement les acteurs de ce dossier à la paupérisation et à une inévitable crise. Réformer dès aujourd’hui me paraît préférable à la perspective de subir demain, sous la contrainte, des transformations brutales. Dans son intérêt et celui de la presse tout entière, l’AFP doit se donner les moyens de rester en mouvement au rythme du monde.

Mme Annie Genevard. J’ai trouvé le rapport de Martine Martinel sur Radio France très sérieux et très courageux. Il aborde tous les aspects du sujet, qu’il s’agisse de la stratégie, des choix budgétaires, de la place du numérique ou de la gouvernance ; mais surtout, il a le courage de n’éviter aucun des sujets qui peuvent fâcher.

À ce titre et prenant le contre-pied des propos qu’avait tenu Jean-Luc Hees lors de son audition l’an dernier, il pose clairement et légitimement la question du maintien du Mouv’, dont la faible audience montre qu’il n’a jamais véritablement rencontré son public.

Le rapport évoque également le vieillissement des audiences de France Inter, de France Musique ou de France Info, dont l’âge moyen tourne autour de soixante ans. Vous aviez l’an dernier poussé des cris d’orfraie, mes chers collègues, lorsque, longtemps fidèle auditrice de France Inter, j’avais avoué m’être détournée d’une chaîne devenue très prévisible et ayant perdu son esprit novateur. Martine Martinel ne dit rien d’autre lorsqu’elle évoque une offre qui n’a sans doute pas su se renouveler. Elle aborde enfin le risque de ghettoïsation qui menace certaines stations, question d’autant plus fondamentale qu’elle rejoint un des enjeux auxquels se trouve confrontée la société française dans son ensemble.

S’agissant de la presse, nous avons eu très opportunément ce matin un rendez-vous avec les éditeurs de quotidiens nationaux, avec qui nous avons évoqué quatre sujets importants : l’imprimerie, la distribution, le statut et le financement des entreprises de presse, les objets connectés. Sur ce dernier point, les éditeurs s’interrogent sur le sort de la préconisation qui figurait dans le rapport Lescure et consistait à taxer les objets connectés pour rémunérer les contenus.

Notre rapporteur Jean-Noël Carpentier considère dans son rapport que le numérique est une chance pour la presse, à condition qu’elle sache se réinventer. Encore faudrait-il définir ce que signifie « réinventer »… Est-ce devenir une presse à consommer partout et tout le temps ? Au vu de ce que nous apportent les chaînes d’information en continu, qui sont certes intéressantes en termes d’instantanéité mais pèchent souvent par manque de recul, je ne suis pas sûre d’adhérer à cette vision des choses.

M. Rudy Salles a fort judicieusement axé son rapport autour des jeux vidéos. C’est un choix opportun car il s’agit d’une industrie culturelle moins connue que d’autres, mais dont le poids économique n’est pas négligeable. Le sujet est de surcroît dans l’air du temps, a fortiori lorsqu’on connaît l’intérêt de notre nouvelle ministre pour la dimension numérique de la culture. L’industrie des jeux vidéos est emblématique de ce qui caractérise les entreprises françaises : une grande créativité, un écosystème performant, mais un soutien public mal ajusté, un soutien privé trop faible et un défaut de compétitivité qui compromet tout à la fois l’emploi et la place de ce secteur dans notre économie. Pour remédier à cette situation, le rapport ébauche des pistes intéressantes, qui méritent d’être creusées.

Mme Barbara Pompili. Le rapport de Martine Martinel nous sera fort utile lors des discussions à venir autour du futur contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et Radio France. Je regrette moi aussi que le CSA n’ait pas prévu de réaliser un bilan du COM qui s’achève : si Radio France est une belle entreprise, dont on peut être fiers, il est également de notre devoir de contrôler la bonne réalisation des objectifs du COM, qui doivent permettre à cette société de relever les défis auxquels elle doit faire face, au premier rang desquels le défi du numérique.

En matière de maillage territorial, faire le pari de la radio numérique terrestre (RNT) pourrait permettre de résoudre les problèmes de rupture dans la couverture du territoire, notamment pour France Info ou France Bleu. La réserve du nouveau président de Radio France à ce propos, lors de son audition, n’augure rien de bon. Comme la rapporteure, j’espère que le rapport du CSA sur la RNT évaluera ce qui s’est fait à l’étranger et permettra de clarifier la position des pouvoirs publics à ce propos.

Comme la rapporteure également, je suis opposée à l’idée de revenir sur la gratuité d’accès aux podcasts. De même, je tiens à rappeler que nous sommes très attachés à la gratuité de RF8.

Aujourd’hui, les frontières entre ce qui est vu ou écouté sont de plus en plus floues, d’où l’intérêt que suscite l’idée d’avancer vers un système d’enrichissement mutuel des contenus éditoriaux des partenaires de l’audiovisuel public. Développer des offres numériques communes peut déboucher sur de nouvelles potentialités – elles sont énormes –, ouvrir sur de nouveaux usages, bénéfiques pour l’ensemble des supports traditionnels, à condition d’être source d’enrichissement culturel.

Lors de l’audition de Matthieu Gallet, j’avais indiqué que ces évolutions devaient se faire dans le dialogue et la concertation entre les directions et les salariés concernés afin que tout le monde s’y retrouve et partage ce projet collectif. Ce sont les personnels qui font vivre les radios, ne l’oublions pas. Par ailleurs, la question de la « permittence » se doit d’être soulevée afin de trouver des réponses pérennes.

La représentation de la diversité me semble également un point capital, qui devra nécessairement être revu dans le prochain COM.

Enfin, je rejoins les analyses de la rapporteure quant à la nécessaire clarification de l’identité des différentes chaînes.

Le rapport de Jean-Noël Carpentier pose quant à lui la question de la pertinence du modèle de soutien à la presse à l’ère du numérique, question d’autant plus légitime que les rapports suggérant de remettre à plat le système actuel sont nombreux. C’est pourquoi je regrette que nous n’allions pas plus loin dans la réforme structurelle des aides à la presse, qui nécessite d’être menée en prenant en compte les médias dans leur globalité : avec l’arrivée du numérique, les frontières s’étiolent entre presse papier, télévision et radio, ce qui remet en question la pertinence d’un système d’aides en fonction des supports.

