N° 3115 tome IV - Avis de M. François Lamy sur le projet de loi de finances pour 2016 (n°3096)



N
° 3115

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI
de finances pour 2016 (n° 3096)

TOME IV

DÉFENSE

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

par M. François Lamy

Député

——

Voir les numéros : 3110 (annexe 12)

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE TERRE POUR 2016 8

I. LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE TERRE SONT AJUSTÉS À LA HAUSSE, CONFORMÉMENT À LA LPM ACTUALISÉE 8

A. LA LPM ACTUALISÉE A REDÉFINI LE FORMAT DES FORCES TERRESTRES 8

1. Le nouveau format de l’armée de terre, ajusté en fonction de son nouveau contrat opérationnel 8

a. Un renforcement des effectifs 8

b. Un effort en faveur de l’équipement des forces terrestres 9

2. Un nouveau modèle pour l’armée de terre 10

a. Le modèle « Au contact » permet à l’armée de terre un rééquilibrage de ses fonctions stratégiques. 10

b. La poursuite de l’opération Scorpion 11

B. LE BUDGET DE L’ARMÉE DE TERRE POUR 2016 EST CONFORME À LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE ACTUALISÉE 13

1. La montée en puissance de la force opérationnelle terrestre 14

a. Un recrutement ambitieux pour répondre aux contrats opérationnels de l’armée de terre 14

b. Un effort significatif en faveur des équipements 14

2. Une maîtrise continue des dépenses de fonctionnement et de soutien 16

II. MALGRÉ UN EFFORT FINANCIER CONSÉQUENT, LES CAPACITÉS DES FORCES TERRESTRES PRÉSENTENT DES POINTS DE VIGILANCE 17

A. LES BESOINS D’ENTRETIEN PROGRAMMÉ DES MATÉRIELS CONTINUENT À CROÎTRE 17

B. UNE SOUS RÉALISATION RÉCURRENTE DES OBJECTIFS DE PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE 19

SECONDE PARTIE – L’OPÉRATION SENTINELLE 21

I. SENTINELLE, UN CHANGEMENT DE PARADIGME : D’UNE LOGIQUE DE RENFORT MILITAIRE PONCTUEL À UNE STRATÉGIE DE DÉPLOIEMENT DANS LA DURÉE SUR LE TERRITOIRE NATIONAL 21

A. EN JANVIER 2015, L’ARMÉE DE TERRE SE DÉPLOIE AVEC SUCCÈS, SUIVANT LES PLANS DE PROTECTION DU TERRITOIRE 21

1. Le déploiement initial de l’armée de terre s’inscrit dans le cadre des plans de protection du territoire, suivant une logique de renfort ponctuel des armées aux forces de sécurité intérieure 21

2. Le déploiement de l’armée de terre sur le territoire national est une réussite opérationnelle 23

a. Un déploiement dans l’urgence qui a démontré le savoir-faire de l’armée de terre 23

b. Une mise en œuvre réussie de la chaîne de soutien 24

c. Une efficacité immédiatement reconnue, encore que difficile à évaluer 25

B. À PARTIR DU PRINTEMPS 2015, SENTINELLE SE PROLONGE AU-DELÀ DU CADRE PRÉVU PAR LE CONTRAT OPÉRATIONNEL DE L’ARMÉE DE TERRE 25

1. Le déploiement massif de l’armée de terre sur le territoire national s’inscrit désormais dans la durée 26

a. L’opération Sentinelle est appelée à s’inscrire dans la durée, sous quelque forme que ce soit 26

b. Sans recours aux armées, la mise en œuvre de Vigipirate alerte attentat ne serait pas possible 26

2. La prolongation de l’opération Sentinelle au-delà du délai fixé par le contrat opérationnel crée des tensions importantes dans la préparation et l’emploi des forces terrestres 27

a. Des tensions dans l’organisation de la préparation opérationnelle des forces terrestres 28

i. Des renoncements dans la préparation opérationnelle 28

ii. Des renoncements en matière d’exercices internationaux 30

b. Des difficultés pour le maintien de l’échelon national d’urgence et les forces prépositionnées 30

i. L’échelon national d’urgence 30

ii. Les forces prépositionnées 31

c. Un risque, pour l’instant maîtrisé, de lassitude grave des hommes 31

i. Des facteurs de risque 31

ii. Sentinelle n’a pour l’heure pas d’impact visible en matière d’arrêts de travail pour les soldats de l’armée de terre, contrairement au personnel de certaines forces de sécurité intérieure 32

iii. Un moral encore solide 33

iv. Des points de vigilance 33

d. Un défi pour l’emploi des forces terrestres 34

II. LE RETOUR MASSIF DE L’ARMÉE DE TERRE SUR LE TERRITOIRE NATIONAL : UN FORMAT RÉAJUSTÉ, MAIS UNE REFONDATION DOCTRINALE, CONCEPTUELLE ET CULTURELLE ENCORE À OPÉRER 35

A. L’ACTUALISATION DE LA LPM 2014-2019 A PLANIFIÉ L’ADAPTATION DU FORMAT DE L’ARMÉE DE TERRE À LA PÉRENNISATION DE L’OPÉRATION SENTINELLE 35

1. La LPM actualisée a revu à la hausse le format de la force opérationnelle terrestre 35

a. Un renforcement de la force opérationnelle terrestre à la mesure des besoins créés par Sentinelle 36

b. Une actualisation qui ne règle pas tous les problèmes capacitaires 36

i. L’actualisation de la LPM n’a pas pris en compte toutes les implications de Sentinelle sur le soutien et les matériels 36

ii. L’accroissement des effectifs ne sera achevé qu’à l’été 2017 37

2. Le nouveau format de l’armée de terre a déjà été décliné en un nouveau modèle d’armée, intitulé « Au contact » 39

B. MAINTENIR SENTINELLE DANS LA DURÉE SUPPOSE UN TRAVAIL DE REFONDATION DOCTRINALE, CONCEPTUELLE ET CULTURELLE ENCORE EN COURS 40

1. Réfléchir à la notion même d’« opération intérieure » 41

2. Un effort particulier de protection de tous types de sites sensibles 43

a. La protection des emprises de la défense 43

b. La protection d’un ensemble de sites sensibles 44

3. Une réflexion à approfondir sur l’articulation entre les armées et les forces de sécurité intérieure 44

a. Un véritable enjeu 44

b. Un premier bilan positif 45

c. Des marges de progrès mises en évidence par les premiers RETEX 45

d. Des progrès à consolider 48

4. Ajuster, le cas échéant, la doctrine d’emploi des forces terrestres sur le territoire national 48

a. Un travail doctrinal en cours 49

b. Un préalable nécessaire : la définition de la mission 49

i. Employer les forces, et particulièrement celles de l’armée de terre, à ce à quoi elles sont véritablement efficaces 49

ii. Faire une juste place à l’autoprotection 52

c. Des voies de réflexion pour ajuster notre doctrine à la menace 53

i. Grands traits de l’évolution de la menace 53

ii. Quelques éléments à verser au débat 56

d. Une réflexion doctrinale qui gagnera à s’inscrire dans une redéfinition du plan Vigipirate 58

i. Un risque : se « lier les mains » en immobilisant un effectif militaire qui pourrait être mieux employé 58

ii. Une réflexion à mener : comment adapter la mise en œuvre du plan Vigipirate pour exploiter au mieux les capacités des armées 58

TRAVAUX DE LA COMMISSION 61

I. AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE BOSSER, CHEF D’ÉTATMAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE 61

II. EXAMEN DES CRÉDITS 79

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis 83

INTRODUCTION

Le budget de l’armée de terre pour 2016 est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) actualisée en juillet dernier, et c’est un bon budget.

Il prévoit le financement de la mesure-phare de l’actualisation de la LPM : l’augmentation des effectifs de notre force opérationnelle terrestre pour répondre aux besoins créés par l’opération Sentinelle. Ces effectifs seront portés de 66 000 à 77 000 hommes dès la fin de l’année 2016. Davantage d’hommes suppose davantage d’équipements ; là aussi, ce projet de loi de finances pourvoit au financement de livraisons et de commandes importantes.

C’est à l’opération Sentinelle qu’est consacrée la seconde partie du présent avis. Le rapporteur y montre avec quel succès l’armée de terre a su se déployer en urgence sur le territoire national, tout en mettant en exergue le changement de posture majeure que constitue la pérennisation de cette opération : l’engagement massif des armées sur le territoire national n’avait été conçu que pour être ponctuel, mais il est désormais durable.

Et parce qu’il est durable, il soulève plusieurs questions, tant sur le moral et la condition des personnels, que sur leur emploi. À cet égard, le rapporteur tire de ses travaux la conclusion que si l’armée de terre peut effectivement intervenir en appui des forces de sécurité intérieure, ce ne peut valablement être ni pour pallier l’insuffisance des effectifs de celles-ci, ni pour se substituer à elles. Certes, l’adversaire est le même à l’intérieur et à l’extérieur des frontières ; pour autant, le territoire national n’est pas un théâtre de guerre, et pour l’heure, les modes d’action de l’État ne peuvent pas être les mêmes. Le rapporteur formule ainsi plusieurs observations à verser aux réflexions parlementaires et interministérielles en cours sur les évolutions des concepts et de la doctrine militaires ainsi que du plan Vigipirate.

Le rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2015, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 24 réponses sur 24 lui étaient parvenues, soit un taux de 100 %.

PREMIÈRE PARTIE
LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE TERRE POUR 2016

L’année 2015 a bien entendu été particulièrement marquée par les attentats de janvier, qui ont conduit à la mobilisation des forces armées pour la protection du territoire national.

2015 est également une année de rupture : la loi du 28 juillet 2015 actualisant la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 prévoit en effet une hausse des crédits et des ressources humaines alloués à la mission Défense, en vue de financer plusieurs priorités, en tête desquelles la protection du territoire national.

La visibilité de l’armée de terre sur le territoire national est très forte depuis janvier 2015, avec le déploiement de 10 500 hommes dès janvier dans le cadre de l’opération Sentinelle. Depuis, et encore aujourd’hui, 7 000 hommes sont constamment mobilisés dans le cadre de cette mission de protection et de lutte contre le terrorisme sur le territoire national, ce qui a appelé une rénovation du contrat opérationnel de l’armée de terre. Tirant les conséquences de ce contexte sécuritaire nouveau, le président de la République a décidé d’inscrire cette opération dans la durée, ce qui supposait au premier chef de donner davantage de moyens humains et financiers à l’armée de terre. Les moyens supplémentaires programmés par l’actualisation de la LPM en juillet 2015 sont retranscrits dans le projet de loi de finances pour 2016.

Selon les orientations initiales de la LPM 2014-2019, l’armée de terre devait disposer d’une capacité opérationnelle de 66 000 hommes projetables, appelée « force opérationnelle terrestre » (FOT) et articulée en sept brigades interarmes organisées selon un principe de la différenciation. La FOT devait ainsi être réduite de 5 000 hommes par rapport à son format antérieur. Selon les précisions fournies par le directeur des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT), au 1er janvier 2015, l’effectif de la FOT ne s’élevait déjà plus qu’à 66 680 personnels. L’actualisation de la LPM, tenant compte du « contrat de protection » du territoire national assigné à l’armée de terre, a redimensionné l’effectif de la FOT, qui devra atteindre dès fin 2016 le format de 77 000 hommes.

Cependant, comme le chef d’état-major de l’armée de terre l’a fait valoir au rapporteur, l’armée de terre continue à participer à la rationalisation du ministère de la Défense. En effet, seule la FOT voit ses effectifs augmenter : les déflations prévues dans les soutiens devront donc être mises en œuvre, voire accélérées si nécessaire, car 3 382 postes devront être supprimés d’ici 2019.

Le Livre blanc de 2013 prévoyait une réduction globale des contrats opérationnels et, en conséquence, définissait « au plus juste » le format de l’armée de terre, y compris ses équipements, réduits à la stricte suffisance. S’agissant des matériels, la situation était alors d’autant plus tendue qu’ils étaient dans le même temps intensivement utilisés en opérations extérieures (OPEX), leur usure pesant sur les capacités opérationnelles de l’armée de terre.

Tirant les conséquences du haut niveau d’engagement opérationnel de l’armée de terre ainsi que de l’augmentation des effectifs de la FOT, la loi d’actualisation de la LPM a revu à la hausse les équipements de l’armée de terre.

La composante aéroterrestre bénéficie de l’effort financier principal, avec :

‒ la commande de sept Tigre HAD supplémentaires, dont les livraisons sont prévues entre 2017 et 2018, portant la cible de 60 à 67 hélicoptères ;

‒ le développement et l’intégration de la roquette de précision métrique sur le Tigre HAD, roquettes dont les premières livraisons sont prévues en 2020 ;

‒ la commande de six NH90 TTH supplémentaires, portant la cible du programme à 74 appareils, dont 35 sur la période 2014-2019 ;

‒ le maintien de l’opération consistant à mettre 39 Tigre HAP aux standards de la version HAD ;

‒ l’anticipation du programme d’hélicoptère interarmées léger (HIL) qui fera l’objet d’une étude d’ici 2017 et dont l’objectif est de remplacer, à terme, les flottes Gazelle et Fennec.

D’autres mesures sont prévues, notamment concernant le programme de remplacement des FAMAS. En effet, la nouvelle cible du programme « arme individuelle future » (AIF), concordante avec le nouveau format de l’armée de terre, atteint désormais 101 000 nouveaux fusils contre 90 000 initialement. Le rythme des livraisons des « porteurs polyvalents terrestres » est lui aussi en nette accélération puisque 900 camions, sur une cible de 1 600, seront livrés d’ici la fin de la LPM au lieu des 450 prévus initialement. Enfin, l’accent est mis aussi sur deux opérations d’armement désignées comme « programmes à effet majeur » :

‒ CERBERE : le principal programme de simulation du combat aéroterrestre sera adapté au programme Scorpion (cf. infra) et renouvellera entièrement les équipements de simulation des centres d’entraînement aux actions en zone urbaine et au combat ;

‒ 800 véhicules blindés légers (VBL) entreront en 2016 dans un programme de régénération qui permettra de traiter les obsolescences (moteur, boîte de vitesses, alternateur, etc.) et de les mettre aux normes de sécurité. L’objectif est d’augmenter leur charge utile, leur niveau de protection ainsi que leur autonomie en attendant l’arrivée des véhicules blindés d’aide à l’engagement à partir de 2017.

Présenté en février 2015 après une période de conception de huit mois, le nouveau modèle d’armée de l’armée de terre, dénommé « Au contact », vise à définir une organisation cohérente avec les moyens et les missions des forces terrestres. Ce modèle se traduit par une nouvelle architecture de l’armée de terre qui vise à simplifier la chaîne de commandement et renforcer les capacités-clés que sont les forces spéciales, l’aérocombat, le renseignement, la logistique et les brigades interarmes. Il prend également en compte la participation de l’armée de terre à l’expérimentation du service militaire volontaire.

À terme, les forces terrestres seront structurées et articulées en sept brigades, dont une brigade d’aérocombat et six brigades interarmes densifiées. Cette nouvelle architecture de l’armée de terre se traduit, d’une part, par la mise en place d’un échelon de commandement divisionnaire et, d’autre part, une meilleure distinction des principales fonctions opérationnelles : les ressources humaines, le territoire national, les forces spéciales (FS), l’aérocombat, les divisions interarmes Scorpion, la formation et l’entraînement, les commandements spécialisés et le maintien en condition opérationnelle (MCO). Comme le montre l’encadré ci-après, la mise en œuvre de ce modèle se poursuivra en 2016.

Les transformations planifiées en 2016 au titre de l’opération « Au contact »

● Restructurations d’états-majors

Deux états-majors de division seront créés et implantés à Besançon et à Marseille en lieu et place des deux états-majors de force qui seront dissous.

L’état-major de la 3e brigade légère blindée sera dissous et remplacé en lieu et place par l’état-major de la 4e brigade d’aérocombat à Clermont-Ferrand.

● Création de commandements de niveau divisionnaire

L’état-major de la brigade des forces spéciales terrestres sera dissous au profit de la création du commandement des forces spéciales terrestres à Pau. Un commandement du renseignement ainsi qu’un centre renseignement de l’armée de terre seront créés et implantés à Strasbourg. Un commandement de la maintenance des forces sera créé et implanté sur deux sites (Lille et Versailles), à partir des effectifs de la division maintenance du commandement des forces terrestres (CFT) et d’une partie des effectifs de l’état-major du service de la maintenance industrielle terrestre de Satory.

Un commandement des systèmes de communication et d’information sera créé et implanté à Cesson-Sévigné. Seront également créés :

‒ un commandement de la logistique situé à Lille, à partir des effectifs de la division logistique du CFT et de personnels issus de l’état-major de la brigade logistique de Montlhéry ;

‒ un commandement de la formation et de l’entraînement interarmes par transfert d’effectifs de la DRHAT.

● Dissolution d’état-major

L’état-major de la brigade de renseignement implanté à Haguenau ainsi que l’état-major de la brigade des transmissions et de l’appui au commandement implanté à Douai seront dissous.

● Densification des unités

La 13e demi-brigade de la légion étrangère (DBLE) sera transférée des Émirats arabes unis (EAU) sur le camp du Larzac et verra ses effectifs renforcés. Un groupement interarmes, qui prendra l’appellation de 5e régiment de cuirassiers, relèvera la 13e DBLE avec des effectifs militaires similaires.

Le 5e régiment de dragons, centre d’entraînement au combat implanté à Mailly, sera densifié au titre de l’expertise Scorpion.

● Adaptation capacitaire

Les pelotons de ravitaillement et de régulation de gestion des régiments seront dissous et seront remplacés dans certains de ces régiments par un escadron d’escorte de convois. En matière d’artillerie, deux batteries de canons automoteurs AUF1 et une batterie de renseignement de brigade seront dissoutes. À l’inverse, une batterie de défense sol-air sera créée et un renforcement des détachements de liaison et d’observation des régiments d’artillerie aura lieu.

Le génie sera lui aussi transformé en 2016 : une compagnie de combat du 31régiment du génie ainsi qu’une compagnie de franchissement mixte du 3e régiment de génie seront transférées au 6e régiment du génie. Une compagnie de combat du 19e régiment sera transférée au 13e régiment du génie. Le 19e régiment se verra quant à lui transféré une compagnie d’appui au déploiement du 6e régiment. Enfin, une compagnie de production d’énergie du 6e régiment du génie sera transférée au 31e régiment.

● Rationalisation de l’environnement de la FOT

Le centre de doctrine et d’emploi des forces et le centre d’études stratégiques de l’armée de terre fusionneront. De plus, les effectifs du centre d’expertise de l’infovalorisation et de la simulation seront intégrés au sein de la section technique de l’armée de terre. Enfin, les fanfares régimentaires seront réorganisées.

Source : ministère de la Défense.

Lancé le 31 octobre 2014, Scorpion est un programme d’armement terrestre majeur, clé de voûte du plan de renouvellement des équipements des forces terrestres dans la mesure où la vétusté de certains équipements a un impact important sur leur disponibilité opérationnelle. Cette opération d’ensemble se compose de deux étapes complémentaires.

Le périmètre de la première étape (2014-2023) comprend :

‒ la livraison du système d’information du combat Scorpion (SICS), en remplacement de multiples systèmes d’information actuels (dont la première version complète, dite V1, sera livrée dans le courant de l’année 2016), de 780 Griffon, de 200 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) légers, de 110 Jaguar, de 200 chars Leclerc rénovés et d’un système pour la préparation opérationnelle innovant et intégré (la simulation embarquée) ;

‒ le soutien initial de ces matériels, responsabilisant l’industriel sur une disponibilité technique de 80 % et la fourniture de services aux forces dans des délais justement dimensionnés ;

‒ la recherche d’une modularité grâce aux kits (protection, détection, mobilité) et des éléments d’emblée communs entre le Jaguar et le Griffon (pneumatiques, optronique, tourelleaux, soutien) ;

‒ la montée en puissance de la force d’expertise du combat Scorpion (FECS) à compter de 2017 à Mailly, pour mener les expérimentations, la consolidation de la doctrine des unités Scorpion et proposer une première capacité opérationnelle ;

‒ la montée en puissance des premières unités Scorpion en cohérence avec le reste des forces terrestres (info-valorisation, intégration des fonctions de radio logicielle CONTACT).

CALENDRIER DES COMMANDES ET LIVRAISONS DE L’OPÉRATION SCORPION

   

2015

2016

Ultérieur.

Cible

GRIFFON

Commandes

   

780

780

Livraisons

   

780

780

VBMR léger

Commandes

   

200

200

Livraisons

   

200

200

JAGUAR

Commandes

   

110

110

Livraisons

   

110

110

Leclerc rénovés

Commandes

   

200

200

Livraisons

   

200

200

SICS

Commandes

1

 

0

1

Livraisons

   

1

1

Source : ministère de la Défense.

La seconde étape, à partir de 2023, comprendra quant à elle :

‒ la livraison du reliquat des Griffon (dont la version « mortier embarqué pour l’appui au contact » ‒ MEPAC‒ ), des Jaguar et des VBMR légers, la poursuite de la rénovation des chars Leclerc au standard 2, la valorisation du véhicule blindé du combat d’infanterie (VBCI) et du FELIN, l’acquisition du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), successeur du véhicule blindé léger (VBL), l’acquisition du module d’appui au contact (MAC), successeur de la composante combat du génie ;

‒ l’acquisition de nouvelles capacités supplémentaires (kits de protection active, robotique, mini-drones, armement à létalité réduite, capacités de tirs au-delà de la vue directe).

L’opération d’ensemble Scorpion s’articule avec d’autres programmes majeurs, tels que le poste radio CONTACT, le système d’information interarmées (SIA), le missile moyenne portée (MMP) ou le programme CERBERE, ainsi que le programme d’infrastructure Scorpion validé par le ministre en mai 2015.

Les premiers marchés ont été notifiés au groupement momentané d’entreprises composé de Nexter, Renault Trucks Defense et Thales ainsi que, pour la rénovation du char Leclerc, à Nexter. Les calendriers de livraison actuels permettent d’envisager les premières projections d’unités Scorpion dès 2021.

     

LFI 2015

PLF 2016

Évolution 2015/2016

Programme

Action

Titre

AE

CP

AE

CP

AE

CP

212

55

2*

5 944,95

5 944,95

6 105,92

6 105,92

2,7 %

2,7 %

178

2

3**

1 312,80

1 193,64

1 285,57

1 124,18

-2,07 %

-5,82 %

178

2

5***

82,97

80,94

97,89

96,43

18 %

19 %

178

2

6****

5,13

5,13

4,2

4,2

-18 %

-18 %

Total

   

7 345,85

7 224,66

7 491,95

7 329,1

2 %

1,43 %


*dépenses de personnel ; ** dépenses de fonctionnement ; *** dépenses d’investissement ; **** dépenses d’intervention

Source : ministère de la Défense et projet annuel de performance annexé au PLF pour 2016.

