N° 4126 tome VI - Avis de Mme Virginie Duby-Muller sur le projet de loi de finances pour 2017 (n°4061).


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N° 4126

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2017,

TOME VI

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

PRESSE

Par Mme. Virginie DUBY-MULLER,

Députée.

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 4061, 4125 (annexe n° 32).

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE 11

PREMIÈRE PARTIE : ÉVOLUTION GLOBALE DES AIDES À LA PRESSE EN 2017 13

I. LES AIDES À LA PRESSE 14

A. LES AIDES À LA DIFFUSION ET À LA DISTRIBUTION 16

1. L’aide au transport postal de la presse 16

2. L’aide au portage de la presse 17

3. La compensation à la Sécurité sociale de l’exonération des charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse 17

B. LES AIDES AU PLURALISME 18

1. L’aide aux publications nationales d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires 18

2. L’aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces 19

3. L’aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale 19

C. LES AIDES À LA MODERNISATION 19

1. L’aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d’information politique et générale 19

2. L’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale 20

3. L’aide à la modernisation des diffuseurs de presse 20

4. Le fonds stratégique pour le développement de la presse 22

5. Le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse 23

II. LE SOUTIEN À DIVERS MÉDIAS LOCAUX ET INTERNATIONAUX 23

1. Le fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité 23

2. Le fonds de soutien à l’expression radiophonique locale 24

3. La compagnie internationale de radio et télévision (CIRT) 24

III. LE SOUTIEN À L’AGENCE FRANCE-PRESSE 25

DEUXIÈME PARTIE : L’AMORCE D’UNE NOUVELLE APPROCHE DES MODALITÉS DE SOUTIEN À LA PRESSE EN LIGNE AUX NIVEAUX NATIONAL ET EUROPÉEN 27

I. CONFORTER ET AMPLIFIER, AU NIVEAU NATIONAL, L’ADOPTION D’UNE LOGIQUE NOUVELLE D’ORIENTATION DES AIDES VERS L’INNOVATION ET LA CRÉATION DE NOUVEAUX MÉDIAS 31

A. LE DÉCRET DU 26 AOÛT 2016 : UN PREMIER PAS QUI DOIT ÊTRE SALUÉ 31

1. La création d’un fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse 32

a. Les bourses à l’émergence 32

b. Aides aux incubateurs de médias 33

c. Aides aux programmes de recherche innovants pour le secteur 36

2. L’élargissement du champ des aides au pluralisme ainsi que des aides attribuées par le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) et la revalorisation de ces dernières 37

a. Réaffirmation de l’éligibilité de la presse en ligne de la connaissance et du savoir aux aides du FSDP 37

b. Extension des aides du FSDP à tous les titres de la presse IPG indépendamment de leur périodicité 37

c. Augmentation des taux de subvention du FSDP 37

B. QUELQUES PISTES POUR ALLER PLUS LOIN 40

1. Repenser la distinction entre « presse IPG » et presse « non-IPG » 41

a. Pour les dispositifs d’aides publiques (FSDP) 42

b. Pour les dispositifs d’aides privées (fonds Google-AIPG) 44

c. Pour les nouveaux dispositifs d’aides publiques à l’innovation 47

2. Ouvrir les aides au pluralisme à la presse en ligne 48

3. Au-delà des aides, pérenniser le modèle économique de la presse en ligne 48

a. L’impossibilité, pour la presse en ligne, d’accéder au marché des annonces judiciaires et légales 50

b. L’impossibilité prochaine de solliciter des financements auprès du Fonds Google-AIPG 51

c. La baisse des ressources publicitaires de la presse en ligne 52

II. APPUYER ET NOURRIR, AU NIVEAU EUROPÉEN, LE RENOUVELLEMENT DES RÉFLEXIONS AUTOUR DES ENJEUX INTÉRESSANT LA PRESSE EN LIGNE 57

A. LA NÉCESSITÉ DE DÉFENDRE ACTIVEMENT L’INSTITUTION, À L’ÉCHELLE DE L’UNION EUROPÉENNE, D’UN DROIT VOISIN POUR LES ÉDITEURS ET AGENCES DE PRESSE 57

1. Les réflexions engagées par la Commission européenne 57

2. Quid des agences de presse ? 64

B. LA NÉCESSITÉ DE DÉFENDRE ACTIVEMENT LE CHOIX FRANÇAIS D’UN TAUX DE TVA SUPER-RÉDUIT POUR L’ENSEMBLE DE LA PRESSE 66

1. Les réflexions engagées par la Commission européenne 66

2. Quid du taux de TVA applicable aux agences de presse ? 68

TRAVAUX DE LA COMMISSION 69

I. PRÉSENTATION DE L’AVIS 69

II. AUDITION DE LA MINISTRE 101

III. EXAMEN DES CRÉDITS 101

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 103

INTRODUCTION

Au-delà de la description et de l’analyse de l’évolution des crédits en faveur de la presse dans le présent projet de loi de finances – c’est-à-dire des crédits du programme 180 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » (dont le périmètre est reconfiguré cette année), mais également de ceux de l’aide au transport postal inscrits au programme 134 de la mission « Économie » –, la rapporteure a souhaité se pencher plus particulièrement sur les politiques publiques de soutien à la presse en ligne, étant précisé que la notion de « politiques publiques » doit s’entendre au sens large comme recouvrant non seulement les aides budgétaires à la presse, qu’elles soient directes ou indirectes (1), mais aussi toute forme d’initiative prise par la puissance publique, par exemple dans le cadre de négociations au sein des institutions européennes.

La rapporteure n’ignore pas que, dans son avis sur les crédits alloués à la presse dans le projet de loi de finances pour 2015, M. Jean-Noël Carpentier s’était déjà interrogé sur les dispositifs du soutien à la presse à l’ère numérique (2).

Toutefois, l’année 2016 a été (et continue d’être) si riche en la matière qu’il a paru essentiel à la rapporteure de faire un point sur l’évolution récente de ces modalités de soutien et sur leurs perspectives.

En effet, l’année 2016 marque l’amorce d’une nouvelle approche des modalités de soutien à la presse en ligne (3), tant au niveau national qu’au niveau européen.

Au niveau national, la création, par le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016, d’un fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse, marque un véritable changement de paradigme : pour la première fois, la puissance publique ne se contente plus de soutenir financièrement des médias existants, dans une logique conservatoire, mais suscite au contraire la création de nouveaux médias, dans une logique d’innovation.

Au niveau européen, les lignes commencent également à bouger. Jusqu’à présent très réservée sur l’application d’un taux super-réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux services de presse en ligne, la Commission européenne pourrait peut-être faire évoluer sa position, dans le cadre de la révision de la directive « TVA ». Du moins a-t-elle lancée, en juillet dernier, une consultation sur l’application d’un taux de TVA réduit sur les publications fournies par voie électronique.

Par ailleurs, à l’heure où la presse en général, et la presse en ligne en particulier, sont confrontées à une baisse de leurs ressources publicitaires qui sont captées par ceux que, selon la formule de M. Jean-Marie Charon, la rapporteure désignera dans le présent rapport comme des « infomédiaires » - c’est-à-dire par les fournisseurs d’accès à internet, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes d’échange et autres acteurs technologiques que l’on présente souvent sous l’acronyme « GAFA » (4) –, il est extrêmement intéressant que la Commission européenne ait engagé une réflexion sur le partage de la valeur créée par la production et la circulation de l’information sur internet.

En effet, dans le cadre de la révision de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins, la Commission européenne a engagé, en mars dernier, une consultation sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur.

Dans sa réponse à cette consultation, le Gouvernement a repris à son compte les conclusions du rapport qui, produit par Mme Laurence Franceschini à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), préconise la création, au niveau européen, d’un droit voisin spécifique aux éditeurs de presse et portant sur un droit de reproduction lié aux seuls usages numériques et sur un droit de mise à disposition du public.

Tenant à rassurer les journalistes sur la portée de ce droit nouveau qui n’a pas vocation à affaiblir leurs droits d’auteur, la rapporteure tient également à alerter le Gouvernement sur le malaise au sein de cette profession dont les communiqués de presse publiés au début du mois d’octobre, à l’issue du Congrès du Syndicat national des journalistes (SNJ), se sont fait l’écho.

L’une des résolutions votées à l’unanimité par le SNJ dénonce notamment la « dégradation des conditions de travail liée aux évolutions numériques » (5). Il faut en effet avoir conscience que, dans une certaine mesure, le développement du numérique a pu participer à la crise que connaît la profession de journaliste depuis une dizaine d’années et qui se traduit, entre autres, par un changement de positionnement institutionnel et social et par la précarisation de « journalistes shivas » amenés à accomplir des tâches très diverses auxquelles ils ne sont pas toujours suffisamment formés – et ce au détriment de leur cœur de métier parfois, ce qui risque de provoquer une baisse de la qualité du travail journalistique et le développement d’une forme de « malbouffe rédactionnelle », pour reprendre la formule employée lors de son audition par M. Vincent Lanier, premier secrétaire général du SNJ.

Dans ce contexte morose, la rapporteure se réjouit de ce que certaines initiatives permettent malgré tout de rester optimiste : soucieux de montrer qu’il assumait son rôle de partenaire social et que la presse en ligne devait avoir les mêmes droits mais aussi les mêmes devoirs que la presse imprimée, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) (6) a en effet récemment signé la convention collective nationale des journalistes, dans la perspective de négociations sur des projets de grilles de rémunérations.

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 33 % des réponses étaient parvenues. La rapporteure note une très nette dégradation du taux de réponses à la date du 10 octobre – taux qui, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, s’élevait à 95 % à la même date.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE

1. Mettre en œuvre les mécanismes d’attribution des aides (notamment les aides au portage et les aides du fonds stratégique pour le développement de la presse) moins tardivement dans l’année

2. Repenser la distinction entre « presse d’information politique et générale » (IPG) et presse « non-IPG » pour les services de presse en ligne, aussi bien dans le cadre des dispositifs d’aides du fonds stratégique pour le développement de la presse que dans ceux du nouveau fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse

3. Étendre le bénéfice des aides au pluralisme à la presse en ligne

4. Appuyer activement la reconnaissance d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse prévue par la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique publiée par la Commission européenne le 14 septembre dernier

5. Inclure les agences de presse dans le champ de réflexion des institutions européennes sur la création d’un droit voisin

6. Défendre activement l’application d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) super-réduit à l’ensemble des formes de presse, écrite comme numérique, dans le cadre des réflexions engagées par la Commission européenne en vue de la révision de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA

7. Revoir à la baisse le taux de TVA applicable aux agences de presse

PREMIÈRE PARTIE : ÉVOLUTION GLOBALE DES AIDES À LA PRESSE EN 2017

ÉVOLUTION DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN AE ET EN CP INSCRITS AU PROGRAMME 180 ENTRE LA LFI 2016 ET LE PLF 2017

 

LFI 2016

PLF 2017

Évolution
en valeur absolue

Évolution
en pourcentage

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Relations financières avec l’AFP

127 476 239

127 476 239

132 476 239

132 476 239

5 000 000

5 000 000

3,9 %

3,9 %

Abonnement de l’État à l’AFP

21 655 380

21 655 380

21 655 380

21 655 380

0

0

0 %

0 %

Compensation des missions d’intérêt général de l’AFP

105 820 859

105 820 859

110 820 859

110 820 859

5 000 000

5 000 000

4,7 %

4,7 %

Aides à la presse

127 839 207

127 839 207

127 839 207

127 839 207

0

0

0 %

0 %

Sous action 1 - Aides à la diffusion

56 700 000

56 700 000

52 958 083

52 958 083

- 3 741 917

- 3 741 917

- 6,6 %

- 6,6 %

Aide au portage de la presse

36 000 000

36 000 000

36 000 000

36 000 000

0

0

0 %

0 %

Exonération charges patronales pour les porteurs et vendeurs-colporteurs

20 700 000

20 700 000

16 958 083

16 958 083

- 3 741 917

- 3 741 917

- 18,1 %

- 18,1 %

Sous action 2 – Aides au pluralisme

15 475 000

15 475 000

16 025 000

16 025 000

550 000

550 000

3,5 %

3,5 %

Aide aux publications nationales d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires

12 655 000

12 655 000

13 155 000

13 155 000

500 000

500 000

3,9 %

3,9 %

Aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces

1 400 000

1 400 000

1 400 000

1 400 000

0

0

0 %

0 %

Aide à la presse périodique régionale et locale

1 420 000

1 420 000

1 470 000

1 470 000

50 000

50 000

3,5 %

3,5 %

Sous action 3 – Aides à la modernisation

55 579 707

55 579 707

58 856 124

58 856 124

3 276 417

3 276 417

5,9 %

5,9 %

Aide à la modernisation sociale

3 400 000

3 400 000

1 600 000

1 600 000

- 1 800 000

- 1 800 000

- 52,9 %

- 52,9 %

Aide à la distribution de la presse

18 850 000

18 850 000

18 850 000

18 850 000

0

0

0 %

0 %

Aide à la modernisation des diffuseurs

3 680 000

3 680 000

6 000 000

6 000 000

2 320 000

2 320 000

63 %

63 %

Fonds stratégique pour le développement de la presse

29 649 707

29 649 707

27 406 124

27 406 124

- 2 243 583

- 2 243 583

- 7,6 %

- 7,6 %

Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse

   

5 000 000

5 000 000

       

Réserve parlementaire

84 500

84 500

       

Total crédits aides à la presse Programme 180 (ancien périmètre)

255 215 446

255 315 446

260 315 446

260 315 446

5 000 000 

5 000 000

1,96 %

1,96 %

             

Soutien aux médias de proximité

(anciennement programme 334)

1 566 000

1 566 000

1 581 660

1 581 660

15 660

15 660

1 %

1 %

Soutien à l’expression radiophonique locale

(anciennement programme 313)

29 011 500

29 011 500

30 748 639

30 748 639

1 737 139

1 737 139

6 %

6 %

Compagnie internationale de radio et télévision (CIRT)

(anciennement programme 334)

1 650 000

1 650 000

1 666 500

1 666 500

16 500

16 500

1 %

1 %

 

Total crédits aides à la presse Programme 180 (nouveau périmètre)

287 442 946

287 442 946

294 312 245

294 312 245

6 869 299

 6 869 299

2,38 %

2,38 %

             

Aide au transport postal crédits du programme 134 (mission « Économie »)

119 000 000

119 000 000

119 000 000

119 000 000

0

0

0 %

0 %

             

Total crédits budgétaires presse (programmes 180 + 134)

406 442 946

406 442 946

413 312 245

413 312 245

6 869 299

6 869 299

1,69 %

1,69 %

La comparaison du montant total des aides à la presse inscrites au projet de loi de finances pour 2017 avec celui résultant du vote de la loi de finances initiale pour l’année 2016 (7) est rendue difficile en raison du changement de périmètre du programme 180 « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

En effet, jusqu’à l’an dernier, le programme 180 « Presse » portait exclusivement les crédits consacrés aux relations financières de l’État avec l’Agence France-Presse (AFP), d’une part, et aux aides directes à la presse écrite, d’autre part.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, trois actions relevant jusqu’à présent des programmes 313 et 334 ont été rattachées au programme 180, qui est désormais intitulé : « Presse et médias ».

Il s’agit de :

– l’action « Soutien aux médias de proximité », anciennement rattachée au programme 334 « Livres et industries culturelles » ;

– l’action « Soutien à l’expression radiophonique locale », qui porte les crédits du fonds de soutien à l’expression radiophonique local (FSER), et qui était jadis rattachée au programme 313 « Contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique » (lequel a été supprimé) ;

– l’action « Compagnie internationale de radio et de télévision (CIRT) », jusqu’alors rattachée au programme 334.

Si l’on fait abstraction de l’augmentation de crédits de près de 34 millions d’euros qui résulte du rattachement au programme 180 de ces trois nouvelles actions, et si l’on compare les crédits alloués à ce programme, dans son ancien périmètre, en loi de finances initiale pour 2016 et dans le projet de loi de finances pour 2017, alors on constate que ces crédits augmentent de 5 millions d’euros, passant de quelque 255 millions d’euros à 260 millions d’euros (soit une hausse globale d’environ 2 %, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement). Cette augmentation s’explique par l’octroi, à l’AFP, de 5 millions d’euros supplémentaires au titre de la compensation de ses missions d’intérêt général.

De son côté, l’aide au transport postal de la presse reste stable par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 : les crédits alloués à la compensation par l’État des surcoûts de la mission de service public de transport postal de La Poste, qui figurent sur le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », s’élèvent, comme l’an dernier, à 119 millions d’euros (en autorisations d’engagement – AE – et en crédits de paiement – CP).

Si, en retenant le nouveau périmètre du programme 180, on est amené, en additionnant les aides directes à la presse et l’aide au transport postal de celle-ci, à constater une forte progression (de plus de 10 %) des crédits entre la loi de finances initiale pour 2016 et le projet de loi de finances pour 2017 – ceux-ci passant de 374,3 millions d’euros à 413,3 millions d’euros (soit une hausse de 39 millions d’euros) – il n’en demeure pas moins, qu’en retenant l’ancien périmètre du programme 180 et en agrégeant les aides directes à la presse et l’aide au transport postal de la presse, alors on constate que le total de ces aides s’élève, dans le projet de loi de finances pour 2017, à 379,3 millions d’euros (246,8 millions d’euros hors AFP), contre 374,3 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016 (246,8 millions hors AFP). Cette hausse globale de 1,34 % est liée à l’augmentation des crédits alloués à l’AFP.

En mettant de côté l’octroi à l’AFP de 5 millions d’euros supplémentaires, on constate que le montant des aides à la presse reste stable dans le projet de finances pour 2017 : 127,8 millions pour les aides directes à la presse et 119 millions d’euros pour l’aide au transport postal, comme en loi de finances initiales pour 2016.

Cette stabilité globale des aides à la presse cache des évolutions contrastées :

– parmi les aides à la diffusion, la compensation à la Sécurité sociale de l’exonération des charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse connaît une nette baisse (de 18 %), passant de 20,7 à 16,9 millions d’euros ;

– parmi les aides à la modernisation, l’aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d’information politique et générale connaît également une forte baisse (de près de 53 %), passant de 3,4 à 1,6 millions d’euros et le fonds stratégique pour le développement de la presse n’est doté que de 27,4 millions d’euros, contre 29,6 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016 (ce qui représente une baisse de 7,6 %) ;

– en revanche, l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse connaît une forte hausse (de 63 %), passant de 3,68 à 6 millions d’euros ;

– parmi les aides au pluralisme, l’aide à la presse périodique régionale et locale connaît une hausse bien plus modérée (de 3,5 %), passant de 1,42 à 1,47 millions d’euros.

Dans un contexte difficile pour le secteur de la presse, notamment en raison de la baisse de ses recettes publicitaires, le projet de loi de finances pour 2017 comporte donc beaucoup de hausses de crédits, ce dont la rapporteure ne peut que se féliciter.

Les articles L. 2 et L. 4 du code des postes et des communications électroniques prévoient que la presse bénéficie de tarifs préférentiels pour son transport et sa distribution, au titre des missions de service public de La Poste. Ces tarifs sont fixés par l’État qui compense partiellement le déficit subi du fait de cette réglementation tarifaire en versant chaque année une dotation publique à La Poste.

Jusqu’en 2012, une partie de l’aide au transport postal était inscrite sur le programme 134. Un regroupement de l’ensemble de l’aide postale sur le programme « Presse » avait été opéré en loi de finances initiale pour 2013, ce qui avait contribué à améliorer la lisibilité du budget. Depuis la loi de finances pour 2015, ces crédits ont été rebasculés vers le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie ».

Dans le présent projet de loi de finances, cette aide reste stable et s’élève à 119 millions d’euros, comme dans la loi de finances initiale pour 2016 qui en avait fortement diminué le montant, dans la perspective d’un recentrage de l’aide sur la presse d’information politique et générale (IPG) qui bénéfice de tarifs postaux plus favorables que le reste de la presse reconnue par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) (8).

À ce sujet, la rapporteure a pu noter la divergence de vues entre la presse quotidienne régionale d’information politique et générale qui est défavorable à l’assujettissement de ses suppléments (du week-end notamment) au tarif de base de la presse, tandis que la presse spécialisée y est bien sûr favorable, estimant être déloyalement concurrencée par la première, mais aussi par la presse quotidienne nationale, et d’une manière plus globale, par la presse d’information politique et générale.

Lors de son audition, la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), qui représente près de 1 300 titres de presse écrite et 450 services de presse en ligne employant au total 14 000 personnes dont un peu moins de 5 000 journalistes, s’est déclarée très préoccupée par la réforme des tarifs postaux, d’autant que, sur la période couverte par les « accords Schwartz » (2008-2015), la presse spécialisée aura déjà connu une augmentation cumulée des tarifs postaux de 47 % (inflation comprise), tandis que, sur la même période, cette augmentation n’aura été que de 20 % pour la presse IPG.

Ils estiment que la presse spécialisée n’a pas vocation à combler les déficits de la diffusion postale qui se creusent en raison du choix fait par la presse d’information politique et générale de privilégier le portage pour ses titres les plus rentables. La diffusion postale est aujourd’hui le deuxième poste de charges de la presse spécialisée après les salaires. Et il a progressé de 8 % entre 2014 et 2015.

La rapporteure appelle donc l’attention du Gouvernement sur les conséquences de la réforme des aides postales pour la presse spécialisée.

Instituée par le décret n° 98-1009 du 6 novembre 1998 et réformée par le décret n° 2014-1080 du 24 septembre 2014, l’aide au portage de la presse est destinée à soutenir le développement de ce mode de distribution des journaux qui présente, en particulier pour la presse quotidienne, un intérêt évident, mais auquel sont liées des contraintes logistiques lourdes qu’impose une distribution régulière et très matinale.

Comme en loi de finances initiale pour 2016, le montant total de la dotation du fonds d’aide au portage de la presse s’établit à 36 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances.

Si ce montant est stable, la rapporteure tient à signaler que, d’après certaines des personnes entendues, les mécanismes d’attribution des aides au portage dont l’enveloppe est votée par le Parlement sont mis en œuvre très (voire trop) tardivement dans l’année. Par exemple, pour l’année 2016 au cours de laquelle 36 millions d’euros d’aides devaient être attribués, l’essentiel de cette enveloppe risque d’être versé en fin d’année alors qu’il s’agit d’aides incitatives. Dans ces conditions, il est difficile pour les acteurs qui ont vocation à bénéficier des aides de développer une stratégie sur le portage quand ils ne connaissent le montant effectif de la subvention qu’en fin d’année.

Cet élément doit être pris en compte dans le cadre de la mission de réflexion conjointe qui vient d’être confiée, en octobre dernier, à l’Inspection générale des affaires culturelles et à l’Inspection des Finances, dans le prolongement des réflexions initiées par M. Emmanuel Giannesini dans le rapport sur les aides au transport de la presse qu’il a présenté en septembre 2015.

En complément de l’augmentation très importante de l’aide directe au portage décidée à la suite des États généraux de la presse écrite, le soutien au développement de ce mode de distribution s’est traduit par l’adoption, en loi de finances rectificative n° 2009-431 du 20 avril 2009, d’un dispositif d’appui à l’activité des vendeurs-colporteurs et des porteurs de presse. La mesure a conduit à compenser à la Sécurité sociale l’exonération des charges patronales sur les rémunérations de ces vendeurs-colporteurs et porteurs de presse, afin de mettre fin aux situations de « travail au noir » et d’accompagner la montée en charge du portage.

À la suite d’une nouvelle prévision de l’organisme gestionnaire du dispositif, l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), l’enveloppe consacrée à cette aide est fixée à 16,9 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, contre 20,7 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2016.

La prévision de l’ACOSS s’appuie sur une estimation du nombre de porteurs de presse (15 748 pour la presse payante et 16 855 pour la presse gratuite), ainsi que du nombre moyen d’exemplaires portés mensuellement par porteur (3 525 pour la presse payante et 1 151 pour la presse gratuite).

Afin d’élargir le soutien au pluralisme, l’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires (en 2015), puis l’aide à la presse hebdomadaire régionale (en 2016), ont été étendues aux titres de périodicité plus longue.

Après une hausse de 4 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016, les crédits consacrés aux aides au pluralisme progressent de 550 000 euros dans le présent projet de loi de finances (soit une augmentation de 3,5 % par rapport à leur montant en loi de finances initiale pour 2016). Au total, ces crédits auront progressé de 40 % depuis 2015.

Le décret n° 2015-1440 du 6 novembre 2015 relatif au soutien de l’État au pluralisme de la presse a étendu l’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires aux titres nationaux d’information politique et générale de toutes périodicités (hebdomadaires, bimensuels, mensuels, bimestriels et trimestriels).

Cette aide vise principalement à soutenir :

– les titres qui, du fait de leur positionnement éditorial, bénéficient structurellement de recettes publicitaires faibles ;

– les titres qui traversent des difficultés économiques conjoncturelles.

Après avoir connu une augmentation de 4 millions d’euros en loi de finances initiales pour 2016, afin de permettre son extension aux titres nationaux d’information politique et générale non-quotidiens, cette aide connaît, dans le projet de loi de finances pour 2017, une nouvelle hausse, de 500 000 euros cette fois, et passe de 12,65 à 13,15 millions d’euros.

Le total des crédits pour financer l’aide aux quotidiens locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces est fixé à 1,4 million d’euros en 2017, comme en 2016.

En effet, par rapport à 2016, le nombre de bénéficiaires devrait rester stable en 2017 – soit 16 bénéficiaires percevant chacun un montant moyen d’aide de 87 500 euros.

L’aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale est destinée à conforter les titres de la presse d’information politique et générale dont le maintien est utile au pluralisme d’expression et à la cohésion du tissu économique et social.

Le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016 relatif au soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse et réformant les aides à la presse, a étendu le dispositif, jusqu’alors réservé à la presse hebdomadaire, à toutes les périodicités de titres locaux d’information politique et générale, jusqu’aux trimestriels, mais à l’exclusion des quotidiens.

Pour permettre cette extension de l’aide, le montant des crédits qui lui sont alloués est augmenté de 50 000 euros dans le présent projet de loi de finances, et ainsi porté à 1,47 million d’euros (contre 1,42 million d’euros en loi de finances initiale pour 2016).

L’aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d’information politique et générale a pour objet d’accompagner le processus de modernisation professionnelle et sociale engagé dans les imprimeries de la presse quotidienne nationale, régionale et départementale. À travers cette aide, l’État apporte un soutien à la résorption des sureffectifs observés dans les services de fabrication des journaux quotidiens.

Il s’agit donc d’une dépense de guichet qui diminue progressivement avec la démographie des départs en retraite de ses bénéficiaires.

D’après le projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances, depuis 2006, ont adhéré au dispositif : 434 salariés de la presse quotidienne nationale et 1 334 salariés de la presse quotidienne régionale et départementale.

Compte tenu de cette baisse « mécanique », les crédits ouverts en 2017 au titre de la participation de l’État au coût des départs anticipés pour la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne en régions ont été fixés à 1,6 million d’euros, contre 3,4 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016. Ces crédits se répartissent entre la presse nationale, à hauteur de 0,6 million d’euros (contre 1,25 million d’euros en 2016), et la presse en régions, à hauteur de 1 million d’euros (contre 2,15 millions d’euros en 2016).

L’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale a été réformée et divisée en deux sections par le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse.

La première section, qui sera dotée de 18 millions d’euros en 2017 (comme en 2016) correspond à l’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale vendue au numéro en France. Les aides sont reversées par les titres bénéficiaires à Presstalis qui est la seule société de messagerie de presse qui distribue sur tout le territoire français les quotidiens nationaux d’information politique et générale, supportant à ce titre les contraintes logistiques et d’urgence spécifiques à cette activité.

La seconde section, qui sera dotée de 0,85 million d’euros en 2017 (comme en 2016), correspond à l’aide à la distribution de la presse française à l’étranger. Elle a pour objet de contribuer à la réduction du coût de transport à l’étranger des titres diffusés par vente au numéro. Afin de renforcer son impact, cette section est prioritairement ciblée sur des zones géographiques déterminées par le directeur général des médias et des industries culturelles (à savoir, en 2016, l’Europe hors Union européenne, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne).

Instituée en 2004, l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse est une subvention directe, accordée sous certaines conditions aux diffuseurs qui souhaitent informatiser ou moderniser le mobilier de leur point de vente. Ce dispositif a pour objet d’accompagner le réseau des diffuseurs de presse dans l’effort de modernisation qu’ils doivent accomplir pour améliorer leur performance commerciale, dont dépend directement la diffusion de la presse vendue au numéro.

À la suite des États généraux de la presse écrite de 2009, l’aide à la modernisation des diffuseurs a bénéficié d’un effort financier exceptionnel de la part de l’État qui a relevé le montant de la dotation budgétaire accordée au dispositif pour trois années (de 2009 à 2011 inclus). Depuis 2012, ce relèvement exceptionnel a pris progressivement fin.

Néanmoins, la situation économique des diffuseurs de presse est préoccupante, comme en témoigne la diminution du nombre de points de vente chaque année.

Un nouveau plan de soutien public au réseau des marchands de journaux a été annoncé en conseil des ministres, le 2 décembre 2015. Dans ce cadre, les conditions d’accès à l’aide à la modernisation seront assouplies pour permettre à davantage de diffuseurs d’en bénéficier, notamment par un élargissement du matériel éligible à de nouvelles catégories de biens et par un raccourcissement du rythme autorisé pour solliciter une aide afin de renouveler le matériel.