Il ne s’agit pas de renier le fait que les besoins et les problèmes ne sont pas les mêmes entre presse papier et presse numérique mais, compte tenu de l’essor du numérique, le ratio actuel pose question : la presse numérique bénéficie de moins de 10 % des aides budgétaires. Or elle mérite autant de considération que la presse papier. En effet, quel que soit le support, les médias concourent au bon fonctionnement de notre démocratie. La pluralité de l’offre en matière d’information est une nécessité démocratique, tout comme sa qualité. Les Écologistes sont donc favorables à une égalité de traitement entre presse écrite et presse électronique. C’est en ce sens que nous avions soutenu l’harmonisation des taux de TVA, levier très intéressant puisque plus vertueux que celui des subventions, qui font toujours l’objet de suspicion de conflits d’intérêts et peuvent poser la question de l’indépendance de la presse. Il serait intéressant de disposer d’un retour sur les effets de cette harmonisation.

Compte tenu de ces éléments, on peut légitimement s’interroger sur les freins qui expliqueraient le retard de la France en matière de développement de l’offre numérique. Dans cette perspective se pose la question du modèle économique de cette presse. Le modèle du « freemium » est-il majoritaire dans les autres pays européens ? Des solutions alternatives ont-elles été développées et fonctionnent-elles ?

Dans un autre registre, pourriez-vous préciser, monsieur le rapporteur, votre position sur d’éventuelles instances de régulation, au regard notamment du respect du principe de la neutralité du Net qui, vous le savez, est un point essentiel pour nous ?

Nous partageons enfin l’idée que le fonds Google comporte des risques et qu’il est urgent de clarifier les choses.

Mme Marie-George Buffet. Nous avons avec l’AFP un outil performant, qui assure le pluralisme et la qualité de l’information, et contribue au rayonnement de notre pays à l’étranger. Or les syndicats sont aujourd’hui inquiets de l’avenir de l’AFP et dénoncent l’opacité dont la direction entoure le futur COM, lequel doit notamment définir les missions d’intérêt général qui seront financées par l’argent public. L’absence d’informations précises sur la nouvelle filiale, qui doit être créée début 2015, est également source d’inquiétude pour les personnels. Je me félicite pour ma part que la proposition de loi du groupe socialiste sur l’AFP et l’avenir de la presse soit inscrite rapidement à notre débat. Elle nécessitera sans doute d’être amendée, mais elle constitue d’ores et déjà une bonne base de départ.

La seconde partie du rapport de Jean-Noël Carpentier est consacrée aux aides à la presse à l’ère numérique. Le rapporteur estime que la question de la suppression progressive des aides directes à la presse doit désormais être posée. Je me félicite qu’il ait été un peu plus mesuré dans sa présentation orale, car ce n’est pas à mon sens la question de la suppression des aides à la presse qui doit être posée, mais celle de la pertinence de leur affectation, en fonction de la complémentarité qui existe entre la presse numérique et la presse papier. Il nous faut sortir de l’immobilisme, recentrer les aides à la presse sur les quotidiens d’information politique et générale, régler le sort des messageries dont il va bien falloir un jour ou l’autre envisager la fusion, repenser l’aide à la rémunération des diffuseurs et l’aide à la promotion de la lecture.

Faudra-t-il enfin attendre longtemps encore l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes ?

M. le président Patrick Bloche. Je redonne la parole à M. Rudy Salles, cette fois en tant que porte-parole du groupe UDI.

M. Rudy Salles. J’ai lu le rapport de Martine Martinel avec un grand intérêt. J’étais administrateur de Radio France lorsque Le Mouv’ a été créé sous la présidence de Michel Boyon. Je m’étais opposé à l’époque à la création de cette radio, dans la foulée des radios privées qui s’étaient développées avec succès à destination des jeunes, estimant que le format retenu n’était pas le bon, ce qui, avec le recul, s’avère exact.

Il faudrait en revanche inciter Radio France à s’intéresser davantage aux régions, car si Le Mouv’ a été un échec, France Bleu a été un succès. Or les stations du réseau ne disposent pas des moyens suffisants pour fournir une bonne information locale. C’est pourtant nécessaire, compte tenu du monopole qu’elles détiennent dans nos régions, les radios privées locales nées dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ayant disparu ou ayant été absorbées dans des réseaux à dominante musicale. On serait bien inspiré de renforcer les moyens à destination de l’information locale à travers le réseau de France Bleu plutôt que de s’obstiner à entretenir des radios qui ne fonctionnent pas.

À l’occasion de l’avis budgétaire que j’ai rédigé l’an dernier sur la presse quotidienne régionale, j’avais consulté une étude montrant que les jeunes, avant vingt ans, ne s’informent que sur internet, tandis qu’entre vingt et quarante ans, les sources d’information privilégiées sont la radio et la télévision, puis, à partir de quarante ans, la presse écrite. Nous devons donc nous demander si ceux qui n’ont jamais ouvert un journal avant quarante ans le feront un jour.

S’il est normal que la presse écrite investisse de façon importante dans le numérique, elle doit continuer d’investir dans le papier pour pouvoir vendre des journaux, car le numérique ne rapporte rien. Nous ne disposons pas à ce jour de modèle économique à cinq ou dix ans et la presse écrite est aujourd’hui au milieu du gué, confrontée à une baisse considérable du nombre de ses lecteurs : huit cent mille lecteurs perdus en cinq ans, c’est l’équivalent de la diffusion de Ouest-France, premier quotidien régional français. Je tenais à ajouter ce constat à l’excellent rapport présenté par Jean-Noël Carpentier.

M. Marcel Rogemont. Nous nous sommes déjà prononcés contre la suppression inadmissible de la gratuité des podcasts, mais peut-être notre commission pourrait-elle envisager de réitérer son opposition, plus clairement encore, par le biais d’une motion ?

En ce qui concerne les mutations de la presse, n’oublions pas que ce qui permet aujourd’hui aux groupes de presse d’être rentables et de dégager des marges, c’est le papier et non le numérique. N’allons donc pas trop vite, sous peine de déstabiliser totalement le secteur.

Si certains sont tentés de voir en Google un nouveau mécène, il m’apparaît surtout pour l’instant, et c’est bien ce que laisse entendre le rapport, comme le principal prédateur… On peut néanmoins penser que la position adoptée par la France n’a pas contribué à renforcer la position des éditeurs allemands face à Google ; si nous aussi avions adopté une loi, peut-être aurions-nous inversé le rapport de force, même si nous ne pouvons que nous féliciter des 60 millions d’euros concédés par la firme et de la manière dont ils seront dépensés.