L’année 2015 est marquée par la première phase de montée en puissance de la FOT. Déjà, de nouvelles dépenses ont été engagées en matière de recrutement et d’emploi des hommes : 50 millions d’euros ont été engagés pour recruter des personnels d’active supplémentaires et l’emploi de réservistes supplémentaires a coûté six millions d’euros. Enfin, les paiements de l’indemnité pour sujétion d’alerte opérationnelle au titre des effectifs engagés dans l’opération Sentinelle s’élèvent à dix millions d’euros.

Par ailleurs, la dotation du titre 2 du BOP « Personnels militaires de l’armée de terre » du programme 212 (1) connaît une hausse de 5,8 % entre 2015 et 2016, qui permet de financer l’accroissement programmé des effectifs des forces terrestres, comme le montre le tableau ci-après.

PLAFOND D’EMPLOI AUTORISÉ

en équivalents temps-plein travaillés (ETPT)

 

PEA 2014

PEA 2015

PEA 2016

Officiers

14 390

13 933

13 674

Sous-officiers

38 716

37 297

38 256

Militaires du rang

59 308

57 323

60 498

Volontaires

703

711

936

Volontaires SMV

   

750

Total

113 117

109 265

114 114

PEA : plafond d’emploi autorisé.

Source : ministère de la Défense.

Cette hausse recouvre notamment :

‒ un « resoclage » initial de 141 millions d’euros hors compte d’affectation spécial (CAS) « Pensions » qui rectifie le déficit initial de construction 2015 et d’autre part anticipe la montée en puissance 2015 de la FOT ;

‒ des mesures nouvelles, pour 123 millions d’euros, liées à l’extension en année pleine de l’accroissement des effectifs de la FOT en 2015 et au coût de l’augmentation de 4 084 ETPT pour 2016 ;

‒ une augmentation des dépenses au titre du CAS « Pensions » de 135 millions d’euros due également à l’augmentation des effectifs.

L’accroissement de la FOT crée un besoin de financement, tant pour équiper et entraîner de façon homogène les personnels, que pour prolonger les parcs d’équipements et pour améliorer la disponibilité des hélicoptères. À cet égard, le chef d’état-major de l’armée de terre a indiqué au rapporteur que le projet de budget pour 2016 répondait aux besoins de son armée.

L’effort budgétaire porte en premier lieu sur l’entretien programmé des matériels (EPM), conformément à une orientation majeure de l’actualisation de la LPM, qui prévoit d’y consacrer la moitié de l’enveloppe d’un milliard d’euros supplémentaires allouée aux équipements pour la période 2016-2019.

En 2016, les crédits d’EPM connaissent une augmentation de 27 millions d’euros en autorisation d’engagement, soit une hausse de 3 %. Ce niveau est particulièrement important, dans la mesure où il conditionne la disponibilité des matériels et, de ce fait, l’activité des forces.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS PAR OPÉRATION STRATÉGIQUE

(en millions d’euros)

 

LFI 2015 structure PLF 16

PLF 2016 (hors cessions de matériels)

Variation 2015/2016 en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AOP

128,8

124,2

124,9

123,0

-3 %

-0,9 %

CARB

56,3

56,3

50,2

50,2

-10,8 %

-10,8 %

EAC

154,5

151,2

216,9

195,5

40,4 %

29,3 %

EPM-T

458,6

443,3

497,3

433,9

8,4 %

-2,1 %

EPM-A

431,4

342,3

420,3

345,3

-2,6 %

0,9 %

FAS

95,1

93,7

78,1

77,0

-17,9 %

-17,8 %

TOTAL

1 324,7

1 211,0

1 387,7

1 224,8

4,8 %

1,1 %

AOP : activités opérationnelles ; CARB : carburants ; EAC : équipements d’accompagnement et de cohérence ; EPM-T : entretien programmé des matériels-Terre ; EPM-A : entretien programmé des matériels –Aéroterrestres ; FAS : fonctionnement et activités spécifiques

Source : ministère de la Défense.

Par ailleurs, les crédits d’équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC) sont également en hausse de 40 % en autorisation d’engagement et de 30 % en crédits de paiement. La hausse de ces crédits permettra, d’une part, la formation initiale des effectifs supplémentaires recrutés et, d’autre part, le maintien du niveau opérationnel dans le domaine du tir aux armes individuelles et collectives.

RÉPARTITION DES CRÉDITS EAC PAR TYPE DE MATÉRIEL

Source : Informations fournies par le ministère de la Défense et mises en forme par le rapporteur.

L’évolution des crédits de terre placés sous l’opération stratégique « Fonctionnement et activités spécifiques » (FAS) illustre encore en 2016 l’effort de rationalisation et de maîtrise des dépenses du ministère de la Défense, effort présenté dans les tableaux ci-dessous. En baisse constante depuis 2013, les crédits de fonctionnement et de soutien sont en recul de près de 18 % en 2016. Cet agrégat comprend essentiellement le soutien des ressources humaines, la contribution de l’armée de terre au fonctionnement des états-majors multinationaux ainsi que le financement de la condition du personnel.

Hors crédits d’alimentation (qui ont été transférés pour 75 millions d’euros à la sous-action 5-85 (dans le BOP Soutien des forces), les crédits de l’opération stratégique « Activités opérationnelles » (AOP) enregistrent une baisse de 3,6 %, soit une diminution de 9,7 millions d’euros en autorisation d’engagement et 6,6 millions d’euros en crédit de paiement. Cette baisse est la traduction de la mobilisation des gains issus de l’évolution favorable des indices économiques (notamment la baisse du prix du pétrole) dont une partie est redéployée au bénéfice des opérations d’armement, conformément à la loi actualisant la LPM. À ce titre, les dotations en carburants opérationnels de l’opération stratégique enregistrent une baisse de 11 %, car elles sont calculées à partir d’hypothèses de tarif de cessions des différents produits raffinés inférieures à celles de 2015 et sont adaptées à l’activité prévisible des matériels, y compris les parcs d’hélicoptères.

ÉVOLUTION DES DÉPENSES LIÉES AU FONCTIONNEMENT DE L’ARMÉE DE TERRE

OS « Fonctionnement et activités spécifiques »

2013

2014

2015

2016

 

115,3

83,8

92,8

76,9

Source : ministère de la Défense.

ÉVOLUTION DES DÉPENSES LIÉES À LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE
DES FORCES TERRESTRES

(crédits de paiement, en millions d’euros)

OS « Activités opérationnelles » dont carburants opérationnels

2013

2014

2015

2016

 

255,1

256,1

255,1

173,2

Source : ministère de la Défense.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels de l’armée désigne l’ensemble des moyens et intervention qui permettent à celui-ci, durant toute sa durée d’utilisation, de rester à tout moment apte à l’emploi qui lui est assigné, en corrigeant les effets du vieillissement, les défauts constatés ainsi que les effets liés à l’emploi. Le coût global du MCO est essentiellement constitué des dépenses d’EPM et des rémunérations et charges sociales du personnel affecté à la maintenance. Le reste correspond à des dépenses de fonctionnement et de soutien initial qui sont financées par le programme 146.

Depuis plusieurs années, les besoins de crédits budgétaires d’EPM sont en hausse. Ceci s’explique tout d’abord par l’allongement de la durée de vie du parc des matériels. Les surcoûts s’expliquent également par les conditions d’utilisation du matériel sur les théâtres extérieurs, dans des conditions climatiques et environnementales très exigeantes. Les domaines les plus critiques sont l’aérocombat (hélicoptères d’attaque et de manœuvre), le transport logistique (camions lourds), le renseignement (drones tactiques), les véhicules (blindés légers et multi-rôle médians, véhicules légers non protégés, notamment pour les forces spéciales) et la numérisation des unités tactiques (NUMTAC).

Ainsi, l’exploitation des matériels ayant été employés en OPEX en 2015 engendre un surcoût évalué à 53,5 millions d’euros. La régénération des matériels rapatriés est évaluée à environ 13 millions d’euros par an dans les conditions actuelles (flux annuel de 50 VBL, 30 PVP, 60 camions GBC180 et 40 VAB). Pour ce qui est des matériels aéroterrestres, les surcoûts s’élèvent quant à eux à 53,2 millions d’euros.

Facteur aggravant, les besoins en crédits d’EPM sont croissants du fait de la coexistence d’un parc de matériel ancien et de matériels de nouvelle génération, comme le montrent les tableaux ci-après. La moyenne d’âge significative de certains matériels (16 ans pour les GBC180, avec un châssis de 40 ans, 39 ans pour les VAB, 30 ans pour les AMX10 RCR) conduit parfois à une interdiction d’emploi partielle ou totale d’un parc. Les dépenses sont alourdies par l’entretien des matériels aéroterrestres de l’armée de terre (Gazelle de 30 ans en moyenne, Puma de 41 ans en moyenne) et la montée en puissance de flottes de nouvelle génération Tigre et NH90 puisque les hélicoptères de nouvelle génération induisent par ailleurs une hausse conjoncturelle des coûts (faible maturité des matériels, rupture technologique, besoin de mise à hauteur des stocks, faible économie d’échelle, etc.).

MATÉRIELS TERRESTRES SOUTENUS EN 2016

Matériels majeurs soutenus

Parc en service en 2016

Âge moyen du parc en service

au 1er janvier 2016

Leclerc

200

13

AMX 10RCR

248

30

Canon TRF1

12

23,5

Canon AUF1

32

28,5

Canon CAESAR

77

6

VBCI

629

4

VAB

2 661

30

Source : Projet annuel de performance 2016.

MATÉRIELS AÉROTERRESTRES SOUTENUS EN 2016

 

Parc en service en 2016

Âge moyen

Hélicoptères

   

Fennec

18

21

Gazelle

102

30

Tigre

58

5

Cougar

26

24,5

Puma

70

41

Caracal

8

9,5

Avions

   

PC6

5

23

TBM 700

8

17,5

Source : Projet annuel de performance 2016.

Enfin, il faut tenir compte des conséquences de l’opération Sentinelle, qui sont de deux ordres. En matière de coûts directs, elles sont à ce stade relativement limitées compte tenu de la nature des matériels engagés. En revanche, les militaires servant dans la maintenance ont naturellement dû participer aux opérations Sentinelle et Cuirasse. Il en résulte une baisse de leur activité de maintenance qui aura des effets indirects sur la disponibilité des matériels et qui nécessite un recours plus important, et donc plus coûteux, à l’industrie privée.

 

LPM

LPM actualisée

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Nombre de JPO réalisées

78

78

77

83

83

64

83

83

85

85

Crédits participant à la préparation opérationnelle

817

743

696

703

626

665

611

698

791

791

Source : ministère de la Défense.

RÉSULTATS ATTEINTS EN MATIÈRE DE PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE

Année

JPAO

(JPO + JAO)

HdV (simulation incluse)

Réalisé 2009

105 (150)

170 (180)

Réalisé 2010

119

177,4

Réalisé 2011

117

180 (1)

Réalisé 2012

109 (77 + 32)

170

Réalisé 2013

120 (79 + 41)

172

(157 hors simulation)

Année

JPO

HdV (hors simulation)

Réalisé 2014

84 JPO

156

Prévision 2015 actualisée

64 JPO (2)

156

Objectifs LPM 09-14

150 JPAO

180 (simulation incluse)

Objectifs LPM 14-19

90 JPO

180 (hors simulation)

(1) L’effort de préparation opérationnelle des pilotes d’hélicoptère est maintenu à 180 HdV/pilote/an. Ce niveau est atteint grâce à la hausse des vols sur matériels de substitution, et au recours accru à la simulation.

(2) Impact de l’opération Sentinelle.

Source : ministère de la Défense.

À partir de 2015, les besoins de préparation opérationnelle augmentent mécaniquement, avec la croissance de la FOT.

De plus, le taux d’engagement élevé de l’armée de terre en OPEX, dans la bande sahélo-saharienne et en République centrafricaine l’a contraint à faire effort sur la préparation opérationnelle spécifique au détriment de l’entraînement générique. Cette tendance est renforcée en 2015 par la mise en place et le maintien dans la durée de l’opération Sentinelle.

Selon l’état-major de l’armée de terre, l’augmentation des effectifs de la FOT en 2016 devrait permettre aux unités de cette armée de consacrer davantage de leur temps à la préparation opérationnelle. Lors de son audition du 30 septembre 2015, le ministre de la Défense a d’ailleurs annoncé à la commission que le nombre de JPO devrait revenir à 83 dès 2016.

SECONDE PARTIE – L’OPÉRATION SENTINELLE

L’année 2015 aura marqué un tournant important dans l’évolution de l’armée de terre. En effet, alors que celle-ci mettait en œuvre dans un plan de déflation très important tout en étant engagée avec une intensité inédite dans plusieurs OPEX sur des théâtres éloignés, les attentats de janvier 2015 l’on conduite à se redéployer massivement sur le territoire national.

Ce redéploiement massif, appelé « opération Sentinelle », s’inscrivait dans les hypothèses maximales de son contrat opérationnel : engager 10 000 hommes sur le territoire national pour un mois, en renfort des forces de sécurité intérieure. Si l’armée de terre n’avait pas été conduite à le faire depuis plusieurs décennies, du moins était-il dans ses prérogatives de le faire, suivant une logique de renfort militaire massif mais ponctuel aux autres services de l’État.

Mais un basculement a été opéré au printemps : en décidant de maintenir l’opération Sentinelle dans la durée, on a changé de paradigme. En effet, il ne s’agit plus de renforcer ponctuellement les forces de sécurité intérieure ; il s’agit de maintenir pour une durée indéterminée, mais assurément longue, un dispositif de sécurisation du territoire.

Un tel basculement suppose avant tout d’adapter le format de l’armée de terre à cette mission nouvelle ‒ au moins par son ampleur ‒ : l’actualisation de la loi de programmation militaire 2014-2019 a été anticipée afin d’y pourvoir. Mais pour que l’emploi des armées sur le territoire national soit efficace, il suppose également une adaptation de la doctrine, des concepts et de l’organisation générale qui sont encore en cours. Après plusieurs décennies de promotion d’un modèle expéditionnaire initiée par le Livre blanc de 1994, il s’agit d’une refondation majeure, qui est encore en cours.

La décision prise le 12 janvier par le président de la République d’activer le « contrat de protection du territoire national » des armées s’inscrivait dans un cadre d’emploi et dans un cadre doctrinal définis. Ce contrat de protection fait en effet explicitement partie des missions de l’armée de terre, et la protection de la population française s’entend aussi bien comme une « défense de l’avant », sur des théâtres extérieurs, qu’au plus près des citoyens.

Une fois les forces déployées, la mise en œuvre de l’opération Sentinelle se traduit pour les armées par un dialogue civilo-militaire : elles sont en effet placées sous la responsabilité de l’autorité civile requérante, qui assure la conduite des opérations de sécurité. Néanmoins, les forces armées mises à disposition restent en permanence sous commandement d’un chef militaire qui fixe l’organisation du commandement, les missions, les moyens, ainsi que les règles d’emploi de la force et de comportement. Une attention toute particulière est portée à la coordination et à la liaison permanente avec les forces de sécurité intérieure locales, seules détentrices des pouvoirs de police judiciaire.

Concrètement, les préfets de département, en liaison avec les délégués militaires départementaux et les responsables locaux de la sécurité publique, recensent les sites à protéger et en répartissent la responsabilité entre les forces de sécurité intérieures et les armées. Le préfet de zone de défense et de sécurité, en lien avec l’officier général de zone de défense et de sécurité, coordonne ce dialogue au niveau zonal. L’articulation entre les autorités civiles et militaires est ainsi organisée selon les principes fixés par le code de la défense, avec un dialogue aux niveaux central, zonal et départemental entre structures civile et militaire.

Cadres et principes d’emploi des armées sur le territoire national

L’emploi des armées sur le territoire national s’inscrit dans le cadre de la fonction stratégique « protection » définie dans le Livre blanc 2013.

Deux principes organisent l’action des forces terrestres sur le territoire national :

‒ la subordination à l’autorité civile ;

‒ l’action interministérielle dans le cadre de l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD).

Tout d’abord, « aucune force militaire ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sans réquisition légale », comme le dispose l’article L. 1321-1 du code de la défense. Ainsi, les forces armées engagées sur le territoire national sont sous la responsabilité de l’autorité civile et se mobilisent par conséquent sur demande de concours ou sur réquisition de l’autorité préfectorale. Contrairement aux forces navales et aériennes, les forces terrestres ne sont pas « primo-intervenantes » et leur action accompagne et complète celle des forces de sécurité intérieure. Le Livre blanc de 2013 précise que « l’engagement des forces armées en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres, ainsi que les moyens adaptés des forces navales et aériennes ». Le Livre blanc de 2008 annonçait déjà une mobilisation des forces terrestres à hauteur de 10 000 militaires. La durée de cette mobilisation n’était pas explicitement fixée jusqu’en 2015 ; c’est la loi actualisant la LPM 2014-2019 qui l’a établie à un mois.

Enfin, l’OTIAD est la deuxième composante de ce cadre d’emploi des forces. Interface de dialogue entre les autorités militaires et civiles et sous autorité du CEMA, elle a été mise en place par l’arrêté du 28 juin 2000 et est également l’instance décisionnelle qui fixe les priorités et définit les conditions d’engagement des moyens militaires.

Bien qu’inédit, le déploiement de la force Sentinelle et le renforcement de Vigipirate s’inscrivent donc, comme l’a rappelé devant la commission M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), « d’ores et déjà dans un cadre juridique défini par les dispositions du code de la défense, avec la subordination à l’autorité civile et le placement de la force militaire sous le régime de la réquisition. […]. Il a notamment permis, en application du plan Vigipirate réformé de 2014, de mobiliser en soixante-douze heures seulement une bonne partie des 10 000 hommes déployés pendant trois mois contre un mois prévu dans le plan Vigipirate initial » (2).

Les armées ont été en mesure de déployer en quelques jours une force massive et opérationnelle sur l’ensemble du territoire, et d’engager celle-ci sans délai dans les missions définies avec les préfets. Ce déploiement, bien qu’effectué dans l’urgence, n’était pas inattendu. Depuis l’été 2014, la menace terroriste pesant sur la France était omniprésente et la présence des militaires dans le cadre du plan Vigipirate avait été renforcée pendant la période de fin d’année, synonyme de forte affluence dans les lieux publics.

L’opération Sentinelle s’est traduite par une montée en puissance très rapide dans un délai d’urgence particulièrement court : 10 308 militaires ont été déployés en six jours. Le déploiement initial s’est fait par étapes, suivant la chronologie suivante :

‒ à partir des attentats en région parisienne, qui ont eu lieu du 7 au 9 janvier 2015, le niveau « alerte attentat », niveau d’alerte le plus élevé du plan Vigipirate, est déclenché en zone de défense et de sécurité de Paris. La réserve Vigipirate, constituée de 158 militaires, est déployée ;

‒ du 8 au 10 janvier, 850 militaires renforcent le dispositif Vigipirate ;

‒ le 11 janvier, le Premier ministre décide d’activer la mesure Vigipirate BAT 13-04 visant à confier aux armées la protection de sites en zone publique pour une durée maximale de 15 jours. Cette mesure s’applique sur l’ensemble du territoire national aux bâtiments culturels et cultuels israélites ;

‒ le 12 janvier, le président de la République active le contrat protection du territoire national. À cette date, 3 000 soldats sont déjà déployés ;

‒ le 14 janvier, la mesure BAT 13-04 est étendue aux sites relevant de toutes les confessions ;

‒ le 16 janvier, après le déploiement du deuxième échelon, plus de 10 000 soldats sont engagés dans la protection de la population, soit deux états-majors de grande unité, 26 états-majors tactiques, et 170 unités élémentaires.




ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE LA FORCE SENTINELLE


Source : ministère de la Défense.

Déployer des hommes nécessite également une logistique opérationnelle performante afin de les nourrir, de les équiper, de les loger et de leur permettre de réaliser leur mission dans les meilleures conditions. Les services compétents des armées, ainsi que les services et organisations interarmées, ont su s’adapter aux exigences d’une projection de plus de 10 000 personnels dans un délai d’urgence.

Tout d’abord, les personnels ont été déployés grâce au transport par voie aérienne (quatre vols). Puis les équipements ont été acheminés par transport routier militaire, pour un total de 258 containers. Les matériels mis à disposition se composent de la façon suivante :

‒ concernant l’équipement des personnels : du matériel de vie en campagne dans l’attente de la mise en place de structures pérenne, soit 6 000 lits de campagne, des rations d’eau et de nourriture, 15 000 casques et gilets de protection balistiques, des compléments de paquetage individuels et des matériels de protection chimique ; pour chaque personnel déployé, en complément de son armement, des bâtons de défense télescopiques et des diffuseurs lacrymogènes ;

‒ concernant les moyens de transport de personnel : 370 cars des groupements de soutien des bases (GSBdD) ont été engagés en phase de déploiement (leur nombre a été réduit à 220 en phase de stabilisation), 300 véhicules de la gamme commerciale ont été prélevés sur le parc des GSBdD et 271 véhicules de la gamme commerciale ont été loués.

Comme l’a indiqué au rapporteur le général Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, l’amplitude du déploiement n’a pas permis d’accueillir immédiatement tous les soldats mobilisés dans des conditions d’hébergement optimales. Au plus fort de l’opération, jusqu’à 1 000 soldats étaient logés sur des emprises civiles. Ils sont encore aujourd’hui environ 550. Pour des questions de sécurité et d’opérationnalité, un programme de densification des emprises militaires est prévu pour que tous les militaires y soient logés, à l’horizon 2017. Il convient de souligner que la « rusticité » du militaire de l’armée de terre constitue un atout important pour la réactivité de la force.

Évaluer l’efficacité de l’opération Sentinelle est difficile, tant les modes opératoires terroristes actuels se définissent par des actes isolés. Pour de nombreux interlocuteurs du rapporteur, le succès de l’opération Sentinelle repose d’abord sur son effet « dissuasif ». À cet égard, aucun attentat ou tentative n’a été perpétré sur les lieux et sites d’emploi des militaires déployés.

Si l’on s’attache à l’impact psychologique de l’opération sur les populations, l’effet est très positif puisque les Français se sentent rassurés, plus de 85 % étant favorables à l’intervention des armées sur territoire national selon les résultats d’un sondage DICoD présenté au rapporteur par le gouverneur militaire de Paris.

L’effet de Sentinelle sur la délinquance est moins clair. En effet, on a relevé une baisse assez nette de la délinquance dans les mois qui ont suivi le déploiement de la force, dans les zones où elle est présente ; mécaniquement, cette baisse aura un effet sur les statistiques de l’année 2015. Toutefois, le directeur central de la sécurité publique de la police nationale estime que cette baisse peut être attribuée à un « effet de stupéfaction » et que la délinquance pourrait retrouver rapidement son niveau habituel. Pour le rapporteur, en tout état de cause, il ne faut pas confondre les objectifs : la force Sentinelle n’a pas pour mission première de lutter contre la délinquance, mais contre le terrorisme.

