N° 589 - Rapport d'information de Mmes Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort déposé par la commission des affaires européennes sur la réciprocité dans l'accès aux marchés publics des pays tiers par l'Union européenne




No 589

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2013

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
l’instrument de réciprocité sur les marchés publics au sein de l’Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

PAR Mmes Seybah DAGOMA et Marie- Louise FORT.

Députées

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La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Emeric BREHIER, Jean-Jacques BRIDEY, Mme Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, M. Yves Daniel, MM. Charles de LA VERPILLIÈRE, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Marc LAFFINEUR, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Arnaud LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY, Mme Paola ZANETTI.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DES ÉLÉMENTS DE CONTEXTE 6

II. L’ENJEU ÉCONOMIQUE DES MARCHÉS PUBLICS ET LA VISIBILITÉ JURIDIQUE DE L’INSTRUMENT DE RÉCIPROCITÉ 7

III. L’ASYMÉTRIE DANS L’OUVERTURE DES MARCHÉS PUBLICS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET SES PARTENAIRES COMMERCIAUX 7

IV. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PERMETTRA DE REMÉDIER AU DÉSÉQUILIBRE DANS LES CONDITIONS DE CONCURRENCE ET DONNERA À L’UNION EUROPÉENNE DES MARGES DE MANœUVRE EN MATIÈRE COMMERCIALE 10

V. CE DISPOSITIF N’EST EN AUCUN CAS PROTECTIONNISTE 12

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 19

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années, le concept de réciprocité dans les relations commerciales émerge au sein des institutions européennes. La bataille idéologique autour de l’adoption de ce principe n’était pas gagnée d’avance dans une Europe très empreinte de libéralisme dont l’ancien commissaire au commerce extérieur Peter Mandelson était un actif défenseur. Face à la montée de la puissance économique des grands pays émergents, l’exigence de réciprocité s’est toutefois peu à peu imposée, d’autant que la crise économique que connaît l’Europe peut trouver une partie de ses solutions dans les marchés extérieurs. Dans sa communication du 9 novembre 2010 sur la stratégie commerciale européenne, la Commission européenne mentionnait expressément la réciprocité et le refus de toute naïveté de l’Europe. Le Conseil européen du 16 septembre 2010 décidait de se doter d’une stratégie commerciale avec les partenaires stratégiques de l’Europe, basée sur la réciprocité. Le Parlement européen, dans son initiative « Une politique industrielle à l’ère de la mondialisation », adoptée le 28 octobre 2010, s’est prononcé en faveur de la réciprocité. Le Conseil européen du 23 octobre 2011 a appelé à appliquer ce principe aux marchés publics.

Dans le même esprit, le rapport de M. Louis Gallois sur le « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » fait valoir que l’ambition industrielle doit s’appuyer sur une politique commerciale extérieure basée sur une ouverture équitable. La réciprocité est une condition de cette ouverture équitable et elle concerne en premier lieu les marchés publics.

Le projet de règlement, présenté par la Commission européenne, instaurant le principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics au sein de l’Union européenne donne à ce principe un support juridique, conformément aux préconisations du Conseil européen d’octobre 2011.

I. DES ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

Ce projet s’inscrit dans un contexte général de crise économique et d’atonie de la croissance européenne. Il relève aussi de la logique de la politique commerciale définie par la Commission européenne : un commerce extérieur dynamique constitue un moteur puissant pouvant contribuer à ce que l’économie européenne retrouve des marges de croissance. On estime que dans l’Union européenne, 20 millions d’emplois dépendent du commerce international.

Par ailleurs, l’introuvable accord sur les négociations multilatérales du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce a amené l’Union européenne à s’engager sur la voie de la négociation d’accords bilatéraux de libre-échange. Ainsi, après la signature de l’accord avec la Corée, les négociations avec le Canada sont très avancées. Des négociations vont s’engager avec les Etats-Unis et le Japon. Ces accords de libre-échange sont dits « de deuxième génération » : il ne s’agit plus de négocier principalement sur des droits de douane-maintenant écrêtés dans le cadre de l’OMC (2) - mais sur des sujets plus complexes comme les investissements, les normes ou les marchés publics.

La réciprocité est – au moins dans les textes – au cœur du système commercial international. L’article XXVIII du GATT dispose que les États membres s’efforcent de « maintenir un niveau général de concessions réciproques et mutuellement avantageuses ». L’accord plurilatéral sur les marchés publics s’appuie aussi pleinement sur ce principe.