Pour financer ces mesures, le budget de l’aide est porté à 6 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, contre 3,68 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016 – soit une hausse de plus de 60 % (2,32 millions d’euros en valeur absolue).

La rapporteure forme le vœu que cette augmentation des crédits alloués à l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse soit de nature à répondre à leurs préoccupations. Les représentants de l’Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP) lui ont en effet indiqué que la précédente enveloppe (de 3,68 millions d’euros) était nettement insuffisante au regard du volume total des aides à la presse et que les investissements éligibles à l’aide à la modernisation étaient définis de manière trop restrictive.

En complément de la forte augmentation de cette aide, il est prévu de généraliser l’exonération de contribution économique territoriale (CET) pour les marchands de presse indépendants et spécialistes (pour un coût d’environ 7,5 millions d’euros) (9) et d’ouvrir aux diffuseurs de presse l’accès aux crédits de l’Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC).

Compte tenu de la mise en œuvre relativement aléatoire, selon les collectivités territoriales, du dispositif d’exonération de CET, la rapporteure juge positif le choix qui a été fait d’ériger ce dispositif en obligation à caractère général et pérenne.

C’est une mesure importante quand on sait que, pour 25 000 diffuseurs de presse, on enregistre 1 000 fermetures annuelles dont 30 % ne sont pas suivies d’une réinstallation à proximité du point de vente fermé.

D’une manière plus générale, la rapporteure estime, qu’au regard des défis liés au développement du numérique, la conception des aides aux diffuseurs de presse doit privilégier une adaptation et s’affranchir d’un raisonnement « en silos ». Le réseau des diffuseurs de presse est partenaire du développement du numérique : il faut l’aider à l’être davantage encore, dans la mesure où les clients n’opèrent plus de distinction imperméable entre le papier et le numérique. Les marchands de journaux doivent en effet vendre à leurs clients ce qu’ils attendent (services d’abonnement à des titres, billets de spectacles dématérialisés, etc.). Preuve en est le succès de l’accord conclu entre quelque 2 000 diffuseurs de presse et « lalibrairie.com », qui, depuis deux ans, permet aux clients d’être livrés chez leurs marchands de journaux, et sans supplément de prix, des livres qu’ils achètent en ligne.

Au-delà de cet exemple, il pourrait être utile que les diffuseurs de presse soient inclus dans les projets numériques pour lesquels les éditeurs de presse reçoivent des aides. Cette association pourrait rendre plus rentables des projets qui ne le sont pas forcément au départ. Par exemple, on pourrait créer de la valeur en imaginant un dispositif numérique permettant de commander des titres de presse qui ne sont pas disponibles dans le linéaire de diffuseurs de presse. Pour créer des « passerelles » entre les supports physiques et numériques chez les consommateurs, on pourrait également imaginer l’octroi de rabais sur les « hors-série » imprimés pour les abonnés numériques d’un journal.

Créé par le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012, le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) s’est substitué aux anciens fonds d’aide à la modernisation de la presse (FDM) et d’aide au développement des services de presse en ligne (SPEL).

De 2012 à 2014, le FSDP était divisé en trois sections : la première pour les opérations de mutation et de modernisation industrielles (imprimeries, systèmes rédactionnels, etc.), la deuxième pour les projets numériques et la troisième pour les projets de développement de nouveaux lectorats (jeunes, diffusion à l’étranger, etc.).

Le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a simplifié la gestion du FSDP, fusionné les trois sections précitées et précisé les nouveaux principes d’attribution des aides.

Ces aides sont versées sous forme de subventions ou d’avances remboursables, sur devis puis factures acquittées.

Le FSDP est désormais ouvert aussi bien aux titres de presse traditionnelle d’information politique et générale, gratuits et payants, qu’aux agences de presse et aux services de presse tout en ligne.

Principalement ciblé sur la presse d’information politique et générale, le FSDP est également destiné, pour les projets numériques, aux services en ligne relevant de la presse technique, spécialisée, scientifique ou culturelle.

Dans le présent projet de loi de finances, le FSDP est doté d’une enveloppe de 27,41 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, contre 29,65 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2016, étant précisé que, d’après les informations transmises par le ministère de la Culture et de la communication, l’enveloppe pour 2016 comprenait des crédits réservés au « Club des innovateurs ».

S’agissant des crédits alloués au FSDP pour 2016, la rapporteure tient à souligner qu’il lui a été indiqué qu’à la date du 12 octobre dernier, aucun comité d’attribution du FSDP n’avait été réuni, ce qui risquait de conduire à concentrer toute la stratégie d’aides pour l’année 2016 sur les deux derniers mois de l’année, ce que l’on ne peut bien sûr que regretter.

Créé par le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016, le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse est doté de 5 millions d’euros.

Ce dispositif sera décrit dans la seconde partie du présent avis.

Dans le prolongement d’un appel à projets conduit avec succès en 2015, la mise en place d’un dispositif pérenne de soutien aux médias de proximité (webradios, webtélés, webzines, etc.) a été décidée et financée en 2016 sur les crédits du programme 334 « Livres et industries culturelles », à hauteur de 1,5 million d’euros.

Le décret n° 2016-511 du 26 avril 2016 a institué un fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité, dispositif pérenne dont la dotation est portée à 1,58 million d’euros dans le présent projet de loi de finances, en raison de son indexation sur l’inflation (soit une hausse de 1 %).

Les crédits alloués à ce fonds de soutien sont désormais portés par le programme 180, qui est rebaptisé en conséquence « Presse et médias » et dont ils constituent l’action n° 5.

Ce fonds de soutien a vocation à accorder des subventions d’exploitation aux structures, souvent associatives, qui produisent de l’information sous forme journalistique, qui s’adressent prioritairement à un public local et qui développent leurs projets sur le long terme. En août 2016, le fonds soutenait 108 médias (sur 269 candidats).

L’article 80 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit un soutien au bénéfice des radios qui accomplissent une mission sociale de proximité et dont les ressources publicitaires sont inférieures à 20 % de leur chiffre d’affaires total. Cette aide publique est versée dans le cadre du Fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER) afin de soutenir le secteur radiophonique local associatif, garant de l’expression du pluralisme et de la communication de proximité. Chaque année, près de 700 radios associatives locales bénéficient de l’aide du FSER qui représente en moyenne 40 % de leurs ressources.

Précédemment rattachés au programme 313 « Contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique » (qui est supprimé), les crédits dédiés au FSER sont désormais portés par le programme 180, dont ils constituent l’action n° 6.

Ces crédits sont renforcés afin de faire face à l’augmentation constante du nombre de radios bénéficiaires, dans un contexte de diminution des autres ressources dont les radios bénéficient par ailleurs. La dotation du dispositif est portée à 30,7 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances, soit une hausse de 6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 qui avait fixé cette dotation à 29 millions d’euros.

Au sein cette enveloppe de 30,7 millions d’euros, 122 995 euros sont alloués aux dépenses de fonctionnement courant du FSER et 30 625 644 euros sont alloués aux radios associatives locales. En 2015, 97,6 % de celles d’entre elles qui avaient sollicité l’aide du FSER l’avaient effectivement obtenue. Ce fonds a enregistré six nouvelles demandes d’aides en 2016.

Dans le présent projet de loi de finances, le programme 180 intègre aussi les crédits alloués, par l’intermédiaire de la compagnie internationale de radio et de télévision (CIRT), à la radio bilingue franco-marocaine « Médi1 » qui diffuse au Maroc et en Algérie des programmes d’information et de divertissement. Précédemment rattachés au programme 334 « Livre et industries culturelles », ces crédits constituent désormais l’action n° 7 du programme 180.

Ces crédits s’élèvent dans le présent projet de loi de finances à 1,66 million d’euros, soit une hausse de 1 % par rapport à ceux qui avaient été alloués au dispositif dans la loi de finances initiale pour 2016.

Ces crédits visent essentiellement à assurer la couverture des coûts salariaux des quelque 14 journalistes français qui travaillent à « Médi1 ».

Jusqu’en 2014, les relations financières entre l’État et l’Agence France-Presse (AFP) prenaient conventionnellement la forme d’abonnements souscrits par les administrations au service d’information générale de l’AFP.

À la suite d’échanges avec la Commission européenne, qui a souhaité s’assurer que ces versements étaient conformes aux règles européennes en matière d’aide d’État, on distingue, depuis 2015, entre :

– d’une part, le paiement des abonnements commerciaux de l’État (plus de 1 100 services de l’État – administrations centrales, services déconcentrés, réseau international – reçoivent les informations de l’AFP) ;

– et d’autre part, la compensation des missions d’intérêt général de l’AFP, qui sont prévues par la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’agence France-Presse et qui ont été explicitées par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives et par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

Dans cette perspective, l’État et l’AFP ont signé, le 15 juin 2015, un contrat d’objectifs et de moyens (COM) qui, portant sur les années 2014-2018, a précisé la nature de ces missions d’intérêt général et les efforts de gestion à réaliser par l’AFP en leur associant des objectifs et des indicateurs de suivi.

Dans le présent projet de loi de finances, les crédits destinés à l’AFP sont répartis entre :

– 21,65 millions d’euros correspondant aux abonnements de l’État à l’AFP : ce montant est stable par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 et correspond au montant inscrit dans la convention d’abonnement signée le 29 septembre 2015 par l’État et l’AFP pour la période 2015-2018 ;

– et 110,82 millions d’euros correspondant à la compensation des missions d’intérêt général de l’AFP : par rapport à la trajectoire du COM, ce montant est en hausse de 5 millions d’euros. Alors que le COM prévoyait pour l’exercice 2017 une hausse de 0,4 % des crédits (qui devaient être portés à 106,22 millions d’euros), celle-ci sera dix fois supérieure et s’élèvera à 4 %.

En principe conforme au cadre fixé en accord avec la Commission européenne, cette dotation supplémentaire est allouée à l’AFP pour faire face à un contexte commercial difficile.

En effet, aujourd’hui, près de 70 % des recettes de l’Agence France-Presse (AFP) sont d’origine commerciale : 30 % proviennent des financements publics liés à la fois aux abonnements souscrits par les personnes publiques et à la compensation par l’État de missions d’intérêt général.

Les effets de l’exacerbation de la concurrence et des restructurations des groupes au niveau mondial fragilisent les recettes commerciales de l’AFP… alors qu’en raison de son statut, celle-ci n’a pas d’actionnaires, que sa capacité de développement dépend donc de son endettement et qu’elle a des coûts fixes liés à ses charges de personnel (qui représentent près de 75 % du montant total de ses charges) et à l’entretien d’un réseau de 200 bureaux dans près de 150 pays (qui, compte tenu du contexte actuel et de l’exposition internationale de l’AFP, nécessite le déploiement de nouveaux dispositifs de sécurité).

L’AFP a entrepris des efforts de rationalisation de ses charges de fonctionnement pour « faire plus avec moins », et elle s’est en outre engagée dans la dénonciation et la renégociation des quelques 117 accords collectifs qu’elle avait signés. Dans le même temps, elle a réduit le nombre de ses journalistes français et augmenté le nombre de ses journalistes locaux implantés à l’étranger, dont la rémunération peut être élevée en raison de dynamiques inflationnistes très fortes sur place. Mais, lors de leur audition, les représentants de l’AFP ont souligné qu’il était difficile de demander aux salariés de l’agence de consentir des efforts sur leurs rémunérations, compte tenu du risque réel de les voir partir chez les concurrents.

Si les charges de l’AFP sont contenues, ses recettes ne progressent pas aussi vite qu’espéré. Conforme au COM en 2015, la situation financière de l’AFP ne le sera pas en 2016 – année pour laquelle elle devait en principe recevoir 105,82 millions d’euros au titre de la compensation de ses missions d’intérêt générale. Outre la forte augmentation des crédits qui lui alloués au titre de la compensation de sa mission d’intérêt général dans le projet de loi de finances pour 2017, l’AFP devrait donc bénéficier d’un abondement supplémentaire d’1,6 million d’euros dans le projet de loi de finances rectificatif pour 2016 qui devrait être examiné d’ici la fin de l’année.

Un plan de relance commerciale a par ailleurs été présenté au conseil d’administration de l’AFP en septembre dernier, afin de mieux faire face à sa situation financière délicate.

DEUXIÈME PARTIE : L’AMORCE D’UNE NOUVELLE APPROCHE DES MODALITÉS DE SOUTIEN À LA PRESSE EN LIGNE AUX NIVEAUX NATIONAL ET EUROPÉEN

Est-il encore besoin de rappeler le développement considérable de la consultation de la presse en ligne ? D’après le projet annuel de performances (PAP) joint au présent projet de loi de finances, le nombre total de visites des sites d’actualité et d’information généraliste, sur tous supports numériques (à la fois sites internet fixes sur ordinateurs et sites internet mobiles sur téléphones portables, applications pour téléphones mobiles et pour tablettes), devrait être de 16,28 milliards en 2016, d’après les prévisions de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (10). Ce nombre a augmenté de 40,1 % entre 2011 et 2012, de 24,8 % entre 2012 et 2013, de 21,5 % entre 2013 et 2014, et de 11,6 % entre 2014 et 2015.

Pourtant, le panorama des aides à la presse établi annuellement par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) fait ressortir le poids considérable des aides publiques à la presse papier et le faible poids des aides à la presse en ligne (11). Il est vrai que les quelque 7 à 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires que le secteur de la presse réalise en France proviennent à près de 85/90 % des supports physiques, et seulement à environ 10/15 % des supports numériques. Il est également vrai que, comme l’a expliqué M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), ce déséquilibre s’explique parce qu’initialement, les aides publiques visaient à financer des investissements, qui sont beaucoup plus lourds pour les structures industrielles de la presse imprimée que pour la presse en ligne.

Mais, comme les représentants du SPIIL l’ont justement fait valoir lors de leur audition, la diffusion de la presse en ligne représente aussi des coûts non négligeables, ne serait-ce que pour la mise au point des outils de gestion des abonnements numériques. Les représentants de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) ont ainsi expliqué qu’une plateforme numérique devait être renouvelée tous les deux ans en moyenne. Pour leur part, les représentants du Huffington Post – qui, avec près de 45 millions de pages vues et 25 millions de visites en juin 2016 (12), et 4 millions de visiteurs uniques par mois, est aujourd’hui le premier « pure player » en France – ont expliqué qu’ils avaient dû embaucher près d’une dizaine d’employés en une année pour investir dans la vidéo qui est également un défi pour les grandes entreprises de presse historiques.

Les représentantes de la Fédération française des agences de presse (FFAP) ont fait le même constat pour les agences de presse : le développement du numérique ne fait qu’accroître leurs coûts, car il faut créer des sites, les éditorialiser, s’abonner à des plateformes fédératives, mettre en œuvre de coûteux dispositifs de lutte contre le piratage (tatouage des photographies, etc.), numériser les fonds physiques (argentiques) qui doivent par ailleurs continuer d’être entretenus.

Les représentants de l’AFP ont abondé dans ce sens, rappelant que ses dépêches devaient s’adapter à l’essor de la vidéo qui est devenu un élément attractif et dynamique essentiel pour l’audience sur internet. Or, s’il est vrai que le chiffre d’affaires des produits vidéo de l’AFP a connu une croissance très dynamique ces dernières années (supérieure à 20 %), le positionnement de l’agence sur le marché de la vidéo implique une augmentation de ses charges (13) au moment où il lui est demandé de faire des efforts pour rationaliser ses dépenses de fonctionnement, qui représentent près de 25 % du montant total de ses charges.

Il faut donc rééquilibrer les aides en faveur de la presse en ligne qui est une forme de presse à part entière, comme l’a souligné lors de son audition Mme Marie-Hélène Smiejan, directrice générale du journal d’information indépendant et participatif Mediapart. Il n’y a en effet pas de raison que le soutien à la presse imprimée se fasse au détriment de la création de journaux en ligne (et donc d’emplois) car la presse numérique contribue, tout autant que la presse écrite, au pluralisme de l’information.

Or, de ce point de vue, l’année 2016 pourrait marquer un tournant dans la façon dont l’action publique a d’appréhender la presse en ligne – tournant qu’il convient, aux yeux de la rapporteure, de conforter et d’amplifier, tant au niveau national qu’européen.

Le statut de la presse en ligne

La loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet a complété l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse afin d’introduire une définition des services de presse en ligne (SPEL) : « On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale. »

Les critères conditionnant la reconnaissance d’un site comme SPEL sont fixés par le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009, pris pour application de l’article 1er de la loi du 1er août 1986, et modifié par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse.

Les principaux critères, définis à l’article 1er de ce décret, sont :

- l’obligation pour l’éditeur de presse en ligne d’exercer « à titre professionnel » ;

- l’obligation d’avoir un contenu « renouvelé régulièrement » et daté, afin d’exclure les simples mises à jour ponctuelles et partielles ;

- l’obligation de proposer un contenu « original, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet [...] d’un traitement à caractère journalistique » ;

- l’obligation de proposer un contenu « d’intérêt général », qui est défini dans des termes proches de ceux retenus pour la presse imprimée, à l’article D. 18 du code des postes et des télécommunications électroniques qui précise que l’« intérêt général quant à la diffusion de la pensée » s’entende de l’instruction, de l’éducation, de l’information et de la récréation du public.

Le statut de la presse en ligne est assorti d’un certain nombre de devoirs et d’obligations, et permet l’accès partiel au régime économique des aides à la presse.

Comme pour les titres de la presse imprimée, la reconnaissance d’un site en tant que SPEL lui permet de bénéficier d’un régime particulier comprenant :

- l’exonération de la contribution économique territoriale en vertu du 1° ter de l’article 1458 du code général des impôts (CGI) ;

- l’application du taux super réduit de TVA de 2,1 % sur les ventes de contenus d’information (article 298 septies du CGI) ;

- la reconnaissance facilitée du statut de journaliste, pour l’obtention de la carte d’identité des journalistes professionnels (dite « carte de presse ») et l’application de l’abattement sur les cotisations sociales et les frais professionnels.

Par ailleurs, les SPEL dont le contenu présente un caractère d’« information politique et générale » (IPG), dans certaines proportions définies par les textes, peuvent accéder à des avantages spécifiques, tels que l’autorisation de recourir au mécanisme de provision pour investissement et l’accès au FSDP.

• En application de l’article 39 bis A du CGI, les entreprises exploitant un SPEL consacré « pour une large part à l’information politique et générale » au sens de l’article 17 annexe II au même code sont autorisés à constituer une provision déductible du résultat imposable pour investissement (limitée aux acquisitions strictement nécessaires à l’exploitation de ce service).

Cet article 17 prévoit que « sont regardés comme consacrés pour une large part à l’information politique et générale les publications et services de presse en ligne réunissant les caractéristiques suivantes :

1° Apporter de façon permanente et continue sur l’actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ;

2° Consacrer au moins le tiers de leur surface rédactionnelle à cet objet ».

• Le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 prévoit que les SPEL d’IPG au sens de l’article 2 du décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 sont éligibles au soutien du FSDP, qu’il s’agisse de déclinaisons en ligne de titres de presse imprimée ou de services de presse « tout en ligne » (« pure players »).

Afin de bénéficier de cette possibilité, ces SPEL doivent répondre aux critères suivants :

– l’objet principal du SPEL doit être « d’apporter, de façon permanente et continue, des informations, des analyses et des commentaires sur l’actualité politique et générale locale, nationale ou internationale susceptibles d’éclairer le jugement des citoyens » et dont l’« intérêt [dépasse] significativement les préoccupations d’une catégorie de lecteurs » ;

– l’équipe rédactionnelle doit comporter « au moins un journaliste professionnel, au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail ».

Par ailleurs, l’éligibilité au FSDP a été élargie par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 aux SPEL consacrés « pour une large part à l’information politique et générale » au sens de l’article 17 de l’annexe II du CGI.

• Enfin, dans le cadre de la réforme des aides à la presse menée par le Gouvernement depuis mai 2012, il a été décidé, depuis 2014, d’ouvrir le soutien de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), via le Fonds d’avances remboursables aux entreprises de presse (FAREP), à la création et au développement de titres de presse en ligne. Cette extension en 2014 d’un soutien conçu à l’origine pour la presse papier a, dans un premier temps, été réservée à la création de SPEL « tout en ligne » d’information politique et générale. Désormais le périmètre de l’IFCIC est calqué sur celui du FSDP (SPEL « tout en ligne » ou non, d’IPG ou de la connaissance et du savoir, outre les titres de la presse imprimée). Et le concours de l’IFCIC concerne désormais aussi bien la création que le développement.

Les avances octroyées présentent un caractère participatif et sont donc assimilables à des fonds propres. Elles portent intérêt à un taux égal à la somme d’un taux d’intérêt fixe (4 % l’an) et d’un taux d’intérêt participatif variable, lié au succès de l’entreprise. Pouvant atteindre jusqu’à 200 000 euros par entreprise, elles couvrent l’ensemble des investissements nécessaires au démarrage de l’activité. Les modalités de remboursement sont adaptées à la montée progressive de l’activité avec une durée maximum de 7 ans pouvant inclure une période de franchise de remboursement allant jusqu’à 2 ans.

En complément de cette avance du FAREP, les SPEL peuvent également bénéficier, pour leurs crédits bancaires, de la garantie offerte par le fonds « industries culturelles » de l’IFCIC, dont le taux de garantie peut atteindre 70 % pour des concours de 150 000 euros ou moins. Peuvent bénéficier de la garantie les concours bancaires tels que les crédits à moyen et long terme, les crédits-bails, les contrats de location financière et les engagements par signature.

La reconnaissance des SPEL procède de la délivrance d’un agrément par la CPPAP dont la composition et les modalités de fonctionnement sont déterminées par le décret n° 97-1065 du 20 novembre 1997 modifié.

En 2015, la CPPAP s’est réunie à six reprises dans sa formation plénière pour examiner les demandes de reconnaissance de SPEL. En outre, depuis septembre 2014, sont organisées des sous-commissions dédiées aux SPEL, à l’instar de la pratique déjà en place pour les publications. En 2015, se sont tenues six sous-commissions dédiées aux SPEL. La même année, sur les 373 services en lignes examinés par la CPPAP, 301 sites se sont vus reconnaître la qualité de SPEL, dont 114 avec un caractère d’IPG et 131 sites de presse « tout en ligne ». Les services de presse « tout en ligne » représentaient l’année dernière 48 % de l’ensemble des demandes de reconnaissance en tant que SPEL d’IPG. Au premier semestre 2016, la CPPAP a reconnu 175 sites de presse en ligne, dont 93 sites de presse « tout en ligne ».

Au total, au 5 juillet 2016, sur un total de 920 services de presse en ligne (SPEL) reconnus par la CPPAP, 405 services de presse étaient « tout en ligne » et 303 SPEL avaient le caractère d’IPG.

La rapporteure fait sien le point de vue de M. Jean-Marie Charon qui a expliqué, lors de son audition, qu’il fallait résolument abandonner la logique de conservation de l’existant pour passer à une logique d’accompagnement des créations, des innovations et des transformations.

Certes, les services de presse « tout en ligne » (« pure players ») ont des débuts fragiles, mais ils attirent vers eux des contributeurs que n’attirent pas les entreprises « historiques » de la presse imprimée.

Il faut donc aider à la création de nouveaux médias ; l’institution, par le décret du 26 août 2016, d’un fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse amorce, dans cet esprit, une nouvelle logique en orientant désormais les aides vers l’émergence de nouveaux médias, et particulièrement de services de presse « tout en ligne » que ce fonds concerne au tout premier chef.

Ce changement de paradigme a été salué par nombre des personnes entendues, qui ont jugé très intéressant que, pour la première fois, la puissance publique dépasse la vision traditionnelle consistant à aider des médias existants et en difficultés, dont certains n’ont pas toujours de stratégie numérique précisément définie.

Toutefois, la rapporteure estime, comme M. Jean-François Mary, qu’il faut aller plus loin dans cette logique d’innovation et qu’il convient, pour concevoir des dispositifs d’aides innovants à la presse en ligne, s’affranchir des critères habituels de raisonnement qui ont été adoptés pour la définition des dispositifs d’aides à la presse imprimée.

Contrairement à ce qu’elle a pu entendre dans le cadre des auditions qu’elle a menées, la rapporteure estime qu’il est injuste de dire que le décret du 26 août 2016 ne sert à rien.

La création du fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse traduit un changement d’approche car, pour la première fois, l’action des pouvoirs publics ne vise plus seulement à préserver les conditions existantes du pluralisme, mais à le renforcer, voire à le susciter.

En effet, contrairement aux subventions accordées par le FSDP, qui ne sont effectivement versées, par tranches, qu’à réception des factures correspondantes attestant de la réalisation des investissements aidés, le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse délivrera des bourses à de jeunes entreprises de presse qui ne disposent pas encore d’un agrément de la CPPAP, et leur proposera un accompagnement financier et un suivi administratif.

Les représentants du SPIIL s’en sont d’ailleurs réjouis, approuvant l’inflexion nette des politiques publiques de soutien à la presse en général, et à la presse en ligne en particulier, qui, de leur point de vue, ne doit se traduire seulement par des aides aux acteurs existants mais aussi par des aides favorisant l’apparition de nouveaux acteurs.

Le décret du 26 août 2016 a créé un fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse chargé de délivrer des bourses pour soutenir la création de nouvelles entreprises de presse, imprimée ou en ligne, d’octroyer des aides aux incubateurs de médias et autres structures d’hébergement, de conseil et de formation destinées aux entrepreneurs de nouveaux médias et d’attribuer des aides aux programmes de recherche innovants pour le secteur.

Le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse a vocation à décerner des bourses d’un montant maximal de 50 000 euros à des entreprises de presse émergentes, afin de donner la possibilité d’éclore à des titres de presse imprimés ou à des sites de presse en ligne qui sont encore en germe.

Ces bourses seront en effet versées sans condition d’agrément par la CPPAP : les entrepreneurs de presse devront simplement présenter un projet. Pourront donc bénéficier de ces bourses aussi bien de jeunes entreprises de presse qui ne disposent pas encore d’un agrément accordé par la CPPAP que des médias émergents disposant d’un numéro de CPPAP.

Ces bourses leur permettront de bénéficier d’un accompagnement financier et d’un suivi administratif leur offrant les moyens de faire face à leurs premières dépenses.

Cela contribuera à combler un réel besoin en soutenant la création d’entreprises de presse, dès le stade de la conception du projet, sans qu’il soit besoin d’attendre l’octroi d’un agrément en tant que publication de presse. Il s’agit de permettre aux entrepreneurs de préciser leur concept éditorial et d’approfondir leur étude de faisabilité économique, plutôt que de se concentrer sur la sortie du premier numéro ou la mise en ligne du site en vue de l’obtention d’un agrément de la CPPAP.

Comme le souhaitait le SPIIL, ces bourses permettront donc d’accompagner des initiatives à des stades d’élaboration divers, et notamment de faire appel à des prestataires tels que des développeurs et des graphistes.

Alors que, jusqu’à présent, les aides à la presse fonctionnaient selon un mécanisme de remboursement sur présentation de factures acquittées, l’État accepte désormais d’assumer le risque qu’un projet financé échoue – le risque étant toutefois limité puisque le montant des bourses est plafonné à 50 000 euros.

Un premier appel à candidatures a été lancé, avec échéance au 15 octobre dernier.

Il est prévu que la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) s’appuie, dans l’instruction des dossiers, sur l’expertise d’un cabinet de conseil extérieur en 2016, puis de la Banque publique d’investissement (BPI) en 2017.

S’inspirant des préconisations formulées par M. Jean-Marie Charon dans le rapport intitulé Presse et numérique – L’invention d’un nouvel écosystème, remis à la ministre de la Culture et de la communication en juin 2015, le décret du 26 août 2016 prévoit que le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse devrait lancer des appels à projets pour des programmes d’incubation dédiés aux médias émergents et visant à renforcer le dynamisme, la visibilité et l’attractivité de l’entrepreneuriat de presse.

Il s’agit de faciliter le lancement de projets collectifs, de rompre l’isolement des jeunes entrepreneurs de presse en leur permettant d’échanger au quotidien avec leurs pairs, de leur offrir des services administratifs, juridiques sociaux, comptables et financiers mutualisés, de leur donner accès à des ateliers thématiques, des « hackathons » (14), des programmes d’accélération, des réseaux d’experts et de tuteurs, et enfin de fluidifier les collaborations entre éditeurs et fournisseurs de solutions dédiées.

L’aide aux programmes d’incubation dédié aux médias émergents est une subvention d’exploitation. Elle couvre deux ans et est versée par tranches annuelles. La première tranche est versée après conclusion d’une convention entre l’État et le bénéficiaire. Le versement de la deuxième tranche est conditionné à l’examen favorable d’un rapport d’étape permettant d’apprécier la bonne mise en œuvre des conditions d’éligibilité.

Lors de son audition, le directeur général des médias et des industries culturelles, M. Martin Ajdari, a indiqué qu’aucune condition géographique n’avait été fixée par le décret du 26 août dernier pour l’attribution des aides aux programmes d’incubation. Par conséquent, il sera possible de verser des aides à des projets distincts menés aussi bien en région parisienne qu’en province. Contrairement à ce qui a pu être dit un peu hâtivement, l’expérimentation de ces aides ne se fera donc pas exclusivement en Île-de-France : si, dans un premier temps, le choix a été fait de retenir un projet francilien, ce sera ensuite un projet provincial qui sera financé. Et, dans les réponses qu’il a fournies au questionnaire de la rapporteure, le ministère de la Culture et de la communication indique qu’il souhaite mener ces projets en partenariat avec les collectivités territoriales susceptibles d’être concernées.