Si le dispositif de l’opération Sentinelle a été adapté, et dans une certaine mesure allégé, c’est en contrepartie de son maintien dans la durée.

Ainsi, une adaptation du dispositif a été opérée fin février 2015. Un mois et demi après le déploiement des armées, elle était fondée sur l’évaluation de la menace conduite à ce moment et des modes d’action de l’opération qu’il s’agissait de pérenniser ‒ la réduction des gardes statiques au profit de postures plus dynamiques. Surtout, elle a consisté en une réduction de l’effectif déployé en permanence : on est ainsi passé de plus de 10 000 personnels à 7 000, auxquels s’ajoutent 3 000 autres personnels placés en alerte et en mesure d’être réengagés par paliers successifs en moins d’une semaine.

C’est ce format de référence qui a été retenu et pérennisé par décision du président de la République lors du Conseil de défense du 29 avril 2015. C’est d’ailleurs la même décision qui a conféré au déploiement des armées le nom d’« opération Sentinelle ».

Comme le précise le ministère de la Défense, ce sont, d’une part, « le retour d’expérience de la crise de janvier 2015 et de la situation qui en a découlé » et, d’autre part, « l’inscription de Sentinelle dans la durée » à la suite de cette décision « qui conduisent aujourd’hui les armées à affiner le contrat opérationnel au regard de leurs capacités ».

Pour le rapporteur, l’une des questions posée est de savoir si les missions de l’opération Sentinelle relèvent bien du métier de nos soldats.

On peut noter que les soldats combattent le même ennemi à l’intérieur du territoire national qu’à l’extérieur, accomplissant ainsi la même mission.

Comme le lui ont indiqué tant le général Michel Pattin, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale que le directeur des services actifs de la police nationale Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique à la direction générale de la police nationale, de telles missions relèvent par nature avant tout des activités des forces mobiles de gendarmerie et de police ‒ respectivement, la gendarmerie mobile et les compagnies républicaines de sécurité (CRS).

Même si la question peut se poser de la pertinence, dans la durée, d’une participation massive de l’armée de terre aux missions Vigipirate, les capacités des formations mobiles des forces de sécurité intérieure sont largement insuffisantes pour assurer le même maillage du territoire que celui assuré par l’armée de terre avec l’opération Sentinelle.

En effet, le général Michel Pattin a expliqué au rapporteur qu’avec les réductions d’effectifs opérés en 2010 et 2011, « la gendarmerie nationale n’a plus de réserves : tout le monde est engagé en permanence ». Sur les 108 escadrons de gendarmerie mobile composant la « réserve gouvernementale », la gendarmerie a pu en engager jusqu’à 34 en janvier 2015, mais même en consentant des surcharges d’engagement et des renoncements à certaines activités, elle ne peut guère en déployer aujourd’hui que dix et demi dans le cadre du plan Vigipirate, l’actualité appelant d’autres engagements (par exemple à Calais).

M. Pascal Lalle a dressé un constat analogue s’agissant de la police nationale : les forces mobiles sont aujourd’hui accaparées par d’autres missions de sécurité intérieure que seules les forces de sécurité intérieure, investies de pouvoirs de police que les armées n’ont pas, peuvent accomplir. Il a ajouté que les forces mobiles de la police nationale avaient fait l’objet, dans un passé récent, de fortes réductions d’effectifs, et qu’elles ne pourraient pas en conséquence prendre le relais de l’armée de terre sans recrutements massifs.

Pour l’armée de terre, c’est moins la mobilisation ponctuelle de près de 10 000 hommes que le maintien pour un temps indéfini d’un tel dispositif de protection qui désorganise profondément ses capacités. En effet, une opération ponctuelle peut certes conduire à modifier la planification des activités de préparation opérationnelle et de projection en OPEX ou dans les forces prépositionnées : les renoncements, tant qu’ils sont temporaires, et les reports d’activités, tant qu’ils ne sont pas trop longs, ne portent pas à des conséquences aussi importantes que lorsque l’opération est appelée à durer. De fait, Sentinelle produit donc des tensions dans la préparation opérationnelle des forces terrestres et dans l’armement de l’échelon national d’urgence et des postes prépositionnés. De même, le moral des personnels mérite d’être suivi avec d’autant plus de précaution que se modifie l’équilibre entre territoire national et OPEX dans leur activité.

Ainsi, en déplacement au commandement des forces terrestres (CFT) à Lille, le rapporteur a pu constater que le rythme de passage des unités dans les centres d’entraînement a dû être considérablement revu à la baisse : 70 % des rotations dans les centres d’entraînement spécifiques ‒ comme le centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) et le centre d’entraînement au combat (CENTAC) ‒ ont été annulés en 2015.

Plus largement, comme le montre le schéma ci-après, plusieurs aspects de la formation des militaires ont dû connaître une nette dégradation :

‒ la formation initiale a été réduite au 1er semestre de 2015. En effet, 70 % des actions internes de partenariat avec les régiments ont été annulées ; certes, un recours accru à la simulation a contribué à pallier ces annulations, mais le ministère fait valoir que la simulation est normalement effectuée en complément des activités réelles sur le terrain, et non en substitution de celles-ci. Le ministère précise que « l’atteinte d’un niveau d’aptitude opérationnelle satisfaisant pour les jeunes cadres arrivant en unités sera par conséquent différée ». Néanmoins, dès l’été 2015, la formation initiale a fait l’objet d’un effort particulier, afin de répondre à la forte augmentation du recrutement qu’exige la remontée en puissance de la FOT prévue par l’actualisation de la LPM ;

‒ la préparation opérationnelle « métier » (PO-M) connaît elle aussi un ralentissement, faute de temps disponible et faute de certains moyens ‒ les matériels de transmissions et certains véhicules tactiques étant utilisés pour l’opération Sentinelle. Pour le ministère, « la dégradation du socle de fondamentaux qui en découle aura in fine un impact sur la performance des activités opérationnelles » ;

‒ la « préparation opérationnelle interarmes » (PO-IA) a dû être restreinte aux « mises en condition avant projection » (MCP) des personnels envoyés en OPEX, au détriment de l’entraînement dit « générique ». Aussi, selon le bilan dressé par le ministère, il en résulte que certaines compétences ne sont pas acquises lors des périodes de MCP. Ce phénomène d’usure du socle général de compétences interarmes est d’autant plus rapide que les personnels des unités sont renouvelés rapidement ; selon certaines mesures, la dégradation du niveau de ce socle de compétences peut atteindre jusqu’à 30 % par an.

LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE 2015-2017

EEN1 : espace d’entraînement de 1er niveau ; EEN2 : espace d’entraînement de 2e niveau ; ENU : échelon national d’urgence ; FI : formation initiale ; FP : forces de présence ; FS : forces de souveraineté ; GC : gestion de crise ; MCD : missions de courte durée ; PO-IA : préparation opérationnelle interarmes ; PO-M : préparation opérationnelle métier ; PSP : parc de service permanent ; SJO : Smaller Joint Operation ; Stade OPS : stade opérationnel ; TN : territoire national

Source : ministère de la Défense.

De surcroît, le rapporteur a pu constater sur le terrain que nombre de personnels ont dû renoncer à des activités de formation et de préparation des examens et concours. Or écourter voire supprimer des stages a parfois pour effet de ralentir leur progression professionnelle.

Comme l’a montré la première partie du présent rapport, l’opération Sentinelle a donc pour conséquence une diminution nette du nombre de jours de préparation opérationnelle en 2015 et jusqu’en 2017. Alors que l’objectif fixé par la LPM 2014-2019 s’élève à 90 JPO par homme et par an, et que la loi de finances pour 2015 ne permettait d’en financer que 83, la moyenne s’établira, selon les unités, entre 51 et 64 JPO. Les responsables du CFT ont insisté sur ce point : les cycles de formations étaient déjà « modestes », dans la mesure où ils correspondent à un passage dans chaque centre d’entraînement tous les quatre ans pour chaque unité, ce qui est peu compte tenu du renouvellement rapide des personnels. De plus, avant même l’opération Sentinelle, certains créneaux calendaires d’entraînement en centre restaient vides, faute d’unité disponible du fait du rythme soutenu des OPEX.

Le rapporteur souligne par ailleurs que la concentration de la préparation opérationnelle sur la formation initiale et sur les MCP ‒ c’est-à-dire sur les conflits actuels ‒ constitue un risque. En effet, comme le lui a fait valoir le général Arnaud Sainte-Claire Deville, commandant des forces terrestres, l’extrême diversité des engagements possibles dans les années à venir nécessite de préparer nos unités à un champ très vaste de situations. Il y a un écueil à se focaliser sur un seul type de guerre ‒ guerre contre-insurrectionnelle en Afghanistan, manœuvres de réassurance en Europe de l’est, etc. Reprenant une métaphore de Clausewitz qui illustre l’imprévisibilité de la guerre en la présentant comme un caméléon, le général Sainte-Claire Deville a insisté sur la nécessité, pour notre système de préparation opérationnelle, d’intégrer un vaste éventail de théâtres et de situations envisageables. Selon lui, l’exemple britannique illustre cet écueil : à concentrer la préparation opérationnelle de ses forces sur la guerre contre-insurrectionnelle dans le contexte irakien, le Royaume-Uni se serait trouvé en grande difficulté dans d’autres situations, par exemple lorsqu’il s’est agi pour l’aviation légère de mener des actions de frappe en deuxième échelon en Libye. Il ne faudrait pas que notre système de préparation opérationnelle délaisse, par exemple, l’emploi des équipements lourds : s’ils sont peu utilisés dans le Sahel, rien ne dit qu’ils ne le seront pas, dans les années à venir, sur d’autres théâtres.

En somme, comme l’indique le ministère de la Défense, jusqu’au terme de la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT) prévu dans deux ans, « l’armée de terre va vivre sur le niveau de préparation déjà atteint, son « capital opérationnel » ». Aussi, durant cette période, ce capital opérationnel « va s’éroder étant donné la sollicitation supérieure à ce qui était prévu selon le contrat opérationnel découlant du Livre blanc de 2013 ».

L’échelon national d’urgence est un dispositif d’alerte institué par le Livre blanc de 2013 et qui, pour l’armée de terre, s’est substitué au dispositif Guépard. En théorie, les unités placées en « alerte Guépard » comptent près de 5 000 personnels de l’armée de terre. Ce dispositif permet de projeter très rapidement l’équivalent de quatre groupements tactiques interarmes ; il a d’ailleurs prouvé son efficacité au Mali en 2013.

Pourtant, il ressort des informations fournies au rapporteur qu’au moins dans les premiers mois, l’échelon national d’urgence a servi de variable d’ajustement en vue de la constitution de la force Sentinelle.

Aujourd’hui encore, et tant que la force opérationnelle terrestre n’aura pas été renforcée conformément aux dispositions de la LPM actualisée en 2015, plusieurs observateurs jugent qu’il serait déraisonnable d’envisager de déployer une OPEX supplémentaire sans que ne soient réduits les effectifs des autres opérations en cours, extérieures ou intérieures.

Pour répondre aux priorités désignées par le président de la République, les armées ‒ et en particulier l’armée de terre ‒ ont procédé à des adaptations dans leur dispositif prépositionné outre-mer (forces dites « de souveraineté » (3)) et à l’étranger (dites forces « de présence » (4)).

Ainsi, plusieurs relèves d’unités ont été annulées ou le seront, pour des périodes variables. Ces réductions d’effectifs sont programmées et réévaluées régulièrement par l’état-major des armées pour tenir compte des évolutions de situation dans les différentes zones de responsabilité et des besoins opérationnels prévisibles. Ils sont calculés pour permettre aux commandants supérieurs des forces de souveraineté et commandants de forces stationnées à l’étranger de respecter au moins le socle de leur contrat opérationnel, quitte à ce que leurs forces soient renforcées en cas de crise. Le ministère reconnaît toutefois que les capacités d’engagement de ces forces dans des missions de sécurité civile et de coopération internationale sont cependant amoindries.

L’opération Sentinelle constitue, pour les personnels de l’armée de terre, une situation de mise en tension à plusieurs égards :

‒ avec des périodes d’engagement de six semaines dans le cadre de Sentinelle, contre deux semaines seulement avant janvier 2015 dans le cadre du plan Vigipirate, le temps passé en garnison est nettement réduit. Selon les analyses présentées au rapporteur par le CFT fin juillet 2015, les soldats étaient absents de leur garnison plus de la moitié du temps : le personnel de la FOT passe donc plus d’une nuit sur deux hors de chez lui. Plus fréquent et plus long, l’éloignement a des conséquences sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et, de façon peut-être paradoxale, il semble que les familles comprennent et acceptent moins facilement d’être privées d’un de leurs membres lorsque celui-ci assure des gardes en métropole que lorsqu’il est envoyé en OPEX. Les responsables du CFT ont d’ailleurs fait valoir que, dans la chaîne des causes qui peuvent décourager un soldat, « la famille est souvent le premier maillon à céder » ;

‒ la nature de la mission peut paraître assez éloignée de ce qui fait l’attrait des armes, du moins pour les générations qui se sont engagées dans les vingt dernières années où l’armée de terre a eu surtout une activité expéditionnaire ;

‒ l’intensité de la mission, assurée pour l’heure par une FOT en sous-effectifs par rapport à la libre fixée par la LPM actualisée, peut peser. En effet, le CFT a calculé qu’environ 80 % des unités ont été déployées un tour sur deux de janvier à juin 2015, pour des missions d’une durée de quatre semaines initialement puis de six semaines. Plus précisément, les unités les plus sollicitées (par exemple la 27brigade d’infanterie de montagne) vont voir certaines de leurs unités déployées cinq fois en 2015, et la majorité quatre fois, soit six mois dans l’année ;

‒ bien que la chaîne des soutiens ait été réactive, les conditions de vie des soldats de l’opération Sentinelle « ont parfois été un peu rustiques », comme l’a dit le chef d’état-major des armées devant la commission (5). Or certains auraient pu trouver paradoxal d’être mieux traités à Gao qu’en région parisienne, et ce d’autant que, comme les responsables du CFT l’ont fait valoir au rapporteur, la qualité des infrastructures est souvent ressentie comme une marque de considération de l’État envers le soldat comme envers sa mission ;

‒ nombre de permissions ont dû être annulées ou considérablement raccourcies, y compris pendant l’été 2015.

La presse a donné un large écho au fait que, dès le mois d’avril 2015, les effectifs de trois compagnies de CRS, soit plus de 200 hommes, se sont mis collectivement en arrêt maladie pour manifester leur mécontentement, se disant épuisés par les niveaux actuels du plan Vigipirate.

Rien de tel n’a été constaté au sein de l’armée de terre. En effet, selon les précisions fournies au rapporteur, le suivi épidémiologique quantitatif et qualitatif réalisé quotidiennement depuis le début de l’opération Sentinelle montre une très faible activité de consultations médicales, liées en quasi-totalité aux conditions saisonnières et aux activités de détente, notamment sportives. La part des consultations pour motifs psychologiques ou psychiatriques est très faible. Elle est liée, dans plus de la moitié des cas, à des pathologies préexistantes ou consécutives à des situations de stress aigu, comme les incidents de manipulation d’armes à feu. La lassitude en tant que telle n’a été évoquée que dans de très rares cas, mais sans conséquences sur la capacité opérationnelle. Pour ce qui concerne les indisponibilités, le service de santé des armées ne relève pas d’évolution significative du nombre des arrêts de travail ou des hospitalisations délivrés sur la période. À titre d’illustration, en région parisienne, le chiffre moyen journalier constaté est de 1,57 personnel indisponible, soit 0,04 % des effectifs.

En juillet 2015, une étude (6) conduite par le bureau « condition du personnel et environnement humain » de l’état-major de l’armée de terre auprès de trois régiments a permis d’apprécier le « ressenti » de militaires ayant participé à l’opération Sentinelle au cours des cinq premiers mois de l’année. Il en ressort que leur moral n’a pas connu de rupture, et que les trois quarts des militaires consultés se déclarent satisfaits d’avoir participé à cette mission.

Néanmoins, si au cours de ces sept derniers mois, la totale disponibilité de l’encadrement comme des soldats ainsi que, sur le terrain, l’énergie et l’efficacité des hommes et femmes déployés n’ont donné aucun signe de fléchissement, il convient de rester vigilant.

L’étude précitée montre en effet que les militaires manifestent une forte attente à l’égard des conditions matérielles dans lesquelles ils exécutent leur mission, s’agissant notamment de la proximité de leurs garnisons et des conditions de vie au sein des lieux d’hébergement. S’ils s’estiment globalement satisfaits par les contreparties matérielles, et confiants dans leur aptitude opérationnelle et leur encadrement de contact, ils considèrent néanmoins que les conditions de réalisation de cette mission ne sont pas suffisamment valorisantes sur le plan professionnel autant que personnel.

Au regard de l’activité engendrée par cette opération, ils se disent également attentifs aux conséquences de Sentinelle sur leur niveau de préparation opérationnelle et sur leur temps de vie en garnison, c’est-à-dire à la conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. L’amélioration planifiée des conditions matérielles d’exécution de l’opération Sentinelle constitue donc un point d’attention.

Surtout, cette étude montre une certaine perplexité des militaires confrontés à des reproches de telle ou telle partie de l’opinion et de la population, qui estime que l’opération Sentinelle ne bénéficie qu’à une partie de la communauté nationale ; ces reproches sont très peu appréciés des soldats.

Enfin, l’état-major de l’armée de terre tire de cette étude la conclusion que sans évolution de ses conditions d’exécution, notamment en faveur de dispositifs de garde plus dynamiques, « l’ancrage de Sentinelle dans le quotidien de l’armée de terre pourrait alimenter un sentiment de dénaturation du métier militaire et de faible légitimité de la mission » ce qui, « à courte échéance », « pourrait conduire à un certain mécontentement ». C’est pourquoi les résultats de l’indicateur de mesure du moral du second semestre 2015, qui seront connus fin novembre et complétés début 2016 par une deuxième enquête auprès du personnel consulté spécifiquement au printemps 2015 (suivant une logique de « suivi de cohorte »), mériteront d’être analysés avec attention.

Ces éléments rejoignent le constat fait par le rapporteur à Lille : le seuil d’acceptabilité n’est pas dépassé. Les soldats se sentent utiles au contact de la population, qui les accueille bien. Les chefs de section et les lieutenants, en revanche, expriment souvent le regret de voir se dégrader, selon leur analyse, le potentiel opérationnel de formations dont les OPEX récentes avaient montré qu’il avait atteint un niveau d’excellence inégalé.

Concernant les droits individuels à permissions, le commandement reste cependant vigilant à la reconstitution du potentiel humain : les militaires de l’armée de terre ‒ hors unités engagées en OPEX ‒ ont bénéficié d’un minimum de trois semaines de permissions pendant la période estivale. Toutefois, le ministère indique qu’il n’est pas encore possible d’établir une projection sur le bilan de l’année 2015.

Tant que l’armée de terre n’aura pas conduit à son terme la manœuvre de montée en puissance de la force opérationnelle terrestre, dont l’effectif doit passer de 66 000 à 77 000 hommes d’ici l’été 2017, la gestion des capacités de la FOT demeurera extrêmement tendue à plusieurs égards.

D’abord, la conduite d’une opération telle que Sentinelle s’est avérée particulièrement lourde. En effet, si dans un premier temps, le CFT a piloté la manœuvre « en rênes courtes », activant sa section « territoire national » vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant les vingt premiers jours du déploiement, il a dû rapidement mettre en place une organisation plus déconcentrée. Désormais, c’est à chaque brigade sollicitée de désigner individuellement les personnels destinés à exécuter l’opération Sentinelle.

Pour réduire la pression pesant sur les ressources humaines, il a également fallu s’adapter et faire preuve de réactivité. Ainsi, les gardes dynamiques ont été préférées aux gardes statiques : non seulement elles sont considérées comme plus efficaces car elles ménagent un effet de surprise, mais encore, elles consomment moins de personnels. De même, la fermeture estivale d’un certain nombre de sites à protéger a permis d’en réduire la garde. Jusqu’au 30 août, le nombre de militaires affectés à l’opération Sentinelle a de ce fait pu être réduit de 1 350 hommes selon l’état-major de l’armée de terre, les personnels restants constituant une réserve placée sous alerte et mobilisable en 48 heures. En la matière, l’état-major opérationnel « terre » ne fait en effet que pourvoir aux besoins définis par les préfets et transmis par les états-majors de zone de défense, dans la limite des 7 000 hommes prévus par le contrat opérationnel : aussi, si les zones de défense ne demandent au total que 6 100 hommes, les autres sont placés en alerte. Ils constituent ainsi une utile réserve d’engagement permettant de faire face rapidement à tout événement.

Toutefois, le rapporteur a pu constater lors de son déplacement au CFT que la génération de force était souvent difficile. Par exemple, au premier semestre 2015, il manquait généralement une centaine d’hommes après le premier tour d’appel aux brigades ; cet écart s’élevait entre 300 et 400 pour les relèves du second semestre à la date du déplacement du rapporteur. Cette situation, qui révèle le fonctionnement à flux très tendu des ressources humaines de l’armée de terre pour 2015, a conduit le CFT à procéder à des annulations supplémentaires d’activités de préparation opérationnelle.

Par ailleurs, le rapporteur a pu observer une certaine « atomisation » des unités. En effet, les forces de l’opération Sentinelle, constituées dans ce contexte très contraint, sont le fruit d’un certain panachage d’unités ; en outre, dans le cadre de l’augmentation des effectifs de la FOT, l’effort à consentir par les régiments en matière d’encadrement pour la formation des jeunes recrues accentue encore ce phénomène. L’armement d’unités constituées par différents régiments est plus rare, mais ce sera encore le cas pour cinq unités au cours du mois d’octobre. Si une certaine souplesse est bienvenue, il ne faudrait pas que l’« atomisation » des compagnies et autres unités élémentaires ne conduise, dans la durée, à affaiblir leur cohésion, dont on connaît l’utilité dans les missions les plus exigeantes.

L’actualisation de la LPM a prévu une atténuation des déflations d’effectifs initialement programmées afin, notamment, de renforcer la FOT de 11 000 hommes par rapport à l’objectif prévu en 2013, en portant son effectif de 66 000 à 77 000 hommes.

En effet, déployer en permanence 7 000 personnels suppose, compte tenu du rythme des relèves, de disposer d’un vivier de 21 000 hommes car, comme l’expliquent nos collègues Alain Marleix et Geneviève Gosselin-Fleury dans un récent rapport d’information (7), « le taux de rotation de la force opérationnelle terrestre fait que l’on a besoin de trois fois plus d’effectifs qu’il n’en faut pour assurer, à un moment donné, une mission ». Or, en application de son contrat opérationnel, l’armée de terre ne disposait que de 10 000 hommes mobilisables pour une opération d’envergure sur le territoire national. Il fallait donc, pour que la FOT puisse assurer Sentinelle dans la durée, un renfort de 11 000 personnels.