M. Rudy Salles a eu raison de rappeler dans son rapport que le jeu vidéo est un bien culturel très important en France : 67 % des Français y jouent, dont 52 % de femmes. C’est aussi une industrie dont le chiffre d’affaires est passé en France de 700 millions d’euros en 2002 à 3 milliards en 2013 et dans laquelle notre pays fait preuve d’un réel dynamisme et d’une vraie capacité d’innovation technologique.

Les pouvoirs publics ont donc mis en œuvre nombre de mécanismes de soutien, notamment via le CNC afin d’accompagner les acteurs du secteur et conforter notre bonne réputation internationale. L’essentiel de ces dispositifs consiste dans un crédit d’impôt et un fonds d’aide au jeu vidéo, auquel doit s’ajouter un fonds d’octroi de prêts participatifs permettant aux entreprises de disposer de fonds propres pour asseoir leur développement.

Nous devons adopter une démarche proactive et adapter sans cesse ces dispositifs de soutien à la concurrence internationale si l’on veut éviter les délocalisations : le jeu vidéo est une industrie qui se déplace très rapidement. Je soutiens totalement le rapporteur lorsqu’il insiste sur cette nécessité. Je rappelle que le CNC a évalué à 8 millions d’euros le montant du crédit d’impôt pour 2015 et qu’en 2013 un euro de crédit versé a rapporté 1,80 euro de recettes fiscales à l’État et entraîné 8 euros de dépenses réalisées dans la filière. Cet outil essentiel à la compétitivité de la filière française doit impérativement être adapté et pérennisé.

M. Patrick Hetzel. L’État a la responsabilité de deux grandes bibliothèques, dont la Bibliothèque nationale de France, véritable fleuron de notre patrimoine, qui contribue au rayonnement de la culture française, grâce notamment à la numérisation de son fonds et au dispositif Gallica. Or le rapport de M. Rudy Salles a nourri mon inquiétude au sujet des travaux de rénovation du quadrilatère Richelieu : seulement 13,2 millions d’euros en crédits de paiement ont été budgétés, ce qui représente moins de 10 % des crédits de paiement nécessaires au projet de rénovation, laquelle doit s’étaler sur cinq à six ans. Je crains donc que nous ne disposions pas du budget permettant de réaliser les travaux dans les délais, ce qui risque de générer des surcoûts, d’autant que le chantier a déjà connu certaines surprises – la découverte d’amiante, par exemple.

M. Michel Pouzol. La sanctuarisation des budgets de la culture est une très bonne nouvelle, aussi bonne peut-être que le fait que le budget de l’éducation nationale redevienne le premier budget de l’État ! J’ai néanmoins été frappé que l’excellent rapport de Martine Martinel mette en évidence, à propos de Radio France, autant de questions similaires à celles que nous avons eu à nous poser lorsque nous évoquions France Télévisions, questions qui rejoignent par ailleurs celles que se pose Jean-Noël Carpentier sur la presse. Dans tous les cas, il s’agit de s’interroger sur l’adaptation de nos modèles historiques à un paysage bouleversé par le numérique et l’émergence de nouveaux usages, mais également sur la pertinence des stratégies mises en œuvre dans ces entreprises.

Face à ces bouleversements et grâce à la sanctuarisation des budgets de la culture, peut-être devons-nous prendre le temps de sortir de l’immédiateté et de réinterroger l’ensemble de nos dispositifs de soutien, pour tenir compte de cette nouvelle donne dans une vision globale de notre politique culturelle. Le temps de l’analyse n’est certes pas le temps budgétaire ni le temps politique, mais c’est peut-être le temps que nous devons prendre si nous voulons redynamiser un modèle qui nous tient tant à cœur et qui est essentiel tant pour l’économie de notre culture que pour son rayonnement. À entendre nos rapporteurs et les orateurs de nos groupes, il semble que ce nouveau monde à naître ne soit pas très loin de nos réflexions. À nous de lui tendre la main pour l’aider à entrer dans le réel et éclairer les chemins à prendre pour fixer les bases de l’acte II de l’exception culturelle.

Mme Dominique Nachury. Je félicite les trois rapporteurs pour leur travail, riches de réflexions et d’interrogations. Si le rapport de Jean-Noël Carpentier fait état de l’utilité du fonds Google et de la satisfaction du plus grand nombre des acteurs du secteur, il en pointe aussi les limites et les risques. Existerait-il d’autres solutions permettant la rémunération des contenus ?

Un mot enfin sur l’infaillibilité de l’AFP qu’a évoquée Michel Françaix. L’AFP a repris une information de la presse locale me concernant, selon laquelle j’avais été victime d’une agression et d’un vol. Or c’était faux… L’AFP n’est donc pas toujours infaillible.

M. le président Patrick Bloche. Il faut au moins convoquer un synode pour traiter de l’infaillibilité…

M. Hervé Féron. Mme Martinel a évoqué la mise en place, en septembre 2014, d’un portail commun de services de radio sur internet nommé direct-radio.fr, regroupant les principales radios privées et celles de Radio France. Grâce à ce portail, les auditeurs peuvent désormais passer d’une radio à l’autre et télécharger les podcasts qui les intéressent. Or, dans le projet de Mathieu Gallet pour Radio France, figure la fin de la gratuité du téléchargement des podcasts, alors même que ces émissions sont en partie déjà financées par la contribution à l’audiovisuel public, par ailleurs en hausse dans le PLF pour 2015 : autant de raisons qui me poussent à considérer que le téléchargement des podcasts doit demeurer gratuit.

D’autant que la gratuité d’accès aux productions audiovisuelles contribue à leur notoriété sur internet et à la valorisation de notre patrimoine culturel public. Nous pouvons prendre exemple sur de nombreuses institutions étrangères, notamment allemandes ou américaines, qui mettent leurs images sur internet en utilisation libre de droit, parfois en plus faible résolution. Êtes-vous favorable à la création d’un grand portail public de l’audiovisuel français à accès gratuit rassemblant diverses ressources, dont les podcasts de Radio France ?