D’après le projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances, ces programmes d’incubation devraient être très attentifs aux moyens d’hébergement, mais aussi de conseil et de formation aux entrepreneurs dans les médias, entendus au sens le plus large (titres de presse papier, sites de presse en ligne, radios, télévisions, webradios, webtélés, etc.).

Il semble que ces programmes pourront être portés tant par des groupes de presse accueillant des « start-up en résidence » que par des incubateurs généralistes ou appelés à se spécialiser dans la presse, et qu’ils devraient donc également concerner les start-up à même de fournir des solutions techniques, graphiques ou éditoriales innovantes aux médias.

Contrairement aux bourses d’émergence, ces aides ne s’adressent donc pas nécessairement aux éditeurs de presse : elles sont conçues dans une approche plus large que l’approche éditoriale classique, initiée notamment par le « Club des innovateurs » qui, au sein du comité d’orientation du FSDP, regroupent depuis 2014 des professionnels de la presse, des experts de l’innovation et des représentants de l’État, et qui sera d’ailleurs chargé de sélectionner les programmes d’incubation bénéficiaires des aides.

Le Club des innovateurs

Le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a élargi la composition du comité d’orientation du FSDP à des personnalités extérieures spécialistes de la transition numérique afin d’« oxygéner » la discussion entre l’État et la presse et de renforcer les regards croisés des différentes familles de presse sur la pertinence des projets des uns et des autres.

Créé au sein du comité d’orientation du FSDP, le « Club des innovateurs » s’est vu attribuer deux missions :

- assurer une veille technologique, économique et réglementaire afin d’alimenter les échanges entre l’État et les éditeurs de presse ;

- identifier et sélectionner les sujets technologiques transversaux les plus importants susceptibles de favoriser les projets structurants de la filière, et, à cette fin, procéder à des appels à projets collectifs portant sur la réalisation d’une innovation devant profiter à l’ensemble de la presse.

La gouvernance du « Club des innovateurs » a été réformée par le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016 : il est prévu qu’il soit désormais présidé par le vice-président du comité d’orientation du FSDP (fonction nouvellement créée), qui sera une personnalité qualifiée au titre de sa connaissance de l’économie numérique, de l’économie et des métiers de la presse ou du financement de l’innovation. Il sera par ailleurs composé de huit représentants de l’administration (dont 4 du ministère de la Culture et de communication), de quatre représentants des organisations professionnelles des éditeurs de presse (dont au moins un représentant des services de presse en ligne) et de quatre personnalités qualifiées au même titre que le vice-président. Les personnalités qualifiées, y compris le vice-président du comité d’orientation, auront voix délibérative dans la formation du « Club des innovateurs ». Enfin, c’est désormais ce Club lui-même qui délibérera sur les appels à projets qu’il lance et il pourra retenir un, plusieurs ou aucun projets, selon leur pertinence.

Lors de son audition, M. Jean-Marie Charon a recommandé que les programmes d’incubation subventionnés soient conçus de façon à associer des start-up intervenant dans différents domaines (presse, culture, commerce), plutôt que des start-up du secteur de la presse uniquement. Outre que ces start-up sont peu nombreuses, il estime que la création d’incubateurs spécialisés dans les médias ne serait pas assez attractive pour les acteurs les plus innovants.

Selon lui, il faut concentrer les aides sur les incubateurs pluralistes qui favorisent une perméabilité entre start-up, afin de générer un enrichissement mutuel.

Comme M. Jean-Marie Charon, la rapporteure est convaincue que, dans la conception des aides à l’innovation, il ne faut pas « enfermer les gens dans des cases » : il faut au contraire favoriser des dispositifs associant les entreprises de presse traditionnelles en transformation avec des acteurs nouveaux (start-up) qui les aident à innover.

En effet, si les entreprises de presse écrite « historiques » veulent innover rapidement, elles doivent créer des situations de laboratoire. Certaines d’entre elles le font déjà : soit en créant un titre distinct (c’est le choix qu’a fait Le Monde en lançant le Huffington Post) ; soit en interne (c’est le cas de La Montagne) ; soit en créant des start-up qui leur sont propres (on peut citer les « labs » de Ouest France et de Sud-Ouest) ; soit en s’associant avec des start-up en résidence externalisées dans des plateformes d’incubation (c’est la solution retenue par les groupes Amaury et TF1 qui ont tous deux souhaité que les start-up soient hébergées par des incubateurs externes plutôt qu’elles ne travaillent au sein des rédactions du groupe).

Lors de son audition, M. Martin Ajdari a expliqué qu’il concevait les aides aux programmes d’incubation comme un appel aux entreprises de presse historiques à se tourner davantage vers le numérique. Mais la rapporteure a pu constater que la presse écrite régionale s’était déjà engagée dans le développement d’importants incubateurs : « Arboretum » (« lab » du groupe Dépêche du Midi qui a récemment lancé une opération « Big up for start-up » associant neuf grands groupes régionaux qui ont présenté leurs appels à projets à destination des start-up) ; « Off7 » (Ouest France) et « Théophraste » (Sud-Ouest).

Lors de leur audition, les représentants du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) ont indiqué qu’ils recevaient régulièrement des start-up dont ils examinent les projets qui, parfois, peuvent être mis en œuvre dans le cadre de structures communes telles des groupements d’intérêt économique (GIE). A ainsi été créé un GIE « Photo PQR », qui est une banque d’échanges de photographies alimentée chaque par au moins une quarantaine de clichés envoyés par chaque titre membre du GIE.

Au-delà de ces initiatives, M. Boris Razon, directeur des rédactions de Slate.fr, a invité à s’inspirer d’une initiative prise par la télévision publique finlandaise qui est en train de créer un écosystème comprenant à la fois des journalistes, des producteurs indépendants, des producteurs de technologies et des étudiants. Cette logique d’« écosystème » anime, dans une certaine mesure, l’école « 42 » que M. Xavier Niel a créée à Paris.

Le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse devrait enfin lancer des appels à projets pour la réalisation de programmes de recherche innovants, définis avec les acteurs du secteur de la presse, afin notamment de développer une expertise sur des thèmes au cœur des mutations du secteur : monétisation de l’information (via le marketing), « big data », micropaiements, kiosques, plateformes d’échanges, etc.

Ces aides ont vocation à contribuer au développement d’une expertise au service de la filière de la presse, notamment en matière de création d’infrastructures de données susceptibles de permettre aux éditeurs de presse de faire face aux stratégies des « infomédiaires » et des divers acteurs technologiques.

En conclusion, la rapporteure juge, comme Mme Laurence Franceschini lors de son audition, que le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse peut contribuer à rééquilibrer la répartition des aides entre grandes et petites entreprises de presse, notamment en ligne, en comblant le « trou de financement » auquel font souvent face les entreprises de presse qui n’ont pas encore obtenu d’agrément auprès de la CPPAP.

S’il semble prématuré d’évaluer ce dispositif dès aujourd’hui, la rapporteure tient à souligner la nécessité de l’évaluer régulièrement : M. Jean-Marie Charon a expliqué lors de son audition qu’une évaluation annuelle des actions du fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse serait souhaitable.

Le décret du 26 août 2016 prévoit une revalorisation des aides attribuées par le FSDP, ainsi qu’une extension de leur champ aux titres de presse en ligne de la connaissance et du savoir et à tous les titres de presse d’information politique et générale, quelle que soit leur périodicité.

Les sites de presse en ligne de la connaissance et du savoir, qui devaient être exclus du dispositif du FSDP au 1er janvier dernier, seront finalement réintégrés dans le périmètre d’éligibilité du fonds en 2016 et au-delà.

Dans le prolongement de l’élargissement, en 2015, des aides au pluralisme à tous les titres d’information politique et générale (IPG), quelle que soit leur périodicité (bimensuelle, mensuelle, bimestrielle et trimestrielle), le décret du 26 août 2016 élargit l’accès au FSDP à tous les titres d’IPG : ne sont donc plus seulement éligibles les quotidiens et hebdomadaires.

Comme Mme Laurence Franceschini, la rapporteure estime qu’il s’agit là d’une grande avancée.

Jusqu’à présent, les projets éligibles au FSDP bénéficiaient soit d’un taux de subvention « de base » de 30 %, soit d’un taux de subvention bonifié de 50 % pour les projets innovants pour le secteur de la presse.

Or, bien souvent, les médias émergents (et notamment les jeunes entreprises de presse en ligne) ne disposent pas, ni en fonds propres, ni auprès de leur banque, des moyens financiers suffisants pour financer leur projet.

Afin de rendre les taux de subvention plus incitatifs et d’aider à la relance des investissements de la presse, le décret du 26 août 2016 a revalorisé le taux de subvention « de base » des projets éligibles au FSDP pour l’ensemble des titres de presse : il passe de 30 % à 40 % des dépenses éligibles.

Afin de conserver une véritable prime aux projets novateurs, les projets collectifs qui représentent une innovation pour le secteur et qui sont portés par des petites et moyennes entreprises (PME) de moins de 25 salariés ou par des titres fragiles financièrement (bénéficiant des aides aux publications nationales à faibles ressources publicitaires ou aux quotidiens locaux à faibles ressources de petites annonces) pourront accéder à un taux bonifié de 60 % des dépenses éligibles (contre 50 % auparavant).

Ce taux pourra être « super-bonifié » et porté à 70 % des dépenses éligibles pour les projets de jeunes entreprises de petite taille qui ont moins de trois ans d’existence et emploient moins de 25 salariés – ce qui limite considérablement la part que ces médias émergents auront à financer eux-mêmes.

Cette adaptation du FSDP à l’émergence de nouveaux médias (qu’ils soient « tout en ligne » ou « bimédia ») a été unanimement approuvée par les représentants de la Fédération française des agences de presse (FFAP), du SPIIL, du Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (GESTE), du Fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse, de l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG), de la FNPS, et du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). Le directeur de ce dernier syndicat, M. Denis Bouchez, a en effet expliqué que, bien que doté de près de 30 millions d’euros pour l’année 2015, le FSDP n’aurait, cette année-là, versé des aides qu’à hauteur de 10 millions d’euros, car les éditeurs bénéficiaires de ces aides auraient eu des difficultés à trouver les compléments de financement nécessaires à la mise en œuvre des projets.

Par ailleurs, pour les projets susceptibles de bénéficier du taux « super-bonifié », le périmètre des dépenses éligibles a été élargi, au-delà des seules dépenses techniques, aux dépenses de salaires directement afférentes à la conception éditoriale, qui constituent le cœur de métier de la presse. Afin d’éviter les effets d’aubaine, la prise en compte de ces dépenses est cependant strictement limitée dans le temps (6 mois). Un contrôle strict de ces dépenses sera également effectué lors de l’instruction des dossiers.

Pour l’ensemble des entreprises de presse bénéficiaires, le périmètre des dépenses éligibles a été étendu afin de mieux intégrer les innovations de commercialisation et liées aux données. Outre les projets directement liés à la mise à disposition du public d’un contenu rédactionnel, sont éligibles les projets qui, quoique n’étant pas liés à cette mise à disposition d’un contenu rédactionnel, sont en revanche liés « à des innovations de commercialisation ayant pour objectif l’augmentation des recettes publicitaires ou d’abonnement indispensables à l’équilibre économique du service de presse en ligne » (publicité, marketing, relations clients, etc.).

Cette extension du périmètre des dépenses éligibles devrait être de nature à satisfaire les représentants du GESTE qui, lors de leur audition, ont souhaité que les projets de données soient éligibles au FSDP, rejoignant ainsi le point de vue de M. Denis Bouchez, pour qui l’enjeu, en matière numérique, est moins de développer des projets techniques que de vendre des contenus éditoriaux, ce qui suppose des projets en matière de données et de commercialisation.

Il est vrai que, jusqu’à présent, le comité d’orientation du FSDP avait souhaité limiter la prise en compte des dépenses de promotion liées aux projets subventionnés. Afin d’éviter que ne soient retenues des dépenses de promotion excessives au regard du coût du cœur du projet, un plafond était appliqué : les dépenses de promotion étaient plafonnées à 15 % du montant total des autres dépenses éligibles, pour un taux de subvention de 20 %.

Tout en s’étonnant que la revalorisation et l’extension du périmètre des aides du FSDP puissent s’effectuer dans le cadre d’une réduction de sa dotation de 2,24 millions d’euros (15), la rapporteure forme le vœu que la réforme du FSDP opérée par le décret du 26 août 2016 conduise à équilibrer un dispositif qui, d’après les personnes entendues, semble avoir été quelque peu capté par les grandes entreprises « historiques » de la presse écrite.

Certaines des personnes entendues ont émis un jugement sévère sur le FSDP, estimant, pour les uns, qu’il avait été utilisé par les grandes entreprises de presse traditionnelles pour opérer leurs restructurations, et, pour les autres, qu’il avait freiné l’innovation de ces mêmes entreprises, en ne les incitant pas assez à se moderniser.

Sans faire siens ces jugements, la rapporteure tient à souligner qu’il semble que les modalités de candidature aux aides du FSDP soient trop lourdes pour de jeunes services de presse « tout en ligne ». Le résultat est que les dispositifs initialement conçus pour les entreprises de presse naissantes ont été en partie captés par les grandes entreprises de presse traditionnelles (notamment celles de la presse quotidienne régionale) qui disposent pourtant d’infrastructures plus développées et souvent d’actionnaires fortunés. À l’inverse, les petites entreprises de presse naissantes ne semblent pas avoir été suffisamment aidées, notamment pour rémunérer des développeurs, qui se font de plus en plus rares et de plus en plus exigeants financièrement, et pour investir dans les nouvelles technologies, qui vont devenir encore plus nécessaires avec l’essor de la vidéo que les « infomédiaires » comme Google et Facebook privilégient.

Il est en effet pour le moins surprenant que le premier « pure player » en France, le Huffington Post, n’ait jamais bénéficié de la moindre aide à la presse depuis sa création. Ses représentants, comme ceux du journal Le Monde, ont déploré, lors de leur audition, que les aides du FSDP aient été aujourd’hui conçues de telle manière qu’elles servent à financer des projets techniques dédiés excluant tous éléments liés à la masse salariale, alors que la rémunération de leurs journalistes est l’un des premiers postes de dépenses des éditeurs de presse en ligne.

De la même façon, alors que la rémunération des développeurs est un poste important des budgets des projets de modernisation, celle-ci ne peut être financée par les aides que si ces développeurs sont externes à l’entreprise de presse qui, de ce fait, ne peut pas profiter des avantages qu’il y aurait à recruter des développeurs pour favoriser, par capillarité, une interpénétration des cultures professionnelles en interne.

S’il est vrai que l’élargissement, par le décret du 26 août dernier, du périmètre des dépenses éligibles au FSDP est de nature à répondre, au moins partiellement, à ces difficultés, il n’en demeure pas moins que, d’après plusieurs des personnes entendues, le FSDP n’est pas encore suffisamment adapté aux « pure players » d’information qui essaient de développer leur audience et qui, au regard des dispositifs d’aides, se retrouvent en concurrence avec des entreprises dont la qualité éditoriale peut prêter à discussion.

À leurs yeux, les aides devraient participer non seulement à la modernisation et au développement des nouvelles technologies, mais aussi à la défense des contenus authentifiés. Ils ont suggéré que soit expertisé un dispositif qui propose un socle d’aides qui seraient octroyées de droit au regard de critères fondés sur un ratio entre la masse salariale et le nombre de cartes de presse au sein des entreprises de presse.

Déplorant que Slate ne soit pas une réussite entrepreneuriale (car toujours déficitaire, sept ans après sa création), alors qu’elle est une réussite éditoriale, M. Jean-Marie Colombani, président de la société E2J2, qui édite les sites Slate.fr et SlateAfrique.com, a indiqué qu’il n’existait pas assez de fonds d’amorçage et d’accompagnement pour les services de presse « tout en ligne » qui ne peuvent guère trouver secours auprès de la Caisse des dépôts et consignations (selon lui réticente à investir dans les médias) ni auprès de la banque publique d’investissement (qui exige une rentabilité sur trois exercices consécutifs avant d’apporter une aide financière), ni auprès des banques privées (qui sont frileuses à l’idée d’investir dans de nouveaux médias).

Il semble qu’il y ait donc encore une marge de progrès. Et la rapporteure propose d’explorer quelques pistes pour aller plus loin dans le soutien que la puissance publique peut apporter à la presse en ligne.

La rapporteure considère que le décret du 26 août 2016 marque un premier pas louable vers l’orientation des politiques publiques dans le sens d’une logique d’innovation.

Toutefois, on peut regretter que le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse ne soit doté que de 5 millions d’euros et que les économies générées par la réforme de l’aide au transport postal de la presse n’aient pas servi à abonder ce fonds, comme l’a déploré M. Jean-Marie Charon lors de son audition.

Il est en effet à craindre que les moyens déployés soient extrêmement faibles : les sommes mobilisées pour aider les jeunes entreprises de presse (à savoir les bourses de 50 000 euros) constituent, pour reprendre la formule de Mme Marie-Hélène Smiejan, directrice générale de Mediapart, « une forme de saupoudrage » au regard de l’enjeu qu’il y a pour elles à faire face à d’éventuels déficits dans les premières années de leur existence, dans l’attente de la création d’un lien de confiance avec un lectorat et de la fidélisation de ce dernier. Bien des tentatives de lancement de journaux en ligne ont en effet échoué, faute pour ces derniers d’avoir le capital nécessaire pour affronter les défis financiers des premières années d’existence.

Il n’en demeure pas moins que l’institution du fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse traduit une évolution profonde de la nature du soutien des politiques publiques à la presse, que la rapporteure estime nécessaire d’encourager et d’amplifier, notamment en repensant la distinction opérée entre la presse d’information politique et générale (« presse IPG ») et les autres catégories de presse (« presse non-IPG »).

Les aides directes à la presse sont aujourd’hui ciblées à près de 98 % sur la presse d’information politique et générale (IPG). D’après le projet annuel de performances (PAP) joint au présent projet de loi de finances, la part des aides directes accordées à la presse d’information politique et générale était de 96,3 % en 2014 et de 99 % en 2015. Elle devrait être de 98,1 % en 2016 et de 97,5 % en 2017 (16).

Le ciblage est complet pour l’aide à la modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale d’IPG. Il est également complet pour les trois aides au pluralisme que sont l’aide aux publications nationales d’IPG à faibles ressources publicitaires, l’aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d’IPG à faibles ressources de petites annonces, et l’aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale. Le ciblage est presque complet pour l’aide au portage qui n’est ouverte qu’aux titres quotidiens et hebdomadaires d’IPG et aux quotidiens sportifs généralistes. Le ciblage est enfin très important s’agissant des aides du FSDP aux aides duquel sont cependant également éligibles les services de presse en ligne (SPEL) de la connaissance et du savoir qui développent l’information professionnelle ou qui favorisent l’accès au savoir et à la formation, la diffusion de la pensée, du débat d’idées, de la culture générale et de la recherche scientifique.

D’après le PAP joint au présent projet de loi de finances (17), on estime que le nombre de SPEL IPG éligibles aux aides à la presse était de 240 en 2014 et de 289 en 2015 et qu’il sera de 315 en 2016 (et 360 en 2017).

Tout en rappelant le caractère récent du dispositif de reconnaissance des SPEL, le PAP souligne « un essor réel tant des déclinaisons numériques des titres papiers que des sites “tout en ligne” » et que « tant pour les publications papier que pour les services de presse en ligne, on note la forte progression des reconnaissances du caractère d’information politique et générale au sens de l’article 39 bis A du CGI, notamment pour les services de presse en ligne » (18).

Or, alors même que l’on note une augmentation des reconnaissances du caractère d’IPG et que de ces reconnaissances dépend l’accès à nombre de dispositifs d’aide, un large consensus s’est dessiné, au gré des auditions que la rapporteure a pu mener, autour de l’inadéquation du concept d’« IPG » pour les services de presse en ligne.

La reconnaissance par la CPPAP est nécessaire pour bénéficier des aides publiques, directes ou indirectes, à la presse.

S’agissant de la presse en ligne, la reconnaissance par la CPPAP en tant que SPEL d’« information politique et générale » (IPG) conditionne l’accès aux aides du FSDP et de l’IFCIC (qui sont cependant désormais également ouvertes aux SPEL de la connaissance et du savoir).

En 2015, le FSDP a soutenu un total de 78 projets. Parmi les projets soutenus, 50 projets concernaient le développement de SPEL et 3 projets concernaient des projets bi-médias (développement de SPEL associés à des publications). Les projets de presse en ligne représentaient donc 68 % des projets soutenus. Au total, les aides accordées à ces projets (SPEL et projets bi-médias) ont représenté 44 % du montant total des aides attribuées par le FSDP.

Parmi les 50 projets de SPEL déposés en 2015, 10 étaient soutenus par des éditeurs de presse « tout en ligne » (« pure players »). Parmi les dossiers examinés, 7 ont été déclarés éligibles pour un total accordé de 226 856 euros (montant qui ne représente 2,2 % du total des aides attribuées par le SPEL l’an passé).

C’est dire si les subventions du FSDP ne profitent que faiblement aux « pure players ».

Or, d’après nombre des personnes entendues, cela tient aux difficultés liées à la notion imprécise et évolutive de « presse d’information politique et générale » qui conditionne l’éligibilité aux aides du FSDP.

Il revient en effet à la CPPAP de déterminer si plus de 50 % des contenus de l’entreprise de presse candidate relèvent, ou non, de l’information politique et générale. Sont donc exclus par la CPPAP les contenus à caractère trop spécialisé, comme les sites d’information médicale, ou ceux qui ne présentent pas suffisamment d’information à caractère politique ou à caractère général. En revanche, la CPPAP a décidé de reconnaître le caractère d’« IPG », sous réserve d’un traitement diversifié et accessible à un large lectorat, à des SPEL traitant de l’actualité sous un prisme particulier, comme celui de l’économie ou du développement durable.

De l’aveu du président de la CPPAP lui-même, M. Jean-François Mary, les partenaires ne s’entendent pas sur la notion de « presse d’IPG ».

Les critères de définition de la presse en ligne éligible aux aides sont donc complexes, ce qui rend les décisions que la CPPAP est amenée à prendre de plus en plus délicates. M. Jean-François Mary a reconnu qu’il y avait en la matière un besoin de simplification et de clarification, qui est particulièrement ressenti par le SPIIL, dont les représentants ont déploré que la notion de « presse IPG » (comme celle de « presse de la connaissance et du savoir ») soit floue et évolutive d’une année sur l’autre, au point que cela peut susciter chez les acteurs de la presse en ligne le sentiment que les dispositifs d’aides à la presse, et notamment du FSDP, ne sont pas faits pour eux.

Ce sentiment est en outre alimenté par des difficultés d’articulation entre les critères de la CPPAP et ceux du FSDP. D’après plusieurs des personnes entendues, ces instances n’auraient pas toujours la même appréciation de la notion d’« IPG », notamment au regard de leurs missions respectives d’octroi de l’accès aux aides postales et à la TVA au taux super-réduit (pour la première) et d’accompagnement économique de l’investissement (pour le second).

Selon M. Jean-François Mary, il faut appréhender la notion d’« IPG » de façon distincte selon qu’il s’agit de presse imprimée ou de presse en ligne, car, en matière de presse en ligne, on passe aisément de l’« IPG » au « non-IPG ». On a donc tort de considérer que le même concept d’IPG peut s’appliquer de manière uniforme à la presse imprimée et à la presse en ligne.

Si le FSDP, longtemps réservé à la presse « IPG », a été élargi, par le décret du 26 août 2016, à la presse « non-IPG » de la connaissance et du savoir, il n’en demeure pas moins que cela laisse de côté beaucoup de formes de presse, notamment la presse de loisir et de divertissement qui reste inéligible aux aides du FSDP.

Si le directeur général des médias et des industries culturelles, M. Martin Ajdari, a justifié cette logique de ciblage des aides du FSDP en estimant qu’elles devaient bénéficier à des acteurs dont le soutien financier a une légitimité incontestable et que la presse de loisir et de divertissement est plus facilement monétisable que les autres catégories de presse, il n’en demeure pas moins que certains critères d’éligibilité aux aides sont peu adaptés à la presse en ligne : c’est principalement l’écrit qui est retenu comme critère… ce qui tend à exclure les contenus vidéos.

Lors de son audition, M. Martin Ajdari a reconnu que, s’agissant de la presse en ligne, la difficulté tient à ce qu’elle produit non seulement de l’information, mais aussi des services concurrentiels – or les concurrents de cette forme de presse pourraient se plaindre d’un éventuel soutien public à ces services.

Il n’en reste pas moins que la rapporteure considère, comme les représentants du SPIIL, que le recours au concept d’IPG a pu avoir du sens à l’ère du papier, mais n’en a plus guère de sens à l’ère du numérique.

Comme l’ont expliqué ces derniers, c’est un concept qui crée une distorsion de concurrence illégitime entre éditeurs et qui doit donc faire l’objet d’une redéfinition en vue de son adaptation aux enjeux du numérique, d’autant qu’il est également utilisé pour réserver à certaines formes de presse des dispositifs fiscaux, comme ceux qui permettent aux entreprises de presse de déduire de leur résultat imposable une provision pour investissement (19), ou aux particuliers qui souscrivent au capital de ces entreprises ou qui leur font des dons afin de bénéficier de réductions d’impôt (20). En quoi les investissements des particuliers dans la presse économique ou juridique en ligne seraient-ils moins vertueux que ceux qu’ils effectuent dans la presse d’IPG en ligne ? Selon les représentants du SPIIL, il n’y aurait pas grand risque, pour les pouvoirs publics, à expérimenter une ouverture de ces dispositifs fiscaux à des types de presse plus variés, et notamment à la presse spécialisée. Pourquoi réserver le bénéfice des provisions pour investissements productifs dans les cinq années à venir, à la presse d’IPG ? La FNPS estime que ce dispositif pourrait être étendu à la presse spécialisée pour un coût budgétaire relativement faible (de l’ordre de 500 000 euros).

Le concept d’IPG est également utilisé pour conditionner l’accès à des aides privées comme celles du fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse.

Le fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique (FINP) a été créé en février 2013 à la suite d’un conflit opposant Google aux associations d’éditeurs de presse qui, initialement, revendiquaient la création d’une « taxe Google », c’est-à-dire d’une redevance pour le référencement et la mise en ligne par Google de liens renvoyant aux sites des éditeurs de presse (ce que Google refusait).

À la suite de négociations, Google a accepté de financer l’innovation numérique des éditeurs de la presse française et a signé un accord avec l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) pour financer cette innovation à hauteur de 60 millions d’euros sur trois ans (soit 20 millions d’euros par an). L’enveloppe de 60 millions d’euros n’ayant pas été consommée à la fin de l’année 2015, elle a été prorogée pour l’année 2016. Sauf surprise, le FINP devrait en revanche être épuisé d’ici la fin de cette année mais cette structure continuera d’exister au-delà de l’épuisement des fonds gérés, ne serait-ce que pour assurer le suivi de la centaine de dossiers de financement en cours.

Le FINP est administré par une association indépendante dotée d’un conseil d’administration où siègent des éditeurs de la presse d’information politique et générale, de la presse magazine, de la presse quotidienne régionale et nationale, des représentants de Google ainsi que des personnalités qualifiées, mais pas les représentants des « pure players », au grand regret du SPIIL.

La gestion opérationnelle du fonds est assurée seulement par un directeur, M. Antoine Laurent – le choix ayant été fait de réserver le maximum de moyens aux aides.

Le FINP (co)finance des projets à la condition que l’éditeur qui en est à l’origine soit habilité « IPG » (21) par la CPPAP qui « filtre » donc l’accès au fonds. Contrairement au nouveau fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse, le FINP ne peut donc pas financer la création de nouveaux médias, puisque l’octroi d’une habilitation « IPG » suppose une existence préalable.

Au total, c’est, chaque année, environ 15 millions d’euros d’aides qui ont été attribuées à un nombre de projets oscillant entre 20 et 40 – étant précisé que, s’il n’y a pas de subvention minimale, il existe bien un plafond de subventionnement, fixé à 2 millions d’euros par projet, et que le taux de subvention est fixé à 60 % du financement nécessaire à la mise en œuvre du projet.

Selon M. Jean-Marie Charon, le FINP a été beaucoup plus rapide à identifier les besoins des entreprises que le FSDP qui s’est concentré sur les projets techniques. Le FINP a compris qu’il fallait aider à la fois les projets techniques (et pas seulement en termes de matériel, mais aussi de sous-traitance) mais aussi les projets éditoriaux et commerciaux.

Pour leur part, les représentantes du Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (GESTE) ont regretté que le FINP ait surtout servi à financer des développeurs, au détriment des projets de « data science » (22).

De leur côté, les représentants du Huffington Post et du journal Le Monde ont déploré que le FINP ait proposé des financements aux montants infimes au regard de la captation de valeur réalisée par Google et que ces financements aient en outre servi à des projets temporaires à caractère technique, parfois surtout motivés par la perception de l’aide financière, alors que l’un des soucis premiers des éditeurs de presse en ligne est d’investir dans des projets structurels durables.

Selon les représentants du Syndicat national des journalistes (SNJ), les comités d’attribution des aides du FINP fonctionnent de façon très opaque, ce qui favoriserait des « petits arrangements entre amis sur des pseudo-projets numériques ». Le SPIIL a lui aussi dénoncé des conflits d’intérêts au sein de ces comités où sont surtout représentées de grandes entreprises de presse « traditionnelles ».