Ainsi, l’augmentation des effectifs de la FOT est juste et suffisante pour permettre à l’armée de terre d’assurer la mission Sentinelle à son format actuel, soit 7 000 hommes déployés en permanence. Le rapport précité indique d’ailleurs que parmi les hypothèses étudiées par les états-majors, l’option retenue correspond à l’hypothèse de travail la plus haute.

La loi actualisant la LPM a bien prévu une commande supplémentaire de 11 000 armes individuelles futures (AIF), destinées à remplacer le FAMAS. De plus, à l’initiative de la présidente Patricia Adam, un alinéa a été inséré au rapport annexé à la LPM pour prévoir que « l’évolution des capacités protégées d’engagement de personnels sera cohérente avec les effectifs de la force opérationnelle terrestre ».

Toutefois, il apparaît que les dépenses nécessaires à l’équipement de la force Sentinelle n’ont été que partiellement prévues par l’actualisation de la LPM. En effet, selon l’état-major de l’armée de terre, la force rencontrerait des problèmes de mobilité : le parc de véhicules de transport rationalisé et mutualisé dans le cadre de la politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) n’était déjà au mieux que juste suffisant pour le format initialement prévu pour les forces terrestres ; il risque donc d’être nettement insuffisant pour une FOT accrue et pour un engagement durable sur le territoire national, qui suppose des relèves fréquentes et donc des transports entre des lieux de déploiement et des lieux de garnison parfois éloignés.

L’armée de Terre était engagée dans une manœuvre de déflation sans précédent et avait largement entamé les actions qui devaient la conduire à réduire ses effectifs de presque 4 000 personnels en 2015, au lieu de quoi, en application de la LPM actualisée, elle devra en recruter 5 600 dès 2015, et le même effort devra être poursuivi en 2016. La hausse des effectifs s’appuie sur l’utilisation de deux leviers : le recrutement (pour 80 % de l’effectif supplémentaire) et la fidélisation des personnels déjà engagés (pour 20 % de cet effectif).

Il est à noter que l’augmentation des effectifs de la FOT s’inscrivant dans la gestion dite « en flux » des effectifs du ministère, qui exige un fort taux de renouvellement des personnels du fait notamment de l’impératif de jeunesse des forces et de la mise en œuvre des plans de transformation visant à optimiser l’organisation des armées, directions et services, l’évolution nette de l’effectif de l’armée de terre chaque année représente le solde de vastes mouvements de recrutement et de départ de personnels.

Aussi, le plan de recrutement de l’armée de terre a-t-il été revu pour 2015 comme le présente le tableau ci-après. Cette révision conduit à augmenter le volume de recrutement de 45 % par rapport au plan initial à partir du mois de mars 2015.

PLAN DE RECRUTEMENT DE L’ARMÉE DE TERRE POUR 2015

 

Officiers

Sous-officiers

Militaires du rang

Cible initiale

520

1 985

7 947

Cible actualisée*

649

2 833

12 295

Surcroît de recrutement

+ 129

+ 848

+ 4 348

* par l’actualisation de la LPM votée en juillet 2015.

Source : ministère de la Défense.

En plus de ces recrutements, l’effort de fidélisation accrue devrait concerner 44 officiers, 292 sous-officiers et 837 militaires du rang en 2015.

Afin d’améliorer l’attractivité du métier des armes, l’offre de contrats des militaires du rang est étoffée d’un contrat de deux ans, renouvelable, qui vient compléter les offres de contrats déjà existantes : trois, cinq, huit et dix ans renouvelables. Les sous-officiers se voient proposer un contrat initial de cinq ans ou huit ans (suivant leur spécialité) renouvelable, et les officiers peuvent obtenir un contrat initial d’une durée comprise entre cinq et dix ans renouvelables.

En complément du recrutement, les régiments mènent des actions dites de « sur-fidélisation » : entretiens à l’échéance du renouvellement des contrats, réengagement d’anciens soldats ayant quitté l’institution depuis moins de deux ans, activation de réservistes, etc. L’armée de terre souhaite en effet que les anciens soldats réengagés contribuent pour 10 % à l’effort de remontée de ses effectifs en 2015.

L’accueil des nouvelles recrues est planifié

Au sein des régiments, le renforcement de la FOT se traduira par l’accueil, en l’espace d’à peine plus de deux ans, de nouveaux personnels dans des casernements déjà souvent densifiés et rationalisés.

Reposant essentiellement sur des densifications d’emprises, qui permettront de tenir les échéances fixées tout en limitant les coûts d’infrastructure, la manœuvre immobilière accompagnant cette augmentation d’effectifs est conçue en deux temps :

‒ dans un premier temps, toutes les capacités d’hébergement disponibles seront mobilisées pour accueillir les 31 nouvelles unités élémentaires de l’armée de terre : cela ira jusqu’à la réutilisation des chambres du personnel projeté ou en mission longue durée et au réemploi des ultimes capacités « tampons », dont les gites d’étape. Ces capacités seront ensuite complétées après la rénovation de locaux disponibles ou par recours à des infrastructures modulaires ;

‒ dans un second temps, tout en maintenant un groupement tactique aux Émirats arabes unis, la 13e demi-brigade de Légion étrangère qui y est stationnée sera transférée sur le camp du Larzac. Le 5e régiment de dragons du CENTAC de Mailly-le-Camp sera lui aussi renforcé en effectifs au titre du développement du pôle d’expertise Scorpion.

En parallèle, le déploiement durable d’unités dans le cadre de l’opération Sentinelle, suppose une amélioration rapide de leurs conditions de stationnement. Moins sensible en province, cette question suppose des adaptations en région parisienne : le ministère évoque la possible nécessité d’une remise en cause de certaines aliénations d’emprises militaires pour mieux allier la proximité des zones d’hébergement et le respect de standards de confort acceptables.

Les efforts pourraient ainsi se porter sur la création de bases principales (à Satory, au fort de Nogent et au fort neuf de Vincennes), et sur le réaménagement des sites de Taverny, du Fort-de-l’Est, du Kremlin-Bicêtre, de Nogent-sur-Marne et de Rueil-Malmaison.

Des résultats plus satisfaisants en matière de recrutement que de fidélisation

Concernant les militaires du rang, seule catégorie dont l’enrôlement soit mensuel, les plans de recrutement des mois de mai à août 2015 ont été réalisés conformément aux prévisions, avec 700 à 750 engagements par mois. En septembre, ce sont plus de 1 200 militaires du rang qui ont été recrutés, et ce rythme devrait poursuivre jusqu’à la fin de l’année. Selon le ministère de la Défense, la qualité du recrutement a été maintenue, dans la mesure où le ratio de sélection se maintient à deux candidats pour un poste, à un niveau supérieur à celui du début de la professionnalisation des armées.

S’agissant de la fidélisation des personnels, le ministère admet que si l’investissement des formations est important, ses premiers résultats sont encore « limités », les objectifs fixés pour la fin de l’année 2015 n’étant remplis qu’à 20 % l’été dernier. Le ministère considère que les résultats « devraient être plus probants au sortir de la période estivale », tout en prévenant qu’ils s’avèrent « difficiles à garantir ».

Un effet nécessairement retardé sur les capacités opérationnelles de l’armée de terre

Compte tenu des délais incompressibles de recrutement et de formation initiale, le ministère de la Défense estime que les effets de la remontée en puissance des effectifs de la FOT ne commenceront à être perceptibles qu’au cours du premier semestre de 2016.

Aussi, dans un contexte d’engagements opérationnels soutenus, l’armée de terre ne retrouvera un rythme lui permettant d’honorer pleinement son contrat opérationnel tout en remettant son potentiel à niveau qu’à partir de la fin de l’année 2017, à l’issue du processus de remontée en puissance de la FOT.

Et encore, à ce moment-là, lui faudra-t-il compenser l’érosion de sa capacité opérationnelle résultat des annulations d’activités de préparation opérationnelle décidées afin de dégager des effectifs pour Sentinelle. Le ministère anticipe donc une phase de stabilisation jusqu’en 2019.

Pour avoir suivi avec attention les réflexions et les travaux qui ont conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle pour l’armée de terre, le rapporteur a pu constater que l’état-major de l’armée de terre n’a pas attendu janvier 2015 pour étudier les voies et moyens d’une meilleure prise en compte du territoire national dans son modèle d’armée.

Des réflexions sur cette question, conduites dès avant les attentats de janvier 2015, dans le cadre des travaux de définition du nouveau projet d’armée de terre, s’étaient conclues par :

‒ la prise en compte de l’action sur le territoire national comme l’un des « piliers » de l’action de l’armée de terre ;

‒ la création d’un commandement spécifique pour le territoire national.

Pilier structurant du nouveau modèle d’armée intitulé « Au contact », la création d’un commandement de l’armée de terre pour le territoire national vise à favoriser une « réappropriation » par cette armée de son milieu spécifique d’engagement et à mieux prendre en compte les missions des forces terrestres sur ce terrain.

Ce commandement, placé sous l’autorité directe du chef d’état-major de l’armée de terre, est appelé, selon le ministère de la Défense, à devenir une sorte de « pôle d’excellence » spécialisé dans la réflexion, la préparation et l’engagement opérationnel sur le territoire national en application d’un nouveau concept d’emploi en cours de préparation. Au terme d’une phase mise en place d’un an, cette structure devra être opérationnelle à l’été 2016.

Le rôle de l’armée de terre sur le territoire national, tel que le définit le nouveau modèle d’armée, a deux volets principaux :

‒ l’engagement d’une force résiliente, autonome, aguerrie et apte à durer, en complément, d’une part, de l’action plus générale des forces de sécurité intérieure dans le champ sécuritaire et, d’autre part, des forces de sécurité civile dans le domaine de l’assistance aux populations ;

‒ l’apport de savoir-faire maîtrisés et de compétences spécifiques, en particulier dans le domaine de l’organisation, de la planification de la réaction, du soutien et de la logistique.

Enfin, l’action de l’armée de terre sur le territoire national favorise le lien armée-Nation, pourvu que l’armée de terre conserve un maillage territorial suffisant pour cultiver des relations de proximité et limiter l’éloignement géographique entre ses zones d’implantation et ses zones d’engagement.

Si la réflexion sur l’engagement de l’armée de terre sur le territoire national avait commencé avant les attentats de janvier 2015, elle n’en était pas pour autant achevée. Aussi les événements semblent-ils avoir pris l’armée de terre, en quelque sorte, « au milieu du gué » : la mise en œuvre du plan Vigipirate « alerte attentat » a pu, à certains égards, donner un cadre fixe aux modalités pratiques de cet engagement alors que n’était pas encore arrivée à sa conclusion la réflexion initiée par le général Jean-Pierre Bosser ‒ dont il faut souligner que c’est avec une grande lucidité qu’il a su mettre l’accent sur le territoire national dès l’automne 2014. Or, si les places respectives de la marine et de l’armée de l’air dans la protection du territoire national ont une définition assez stable, et d’autant plus claire que ces deux armées interviennent seules ou en premier ressort dans leurs milieux respectifs, ce n’était pas le cas pour l’armée de terre. Il faut donc se garder de penser que l’opération Sentinelle résume une fois pour toutes les possibilités d’emploi de l’armée de terre sur le territoire national.

Depuis près de vingt ans, le rapporteur a pu observer que la notion même d’« opération intérieure » suscite une certaine réserve chez certains acteurs ou certains commentateurs des affaires militaires. On peut d’ailleurs tirer de l’analyse des Livres blancs de 2008 et de 2013, ainsi que du suivi de leurs travaux d’élaboration, l’impression d’une forme de réticence des hautes autorités civiles et militaires à s’engager trop avant dans l’emploi de ce concept.

À cet égard, il faut remarquer que l’on emploie plus volontiers l’expression de « missions intérieures » pour désigner les engagements des armées ‒ et particulièrement de l’armée de terre ‒ sur le territoire national et sous le commandement opérationnel du chef d’état-major des armées (CEMA), en soutien, en accompagnement ou en complément de l’action civile de l’État. C’est ainsi sous ce vocable que l’on regroupe diverses missions de protection du territoire national : la participation de l’armée de terre au plan gouvernemental Vigipirate de vigilance et de prévention contre le terrorisme jusqu’en 2015 ; la participation des armées à la protection de grands événements, comme le 70e anniversaire du débarquement de Normandie ; la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane (mission Harpie) ; les missions de secours et d’assistance aux populations en cas de sinistre ; ou encore la participation de l’armée de terre à la lutte contre les feux de forêt dans le sud de la France (mission Héphaïstos).

Mais hormis la participation au plan Vigipirate avant 2015, la plupart des missions conduites en métropole servent des objectifs que l’on pourrait qualifier « de service public » plutôt que de sécurité. Elles mobilisent des capacités certes très spécialisées et parfois en volume important, mais rarement des capacités de combat : prêter main-forte aux services d’incendie et de secours en cas de catastrophe naturelle n’est pas tout à fait de même nature qu’une « opération » au sens strictement sécuritaire ou militaire du terme. Et même pour les missions des armées relevant de la sécurité, leur engagement était conçu dans une logique d’urgence et de réversibilité, et non pour durer. De même, comme le général Jean-François Parlanti, directeur du centre interarmées de concepts, de doctrines et d’emploi (CICDE) l’a fait observer au rapporteur, on parle à ce stade de « territoire » et non de « théâtre » national : la nuance est importante.

Cette réticence à développer le concept d’« opération intérieure », que le rapporteur a pu percevoir depuis longtemps, peut tenir ‒ en partie au moins ‒ à ce que le terme d’opération évoque de mobilisation de capacités de combat, de contexte de guerre.

Pour le rapporteur, il convient en effet de bien mesurer les conséquences ‒ politiques mais aussi juridiques ‒ de l’utilisation du concept de guerre. Employé mal à propos au territoire national, il risquerait de conduire certains à une logique de combat contre quelque « ennemi de l’intérieur », ainsi qu’à une escalade rhétorique éloignée de la position que les pouvoirs publics et les autorités politiques ont constamment, et avec raison, affirmée depuis le 11 janvier. Il y a une nuance importante entre la notion d’« ennemi à l’intérieur », que certains observateurs emploient pour caractériser la situation actuelle, et la rhétorique de l’« ennemi de l’intérieur ». Pour le rapporteur, il y a un danger à passer de la première à la seconde sans prendre garde au sens et à la résonance historique de ces expressions.

Bien sûr, le rapporteur ne méconnaît pas la nouveauté de la situation actuelle : l’engagement de l’armée de terre sur le territoire national, qui est massif sans être ponctuel, constitue un changement de conception par rapport aux pratiques antérieures, mais aussi par rapport à une tendance longue de notre histoire militaire. En effet, depuis le Livre blanc de 1994 et au fil des réformes, l’armée de terre a poursuivi une transformation de fond vers un standard nouveau : celui d’une armée professionnelle, dont le format et l’empreinte territoriale sont devenus très réduits au fur et à mesure des restructurations et des dissolutions, et organisée de façon à produire d’excellents effets dans des opérations extérieures, souvent menées en coalition, tandis que le territoire national était vu comme ne faisant pas l’objet de menaces militaires majeures. Or, comme le chef d’état-major de l’armée de terre l’a fait valoir, « la population ne comprendrait pas que l’armée de terre reste dans ses casernes en période d’attaques terroristes ».

Faut-il, pour autant, développer aux côtés de la police et de la gendarmerie une troisième force de sécurité intérieure, qui serait militaire ? Le débat est certainement ouvert, mais le rapporteur relève qu’en l’état des réflexions, l’idée d’aller si loin rencontre plusieurs obstacles qu’il ne faut pas négliger :

‒ le rapporteur n’observe pas (loin s’en faut) au sein de l’armée de terre de consensus pour souhaiter voir cette armée devenir une troisième force de sécurité intérieure, et encore moins se voir confier de façon durable des responsabilités en matière de maintien de l’ordre. D’ailleurs, la nature de ces missions relève plus sûrement de la gendarmerie nationale, force de sécurité intérieure capable de mener des opérations militaires ;

‒ pour plusieurs des acteurs interrogés par le rapporteur, il faut accorder une attention particulière à l’histoire et à la culture françaises en la matière, et se garder d’importer tels quels des concepts issus de pays où le recours aux forces armées pour la sécurité intérieure, voire pour le maintien de l’ordre, est présenté comme habituel, voire banal ;

‒ comme l’a fait valoir au rapporteur M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique à la direction générale de la police nationale (DGPN), dans notre droit, une force de sécurité intérieure, même de nature militaire, ne pourrait être investie de pouvoirs de police judiciaire sans être subordonnée à l’autorité fonctionnelle du Garde des Sceaux ;

‒ plusieurs responsables ont appelé l’attention du rapporteur sur la précaution avec laquelle on peut donner à la population le sentiment qu’elle vit sous une menace permanente, car les postures d’urgence s’avèrent difficiles à tenir dans la durée. Pour M. Pascal Lalle, confier aux armées des pouvoirs de police étendus ou créer une nouvelle force de sécurité intérieure à caractère militaire, voire placée sous l’autorité du ministre de la Défense, ne peut être entrepris qu’après une analyse du signal ainsi donné à la population. Or préserver les capacités de résilience de la population pour l’avenir suppose de manier avec prudence et mesure les signes d’alerte, pour pouvoir proportionner de manière rationnelle le niveau d’alerte ‒ ainsi que le volume des forces déployées ‒ au fur et à mesure de l’évolution de la menace.

Pour toutes ces raisons, le contexte nous conduit à une réflexion approfondie sur la notion d’« opération intérieure », sur la façon dont on l’emploie et sur la résonance qu’elle peut avoir dans la perception de la population et la culture de notre pays.

Il faudrait cependant clarifier le financement de l’opération Sentinelle. À cet égard, il serait légitime que les déploiements des armées en mission sur le territoire national se voient appliquer le même régime que leur déploiement à l’étranger, en OPEX : une prise en charge au titre de la solidarité interministérielle des surcoûts liés à ces missions.

À la suite du vol de Miramas, un audit a été conduit par le ministère de la Défense. Selon le chef d’état-major de l’armée de terre, cet audit met en lumière :

‒ un « besoin de ressources financières plus conséquentes », l’audit précité ayant relevé « une accumulation de défaillances matérielles » et une protection globale lacunaire ;

‒ la « dilution de la gouvernance » du fait de la « multiplication des donneurs d’ordres ».

En réaction à ce vol, un plan d’urgence pour la protection des sites de stockage de munitions a été mis en œuvre, avec des mesures immédiates de renforcement de leur protection physique ‒ clôtures, déploiement d’une centaine de militaires, systèmes de surveillance, y compris de vidéo-surveillance ‒ ainsi que des mesures pérennes de reconstruction des magasins de stockage de munitions et de renforcement des capacités de détection des intrusions dans les sites. Le ministère a annoncé engager à ce titre 60 millions d’euros en 2016.

Parallèlement, dès août 2015, une direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense (DPID) a été créée, et placée directement sous l’autorité du ministre de la Défense. Elle devra œuvrer à ce que les responsabilités soient recentrées et la chaîne décisionnelle resserrée.

Une protection efficace du territoire national contre une menace qui s’est montrée protéiforme passe par le déploiement d’un dispositif de protection de sites sensibles de natures très différentes.

Le cas des sites industriels, par exemple, doit faire l’objet d’une attention particulière. Pour le rapporteur, l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier a mis en évidence une difficulté dans la protection des sites industriels sensibles : si les normes dites Seveso ont pour effet de les protéger efficacement contre une série de menaces, ceux dont le niveau de risque industriel est modéré étaient peut-être insuffisamment protégés contre les intrusions malveillantes. La logique sous-tendant les normes Seveso est une logique de protection contre les accidents, davantage que contre la malveillance. Un travail d’adaptation des normes aux nouvelles menaces est donc souhaitable.

La coordination entre l’armée de terre et les forces de sécurité intérieure constitue une des clés de la réussite du plan Vigipirate, et ce à deux stades des opérations :

‒ la définition du cadre de la mission, pour laquelle l’autorité civile compétente ‒ préfet de département ou préfet de zone de défense et de sécurité ‒dialogue avec l’organisation territoriale interarmées de défense ‒ délégués militaires départementaux (DMD) et officiers généraux de zone de défense et de sécurité (OGZDS) ‒ pour préciser l’objet de la réquisition ou de la demande de concours des forces armées et coordonner, l’adaptation du dispositif à des événements particuliers (par exemple pour certaines fêtes religieuses) ;

‒ surtout, si les unités de l’armée de terre conduisent leur mission principalement de manière autonome, les patrouilles mixtes étant rares ‒ et non souhaitables ‒, les conditions d’exécution de la mission fixées par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale prévoient une liaison permanente des armées avec les forces de sécurité intérieure pour permettre, le cas échéant, l’intervention d’un officier de police judiciaire ou un renfort par les forces de sécurité intérieure.

Dans cette articulation de trois forces, les zones de déploiement actuelles de l’opération Sentinelle sont telles que l’enjeu majeur réside pour l’instant dans la coordination de la police et de l’armée de terre. En effet, comme l’a indiqué au rapporteur le général Michel Pattin, directeur des opérations et de l’emploi de la DGGN, 1,27 % seulement des effectifs de l’opération Sentinelle, soit 89 hommes par jour, sont déployés dans les zones de responsabilité de la gendarmerie : la quasi-totalité des soldats opèrent donc dans le ressort de la police nationale.

De l’avis concordant de l’armée de terre, de la DGPN et de la DGGN, le premier bilan de la coordination de ces trois forces sur le territoire national est, dans l’ensemble, tout à fait positif. Si la coordination a été plus ou moins facile selon les territoires, la bonne volonté et l’esprit de coopération de l’ensemble des responsables locaux sont soulignés par les représentants des trois forces entendus par le rapporteur.

D’ailleurs, ces trois forces ne partaient pas de rien en janvier 2015 : l’armée de terre contribuait déjà depuis longtemps au plan Vigipirate, à hauteur de 900 hommes en moyenne, et quelques semaines avant les attentats de janvier 2015, un exercice important dans le cadre du plan Neptune (destiné à faire face à une crue de la Seine) avait permis de tester les procédures et le renforcement du centre opérationnel de la zone de défense d’Île-de-France, situé au Camp des Loges à Saint-Germain-en-Laye.

M. Pascal Lalle a indiqué que les procédures d’information réciproque de l’armée de terre et la police nationale n’ont pas fait d’emblée l’objet d’une organisation définie de façon claire et précise par les textes : le lien entre les états-majors des armées et ceux de la police « était à créer ». S’il a indiqué que « les difficultés ont été réglées sur le terrain », l’articulation des états-majors n’était pas ordonnée par un cadre harmonisé et défini à l’avance.

Le directeur central de la sécurité publique a notamment précisé que les responsables locaux de la police nationale ont pu avoir l’impression que les relèves des soldats n’étaient pas toujours anticipées dans les délais correspondant aux pratiques et à l’organisation de la police, ou du moins que la police n’en était pas toujours informée aussi précocement qu’elle aurait pu le souhaiter.