Par ailleurs, le service de proximité de la radio s’incarne dans le réseau des quarante-quatre stations locales de France Bleu réparties sur tout le territoire. Or, comme vous le soulignez dans votre rapport, l’objet de France Bleu est de diffuser une information de proximité et de qualité et de valoriser le patrimoine et la vie culturelle des régions. Parce que ses animateurs radiophoniques sont de vrais professionnels et que l’offre de France Bleu répond à une demande croissante, les chiffres d’audience montent en flèche. Cependant les financements versés à France Bleu sont régulièrement en baisse, ce qui n’est pas sans conséquence en termes de masse salariale – techniciens, animateurs et journalistes. Les moyens en équivalents temps plein ne sont pas suffisants alors que la dynamique du réseau mérite d’être mieux soutenue. Cette volonté politique est nécessaire parce qu’il s’agit du réseau de proximité de la radio publique.

Le Mouv’, quant à lui, coûte 20 millions d’euros par an sans rencontrer la réussite escomptée : aussi est-il légitime de se demander s’il est pertinent d’institutionnaliser la culture alternative. La radio publique peut-elle rencontrer son public en s’appropriant la culture urbaine, qui est, par définition, une culture alternative ? Les jeunes veulent avant tout être acteurs. À l’époque des stations locales, il existait sur Radio France Nancy-Lorraine une émission, « Fréquence Fac », qui donnait la possibilité à de jeunes étudiants d’animer leur émission quotidienne. Elle avait rencontré son public parce qu’elle était pensée pour les jeunes et réalisée par les jeunes, de plus dans la proximité. Cela fonctionnait bien, et cela coûtait infiniment moins cher que le Mouv’ !

M. Michel Herbillon. Je veux féliciter nos trois collègues dont les rapports étaient très intéressants. Et notre réunion de ce matin, monsieur le président, montre combien était pertinente votre proposition, que j’avais soutenue, de nous réunir préalablement à la commission élargie pour entendre nos rapporteurs pour avis et débattre de leurs rapports.

Madame Martinel, je tiens à évoquer la place de la musique sur Radio France, dans le cadre de la rénovation de l’auditorium – l’orchestre de Radio France peut de nouveau s’y produire – et de l’ouverture début janvier 2015 de la Philharmonie de Paris : quelle serait, selon vous, la meilleure organisation des différentes salles de concert de Paris ? Si Paris a longtemps manqué de salles de concert, nous nous trouvons désormais, sinon devant une surabondance, du moins devant la nécessité d’organiser différents concerts dans différentes salles.

Je souhaite par ailleurs souligner la qualité du plaidoyer de M. Françaix pour la presse. Monsieur Carpentier, alors même que notre presse est très aidée, comment expliquer le fait que la France n’ait pas, comme les Britanniques, de journaux mondiaux de référence – je pense notamment au Financial Times. Ne serait-il pas possible de profiter des possibilités offertes en la matière par le numérique ?

Notre collègue Rudy Salles a souligné l’importance, la notoriété et la créativité du secteur français du jeu vidéo, mais également les dangers qui guettent ce secteur pourtant très porteur. Est-ce seulement dû à l’environnement juridique et fiscal ou y a-t-il d’autres raisons ?

Une suggestion pour terminer, monsieur le président : ne serait-il pas possible de changer de temps à autre le tableau qui orne la salle de la Commission des affaires culturelles, en ayant, pour cela, recours au Fonds national d’art contemporain ? Cela nous donnerait l’occasion de connaître un plus grand nombre d’œuvres. Pour Malraux, dois-le rappeler, la culture était « la connaissance du plus grand nombre d’œuvres par le plus grand nombre d’hommes ».

M. le président Patrick Bloche. Je remercie M. Herbillon de son intervention. Nous examinerons sa proposition lors d’une réunion du bureau de la Commission.

Mme Sophie Dessus. L’année dernière, l’Assemblée nationale a adopté différentes dispositions dans le cadre de la loi encadrant les conditions de la vente à distance des livres, visant notamment à interdire la gratuité des frais de port pour éviter que des grands groupes comme Amazon ne contournent la loi Lang sur le prix unique du livre. Il faut savoir que ces grands groupes, non contents d’être responsables de la mort programmée des librairies, se permettent de censurer les éditeurs – je pense au conflit qui a opposé cette année Hachette à Amazon. De plus, Amazon n’hésite pas à frauder le fisc et à violer le droit du travail.

Un an après le vote de ces dispositions législatives, ne conviendrait-il pas d’apporter de nouveau un soutien marqué aux vrais professionnels du livre qui, seuls, ne peuvent lutter contre de tels mastodontes ?

Mme Isabelle Attard. Le rapport de Mme Martinel évoque l’engagement de Radio France d’atteindre le taux de 30 % de femmes invitées lors de ses matinales. Je suis pour ma part très déçue de la faiblesse de cet engagement : derrière quelle excuse la société Radio France peut-elle bien se cacher pour ne pas viser plus haut que ces 30 % ? Sachant que cela fait deux hommes pour une femme, peut-on savoir comment s’opère la sélection ? Pensez-vous comme moi, madame la rapporteure, que le CSA devrait fixer des objectifs plus contraignants en termes de diversité ?

Alors que les sites de Radio France sont moins fréquentés que ceux des autres radios émettant sur le territoire national, le projet du président Mathieu Gallet de faire payer l’accès aux archives des émissions aggravera ce retard : je partage donc la vive opposition de notre rapporteure et de notre collègue Marcel Rogemont à ce projet. Aux États-Unis, toute œuvre réalisée par un agent public dans l’exercice de ses fonctions tombe automatiquement dans le domaine public. Les citoyens finançant déjà par leur impôt la création de ces œuvres, comment justifier un second paiement ?

Je partage également les conclusions du rapport de M. Carpentier sur le fonds Google. Ce n’est pas en rendant la presse financièrement dépendante d’une multinationale américaine que nous améliorerons son sort. Monsieur le rapporteur pour avis, avez-vous des propositions concernant l’avenir de ce fonds ?

Monsieur Salles, vous soulignez dans votre rapport l’importance de maintenir un équilibre économique entre tous les acteurs de la chaîne du livre, sans évoquer toutefois les problèmes posés par les plateformes de vente de livres numériques. Depuis plusieurs mois, Amazon applique des mesures de rétorsion à l’éditeur Hachette pour obtenir des baisses de ses tarifs. Hachette est pris au piège d’Amazon parce que ses lecteurs, clients d’Amazon, sont eux-mêmes dépendants de la plateforme. Alors qu’ils pensent avoir acheté des livres numériques, ils ne peuvent pas les transférer sur un autre système en raison des mesures techniques de protection – les fameuses DRM – mises en place par Amazon. J’ai proposé l’an dernier de supprimer l’application du taux réduit de TVA à ces pseudo-livres : nous suivrez-vous dans cette voie ?