Le directeur du FINP, M. Antoine Laurent, s’en est défendu, expliquant que, si les débats et les votes des comités d’attribution étaient effectivement confidentiels, le travail d’instruction des dossiers soumis à ces comités s’efforçait de les objectiver autant que possible. Par ailleurs, si les décisions de refus ne sont pas motivées, c’est, selon M. Antoine Laurent, pour éviter que les candidats ne soient tentés de présenter de nouveaux projets répondant aux griefs formulés de façon à revendiquer un droit au financement. Qui plus est, un membre d’un comité d’attribution qui serait amené à examiner un dossier lié directement ou indirectement à l’entreprise de presse pour laquelle il travaille est déontologiquement tenu de se déporter.

Le SPIIL, dont un tiers des membres relève de la presse d’IPG, a critiqué la condition d’habilitation « IPG » pour l’accès au FINP qui aurait surtout bénéficié aux grandes entreprises « historiques » de la presse imprimée – ne serait-ce que parce que les dossiers à établir pour demander des aides au fonds supposent toute une technostructure dont sont dépourvues les petites entreprises de presse naissantes.

M. Antoine Laurent a reconnu qu’un certain nombre de petites entreprises de presse, en particulier en ligne, n’ont pas eu accès aux aides du FINP, n’ayant pas reçu l’habilitation « IPG » de la CPPAP. Mais cet obstacle ne lui paraît pas insurmontable : d’après lui, plusieurs éditeurs de presse en ligne ont fini par obtenir l’habilitation « IPG ».

De son point de vue, il est vrai que la difficulté à élaborer les dossiers de demande de financements est réelle, mais elle ne concerne pas que les petites entreprises de presse : certaines grandes entreprises de presse souhaitant innover dans le numérique ont eu des difficultés à présenter des dossiers, notamment faute d’une connaissance suffisante des enjeux de la transition numérique. Par ailleurs, certaines d’entre elles ont su faire preuve de disponibilité et s’entourer des compétences requises pour présenter des dossiers qui ont été acceptés. En outre, contrairement aux procédures d’instruction des dossiers soumis au FSDP, le traitement des dossiers présentés au FINP s’effectuerait dans une plus grande proximité entre le fonds et les candidats à ses financements. Enfin, les critères d’examen des dossiers – à savoir l’innovation éditoriale et technologique et le modèle économique – n’excluent nullement les projets des petites entreprises de presse.

M. Antoine Laurent a cependant concédé que beaucoup de grandes entreprises de presse écrite « historiques », qui avaient l’habilitation IPG, ont eu un accès plus facile au FINP. Cependant, en termes de nombre de projets financés (et pas de montants alloués), on constate, selon lui, une relative équivalence entre les nouveaux acteurs de la presse et les grandes entreprises de presse historiques – qui, il est vrai, ont bénéficié de financements plus élevés (23).

La rapporteure a pu obtenir quelques exemples de projets de la presse quotidienne nationale financés par le FINP. Ce fonds a en effet financé en partie la création de l’application « La Matinale » du Monde qui a été téléchargée plus de 500 000 fois depuis sa création. Il a aussi servi à financer un projet de comparateur de programmes politiques qui sera lancé au début de ce mois de novembre, dans le contexte des campagnes en vue des prochaines échéances électorales. Ce fonds a également permis au Monde de développer un vérificateur d’informations qui devrait permettre d’évaluer la fiabilité du site internet à l’origine d’une information et de retracer l’itinéraire de celle-ci, dont le lancement est prévu pour le début de l’année 2017.

La rapporteure juge toutefois regrettable que les difficultés liées au recours au concept d’« information politique et générale » (IPG), au stade de l’habilitation par la CPPAP, aient pu conduire à priver un certain nombre de services de presse en ligne (et notamment des « pure players ») de l’accès au fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse.

De son point de vue, il convient de remédier à ces difficultés pour la conception des nouveaux dispositifs d’aides à l’innovation.

En matière d’innovation, il n’est pas réaliste de continuer à raisonner en cloisonnant la presse d’IPG et la presse « non-IPG », parfois qualifiée de « presse de divertissement ». Selon M. Jean-Marie Charon, une innovation issue de la presse de divertissement peut avoir des retombées favorables sur la presse dite « IPG ». Ce serait donc contreproductif d’opérer un tel cloisonnement.

Avant les années 1990, la distinction entre presse « IPG » et presse « non-IPG » n’était guère utilisée en matière d’aides à la presse : cette distinction est apparue dans le cadre d’une logique conservatoire. Mais dans une logique d’innovation, cette distinction n’est plus opératoire.

Il faut donc élargir encore davantage les critères d’attribution des aides car l’innovation doit être appréhendée de manière diversifiée : non seulement sous l’angle éditorial, mais aussi sous ses aspects techniques et commerciaux.

Il en va de même pour les dispositifs d’aides publiques plus anciens, qu’il s’agisse de ceux du FSDP – qui, d’après la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), ne sont pas encore assez ouverts, en matière de presse en ligne, à l’« info-service » qui associe fourniture d’informations et fourniture de services – ou des aides au pluralisme.

Tout en se félicitant que la part des aides directes réservées au support papier soit en baisse dans le présent projet de loi de finances (75 %, contre plus de 90 % en 2015), le SPIIL juge inique que les quelque 16 millions d’euros d’aides au pluralisme inscrits dans le présent projet de loi de finances soient réservés aux éditeurs de la presse écrite.

Cela pose, selon les représentants de ce syndicat, un problème de principe quand on sait que le pluralisme est très présent sur les supports numériques de la presse, et peut-être même encore plus marqué que sur ses supports physiques. Ils estiment que, comme en matière de taux de TVA, les pouvoirs publics devraient s’astreindre à un principe de neutralité et s’abstenir de privilégier tel ou tel support, d’autant que les aides indirectes à la presse profitent largement aux éditeurs de la presse imprimée.

Cette situation d’exclusion est en outre en décalage complet avec les usages des lecteurs qui se portent de plus en plus vers les supports numériques.

Lors de leur audition, les représentants de la CPPAP eux-mêmes se sont interrogés sur l’opportunité d’exclure des aides au pluralisme la presse en ligne qui a de faibles ressources publicitaires, comme les titres nationaux d’IPG mensuels, bimensuels et trimestriels au profit desquels ces aides ont été étendues par le décret n° 2015-1440 du 6 novembre 2015.

Comme le SPIIL, la rapporteure est convaincue de la nécessité d’ouvrir le bénéfice des aides au pluralisme aux services de presse en ligne, afin de contribuer, notamment, à la pérennisation de leur modèle économique.

Au gré des auditions que la rapporteure a menées, si certains ont dépeint un secteur de la presse globalement en crise, confronté à une perte d’audience doublée d’une baisse des recettes publicitaires liée à la transition numérique, d’autres ont souligné la vitalité éditoriale de la presse en ligne. Il semble qu’en 2015, on ait enregistré 15 nouveaux éditeurs rien que dans le domaine de la presse d’IPG en ligne.

De son côté, le SPIIL a indiqué que 50 des quelque 150 entreprises de presse qu’ils représentent aujourd’hui (24) ont adhéré au syndicat au cours des deux dernières années. C’est, selon ses représentants, la marque d’un secteur animé par un fort dynamisme, dont les acteurs sont, dans leur grande majorité, rentables. Par exemple, le journal d’information « tout en ligne » Mediapart réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires d’environ 11,5 millions d’euros, emploie 80 salariés, a créé 15 emplois sur la période 2015-2016 et envisage d’en créer d’autres dans les années à venir, d’après sa directrice générale, Mme Marie-Hélène Smiejan.

De leur côté, les représentants d’entreprises de presse historiques ont expliqué que le numérique était pour ces entreprises moins une menace qu’un moyen de conquérir un lectorat nouveau, plus international mais aussi et surtout plus jeune, alors que les jeunes avaient, jusqu’alors, tendance à s’éloigner de la presse.

Le président du directoire du groupe Le Monde, M. Louis Dreyfus, a souligné que la stratégie du « freemium » (25) avait été très bénéfique pour le journal Le Monde, dont le nombre d’abonnés numériques a été multiplié par quatre entre 2010 et 2016 (passant de 25 000 à près de 100 000), pour un prix moyen qui a doublé. Entre 2013 et 2016, les revenus de ce journal liés aux abonnements numériques ont triplé, passant de 5 à 15 millions d’euros environ.

M. Georges Sanerot, président de l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) a ajouté qu’en matière de développement de la presse française à l’international, la presse en ligne présentait d’importants atouts pour entreprises de presse « classiques ». Preuve en est que le groupe Bayard a récemment racheté un site d’information en ligne asiatique qui se situe dans la ligne éditoriale du journal La Croix qui, par ailleurs, compte désormais plus d’abonnements numériques que d’exemplaires papier vendus.

Le numérique a aussi permis de fidéliser ce lectorat auquel il est désormais proposé des contenus créatifs payants qui permettent aux entreprises de presse traditionnelles de s’affranchir de la logique du « tout gratuit » qu’elles avaient d’abord initiée. D’après M. Jérôme Fenoglio, directeur du journal Le Monde qui compte environ 100 000 abonnés numériques, ce lectorat nouveau est prêt à payer pour des supports de presse numériques qui diffusent des informations vérifiées. M. Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde, a ainsi indiqué que près de 70 % des quelque 8 000 jeunes qui se voient offrir un abonnement au journal à un euro pour une durée de six mois s’abonnent au tarif normal à l’expiration de ce délai. Selon lui, les pouvoirs publics devraient se pencher sur la conception d’un dispositif qui permettrait de montrer à la nouvelle génération la différence de qualité entre l’offre gratuite et l’offre payante.

Toutefois, d’après les réponses fournies par le ministère de la Culture et de la communication au questionnaire de la rapporteure, « la rentabilité des sites internet liés aux entreprises de presse n’est toujours pas avérée, même si, çà et là, quelques éditeurs affichent leur optimisme à ce sujet. Et celle des sites qui ne sont pas liés à un éditeur de presse [« pure players »] n’est pas non plus assise. […] L’enquête administrative annuelle lancée par la DGMIC sur les entreprises ayant pour activité un ou plusieurs services de presse en ligne ne produit pas à ce jour les résultats escomptés. […] Les seuls chiffres d’affaires disponibles liés aux services de presse en ligne sont ceux des recettes publicitaires globales de l’IREP [Institut de recherches et d’études publicitaires] qui montrent que, dans un contexte économique médiocre, […] l’ensemble du chiffre d’affaires en termes de recettes publicitaires “ internet ” ne progresse que de 3,7 % en 2014 et de 5 % en 2015 [tandis que] la presse est en recul de 5,9 % ».

La rapporteure tient en effet à rappeler que la viabilité économique de la presse en ligne reste aujourd’hui entravée voire menacée.

Sous réserve des annonces dont l’insertion doit être assurée par le Journal officiel de la République française ou par ses annexes, les annonces exigées par les lois et décrets sont insérées dans des journaux habilités à les recevoir dans chaque département. En effet, la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales a mis en place un système déconcentré permettant de multiplier les supports de publicité légale à un échelon local.

Sont susceptibles d’être habilités, en vertu de l’article 2 de cette loi, s’ils en font la demande, les journaux d’information générale, judiciaire ou technique, inscrits à la CPPAP, publiés dans le département ou comportant pour le département une édition au moins hebdomadaire et justifiant d’une vente effective par abonnements, dépositaires ou vendeurs, atteignant le minimum fixé, par arrondissement ou par département, par le décret n° 55-1650 du 17 décembre 1955 modifié.

En application de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, les annonces judiciaires et légales relatives aux sociétés et fonds de commerce, imprimées par les journaux habilités, sont, depuis le 1er janvier 2013, obligatoirement mises en ligne sur une base de données numérique centrale : « Actulegales.fr ». Le site propose à la consultation sur sa plateforme centrale, l’ensemble des annonces légales concernant la vie des entreprises, les sociétés et les fonds de commerce, parues dans la presse habilitée, depuis le 1er janvier 2010.

La constitution de cette base de données numérique centrale facilite l’accès du public à l’information légale publiée dans plus de 600 journaux locaux ou spécialisés et permet ainsi de mieux répondre aux attentes des acteurs de l’économie qui accèdent désormais à travers un point d’entrée unique à une base comprenant 4 millions d’annonces légales.

Un portail de la publicité légale des entreprises a été inauguré en 2016 : « www.pple.fr ». Il permet un accès numérique unique aux informations publiées par les trois grands supports de publicité légale que sont le BODACC (BODDAC.fr), le registre des greffes des tribunaux de commerce (Infogreffes.fr) et les journaux d’annonces légales (« Actulegales.fr »).

En dépit de cette vaste entreprise de numérisation des annonces judiciaires et légales, la presse en ligne ne peut pas diffuser ces annonces, alors que l’esprit de la loi du janvier 1955 précitée visait à assurer leur diffusion la plus large possible et que la diffusion de ces annonces par des journaux en ligne serait peut-être plus efficace que leur diffusion par les entreprises de presse « traditionnelles ». C’est une manne de près de 200 millions d’euros qui est aujourd’hui réservée aux éditeurs de la presse imprimée, dont certains voient leur chiffre d’affaires presqu’entièrement assuré par la diffusion de ces annonces.

Le SPIIL, qui, depuis sa création en 2009, milite pour l’égalité des droits et des devoirs entre la presse imprimée et la presse en ligne, a déploré la fermeture du marché des annonces judiciaires et légales aux éditeurs de la presse en ligne, qui, de son point de vue, est juridiquement fragile au regard du droit européen et qui, par ailleurs, empêche l’éclosion d’une presse numérique locale.

Outre cette entrave juridique au développement économique de la presse en ligne, il faut signaler les menaces qui pèsent sur ce dernier.

Comme indiqué plus haut, la dotation du fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse (FINP) devrait être épuisée d’ici la fin de l’année.

À partir de l’année prochaine, les éditeurs de presse français n’auront d’autre choix que de présenter leurs demandes de financements au « fonds Google européen », baptisé « Digital News Initiative » (DNI). Selon M. Antoine Laurent, directeur du FINP, ce fonds est l’outil que Google – qui tire près du quart de ses revenus de contenus créatifs – a proposé pour reconnaître ce que ce moteur de recherche doit à la presse qui fournit l’information qu’il référence.

Directement géré par Google, le fonds DNI n’a pas la même gouvernance que le FINP : les éditeurs de presse ne sont pas présents au sein de son conseil d’administration, de sorte que les griefs d’opacité et de collusion devraient perdre en légitimité. Le SPIIL a d’ailleurs loué ce mode de gouvernance, ainsi que l’ouverture du fonds « DNI » à la presse « non-IPG ».

Le fonds « DNI » a déjà lancé deux appels à projets : l’un au début de l’année 2016, l’autre est en cours. Son conseil d’administration est appelé à se prononcer sur tout financement compris entre 300 000 et un million d’euros.

Toutefois, il faut souligner que le fonds « DNI » n’est doté que de 150 millions d’euros sur trois ans (soit environ 50 millions d’euros par an) et que, étant ouvert à l’ensemble des éditeurs de presse européens, les éditeurs de presse français pourraient n’espérer des financements qu’à hauteur de 5 à 10 millions d’euros par an (au maximum) – sommes qui sont deux à quatre fois inférieures aux financements annuels du FINP.

Il est vrai que la presse en ligne connaît une forte vitalité éditoriale : les « pure players d’information » qui ont adopté le statut de SPEL et les « pur players de contenu » qui ne l’ont pas adopté et qui mêlent information et services commerciaux foisonnent. Mais il ne faut pas que ces initiatives s’essoufflent trop vite.

Quant aux sites qui constituent la déclinaison en ligne de titres de la presse écrite ou audiovisuelle, il semblerait qu’ils accusent encore un certain retard par rapport à leurs homologues américains, britanniques ou allemands.

Certaines des personnes entendues sont allées jusqu’à dire que, faute de stratégie clairement définie, les éditeurs de presse français auraient « raté le virage numérique » : après avoir proposé du « tout gratuit », un peu dans la panique, ils prendraient aujourd’hui conscience que la qualité éditoriale nécessite de générer des recettes sur les supports numériques qui ne peuvent plus être totalement gratuits, et ils reviendraient donc de plus en plus aux formules payantes, aux abonnements paywall (26) ou encore aux offres « freemium » qui mêlent du contenu gratuit, du contenu payant, du contenu en ligne et du contenu imprimé.

D’autres ont ajouté que cette stratégie « low cost » des grandes entreprises historiques de presse aurait créé l’image d’un journalisme numérique dégradé qui contribuerait au malaise ressenti dans la profession et qui contrasterait avec la stratégie qualitative de « pure players » comme Mediapart ou Rue89.

Sans faire siens ces propos, la rapporteure note, avec M. Jean-Marie Charon, qu’alors qu’aux États-Unis, ce sont les grandes entreprises de presse écrite qui développent des « pure players », en France, ces derniers sont lancés dans le cadre d’initiatives qui concurrencent les grandes entreprises de la presse écrite. De son point de vue, il faut que ces grandes entreprises de presse investissent davantage sur les questions d’innovation dans les arbitrages qu’elles font.

La rapporteure tient cependant à souligner que les grandes entreprises de presse « traditionnelles » ont fait des efforts significatifs pour investir dans le « multi-supports » au cours des dernières années, ce que le président de l’AIPG, M. Georges Sanerot, a tenu à rappeler. Par exemple, le journal Le Monde, qui a créé son site d’information en ligne en 1995, est désormais également largement présent sur les réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat et il compte près de 6 millions de « followers » sur Twitter et près de 3 millions de « fans » sur Facebook. D’après le rapport de Mme Laurence Franceschini sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse (27), au cours des trois dernières années, les entreprises de la presse quotidienne nationale ont investi environ 75 millions d’euros dans le numérique, qu’il s’agisse d’investissements aidés ou non.

Face aux défis du numérique, les entreprises de presse « traditionnelles » ont donc pris leur transformation en main et, d’après M. Denis Bouchez, directeur général de l’AIPG et directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), les aides à la presse y ont largement contribué. Certes, les aides directes, dont le montant total avoisine 250 millions d’euros, sont relativement faibles, mais elles sont, selon lui, efficaces.

Néanmoins, il semblerait que les entreprises de presse « historiques » soient encore en retard par rapport à leurs homologues étrangères, notamment dans leur capacité à penser d’un point de vue éditorial les différents contenus pour les différents supports (smartphones, tablettes, etc.) et à les adapter à la chronologie de la consommation des lecteurs (smartphones en journée, tablettes ou imprimé en soirée).

À l’heure où le groupe de presse allemand Springer se lance dans l’acquisition d’entreprises françaises oeuvrant dans le domaine du numérique, les éditeurs de presse français ne regarderaient pas assez ce qui se fait à l’étranger, d’après M. Jean-Marie Charon. Selon lui, la nouvelle entreprise de presse « multi-supports » doit réinventer un modèle éditorial. Au Guardian, toute la rédaction travaille à un moment de la journée pour le support numérique, à un autre pour le support participatif (blogs, etc.) et à un autre pour le support papier.

Mais la rapporteure a pu constater qu’un journal comme Le Monde avait entrepris de repenser entièrement l’organisation de sa rédaction pour l’adapter aux différentes temporalités que le numérique imprime à l’information : le journal s’est doté d’un petit bureau à Los Angeles qui, en journée, couvre les informations qui, en France, parviennent la nuit. Une équipe a été dédiée à l’application « La Matinale » qui, lancée en 2015, et conçue sur le modèle de l’application de rencontres Tinder, offre chaque jour au lecteur des contenus éditoriaux sélectionnés par la rédaction pour lui permettre de démarrer sa journée en faisant un point sur l’actualité et les événements à venir.

Outre son modèle éditorial, la nouvelle entreprise de presse « multi-supports » doit réinventer son modèle économique : son système de ressources n’est plus le même, avec le développement de la gratuité et l’adaptation du contenu traditionnel au jeune public. Seuls 10 % des 15-24 ans lisent la presse écrite traditionnelle (contre 20 % il y a dix ans). Par ailleurs, il est difficile de ramener le public vers le payant : il faut pour cela lui donner des informations qu’il ne trouve pas ailleurs (personnalisation de l’information).

Outre que le micropaiement (28) ne produirait pas les résultats escomptés, les stratégies de monétisation de l’information seraient presque toutes basées sur l’abonnement. Or, aujourd’hui, le lecteur fait d’abord des recherches « horizontales » sur des moteurs de recherche avant de s’intéresser ensuite au contenu d’un média.

Sans doute faut-il imaginer que la presse développe ses activités dans le domaine des services hors-médias. Il a été indiqué à la rapporteure que le tiers du chiffre d’affaires du journal Le Télégramme provient aujourd’hui de services, surtout ancrés dans le territoire de diffusion du journal (événements, services de la start-up « regionsjob », etc.). Le quart du chiffre d’affaires du journal Les Échos proviendrait de services ancrés dans le domaine de spécialisation du journal (salons, colloques, etc.). Le journal Le Figaro aurait investi dans un service de météorologie marine très rentable. Le journal Le Monde s’est quant à lui lancé dans l’organisation de colloques, d’événements et de débats qui permettent de générer des ressources publicitaires complémentaires.

Car c’est bien la baisse de ses ressources publicitaires qui menace le plus le modèle économique de la presse en ligne. La perte de recettes publicitaires sur les supports physiques de la presse écrite n’est aujourd’hui pas compensée par la progression de ses recettes sur les supports numériques, notamment parce que les recettes publicitaires sur ces derniers supports sont plus faibles que sur les premiers.

D’après le rapport de Mme Laurence Franceschini sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, s’il est vrai qu’en 2015, la lecture de la presse quotidienne nationale s’effectuait à 59 % sur des supports numériques, et s’il est vrai que le chiffre d’affaires numérique pour la presse quotidienne nationale a augmenté de 30 millions d’euros en deux ans, il n’en reste pas moins que cela ne compense pas les pertes réalisées par cette presse sur ses supports physiques (48 millions d’euros).

La baisse des ressources publicitaires impacte non seulement la presse nationale, mais aussi la presse régionale, qui représente près du tiers de la presse d’IPG en ligne, et dont la part des ressources publicitaires dans son chiffre d’affaires est passée de la moitié au tiers en l’espace d’une dizaine d’années. Sur des ressources publicitaires évaluées à environ 718 millions d’euros en 2015, seuls 80 millions d’euros proviennent des supports numériques. Si, entre 2013 et 2015, le chiffre d’affaires provenant des supports numériques de la presse quotidienne régionale a progressé de 24 millions d’euros, cela ne compense pas la baisse de 38 millions d’euros du chiffre d’affaires réalisé sur les supports imprimés.

D’après les réponses fournies par le ministère de la Culture et de la communication au questionnaire de la rapporteure, « l’internet demeure une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse écrite et ne compense pas les pertes de revenus traditionnels du secteur. En 2015, l’ensemble du chiffre d’affaires lié aux services dématérialisés parvient difficilement à dépasser les 5 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des 300 plus importants éditeurs de presse écrite (5,05 %) ». Toutefois, le ministère note que « les résultats progressent d’une année sur l’autre pour l’ensemble des catégories » de presse et que « les chiffres détaillés par catégories de presse montrent que la presse technique professionnelle et la presse gratuite d’annonces affichent des résultats remarquables, bien supérieurs à la moyenne observée (respectivement 24,6 % et 64,0 % en 2015) ».

S’il est vrai que le journal d’information indépendant et participatif Mediapart tire 98 % de ses recettes des abonnements (29) et qu’il ne dispose d’aucune ressource publicitaire, l’enjeu de la faiblesse des ressources publicitaires est crucial pour d’autres « pure players », qui, à l’instar du Huffington Post, tirent près de 80 % de leurs recettes de la publicité.

Le directeur de la rédaction de ce journal en ligne, M. Paul Ackermann, a estimé qu’aujourd’hui, les ressources publicitaires de son journal n’étaient pas à la hauteur de son audience, en raison principalement de la captation de ces ressources par les « infomédiaires » comme Google et Facebook.

En effet, le recul des ressources publicitaires depuis la fin des années 1990 n’est pas accidentel : il témoigne d’une réelle transformation en profondeur du modèle économique de la presse. Les « infomédiaires » prélèvent aujourd’hui une bonne part de la ressource publicitaire. Selon M. Philippe Di Marzio, directeur de l’Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP), le volume du marché publicitaire de la presse a été divisé par deux en moins de dix ans. M. Denis Bouchez évalue à un milliard d’euros le volume de recettes publicitaires que le secteur de la presse a perdu au bénéfice des infomédiaires. Les ressources publicitaires annuelles de Google représenteraient environ 2 milliards d’euros : c’est, globalement, le montant du chiffre d’affaires publicitaire de l’ensemble de la presse en France.

Les recettes ont été transférées vers des infomédiaires qui utilisent par ailleurs largement les contenus des éditeurs de presse, car il ne fait guère de doute que l’usage régulier d’informations sur un smartphone contribue fortement à la marge des acteurs technologiques.

À cela s’ajoute le développement de « crawlers », robots d’indexation reposant sur des logiciels qui explorent automatiquement internet pour en collecter les ressources et qui indexent les contenus de presse, les archivent, les agrègent et les diffusent sous forme de « panoramas de presse » structurés auprès de leurs propres clients. D’après une étude citée par Mme Laurence Franceschini dans son rapport sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, on évalue à 163 millions d’euros le marché mondial des ventes de panoramas de presse. Et sur ce marché, les éditeurs de presse ne capteraient que 13 % de la valeur créée. En France, la même étude chiffre à 31 millions d’euros le marché des « panoramas de presse » et les éditeurs de presse ne perçoivent aucune rémunération. Outre des questions de légalité, le développement des « crawlers » et de leurs « panoramas de presse » posent une question d’équité concurrentielle entre, d’un côté, ceux qui investissent dans la production d’un contenu original (les éditeurs de presse) et, de l’autre, ceux qui réutilisent et redistribuent ce contenu, souvent sans autorisation préalable ni rémunération des premiers, tout en en retirant des bénéfices commerciaux.

Le GESTE, qui fédère les principaux professionnels éditeurs en ligne, tous horizons confondus, a également pointé les conséquences du développement des « ad-blocks », logiciels qui bloquent la publicité téléchargeable dans certains navigateurs ou présente dans certains anti-virus, au nom d’un modèle économique de gratuité. S’ils ne veulent pas voir la publicité qu’ils diffusent bloquée, les éditeurs de presse en ligne doivent donc payer. Or, dans le même temps, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a demandé, sous peine d’amende, de ne pas déposer de « témoins de connexion » (ou « cookies ») sur la page d’arrivée des sites internet, et notamment de ceux de la presse en ligne, avant que l’internaute n’y ait consenti. Or, techniquement, il semble que le dépôt d’un témoin de connexion sur la page d’arrivée des sites soit indispensable à la diffusion de publicités sur ces derniers. Les exigences de la CNIL pourraient donc conduire à une baisse de 20 % des recettes publicitaires de la presse en ligne. Ces exigences semblant exceptionnelles au sein de l’Union européenne, la CNIL a toutefois examiné l’idée d’un moratoire afin d’examiner les pratiques de ses homologues européens.

En somme, différents facteurs se combinent pour accentuer la baisse des ressources publicitaires des éditeurs de presse en ligne, qui perdent aujourd’hui le contrôle de la diffusion de leurs contenus au profit des infomédiaires qui proposent des actualités et des contenus informatifs et qui captent les ressources publicitaires.

Si des partenariats peuvent se nouer – les infomédiaires pouvant par exemple acheter des flux d’actualité auprès d’agences de presse ou rémunérer des contenus consultés via une plateforme d’échange – il n’en demeure pas moins que la relation entre les infomédiaires, qui sont des acteurs d’envergure internationale, et les éditeurs de presse (notamment en ligne) est profondément déséquilibrée. Les moyens d’innovation des « infomédiaires » sont aujourd’hui sans comparaison avec ceux de la presse, qui a besoin de s’adapter rapidement aux technologies sans cesse renouvelées des infomédiaires (30).

Dans un contexte de très fort repli des ressources publicitaires, la question de la sécurisation du modèle économique de la presse en ligne et de sa transformation se pose avec une particulière acuité.

Or, il semble que ce ne soit qu’au niveau international (et notamment européen) que l’on peut inciter les infomédiaires à changer leur attitude à l’égard de la presse.

Face à l’interposition d’infomédiaires entre les éditeurs de presse et leur public, la reconnaissance d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, et notamment pour les éditeurs de presse en ligne, pourrait être une piste pour assurer une meilleure viabilité économique à la fois aux entreprises de presse écrite qui développent des sites d’information et aux services de presse « tout en ligne » (« pure players »).

M. Denis Bouchez, directeur général de l’AIPG et directeur du SPQN, a estimé nécessaire d’œuvrer à la définition d’un « pacte de non-agression » entre deux types d’acteurs (les infomédiaires, acteurs technologiques, d’une part, et les éditeurs de presse, d’autre part) qui ont besoin les uns des autres, car les moteurs de recherche et les réseaux sociaux ont besoin de rafraîchir leurs contenus avec les contenus des éditeurs de presse et ces derniers ont besoin des premiers pour assurer une diffusion optimale à leurs contenus.

Or, de ce point de vue, l’année 2016 marque une étape qui, à l’échelle européenne, pourrait contribuer à « faire bouger les lignes ».

Dans le cadre des réflexions sur la révision de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la Commission européenne a lancé, le 23 mars 2016, une consultation publique sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur.

Dans ce cadre, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a demandé à Mme Laurence Franceschini, conseillère d’État, de conduire une réflexion sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse.