Il a ajouté que les échanges d’informations entre la police nationale et l’armée de terre ont parfois été compliqués par certaines différences culturelles et conceptuelles entre policiers et militaires. Ces différences sont en effet telles que le vocabulaire lui-même n’a pas toujours le même sens dans une chaîne de commandement et dans une autre : par exemple, les termes de « renseignement » ou d’« information » ne renvoient pas exactement aux mêmes concepts dans la police et dans les armées.

Selon le général Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, les états-majors de l’armée de terre reçoivent des éléments de renseignement transmis par les services de police par l’intermédiaire des délégués militaires départementaux, mais également par contact direct avec les échelons hiérarchiques correspondants de la police nationale. Dans le cadre de la mise en condition opérationnelle des personnels, une information est donnée sur le cadre général de l’opération ; puis la transmission des informations plus précises sur le contexte local s’organise à la faveur des rotations, ce qui permet aux forces de disposer de la connaissance suffisante du milieu, permettant notamment de percevoir ses changements éventuels. Au demeurant, les besoins des armées ne portent pas sur du renseignement opérationnel aussi précis qu’en opérations extérieures.

Le partage du renseignement a cependant pu constituer, au moins dans les premiers mois de l’opération Sentinelle, un sujet de divergences de vues entre la police et l’armée de terre. Selon M. Pascal Lalle, les militaires seraient en effet demandeurs d’un renseignement « profond et global », tandis que la police, s’agissant en l’espèce du territoire national, suit des règles qui la conduisent à ne partager le renseignement qu’en tant que son destinataire « a besoin d’en connaître ». Les conditions de communication d’éléments de renseignement général sur l’environnement dans les zones où patrouillent les militaires méritent ainsi d’être clarifiées.

Pour le directeur central de la sécurité publique, les militaires n’auraient pas eu la même préparation à la mission et à son contexte que ne l’ont les policiers, ne serait-ce que parce que ceux-ci sont davantage habitués au terrain d’opération concerné. C’est, selon lui, ce qui a pu mettre certains soldats en position de vulnérabilité, comme en témoignent les cas d’agressions ou de provocation, notamment par des individus exhibant des armes devant les soldats.

Le rapporteur précise que cela ne peut pas concerner l’attaque de trois militaires de l’opération Sentinelle à Nice en février 2015, qui est d’une autre nature. Le ministre de la Défense a d’ailleurs indiqué à la commission que qu’il s’agit d’une « tentative d’assassinat provoquée par Al-Qaïda » (8).

Le gouverneur militaire de Paris a confirmé au rapporteur que, dans sa zone de responsabilité, environ 1 300 incidents de tout type ont été constatés entre janvier et septembre 2015, à rapporter aux 40 000 militaires déployés sur la période. Pour 70 % d’entre eux, ces incidents constituaient des actions contre la force, allant d’activités suspectes de renseignement à des comportements inquiétants ou des menaces, ces dernières émanant le plus souvent de personnes alcoolisées. La situation tend à se stabiliser, la moyenne de huit à dix incidents par jour au début étant ramenée à deux à trois à l’automne.

Pour M. Lalle, ce constat appelle, d’une part, une meilleure formation des soldats aux caractéristiques des lieux où ils opèrent et, d’autre part, des procédures de remontée d’information en cas d’incident qui soient suffisamment fluides, afin que la police puisse intervenir en temps utile. En effet, si chaque force s’en tient à sa propre chaîne de compte rendu, la réactivité des forces de sécurité intérieure en cas d’agression ou de provocation s’en trouve amoindrie.

Une réticence des autorités civiles à raisonner en termes d’« effets à obtenir » plutôt que d’effectifs

Dès le premier retour d’expérience précité de février 2015, l’armée de terre a relevé une certaine réticence, de la part des autorités civiles, à raisonner en « effets à obtenir » ‒ concept de base de la doctrine militaire ‒ plutôt qu’en nombre de personnels déployés.

En effet, comme l’explique l’état-major de l’armée de terre, la règle pour l’engagement des armées sur le territoire national est définie sur la base d’un principe d’économie et d’adaptabilité des capacités et des moyens. Pour les armées, « le dialogue civilo-militaire basé sur une logique d’expression des besoins fondée sur un effet à obtenir » est à même de garantir « l’adéquation des capacités et des moyens aux besoins générés par la crise ».

Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été prises pour exploiter ces marges de progression dans l’organisation du dispositif.

Ainsi, s’agissant des difficultés concrètes rencontrées en matière de télécommunications, l’armée de terre a décidé en juin 2015 de développer un réseau appelé DIPAD en s’équipant d’un parc de 2 000 postes, acquis dans le cadre d’un programme d’urgence opérationnelle. C’est d’ailleurs dans le cadre de discussions bilatérales avec le ministère de l’Intérieur que celui de la Défense a fixé le 26 juin 2015 les objectifs de développement du réseau DIPAD ; le plan retenu prévoit une expérimentation dès octobre 2015 sur le réseau ACROPOL(9) en vue d’un déploiement en Île-de-France. Il est cependant à noter que, selon l’armée de terre, ce réseau connaît un important retard de développement, notamment en raison du manque de moyens du centre de gestion des systèmes d’information et de communication du ministère de l’Intérieur pour la programmation des postes ACROPOL achetés par l’armée de terre.

Pour le rapporteur, dès lors que l’opération Sentinelle est appelée à se poursuivre, il est souhaitable que des directives soient élaborées conjointement par l’état-major des armées, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale.

Le rapporteur note aussi que pour certaines missions intérieures, comme l’opération Harpie en Guyane, l’armée de terre et la gendarmerie nationale ont mis en place des états-majors communs, et que cette option semble donner pleinement satisfaction aux deux forces.

Le ministre de la Défense a entamé une réflexion sur la doctrine et le concept d’emploi des armées sur le territoire national, rendue nécessaire par le nouveau contexte de menaces visant la population et les biens.

Le SGDSN a été chargé, pour sa part, de conduire des études pour tirer les leçons de l’opération Sentinelle et proposer des évolutions, y compris du plan Vigipirate. Les conclusions de ces études, lancées en juillet 2015, seront présentées au Premier ministre puis au président de la République avant la fin de l’année 2015. Comme le ministre de la Défense s’y est engagé lors de la discussion du projet de loi actualisant la LPM, le Gouvernement adressera également un rapport au Parlement début 2016 relatif aux missions des armées sur le territoire national, en vue d’un débat.

En effet, s’il existe aujourd’hui des documents de doctrine réglant l’emploi de l’armée de terre sur le territoire national, une large part des interlocuteurs du rapporteur s’est accordée à les considérer comme en partie obsolètes, pour deux raisons. D’une part, la menace a évolué, ce qui peut appeler des ajustements de doctrine ; d’autre part, l’intervention massive des armées sur le territoire national n’était conçue que pour être ponctuelle, ce qu’elle n’est déjà plus.

S’il est difficile de mesurer l’efficacité de l’opération Sentinelle, la plupart des responsables interrogés sur ce point par le rapporteur s’accordent à reconnaître au déploiement de l’armée de terre un effet dissuasif.

Pour le général Jean-François Parlanti, commandant le CICDE, cet effet dissuasif est indéniable, mais il a certaines limites :

‒ il a eu pour conséquence de révéler la localisation de certains lieux de culte jusqu’alors difficilement identifiables ;

‒ il repose sur une crédibilité des armées qui pourrait être remise en cause en cas d’évènements ou d’incidents qui exposeraient les soldats à des actions hostiles ou à des poursuites judiciaires en cas d’utilisation inappropriée de la force au regard de la loi et notamment de la légitime défense. Ceci pourrait introduire un doute dans l’opinion publique sur l’efficacité du dispositif et éroder la confiance de nos propres soldats dans l’accomplissement de leur mission.

On peut d’ailleurs penser que les modalités statiques de garde des sites sensibles, majoritairement retenues dans les premières semaines de l’opération Sentinelle à la demande des autorités civiles, contribuent à cette fragilisation progressive de l’effet dissuasif du dispositif : avec une garde statique, les sites sensibles sont d’autant mieux désignés, et les soldats sont d’autant plus vulnérables qu’ils sont peu mobiles et dispersés en petites équipes ‒ le plus souvent, des trinômes. Ainsi, l’emploi dispersé des militaires prive l’armée de terre de ce qui constitue souvent un ressort important de son efficacité opérationnelle : la fulgurance et la concentration des efforts. En outre, même employées de façon massive et très dispersée, les forces terrestres ne pourront jamais protéger l’ensemble des sites constituant des cibles possibles pour l’adversaire.

C’est pourquoi, comme le chef d’état-major de l’armée de terre l’a confirmé au rapporteur, les autorités militaires ont milité très tôt auprès des autorités civiles en faveur d’un changement de posture : passer de gardes statiques à des modes d’action plus dynamiques. Aujourd’hui, selon le général Jean-Pierre Bosser, les gardes statiques ne concernent plus qu’un tiers des sites protégés.

Les gardes dynamiques présentent en effet plusieurs avantages pour un emploi efficace des personnels de l’armée de terre :

‒ la vulnérabilité du soldat qui patrouille est plus réduite que celle du vigile posté devant un site ;

‒ le périmètre sécurisé est plus étendu ;

‒ selon le chef d’état-major de l’armée de terre, un mode de garde dynamique, par son caractère aléatoire et global, a pour effet tactique que « l’incertitude change de camp » ;

‒ exigeant de la mobilité et de l’initiative, les gardes dynamiques correspondent mieux aux savoirs-faire que les militaires tirent de leur instruction ;

‒ comme l’a expliqué au rapporteur le directeur des opérations et de l’emploi de la DGGN, les gardes statiques, surtout lorsqu’il s’agit de garder des bâtiments vides la nuit, peuvent créer des phénomènes de lassitude et d’incompréhension chez les personnels, alors que souvent, il suffit d’une inspection le matin.

C’est pour toutes ces raisons que, comme l’a expliqué au rapporteur le général Michel Pattin, les techniques de « contrôle de zone, dans la profondeur du terrain » sont celles qui correspondent le mieux, parmi les savoirs-faire bien maîtrisés par les militaires, aux nécessités de la situation sécuritaire actuelle.

En outre, les modes de garde dynamiques sont aussi ceux qui permettent de tirer le meilleur parti des compétences de l’ensemble des échelons de commandement de l’armée de terre. En effet, les gardes statiques « consomment » des effectifs, mais demandent moins de capacités d’initiative, de planification et de coordination que les gardes dynamiques. Aussi, les gardes statiques font-elles davantage appel aux compétences des militaires du rang qu’à celles de l’ensemble des cadres de l’armée de terre ‒ sous-officiers et officiers. Comme la fait observer au rapporteur le général Jean-François Parlanti, en évoluant progressivement d’une approche par effectifs déployés, reposant sur une posture statique, au profit d’une approche par effets à obtenir, privilégiant la posture dynamique, il sera possible de redonner un rôle plus important à l’encadrement ‒ chefs de corps, commandants d’unités élémentaires et chefs de section.

Aussi, outre qu’il est plus efficace en soi, un mode de garde plus dynamique permet de mettre en œuvre les capacités de toute une chaîne de commandement qui a prouvé son agilité dans les opérations récentes. C’est d’ailleurs pour exploiter au mieux ces capacités que la conduite de l’opération Sentinelle en Île-de-France a récemment été réorganisée, comme le présente l’encadré ci-après.

L’évolution de la conduite de l’opération Sentinelle en Île-de-France

Alors que le dispositif francilien était initialement piloté par huit états-majors tactiques, une réduction à trois est en cours : un état-major tactique pour le centre de la région, un deuxième pour l’ouest et un troisième pour l’est.

Ces états-majors concentrés commanderont de l’ordre de 1 000 à 1 500 hommes chacun, avec 100 à 140 sites à protéger par zone de compétence. Cette réorganisation présente plusieurs avantages :

‒ elle correspond au cadre départemental, alors que le dispositif actuel chevauche les découpages administratifs, ce qui permettra d’améliorer la coordination avec les préfets par l’intermédiaire des délégués militaires départementaux ;

‒ les communications avec les réseaux ACROPOL départementaux de la police seront facilitées ;

‒ cette nouvelle organisation va ensuite permettre de « militariser » davantage le fonctionnement de l’opération, en impliquant davantage la chaîne de commandement : chefs de corps, commandants d’unités élémentaires, chefs de section.

En effet, comme le gouverneur militaire de Paris l’a expliqué au rapporteur, il a été jugé que ceux-ci ont actuellement trop peu de responsabilités dans le dispositif. Une plus grande décentralisation des décisions sera en conséquence opérée, par exemple en matière de ressources humaines, par rapport au système actuel, très concentré à l’état-major opérationnel du Camp des Loges.

Les chefs de corps commanderont principalement des unités élémentaires (dix à quinze) issues de leur régiment, complétées par des unités élémentaires qui seront choisies de façon préférentielle au sein de la même brigade que le régiment principal.

Ce mouvement de rationalisation permettra quelques économies de moyens de commandement et de personnel, soulageant ainsi la pression pesant sur l’armée de terre sans pour autant affecter l’exécution de la mission. Le « baptême du feu » de cette nouvelle organisation sera offert par la COP 21, qui constituera un pic d’activité sensible tant pour les forces armées que pour les forces de sécurité intérieure.

Pour le rapporteur, les pouvoirs publics doivent pouvoir expliquer à la population qu’il y a lieu de distinguer entre :

‒ le « temps du choc », qui appelle sous le coup d’un événement grave à satisfaire le plus de demandes de protection possible afin de rassurer la population et rétablir la confiance ;

‒ le temps long, dans lequel s’inscrit une posture de protection du territoire national, et qui appelle des choix d’optimisation du dispositif.

Et une fois qu’un dispositif de protection s’inscrit dans la durée, il y a lieu également de distinguer entre, d’une part, les activités de protection qui relèvent des forces de sécurité intérieure avec le cas échéant le concours des armées et, d’autre part, ce qui relève de l’autoprotection.

Pour le rapporteur, certains sites pourraient gagner à mettre en œuvre des mesures d’autoprotection, qu’il s’agisse de protection humaine ‒ par des vigiles ‒ ou de protection technique, notamment par des dispositifs de vidéosurveillance. Le recours à l’autoprotection n’a pas nécessairement à être compris comme se substituant à une surveillance exercée par les forces de sécurité intérieure ou l’armée de terre : il a un intérêt, aussi, en complément de cette surveillance.

Le directeur central de la sécurité publique de la DGPN, jugeant lui aussi souhaitable un recours accru à l’autoprotection, a souligné que son développement pouvait se heurter à différentes difficultés :

‒ les gestionnaires d’un certain nombre de sites expriment une préférence pour une présence physique, qui rassure davantage ; d’ailleurs, les gestionnaires des sites déjà équipés de dispositifs de vidéosurveillance sont souvent demandeurs d’une garde supplémentaire ;

‒ le financement des dispositifs d’autoprotection peut poser des difficultés si l’État ne met pas en œuvre un mécanisme d’incitation.

Pour le rapporteur, il pourrait être fait davantage appel au Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Si les règles d’engagement de celui-ci sont parfois jugées restrictives par certains acteurs, le rapporteur relève que les conditions d’engagement de ce fonds ont récemment été revues afin de faciliter l’appui au développement de l’autoprotection des sites sensibles, comme le présente l’encadré ci-après. M. Pascal Lalle a précisé au rapporteur que les services de la police nationale pouvaient d’autant mieux apporter un appui technique aux gestionnaires des sites sensibles que les directions départementales de la sécurité publiques disposent de dossiers sur ces sites.

L’intervention du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD)

La circulaire relative aux orientations du Fonds interministériel de prévention de la délinquance pour 2015 dans le cadre du renforcement du dispositif de lutte contre le terrorisme, en date du 23 mars 2015, a prévu de favoriser le développement des dispositifs de sécurisation des « sites sensibles au regard du risque de terrorisme », « notamment les lieux de culte ».

Des aides sont accordées sous forme de cofinancement de projets, suivant un taux défini « au cas par cas » dont la circulaire précise qu’il peut atteindre 80 %. Les projets éligibles sont, pour 2015, non seulement ceux qui consistent à renforcer un dispositif de vidéosurveillance (pour 6,5 millions d’euros en 2015) ou à renforcer par tout autre moyen la sécurisation des sites (pour 2,5 millions d’euros en 2015).

Ces crédits résultent d’un abondement au FIPD opéré dans le cadre du renforcement du dispositif de lutte contre le terrorisme annoncé par le Gouvernement le 21 janvier 2015, abondement de 60 millions d’euros sur trois ans, dont 20 millions d’euros en 2015.

Ce dispositif de financement offre donc une certaine visibilité aux responsables des sites sensibles pour élaborer dans les meilleures conditions leurs dossiers de demande de financement. La circulaire prévoit d’ailleurs qu’ils peuvent pour ce faire solliciter l’appui des services compétents des forces de sécurité intérieure.

Premier trait, il existe un continuum bien connu entre l’adversaire que nos forces combattent en OPEX et celui qui commet des attentats sur le territoire national. Aussi, penser à un retour de notre défense exclusivement sur le territoire national serait une impasse. Notre stratégie d’intervention à l’extérieur procède bien d’une démarche de « défense de l’avant », que seules les forces armées peuvent offrir à l’extérieur de nos frontières, où il n’existe pas toujours de forces locales (ni armées, ni de sécurité intérieure) susceptible de les contenir.

Deuxième trait, la menace actuelle, telle qu’elle apparaît sur le territoire national, justifie-t-elle l’emploi de l’outil militaire avec des modes d’actions de guerre ? Pour la plupart des responsables interrogés par le rapporteur, la réponse est pour l’heure négative. Faut-il toutefois exclure que la menace s’aggrave et justifie des modes d’action de guerre ? Il serait imprudent de l’exclure.

Troisième trait, les analyses prospectives s’accordent à caractériser la menace comme étant durable. Cela doit conduire, comme le directeur du CICDE l’a expliqué au rapporteur, à « ne pas s’user prématurément », « à prendre en compte la potentielle aggravation de situation » et à « inscrire aussi l’action de l’État dans une réponse globale, interministérielle et associant l’ensemble de la société ». Seule une telle réponse est à même, selon lui, de nous permettre de « retrouver une épaisseur stratégique et une résilience suffisantes ». Pour le rapporteur, l’incident de Miramas montre que cet effort de résilience doit également concerner les armées elles-mêmes.

Quatrième trait, comme l’a dit au rapporteur le général Jean-François Parlanti, il ne faut pas sous-estimer un des aspects de la menace actuelle : « si elle cible notre pays, elle vise aussi clairement à fixer nos forces sur le territoire national ». Ce serait donc tomber dans une sorte de piège que d’immobiliser exagérément nos forces, au détriment de leur préparation opérationnelle, voire de leur capacité à se projeter en OPEX.

Le directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale a expliqué au rapporteur que les travaux d’élaboration d’une nouvelle doctrine doivent prendre en compte le fait que les modes opératoires des terroristes évoluent. La gendarmerie nationale observe que, dans la période récente, les attaques terroristes peuvent être analysées comme se déroulant en trois temps :

‒ dans un premier temps, les terroristes attaquent une cible avec pour but de tuer autant de personnes que possible ;

‒ dans un deuxième temps, ils se retranchent et font durer la confrontation avec les forces de l’ordre afin d’obtenir notamment le plus large écho médiatique possible ;

‒ dans un dernier temps, ils opèrent un assaut suicide et meurent sous les balles tout en cherchant à causer auparavant le maximum de pertes possibles dans les rangs des forces de l’ordre.

Pour le général Michel Pattin, ce schéma, qui s’observe dans plusieurs pays, est aujourd’hui le modus operandi de Daech et d’autres groupes djihadistes.

Il s’éloigne beaucoup des schémas enseignés jusqu’à présent dans les écoles de police et de gendarmerie. Comme l’a indiqué le général Michel Pattin, traditionnellement, les forces de sécurité intérieure « primo-intervenantes » cherchaient à « fixer » l’adversaire sur les lieux de l’attaque et à faire intervenir des forces spécialisées qui entamaient un processus de négociation visant à réduire le niveau de tension ; la reddition de l’adversaire était possible, notamment dans le cas d’un déséquilibré qui pouvait revenir à la raison. Aujourd’hui, la reddition n’est pas le but, et plus les attaques durent, plus le nombre de victimes est élevé dans la première phase de la nouvelle cinétique des actes terroristes ; en outre, les chances de survie des otages sont d’autant plus faibles que l’attaque dure.

Cette nouvelle cinétique des attentats a appelé une nouvelle organisation de la réponse des forces de sécurité, suivant laquelle il faut que les forces « primo-engagées » aient une réaction adaptée, ce qui a plusieurs implications utiles dans les réflexions doctrinales actuelles :

‒ ces forces « primo-intervenantes » doivent se porter au plus vite au contact des terroristes et engager la confrontation avec eux afin, en quelque sorte, de les « détourner » des victimes civiles : il s’agit de réduire autant que possible la première phase de la cinétique décrite précédemment ;

‒ elles doivent disposer de matériels suffisamment efficaces pour faire face à des attaques perpétrées avec des armes longues, souvent de type AK 47. À cet égard, le directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale a indiqué au rapporteur que le plan de renforcement du dispositif de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 avait permis de commencer à renforcer l’équipement des personnels, notamment en casques lourds et en armes ayant une portée au moins aussi grande que celle de l’AK 47 ;

‒ la nouvelle cinétique des actions terroristes ne permet plus de considérer que le recours aux unités spécialisées de « haut du spectre » (comme le RAID ou le GIGN) constitue toujours la bonne réponse. Les délais nécessaires à leur acheminement sont en effet trop longs au regard du nombre de victimes que peuvent faire les terroristes dans la première phase de l’attaque. Il faut donc que les gendarmes, dès la deuxième phase de l’opération, soient en mesure de faire cesser l’attaque ;

‒ pour disposer de forces « primo-intervenantes » capables d’intervenir rapidement, il faut un bon maillage territorial. On notera d’ailleurs que c’est un gendarme d’unité territoriale qui a blessé l’un des frères Kouachi à Dammartin-en-Goële, obligeant les deux terroristes à se retrancher dans une imprimerie.

L’état-major de l’armée de terre fait valoir que, par nature, les soldats de l’armée de terre sont préparés à affronter des adversaires armés de fusils d’assaut comme le AK 47.

Comme le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale l’a indiqué au rapporteur, le SGDSN travaille sur les textes applicables, notamment sur « trois instructions ministérielles qui ne sont aujourd’hui qu’en partie concordantes ». Il faudra donc certainement des adaptations réglementaires.