La ministre de la culture et de la communication souhaite maintenir la réponse graduée prévue dans le cadre de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet en raison de ses aspects prétendument pédagogiques. Or la seule réussite de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) en la matière a été d’inciter les internautes à quitter les réseaux pair à pair vertueux pour des sites de téléchargement direct tels que Megaupload : les citoyens partageurs ont été poussés dans les bras des réseaux mafieux !

Monsieur le rapporteur pour avis, pensez-vous, comme moi, qu’en cessant la chasse aux partageurs de la culture, nous assécherons, à moindre coût, le financement des sites d’hébergement qui gagnent de l’argent sans le redistribuer aux auteurs ?

M. Christophe Premat. La constante des trois rapports pour avis est celle d’une stratégie numérique impliquant de facto une réorganisation de l’audiovisuel public. Les pratiques d’accès à l’information ont évolué – nous basculerons bientôt vers le Web 3.0 qui multipliera les occasions interactives et participatives.

De plus, les frontières entre les différents médias sont poreuses. On lit sur internet, on peut y écouter l’extrait d’un journal ou regarder des vidéos, sans oublier l’apport du sous-titrage. Au regard de la stratégie numérique, la convergence vers un service universel numérique prend-elle forme ?

Ce service universel numérique impliquerait de réfléchir également à la fiscalité numérique applicable aux moteurs de recherche – question que vous abordez, Monsieur Carpentier, en évoquant la « Lex Google ». Je rejoins mes collègues sur la nécessité de revoir les pratiques d’optimisation fiscale pour éviter toute dépendance par rapport à une multinationale.

Par ailleurs, le rapport « sur la francophonie économique », remis par Jacques Attali au Président de la République le 26 août dernier, regrettait l’absence d’un Netflix à la française, qui bouleverse les pratiques d’accès aux médias. Que pensez-vous d’une telle perspective, qui touche les structures et l’évolution de tous les médias ?

Enfin, je rejoins le souci de Michel Herbillon : pourrions-nous imaginer un titre de presse international, à l’exemple de The Economist, non pas français mais francophone ? Si oui, nous gagnerions à nous rapprocher de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), pour réfléchir aux conditions d’émergence d’un vrai titre de presse international.

Mme Laurence Arribagé. Monsieur Carpentier, le montant des crédits d’aides à la presse s’est élevé en 2015 à un peu plus de 260 millions d’euros. Si de nombreux organes de presse ont besoin de cette aide, qui est vitale pour eux, d’autres appartiennent à de grands groupes qui font des bénéfices et distribuent chaque année des dividendes importants à leurs actionnaires. À titre d’exemple, un grand groupe dont le principal actionnaire est un fonds d’investissement étranger a, en 2013 et 2014, distribué 2 milliards d’euros de dividendes alors qu’il a perçu plusieurs dizaines de millions d’euros d’aides à la presse, notamment d’aide au portage.

Nos concitoyens, qui font face actuellement à une pression fiscale de grande ampleur, peuvent légitimement s’interroger sur la pertinence, la répartition, l’efficience et le ciblage de ces aides mais aussi sur leur attribution à un groupe qui n’en a manifestement pas besoin. S’il n’est pas question de remettre en cause les aides qui permettent de bénéficier d’une presse pluraliste et de qualité, il conviendrait de prendre en considération la nature et les contraintes économiques des organes de presse et de leurs propriétaires, afin que les impôts de nos concitoyens n’alimentent pas les dividendes des actionnaires de groupes privés.

C’est pourquoi je m’interroge sur la possibilité de conditionner la perception définitive de ces aides à la non-distribution de dividendes ou à un plafonnement desdits dividendes à 50 % des aides obtenues, par exemple. Les sommes correspondant au remboursement des aides indues viendraient abonder un fonds d’urgence de la presse destiné à conforter le soutien aux organes de presse en situation précaire ou à allotir, de façon additionnelle et proportionnelle, tous les autres bénéficiaires des aides à la presse.

M. Stéphane Travert. Le rapport de Mme Martinel nous livre une vision très juste de la situation de l’audiovisuel public, en particulier de Radio France, dont la mission de service public est essentielle car elle garantit l’équité, la diversité, la mixité et la culture des valeurs de la République à l’égard de tous nos concitoyens.

Le service public, notamment Radio France, c’est le laboratoire des idées, de l’information, de la musique, de la fiction et de la création. Or vous avez illustré, madame la rapporteure pour avis, à travers de nombreux exemples, la difficulté que rencontre aujourd’hui Radio France pour afficher l’identité précise de chacune de ses stations.

Comment par ailleurs Radio France peut-elle réussir l’entrée dans l’ère du numérique, qui garantit des ressources nouvelles tant sur le plan financier qu’en termes de taux d’audience, toutes stations confondues ? Selon vous, la nouvelle stratégie autour du numérique tarde à porter ses fruits. Comment renforcer l’identité des stations ? Comment les personnels se sont-ils adaptés à la révolution numérique ? Comment concilier l’exigence de service public et la nécessité de modifier l’âge moyen des auditeurs qui, selon le PDG de Radio France, est trop élevé ? Pensez-vous comme lui qu’il faille baisser le niveau d’exigence pour toucher des catégories dites populaires ?

M. Christian Kert. La réservation prioritaire des fréquences en faveur de Radio France soulève un débat régulier lorsque nous rencontrons les représentants de syndicats de producteurs de radio. Si notre excellente rapporteure a rappelé à juste titre que des acteurs contestent aujourd’hui ce droit de préemption de l’État, elle ne nous a pas fait part de son opinion personnelle sur le sujet. S’est-elle forgée une philosophie sur la question, qui nous permettrait d’apporter une réponse homogène aux représentants des syndicats lorsqu’ils nous interrogent sur le sujet ?

M. le président Patrick Bloche. Je remercie le bureau de la Commission d’avoir pris la décision de consacrer un temps de réflexion et de discussion aux rapports pour avis. Je tiens à souligner que nous sommes la seule commission à procéder ainsi.