Dans le rapport qu’elle a présenté en juillet dernier en conclusion des travaux de cette mission, Mme Laurence Franceschini a préconisé la création, au niveau européen, d’un droit voisin spécifique aux éditeurs de presse et portant sur un droit de reproduction lié aux seuls usages numériques et sur un droit de mise à disposition du public (31).

En effet, constatant que les instruments juridiques dont les éditeurs de presse sont aujourd’hui dotés dans le domaine physique (droit des marques et de la responsabilité civile) sont inefficients dans le domaine numérique, dans la mesure où ces éditeurs ont un droit sur l’œuvre collective que constitue le titre de presse dans son ensemble, mais pas sur l’utilisation de chaque article ou partie d’article considéré(e) isolément, alors qu’aujourd’hui la concurrence se joue davantage entre articles qu’entre titres de presse, Mme Laurence Franceschini a jugé nécessaire de reconnaître aux éditeurs de presse un droit voisin qui serait la contrepartie économique des prises de risques et des investissements importants que nécessite le développement du numérique (infographies, production de contenus « live », vidéos, marketing, etc.). Alors que le droit d’auteur (des journalistes notamment) rémunère la création, le droit voisin (des éditeurs de presse) rémunérerait l’investissement.

Les dispositifs reconnaissant des droits voisins aux artistes-interprètes, aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle lui semblent transposables aux éditeurs de presse. En effet, les droits voisins étant consubstantiels de l’évolution des techniques et trouvant leur raison d’être dans l’investissement que les entreprises effectuent, la question de leur instauration au bénéfice des éditeurs de presse se pose, compte tenu des investissements qu’ils réalisent et de l’utilisation du contenu de la presse liée au numérique.

Selon Mme Laurence Franceschini, le droit voisin qu’elle appelle à reconnaître aux éditeurs de presse ne doit pas être conçu comme un droit d’interdire la diffusion de contenus, mais plutôt comme un moyen de négocier, qui fait aujourd’hui cruellement défaut aux entreprises de presse. Le droit voisin peut très bien ne pas être exercé : son titulaire peut consentir à ne bénéficier d’aucune rémunération. Mais il faut au moins offrir aux éditeurs de presse les moyens de changer la donne et de lutter à armes égales avec les grands infomédiaires extra-européens, dans le cadre d’une concurrence équitable.

Ce droit voisin n’a pas vocation à être institué pour préjudicier aux journalistes car tout ce qui peut permettre de défendre le contenu des titres de presse peut avoir une retombée positive pour les journalistes. Mme Laurence Franceschini a tenu à souligner qu’il était d’ailleurs tout à fait concevable qu’une fois établi le bilan de la rentabilité du droit voisin pour les éditeurs de presse, des négociations soient engagées pour envisager une éventuelle évolution de la rémunération des journalistes.

Comme Mme Laurence Franceschini, la rapporteure tient à rassurer les sociétés de journalistes, et notamment le syndicat national des journalistes (SNJ) et à souligner que la création, au profit des éditeurs de presse, d’un droit voisin sur la reproduction liée aux seuls usages numériques et sur la mise à disposition du public ne remet pas en cause le droit d’auteur des journalistes ni l’équilibre défini entre éditeurs de presse et journalistes au sujet de ce dernier. L’article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose d’ailleurs expressément que « les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs » et qu’« en conséquence, aucune disposition [du titre qui leur est consacré] ne doit être interprétée de manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires ».

Les droits d’auteur des journalistes

Issus de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, les articles L. 132-35 à L. 132-45 du CPI encadrent les droits d’auteur des journalistes pour l’exploitation de leurs œuvres.

Ces dispositions prévoient une première exploitation des œuvres des journalistes sur tous les supports d’un même titre de presse, durant une période déterminée par accord collectif, dite « période d’actualité » car elle tient compte de la périodicité du titre. Cette exploitation est rémunérée par le versement du seul salaire.

À l’issue de cette période, toute nouvelle exploitation fait l’objet soit d’une majoration salariale, soit du versement de droits d’auteur aux journalistes.

Dans le même sens, toute exploitation par un même groupe de presse au sein « d’une famille cohérente de presse » – notion définie par accord collectif – ouvre également droit à rémunération complémentaire.

Enfin, sous réserve de l’accord préalable et exprès du journaliste, toute cession à un tiers de son œuvre par l’organe de presse dont relève son titre doit ouvrir droit à versement de droits d’auteur.

Par ailleurs, l’article L. 132-45 du CPI prévoit un régime dérogatoire pour les journalistes pigistes auteurs d’images fixes en conditionnant, en ce qui les concerne, l’application du régime de cession légale des droits d’auteur au profit des éditeurs de presse à la conclusion d’un accord de branche déterminant le salaire minimum de ces journalistes.

Il a été indiqué à la rapporteure que le Gouvernement avait repris à son compte la proposition de Mme Laurence Franceschini de créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse, tout en ayant conscience des difficultés :

– d’une part, à convaincre les journalistes que ce droit voisin ne réduit en rien leur droit d’auteur ;

– d’autre part, à définir les moyens de surmonter le rapport de force entre les infomédiaires (et notamment Google) et les éditeurs de presse.

À cet égard, les expériences espagnole et allemande ont été plutôt décevantes. En Allemagne, une loi de 2013 a reconnu un droit voisin aux éditeurs de presse mais sa mise en œuvre reste aujourd’hui théorique car Google a refusé de négocier avec les éditeurs de presse qui demandaient à bénéficier de 6 % à 11 % du chiffre d’affaires réalisé avec leurs contenus. Déboutés de leurs actions contre Google tant par l’autorité allemande de la concurrence, que par l’office allemand des brevets et des marques ou par le tribunal régional de Berlin, nombre d’éditeurs de presse allemands ont fini par accorder à la société américaine une licence gratuite mais révocable pour l’utilisation de leurs contenus.

En Espagne, une loi de 2014 a prévu que les agrégateurs de contenus devraient verser aux éditeurs de presse une rémunération équitable gérée collectivement. Mais Google a fermé son service Google News en Espagne dès décembre 2014, et à ce jour, aucune rémunération n’a été versée aux éditeurs de presse, les décrets d’application de la loi de 2014 n’ayant pas été pris par le gouvernement espagnol.

Le directeur du fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse, M. Antoine Laurent, a fait remarquer qu’au Brésil, tous les éditeurs de presse se sont retirés de Google News d’un commun accord, ce qui n’a pas pour autant bouleversé le marché ni apporté auxdits éditeurs des recettes publicitaires supplémentaires liées aux abonnements.

Cependant, la rapporteure estime que la « fenêtre de tir » ouverte par la Commission européenne à l’occasion de la révision de la directive sur les droits d’auteur et les droits voisins doit être saisie pour consacrer, au niveau européen, la reconnaissance, au profit des éditeurs de presse, d’un droit voisin.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’est orientée la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique que la Commission européenne a publiée, le 14 septembre dernier (32).

La Commission estimant qu’« un partage équitable de la valeur est également nécessaire pour garantir la viabilité du secteur des publications de presse » et relevant que « les éditeurs de presse ont des difficultés à accorder des licences portant sur l’utilisation en ligne de leurs publications et à obtenir une part équitable de la valeur générée » et que « cette situation pourrait avoir, à terme, des répercussions négatives sur l’accès des citoyens à l’information », la proposition prévoit « un nouveau droit pour les éditeurs de presse en vue de faciliter la concession de licences portant sur l’utilisation en ligne de leurs publications, le recouvrement de leurs investissements et le respect effectif de leurs droits ».

Le considérant n° 32 de la proposition de directive précise qu’il est « nécessaire d’assurer au niveau de l’Union une protection juridique harmonisée des publications de presse (33)à l’égard des utilisations numériques » et que « cette protection devrait être assurée de manière efficace par l’introduction, dans le droit de l’Union, de droits voisins du droit d’auteur pour la reproduction et la diffusion auprès du public de publications de presse dans le cadre des utilisations numériques » (34).

Les droits conférés aux éditeurs de publications de presse en vertu de la directive devraient avoir, en ce qui concerne les utilisations numériques, la même portée que les droits de reproduction et de mise à disposition du public institués dans la directive 2001/29/CE, avec les mêmes exceptions et les mêmes limitations (notamment l’exception de citation à des fins de critique ou de revue). L’article 11 de la proposition de directive prévoit en effet que « les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse ». Cet article ajoute que les droits voisins des éditeurs de presse devraient expirer vingt ans après la diffusion de la publication de presse (35) – durée qui serait « calculée à partir du 1er janvier de l’année suivant la date de publication ».

Aussi bien les représentants du SPIIL que ceux du GESTE, du SPQR et du SPQN se sont félicités de la création d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse à l’échelle de l’Union européenne : tous ont jugé vital de mettre fin à la captation des revenus de ceux qui créent les contenus tout en supportant les charges.

Le directeur du SPQN, M. Denis Bouchez, a estimé qu’il s’agissait là d’un changement d’approche essentiel qui modifie profondément la donne si le droit est désormais reconnu aux éditeurs de presse de décider, ex ante, de céder leurs contenus (à titre gratuit ou onéreux) ou de ne pas les céder.

De son côté, le président de l’AIPG, M. Georges Sanerot, a expliqué qu’il était légitime de protéger non seulement le contenu des titres de presse par les droits d’auteur des journalistes, mais également les titres de presse eux-mêmes en tant que contenants, dans la mesure où il y a, dans l’agencement de l’information et dans la singularité du traitement éditorial, un acte de création qui mérite d’être protégé.

Au sujet de l’articulation entre les droits d’auteur des journalistes et les droits voisins des éditeurs de presse, la rapporteure souligne que le considérant n° 35 de la proposition de directive énonce expressément que « la protection accordée aux éditeurs de publications de presse en vertu de la présente directive ne devrait pas porter atteinte aux droits des auteurs et autres titulaires de droits à l’égard des œuvres et autres objets protégés intégrés dans ces publications, notamment en ce qui concerne la mesure dans laquelle les auteurs et autres titulaires de droits peuvent exploiter leurs œuvres ou autres objets protégés indépendamment de la publication de presse dans laquelle ils sont intégrés. Par conséquent, les éditeurs de publications de presse ne devraient pas pouvoir opposer aux auteurs et autres titulaires de droits la protection qui leur est accordée. Cet élément est sans préjudice des modalités contractuelles fixées entre les éditeurs de publications de presse, d’une part, et les auteurs et autres titulaires de droits, d’autre part ».

L’article 11 de la proposition de directive dispose explicitement que les droits reconnus aux éditeurs de presse pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse « laissent intacts et n’affectent en aucune façon les droits conférés par le droit de l’Union aux auteurs et autres titulaires de droits, à l’égard des œuvres et autres objets protégés inclus dans une publication de presse. Ces droits sont inopposables aux auteurs et autres titulaires de droits et, en particulier, ne sauraient les priver de leur droit d’exploiter leurs œuvres et autres objets protégés indépendamment de la publication de presse dans laquelle ils sont inclus ».

Le considérant n° 33 de la proposition de directive précise par ailleurs que la protection instituée au bénéfice des éditeurs de presse « ne s’étend pas aux actes de création de liens hypertextes qui ne constituent pas une communication au public ».

Cela correspond à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Dans un arrêt « Svensson » du 13 février 2014, la CJUE a en effet estimé que la fourniture sur un site internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site internet ne constituait pas un acte de communication au public. Dans une ordonnance « Bestwater » rendue le 21 octobre de la même année, la CJUE a considéré que le seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur un site internet soit insérée sur un autre site internet au moyen d’un lien utilisant la technique de la « transclusion » (36) ne pouvait être qualifié de « communication au public » dès lors que l’œuvre en cause n’était ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine. Plus récemment, dans un arrêt « GS Media », rendu le 8 septembre dernier, la Haute juridiction a rappelé le principe énoncé dans son arrêt « Svensson » tout en précisant que le public des internautes ne peut être regardé comme un public unique que pour autant que les titulaires de droits ont autorisé la première mise à disposition sur internet et que l’accès aux contenus litigieux n’est pas soumis à des mesures restrictives (37).

La réserve des liens hypertexte correspond également aux préconisations de Mme Laurence Franceschini qui, dans son rapport, avait jugé nécessaire de ne pas inclure les activités d’indexation ou de référencement par les moteurs de recherche qui revoient sur le site de l’éditeur de presse et lui permettent donc d’augmenter son audience.

Cette réserve devrait également être de nature à apaiser les inquiétudes de plusieurs des personnes entendues. Tant M. Denis Bouchez que les représentants du SPIIL et de la FNPS ont jugé essentiel de ne pas « verrouiller » les liens hypertexte sans transclusion (sans affichage du contenu des articles) en les soumettant à autorisation et/ou à rémunération. En revanche, la FNPS estime que la création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse pourrait être une réponse aux questions soulevées par les liens hypertextes avec transclusion (et donc avec affichage du contenu des articles sans intervention de l’internaute), ou par les panoramas de presse affichant le contenu des articles agrégés. Le SPIIL s’est en revanche montré plus réservé au sujet de cette solution.

Sans se prononcer pour ou contre la création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse, le directeur du fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique, M. Antoine Laurent, a jugé que le lancement de cette réflexion au niveau européen était intéressante car elle permet de penser la façon dont doit s’opérer le partage des richesses créées par l’information sur internet. Cette démarche nouvelle traduit selon lui un changement d’état d’esprit qui conduit à ne plus exclure purement et simplement toute reconnaissance aux éditeurs de presse.

Toutefois, il a estimé impératif d’éviter que des liens hypertextes sans transclusion ne donnent lieu à autorisation préalable et/ou à rémunération – sous peine d’entraver complètement la circulation de l’information sur internet. Il a expliqué que Google militait au contraire pour un internet ouvert, sur le modèle de Google News, où tout un chacun peut partager des liens. À cet égard, il a fait savoir que Google préférerait la constitution de fonds « sur mesure », plutôt qu’un dispositif uniforme à l’échelle de l’Union européenne.

Le modèle économique des agences de presse, qui emploient près de 10 000 salariés, est fortement contraint par l’interdiction que leur fait leur statut de faire de la publicité pour des tiers et par l’obligation que ce même statut leur impose de tirer au moins la moitié de leur chiffre d’affaires de leurs relations avec des médias – dont elles se trouvent donc largement dépendantes, alors que, dans le même temps, l’AFP mise à part, elles ne bénéficient que d’un seul type d’aides : celles du FSDP qui n’a financé que 7 projets d’agences de presse en 2012, 11 en 2013 et un seul en 2014.

Or les médias recourent de moins en moins aux agences de presse (n’hésitant pas, pour quelques-uns, à contracter avec des entreprises contrefactrices) et, par contrecoup, les banques, conscientes de la réduction de la clientèle des agences de presse, leur prêtent de moins en moins.

Et d’autres médias paient de plus en plus tardivement les services des agences de presse – au point que l’une d’entre elles a dû déposer le bilan en raison de retards de paiement. Il a été indiqué à la rapporteure que de nombreux titres de presse renommés avaient des délais de paiement allant de deux mois et demi à un an, au mépris des dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce (38). L’AFP, qui compte parmi ses clients la quasi-totalité des titres d’information du pays, a confirmé qu’une bonne partie d’entre eux se mettait dans des situations de délais de paiement très longs, ce qui crée des difficultés de trésorerie qui mobilisent la force commerciale pour le recouvrement des créances au détriment de la prospection pour l’identification de nouvelles recettes.

Les représentantes de la Fédération française des agences de presse (FFAP) ont donc demandé à ce que les aides à la presse soient conditionnées au respect, par les éditeurs de presse, de leurs obligations légales et réglementaires (notamment en matière de délais de paiement) ainsi que d’un certain nombre de bonnes pratiques, comme le fait de s’abstenir de contracter avec des entreprises qui contrefont la production des agences de presse.

Le ministère de la Culture et de la communication a apporté une réponse à cette difficulté en imposant la conclusion de conventions-types. À la suite du décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), qui a institué le principe de conventions-cadres triennales destinées à établir un cadre pour les relations entre l’État et les entreprises de presse, notamment au regard des subventions reçues du FSDP, le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a renforcé la conditionnalité des aides en prévoyant que les conventions passées entre l’État et les bénéficiaires devraient comprendre des engagements dont le non-respect serait sanctionné par la suspension voire la suppression des aides directes (dans la limite de 30 % de leur montant total annuel).

Ces engagements porteraient à la fois sur des questions sociales internes à l’entreprise de presse et des questions sociales externes à celle-ci, comme les pratiques adoptées à l’égard des agences de presse et des photojournalistes. À ce sujet, les représentants de la presse quotidienne nationale et de la presse d’information politique et générale, qui semblent avoir mal vécu cette initiative, se sont montrés convaincus de l’exigence d’exemplarité en matière de respect des obligations légales et réglementaires, notamment en matière de délais de paiement, mais plus réservés sur l’exigence d’engagements supplémentaires, notamment à caractère déontologique. Ce sentiment semble partagé par les représentants de la presse quotidienne régionale.

Un projet de convention-type a été présenté aux syndicats de presse au début du mois d’octobre. Les conventions-types devraient être signées d’ici la fin de l’année avec les groupes de presse dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 million d’euros.

Au-delà, on pourrait imaginer, comme les représentants de la FFAP et de l’AFP en ont formulé le souhait, que les agences de presse soient inclues dans le champ de réflexion des institutions européennes sur la création d’un droit voisin. Si le rapport de Mme Laurence Franceschini n’aborde pas cette question, le sénateur David Assouline a récemment déposé une proposition de loi en ce sens (39)

Il est vrai que le statut des agences de presse n’existant qu’en France, l’idée peut, de prime abord, sembler difficile à faire accepter à nos partenaires européens.

Mais, comme l’ont fait valoir les représentants de l’AFP, la distinction entre éditeurs et agences de presse ne va pas de soi quand on sait que ces entreprises travaillent dans des cadres similaires et qu’elles sont économiquement interdépendantes. Qui plus est, les agences de presse sont soumises aux mêmes risques de captation de la valeur par les infomédiaires que ceux auxquels sont exposés les éditeurs de presse, voire peut-être davantage encore car, une fois que leurs contenus sont utilisés par leurs clients, elles perdent tout contrôle sur eux. Lors de son audition, le président de l’AFP, M. Emmanuel Hoog, a appelé le législateur à engager un travail de mise en convergence des dispositifs applicables aux éditeurs et aux agences de presse, rappelant que ces dernières étaient restées totalement à l’écart du décret du 26 août 2016, alors qu’il n’y a pas de raison d’opérer de telles discriminations sur des questions relatives aux aides à l’innovation.

Les représentants de l’AFP ont ajouté qu’il était pour le moins paradoxal qu’à l’heure où ses dépêches sont plus que jamais consultées sur internet, l’agence ne profitait pas (ou du moins pas à hauteur de ce que l’on pourrait attendre) de ces effets de référencement et de notoriété.

Le manque à gagner qui résulte de la captation de la rentabilité du contenu original par des infomédiaires qui, eux, ne produisent pas du tout de contenu, finit par mettre en danger les producteurs du contenu original.

Or la multiplicité des agences de presse, et donc des sources d’informations, est tout aussi essentielle au pluralisme des médias que la diversité des éditeurs de presse. Attentive au sort des agences de presse, la rapporteure estime qu’il faut être inventif pour leur avenir, ce qui peut se traduire par leur association aux réflexions de la Commission européenne sur la création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse.

Dans le cadre de la révision de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la Commission européenne a lancé, le 25 juillet 2016, une consultation publique relative au taux de TVA réduit applicable aux publications fournies par voie électronique, s’interrogeant sur l’opportunité d’un alignement de la TVA pour la presse et le livre.

En France, la loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, adoptée à l’unanimité des deux assemblées, applique, depuis le 1er février 2014, un taux super-réduit de TVA aux services de presse en ligne – taux de 2,1 % en métropole, identique à celui applicable à la presse imprimée reconnue par la CPPAP (40).

Comme le Gouvernement, le Parlement était convaincu de la nécessité de mettre un terme à une situation contraire au principe de neutralité fiscale qui était par ailleurs consacré de façon constante par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait de mettre fin à une distorsion lourdement handicapante pour l’équilibre économique et le développement numérique des acteurs de la presse.

Cette mesure, que la Commission européenne a jugée contraire au principe de taxation au taux normal des services électroniques, a fait l’objet d’une procédure pré-contentieuse. Néanmoins, le Gouvernement a continué de mener des démarches de conviction résolue en direction de la Commission européenne et de ses partenaires européens, pour faire évoluer la directive TVA afin d’assurer une stricte neutralité fiscale entre biens culturels physiques et biens culturels fournis en ligne.

Or, la position de la Commission européenne sur la question semble évoluer. Dans sa stratégie sur le marché unique numérique, rendue publique le 11 mai 2015, la Commission a annoncé « vouloir prendre en compte la révolution numérique dans un cadre législatif ».

Le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’union douanière, M. Pierre Moscovici, a annoncé une perspective d’alignement des taux de TVA applicables aux supports physiques et numériques, tant pour le livre que pour la presse. D’après ce que le directeur général des médias et des industries culturelles, M. Martin Ajdari, a indiqué à la rapporteure, l’extension du taux de TVA super-réduit de 2,1 % à la presse en ligne a été reconnue comme étant une démarche légitime par le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker.

Dans les documents que le ministère de la Culture et de la communication a adressés à la rapporteure en réponse à son questionnaire, il est indiqué que « le Gouvernement se félicite de ces évolutions et appuie le souhaite de faire évoluer la directive TVA ». Cette position est confirmée par le projet annuel de performances (PAP) qui est annexé au présent projet de loi de finances et intitulé « Médias, livres et industries culturelles », et dans lequel il est écrit que « la France continue, comme l’ensemble de la presse et plusieurs partenaires européens dont l’Allemagne, de plaider pour une harmonisation à la baisse du taux sur les services de presse en ligne dans la directive européenne TVA » (41).

Toutefois, cela implique de poursuivre une œuvre de conviction auprès des autres États membres de l’Union européenne puisque l’article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que les directives en matière d’impôts indirects doivent être adoptées à l’unanimité par le Conseil, après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social européen.

Si le Gouvernement a, dans le cadre de la consultation publique de la Commission européenne qui s’est achevée le 19 septembre dernier, rappelé sa position constante, il n’en demeure pas moins que la France fait partie d’un groupe d’États favorables à l’application d’un taux de TVA super-réduit à la presse qui est aujourd’hui minoritaire au sein de l’Union européenne.

Il est donc important que le Gouvernement défende activement la généralisation, à l’échelle de l’Union, d’un taux de TVA super-réduit pour l’ensemble des formes de presse, écrite comme numérique.

Historiquement, les agences de presse bénéficiaient d’un taux de TVA réduit à 5,5 %. En 2012, ce taux a été porté à 7 %. Depuis le 1er janvier 2014, ce taux est désormais fixé à 10 %.

D’après la FFAP, le chiffre d’affaires total des quelque 247 agences de presse agréées par la CPPAP s’est établi en 2014 à 710 millions d’euros, alors qu’il était en 2011 de 755 millions d’euros pour 296 agences agréées. Cela représente un baisse de 6 % du chiffre d’affaires et de 16 % du nombre d’agences qui ont disparu soit du fait de liquidations et de cessations d’activité soit de radiations par la CPPAP en raison de chiffres d’affaires « médias » insuffisant – le statut des agences de presse leur imposant de tirer au moins la moitié de leur chiffre d’affaires de leurs relations avec des médias. S’agissant des agences « photo », leur chiffre d’affaires s’élevait en 2014 à 110 millions d’euros, pour 65 sociétés. Le nombre d’agences « photo » a chuté de 27 % en cinq ans.

L’AFP mise à part, les agences de presse ne bénéficient que très peu d’aides publiques (étant éligibles aux seules aides du FSDP). Si une bonne partie du chiffre d’affaires des agences de presse est réalisée auprès de médias qui récupèrent la TVA, près de 20 % de ce même chiffre d’affaires (soit environ 142 millions d’euros) provient de clients qui ne récupèrent pas la TVA (radios associatives, collectivités locales, État…).

Tant les représentants de la FFAP que ceux de l’AFP ont signalé que le taux de TVA applicable aux agences depuis le 1er janvier 2014 était une véritable difficulté. Le passage du taux de TVA à 10 % a par ailleurs pu inciter certains de leurs clients – qui ont, eux, bénéficié d’une baisse du taux de la TVA qui leur est applicable – à renégocier à la baisse les tarifs pratiqués par les agences.

Les agences de presse sont aujourd’hui les seuls acteurs du secteur de la presse pour lesquels le taux de TVA a augmenté, dans un contexte de dégradation très forte de leur situation économique qui pourrait menacer le traitement de l’information et son pluralisme.

La rapporteure recommande donc de saisir l’occasion de la révision de la directive relative à la TVA pour réexaminer le taux de TVA applicable aux agences de presse. D’après la FFAP, le retour à un taux réduit de TVA de 5,5 % pour les agences de presse ne représenterait pour l’État qu’un manque à gagner de 7 millions d’euros qu’il mettre en balance avec la baisse des recettes pour l’État qu’engendrent l’appauvrissement et la baisse d’activité des agences de presse consécutifs à l’augmentation du taux de TVA qui leur est applicable.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’examen des rapports pour avis de M. Michel Pouzol (Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public), de Mme Virginie Duby-Muller (Presse) et de Mme Marie-George Buffet (Livre et industries culturelles) sur les crédits pour 2017 de la mission « Médias, livre et industries culturelles », lors de sa séance du mercredi 2 novembre 2016.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous achevons ce matin l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2017 en commission avec la présentation successive des trois rapports sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi que ceux figurant au compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », autrement dit la répartition de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), autrefois appelée redevance, et d’une partie de la taxe sur les opérateurs électroniques (TOCE).

Je ne reviens pas sur les débats que nous avons eus en première partie du projet de loi de finances. Vous savez qu’a été voté un amendement réduisant l’augmentation de la CAP à un seul euro, correspondant à l’inflation. Cela a conduit le Gouvernement à devoir compenser, par voie d’amendement, les 25,5 millions d’euros manquants par une mobilisation d’une plus grande part de la TOCE.

Par ailleurs, je tiens à signaler que France Télévisions, qui nous occupe toujours beaucoup, a fait l’objet de la part de la Cour des comptes d’un rapport sur sa gestion pour les années 2011-2015, période pendant laquelle Rémy Pflimlin était à la tête du groupe. Celui-ci a pu, comme cela est prévu dans le cadre d’une procédure contradictoire, répondre aux arguments les plus critiques avancés dans le rapport. Nous reparlerons bientôt de France Télévisions à l’occasion de l’audition de sa présidente, Delphine Ernotte, qui portera sur l’exécution du contrat d’objectifs et de moyens et sur l’actualité du groupe.

J’évoquerai un autre sujet d’actualité : la grève à i-Télé, qui entre dans sa dix-huitième journée après avoir été reconduite hier à une très forte majorité. La crise, marquée par le départ de journalistes au professionnalisme incontestable, se cristallise autour des rapports entre l’actionnaire et la rédaction. Les grévistes ont formulé trois revendications principales. Il s’agit tout d’abord de la distinction entre le poste de directeur général et le poste de directeur de la rédaction, fonctions de nature très différente aujourd’hui cumulées par la même personne, M. Nejdar, ce qui pose problème pour l’indépendance de la rédaction de la chaîne. Il s’agit, ensuite, de la nomination d’un médiateur, compte tenu de la durée du conflit social. Il s’agit, enfin, dans le droit fil de la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias que nous avons votée le 6 octobre dernier, de la négociation d’une charte de déontologie, qui constituerait une garantie pour l’indépendance des journalistes de la rédaction à l’égard des actionnaires d’i-Télé et des annonceurs.

Le débat que nous aurons après la présentation des trois rapports nous conduira très certainement à évoquer cette actualité.

Je remercie très sincèrement Michel Pouzol, Virginie Duby-Muller et Marie-George Buffet d’avoir choisi pour leur rapport un thème spécifique, qui leur aura permis d’approfondir un enjeu particulièrement important pour une entreprise ou un secteur professionnel des médias et des industries culturelles.

Je vous rappelle que Mme la ministre de la culture et de la communication nous présentera en commission élargie, mardi 8 novembre, son budget pour 2017, qui couvre les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et de la mission « Culture ».

Je vais tout d’abord donner la parole à M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public, lesquels, comme il aura soin de le rappeler, ne concernent pas seulement France Télévisions mais bien d’autres entreprises. Je fais cette précision, en écho aux débats que nous avons eus sur le montant de la contribution à l’audiovisuel public lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir porté votre attention sur la nouvelle offre d’information en continu du service public.

M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public. Comme vous l’avez souligné en introduction, monsieur le président, l’actualité dans le domaine des médias est extrêmement riche. Le Parisien ce matin a choisi de consacrer sa une, assez provocatrice, à France Télévisions. Par ailleurs, le conflit sans précédent qui mobilise les journalistes d’i-Télé montre combien étaient fondées les questions que notre commission a posées tout au long de l’année, notamment à l’occasion de l’examen de la loi visant à renforcer le pluralisme des médias.

J’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon avis aux enjeux du lancement, le 1er septembre 2016, d’une nouvelle offre d’information continue réunissant les différents acteurs de l’audiovisuel public, événement qui aura marqué l’année dans le domaine de l’information.

Ce lancement constitue une excellente nouvelle à plusieurs titres.