Dans le cadre de ce travail interministériel, toutes les parties prenantes sont amenées à formuler leur point de vue et à le confronter avec ceux des autres. L’état-major de l’armée de terre a conduit en ce sens une réflexion approfondie sur sa contribution à la réflexion et, plus largement, sur celle de l’armée de terre à un dispositif rénové de protection du territoire national. Face à la menace et aux engagements envisageables, l’armée de terre vise trois objectifs : contraindre la liberté d’action de l’adversaire, se préparer aux engagements possibles et conforter la résilience de la Nation. Pour ce faire, sa réflexion s’ordonne à ce jour suivant suit quatre lignes principales :

‒ rentabiliser l’engagement en cours en poursuivant la démarche de transformation du dispositif actuel vers l’utilisation de modes d’action plus mobiles et, sans déployer un effectif excessif au regard de ses capacités, étendre l’action sur l’ensemble du territoire, incluant les campagnes et notamment les « déserts militaires » ;

‒ optimiser la préparation opérationnelle, en planifiant la conduite des actions correspondantes dans des zones d’intérêt permettant aux unités d’entretenir leurs savoir-faire et d’affirmer une présence répondant à un besoin de sécurisation et/ou de renseignement. Le commandement de l’armée de terre pour le territoire national pourrait être impliqué dans cette planification, voire dans la conduite de ces activités de préparation opérationnelle d’un nouveau genre ;

‒ impliquer les réserves, en les orientant de façon préférentielle vers l’engagement sur le territoire national. La généralisation, en cours, à l’ensemble des brigades, des états-majors tactiques des bataillons de réserve offrirait une capacité de d’accueil et de préparation à l’engagement des unités d’active sur l’ensemble du territoire ;

‒ contribuer à la résilience de la Nation, par exemple via le service militaire volontaire, en s’appuyant sur les commandants d’armes en garnison et en poursuivant les actions réalisées à l’attention de la jeunesse.

Pour contribuer à la constitution d’un panel complet et cohérent de capacités à même de faire face à une menace protéiforme, atomisée et diffuse, l’armée de terre est en mesure de relever ou de compléter l’action des forces de sécurité intérieure ; d’agir ponctuellement avec des capacités particulières (stations satellitaires, hélicoptères, etc.) ; d’appuyer les forces de sécurité intérieure en menant des actions complémentaires, en périphérie de leur zone d’action ou en environnement dégradé (du fait, par exemple, du climat, du relief, de la végétation, ou d’un niveau exceptionnel d’insécurité).

Le rapporteur a pu constater qu’une question revient fréquemment : celle de savoir s’il est opportun ou non d’investir certains personnels de l’armée de terre de pouvoirs de police judiciaire. Le rapporteur n’est pas favorable à cette idée, estimant qu’elle appelle deux observations.

D’abord, investir les soldats de pouvoirs de police judiciaire reviendrait à constituer l’armée de terre en une force de sécurité intérieure dont la distinction avec la gendarmerie, sur le territoire national, deviendrait moins nette qu’aujourd’hui.

Ensuite, il n’est pas nécessaire de procéder à des modifications très importantes du statut des militaires de l’armée de terre pour élargir leurs conditions d’emploi. Le général Michel Pattin a évoqué devant le rapporteur l’idée que les personnels de l’armée de terre pourraient être autorisés à pratiquer, de façon encadrée et exceptionnelle, des palpations de sécurité ou des fouilles de bagages ‒ pouvoir qui est reconnu, par exemple, aux stadiers. De même, s’agissant de contrôles d’identité dans les lieux publics, il est tout à fait envisageable que des soldats soient simplement affectés au filtrage des personnes, et que celles qui ne souhaitent pas présenter leur document d’identité soient orientées vers un officier de police judiciaire.

En outre, le cadre juridique existant, fondé sur le droit de réquisition de la force armée par l’autorité civile et sur le « principe des quatre I » ‒ qui veut que les armées n’interviennent que lorsque les moyens civils sont indisponibles, inadaptés, insuffisants ou inexistants ‒ paraît offrir un cadre assez souple au renfort apporté par les armées aux forces de sécurité intérieure. Aucun des interlocuteurs du rapporteur ne l’a d’ailleurs jugé tout à fait obsolète.

Le travail en cours sur la doctrine d’emploi des forces armées constitue également l’occasion d’évaluer l’adéquation du cadre juridique applicable en cas d’événements d’une exceptionnelle gravité ‒ c’est-à-dire, en quelque sorte, dans « le scénario du pire ».

À ce propos, le général Jean-François Parlanti a fait observer au rapporteur que le régime de l’état d’urgence n’offre pas une réponse adaptée à tout type de crise. En effet, il n’affecte nullement le régime juridique d’emploi des armes cantonné à la légitime défense. Quant à l’état de siège prévu à l’article 36 de la Constitution, qui permet le transfert de pouvoirs de police étendus de l’autorité civile à l’autorité militaire, il est conçu pour un contexte de guerre au sens classique, et non de lutte contre le terrorisme.

Aussi, entre un régime d’état d’urgence qui apporterait peu et un régime d’état de siège inadapté, peut-être y a-t-il une place pour une situation juridique intermédiaire, une forme de défense opérationnelle du territoire (DOT) rénovée, qui donnerait des marges de manœuvre accrues à l’action militaire pour le cas, d’une exceptionnelle gravité, et dans un cadre extrêmement limité dans le temps et juridiquement très encadré, où le besoin s’en ferait sentir.

En tout état de cause, la fonction de protection du territoire fera assurément l’objet de travaux approfondis dans le cadre de l’élaboration du prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Le rapporteur observe que même après son actualisation en 2014, qui a vu ses quatre niveaux (identifiés chacun par une couleur : jaune, orange, rouge et écarlate) remplacés par deux niveaux d’alerte (« vigilance » et « alerte attentat »), le plan Vigipirate est marqué par une sorte d’hystérèse. Il est en effet très difficile aux autorités d’ajuster à la baisse le niveau de vigilance sans donner l’impression de « baisser la garde » inconsidérément : baisser le niveau d’alerte, c’est un message politique fort.

Il en résulte, pour l’emploi des forces armées, une certaine rigidité : le niveau « alerte attentat » correspond désormais, dans l’esprit de la population, à un engagement massif de l’armée de terre sur le territoire national.

Ainsi, de même qu’il est difficile, dans la pratique, de réduire le niveau de vigilance, il peut être difficile, dans les faits, de moduler l’effectif de militaires concourant à la mise en œuvre du plan Vigipirate, voire d’en moduler la portion la plus visible : celle qui effectue des gardes statiques ou des patrouilles de quartier.

Aux yeux du rapporteur, le risque est sérieux que l’on se prive de tous les avantages que la protection du territoire national pourrait retirer d’un dispositif mettant davantage l’accent sur la mobilité des forces, sur la réactivité et l’utilisation de la force comme une réserve mobilisable, pour un emploi dans des missions où la plus-value militaire est réelle.

Des techniques militaires comme le contrôle de zone (naturellement adaptées au territoire national), avec des exercices ciblés, démonstratifs, et permettant de travailler les savoir-faire spécifiquement militaires, pourraient avoir un intérêt. À tout le moins, la question mérite certainement d’être étudiée.

Le rapporteur note d’ailleurs que la mise en œuvre du plan Vigipirate a été plus souple en 2015 qu’auparavant, lorsque le Gouvernement a fait le choix d’appliquer des niveaux d’alerte différents selon les régions.

Pour aller plus loin vers un plan Vigipirate permettant un emploi plus agile des armées, une refonte du plan pourrait prévoir, à un haut niveau d’alerte comme celui que notre situation justifie aujourd’hui, la mise en œuvre du contrat de protection des armées, tout en laissant au Gouvernement le soin de moduler avec souplesse le volume des forces engagées et leurs modes d’action.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096), au cours de sa réunion du mardi 13 octobre 2015.

Mme la présidente Patricia Adam. Mon général, ce n’est pas la première fois que nous avons le plaisir de vous accueillir ; vous nous avez notamment présenté le plan « Au contact » et nous vous avons entendu dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). Aujourd’hui, vous ferez sans doute face aux questions portant sur le déploiement de l’armée de terre sur le territoire national, les investissements réalisés et les opérations extérieures (OPEX) – qui, on l’oublie parfois, mobilisent autant que l’opération Sentinelle. Nous avons d’ailleurs prévu d’auditionner à nouveau le ministre de la défense sur l’ensemble des OPEX. Enfin, notre commission est préoccupée par l’équilibre entre opérations et entraînement des forces, celui-ci pâtissant, depuis le mois de janvier, de l’effort consenti pour Sentinelle. Le bureau de la commission a décidé de se pencher sur la question des opérations militaires menées sur le territoire national, dont la doctrine doit être présentée au mois de janvier. Vous évoquerez peut-être ce sujet sur lequel vous travaillez actuellement.

Général Jean-Pierre Bosser. Je suis ravi de retrouver les membres de la commission, notamment ceux qui ont rendu visite à l’armée de terre le 28 mai à Palaiseau, puis à Sissonne pour la présentation dynamique du modèle « Au contact ». Certains d’entre vous, suivant l’exemple de votre présidente, nous ont honorés de leur présence aux deux événements. Merci de votre fidélité ; ces rencontres comblent bien l’intervalle entre les auditions formelles à l’Assemblée nationale et les rendez-vous pratiques sur le terrain, au contact de nos hommes.

Nous entamons actuellement un nouveau cycle. Depuis le mois de septembre, l’armée de terre est entrée dans la phase de réalisation pratique de son modèle, marquée notamment par l’élaboration des processus. Parallèlement, elle vit deux types de transition : la première, de court terme, est liée à la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT). Échelonnée sur deux ans, 2015 et 2016, elle doit nous ramener au plus vite au niveau de préparation opérationnelle que nous avions avant les événements de janvier. La seconde, de plus long terme, est capacitaire : elle marque la fin de vie de parcs vieillissants – en particulier le véhicule de l’avant-blindé (VAB) et l’AMX-10 RC – et l’arrivée de nouveaux matériels, notamment des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) et des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) dans le cadre du programme Scorpion.

Dans ce contexte, je voudrais vous dire ma satisfaction de voir que la LPM actualisée et le projet de loi de finances (PLF) pour 2016 prennent en compte les nouvelles missions qui attendent l’armée de terre. Ces deux outils n’effacent pas les grands défis que portent les années à venir, et en particulier 2016, mais nous sommes en ordre de bataille pour y faire face.

Je montrerai d’abord en quoi l’année 2015 est une année de pleine satisfaction pour l’armée de terre, engagée sur le territoire national – la défense de l’arrière – comme en OPEX, la défense de l’avant. Cette année marque un virage historique en termes de moral, la LPM actualisée nous donnant les moyens de nous projeter dans l’avenir. Je vous brosserai ensuite les quatre grands défis qui nous attendent en 2016 : le positionnement de l’armée de terre sur le territoire national, le recrutement et la fidélisation qui doivent amener les effectifs de la FOT à 77 000 hommes, la préparation opérationnelle et le renouvellement de nos capacités.

L’année 2015, tout d’abord, a initié une dynamique positive en matière de missions – à l’intérieur comme à l’extérieur –, d’adéquation des moyens aux missions et enfin en matière psychologique, la décroissance des effectifs n’étant désormais plus vécue comme une fatalité.

Sur le territoire national, notons la réactivité de l’armée de terre qui a engagé 10 000 hommes en trois jours dans le cadre de l’opération Sentinelle. Pour elle-même comme pour les soutiens, ce fut une action très bénéfique : elle a donné confiance au personnel, validé certains concepts dans le domaine du soutien et, surtout, rassuré les Français sur la capacité de leur armée de terre à les épauler dans les moments difficiles. L’opération est, depuis, maintenue au niveau élevé de 7 000 hommes, avec une capacité de remontée en puissance à 10 000. Au total, ce sont 57 700 terriens qui se sont relayés à Sentinelle depuis le 11 janvier. Pour autant, aucun incident majeur mettant en cause un soldat français n’est à déplorer depuis neuf mois. J’y vois la récompense d’un très grand professionnalisme et la preuve de la bonne transposition sur le territoire national des qualités individuelles et collectives acquises en OPEX : endurance – nos soldats ont été déployés en plein hiver –, résilience, maîtrise de la force – souvenez-vous de l’incident de Nice – et réversibilité. Un incident reste toutefois toujours possible. Avec Sentinelle, l’armée de terre fait ensuite la démonstration d’une grande adaptabilité. Exclusivement statique de janvier à avril, l’opération est aujourd’hui aux deux tiers constituée de dispositifs dynamiques, plus efficaces et plus valorisants pour nos hommes. Sentinelle a beaucoup évolué et les préfets, dans la rédaction des réquisitions, insistent de plus en plus sur les effets à obtenir et non sur les critères précis d’exécution de la mission. En Île-de-France, l’opération sera réarticulée fin octobre en trois états-majors tactiques commandés par des chefs de corps. On redonnera ainsi de la verticalité à un système jusque-là très horizontal : un soldat, un trinôme, une porte, peu ou pas de chefs de groupe, pas de chefs de section, encore moins de commandants d’unités, et un chef de corps qui restait en base arrière dans son régiment. Nous allons inverser cette tendance.

Cet engagement opérationnel a par ailleurs fortement rapproché l’armée de terre des Français. Cet été, selon le baromètre IPSOS, 66 % de nos concitoyens jugeaient Sentinelle efficace et 87 % d’entre eux estimaient que l’armée de terre avait sa place sur le territoire national. Nos hommes ont répondu présents malgré l’activité intense induite par cette mission qui leur demande beaucoup d’efforts physiques. Certains doivent ainsi effectuer 20 à 25 kilomètres à pied par jour ! Je souhaite rendre hommage à la constance et à la fiabilité de leur engagement.

Si l’on en parle moins, les OPEX, ou la défense de l’avant, n’ont pas pour autant disparu. Ces trois derniers mois, l’armée de terre déplore d’ailleurs onze blessés au combat. Ces opérations entraînent également une usure prématurée du matériel : à titre d’exemple, si en métropole un véhicule de l’avant blindé (VAB) roule en moyenne 1 000 kilomètres par an, il en fait 50 000 par an à Barkhane ; au bout de quatre ans, il doit être régénéré au prix de 500 heures de travail qui représentent une indisponibilité de dix-huit mois. Aujourd’hui, 7 000 hommes sont engagés hors de l’Hexagone, 4 500 en OPEX et 2 500 en missions de courte durée. L’armée de terre est ainsi entrée dans un juste équilibre entre intervention et protection, entre OPEX et opérations intérieures (OPINT), ce fonctionnement ayant entièrement modifié sa vie courante, sa préparation opérationnelle et son cycle de projection. Cette année a été particulièrement difficile parce que nous avons dû agir sans avoir pu adapter notre rythme à nos nouvelles missions. S’agissant des OPEX, je voudrais encore mentionner le rôle essentiel des forces prépositionnées, forces de proximité qui nous permettent de réagir rapidement et d’améliorer la préparation opérationnelle de nos unités qui effectuent des missions de courte durée.

La LPM actualisée a pris la mesure de ce changement de paradigme, et je vous en remercie. L’armée de terre est désormais engagée massivement et durablement à la fois sur le territoire national et en OPEX. Je suis pleinement conscient des efforts consentis par la Nation ; les outils dont elle nous dote témoignent d’une réelle prise de conscience des enjeux. La fin de gestion 2015 sera délicate pour le ministère comme pour les armées. Pour l’armée de terre, restent à ce stade non couverts les surcoûts des OPEX – 122 millions d’euros hors titre 2 –, ceux de Sentinelle – 141,9 millions – et ceux de la remontée en puissance de la FOT – 88,8 millions d’euros. Le chef d’état-major des armées (CEMA) appelle à la vigilance ; il évoquera certainement le sujet avec vous. Toutefois, à partir de 2016, nos besoins sont couverts jusqu’en 2019. Le « paquet protection » de la LPM actualisée est cohérent avec la masse salariale des 11 000 hommes supplémentaires prévus pour la FOT. Le « paquet capacitaire » permet d’améliorer sensiblement notre équipement, avec la commande de sept Tigre, de six Caïman, de roquettes de précision pour les Tigre et de lunettes de vision nocturne pour les forces spéciales, la revalorisation des VBL en attente du plan Scorpion et l’avancement des livraisons du porteur polyvalent terrestre (PPT). Enfin, le « paquet régénération » couvre nos besoins en entretien programmé du matériel (EPM), l’EPM terre augmentant de 8,5 % entre 2015 et 2016. Ces ressources supplémentaires s’ajoutent à la mise en place progressive d’une nouvelle organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres et aéroterrestres, dont l’objectif est de gagner de la disponibilité technique opérationnelle (DTO). En effet, celle-ci reste suffisante en OPEX, mais pas en métropole. Cette lacune n’était pas manifeste lorsque l’on organisait les entraînements dans les camps, y concentrant momentanément le matériel ; mais si l’on veut développer la préparation opérationnelle décentralisée dans les garnisons – notamment pour éviter de trop longues absences de nos cadres de leur domicile –, il nous faudra une DTO à la hauteur de nos besoins.

Enfin, 2015 représente pour l’armée de terre un virage historique aux conséquences positives en matière de moral. La manœuvre globale des effectifs nous est favorable : la déflation de 9 938 postes que nous devions subir sur la durée de la LPM est contrebalancée par la moindre déflation de 11 244 postes. En 2019, l’armée de terre emploiera donc 103 000 militaires. Lors de ma première intervention à l’Assemblée nationale, j’avais estimé que le seuil critique pour l’armée de terre tournait autour de 100 000 hommes ; le chiffre actuellement prévu nous permet donc de construire un modèle « Au contact » équilibré. Pour la FOT, l’augmentation est significative : la création de trente-trois compagnies de combat – dans l’infanterie, l’arme blindée cavalerie et le génie –, comme la remontée en puissance de deux régiments – le 5e régiment de Dragons à Mailly et la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) de retour des Émirats arabes unis – représentent une véritable inflexion. La directive ministérielle de 2016, parue avant l’été, nous permet de mettre en place une véritable gestion prévisionnelle à un an pour nos hommes.

Cette inflexion exerce un effet positif sur le moral de l’armée de terre, mais elle n’est rendue possible que par un gros effort de recrutement qui représente un des enjeux pour 2016. Certains s’interrogent sur la capacité de l’armée de terre à le réaliser, mais nous atteindrons notre objectif au 31 décembre : 5 600 militaires dont 4 430 par le recrutement et 1 170 par la fidélisation, conformément aux prévisions. Le taux de sélection – un pour deux – demeure tout à fait acceptable : un peu moins rigoureux que l’année dernière, mais bien plus qu’au début de la professionnalisation où il n’était que de un pour 1,5. La qualité des jeunes que nous recrutons est identique à celle des autres militaires.

Si l’année 2015 offre à l’armée de terre la promesse de lendemains intéressants, la dotant de nouveaux moyens, 2016 est porteuse de lourds défis.

Le positionnement sur le territoire national, tout d’abord – sujet qui me préoccupe d’autant plus qu’il fait l’objet de débats, notamment avec certains d’entre vous – ne se réduit pas à la seule opération Sentinelle qui elle-même ne se réduit pas à un renforcement du plan Vigipirate. Une fois l’urgence et l’émotion passées, comment donner un cadre durable à l’action de l’armée de terre ? Celle-ci ne pourra pas rester à l’écart des événements affectant le territoire national ; l’on peut débattre des modalités de son engagement, mais la nécessité de son implication paraît indiscutable.

Les travaux actuellement menés visent à définir une posture de protection terrestre. La défense opérationnelle du territoire (DOT) en tant que telle a vécu ; comment penser une posture de protection qui ne soit pas une posture permanente de sûreté (PPS), au sens où l’entendent les autres armées ? Comment élaborer une doctrine d’emploi permettant à l’armée de terre de se réapproprier le milieu terrestre et de trouver sa place, rien que sa place, mais toute sa place ? Comment, sans remettre en question le cadre juridique – l’état d’urgence, l’état d’exception, le rôle et la place des préfets –, mieux prendre en compte notre action ? L’armée de terre participe aux réflexions conduites par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), le ministre de la Défense et l’état-major des armées autour de ces axes. La marge de manœuvre est réduite car nous ne voulons devenir ni une force de sécurité démarquée, ni des auxiliaires d’une force de sécurité. Mais nous avons des atouts importants : la capacité de travailler jour et nuit, une grande mobilité, un savoir-faire en matière de renseignement – tant humain que via des drones. Je suis convaincu qu’il y a une place pour les forces armées sur le territoire national pour faire face aux menaces à venir, dont il ne faut pas attendre la concrétisation pour se poser la question de l’emploi des moyens militaires.

Il faut également souligner le rôle et la place de l’armée de terre dans la cohésion nationale. Après-demain, le premier centre de service militaire volontaire (SMV) ouvre ses portes à Montigny-lès-Metz ; 187 candidats ont été présélectionnés pour cent places, dont 25 % de filles. La structure se déploie avec l’appui des autorités locales, des élus et des sociétés. Deux autres centres ouvriront dans les prochains mois, le 3 novembre à Brétigny-sur-Orge et le 13 janvier à La Rochelle. L’expérimentation du SMV devrait être une réussite. L’infrastructure et le soutien sont d’ores et déjà opérationnels et l’encadrement est motivé, malgré les difficultés initiales. Le lien entre l’armée et la Nation passe également par le renforcement de la réserve opérationnelle dont les effectifs, pour l’armée de terre, doivent passer de 15 500 à 24 000 sur 2015-2019. Cela permettra notamment de créer des unités de réservistes dans onze départements qui représentent aujourd’hui des déserts militaires.

Enfin, à la suite de l’incident de Miramas, la prise en compte de la « protection défense » (PRODEF) est devenue prioritaire. À la demande du CEMA, qui en fait l’un de ses principaux sujets d’attention, l’armée de terre est en train d’étudier les postures qui lui permettraient de mieux surveiller ses emprises et de mieux protéger ses hommes et leurs familles, la PRODEF allant de la protection des cibles « dures » aux cibles « molles ».

Le deuxième défi qui nous attend en 2016, celui du recrutement, n’est pas financier. En effet, dans le PLF 2016, le titre 2 du budget opérationnel de programme (BOP), dimensionné à 4 217 millions d’euros, est conforme au plan de remontée en puissance de la FOT qui doit atteindre 77 000 hommes fin 2016. Le défi réside en revanche dans la réalisation de ce recrutement. L’année prochaine, l’armée de terre devra recruter 14 000 militaires du rang, soit 16 % de plus qu’en 2015. Nous serons alors le premier recruteur de France pour des contrats supérieurs à un an. Cette année, nous avons dû commencer les recrutements en avril, sans préparation, avec l’objectif de 5 000 hommes en huit mois ; en 2016, nous continuerons sur cette lancée.

L’enjeu porte également sur la fidélisation. Je me réjouis des dernières décisions concernant la nouvelle grille indiciaire des militaires du rang, qui l’ancrent définitivement, dès le premier indice, dans le nouvel espace statutaire de la catégorie C, le NES-C, et jusqu’à un point d’indice de sortie de 433. Il s’agit d’un facteur important de fidélisation, qui nous manquait jusqu’à présent. Nous souhaitons conserver nos militaires du rang pendant huit à quinze ans. Le modèle de l’armée professionnelle tablait sur une durée de service moyenne de huit ans, mais cet objectif n’avait jamais été atteint du temps des anciennes forces professionnelles. En effet, fidéliser les militaires du rang n’a rien d’évident ; bon nombre d’entre eux s’engagent pour un premier métier et nous quittent au bout de cinq ans. Pour les conduire à rester, il faut leur offrir des avantages ; la solde en est un. Jusqu’à présent, la grille indiciaire des militaires du rang manquait d’attractivité, mais les derniers travaux validés par le ministre la semaine dernière leur offrent une grille dont les étapes peuvent leur laisser espérer jusqu’à vingt-deux ans de service avec des hausses certes minimes, mais progressives, de solde.