Mme Martine Martinel, rapporteure pour avis. Monsieur Pouzol, la sanctuarisation du budget, c’est normalement pour demain soir… C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas évoquée. Je tiens à ajouter que Radio France n’est pas la société audiovisuelle qui ait le plus pâti de l’austérité budgétaire, même si on l’entend dire parfois.

M. Féron a évoqué la gratuité des téléchargements. Cette question semble faire l’unanimité de la Commission : l’audiovisuel public ne saurait faire payer l’accès aux podcasts, alors que nos concitoyens paient déjà une redevance.

J’ai évoqué à grands traits l’idée d’une offre commune de l’audiovisuel public numérique. Si elle est souhaitée par certains, elle paraît toutefois pour le moment très difficile à mettre en place, d’autant que les différents partenaires ne manifestent pas une réelle volonté de s’associer. Peut-être M. Gallet qui, je l’espère, est conscient, au-delà du boulevard qui s’est ouvert devant lui, des difficultés à venir, s’attachera-t-il à ce travail dans le cadre du nouveau COM.

Le réseau de France Bleu se développe, tout en marquant le pas sur le plan du numérique. Le rapport de la mission Brucy a évoqué un rapprochement entre France Bleu et France 3 – cette idée est à l’étude.

C’est à juste titre, monsieur Herbillon, que vous avez évoqué la place de la musique dans le cadre de la rénovation de l’auditorium de Radio France et de l’ouverture de la Philharmonie de Paris. À ma connaissance, aucune vraie réflexion n’est menée à l’heure actuelle sur le risque d’une possible concurrence, voire d’un télescopage entre ces deux installations prestigieuses et coûteuses. Il faudra veiller à les utiliser et à les gérer dans un double souci de qualité de l’offre musicale et de respect de l’argent public. Il serait dommage que de si belles salles offrent des concerts concurrents ou soient à peine remplies. Je n’ai pas été contactée pour participer à l’élaboration d’une quelconque synergie entre leurs programmations ! Je ne pense pas du reste que M. Gallet ait à pour l’heure son mot à dire sur le sujet.

Madame Attard s’est inquiétée de la faiblesse de la participation des femmes. Il est nécessaire que le CSA s’attache à la présence à l’antenne non seulement des femmes mais également de la diversité au sens plus général. Il est vrai que je me suis penchée plus particulièrement sur la question des femmes. C’est le CSA qui, après études, a fixé ce taux de 30 %. On peut, assurément, s’inquiéter du faible nombre de femmes invitées à l’antenne : plus inquiétante encore me semble être la place réduite des femmes cadres à Radio France. Le COM qui vient à échéance avait prévu de la porter à 35 % : or ce taux n’est pas encore atteint. M. Gallet devra s’employer à tenir les objectifs fixés.

M. Féron a également souhaité la création d’une antenne alternative diffusant de la musique faite par les jeunes et pour les jeunes : je n’y suis pas favorable. Si Radio France veut exister comme radio publique de qualité, toutes ses antennes méritent d’être rajeunies. Il est inutile d’enfermer les jeunes dans une culture dite alternative : ils peuvent s’intéresser à toutes les cultures et les personnes plus âgées aux cultures urbaines.

Monsieur Travert, je n’ai pas eu le sentiment que M. Gallet ait manifesté son souhait de baisser le niveau d’exigence en vue de toucher tous les publics. S’il l’a dit, c’est une erreur. Les publics populaires ont une exigence aussi grande que les publics cultivés. Souvent, on s’interdit à tort des choses auxquelles on ne croit pas être préparé : c’est une vision bien peu démocratique et à courte vue de la culture.

Je suis favorable, monsieur Kert, à l’adoption d’une position homogène sur le droit de préemption. La question est toutefois complexe et les fréquences ne semblent pas toujours préamptées à bon escient. Les tutelles pourraient se préoccuper de ce problème.

M. Jean-Noël Carpentier, rapporteur pour avis. Les évolutions numériques ne peuvent faire l’objet d’aucune solution miracle, d’autant que nous ne disposons pas en la matière d’une boule de cristal. L’évolution du numérique nous bouscule, si bien que nous ne pouvons pas nous projeter avec certitude sur le long terme – c’est déjà difficile à moyen terme.

En revanche, s’agissant de la presse, nous sommes bien au milieu du gué. M. Salles a raison : nous assistons à une baisse inexorable de la diffusion de la lecture sur papier sans disposer pour autant d’un modèle numérique abouti de la presse. Nous ne devons pas opposer le numérique au papier : les supports et les objectifs ne sont pas les mêmes, mais les deux sont de l’écrit, les deux sont de la presse, les deux sont du journalisme. Accompagner leur mutation est loin d’être facile, surtout en période de difficulté économique, mais demeure possible, d’autant que l’information sur internet a besoin de références fortes, qui permettent de guider le lecteur tout en étant susceptibles d’être enrichies par d’autres acteurs de l’information, plus petits.

Monsieur Herbillon, l’absence de titre de référence mondial en français peut s’expliquer en partie par le fait que le français est moins parlé que l’anglais dans le monde. Cela étant, les journaux français s’y préparent. Nous avons auditionné Mme Isabelle André, président-directeur général du Monde Interactif : pour elle, l’une des orientations du Monde est le développement à l’international via le numérique, avec, notamment, la possibilité de publier sur la Toile des éditions du Monde en plusieurs langues.

Les demandes de nos concitoyens sont pleines de contradictions : ils veulent de l’information qui soit à la fois en continu, disponible partout et de qualité. Les éditeurs de presse et les journalistes doivent s’atteler à répondre à cette demande en améliorant encore leur valeur ajoutée. C’est pourquoi je ne crois pas au tout gratuit sur internet : si l’on veut une valeur ajoutée, si l’on veut de la qualité, il faut des moyens, il faut bien payer les journalistes. Les aides de l’État doivent accompagner cette mutation en ne portant plus uniquement sur la presse papier. Un rééquilibrage est nécessaire.

Il faut également améliorer l’éducation aux médias, notamment dans le cadre des programmes scolaires – mon expérience de maire me le confirme – en enseignant le recul citoyen par rapport à la Toile. D’ailleurs, les jeunes générations s’y préparent.