Tout d’abord, l’absence d’une chaîne publique d’information continue faisait de notre pays une exception en Europe. Une telle chaîne aurait dû voir le jour en 2002 dans le cadre du déploiement de la télévision terrestre numérique (TNT) sous l’impulsion de M. Marc Teissier, avec le soutien du gouvernement de M. Lionel Jospin, mais, alors que la chaîne était près d’émettre, la majorité suivante a décidé de remettre en cause le projet, s’appuyant sur les conclusions d’un rapport de Michel Boyon, futur président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce dernier soulignait en particulier la nécessité de préserver les acteurs privés – à l’époque les chaînes payantes LCI et i-Télé – alors même que le CSA devait peu de temps après autoriser à émettre sur la TNT une nouvelle chaîne privée gratuite, BFM-TV. La concurrence frontale exercée par les chaînes d’information en continu à l’égard de l’information fournie par les chaînes historiques est demeurée une faiblesse majeure du service public français.

Depuis, les bouleversements du paysage médiatique – j’insiste sur ce point – n’ont fait que renforcer le besoin d’un service public de l’information puissant. La révolution numérique, qui engendre une explosion des sources d’information et percute les modèles économiques des médias privés, loin de remettre en cause le rôle de l’information de service public, la rend plus indispensable que jamais. À l’heure où les réseaux sociaux sont devenus l’une des premières sources d’information des nouvelles générations, il incombe à l’information de service public une responsabilité particulière, celle de fournir une information certifiée, vérifiée, validée et mise en perspective. Par ailleurs, alors que les recompositions du paysage médiatique auxquelles nous assistons ont continué de dégrader la confiance des Français dans leurs médias et accru le sentiment que ceux-ci manquent d’indépendance à l’égard des pouvoirs politiques et économiques, le service public a la responsabilité de garantir aux citoyens l’accès à une information totalement indépendante.

L’affaiblissement du service public de l’audiovisuel dans le domaine de l’information au profit de nouveaux acteurs privés a eu pour première conséquence d’augmenter sensiblement la défiance des téléspectateurs vis-à-vis de la probité de ces médias. Il y a là un paradoxe dont chacun tirera les conclusions qui lui conviennent et que la crise que traverse i-Télé éclaire, me semble-t-il, de manière intéressante.

Le projet qui vient d’être lancé était d’autant plus indispensable que notre service public audiovisuel est fort de la plus grande rédaction d’Europe, qui compte 4 500 journalistes répartis entre France Télévisions, France Médias Monde et Radio France et qui dispose de moyens – je pense en particulier au maillage régional et international – dont aucun média privé n’est doté. Or, le constat était unanimement partagé que ces moyens s’additionnaient, voire, s’agissant du numérique, se concurrençaient et que, faute d’une coordination suffisante, ce qui devait constituer un atout déterminant pour le service public et une force de frappe considérable s’apparentait à une faiblesse majeure au regard notamment de l’impératif de bonne utilisation des deniers publics.

Compte tenu de tous ces éléments, s’il n’est pas illégitime de s’interroger sur le nombre de chaînes d’information disponibles sur la TNT, sur leur viabilité et sur les stratégies réelles menées par certains grands groupes audiovisuels émergents, j’estime que la légitimité d’une présence forte du service public dans l’information en continu sur tous les supports est, quant à elle, indiscutable.

En ce qui concerne la mise en place de la nouvelle offre, je note que le service public a, contre toute attente, réussi ce lancement dans des délais exceptionnellement courts, faisant ainsi la preuve de sa réactivité et de son dynamisme. Si cette rapidité a été source de difficultés réelles soulignées par les syndicats, je me félicite que celles-ci aient pu être surmontées de manière intelligente et pragmatique.

À titre d’illustration, j’évoquerai la signature d’un accord majoritaire à la suite de la décision du tribunal de grande instance de Paris du 13 septembre 2016 interdisant à France Télévisions d’imposer unilatéralement les compétences complémentaires mises en œuvre pour la chaîne d’info – montage pour les journalistes et production de contenu éditorial pour les monteurs. L’accord collectif de mai 2013 n’avait pas été mis à profit par la précédente direction pour adapter les métiers à la polyvalence que supposent les outils numériques. L’accord majoritaire signé le 16 septembre dernier met en place une expérimentation, limitée dans le temps, qui fait de la chaîne d’info un laboratoire au service de l’ensemble des chantiers sociaux de l’entreprise et un moteur de transformation du groupe.

Surtout, alors que les rapports qui se succèdent déplorent tous l’absence de coordination des sociétés de l’audiovisuel public et appellent à des synergies accrues, qui selon certains ne pourraient passer que par des rapprochements structurels entre les sociétés, le service public fait la démonstration de sa capacité à mettre en commun ses compétences et ses moyens dans une démarche pragmatique. Le projet repose ainsi sur la mise en commun des savoir-faire et des complémentarités des quatre organismes partenaires.

Cette mise en commun bénéficie de l’expérience de la radio France Info, dont je rappelle qu’elle est historiquement le premier média d’information en continu de France. Elle met également à profit la puissance et le maillage territorial des rédactions de France Télévisions, l’expertise internationale de France 24 et la capacité de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) à mettre en perspective les événements grâce à l’exploitation des archives. Franceinfo repose ainsi sur des accords de partenariat signés entre France Télévisions et chacun des partenaires du projet. Ces conventions valorisent de façon croisée les apports des uns et des autres au projet commun, selon des modalités précisées dans mon rapport.

S’agissant de la gouvernance, de la coordination et de la responsabilité éditoriale, les entreprises ont également fixé leurs modalités de collaboration à travers divers contrats établissant une gouvernance légère qui doit en particulier garantir l’indépendance des rédactions et la cohérence éditoriale de l’offre.

Le financement du projet, dont les divers coûts sont détaillés dans mon rapport, repose en grande partie sur des synergies et des redéploiements qui devront faire l’objet d’un suivi précis afin de prévenir tout risque de dérapage financier. Il conviendra en particulier de s’assurer que France Télévisions respecte son engagement de recourir à des salariés déjà présents dans l’entreprise à hauteur de 50 % des postes à pourvoir. La capacité à opérer des redéploiements devra s’appuyer sur la fusion des rédactions nationales de France Télévisions que le groupe s’engage à achever d’ici à 2018. Par ailleurs, la phase de lancement étant achevée, le groupe France Télévisions doit désormais préciser les modalités de coopération avec les rédactions régionales et ultramarines, dont la participation est envisagée mais n’a pas encore été formalisée. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour garantir la pleine réussite du projet.

Il ne serait pas raisonnable de se livrer au bilan d’une offre lancée il y a deux mois à peine. Je note cependant que si la chaîne connaît certains problèmes formels, en passe d’être réglés, elle présente d’indéniables qualités, qui résident notamment dans des formats et des codes particulièrement innovants, adaptés aux usages numériques au cœur de la stratégie de Franceinfo. L’innovation est bien du côté du service public, n’en déplaise à certains think tanks comme la Fondapol ou l’Institut Montaigne, qui n’ont eu de cesse de remettre en cause l’existence même de l’audiovisuel public.

Les premiers résultats enregistrés dans le domaine numérique apparaissent particulièrement prometteurs à cet égard. Je tiens en particulier à souligner la qualité de l’apport de l’INA dont les modules intelligemment montés éclairent le présent et donnent une mémoire à Franceinfo. Néanmoins, pour asseoir sa légitimité dans un univers fortement concurrentiel, l’offre d’information de l’audiovisuel public doit impérativement confirmer et amplifier sa spécificité de service public et son souci d’exemplarité, notamment dans la couverture des événements qui marqueront notre pays dans les prochains mois ou années, à commencer par la campagne présidentielle.

En ce qui concerne l’audience de la chaîne, les chiffres communiqués par la presse montrent qu’elle a bénéficié d’un effet de curiosité qui s’est atténué puisque la part d’audience aurait été ramenée à 0,3 %. France Télévisions met en avant l’impératif d’informer les téléspectateurs de l’existence de la nouvelle offre, compte tenu des handicaps importants dont elle a souffert à son démarrage, en particulier un numéro peu favorable sur la TNT et un positionnement très hétérogène dans les plans de services des fournisseurs d’accès à internet (FAI) et des câblo-opérateurs. En tout état de cause, il me semble important que l’audience de la chaîne sur les quatre supports où elle est diffusée puisse être mesurée le plus rapidement possible.

Dans la dernière partie de mon rapport, je me suis demandé dans quelle mesure le projet de Franceinfo pouvait servir de modèle pour des « communautés de projets » au sein de l’audiovisuel public. Certains syndicats se sont inquiétés du fait qu’il s’agirait d’une fusion déguisée, prélude au mariage de France Télévisions et de Radio France. J’estime au contraire que la réussite de ce projet constitue le meilleur remède contre les propositions de rapprochement organique entre les sociétés, qui se sont multipliées ces dernières années. À la lumière des expériences mises en œuvre au sein de l’audiovisuel extérieur de la France comme de France Télévisions, il apparaît clairement que les rapprochements entre sociétés ont produit plus de crispations et de surcoûts que de synergies. C’est d’ailleurs l’une des principales conclusions du dernier rapport de la Cour des comptes : l’entreprise unique a été un échec patent qui a profondément déstabilisé France Télévisions sans lui permettre d’atteindre les objectifs fixés. Le projet Franceinfo aura permis en sept mois plus de synergies que l’entreprise unique en sept ans : comment ne pas en tirer les leçons qui s’imposent ?

Au-delà de l’information, d’autres sujets de collaboration possibles ont été maintes fois identifiés, tels les réseaux régionaux, les réseaux à l’étranger ou les offres numériques en matière de culture, d’éducation ou de formation. La mise en place d’une offre d’information régionale ambitieuse sur le numérique, fondée sur la coopération des réseaux de France 3 et de France Bleu, apparaît en ce sens comme prioritaire, urgente et indispensable pour garantir l’avenir de ces réseaux. Il s’agirait en somme de la version régionale et locale de Franceinfo.

J’observe cependant que la méthode qui a présidé à la naissance de Franceinfo comporte des limites importantes. Je rappelle en effet que le CSA a choisi la présidente de France Télévisions sur la base d’un projet stratégique qui prévoyait la création d’une chaîne d’information, élément absent du projet de l’autre finaliste de la procédure de nomination, Pascal Josèphe. La volonté de la nouvelle présidente de France Télévisions a ensuite dû rencontrer celle du président de Radio France mais rien ne garantit que de futurs dirigeants soient aussi coopératifs ou partagent une vision similaire du développement de l’audiovisuel public. Par ailleurs, au cours des auditions que j’ai effectuées, j’ai pu constater que les autres projets structurants ne réunissent pas en l’état les volontés nécessaires à leur mise en œuvre alors qu’ils pourraient constituer autant de moteurs du développement des entreprises qui composent l’audiovisuel public, tout en permettant un meilleur usage des moyens qui leur sont consacrés.

J’insiste donc sur les limites d’une coordination s’appuyant sur la seule volonté des entreprises et la nécessité pour l’État d’assumer enfin son rôle de stratège et de pilote garant d’un développement harmonieux et coordonné de l’audiovisuel public. Je ne peux que constater que ce rôle fait actuellement cruellement défaut. Nous sommes en présence d’un actionnaire unique : l’État est représenté dans tous les conseils d’administration, il négocie les contrats d’objectifs et de moyens avec les différentes sociétés, précise par décret le contenu des cahiers des charges de celles-ci et élabore le budget, mais il ne pilote pas une politique nationale, pas plus qu’il n’en fixe les grandes lignes, ce qui représente actuellement à mes yeux la principale menace pour l’avenir de l’audiovisuel public.

Le groupe de travail sur l’avenir de France Télévisions coordonné par M. Marc Schwartz avait préconisé la mise en place d’une instance de pilotage stratégique où les présidents de l’audiovisuel public auraient échangé régulièrement sur leurs développements stratégiques avec les ministres compétents. Force est de constater que cette instance n’a été réunie qu’une fois et que l’État n’a pas joué le rôle proactif qui aurait dû être le sien. Les contrats d’objectifs et de moyens de l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public étant à peine renouvelés ou en cours de l’être pour une durée de cinq ans, les projets structurants qui n’auraient pas été lancés seront autant d’occasions perdues pour l’avenir du service public que d’arguments à disposition de ceux qui préconisent un rapprochement des structures.

Dans leurs rapports d’information respectivement consacrés au projet de contrat d’objectifs et de moyens de Radio France pour 2015-2019 et à la nouvelle chaîne publique d’information en continu, Martine Martinel et Jean-Marie Beffara ont tous deux proposé l’élaboration d’un contrat d’objectifs et de moyens thématique consacré à l’offre d’information. Dans le même esprit, j’appelle de mes vœux une réactivation rapide de l’instance de pilotage stratégique de l’audiovisuel public et l’élaboration d’une contractualisation commune à l’ensemble des partenaires de l’audiovisuel public et à l’État afin de définir de nouveaux projets communs à mettre en œuvre et de permettre à l’État d’affirmer une vision consolidée et un rôle de pilote stratégique du secteur.

Dans la droite ligne des rapports que je viens de citer, sans doute conviendrait-il de préconiser une nouvelle articulation des contrats d’objectifs et de moyens des entreprises publiques de l’audiovisuel pour les mettre en concordance avec l’entrée en fonction de leurs présidents et l’émergence d’éventuels projets communs, tout en redonnant à l’État actionnaire un rôle plus pertinent que celui de simple financeur.

En somme, cette chaîne d’information publique en continu, pourvu qu’on prenne soin de soutenir son côté novateur et expérimental, est l’exemple vivant d’une nouvelle approche de l’audiovisuel public et de ses missions. Elle appelle à reproduire les mécanismes de sa réussite à l’échelle du pilotage de l’audiovisuel public dans sa globalité. Sans remettre en cause l’indépendance des entreprises de l’audiovisuel public, que nous n’avons eu de cesse de renforcer ces quatre dernières années, nous voulons redonner un rôle moteur à l’État face aux défis auxquels il est confronté dans un monde où se fait plus que jamais sentir le besoin de compréhension, de recul, d’intelligence et d’analyse. Le service public de l’audiovisuel doit à cet égard jouer le rôle majeur qui lui est historiquement dévolu.

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le rapporteur.

Nous allons maintenant écouter Mme Virginie Duby-Muller, qui a souhaité consacrer son avis sur les crédits relatifs à la presse écrite aux stratégies de soutien de la presse en ligne.

Mme Virginie Duby-Muller, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse écrite. Je suis heureuse de vous présenter mon avis sur les crédits en faveur de la presse inscrits au projet de loi de finances pour 2017.

Pour élaborer mon rapport, j’ai mené près d’une vingtaine d’auditions qui m’ont été particulièrement utiles d’autant que le 10 octobre dernier, jour que la loi organique relative aux lois de finances fixe comme date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires, seul un tiers des réponses aux questions que j’avais adressées au Gouvernement en juillet dernier m’était parvenu. Cela marque une très nette dégradation du taux de réponse puisque, l’an dernier, à la même date, le rapporteur en charge de l’avis sur les crédits dédiés à la presse avait reçu 95 % des réponses attendues. Je ne peux que le regretter.

Je ne regrette pas, en revanche, d’avoir choisi de me pencher plus particulièrement sur les politiques publiques de soutien à la presse en ligne car l’année 2016 a été, et continue d’être, extrêmement riche en la matière.

Je n’ignore pas que, dans son avis sur les crédits alloués à la presse dans le projet de loi de finances pour 2015, notre collègue Jean-Noël Carpentier s’était déjà interrogé sur les dispositifs de soutien à la presse à l’ère numérique. Toutefois, l’année 2016 a marqué un véritable changement de paradigme au niveau tant national qu’européen. Il m’a donc paru très important de faire un point sur l’évolution récente des modalités de soutien à la presse en ligne et sur leurs perspectives.

Au niveau national tout d’abord, la création, par le décret du 26 août dernier, d’un Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse traduit l’amorce d’une nouvelle approche : pour la première fois, la puissance publique ne se contente plus de soutenir financièrement des médias existants, dans une logique conservatoire, mais elle suscite au contraire, dans une logique d’innovation, la création de nouveaux médias, notamment de services de presse « tout en ligne » dits « pure players ».

Ce fonds a vocation à décerner des bourses à des entreprises de presse émergentes, sans condition d’agrément par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Alors que, jusqu’à présent, les aides à la presse fonctionnaient selon un mécanisme de remboursement sur présentation de factures acquittées, l’État accepte désormais d’assumer le risque qu’un projet financé échoue – risque toutefois limité puisque le montant des bourses est plafonné à 50 000 euros.

Comme les représentants du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), j’estime que cette inflexion nette des politiques publiques de soutien à la presse en général, et à la presse en ligne en particulier, va dans le bon sens. En effet, les aides doivent non seulement préserver les conditions existantes du pluralisme mais aussi le renforcer.

Conformément aux préconisations du rapport de M. Jean-Marie Charon sur la presse et le numérique, le Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse devrait également lancer des appels à projets pour des programmes d’incubation dédiés aux médias émergents. Il semble que ces programmes pourront être portés tant par des groupes de presse accueillant des start-up en résidence que par des incubateurs généralistes ou appelés à se spécialiser dans la presse, en région parisienne comme en province. Ils devraient donc également concerner les start-up à même de fournir des solutions techniques, graphiques ou éditoriales innovantes aux médias. Contrairement aux bourses d’émergence, ces aides ne s’adressent donc pas nécessairement qu’aux éditeurs de presse : elles sont conçues dans une optique plus large que l’approche éditoriale classique.

Comme M. Jean-Marie Charon, j’estime que les programmes d’incubation subventionnés doivent être conçus de façon à associer des start-up intervenant dans différents domaines – presse, commerce, marketing – entre lesquels il faut encourager une certaine porosité plutôt que des start-up issues uniquement du secteur de la presse. En effet, dans la conception des aides à l’innovation, il ne faut pas enfermer les gens dans des cases mais favoriser au contraire des dispositifs associant les entreprises de presse traditionnelles en transformation avec des acteurs nouveaux qui les aident à innover.

Enfin, le Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse devrait lancer des appels à projets pour la réalisation de programmes de recherche innovants, définis avec les acteurs du secteur de la presse afin notamment de développer une expertise sur des thèmes au cœur des mutations du secteur : monétisation de l’information, big data, micro-paiements, kiosques, etc. Ces aides pourront par exemple financer la création d’infrastructures de données susceptibles de permettre aux éditeurs de presse de faire face aux stratégies des « infomédiaires » que sont les fournisseurs d’accès à internet, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes d’échanges et autres acteurs technologiques connus sous l’acronyme « GAFA ».

Si, de mon point de vue, le décret du 26 août 2016 marque un premier pas louable dans le sens d’une logique d’innovation, on peut toutefois regretter que le Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse ne soit doté que de 5 millions d’euros et que les économies générées par la réforme de l’aide au transport postal de la presse n’aient pas servi à abonder ce fonds.

On peut également s’étonner que la dotation du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) soit réduite de plus de 2 millions dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2017 alors que le décret du 26 août dernier a réaffirmé l’éligibilité de la presse en ligne de la connaissance et du savoir à ses aides, et augmenté ses taux de subvention en créant notamment, pour les projets de jeunes entreprises de petite taille qui ont moins de trois ans d’existence et qui emploient moins de vingt-cinq salariés, un taux super bonifié de 70 % des dépenses éligibles, dont le périmètre a par ailleurs été élargi aux dépenses de salaires et de commercialisation. La création de ce taux, unanimement saluée, devrait permettre de remédier aux difficultés constatées en 2015 : bien que doté de près de 30 millions d’euros, le FSDP n’a pu alors verser des aides qu’à hauteur de 10 millions d’euros car les éditeurs bénéficiaires ont eu des difficultés à trouver les compléments de financement nécessaires à la mise en œuvre des projets.

À cet égard, je tiens à souligner que, comme pour les aides au portage, les mécanismes d’attribution des aides du FSDP sont mis en œuvre trop tardivement dans l’année. D’après ce qui m’a été indiqué, au 12 octobre dernier, aucun comité d’attribution du FSDP n’avait été réuni, ce qui risque malheureusement de conduire à concentrer toute la stratégie d’aides pour l’année 2016 sur les mois de novembre et de décembre.

Par ailleurs, bon nombre des personnes que j’ai entendues ont déploré que les modalités de candidature aux aides du FSDP soient trop lourdes pour de jeunes services de presse « tout en ligne ». En conséquence, les dispositifs initialement conçus pour les entreprises de presse naissantes ont été en partie captés par les grandes entreprises « historiques » de la presse écrite qui disposent d’une technostructure plus adaptée. Il est par exemple pour le moins surprenant que le premier pure player en France, le Huffington Post, n’ait jamais bénéficié de la moindre aide à la presse depuis sa création, d’après ce que m’ont indiqué ses représentants.

Il semble que cela tienne en bonne partie à ce que, pour bénéficier des aides du FSDP – comme de celles du Fonds Google, du reste –, les services de presse en ligne doivent être agréés par la CPPAP et habilités « IPG », alors que la distinction entre presse IPG et presse non-IPG ne semble guère pertinente pour la presse en ligne. Selon le président de la CPPAP lui-même, il faut appréhender la notion d’IPG de façon différente selon qu’il s’agit de presse imprimée ou de presse numérique. En effet, pour cette dernière forme de presse, on passe aisément de l’IPG au non-IPG, de sorte que les critères d’éligibilité sont complexes, flous et évolutifs. Si le recours au concept d’IPG a pu avoir du sens à l’ère du papier, il n’en a plus guère à l’ère du numérique.

Il faut donc conforter et amplifier la logique d’innovation amorcée par le décret du 26 août dernier en repensant la distinction entre presse IPG et presse non-IPG et en s’affranchissant des critères habituels de raisonnement qui ont été adoptés pour la définition des dispositifs d’aides à la presse imprimée.

Cette logique commande également d’ouvrir le bénéfice des aides au pluralisme – dont le montant s’élève, dans le PLF 2017, à environ 16 millions d’euros – aux services de presse en ligne. À l’heure où la lecture de la presse quotidienne nationale s’effectue, à près de 60 %, sur des supports numériques, il est pour le moins surprenant que la presse en ligne soit exclue du bénéfice de ces aides alors que cette forme de presse a de faibles ressources publicitaires, comme les titres nationaux d’IPG mensuels, bimensuels et trimestriels au profit desquels ces aides ont été étendues par un décret du 6 novembre 2015.

Cette mesure pourrait contribuer à pérenniser le modèle économique des services de presse en ligne dont la viabilité est aujourd’hui entravée par l’impossibilité d’accéder au marché des annonces judiciaires et légales et menacée par l’impossibilité prochaine de solliciter des financements auprès du Fonds Google, dont la dotation devrait être épuisée d’ici à la fin de l’année. À partir de l’an prochain, les éditeurs de presse français n’auront d’autre choix que de se tourner vers le « fonds Google européen », baptisé « Digital News Initiative » (DNI). Ce fonds n’est doté que de 150 millions d’euros sur trois ans et, dans la mesure où il est ouvert à l’ensemble des éditeurs de presse européens, les éditeurs de presse français pourront n’espérer de financements qu’à hauteur de 5 à 10 millions d’euros par an au maximum – soit deux à quatre fois moins que ce qu’offre aujourd’hui le fonds Google.

Le modèle économique de la presse en ligne est également menacé par la captation de ses ressources publicitaires par les « infomédiaires » qui tirent des profits de la diffusion de contenus qu’ils ne créent pas et dont ils n’assument pas les coûts de production. Je pense notamment aux « crawlers » qui diffusent des panoramas de presse souvent sans autorisation préalable ni rémunération des éditeurs et qui réalisent aujourd’hui en France un chiffre d’affaires d’environ 30 millions d’euros dont les éditeurs ne profitent pas.

Le rapport de force entre les éditeurs de presse et les infomédiaires, qui sont pour la plupart des acteurs d’envergure internationale, est aujourd’hui si profondément déséquilibré qu’il semble que ce ne soit qu’au niveau européen qu’une solution puisse être trouvée pour donner aux premiers les moyens de lutter à armes égales avec les seconds, dans le cadre d’une concurrence équitable.

Or, au niveau européen, les lignes ont commencé à bouger cette année. Dans le cadre des réflexions relatives à la révision de la directive de 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la Commission européenne a lancé en mars dernier une consultation publique sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur. La France y a répondu en s’appuyant sur un rapport que Mme Laurence Franceschini a présenté en juillet dernier au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et qui préconise la création, au niveau européen, d’un droit voisin spécifique aux éditeurs de presse et portant sur un droit de reproduction lié aux seuls usages numériques et sur un droit de mise à disposition du public.

Cette préconisation a été suivie par la Commission européenne : la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique publiée en septembre dernier la reprend en précisant que la protection instituée au bénéfice des éditeurs de presse expirera vingt ans après la diffusion de la publication de presse et qu’elle ne s’étendra pas aux actes de création de liens hypertextes qui ne constituent pas une communication au public. La Commission souligne également que la reconnaissance d’un droit voisin aux éditeurs de presse, pour l’utilisation numérique de leurs publications, ne portera nullement atteinte aux droits d’auteur des journalistes. Je tiens également à les rassurer sur ce point.

Mais je tiens aussi à alerter le Gouvernement de la nécessité de saisir la fenêtre de tir ouverte par la Commission européenne pour inclure les agences de presse dans le champ des réflexions menées sur le partage de la valeur créée par la production et la circulation de l’information sur internet. Ces agences connaissent en effet de grandes difficultés financières qui conduisent d’ailleurs le Gouvernement à octroyer à l’Agence France-Presse (AFP), dans le projet de loi de finances pour 2017, cinq millions d’euros supplémentaires par rapport à ce qui était prévu par le contrat d’objectifs et de moyens, au titre la compensation de ses missions d’intérêt général.

Les agences de presse sont aujourd’hui les seuls acteurs du secteur de la presse pour lesquels le taux réduit de TVA a augmenté pour être porté à 10 %, dans un contexte de dégradation très forte de leur situation économique qui pourrait menacer le traitement de l’information et son pluralisme.

Or, il se trouve, là encore, que l’année 2016 pourrait fournir au Gouvernement une occasion de revoir à la baisse ce taux de TVA car la Commission européenne, pourtant jusqu’à présent très réservée sur l’application d’un taux super-réduit de TVA aux services de presse en ligne, pourrait peut-être faire évoluer sa position dans le cadre de la révision de la directive « TVA ». Du moins a-t-elle lancé, en juillet dernier, une consultation sur l’application d’un taux de TVA réduit sur les publications fournies par voie électronique. Le Gouvernement a, dans le cadre de cette consultation, rappelé sa position constante depuis le vote, à l’unanimité des deux assemblées, de la loi du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne. Mais il n’en demeure pas moins que la France fait partie d’un groupe d’États favorables à l’application d’un taux de TVA super-réduit à la presse qui est aujourd’hui minoritaire au sein de l’Union européenne. Or les traités prévoient que les directives en matière d’impôts indirects doivent être adoptées à l’unanimité.

Il est donc important que le Gouvernement défende activement la généralisation, à l’échelle de l’Union, d’un taux de TVA super-réduit pour l’ensemble des formes de presse, écrite comme numérique, et que, dans ce contexte, il n’oublie pas de réexaminer le sort réservé aux agences de presse.

Je terminerai en évoquant l’impact du numérique sur le métier de journaliste dont le Congrès du Syndicat national des journalistes (SNJ) s’est fait l’écho au début du mois d’octobre. Ce syndicat avait alors dénoncé la « dégradation des conditions de travail liée aux évolutions numériques ». Sans nier la précarisation des « journalistes Shiva » amenés à accomplir des tâches très diverses auxquelles ils ne sont pas toujours suffisamment formés, je souhaiterais achever mon propos sur une note optimiste en me réjouissant que le SPIIL ait récemment signé la convention collective nationale des journalistes – ce qui montre encore une fois que l’année 2016 aura marqué, pour le secteur de la presse en ligne, un tournant.

M. le président Patrick Bloche. Ce sujet est d’une actualité brûlante. Vous avez même évoqué le débat, connu de nous depuis longtemps, relatif à l’IPG et au non-IPG. Je souhaitais rendre hommage à votre prise de risque en la matière !

Je voudrais vous remercier également d’avoir fait un point d’actualité sur la question fiscale, compte tenu, notamment, de la révision de la directive TVA. Nous avions, de façon consensuelle – et même unanime, oserais-je ajouter – voté une proposition de loi en 2014 tendant à permettre à la presse en ligne de bénéficier du taux super-réduit de 2,1 %. Nous l’avions fait volontairement, sachant très bien que cela susciterait un contentieux à Bruxelles. Ce que vous indiquez deux ans après dans votre rapport montre que nous avons eu raison d’être volontaristes puisque nous avons réussi à convaincre de la nécessité de ce taux super-réduit.

Enfin, je vous informe que j’ai tenté, lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2017, de relayer votre suggestion de faire bénéficier les agences de presse d’un taux de TVA réduit à 5,5 %. Alors que ce taux leur était applicable il y a quelques années, il a été porté à 7 % en 2012 puis à 10 % ultérieurement. De ce fait, les agences de presse sont en grande difficulté de trésorerie. Toutefois, mon amendement a été rejeté au motif qu’il était contraire au droit communautaire. Il y aura donc dans les mois et les années à venir un autre combat à mener.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles. Le programme 334 a pour objectif, dans sa première action à laquelle je me suis attachée, de favoriser le développement de la création littéraire, d’encourager la pratique de la lecture et de soutenir la chaîne du livre. Comme l’ensemble du programme, les crédits de paiement comme les autorisations d’engagement de l’action « livre et lecture » sont en légère hausse, à périmètre constant. On ne peut que s’en féliciter : 2017 est marquée par une embellie budgétaire qui ne peut nous étonner. Cette hausse devrait permettre de répondre aux besoins les plus évidents, les plus obligatoires de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et de la Bibliothèque publique d’information (BPI), de financer la revalorisation du point d’indice et de stabiliser les équivalents temps plein (ETP) au niveau de 2016 – stabiliser, seulement, alors que la légère hausse de la fréquentation aurait pu aboutir à de nouvelles embauches. Cette hausse devrait aussi permettre de faire avancer les travaux de rénovation du quadrilatère Richelieu de la BNF et de poursuivre, en lien avec le Centre Georges Pompidou, la rénovation des espaces de la BPI, pour en renforcer la qualité d’accueil. Je rappelle que le taux de fréquentation de la BPI a baissé depuis 2014 de façon préoccupante.