M. Yves Fromion. Sur quelle durée les contrats sont-ils reconduits : deux ans, cinq ans ?

Général Jean-Pierre Bosser. Le contrat initial est aujourd’hui de trois ou cinq ans, cette dernière version étant privilégiée ; ensuite, les contrats évoluent à la carte – de cinq à huit ans, puis de huit à onze, de onze à quinze, de quinze à dix-neuf ans et demi. En effet, certains militaires sont prêts à s’engager d’emblée sur une longue durée ; d’autres allongent les contrats au fur et à mesure, en fonction de l’avancement en grade. Cela rend l’estimation de la fidélisation difficile.

M. Yves Fromion. La reconduction du contrat peut-être être l’occasion de changer d’arme ? Existe-t-il une mobilité professionnelle horizontale ?

Général Jean-Pierre Bosser. Tout à fait, on peut changer d’arme comme de région ; c’est même conseillé pour garder un individu.

En matière de fidélisation, contrairement à des idées reçues, je n’ai pas d’inquiétude sur l’adhésion de nos militaires du rang à Sentinelle.

Un auditeur de l’IHEDN m’a récemment demandé jusqu’où je serais allé si je devais imaginer l’armée de terre de mes rêves ; or si j’avais bien réfléchi au seuil critique inférieur, je n’avais pas envisagé la question des seuils supérieurs. Pourtant, ceux-ci existent. Je serai au rendez-vous le 31 décembre pour atteindre la cible des 5 500 recrutements en 2015, puis le 31 décembre 2016 pour atteindre les 11 000. Mais des recrutements supérieurs nous confronteraient à des problèmes en matière de capacité de la chaîne de recrutement, de la formation initiale, de l’habillement, du service de santé et de l’infrastructure.

L’effort de recrutement et de fidélisation n’exclut pas la manœuvre des départs, notamment dans la population sensible des officiers. En 2015, une déflation de 984 postes est attribuée à l’armée de terre ; le mouvement se poursuivra en 2017, 2018 et 2019. En 2015, avec 41 % des effectifs d’officiers du ministère, nous assumons 53 % de la charge de déflation qui pèse sur cette catégorie. Nous faisons partir ceux d’entre eux dont nous n’avons pas besoin pour encadrer la FOT : il s’agit de manœuvres internes complexes. La préparation opérationnelle représente un autre défi. L’armée de terre vit aujourd’hui sur l’expérience acquise depuis vingt ans ; elle peut le faire pendant trois ans, mais non pendant cinq ans. Si j’ai souhaité effectuer les 11 000 recrutements en 2015 et 2016, c’est pour retrouver l’équilibre au printemps 2017. En effet, sans ces effectifs supplémentaires, au-delà de l’été 2017, l’armée de terre Serval deviendrait inévitablement l’armée de terre Sentinelle. Nous essayerons d’atteindre l’objectif de 83 journées de préparation opérationnelle (JPO) en 2016 puis celui de 90 en fin de LPM.

Nous devons enfin faire un effort majeur en matière capacitaire. Si, avec le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), le camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAR) et le Tigre, l’armée de terre a obtenu un renouvellement important de ses matériels, l’usure des parcs anciens – VBL, AMX-10 RC, VAB et hélicoptères – est réelle. D’ici aux années 2020-2025, nous allons donc vivre une transition capacitaire importante. La première vague de renouvellements est aujourd’hui en place ; mes prédécesseurs ont fait en sorte que ces matériels équipent les unités projetées afin que nos soldats bénéficient du meilleur dans les OPEX, et nous nous tiendrons à cette ligne. La première étape du programme Scorpion est validée ; reste maintenant à envisager la suite. À court terme, mon attention porte sur la notification des programmes prévus, notamment du système de drone tactique (SDT) fin 2015, de l’arme individuelle future (AIF) en 2016 et du VBMR léger en 2017. À moyen et à long terme, il faut veiller à ce que les marchés notifiés se concrétisent par des livraisons conformes aux calendriers prévus.

En 2015, la France a dû faire face à de nouvelles menaces, et l’armée de terre, à de nouvelles missions en matière de protection du territoire national et de sa population. Les enjeux sont nombreux, mais les hommes et les femmes que je commande ont toute ma confiance. Je voudrais partager avec vous le message de rentrée que je leur délivre. Au-delà de la mise en place du nouveau modèle d’armées, j’ai mis en avant trois étendards pour l’année 2016. Le premier est celui de la remontée en puissance de la FOT, qui exige de combiner tous les moyens, tous les leviers et toutes les bonnes volontés – jusqu’à celles des élus. Au lieu d’évoquer les seuils critiques, je présente cette remontée en puissance comme une opportunité et une chance, un amplificateur de dynamisme et d’optimisme pour l’armée de terre. Je suis prêt à mettre l’organique « dans le rouge » pour permettre à l’opérationnel d’être « dans le vert » rapidement. Le deuxième étendard – que l’armée de terre était seule à vouloir porter – est celui de la contribution à la cohésion nationale, au travers du SMV et de la montée en puissance du service militaire adapté (SMA) de 6 000 hommes. Enfin, le troisième étendard concerne l’esprit de résistance. Cette femme qui, la première des sentinelles, a résisté à son agresseur à Villejuif, ces trois hommes qui se sont dressés contre le terroriste dans le Thalys – j’aurais été fier qu’ils fussent des soldats français, mais le hasard en décida autrement – montrent que le mal qui nous guette renvoie à l’affrontement entre deux volontés, réclamant bien plus que la simple vigilance. Nous sommes bien dans une guerre. L’armée de terre – qui agit depuis 2008 en Afghanistan, depuis 2012 au Mali, où elle a interdit à la barbarie d’atteindre la capitale, et maintenant dans le cadre de Sentinelle – incarne parfaitement cet esprit de résistance et en porte l’étendard dans notre pays.

M. François Lamy. Vous prévoyez une réorganisation du maintien en condition opérationnelle des hélicoptères ; comment la concevez-vous ?

À Sissonne, on avait évoqué la nécessité de disposer de drones de plusieurs genres, tactiques et d’endurance. Pour l’instant, on prévoit la livraison d’un système de drones de moyenne altitude longue endurance (MALE) pour 2016 et une commande pour l’année prochaine. Ces acquisitions vous semblent-elles suffisantes ? Qu’est-ce qui détermine les choix dans ce domaine ?

M. Alain Marty. Mon général, je prends note de votre remarque sur l’effet de Sentinelle sur la préparation opérationnelle de nos militaires. À vous entendre, les savoir-faire de l’armée de terre restent suffisants pour deux ans ; le déficit de préparation opérationnelle ne vous handicape pas encore dans le cadre des projections, mais ne saurait constituer une politique durable.

Où en est-on de la disponibilité des matériels de l’armée de terre ? Le nombre des JPO étant aujourd’hui réduit, on peut sans doute se contenter du matériel existant ; mais si vous voulez l’augmenter, en avez-vous les capacités ?

Je me réjouis de la remontée des effectifs de la FOT, marquée notamment par la création d’une cinquième compagnie dans la plupart des régiments. Mais avez-vous les moyens financiers pour assurer la base vie de ces recrutements dans les différentes garnisons ?

M. Jean-Jacques Candelier. Alors que, depuis 1717, le fusil français fait la force et la fierté de nos armées, le Gouvernement envisage de remplacer le FAMAS par un fusil étranger. Le FAMAS, dit-on, s’enraye, mais avec des munitions importées ; les douilles en acier ayant été remplacées par des douilles en laiton, comment s’en étonner ? Le FAMAS, mon général, est-il supérieur à l’AK-47 – qui remonte à 1947 et équipe nos adversaires au Moyen-Orient et en Afrique ? Son remplacement est-il si urgent ?

Le plan Sentinelle gêne-t-il l’entraînement des unités de l’armée de terre ?

M. Joaquim Pueyo. Dans le cadre d’une mission d’information sur les dispositifs citoyens du ministère de la Défense, ma collègue Marianne Dubois et moi-même nous sommes penchés sur la question de la réserve. Après les attaques de juin 2015, le président de la République avait fait des annonces fortes, promettant quasiment de doubler le nombre de réservistes. Lors de notre déplacement sur le site de la tour Eiffel, nous avons constaté que le dispositif Vigipirate était à ce moment assuré par des réservistes. Leur rôle me paraît donc très important. Dans le cadre de la LPM, on avait prévu de passer de 27 700 à 40 000 réservistes, le budget de cette enveloppe devant augmenter de quatre millions d’euros pour passer de 71 à 75 millions. Au-delà de cet objectif quantitatif et du budget qui lui est alloué, les réservistes nous ont alertés non sur leur condition – même s’il reste des choses à améliorer en matière d’accueil et de sites –, mais sur la nécessité de faciliter l’entrée dans la réserve en mobilisant les entreprises. Beaucoup nous ont confié ne pas informer leur patron de leur engagement, préférant prendre des jours sur leurs congés annuels, quasiment en secret. Cette augmentation budgétaire vous semble-t-elle suffisante pour permettre l’objectif de croissance de la réserve et pour déployer les politiques qui faciliteraient auprès des entreprises et des services publics la participation des réservistes ?

Général Jean-Pierre Bosser. S’agissant des hélicoptères, les chiffres de disponibilité technique doivent être mis au regard de l’emploi que les armées font des appareils. Pour un même type d’aéronef et avec un soutien pratiquement équivalent, la DTO peut varier fortement d’une armée à l’autre ; il faut donc exploiter ces données avec précaution. Pour les hélicoptères de l’armée de terre, la pression en OPEX est très forte : nous avons eu jusqu’à soixante-six appareils engagés, dont quarante-trois déployés en OPEX et outremer, pour un contrat opérationnel de quarante-deux. Dès lors qu’on dépasse le contrat opérationnel, la DTO n’est pas toujours au rendez-vous.

Enfin, nous avons dû faire face à un ralentissement des chaînes industrielles, notamment autour du Cougar rénové, les durées d’intervention passant du simple au double. Des fragilités ont été constatées : vous avez entendu parler des anomalies du moteur du Caracal, dues à un problème des filtres à sable, actuellement en traitement ; on découvre également des fragilités « normales » dans les hélicoptères de nouvelle génération qui se comportent davantage comme des aéronefs. C’est notamment le cas du Tigre pour lequel on rencontre encore des difficultés dans l’exploitation de la documentation électronique. En même temps, nous avons adopté de bonnes pratiques : en rapprochant le MCO des deux armées, nous nous sommes notamment aligné sur le ravitaillement en pièces détachées de l’armée de l’air, qui le pratique depuis toujours en s’appuyant sur les compagnies civiles. Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), nous avons mis en place des tapis pour éviter aux hélicoptères de se poser dans la poussière. Ces petits détails ont leur importance ; ils visent à améliorer la disponibilité technique et à allonger la durée de vie des aéronefs. Grâce aux mesures de la LPM, on s’oriente vers une homogénéisation des flottes : donner à chaque armée une flotte d’hélicoptères devrait en faciliter le soutien. La marge de manœuvre repose beaucoup sur l’industrie, et nous devons en débattre. Je doute qu’une entreprise civile qui disposerait d’un nombre d’aéronefs comme le nôtre – en volume, l’armée de terre est la première entreprise d’hélicoptères lourds d’Europe ! – pourrait survivre avec des disponibilités techniques aussi faibles.

Pour notre part, nous avons besoin d’un drone tactique et non des drones « moyenne altitude longue endurance » (MALE), relevant de l’armée de l’air. Il faut échelonner l’espace aérien et l’horizon tactique ; les drones MALE, aujourd’hui utilisés en BSS, font un travail remarquable, mais dont le chef militaire local n’a pas la certitude de pouvoir disposer ; le système de drone tactique intérimaire (SDTI) vise à renseigner le chef sur un compartiment de terrain beaucoup moins haut et moins profond, mais avec une information disponible quasi instantanément. Le SDTI est complété par le drone de reconnaissance au contact (DRAC), petit appareil qui évolue pratiquement à vue. Le SDTI, en fin de vie, nous coûte très cher en entretien. Nous en envisageons le renouvellement. Celui-ci semble acquis ; le marché est en cours et devrait être conclu avant la fin de l’année.

Nos soldats ont l’habitude d’exécuter les ordres qu’on leur donne et respectent tant les conditions d’ouverture du feu ou les règles d’engagement en OPEX que la définition de la légitime défense en France. Une partie des savoir-faire est donc commune à toutes les opérations. En revanche, Sentinelle a mis l’accent sur des savoir-faire spécifiques, notamment les moyens d’action non létaux tels que le corps-à-corps, afin de donner à nos soldats davantage d’assurance physique.

La remontée des effectifs a-t-elle une incidence sur la vie de nos soldats ? Pour réaliser les 5 500 recrutements dans les délais, je n’ai pas pu étudier dans le détail les capacités d’accueil de chaque régiment. Une répartition sur mesure, prenant en compte l’infrastructure et les moyens aurait constitué une solution rationnelle, mais les régiments comme les élus n’auraient pas compris cette inégalité de traitement. En effet, affecter trente ou cent cinquante militaires dans une ville comme Charleville-Mézières n’a pas le même effet, l’implantation d’une compagnie du génie supplémentaire représentant presque trois PME en plus ! Au lieu de suivre cette piste, j’ai préféré élargir la base, affectant dix postes à tel type d’unités, trente à tel autre, et donnant à quelques-unes d’entre elles un chèque en blanc. Par conséquent, dans certains régiments, les militaires sont bien installés ; dans d’autres, il a fallu ajouter des lits superposés dans des chambres, le temps que l’infrastructure suive. La priorité a été donnée au recrutement : on peut se serrer pendant un moment, comme on le fait en OPEX, même si cela peut occasionner des tensions dans la vie courante.

M. Alain Marty. Les moyens financiers dont vous disposez à cet effet sont-ils suffisants ?

Général Jean-Pierre Bosser. Pour l’infrastructure, ils ont été prévus, mais ils ne suivent pas au même rythme que les recrutements. Il est donc possible que dans certains régiments l’on mette en place des abris CORIMEC pendant quelques mois ; c’est ce qu’on a dû faire au 2e régiment d’infanterie de marine (RIMa) pour constituer sa compagnie de combat.

Un mot sur le FAMAS. Depuis le mois de juin, je vois grandir l’inquiétude. C’est l’achat des Ford Ranger qui a lancé l’alerte : pourquoi l’armée de terre n’achète-t-elle pas français ? Le ministre a répondu à cette question ; en outre, aucun constructeur automobile français n’est intéressé par un segment de 4 000 véhicules. On retrouve la même problématique à propos de l’AIF : pour la première fois de leur histoire, les armées françaises vont acquérir un fusil étranger. Symboliquement, l’interrogation a du sens : on est capable de construire des hélicoptères et des avions d’excellente technologie, mais nos constructeurs ne sont plus capables de fabriquer un canon de fusil de guerre, alors même que la chasse est une tradition bien ancrée dans la population française. Nous avons perdu ce savoir-faire ; c’est pourquoi seuls les constructeurs européens – qui le possèdent encore – ont répondu à l’appel d’offres. Je souhaite cependant que le chef d’état-major de l’armée de terre ait son mot à dire dans le choix de ce fusil, afin de ne pas imposer à nos soldats une arme dont je ne veux pas.

M. Yves Fromion. Le pire, c’est que GIAT Industries a revendu la FN Herstal qui aujourd’hui présente une offre…

Général Jean-Pierre Bosser. J’ai déjà longuement répondu à la question relative aux réserves. Vous avez vu des réservistes au pied de la tour Eiffel ; j’ai visité, au mois de juillet, une compagnie entière de réservistes : la 6e compagnie d’infanterie du 152e régiment d’infanterie de Colmar, seule compagnie décorée de la croix de guerre de 1914-1918 dans ce régiment qui a une longue tradition de réservistes. À côté d’un jeune en lycée militaire et d’un autre en université, j’y ai vu deux jeunes travaillant dans des sociétés locales. Le commandant d’unité travaille dans une grande entreprise de Colmar ; son chef l’avait libéré pour un mois, considérant que Sentinelle représentait un devoir. On revient donc toujours à la relation entre l’employeur et le réserviste. La LPM actualisée a écarté la tenaille du préavis et de la durée dans l’emploi ; elle a doté la réserve de budgets et de volumes adéquats. Mais elle n’a pas vraiment répondu à cette question délicate. En tout état de cause, il m’a semblé qu’il était bien plus facile d’être réserviste à Colmar qu’en d’autres endroits en France.

Mme Marianne Dubois. Mon général, pouvez-vous nous parler de la réorganisation du service de santé des armées (SSA), notamment de la fermeture programmée du Val-de-Grâce ?

Que pouvez-vous dire de la prise en charge des militaires traumatisés psychiques revenant d’OPEX ?

M. Olivier Audibert Troin. Vous l’avez dit, les effectifs de nos armées, et en particulier de l’armée de terre, ont été réévalués, leur permettant d’assumer leurs missions. Pour autant, au-delà des 218 PPT et des Tigre, n’avez-vous pas l’impression que l’armée de terre, qui a été bien servie en effectifs, est aujourd’hui le parent pauvre en matière d’équipements ? Si je ne me trompe pas, 520 VBCI ont été livrés jusqu’en 2015, rien au-delà ; la soixantaine de canons CAESAR qui nous manquait en 2012 est depuis passée par pertes et profits. Il en va de même pour le lance-roquette unitaire (LRU) : tout a été livré avant 2015, mais rien n’est prévu pour 2016. Même si le budget de l’EPM a été augmenté de 500 millions d’euros sur la période de la LPM, ne pensez-vous pas qu’avec l’engagement qui est le nôtre, qui use nos matériels, et sans commandes en vue, nous risquons d’être confrontés à un effet de seuil ?

M. Jean-Michel Villaumé. Le taux de féminisation de l’armée de terre, de l’ordre de 11 %, est faible ; avec les recrutements nouveaux, notez-vous un progrès dans ce domaine ?

Dès le printemps 2015, la presse a évoqué les anciens militaires ayant rejoint des réseaux djihadistes, notamment Daech. L’armée française a également exprimé des inquiétudes quant aux risques de radicalisation en son sein. Pouvez-vous nous faire le point sur la situation ? Comment prévenir ces dérives ? Ce phénomène prend-il de l’ampleur ?

Les forces armées seront fortement mobilisées à l’occasion de la COP21 ; bénéficieront-elles, à cette occasion, de moyens supplémentaires par rapport à Sentinelle ? L’état-major semble inquiet à ce sujet.

M. Jean-François Lamour. Lors du lancement de Sentinelle, vous avez réussi à mobiliser les 10 000 hommes requis – une véritable prouesse. Le président de la République et les experts ont ensuite fixé le format de l’opération à 7 000 hommes. Un mois après le déploiement, le ministre a évalué le coût de Sentinelle à environ un million d’euros par jour. Or dans le cadre de la loi de finances pour 2016, la ligne OPINT est évaluée à 180 millions ; vous avez, de votre côté, avancé le chiffre de 148 millions. Comment passe-t-on d’un million d’euros par jour à 180 millions par an, alors même qu’à l’indemnité pour service en campagne (ISC), de 40 euros par jour, est venue s’ajouter l’indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle (AOPER), de 5 euros par jour ? Quelles économies avez-vous pu réaliser pour trouver cette marge de manœuvre ?

Sur douze mois glissants, les militaires de nos régiments effectuent quelquefois une projection et demie en OPEX par an. Avec la remontée en puissance de la FOT, comptez-vous rétablir le principe d’une OPEX par an ? On a bien senti la tension des régiments projetés, entre une petite partie en OPINT, une, voire deux OPEX sur la période de douze mois, sans parler du repos, de la transformation et de l’entraînement.

Général Jean-Pierre Bosser. Madame la députée Dubois, je laisse au directeur du SSA le soin de répondre à votre question sur cette institution.

En revanche, le chef d’état-major étant chargé de la préparation des forces, je m’occupe en effet de la préparation psychologique de nos hommes avant le départ tout comme du traitement de la blessure pendant et souvent après l’action. Nous accordons beaucoup d’attention à ce sujet. Dans ma génération, on ne parlait jamais de syndrome post-traumatique (SPT), même si je pense avoir vu en Centrafrique, comme jeune officier, la même chose que voient les jeunes d’aujourd’hui. Désormais le SPT est reconnu et doit être traité. Quand je visite Percy, après les blessés physiques, je termine toujours par les garçons affectés de blessures invisibles, extrêmement difficiles à vivre, qui resurgissent parfois plusieurs années plus tard.

Lorsque nos garçons et nos filles rentrent d’opération, nous les plaçons dans un sas en quelque sorte de décompression, car on s’est rendu compte qu’il n’était pas souhaitable de quitter le matin un théâtre d’opérations pour se retrouver, le soir, avec son épouse et ses enfants. Les forces spéciales néerlandaises avaient d’ailleurs instauré cette pratique bien avant nous. Ce sas était déjà actif en Afghanistan ; on l’a remis en place pour les interventions africaines. Une fois que les jeunes rentrent en métropole, ils sont systématiquement vus tous les mois par un médecin qui vérifie que tout va bien et que le garçon dort bien la nuit ; le commandement de contact le voit tous les matins au rassemblement. On essaie de surveiller au mieux ces blessures, de plus en plus prégnantes au retour des interventions.

S’agissant des matériels, nous avons atteint le nombre prévu de VBCI – 630 –, ainsi que de systèmes « fantassin à équipement et liaisons intégrés » (FÉLIN). Certes, nous n’avons pas atteint la cible initiale de CAESAR et de LRU ; mais les objectifs ont été ajustés par rapport au contrat opérationnel : nos 77 CAESAR et nos 13 LRU correspondent à notre besoin actuel. 32 CAESAR « NG », blindés, sont toutefois prévus en remplacement des derniers AUF1 à l’horizon 2030. Aujourd’hui, nos équipements en artillerie sont suffisants et le problème est davantage celui d’emploi des moyens que de stock. Nos artilleurs aimeraient notamment que l’on recoure plus souvent à leurs drones, mais aussi aux LRU, dans le cadre des opérations.

S’agissant de la féminisation, son taux apparent a baissé du fait d’un changement de périmètre de la mission, qui n’englobe plus les activités de soutien où les femmes sont plus nombreuses. Depuis un an, je n’ai entendu aucune interrogation dans les unités au sujet de la féminisation, je vous l’avoue. Le sujet semble avoir trouvé sa place et son point d’équilibre. Les femmes sont plus nombreuses dans les unités de transmissions, de maintenance et de génie, où elles peuvent accomplir des parcours professionnels complets ; elles sont moins nombreuses dans les régiments de mêlée. Ce sujet ne présente plus le même caractère sensible qu’auparavant.