Le fonds Google est le résultat d’un accord pragmatique. Google utilisant les contenus des journaux, les éditeurs de presse arguent fort légitimement qu’ils participent à la croissance du moteur de recherche et donc de ses capacités publicitaires et de ses gains. Il est donc normal à leurs yeux que Google abonde ce fonds. Mais face à ce géant tentaculaire, les éditeurs doivent faire converger leurs intérêts aux plans international et européen. Les éditeurs français, allemands ou suisses ne peuvent pas mener des stratégies différentes.

Le fonds Google nous pose la question de la fiscalité numérique. Google et les autres majors doivent participer au financement de la diffusion de l’information. Nous, parlementaires, devons réfléchir, à côté de l’État, à un modèle permettant de faire participer ces majors. Les éditeurs sont favorables à la proposition de création d’une taxe sur les appareils connectés mais par les temps qui courent, créer une nouvelle taxe, ce n’est pas terrible… De plus, l’instauration d’une telle taxe ne réglerait pas le problème de la participation de Google au financement de la diffusion de l’information.

Je regrette en outre l’opacité totale de l’accord commercial entre Google et les éditeurs, paraphé par les plus hautes autorités de l’État. Certes, un tel accord relève du droit privé des affaires mais nous y avons participé au plan financier. La moindre des choses serait d’en connaître la teneur. Ni la ministre ni nous-mêmes n’en avons eu connaissance, ce qui n’est pas normal.

Je regrette enfin que les éditeurs de presse ne s’entendent pas entre eux pour rationaliser le système de la presse papier. Si je ne crois pas à la disparition totale du papier, je pense en revanche qu’elle diminuera fortement en volume, pour atteindre un niveau que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de calculer, mais qui sera à coup sûr très bas. Et pour imprimer beaucoup moins de journaux, il faudra évidemment moins d’imprimeries. Les éditeurs devront se mettre d’accord et comprendre que l’argent public ainsi économisé doit servir à mener à bien cette mutation en engageant comme il convient les négociations avec les personnels qui travaillent dans le secteur de la presse papier : les syndicats sont d’ailleurs ouverts à la discussion. Nous attendons de connaître les rapports commandés par Mme la ministre sur le sujet.

M. Rudy Salles, rapporteur pour avis. Alors que la créativité française en matière de jeux vidéo est très importante, les difficultés que rencontre ce secteur sont de plusieurs ordres : instabilité juridique, instabilité fiscale, aide inadaptée ne permettant pas d’assurer la compétitivité du secteur, contrairement aux politiques menées par d’autres pays en ce domaine. Trop de jeunes créateurs, formés dans nos écoles, partent notamment à Montréal pour y travailler. Bien que l’activité de ce secteur explose depuis dix ans, le nombre de ses salariés diminue en France : c’est un paradoxe auquel il convient de mettre fin.

Je ne saurais répondre à la proposition de Mme Isabelle Attard de mettre fin au taux réduit de TVA pour les plateformes de livres numériques. Ce sujet mérite que nous y travaillions de manière approfondie. Nous avons tous la volonté de défendre le livre mais également les plateformes qui le méritent. Nous avons un peu de temps : les revenus de l’édition numérique ne représentent qu’environ 4 % du chiffre d’affaires des éditeurs. Peut-être, monsieur le président, devrions-nous en profiter pour mettre en place un groupe de travail sur le sujet.

Que n’a-t-on entendu sur Hadopi sous la précédente législature, notamment de la part de l’opposition de l’époque ! On pouvait donc s’attendre, depuis deux ans et demi, à de grands changements. La Hadopi devait disparaître et le CSA reprendre ses activités : or, il ne s’est rien passé… et il ne se passe toujours rien ! Il faut savoir que la Hadopi est aujourd’hui exsangue, avec un budget bloqué à 6 millions d’euros. La réponse graduée est à la fois ce qui lui coûte le plus cher et ce qui est le moins efficace – d’aucuns l’avaient prédit lors de l’examen du projet de loi créant cette autorité. En revanche, la Hadopi favorise aussi l’offre légale : il conviendrait de soutenir cette mission importante.

Je vous pose la question, mes chers collègues de la majorité : que voulez-vous faire de la Hadopi ? Si la situation continue, l’institution court à la catastrophe. La faiblesse de son budget lui interdit de remplir les missions que le législateur lui a confiées. Je tiens à rappeler, en effet, que la Hadopi a été créée par la loi et ne peut être supprimée et éventuellement remplacée par un autre dispositif que par l’adoption d’une nouvelle loi. Or je n’ai aucune nouvelle allant en ce sens.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, monsieur Salles, d’avoir posé une excellente question pour la réunion de la commission élargie : ce sujet pourra être utilement relayé par des députés d’autres groupes parlementaires.

Je vous remercie tous pour la qualité de nos échanges durant cette discussion, particulièrement dense.

Qu’il me soit permis de féliciter en notre nom à tous les trois rapporteurs pour avis, ainsi que leurs administrateurs qui les ont accompagnés dans ce travail approfondi.

III. EXAMEN DES CRÉDITS

À l’issue de l’audition, en commission élargie, de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine, pour avis, les crédits pour 2015 des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Avances à l’audiovisuel public ».

M. le président Patrick Bloche. Avant de procéder au vote des crédits, nous allons examiner l’amendement AC9 de Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Lors de son audition par la Commission des affaires culturelles, le 14 octobre dernier, Mme la ministre de la Culture et de la Communication a affirmé : « Je suis attachée à ce que la Hadopi ait des compétences en vertu de la loi, à l’heure actuelle il n’est pas question que celle-ci ne puisse remplir ses missions. Il peut très bien y avoir un dialogue budgétaire ».

Pour mémoire, un montant exceptionnellement bas avait été attribué à l’institution en 2014 en tenant compte de ses disponibilités en fonds de roulement. Or, pour 2015, la dotation envisagée pour la Haute autorité reste gelée à 6 millions d’euros, malgré l’absence de disponibilités équivalentes en fonds de roulement. Ce montant est insuffisant pour lui permettre d’exécuter ses missions. Les dotations publiques ont diminué de 51 % en 4 ans, ce qui est une trajectoire hors norme ; dans le même temps, le budget a diminué de 36 %. La Hadopi a aujourd’hui atteint un plancher en deçà duquel il ne lui est pas possible de fonctionner. Elle ne peut plus, comme l’an dernier, puiser dans son fonds de roulement, car celui-ci doit être préservé afin de respecter les normes comptables et les règles de bonne gestion.