Je dirai un mot sur le Centre national du livre (CNL) dont le budget global d’intervention a baissé entre 2014 et 2015. Cette diminution, liée à l’assiette des taxes qui lui sont en partie affectées, ne sera pas entièrement corrigée par la réforme de cette assiette en 2015.

Il faut se réjouir de l’effet du plan de soutien aux librairies. Leur part de marché est stabilisée à 22 % des ventes mais des fragilités demeurent, qu’il s’agisse de la dégradation de la rentabilité de ces librairies ou des inégalités territoriales. Si les librairies de centre-ville arrivent à se maintenir, beaucoup de territoires urbains périphériques sont aujourd’hui confrontés à l’absence complète de points de vente de livres. Je voudrais donc insister sur la place de la commande publique pour soutenir ces librairies. Il n’est pas difficile de maintenir cette commande publique puisque les appels d’offre ont été simplifiés pour l’achat de livres scolaires. Cela demande simplement une volonté politique de la part des collectivités dans ces territoires urbains périphériques.

J’ai voulu rappeler ces quelques points du rapport car tous ces acteurs
– BNF, BPI, CNL et librairies – sont des vecteurs importants de la chaîne du livre et donc de l’accès à la lecture. Mais d’autres acteurs sont tout aussi essentiels à cet accès. Je pense bien sûr aux bibliothèques départementales et municipales, aux points d’accès aux livres et aux associations. Des acteurs de la lecture pourtant peu visibles, insuffisamment mis en valeur, souvent insuffisamment dotés et inégalement répartis sur le territoire de notre pays. Pourtant, l’accès au livre et à la lecture est synonyme d’épanouissement, d’accès au langage, aux connaissances, à l’esprit critique, à la citoyenneté et de développement du savoir et de la recherche. Cette intervention publique en faveur de la lecture mériterait donc, dans les temps présents, de bénéficier d’un nouvel éclairage et de nouvelles approches.

D’où ce rapport pour un renouveau des politiques en faveur de la lecture publique. Les besoins sont là. 55 % des communes, soit plus de 11 millions de personnes, ne bénéficient pas d’un lieu de lecture publique et beaucoup de familles n’ont pas de livres à domicile. Alors que de nombreuses études montrent que la langue reflète les inégalités sociales, l’apprentissage du langage chez les plus jeunes enfants par l’accès à la lecture d’histoires et par le rapport aux livres, le plus tôt possible, est une source de développement de la pensée et de l’esprit critique et permet le recul des ségrégations. Or, cet accès des plus jeunes aux livres est encore trop limité. L’effet, en termes d’échec scolaire, de cet accès limité aux livres et à la lecture est également insuffisamment interrogé. Enfin, 7 % de la population métropolitaine ayant été scolarisée dans notre pays souffrent aujourd’hui d’illettrisme. Il est donc nécessaire de conforter, de valoriser et de renouveler les politiques publiques de développement du livre et de la lecture.

Permettez-moi de saluer les associations qui œuvrent en ce domaine, notamment auprès des publics les plus défavorisés. Je voudrais citer les bibliothèques de rue de l’association ATD Quart monde, le partenariat entre La Petite Bibliothèque ronde et les Restos du cœur, l’action du Secours populaire visant à mettre des livres à disposition du public et l’initiation à la lecture des enfants du plus jeune âge, en lien avec la Protection maternelle infantile (PMI), les crèches et les assistantes maternelles. Je citerai ainsi l’opération « Première page », lancée en 2009 et dont ont bénéficié 200 000 enfants de moins de trois ans en 2016, et l’opération « Lire et faire lire » qui vise 37 % des collégiens ayant actuellement un accès difficile à la lecture.

Toutes ces associations, lors de leurs auditions, ont soulevé la question de la pérennité de leurs subventions. Travaillant avec des institutions sur le long terme, elles ont besoin d’avoir une vision claire de l’avenir de leurs moyens, ce que ne permet pas le cadre des appels à projet.

J’évoquerai à présent l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Toutes les associations et institutions que j’ai auditionnées ont insisté sur son rôle positif de coordination et d’impulsion auprès de l’État, des associations, des collectivités et des entreprises en faveur de la lutte contre l’illettrisme. La Cour des comptes a rendu un avis très positif sur la gestion de cette agence. Aussi je m’interroge quant à sa dissolution dans une agence de défense de la langue française. Cela montre qu’il y a une confusion quant aux causes de l’illettrisme et donc quant aux moyens d’agir contre ce fléau.

Toutefois, le vecteur indispensable de l’accès au livre et à la lecture est la bibliothèque – municipale ou départementale –, service public nécessaire à l’exercice de la démocratie, à l’égal accès à la lecture, à l’indépendance intellectuelle et au progrès de la société. Cette mission, rappelée dans la Charte des bibliothèques, est de taille. La France dispose d’un maillage important de 16 300 lieux de lecture qui contribuent à l’aménagement culturel du territoire. L’État leur apporte son soutien financier par l’intermédiaire du CNL, avec le concours particulier de la dotation générale de décentralisation pour un montant constant de 80 millions d’euros. La bibliothèque est souvent aussi un lieu qui favorise le lien social, un lieu de rencontres.

Ce réseau de bibliothèques a des défis à relever si l’on veut en relancer le taux de fréquentation et élargir les publics concernés par la lecture publique.

Tout d’abord, il faut renforcer le maillage et la qualité du service : 17 % de la population n’ont pas accès à ces lieux de lecture publique. Cette insuffisance concerne les zones rurales mais aussi les villes moyennes puisque 197 villes de plus de 5 000 habitants n’ont pas de lieu d’accès à la lecture publique. Il convient également de veiller à la qualité de ces 16 300 lieux, dont 9 200 ne sont que des points d’accès aux livres, sans l’encadrement nécessaire de professionnels. Vous trouverez à cet égard un tableau dans mon rapport.

Ensuite, il faut maintenir une réelle qualification des personnels. Dans les bibliothèques municipales, 26 % de personnels sont de catégorie C. Beaucoup de ces établissements n’ont plus de personnel formé et qualifié.

Il faut enfin faire évoluer les bibliothèques elles-mêmes, leur espace et les services qu’elles rendent. Nous avons auditionné longuement les responsables de la bibliothèque de la Courneuve qui ont ouvert, à côté d’un espace de lecture et des espaces de travail, des espaces de convivialité où les jeunes et les familles peuvent se retrouver pour échanger et où les élèves peuvent faire leurs devoirs. Cela peut, petit à petit, susciter chez eux l’envie d’aller vers les livres et vers la lecture.

Nous nous sommes demandé, lors de nos auditions, si la tendance à ouvrir les bibliothèques à toute une série d’activités – notamment celle d’accueil d’enfants en décrochage scolaire ou d’associations qui font de l’animation – n’allait pas affecter le cœur de métier des bibliothécaires. Il reste que les bibliothèques ont besoin de s’ouvrir pour gagner de nouveaux lecteurs. La question de l’amplitude horaire a aussi été débattue : elle ne doit pas être décidée d’en haut mais s’adapter aux différents territoires et aux différents publics qui n’ont pas toujours les mêmes besoins.

Il faut développer les réseaux et veiller à ce que la réforme des territoires, qui se met en place petit à petit, ne vienne pas perturber les réseaux existants mais les conforte au contraire, tant ils sont nécessaires pour offrir partout la même qualité de service aux lecteurs. Dans ce système en réseau, le contrat « Territoire lecture » a partout recueilli des avis très positifs mais à ce jour, seuls 120 contrats ont été signés. Et dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les personnels dédiés à la lecture publique sont parfois très peu nombreux : en Île-de-France, par exemple, il n’y a qu’une personne chargée de la mobilisation en faveur de la lecture publique. Toujours en termes de réseaux, si le rapport entre les bibliothèques et l’éducation nationale est très étroit dans le primaire, il est aujourd’hui insuffisant dans le secondaire, tant au collègue qu’au lycée.

J’en viens enfin à la question des moyens. En 1983, la gestion des bibliothèques municipales revient aux communes. Puis, en 1992, les bibliothèques centrales de prêt sont transférées aux conseils généraux pour devenir des bibliothèques départementales. Or, avec la baisse des dotations publiques, la lecture pourrait être la variable d’ajustement dans certaines collectivités – ou, du moins, elle pourrait en rester au niveau actuel sans que les moyens soient mis pour renouveler l’offre et attirer de nos nouveaux publics.

C’est pourquoi il faut donner une ambition politique et une visibilité à l’enjeu de la lecture publique. On parle souvent de l’art vivant et des festivals mais très peu, dans l’actualité, de nos bibliothèques, de la lecture publique et de l’effort pour amener de nouveaux publics à la lecture.

En conclusion, je remercie toutes les personnes que nous avons auditionnées, qu’elles représentent des associations ou institutions.

M. le président Patrick Bloche. J’en profite pour vous remercier pour ces auditions, en nombre conséquent comme celles des autres rapporteurs. C’est ce travail parlementaire, que nous effectuons chaque année au moment de l’examen du budget, qui nous permet de faire un état de la situation. Votre rapport est d’autant plus intéressant qu’il croise les enjeux culturels et éducatifs qui sont au cœur de notre Commission.

Mme Martine Martinel. Sans dédaigner le travail remarquable des deux autres rapporteurs, j’évoquerai uniquement le rapport de Michel Pouzol. Il est vraiment passionnant de lire cet avis budgétaire consacré au nouvel acteur du paysage audiovisuel public qu’est Franceinfo.

Sans éluder les interrogations que suscite la création de nouvelles chaînes d’information en continu, vous montrez très clairement combien une chaîne publique est nécessaire et légitime. Vous rappelez tout d’abord que cette dernière n’est pas née d’un emballement soudain puisque dès 2002, le Gouvernement de Lionel Jospin avait décidé de sa création. Il aura fallu attendre le 1er septembre 2016 pour que la France, qui dispose de la plus grande rédaction d’Europe avec ses 4 100 journalistes – entre France Télévisions, Radio France et France Médias Monde –, soit dotée d’une chaîne publique en continu.

Cette offre commune d’informations de service public est une avancée majeure. La chaîne, si elle tient ses promesses et respecte ses missions en proposant une information certifiée, vérifiée et validée, indépendante des pouvoirs politique et économique, trouvera aisément un public qui se tourne déjà vers elle dans le cadre de l’offre numérique. En effet, vous montrez, en vous fondant sur des études, que les Français sont paradoxalement demandeurs d’information mais se détournent des médias dont ils déplorent le manque d’indépendance
– l’exemple d’i-Télé n’étant pas là pour les contredire. Vous vous référez aussi au rapport de 2015 de M. Marc Schwartz pour affirmer la nécessité de renforcer la puissance de l’information sur les chaînes du service public, afin de contrebalancer les approximations des réseaux sociaux et le choix des chaînes d’information privées concurrentes qui privilégient trop souvent le sensationnel.

Sans prétendre évaluer les performances de la chaîne – ce qui serait prématuré au bout de deux mois d’existence –, vous qualifiez d’exceptionnelle la mobilisation du service public qui a réussi à fédérer les rédactions de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde et les équipes de l’INA pour disposer d’une couverture inégalée sur le territoire national, européen et mondial.

Lancer une chaîne fondée sur la synergie de l’ensemble des opérateurs de l’audiovisuel public en peu de temps n’étant pas une mince affaire, le pragmatisme a prévalu. Même si certains – parmi les syndicats, notamment – déplorent des avancées à marche forcée, le résultat est l’aboutissement d’un formidable projet qui fait travailler ensemble des journalistes de radio et de télévision pour livrer des informations en continu fondées sur l’esprit d’analyse, l’indépendance et le respect du pluralisme. À ce propos, nous nous félicitons comme vous, monsieur le rapporteur, de l’adoption par le Parlement de la proposition de loi de Bruno Le Roux et Patrick Bloche sur la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

La création de cette nouvelle chaîne n’épuise pas toutes les interrogations et vous faites, monsieur le rapporteur, nombre de suggestions sur les chantiers présents et à venir, tels que la réflexion sur les métiers, le coût, l’introduction d’indicateurs d’audience « quatre écrans » et le développement du numérique. Vous évoquez « la mise en place d’une offre numérique régionale ambitieuse, fondée sur la coopération des réseaux » – notamment avec France 3 et France Bleu – et « la mise à profit de la dimension européenne et mondiale qui fait défaut aux chaînes privées concurrentes ».

Vous évoquez aussi la gouvernance de cette chaîne et son devenir. Actuellement, la chaîne d’information bénéficie d’une gouvernance équilibrée qui permet aux différents groupes d’audiovisuel public de s’impliquer dans ce projet tout en gardant leur identité, mais vous montrez aussi la fragilité de cette organisation. Enfin, vous insistez à juste titre sur l’insuffisante implication de l’État dans le pilotage de l’audiovisuel public – insuffisante au point d’en menacer l’avenir. Vous apportez des préconisations pour pallier cette défaillance de l’État ; pourriez-vous nous en détailler quelques-unes ?

M. Frédéric Reiss. Merci à nos trois rapporteurs pour avis de la qualité de leurs travaux et de l’éclairage qu’ils apportent à l’activité budgétaire et médiatique.

Quelques mots, pour commencer, sur le rapport de Mme Buffet, que je soutiens dans sa volonté de promouvoir la lecture publique : c’est un outil essentiel pour prévenir et corriger les inégalités sociales et culturelles. Les offres en direction de la jeunesse sont essentielles. Je confirme que, dans la ruralité, les élus locaux n’ont malheureusement pas toujours conscience que de réels efforts intergénérationnels en faveur de la lecture publique sont indispensables.

En ce qui concerne le rapport de M. Pouzol sur le lancement de Franceinfo, notre groupe est sensible à la nécessité de garantir à nos concitoyens des contenus d’information estampillés « service public ». La nouvelle chaîne d’information publique compte chez nous des partisans mais d’autres sont plus sceptiques ; certains me parlent parfois de « propagande gouvernementale », ce qui montre que la perception de l’indépendance est relative. L’avenir nous dira si Franceinfo a choisi la bonne stratégie éditoriale. Il me semble que le choix d’être avant tout « réseau social voire mobile compatible » représente une opportunité pour la chaîne de gagner en légitimité et de s’installer durablement dans le paysage audiovisuel, même si ce format peut en dérouter certains.

La grande question concerne son coût et j’ai lu avec intérêt la partie du rapport à ce sujet. Il importe de ne pas confondre surcoût et embauches supplémentaires, d’autant que le coût est principalement supporté par France Télévisions, dont le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) nous laisse circonspects quant à sa capacité à éviter les déficits dans les années à venir. L’entreprise est structurellement déficitaire et dépend d’un niveau important de ressources propres pour maintenir son budget à l’équilibre. Vous avez, monsieur le rapporteur, reconnu l’absence de pilotage de l’État ; elle n’excuse pas les dérives de gestion. C’est pourquoi il convient aussi de parler de la gestion de l’entreprise, dont la Cour des comptes a souligné les défauts.

Le lancement de Franceinfo rappelle cruellement, en creux, l’absence de réforme de l’audiovisuel public sous cette législature, la majorité s’étant contentée d’augmenter continuellement la contribution à l’audiovisuel public (CAP) ainsi que le taux de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques pour reverser à l’entreprise l’équivalent du produit de cette augmentation, en gardant le reste de la ressource dans le budget de l’État. Le débat en PLF sur cette question a démontré les limites de cette navigation à vue puisque c’est même de la rapporteure générale qu’est venu un amendement refusant une nouvelle hausse de la CAP. Estimez-vous que France Télévisions puisse faire face, sans risque industriel, au coût que représente cette nouvelle chaîne ?

En ce qui concerne le rapport de Virginie Duby-Muller sur le développement de la presse en ligne, qu’il s’agisse des pures players ou du développement numérique des rédactions historiques, j’ai noté le parti-pris assumé de rééquilibrer les aides entre les acteurs et de repenser la ligne de démarcation entre presse IPG et non IPG.

La quatrième recommandation préconise la création d’« un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse » dans le cadre de la révision de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Cette orientation nous semble prometteuse, même si son échec relatif chez nos voisins ternit un peu l’espoir de voir les « infomédiaires » prendre leur juste part dans la chaîne de création de la valeur éditoriale. Ce sera un sujet intéressant à évoquer avec les députés du Bundestag, lors de la prochaine rencontre de notre Commission dans un mois.

Pensez-vous que l’Europe pourrait faire plier Google, malgré les précédents espagnols et allemands, les accords signés dans ces pays n’ayant pas permis la mise en place de compensations financières significatives en échange de droits de reproduction et de communication ? Il ne faudrait pas que ce débat si nécessaire, alors que les acteurs de notre pays ont pris le virage numérique mais peinent encore à créer des modèles économiques viables, ne se termine aussi mal que la taxe Google, le fonds Google en faveur de la presse ayant certes le mérite d’exister, mais sans doute plus pour très longtemps. Ce n’est pas, en tout cas, par des subventions de plus en plus importantes que nous pourrons envisager sereinement l’avenir.

M. Rudy Salles. Je félicite Marie-George Buffet pour son rapport relatif au livre, qui met en lumière les aspects essentiels de l’apprentissage de la lecture mais aussi les faiblesses de notre système. Ce rapport apporte la démonstration que les pouvoirs publics ne mènent pas une politique suffisamment ambitieuse pour répondre aux défis qui se posent à nous.

Je soutiens également le rapport de Virginie Duby-Muller, qui me rappelle un rapport que j’ai rédigé il y a quatre ans sur la presse quotidienne régionale. Je vois que les réponses aux problèmes sont toujours en attente.

Je remercie Michel Pouzol pour son rapport sur l’audiovisuel public, plus particulièrement consacré à la nouvelle chaîne d’information en continu Franceinfo. C’est un choix opportun car le sujet mérite toute notre attention. Comme je l’ai indiqué ici-même à de multiples reprises, je pense sincèrement qu’il n’était pas opportun, en 2016, de créer une nouvelle chaîne d’information, en premier lieu parce que le créneau est largement occupé par le privé depuis de nombreuses années. On peut même parler de saturation dans ce secteur, ce qui peut se vérifier par la fragilité de certaines sociétés.

D’autre part, nous avons régulièrement des débats autour du format de France Télévisions, qui dispose d’un nombre pléthorique de chaînes dont on a du mal à cerner les spécificités. Selon moi, le service public devrait jouer un rôle majeur dans l’accès à la culture, avec la création d’œuvres originales, par exemple, ce qui est très loin d’être le cas : la course à l’audience, derrière les chaînes privées, est malheureusement la règle.

Par ailleurs, je m’étonne de la précipitation et du flou dans lesquels ce projet a été monté. Lors de sa dernière audition, la présidente de France Télévisions nous avait indiqué que Franceinfo serait un format totalement innovant, que la diffusion sur la TNT n’était pas envisagée. Tout cela n’était que de l’enfumage, préparant la création d’une chaîne d’information en continu de plus. Le rapport indique que l’information de service public a une responsabilité particulière, celle de fournir « une information certifiée, vérifiée et validée qui est le principal contrepoids aux demandes de communication relayées sans discernement et sans recul ». Dois-je vous rappeler que les journalistes du privé sont aussi astreints à ces obligations, sous le contrôle du CSA ? La distinction que vous faites est désobligeante à leur égard.

Au plan financier, ce projet est de nature à nous inquiéter. La Cour des comptes qualifie le chiffrage communiqué de « flou » et demande une expertise « sérieuse et approfondie » permettant de déterminer un coût complet afin d’en apprécier la pertinence par référence à des comparaisons établies sur des chaînes similaires déjà existantes et de prévenir tout dérapage financier.

En ce qui concerne l’originalité des programmes et l’approfondissement de l’information, je me suis astreint à regarder Franceinfo. Je n’ai pas constaté le discernement, le recul par rapport aux événements dont vous parlez. Les décrochages radio toutes les dix minutes contraignent le traitement des autres sujets, qui est souvent opéré en style télégraphique. Je ne suis visiblement pas le seul à ne pas être convaincu puisque, après l’effet curiosité des premiers jours et une audience à 0,6 %, l’audience est retombée à 0,3 %, alors que LCI est à 0,4 %, i-Télé à 0,8 % et BFMTV à 2,1 %. Je m’interroge d’ailleurs sur la frilosité de France Télévisions à communiquer les chiffres d’audience. Le groupe a demandé des mesures ad hoc mais refuse de les diffuser. Ce rapport me conforte dans toutes les préventions qui étaient les miennes.

M. Michel Françaix. J’aurais pu m’intéresser au formidable plaidoyer pour l’écrit de Marie-George Buffet mais comme j’aurais écrit la même chose, le talent en moins, je parlerai du rapport de Virginie Duby-Muller, dont je partage beaucoup des constats. Je remercie tout d’abord notre collègue de ne pas être tombée dans l’ébriété technologique : si elle reconnaît que la presse en ligne est l’avenir, elle n’écarte pas pour autant d’un revers de main le reste de la presse.

Elle a raison de souligner qu’un fonds de soutien à l’émergence ne doit pas seulement protéger les acquis mais aussi agir pour le développement de projets innovants. Toutefois, nous aurions tort de ne pas faire la différence entre une presse qui coûte beaucoup d’argent et une qui en coûte moins. Les aides à la presse existent parce que les imprimeries, la distribution coûtent très cher. La presse en ligne mérite aussi d’être aidée mais son prix de vente est en général moitié moindre que celui de la presse papier, ce qui signifie qu’elle ne doit pas être aidée au niveau qu’elle demande. Contrairement à Mme Duby-Muller, je pense que des aides justes sont des aides inégalitaires.

Je mets également en garde contre l’idée que la distinction entre presse IPG et non IPG n’aurait pas de sens pour la presse en ligne. La presse papier tente d’établir une différence entre presse de distraction et presse de connaissance. Nous ne parvenons d’ailleurs pas bien à définir ces catégories et c’est pourquoi nous remettons toujours à l’année prochaine la réforme sur cette question. Je ne souhaite pas que la presse en ligne revendique avoir droit à tout.

M. François de Mazières. Nous partageons tous l’analyse de Mme Buffet sur la priorité à donner à la lecture publique. L’un des problèmes fondamentaux, aujourd’hui, ce sont les dotations aux collectivités territoriales. Tout repose sur les départements et surtout les communes : la baisse des dotations joue de façon très négative et certaines collectivités sont conduites à diminuer ou, le plus souvent, stabiliser les aides à la lecture.

Le rapporteur de Mme Duby-Muller est passionnant. Nous partageons tous la conviction qu’il s’agit d’un enjeu européen. La question qu’il faudra traiter est ainsi de savoir comment parvenir à une démarche européenne efficace, alors que le veto d’un seul pays empêche aujourd’hui d’obtenir ce qu’en France nous souhaitons.

Le rapport de M. Pouzol est extrêmement optimiste mais les conclusions d’un récent rapport de la Cour des comptes devraient conduire à tempérer cet optimisme. La première page du Parisien aujourd’hui montre bien qu’il y a une crise à France Télévisions ; il ne faut pas se le cacher. La nouvelle chaîne d’information est sur le grill car son audience est très faible. Quand nous avions entendu Mme Ernotte ici même, le 28 octobre 2015, elle s’était engagée à ce qu’il n’y ait pas de recrutements mais plutôt une nouvelle cohésion au sein des équipes rédactionnelles des différentes chaînes de France Télévisions. Or, au mois de mai dernier, des recrutements ont été annoncés, ce qui a provoqué un très vif émoi parmi les journalistes de l’audiovisuel public, notamment chez ceux qui ne sont pas titulaires de contrats longs ou de CDI, qui s’estiment marginalisés dans la création de cette nouvelle chaîne. Les engagements de la présidente de France Télévisions ne sont donc pas tenus, a priori. Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie assez floue, entre les déclarations et la pratique ?

Mme Brigitte Bourguignon. Je salue à mon tour la qualité des trois rapports qui nous sont présentés ce matin. Je me suis penchée plus particulièrement sur celui de Mme Buffet relatif à la lecture publique. Je retrouve avec plaisir ce thème que j’avais moi-même choisi pour le PLF 2014. Améliorer l’accès au savoir pour défendre les valeurs humanistes et républicaines, promouvoir la diversité culturelle et l’épanouissement de chacun, cela reste une nécessité impérieuse en ces temps de fragilités démocratiques.

Nous avons la chance d’avoir en France un maillage territorial exceptionnel en termes de bibliothèques, en comparaison de nos voisins anglais ou allemands. Si le dernier rapport de l’inspection générale des bibliothèques pointe un certain nombre de lacunes, il indique également que, pour desservir un territoire municipal ou intercommunal du point de vue de la lecture publique, il peut être recouru à d’autres dispositifs, tels que des services en ligne, sur place ou à distance, des services à domicile – portage –, des dispositifs intermédiaires comme les bibliobus de prêt direct ou des dépôts dans des structures autres que des bibliothèques.

Dans ma circonscription très rurale, des médiathèques, comme celle de Lumbres, ont permis une mise en réseau avec plusieurs petites bibliothèques au sein de communes rurales dans le canton. Ainsi, chaque citoyen, aussi éloigné soit-il, dispose de la même diversité d’ouvrages sur l’ensemble du territoire. Il faut aussi relever l’importance du dispositif précieux des contrats territoires lecture, qui a produit de bons résultats dans mon département durement frappé par la précarité. Ce type de partenariat a permis de mobiliser avec efficacité tous les acteurs de la lecture sur le territoire par la constitution de réseaux de lecture publique et par le développement des compétences professionnelles et bénévoles.

Oui, l’échelon départemental est primordial. Mais comme le souligne Vincent Monadé, président du CNL, l’importance est aussi dans le volontarisme et la mobilisation des communes, des intercommunalités, des associations, et de la place qu’elles souhaitent donner au livre. Tant que les maires soutiendront leurs bibliothèques, on peut être raisonnablement optimiste.

Je terminerai mes propos par deux questions. En 2015, le CNL a adopté une vaste réforme de ses dispositifs d’aides. La logique est désormais de concentrer les crédits sur une cible prioritaire pour un effet maximal, d’accompagner les projets développés par les bibliothèques en faveur des publics empêchés, dont ceux qui sont géographiquement, culturellement ou socialement éloignés du livre et de la lecture. Avez-vous des retours sur les résultats de ce nouveau dispositif ?

Ma seconde question porte sur le numérique. Si l’enjeu des bibliothèques de demain sera de ne plus être seulement des lieux de savoir et d’étude mais aussi des lieux de vie, il va de soi que le développement du numérique contribuera à leur attractivité, notamment pour les jeunes générations, amenées vers le livre par le biais des nouvelles technologies. En mars 2016, une première évaluation du dispositif prêt numérique en bibliothèque a été réalisée après un an d’expérimentation sur soixante bibliothèques pilotes. Elle a montré un succès croissant au fur et à mesure de l’enrichissement du catalogue numérique. Vous n’abordez pas cette question : est-ce délibéré ?

Mme Annie Genevard. Mon propos portera plus particulièrement sur le rapport de Mme Buffet consacré au livre et à la lecture publique, pan essentiel de la politique culturelle française, qui s’inscrit dans le temps et connaît de beaux succès : prix unique du livre, maillage territorial par de nombreuses bibliothèques, maintien d’un réseau de librairies – la situation française est exceptionnelle en Europe, alors que le réseau de librairies indépendantes a disparu dans certains pays tels que l’Espagne et l’Angleterre –, les salons du livre, les résidences d’auteur, les multiples opérations dont Mme Buffet a montré toute l’inventivité. À titre d’exemple, je salue l’initiative prise en France par le Lions Club, qui a installé dans plusieurs villes des boîtes à livres dans lesquels on peut déposer ses livres et en prendre ; c’est tout simple, cela ne coûte rien et cela a un succès fou.

Ce bilan ne doit pas occulter les fragilités. Vous avez, madame la rapporteure, souligné l’affaiblissement financier des départements dans le financement des bibliothèques départementales de prêt. Même s’ils ont conservé la compétence culturelle, les départements se sont vus imposer une purge budgétaire qui explique ces choix sans doute faits dans la douleur. De même, 17 % de la population française, soit plus de la moitié des communes, et près de onze millions de personnes n’ont pas accès à un lieu de lecture publique. Le combat doit donc continuer.

Vous n’en parlez pas mais les crédits d’État ont diminué ces dernières années. Par ailleurs, la fréquentation des bibliothèques publiques a également fléchi. Je ne sais pas si les deux tendances sont corrélées mais force est de constater que le nombre de personnes inscrites dans des bibliothèques pratiquant le prêt a chuté de plus d’un million sur un peu plus de six millions de lecteurs. Quelle en est la cause, alors même que l’édition, notamment en matière de livres pour enfants, connaît un développement remarquable, avec des livres de très grande qualité ? Le livre est une chaîne ; ce n’est pas que la lecture publique, mais aussi le réseau privé de librairies, et les organismes, publics et privés, qui promeuvent la lecture.

Dans L’Opinion de ce matin, je vous invite à lire, dans la rubrique « In folio », la présentation de l’ouvrage Librairies : Itinéraires d’une passion, sur les grandes librairies européennes.