Il est vrai que mon prédécesseur rencontrait systématiquement le représentant ou la représentante de la mixité, lors de sa visite des unités. Je ne le fais pas, car le problème ne se pose pas ; les femmes ont trouvé leur place. Je rappellerai tout de même que les femmes constituaient non moins de 10 % de nos forces engagées au Mali, dans l’opération Serval.

Le harcèlement reste cependant un sujet de préoccupation du ministre. Je le partage et nous serons impitoyables, le cas échéant, sur le plan disciplinaire. Une mauvaise presse sur le sujet a cependant peut-être contribué à baisser l’attractivité des concours d’officier pour les candidates, comme on l’a récemment observé – ce qui va à l’encontre du but recherché.

Je ne dispose pas d’informations sur les anciens soldats ou anciens militaires qui se projettent de leur propre initiative sur des théâtres d’opération. Mais j’y suis attentif, comme à la question plus générale des relations entre les plus anciens et les plus jeunes.

Quant à une possible radicalisation qui découlerait du recrutement de 11 000 recrues, certains ont même évoqué un afflux d’apprentis djihadistes, je dirais que je n’observe rien de tel et que ce recrutement se fait dans les mêmes conditions de contrôle d’antécédents que d’habitude. Aucun incident relatif à la religion des uns ou des autres n’est à déplorer depuis un an que je commande l’armée de terre. Je ne vois pas d’état d’âme qui soit apparu, malgré la nature des théâtres où nous intervenons.

S’agissant de la sécurité de la COP21, elle ne conduira pas à un renforcement des effectifs, puisqu’elle sera assurée sur la base de l’opération Sentinelle.

Colonel Patrice Quevilly. Si le coût de l’opération Sentinelle est divisé par deux dans les documents budgétaires, cela est dû au fait que, dans l’évaluation initiale, le nombre d’hommes nécessaires était estimé à 10 000 sur l’année, alors que 7 000 seulement sont en réalité nécessaires. Cela fait donc baisser la facture. En outre, le projet est moins coûteux à mettre en œuvre qu’il n’était d’abord prévu, ce qui fait gagner 30 millions d’euros par an. L’intendance est ainsi rationalisée.

M. Jean-François Lamour. Mettriez-vous nos soldats au régime ? (Sourires.)

Colonel Patrice Quevilly. Non, bien entendu. Mais leur alimentation est désormais prise en charge par des restaurants administratifs ou par notre propre intendance. Enfin, certaines factures, bien qu’étant rattachées à l’exercice 2015, ne seront réglées qu’après le 31 décembre. Combiné à l’effet de volume et à la rationalisation des dépenses, cet effet mécanique explique que le décaissement prévu pour l’opération Sentinelle ne s’établisse finalement qu’à 180 millions d’euros.

Général Jean-Pierre Bosser. Quant aux perspectives d’opération extérieure pour nos soldats, je souligne que l’année 2015 reste exceptionnelle. L’opération Sentinelle, mobilisant 7 000 hommes, s’est en effet imposée dans le cycle de projection de nos forces. Celles qui étaient présentes sur le territoire ont pris la totalité de la charge. Ce n’était pas un choix de ma part, mais simplement un état de fait. La brigade d’infanterie de montagne, mais aussi la deuxième brigade blindée ont par exemple contribué lourdement à Sentinelle.

Ma consigne est d’adapter le cycle de préparation opérationnelle pour alterner les missions sur le territoire national et les missions extérieures. Ainsi, un jeune qui fait deux ou trois missions par an sur le territoire national peut avoir pour objectif de partir en opération extérieure l’année suivante. C’est ce qui a permis à la brigade d’infanterie de montagne de garder le moral, car l’année 2016 sera pour elle une année de projection massive sur les théâtres d’opération extérieurs. Nous nous orientons donc vers un cycle global à deux temps. Ce cycle est particulièrement exigeant, car tant les missions extérieures que les missions sur le territoire national induisent pour le soldat une absence du domicile, de même que la préparation opérationnelle, si elle a lieu en camp.

Une de nos unités a même effectué plus de 220 jours de terrain, au cours de cette année. C’est pourquoi je veux revenir, dans l’intervalle, à une préparation opérationnelle dans les garnisons, à un entraînement sous la responsabilité des capitaines. Pour cela, ils doivent récupérer le matériel qui a été réparti dans les camps et dont la disponibilité technique opérationnelle (DTO) doit être améliorée. Les unités devraient retrouver ainsi un temps de respiration.

Mais nous ne sommes bien sûr pas maîtres du rythme des opérations extérieures. Il n’y aura une opération extérieure par an pour les hommes qu’aussi longtemps que 7 000 seront engagés sur des théâtres extérieurs ou outremer ; si leur nombre devait baisser à 5 000, la situation serait sans doute différente.

M. Yves Fromion. Je voudrais mieux comprendre la manœuvre en termes de ressources humaines. Il y avait autrefois huit brigades : à tour de rôle, deux étaient employées aux opérations extérieures, deux étaient en récupération, deux étaient en préparation et deux vaquaient aux autres occupations.

Devant le foisonnement actuel de vos missions, y compris la formation et la préparation opérationnelle, comment comptez-vous stabiliser le fonctionnement de l’armée de terre ? Vous l’avez déjà évoqué, je crois, mais des précisions seraient utiles.

Si l’on compare de l’opération Sentinelle réalisée par l’armée de terre avec ce qu’il serait si elle était assurée par la gendarmerie ou par la police, quel est le différentiel ? Nous avons le sentiment que certains coûtent plus cher que nos militaires, qui se contentent de conditions spartiates. La propension à mettre l’armée de terre à contribution pourrait à mon sens être induite par le fait qu’elle coûte moins cher.

Mme la présidente Patricia Adam. Le bureau de notre commission a souhaité travailler sur ce sujet du rôle des armées sur le territoire national et les deux rapporteurs s’y attelleront dès qu’ils auront été désignés.

M. Alain Moyne-Bressand. Nous avons appris que des avions français ont ciblé un camp de djihadistes en Syrie, y faisant d’ailleurs des victimes françaises. Pour cibler si exactement une attaque, ne faut-il pas disposer de renseignement au sol ? Aurions-nous des soldats au sol à cet effet en Syrie ?

Quelle est l’évolution du camp militaire du Larzac. Nous recevons des messages nous enjoignant de nous opposer à la venue de la Légion étrangère. Ce n’est certes pas notre intention, mais quelle est l’ampleur réelle de l’opposition à l’implantation envisagée ?

M. Michel Voisin. Je compléterai la question de notre collègue Yves Fromion sur l’opération Sentinelle et la gendarmerie, mais en la prenant par l’autre bout. Quel est le complément de coût que représenterait la mise à contribution d’autres forces que l’armée de terre ? Je rappelle que l’opération Sentinelle requiert de toute façon la présence d’officiers de police judiciaire.

M. Nicolas Dhuicq. Ma question portera sur les drones. Je m’étonne que ceux mis en œuvre par le 61e régiment d’artillerie n’aient pas été engagés en République centrafricaine. Je suis inquiet pour nos compétences industrielles et je redoute qu’il advienne avec la question du renouvellement du fusil d’assaut ce qui est advenu avec l’industrie des machines-outils. Notre industrie d’armement doit rester une industrie nationale, car certains domaines sont l’apanage du domaine régalien et ils doivent échapper à la loi du marché.

Voulons-nous qu’il arrive la même chose à nos matériels qu’à ceux des armées britanniques, qui ont littéralement fondu en Irak ? La même chose pourrait en effet nous arriver au Mali. Combien de temps attendrons-nous encore que des supplétifs locaux, les Touaregs par exemple, ne viennent nous relayer ? Il ne s’agit plus en effet que d’assurer l’accès à l’uranium du Niger.

Ce ne sont pas 3 000 hommes, mais 15 000 hommes, que nos armées vont perdre. Je redoute cette perte de compétences dans le corps des officiers, alors que les armées nouvelles reposent sur une technologie et une forte densité humaine. Quel est le coût psychologique à terme chez les officiers, qui reçoivent désormais des informations, dès leur recrutement, sur les moyens de quitter l’institution ? N’y a-t-il pas là un risque de déclassement de nos armées ?

De manière générale, les effectifs consacrés au soutien baissent alors que leurs missions sont de plus en plus difficiles à assurer, comme par exemple dans le cas du service interarmées des munitions. Comment comptez-vous accroître l’entraînement de nos soldats dans ces conditions ? Tant que la promesse ne sera pas tenue d’affecter 2 % du PIB à la défense, nous ne trouverons pas d’issue.

Mme la présidente Patricia Adam. Je partage cet objectif affirmé depuis vingt-cinq ans, sans jamais avoir été atteint par personne.

M. Nicolas Dhuicq. Ce n’est pas une raison pour continuer à faire mal.

M. Claude de Ganay. Mon général, ne pensez-vous pas que la présence de régiments sur l’ensemble du territoire national participe aussi à sa sécurité et que la politique de dissolution de ces régiments doit subir un coup d’arrêt ?

M. Damien Meslot. Les médias se sont fait l’écho d’anciens militaires qui partiraient en Syrie pour y soutenir des Kurdes, je crois, et combattre l’État islamique. Disposez-vous d’informations sur le sujet ? Quelle est la position de l’armée ?

Général Jean-Pierre Bosser. J’ai étudié les modalités de la prochaine remontée en puissance de 11 000 hommes de l’armée de terre, tandis que beaucoup m’appelaient à recréer des régiments. Et je sais que nombre d’élus se précipiteraient pour les accueillir –vous m’en apportez la preuve aujourd’hui ! Mais, en parfait accord avec le ministre, je n’ai pas voulu de recréation, mais plutôt une densification.

J’ai ainsi densifié à Mailly, le centre d’entraînement au combat (CENTAC), autour d’équipements prévus pour Scorpion. Ainsi, le 5e régiment de Dragons montera en puissance pour devenir un véritable régiment, qui s’appuiera sur ce complexe Mailly, Sissonne, Mourmelon. Nous développerons ainsi un camp à dominante d’entraînement à haute intensité. Tout l’environnement est déjà adapté pour cela.

J’ai également envisagé de densifier notre présence aux Émirats arabes unis (EAU). Nos tankistes manquent d’une capacité d’entraînement en zone désertique en permanence sur toute l’année. L’engagement de quatre-vingt-dix chars Leclerc par les EAU au Yémen facilite nos projets actuels.

En remplacement du drapeau de la 13demi-brigade de la Légion étrangère, je vais lui attribuer celui du 5e régiment de Cuirassiers, l’un des régiments les plus anciens et les plus décorés de l’armée française.

M. Yves Fromion. Très bien ! Le Royal Pologne !

Général Jean-Pierre Bosser. Ou rapatrier la 13e DBLE ? J’ai pensé au Larzac, où 21 millions d’euros ont été dépensés pour faciliter et fortifier le combat et l’entraînement au tir de l’infanterie. L’endroit me semble donc bien adapté au repositionnement de la DBLE. J’ai compris que beaucoup d’élus sur place étaient heureux de voir la Légion arriver. Quelques mouvements de protestation sont cependant possibles, réminiscences d’un passé somme toute assez récent. Mais le ministre a annoncé clairement qu’il n’y aurait ni extension du camp, ni moyens lourds.

S’agissant de l’opération Sentinelle, je ne me suis pas préoccupé de comparer le coût de notre intervention avec celui de la gendarmerie ou de la police.

Quant aux moyens de remplir nos obligations dans l’avenir, monsieur Fromion, nous disposerons de deux divisions comptant chacune trois brigades à sept régiments. Les deux divisions alterneront entre les missions en opération extérieure et sur le territoire national. Le cycle sera un cycle annuel. C’est tout l’objet du modèle au contact.

Sinon, à ma connaissance, nous n’avons aucun soldat au sol en Syrie.

Combien de temps devrons-nous encore rester au Mali ? Personne ne peut maîtriser la durée de notre engagement. Notre action sur place a été menée tous moyens réunis, une fois l’opération décidée, sans prédestination du matériel au terrain. Deux volontés s’affrontaient. Nous avons mené à bien un mouvement de freinage puis d’arrêt, parfaitement maîtrisé. Nous allons modifier notre dispositif au Mali et dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Deux groupements tactiques seront engagés : à l’Est, un groupement légèrement blindé ; à l’Ouest, un groupement légèrement motorisé. Nous adaptons ainsi le matériel au terrain et aux conditions d’usure.

La situation a évolué, car nous avons désormais pris une forme d’ascendant. Mais la réorganisation ne sera pas purement tactique ; elle prendra aussi en compte les impératifs des matériels, qui doivent durer.

Sur l’arme individuelle du futur, je partage, comme Français, vos préoccupations.

Quant à la réforme du soutien, les armées sont de plus en plus soutenues par les industriels. C’est le cas pour le char Leclerc et le VBCI. Nous allons ainsi vers un changement majeur du mode de soutien, le partage entre soutien industriel et soutien opérationnel évoluant. Tout tourne autour de la question de savoir de quoi nous avons besoin dans les forces pour réparer en opérations.

Composé quasiment intégralement de militaires, le soutien opérationnel dépendra du commandement de la maintenance des forces. Le Service de la maintenance industrielle terrestre (SMITEr) conservera son nom, mais sera profondément rénové, pour prendre en charge la maintenance industrielle proprement dite. Les sections de maintenance régimentaire (SMR) reviendront dans les forces.

Vous avez raison sur le maillage territorial, élément majeur de la sécurité de notre pays. Le ministre a annoncé qu’il n’y aurait plus de dissolution de régiment. En outre, les onze unités de réserves innerveront des départements isolés ; elles ne pourront être en suspens, mais seront rattachées à des unités d’active.

Sur les anciens militaires qui partiraient en Syrie, je n’ai pas d’information particulière, comme je vous l’ai dit.

Après l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de la commission élargie (voir le compte rendu de la réunion du 21 octobre 2015 à 16 heures 15 (10)), la commission de la Défense examine, pour avis, les crédits de la mission « Défense » pour 2016.

Article 24 : État B – Mission « Défense »

La commission examine l’amendement DN3 de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Cet amendement propose de diminuer les crédits affectés à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire pour abonder la dotation annuelle consacrée aux opérations extérieures (OPEX). Je rappelle que la composante aéroportée ne représente que 15 % des missions de la dissuasion, qu’elle coûte environ 300 millions d’euros par an, et que cette somme est appelée à augmenter du fait du renouvellement des missiles ASMP-A. En effet, comme vous le savez, nous concevons des missiles dont la durée de vie est de 25 ans mais nous finançons leur remplacement dès leur mise en service.

J’attire également l’attention sur le fait que des voix de plus en plus nombreuses contestent le caractère indispensable de cette composante. Nous en avons eu la démonstration au cours du cycle d’auditions organisé en 2014, y compris de la part d’anciens responsables militaires. Par ailleurs l’actualité est venue nous rappeler que nos soldats déployés en opérations disposent de matériels souvent usés voire dégradés. Cela a été évoqué dans la discussion générale.

Cet amendement propose donc, dans un esprit pragmatique, de supprimer les crédits uniquement affectés à la composante aéroportée de la dissuasion – les crédits transversaux étant maintenus – pour abonder les crédits relatifs aux OPEX.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. En 2014, notre commission a organisé un cycle d’auditions sur la dissuasion nucléaire au cours duquel nous avons entendu l’ensemble des acteurs. Le général Mercier, alors chef d’état-major de l’armée de l’air, avait assuré qu’un tel effet d’éviction d’existait pas. Il soutenait au contraire, et nous le rejoignons sur ce point, que les forces aériennes stratégiques « tirent vers le haut » les forces conventionnelles aussi bien pour le ravitaillement en vol, la planification des missions ou encore l’entraînement. Par ailleurs cette mission ne représente que 7 % de l’ensemble des crédits de la dissuasion. Je pense que cela fragiliserait nos armées de réduire les crédits affectés à la dissuasion et j’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

M. François de Rugy. Je me souviens parfaitement de l’audition du général Mercier. Je l’avais interpellé suite à ses propos et je ne me souviens pas qu’il ait avancé d’argument concret à l’appui de ceux-ci. Nous sommes en réalité dans l’ordre de la proclamation, mais cela est courant sur ce sujet.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN3. Elle examine ensuite l’amendement DN2 de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Cet amendement propose de rompre avec le principe souvent évoqué de « sanctuarisation » des dépenses dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Il y a souvent débat autour de la crédibilité de cette dissuasion et des crédits qui y sont affectés. Mais la dissuasion doit être fondée sur un éventail de forces, et la crédibilité de la défense française doit aussi être fondée sur la crédibilité des forces conventionnelles.

Or ces forces conventionnelles souffrent d’un effet d’éviction et, parfois, d’un déclassement capacitaire. Elles nécessitent d’être entretenues, modernisées ou remplacées. Je rappelle que nos missiles M 51 transportent chacun une charge nucléaire équivalente à 35 fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima.

Autant dire qu’avec trois jeux de 16 missiles M 51 et 45 missiles ASMP-A, nous avons atteint le paroxysme de notre force de dissuasion nucléaire. Aussi le présent amendement propose-t-il de diviser par deux les crédits alloués aux études amont qui auraient vocation à permettre une énième modernisation de nos capacités de dissuasion. Ils seraient redéployés afin de satisfaire les besoins plus urgents de nos forces conventionnelles : financement de la politique immobilière afin de réaliser les travaux nécessaires aux troupes déployées notamment dans le cadre de l’opération Sentinelle, et pour accompagner les effectifs supplémentaires déployés dans les unités de la FOT.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure pour avis. Cet amendement propose de diviser par deux le budget des études amont nucléaires. Bien que je pense comme vous qu’il est nécessaire de donner à nos forces conventionnelles les moyens de remplir leurs missions, je ne peux souscrire à la réduction que vous proposez.

En effet, le niveau des crédits accordés aux études amont « nucléaire » dans le cadre du programme 144 suit les recommandations formulées dans le Livre blanc ainsi que les dispositions de la loi de programmation militaire, qui font de la dissuasion nucléaire un élément essentiel de la stratégie de défense nationale.

Or, une dissuasion forte est une dissuasion qui évolue et élève son niveau technologique afin de maintenir sa crédibilité. Il ne peut donc être question de réduire les crédits permettant cette évolution. J’émets donc un avis défavorable.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement DN2. Elle examine ensuite l’amendement DN1 de M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion. Je n’en voudrais à personne de voter contre mon amendement ! Il n’avait d’autre intérêt que de permettre d’avoir le débat sur la question du financement de l’opération Sentinelle. Les propositions de réaffectation de crédits ne sont évidemment pas opérantes ; je fais de « l’économie circulaire », ce qui n’apporte rien, mais on a les arguments qu’on peut avec les moyens que l’on a ! (Rires). Je souhaite que l’on évoque ce débat dans l’Hémicycle pour montrer que les parlementaires aident le ministre de la Défense dans sa lutte pour obtenir un financement interministériel des missions intérieures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons donc remercier M. Fromion d’avoir déposé cet amendement visant à aider le ministre !

M. Charles de la Verpillière, rapporteur pour avis. Tout le monde a compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Plusieurs intervenants ont souligné au cours de cette réunion les incertitudes qui pèsent sur le financement des surcoûts des missions intérieures en 2015 et à l’avenir. Pour ma part, je n’ai pas été rassuré par la réponse du ministre, qui utilise toujours un langage et un vocabulaire extrêmement précis. Or, vous aurez remarqué qu’il a parlé de « discussion interministérielle » et absolument pas de « financement interministériel ». L’amendement de notre collègue est donc particulièrement bienvenu et j’y émets un avis favorable.

Contre l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN1. Elle examine ensuite l’amendement DN7 de Mme Isabelle Bruneau.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure pour avis. La subvention pour charges de service public prévue dans le PLF 2016 pour l’Office national d’études et de recherche aérospatiale (ONERA) est insuffisante. En effet, les 105 millions d’euros proposés ne permettront pas à l’ONERA de présenter un budget équilibré pour l’année à venir.

Cet amendement se propose d’augmenter de 15 millions d’euros la subvention allouée à l’ONERA afin d’assurer l’avenir de cet office, indispensable à la recherche aérospatiale militaire et civile. Il propose ainsi d’augmenter, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, de 15 millions d’euros la sous-action 07-04 « Gestion des moyens et subventions » de l’action « Prospective de défense » du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

En conséquence, il propose de retirer en autorisations d’engagement et en crédits de paiement cette somme modeste des actions suivantes dont la conduite ne sera pas remise en question pour autant :

– 10 millions d’euros sur la sous-action 07-36 « Communiquer-CONTACT » de l’action « Commandement et maîtrise de l’information » du programme 146 « Équipement des forces » ;

– cinq millions d’euros sur la sous-action 11-90 « Investissements pour les opérations d’armement » de l’action « Préparation et conduite des opérations d’armement » du même programme.

Mme la présidente Patricia Adam. Je souhaite expliquer pourquoi j’ai cosigné cet amendement. J’ai bien entendu la réponse donnée par le ministre de la Défense précisant qu’il attendait le plan stratégique de l’ONERA pour conclure une convention avec lui, ce qui permettrait d’abonder son budget. Je comprends tout à fait la nécessité d’une telle convention dès lors que le ministère de la Défense assure 50 % du budget de l’ONERA. L’amendement proposé permet justement à la convention de s’appliquer puisque le budget pour 2016 est en déficit. Or si les ressources ne sont pas au rendez-vous il y aura des choix à faire, y compris peut-être au niveau des personnels de l’ONERA – entre autres. Je soutiens donc cet amendement et le voterai.

M. Yves Fromion. Ayant longtemps été rapporteur du programme 144, je ne peux souscrire à cet amendement. Sur le fond, vous avez raison : l’ONERA ne dispose pas de ressources suffisantes. Mais enlever des crédits au programme « Équipement des forces » qui est déjà sous-doté n’est pas envisageable. La démarche au titre d’un amendement d’appel est intéressante, mais nous ne pouvons retirer une somme aussi considérable à nos forces armées qui ont besoin de tous les crédits possibles pour être équipées convenablement. Je saisis l’intérêt de l’amendement mais, aujourd’hui, l’équipement des forces est sacré.

La commission rejette l’amendement DN7.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption les crédits « Préparation et emploi des forces : Forces terrestres » de la mission « Défense ».

ANNEXE

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

  M. le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre ;

—  M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, M. Evence Richard, directeur de la protection et de la sécurité de l’État et M. Marc Antoine, conseiller pour les relations institutionnelles et la communication ;

—  M. le général Michel Pattin, directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale, et M. le général Pascal Bonnaud, sous-directeur des opérations ;

—  M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique à la direction générale de la police nationale ;

—  M. le général Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, et colonel Marc Boileau, chef de cabinet ;

—  M. le général Jean-François Parlanti, directeur du CICDE.

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