Si la volonté sous-jacente du Gouvernement est de restreindre les missions de la Hadopi à la riposte graduée par l’asphyxie budgétaire, cela se fait au mépris de la loi qui lui confie d’autres missions.

Le dialogue budgétaire proposé par Mme la Ministre s’avère donc indispensable : pour maintenir la conduite de ses missions, la Hadopi doit voir sa dotation augmenter d’au moins 1,5 million d’euros pour 2015.

Tel est l’objet du présent amendement, qui se présente comme un amendement d’appel. Notre volonté n’est pas de réduire les crédits du programme presse, bien au contraire. Mais en vertu de la LOLF, nous étions contraints de compenser toute augmentation de crédits au sein même de la mission pour pouvoir ouvrir le débat. Cela étant fait, je retire l’amendement AC9.

M. Rudy Salles. Je regrette le retrait de cet amendement car j’y suis favorable. Il s’agit là d’un problème grave, sur lequel Mme la ministre ne nous a pas répondu ce soir. C’est la première fois que nous voyons une institution publique traitée de la sorte et je regrette qu’elle ne soit pas restée pour le débat sur cet amendement.

M. le président Patrick Bloche. Je constate que la question de la Hadopi a été évoquée à plusieurs reprises par nos collègues de l’opposition : lors de l’audition de Mme la ministre par la Commission la semaine dernière, lors de la présentation des avis budgétaires, hier, et ce soir, de nouveau, durant cette commission élargie. Cela semble être leur seule préoccupation au sein de ce budget !

Mme la ministre a redit ce soir que la dotation de 6 millions d’euros était suffisante pour que la Hadopi exerce ses missions. Je le pense également.

Je vous fais observer qu’il est tout à fait normal, dans le cadre de la LOLF, que Mme la ministre ne soit pas présente : elle est venue pour être auditionnée dans le cadre de la commission élargie mais n’avait pas à assister à nos travaux au sein de la Commission des affaires culturelles. Si vous souhaitez l’interroger à nouveau sur ce sujet, vous pouvez redéposer un amendement en séance publique mercredi prochain, lors de l’examen de la mission « Médias » : le gouvernement sera alors présent et pourra vous répondre.

M. Rudy Salles. Je demande simplement une clarification. Personne, aujourd’hui, ne sait où va cette institution. On peut être contre son existence mais, dans ce cas, il convient de modifier la loi pour la supprimer ou la remplacer. Et je persiste à considérer que Mme la ministre n’a pas été claire.

M. le président Patrick Bloche. Je vous mets en garde, mes chers collègues : à force de réclamer une clarification, d’aucuns pourraient être tentés de déposer une amendement de suppression des crédits de la Hadopi…

L’amendement AC9 est retiré.

M. le président Patrick Bloche. Je consulte maintenant la commission sur les crédits pour 2015 de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que sur les crédits figurant à l’état D pour les comptes spéciaux « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » et « Avances à l’audiovisuel public ». Je rappelle que nos trois rapporteurs pour avis ont donné un avis favorable.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que des crédits figurant à l’état D pour les comptes spéciaux « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » et « Avances à l’audiovisuel public ».

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

Ø Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS) – M. Christian Bruneau, président

Ø M. Jean-Marie Charon, sociologue, président de la Conférence nationale des métiers du journalisme (CNMJ)

Ø Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) – M. Francis Morel, président, président du groupe Les Échos, et Mme Sabine Ozil, responsable des affaires économiques et européennes

Ø Agence France Presse (AFP) – M. Emmanuel Hoog, président et M. Emmanuel Marcovitch, directeur-général adjoint

Ø Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) –M. Georges Sanerot, président, président du directoire du groupe Bayard, et Mme Sabine Ozil, responsable des affaires économiques et européennes

Ø Groupe La Poste – M. Nicolas Routier, directeur général de la branche Services-Courriers-Colis

Ø Syndicat national des journalistes (SNJ) – M. Éric Marquis, journaliste à L’Express, secrétaire générale de la section Île-de-France du SNJ, membre du bureau national du SNJ, ancien président de la Commission de la carte des journalistes professionnels (CCIJP), et M. Antoine Chuzeville, journaliste à France Télévisions, secrétaire général de la section France-Télévisions du SNJ, membre du bureau national du SNJ

Ø Open internet project (OIP) – M. Benoit Sillard, president-directeur général, CCM Benchmark Group

Ø Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) – M. Jean Viansson Ponté, président, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère chargée des relations avec les pouvoirs publics

Ø Les indignés du PAF – Mme Sabine Chevrier et M. Philippe Guihéneuf, membres

Ø Fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse (FINP) –M. Ludovic Blecher, directeur

Ø Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) 3 – M. Maurice Botbol, président, président d’Indigo publications, et M. Edwy Plenel, secrétaire général, président et directeur de publication de Mediapart

Ø Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) – M. Bruno Lesouëf, président, et Mme Pascale Marie, directeur général

Ø M. Patrick Eveno, professeur en histoire des médias à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI)

Ø Mme Isabelle André, présidente-directrice générale du Monde Interactif

Ø Mme Marie Sirinelli, première conseillère à la 6e chambre de la Cour administrative d’appel de Paris, et Mme Sophie Lecointe, chef du bureau du régime juridique de la presse au ministère de la culture

Ø M. Marc Schwartz, médiateur du conflit entre Google et les éditeurs de presse

Ø Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP)  M. Jean-François Mary, président, et Mme Axelle Hovine, secrétaire générale

Ø M. Nicolas Vignolles, conseiller parlementaire de Mme la ministre de la culture et de la communication et M. Christopher Miles, conseiller budgétaire

Ø Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (GESTE) –Mme Corinne Denis, présidente, Mme Laure de Lataillade, directeur général, Mme Rama Diagne, juriste

Ø Metronews – M. Edouard Boccon-Gibod, président

Ø Direction générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication – Mme Laurence Franceschini, directrice générale, M. Fabrice Casadebaig, sous-directeur de la presse, Mme Sophie Faure-Wharton, chef de bureau du régime économique de la presse et des métiers de l’information, M. Patrick Comoy, adjoint au chef de bureau du régime économique de la presse et des métiers de l’information

Ø Presstalis – Mme Anne-Marie Couderc, présidente du conseil d’administration, M. Stéphane Bribard, directeur des relations institutionnelles

Ø Conseil national du numérique  M. Benoît Thieulin, président, et M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général

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