M. Jacques Cresta. Ayant été cette année rapporteur sur le projet de COM de France Télévisions et l’an dernier rapporteur pour avis sur le budget de l’audiovisuel public, je souhaite interroger Michel Pouzol sur le budget 2017 de l’audiovisuel et en particulier sur la chaîne d’information continue Franceinfo.

Cette chaîne d’information réunissant les principaux acteurs de l’audiovisuel public est une avancée majeure pour la vitalité démocratique de notre pays. C’est, comme vous l’avez très justement souligné, monsieur le rapporteur, la fin d’une anomalie française qui portait gravement atteinte à la qualité de l’information en continu. Je salue le travail exemplaire des équipes qui ont collaboré pour mettre ce projet sur pied en un temps record, un service unique en son genre, associant les équipes de France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde. Cette pluralité est aussi le gage d’un nouveau modèle d’information qui privilégie le décryptage et l’analyse, mais aussi la mise en perspective historique et culturelle, autant de clés de compréhension qui manquent jusqu’ici cruellement sur nos écrans.

Comme vous, je pense que la gouvernance allégée et le fonctionnement souple de la chaîne constituent un modèle de coordination dont pourraient s’inspirer les acteurs de l’audiovisuel public afin de mettre en œuvre les synergies de demain. J’en appelle à la responsabilité de l’État, qui doit assumer pleinement son rôle d’impulsion et de stratège.

J’aimerais revenir sur la place de France 3 au sein de la chaîne d’information. Dans mon récent rapport sur le COM de France Télévisions, je me suis particulièrement intéressé à l’avenir de l’offre régionale de France 3, qui suscite de nombreuses inquiétudes. Vous vous prononcez pour une meilleure mobilisation du réseau de France 3 et pour la formalisation possible d’une contribution directe spécifique des équipes à la chaîne d’information. Je partage avec vous l’idée que le maillage exceptionnel de France 3 ne peut que renforcer la spécificité du service public de la chaîne d’information et la qualité de ses programmes. J’émettrai néanmoins une inquiétude et une réserve. Si la participation des rédactions régionales et locales de France 3 à la chaîne d’information s’accentue, n’y a-t-il pas un risque que certaines éditions soient progressivement vidées de leur substance au bénéfice de la chaîne d’information ? Je pense tout particulièrement aux éditions locales de France 3, vitrine essentielle de la vie de nos territoires, dont la permanence est menacée par des difficultés croissantes dues au manque de volonté du groupe France Télévisions d’assurer les conditions nécessaires à leur diffusion sur tous les supports.

Mme Laurence Arribagé. Je salue à mon tour la qualité des trois rapports présentés ce matin.

Votre rapport, madame Duby-Muller, met en lumière les différentes actions, nationales comme européennes, de soutien en faveur de la presse numérique. Je ne peux que vous rejoindre dans votre appréciation, au nom du nécessaire pluralisme de l’information, indispensable à toute démocratie bien portante.

En France, la presse en ligne a vu récemment son champ d’opportunités s’élargir, notamment en matière d’innovation et d’entreprenariat avec la création, par exemple, du Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse.

Pour autant, il semblerait qu’un certain nombre d’obsolescences persiste et défavorise les nouveaux acteurs de l’information numérique, en particulier les nouveaux pure players. En particulier, il apparaîtrait que la dénomination de titres d’information politique et générale, dont la plupart des aides publiques dépendent, soit particulièrement inappropriée aux spécificités du digital et source d’incertitudes et de situations passablement discriminatoires.

De même, l’impossibilité réglementaire des titres numériques d’accéder au marché des annonces judiciaires et légales apparaîtrait aujourd’hui en contradiction avec la volonté du législateur en faveur de la diffusion toujours plus large et transparente de ces informations.

Ainsi, en dépit des ouvertures créées, on constate que les titres traditionnels imprimés ou bi-médias restent, de fait, largement privilégiés face aux aides publiques et parfois privées, comme dans le cas du Fonds Google pour l’innovation numérique de 2013, et ce, au détriment des nouveaux acteurs du web.

À ce titre, et compte tenu du fait que ce fonds expire a priori à la fin de l’année en cours, pourriez-vous clarifier les modalités de cautionnement du fonds européen Google Digital News Initiative, supposé lui succéder, et notamment les mesures qui permettraient à cette nouvelle initiative privée de surmonter les écueils de la version française ?

M. Hervé Féron. Madame Duby-Muller, comme c’est le cas pour la musique, il existe dans la presse des aides au pluralisme et à l’émergence. Cela constitue une première, et il est bon de remarquer que la puissance publique ne se contente pas de soutenir financièrement des médias existants, mais aussi la création de nouveaux médias, dans une logique d’innovation et de pluralisme. Comme vous, je suis convaincu de la nécessité de mettre en place une TVA super-réduite pour l’ensemble de la presse, y compris en ligne.

Vous abordez également le sujet de la mise en place d’un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse. C’est un vrai sujet. Je me suis rendu compte récemment que les éditeurs, dans le domaine musical, manquaient cruellement de reconnaissance et qu’ils ne bénéficiaient d’aucun dispositif fiscal, à la différence, par exemple, des producteurs de disques, alors qu’ils sont aussi importants. Sur cette priorité, nous sommes en droit d’attendre que l’Europe mette fin à l’impunité légale et fiscale des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), afin, notamment, de contraindre Google Actualités à payer les éditeurs de presse, comme il le devrait. Cela pourrait passer, pourquoi pas, par la mise en place d’un droit voisin au bénéfice de ces derniers.

Monsieur Pouzol, vous ne vous étonnerez pas que je revienne sur le rôle de l’audiovisuel public vis-à-vis de la création musicale, et notamment de la création d’expression française. Je suis persuadé qu’il manque aujourd’hui une émission musicale de variétés régulière et à une heure de grande écoute à la télévision publique, avec une place pour les interprètes créateurs émergents en français. La spécificité de service public, le devoir d’exemplarité dont vous parlez si bien dans votre rapport ne rendent-ils pas nécessaire de revoir le COM de France Télévisions en ce sens ?

À la lecture de votre rapport, Madame Buffet, je pense à des initiatives prises en région parisienne, comme ces librairies solidaires qui proposent des livres en bon état, triés, donnés ou vendus à de très petits prix. Comme vous, je trouve cette idée très intéressante pour faciliter l’accès aux livres des catégories les plus modestes.

Même si on s’éloigne un peu de votre sujet, je voudrais savoir si vous avez pu prendre connaissance du bilan de l’ouverture récente, le dimanche, de cinq bibliothèques universitaires à Paris. Voyez-vous à cette ouverture le dimanche une utilité qui correspondrait à une forte demande des étudiants ?

Mme Dominique Nachury. Les trois rapports sont très riches d’informations et de perspectives, et donnent matière à débats.

Parmi ces débats, il y a celui de la gestion et de la réforme de France Télévisions. À cet égard, le rapport de la Cour des comptes du mois d’octobre dénonce une réorganisation inaboutie et appelle à une réduction des charges. Il pointe notamment la question des effectifs et les charges de personnel, qui ont augmenté de 13 % entre 2009 et 2015, malgré deux plans de départs volontaires à la retraite. Plus gênant, le rapport dénonce également le cumul entre les CDI et les CDD ou les CDD d’usage. À l’heure où l’on débat d’une éventuelle et significative augmentation de la redevance, il conviendrait de mettre un peu de clarté dans la façon de gérer le personnel de France Télévisions.

J’ai une question à poser à Mme Buffet. L’expérience des boîtes à livres, qui se développe au niveau municipal ou dans les associations, constitue-t-elle une initiative intéressante ou finalement anecdotique au regard de la question bien plus vaste de la lecture publique ?

M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis. En ce qui concerne les « défaillances » de l’État, madame Martinel, le mot est un peu fort. Nous avons renforcé, au cours des années, l’indépendance de l’audiovisuel public et le rôle du CSA. On peut, certes, constater que les ministères de tutelle n’ont pas forcément joué leur rôle et qu’ils devraient le faire, a fortiori si ce type de projet devait se multiplier. Nous avons envisagé plusieurs pistes, qui restent à définir. Je pense, en effet, qu’on ne peut pas se passer d’une vision déterminée de l’État sur ces sujets, et notamment du ministère de la culture. C’est en ce sens que le terme de « défaillances » a été employé.

Monsieur Reiss, la perception de l’indépendance est effectivement très relative, mais, le jour où les rédactions de France Télévisions feront de la propagande pour le Gouvernement actuel, passez-moi un petit coup de fil, je suis curieux de voir cela et d’en mesurer l’efficacité ! Pour l’instant, cela ne m’a pas sauté aux yeux et je pense que ce n’est pas le sentiment général.

Plus sérieusement, la capacité de Franceinfo à tenir le budget est une question qui se pose globalement pour France Télévisions, on l’a vu avec le rapport de la Cour des comptes. J’y reviendrai tout à l’heure en répondant à Rudy Salles.

Par contre, ce dont je suis à peu près sûr, c’est que la chaîne d’information ne risque pas d’être une catastrophe budgétaire, parce que le poids de cette chaîne, basée sur une masse importante de redéploiements, n’est pas suffisamment lourd pour mettre en danger l’ensemble du groupe. Le financement de cette chaîne, assez modeste, prévient l’idée d’une catastrophe budgétaire.

Pour répondre à Rudy Salles, qui parlait du coût complet, il faut rappeler que comparer, aujourd’hui, des chaînes d’information privées et celle-ci est très difficile et peu réaliste puisque les modèles ne sont pas fondées sur les mêmes synergies. Nous disposons des surcoûts pour France Télévisions, c’est-à-dire ce qui n’est pas lié à des redéploiements. Nous pouvons donc à peu près évaluer le niveau de ce surcoût en période de croisière. Dans mon rapport, un tableau fait état d’une vingtaine de millions d’euros, supportés majoritairement par France Télévisions mais pas uniquement, et dont une partie se fera aussi par redéploiements. Ce montage budgétaire est l’assurance que cette chaîne est viable.

Y a-t-il trop de chaînes d’information ? La question mérite d’être posée, ce que je fais, d’ailleurs, dans mon rapport. Mais c’est le CSA qui peut juger de cet état de fait. Cela étant, la nécessité d’une chaîne publique d’information est incontestable, d’autant que lorsque nous avons auditionné les chaînes privées qui ont bien voulu se déplacer, personne n’a remis en cause la nécessité d’une chaîne d’information de service public.

Les audiences ad hoc étant une commande spécifique, elles ne peuvent pas être communiquées. C’est la nature du contrat. Pourquoi n’y a-t-il pas d’étude Médiamétrie pour l’ensemble de la chaîne ? C’est simplement une question de coût, qui représente aujourd’hui 10 % du budget de la chaîne. La direction a estimé que ce coût était disproportionné par rapport au résultat.

Par contre, il faut absolument que nous arrivions, à terme, à une évaluation de l’audience « quatre écrans » pour cette nouvelle offre. L’audience quatre écrans qui, je le rappelle, comporte notamment tout le numérique, est en effet fondamentale pour cette chaîne.

La première page du Parisien, que vous avez citée tout à l’heure, monsieur de Mazières, est effectivement catastrophiste. Je vous encourage à lire les deux pages suivantes où la seule allusion à Franceinfo consiste à dire que ce serait peut-être une porte de sortie par le haut pour la direction actuelle, ce qui est plutôt positif. Dans cet article, il est surtout question d’audience des émissions mais c’est un autre sujet.

Oui, il y a eu des recrutements extérieurs pour le lancement de Franceinfo. Je rappelle, dans le rapport, la nécessité de s’assurer que France Télévisions procèdera bien à quatre-vingt-huit redéploiements, pour atteindre les 175 équivalents temps plein prévus. Il faudra donc s’assurer que les projets de fusion des rédactions nationales et de non-renouvellement d’un départ à la retraite sur deux vont être mis en œuvre pour aboutir à 50 % de redéploiements et 50 % de recrutements extérieurs. C’est la viabilité de la chaîne qui en dépend. Mais, pour l’instant, les réponses qui nous ont été faites sont plutôt rassurantes, même si les choses ne seront pas simples.

Pour répondre à Jacques Cresta, la participation du réseau régional de France 3 à Franceinfo ne doit pas entraîner une régression de l’offre régionale et locale d’information. Nous devons y veiller. C’est pourquoi je rejoins la proposition, que vous avez formulée dans votre avis sur le projet de COM, de préciser et clarifier les objectifs de la nouvelle direction en matière d’évolution de l’offre régionale.

Il est toutefois important de remarquer qu’aujourd’hui, les premières réactions à l’égard de la chaîne info sont plutôt bonnes dans les antennes régionales, parce qu’elle crée une sorte de dynamisme, les chaînes régionales se contentant jusqu’à présent de nourrir deux éditions par jour. Il y a désormais la sensation qu’on peut nourrir une antenne à longueur de journée, donc, d’être proactif.

Cela étant, il faut veiller à aller au bout de la redéfinition de France 3, avec la fusion des rédactions nationales. Il faut que ce chantier aboutisse, faute de quoi France 3 serait potentiellement mise en danger. On peut, dans une certaine mesure, faire le parallèle avec Radio France et le réseau France Bleu. C’est pourquoi je propose, dans mon rapport, de trouver, au moins pour le numérique, des collaborations de ce type pour que ces deux réseaux retrouvent un peu plus de vitalité et que la démarche proactive des directions rassure les personnels et les chaînes. J’insiste sur la nécessité de mettre en place une stratégie forte pour l’offre numérique. Il y va de l’avenir de ces réseaux.

Monsieur Féron, je suis, comme vous, très attaché à la création musicale. Il conviendrait que France Télévisions se mette autour de la table avec les acteurs de la musique – producteurs, syndicats d’interprètes, etc. – pour définir une réelle identité musicale.

On a parfois du mal à différencier les chaînes du groupe France Télévisions. On se demande, par exemple, quelle est leur identité. La musique peut être un excellent facteur d’identification. On peut choisir une couleur globale pour certaines chaînes, ce qui permettra d’améliorer leur identification par rapport au public ciblé. C’est un vrai chantier que nous avons à mettre en œuvre. Nous avons – Hervé Féron n’y est pas pour rien – renforcé les quotas de diffusion française dans les radios. Ce serait dommage que nous ne puissions pas entamer, avec France Télévisions, un travail de réflexion plus coordonné et peut-être moins contraint, mais qui aille dans le même sens.

Si la musique avait totalement disparu de France Télévisions ces dernières années, les modules « Alcaline » et le retour de l’émission « Taratata », s’ils ne sont pas suffisants, redonnent tout de même une place à la musique sur les antennes de France 2 et peuvent constituer le point de départ d’une réflexion plus globale sur la place de la musique à France Télévisions. Nous devons certainement aller plus loin dans ce domaine, car c’est important économiquement et culturellement.

Enfin, Madame Nachury, je vais examiner le rapport de la Cour des comptes et regarder de très près le problème du cumul entre les CDI et les CDD ou les CDD d’usage.

Pour le reste, cette chaîne publique d’information est un modèle différent, qui nous permettra peut-être de voir sous un autre angle l’ensemble du fonctionnement de la chaîne, y compris en matière de synergies. On parle toujours de l’action nationale de France 3 et de France 2, mais on voit bien qu’en créant des synergies, on peut créer des zones qui, financièrement, permettraient de dégager des ressources ou, du moins, de baisser certaines dépenses. J’y crois beaucoup, mais il nous faudra être très vigilant, car ce n’est pas gagné d’avance. Pour l’instant, les choses sont suffisamment bien encadrées pour pouvoir y arriver, mais le chemin est encore difficile. C’est pourquoi je plaide à nouveau pour une vraie présence de l’État autour de la table, notamment pour exercer un contrôle un peu plus serré qu’une simple audition parlementaire par an et un COM tous les cinq ans.

Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis. Frédéric Reiss m’a interrogée sur la recommandation n° 4, qui vise à appuyer activement la reconnaissance d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse, prévue par la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, publiée par la Commission européenne le 14 septembre dernier. L’intention de la Commission européenne est de trouver une solution structurelle et plus pérenne que le Fonds Google-AIPG ou le DNI  à travers la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse.

Tous les représentants que j’ai pu rencontrer, qu’il s’agisse du SPIIL, du syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) ou du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) se sont félicités de ce changement d’approche, qui modifiera profondément la donne et permettra aux éditeurs de presse de décider ex ante de céder, ou non, leurs droits à titre gratuit ou onéreux.

Il faudra veiller à ce que les représentants des États membres auprès des institutions européennes dépassent ce rapport conflictuel entre les éditeurs de presse et les infomédiaires. Les tentatives de régulation de 2013 et 2014 en Espagne et en Allemagne ont connu un échec relatif, mais on imagine mal que Google puisse, aujourd’hui, refuser de négocier avec l’ensemble des éditeurs de presse au niveau européen. C’est effectivement à l’échelon européen qu’on pourra peser davantage face au géant du numérique.

Michel Françaix a rappelé que la presse papier avait un coût beaucoup plus important que le numérique, qu’il s’agisse de l’impression ou de la distribution. Pour autant, le numérique impose également des investissements très lourds, en particulier les outils de gestion de l’abonnement numérique, les plateformes numériques, qui doivent être renouvelées tous les deux ans, la numérisation des fonds physiques et les dispositifs pour lutter contre le piratage. Plus récemment, nombre de sites en ligne ont mis en place la vidéo, élément très attractif et dynamique, qui permet d’augmenter l’audience.

Je rappelle quelques chiffres. Aujourd’hui, 93 % des aides bénéficient à la presse papier, alors que près de 60 % du lectorat de la presse se fait actuellement via le numérique. Il y a donc une marge de progrès pour rééquilibrer la situation. L’exclusion de la presse en ligne des aides au pluralisme pose question, le président de la CPPAP lui-même en convient.

J’en viens au débat sur la presse IPG et non-IPG. Certes monsieur Françaix, la presse en ligne n’a pas « droit à tout ». Mais, dans la mesure où 98 % des aides directes à la presse sont ciblées sur la presse IPG et que de nombreux pure players associant IPG et non-IPG sont exclus de ces aides parce qu’ils n’ont pas l’agrément de la CPPAP, cela pose question et montre l’inadaptation actuelle par rapport à l’évolution de la presse en ligne. Là encore, il y a place pour un rééquilibrage.

Le Huffington Post, par exemple, n’a jamais bénéficié de la moindre aide à la presse depuis sa création. Or, aujourd’hui, c’est le premier pure player et il touche près de 45 millions de pages vues, avec 25 millions de visites en juin 2016 et 4 millions de visiteurs par mois, ce qui n’est pas anodin.

Madame Arribagé, je regrette, comme vous, l’impossibilité, pour la presse en ligne, d’accéder au marché des annonces légales, ce qui pose question sur leur modèle économique et leur viabilité.

Vous m’avez également interrogée sur les modalités de fonctionnement du Fonds européen Google DNI. Effectivement, ses modalités seront différentes de l’actuel fonds Google, qui arrive à échéance en 2016. Il avait d’ailleurs été prolongé parce qu’il n’avait pas été intégralement consommé. Je rappelle que ce fonds a permis de mobiliser 60 millions d’euros sur trois ans. Le Fonds DNI n’aura pas la même gouvernance que le Fonds Google-AIPG puisque les éditeurs de presse ne sont pas présents au sein de son conseil d’administration. Les griefs en termes d’opacité et de collusion devraient donc perdre en légitimité, ce qui a parfois été relayé au cours de nos auditions. Le SPIIL a également loué ce mode de gouvernance, ainsi que l’ouverture à la presse non-IPG. Il s’agit, là encore, d’une évolution importante.

Par ailleurs, ce fonds a déjà lancé deux appels à projet, l’un au début de l’année 2016, l’autre en cours. Son conseil d’administration est appelé à se prononcer sur tout financement compris entre 30 000 euros et 1 million d’euros. Toutefois, il faut souligner que ce fonds n’est doté que de 150 millions d’euros sur trois ans, soit 50 millions par an, et qu’il est ouvert à l’ensemble des éditeurs de presse à l’échelle européenne. Par conséquent, les éditeurs français ne pourraient espérer des financements qu’à hauteur de 5 à 10 millions d’euros par an au maximum, soit, au final, quatre fois inférieurs au financement annuel actuellement prévu pour le Fonds Google-AIPG.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure pour avis. Je commencerai par la question de Mme Genevard sur l’affaiblissement de la fréquentation et la baisse des moyens accordés à la lecture publique. L’affaiblissement de la fréquentation ou, du moins, le fait que l’on n’arrive pas à gagner suffisamment de nouveaux publics, est lié à plusieurs facteurs, qui ne peuvent se résumer aux moyens. Il y a d’abord l’apprentissage du rapport au livre. Je suis frappée de constater la différence, en termes de développement, entre un enfant qui a la possibilité de toucher un livre, geste très important pour le rapport futur à la lecture, et qui bénéficie de la présence d’adultes lisant des livres et leur racontant des histoires, et un enfant qui n’a pas accès aux livres. Tout ce qui peut permettre de généraliser ce lien précoce entre le livre en tant qu’objet, la lecture et l’enfant, est très important pour le développement du langage et l’envie de découvrir à travers la lecture. Mais il y a également le rapport aux livres dans le cadre de l’école, au-delà des livres scolaires.

Nous avons auditionné des représentants de l’Institut de recherches de la Fédération syndicale unitaire (FSU), dont les propos nous ont frappés. Je pense, par exemple, à l’idée que, dans la formation des adultes, le temps de lecture est considéré comme du temps perdu, comme si, aujourd’hui, la formation passait par bien d’autres choses, comme les stages ou le monitoring, et que prendre le temps de lire pour avoir une culture générale, dont a besoin un enseignant, était vécu par les enseignants eux-mêmes comme du temps perdu. Replacer la lecture comme un élément de formation tout au long de la vie, un élément de connaissance et d’ouverture, demande une ambition publique. C’est ce que j’ai voulu traduire à travers ce rapport.

Vous êtes, par exemple, maire d’une ville, et vous constatez que les livres sont là et que la bibliothèque fonctionne. Selon les années, il y a plus ou moins de lecteurs, les âges varient etc. Pourtant, il faudrait secouer un peu le cocotier, car il y a sans doute beaucoup de choses à revoir en matière de services et d’espaces.

Madame Bourguignon, nous avons un formidable maillage, avec 16 300 lieux de lecture publique. Mais il y a aussi des déserts. Dans mon rapport, je cite quatre départements où il semble n’y avoir aucune volonté publique de donner accès à la lecture, que ce soit dans les villes ou dans les zones rurales.

Il faut aussi une certaine conception de la proximité. Dans un département comme le mien, il y a de magnifiques bibliothèques ou médiathèques, ainsi que des bibliothèques de proximité et des boîtes à livres. Tout cela est nécessaire, mais ne suffit pas, en soi, à gagner de nouveaux lecteurs et lectrices sans un travail de médiation.

Certaines bibliothèques de proximité, ouvertes au cœur des cités, fonctionnent grâce à la médiation d’un personnel qualifié, tandis que d’autres n’arrivent pas à capter le public alentour. Lors de nos auditions, nombre d’intervenants ont insisté sur l’importance d’avoir un personnel suffisamment qualifié pour guider, encourager, informer les personnes qui passent la porte de la bibliothèque ou de la médiathèque.

J’en reviens à la question de Mme Genevard. Tout cela demande des moyens. Il faut du personnel qualifié en nombre et des espaces de qualité. Je pense à la bibliothèque de La Courneuve, qui a été installée dans l’ancienne usine Mécano. C’est un bâtiment magnifique, avec un mélange d’ancien, de friche industrielle et de moderne. C’est aussi un lieu accueillant, où transparaît la volonté d’affecter des personnels capables d’accueillir tous les publics.

Je le répète, cela demande des moyens, et les personnels s’inquiètent de ce qui pourrait être, non un recul des moyens, mais une stabilisation qui ne permettrait pas d’évoluer vers une nouvelle conception de l’accès à la lecture publique.

En ce qui concerne le Centre national du livre (CNL), en 2015, 156 aides ont soutenu les achats de collections adaptées à certains publics. Ainsi, la bibliothèque de La Courneuve possède un fonds tamoul, pour répondre aux aspirations d’un grand nombre de familles originaires du Sri Lanka. Le financement d’un fonds étranger permet d’attirer de nouveaux publics dans la bibliothèque.

Si je n’ai pas parlé du numérique, c’est que cette question a été très peu abordée au cours de nos auditions. Comme si le numérique était devenu quelque chose d’ordinaire dans les lieux de lecture, sans produire un déclic justifiant qu’on en parle comme d’une solution pour augmenter le lectorat dans les bibliothèques.

En ce qui concerne l’ouverture des bibliothèques le dimanche dans les universités, je n’ai pas de statistiques à vous fournir. Par contre, l’ouverture le dimanche et les horaires étendus à la Bibliothèque publique d’information sont un succès. Toutefois, l’ouverture le dimanche n’est pas la réponse adaptée à tous les territoires. Dans certains territoires, c’est l’ouverture plus tard le soir, par exemple, qui peut faciliter l’accès. Il ne faut pas faire une doctrine de l’ouverture le dimanche, mais veiller à ce que les horaires d’ouverture correspondent au public de chaque territoire.

Madame Genevard, j’ai tenu à parler des librairies, parce que je n’oppose pas la librairie indépendante à la bibliothèque publique. Sur un territoire comme le mien, j’ai vu fermer les bibliothèques les unes après les autres, les commandes publiques disparaître du jour au lendemain… Dans certaines villes, il n’y a, parfois, même plus d’accès à la presse. Il y a, dans ma circonscription, une ville dans ce cas. La proximité des librairies et des maisons de la presse est importante. Comment acheter un journal s’il faut, pour cela, faire des kilomètres ? Le journal doit pouvoir être acheté à proximité du domicile, sur le trajet du travail ou de l’université. La disparition des librairies ou des maisons de la presse a entraîné un recul au niveau de la lecture.

M. le président Patrick Bloche. Chers collègues, pour conclure cette matinée, je vous invite, comme chaque année, à vous rendre au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, qui aura lieu le premier week-end du mois de décembre. On y voit réunis les acteurs de la presse et du livre jeunesse, acteurs privés, acteurs publics, avec les jeunes générations, dans la démarche de transmission qui nous anime tous.

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède le mardi 8 novembre 2016, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2017 de la mission « Médias, livres et industries culturelles » (42).

À l’issue de la commission élargie, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine, pour avis, les crédits pour 2017 de la mission « Médias, livres et industries culturelles».

M. le président Patrick Bloche. Nous n’avons pas d’amendement à examiner.

Je consulte donc la commission sur les crédits pour 2017 de la mission « Médias, livre et industries culturelles », avec un avis favorable de M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public, et de Mme Marie-George Buffet, rapporteure pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles, et une abstention de Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis sur les crédits de la presse.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias livre et industries culturelles » pour 2017.

Puis la Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

(par ordre chronologique)

Ø M. Jean-Marie Charon, sociologue, spécialiste des médias

Ø Slate.fr – M. Jean-Marie Colombani, président de la société E2J2, éditrice des sites Slate.fr et SlateAfrique.com, et M. Boris Razon, directeur des rédactions

Ø Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP) – M. Daniel Panetto, président, et M. Philippe Di Marzio, directeur

Ø Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) – M. Jean-François Mary, président, et Mme Axelle Hovine, secrétaire générale

Ø Syndicat national des journalistes (SNJ) – M. Vincent Lanier, premier secrétaire général, et Mme Dominique Pradalié, secrétaire générale

Ø Fédération française des agences de presse (FFAP) – Mme Kathleen Grosset, présidente et Mme Florence Braka, directrice générale

Ø Ministère de la culture et de la communication - Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) – M. Martin Ajdari, directeur général, M. Fabrice Casadebaig, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l'information, M. Frédéric Haboury, chef du bureau du régime économique de la presse et des métiers de l'information, et M. Fabrice de Battista, chargé de mission pour la coordination et la synthèse budgétaire

Ø Fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse (FINP) – M. Antoine Laurent, directeur

Ø Mme Laurence Franceschini, conseillère d’État, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), médiateur du cinéma, auditionnée au titre de sa mission la mission qui lui a été confiée le 30 mai 2016 concernant la remise d’un rapport sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse

Ø Agence France Presse (AFP) – M. Emmanuel Hoog, président, M. Fabrice Lacroix, directeur général, et Mme Michèle Léridon, directrice de l’information

Ø Huffington Post – M. Louis Dreyfus, président du Huffington Post et président du Directoire du Groupe Le Monde, M. Paul Ackermann, directeur de la rédaction du Huffington Post, et M. Jean-Christophe Potocki, directeur général adjoint du Huffington Post

Ø Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) M. Georges Sanerot, président de l’AIPG, et M. Denis Bouchez, directeur général de l’AIPG et directeur du SPQN

Ø Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) – M. Jean Viansson-Ponté, président, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère chargée des relations avec les pouvoirs publics

Ø Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (GESTE) – Mme Corinne Denis, présidente, directrice du numérique et du développement des revenus de Lagardère, Mme Rama Diagne, juriste au GESTE

Ø Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) (*) – M. Jean-Christophe Boulanger, président, et Mme Gabrielle Boeri-Charles, directrice

Ø Le Monde  M. Louis Dreyfus, Président du Directoire du groupe Le Monde, et M. Jérôme Fenoglio, Directeur du Monde

Ø Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) – M. Christian Bruneau, président, et Mme Catherine Chagniot, directrice déléguée & Syndicat de la presse économique et juridique – M. Laurent Bérard-Quélin, président

Ø Médiapart – Mme Marie-Hélène Smiejan, directrice générale

(*) Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

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