Or les États européens sont profondément divisés sur ce concept de réciprocité. Certains, comme la Grande Bretagne, sont idéologiquement contre une notion qu’ils estiment constituer un signal protectionniste négatif à l’égard des partenaires commerciaux de l’Union. D’autres dont la balance extérieure est positive, comme l’Allemagne dont l’excédent commercial a été de 142 milliards d’euros pour la période de janvier à septembre 2012 (3), craignent des représailles.

Pour autant le Conseil européen du 16 septembre 2010 a considéré que « l’Europe devrait défendre ses intérêts et ses valeurs … dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». En conséquence, le Conseil du 23 octobre 2011 a demandé à la Commission européenne de présenter une proposition d’instrument de l’Union européenne « visant à ouvrir les marchés publics, en précisant que l’Europe continuera à favoriser des échanges commerciaux libres, équitables et ouverts tout en défendant avec force ses intérêts dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». Tel est l’objet de la proposition largement portée dans un premier temps par le commissaire chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier, appuyée par la suite par le commissaire chargé du commerce extérieur, Karel De Gucht, avant de recevoir le soutien actif du Président José Manuel Barroso. Cette proposition s’inscrit par ailleurs dans un ensemble de propositions visant à moderniser la commande publique dans l’Union européenne qui devront faire l’objet d’une attention particulière de notre Commission européenne (4).

II. L’ENJEU ÉCONOMIQUE DES MARCHÉS PUBLICS ET LA VISIBILITÉ JURIDIQUE DE L’INSTRUMENT DE RÉCIPROCITÉ

Faute d’instrument concret, le principe de réciprocité risque de n’être qu’un vœu pieux. Les marchés publics constituent un support juridique tangible de ce principe. L’Europe pourra ainsi discuter avec ses partenaires de la réciprocité sur des pratiques effectives.

Ce texte touche à un enjeu essentiel : les achats publics constituent une part importante du commerce international, de l’ordre de 1000 milliards d’euros par an. Ils représentent entre 15 et 20 % du PIB de la plupart des Etats et sont estimés à 19 % dans l’Union européenne. Or plus de la moitié des marchés publics seraient actuellement fermés à la concurrence du fait de diverses mesures protectionnistes. Seulement 10 milliards d’euros d’exportations en provenance de l’Union européenne trouvent un débouché sur les marchés publics mondiaux. La perte d’opportunités commerciales pour l’Europe peut être évaluée à 12 milliards d’euros. Les marchés publics touchent en effet des secteurs dans lesquels l’Union européenne, et plus particulièrement la France, a un avantage de compétitivité : construction, transports publics, production d’électricité, appareils médicaux ou produits pharmaceutiques.

III. L’ASYMÉTRIE DANS L’OUVERTURE DES MARCHÉS PUBLICS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET SES PARTENAIRES COMMERCIAUX

Le cadre juridique applicable aux marchés publics est actuellement lacunaire. Ils ne font pas l’objet d’une réglementation internationale au niveau de l’OMC. Le seul engagement international est l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) conclu en 1994 hors du cadre de l’engagement unique de l’OMC (5). Sur les 156 membres que compte l’OMC, cet accord plurilatéral n’en concerne que 41, si l’on veut bien comptabiliser les vingt-sept États membres de l’Union européenne (6). En application de cet accord plurilatéral, l’Europe garantit aux autres signataires, la réciprocité, c'est-à-dire un traitement équivalent à celui accordé au niveau national aux produits, services et fournisseurs étrangers.

Par ailleurs, l’Union européenne est liée par ses accords de libre échange qui comprennent des chapitres d’ouverture réciproque des marchés publics sur une base bilatérale : c’est le cas des accords avec la Corée, la Colombie ou le Pérou.

Pour autant, le périmètre de ces engagements internationaux n’a jamais été transposé au niveau communautaire. Ainsi, des entreprises de grands émergents ou autres pays ne faisant pas partie de l’AMP peuvent soumissionner à des appels d’offres sur les marchés publics européens. La seule différence est que cette ouverture est une ouverture de facto qui ne leur est pas garantie juridiquement à la différence des pays membres de l’AMP. Il en résulte que les marchés européens sont largement ouverts à la concurrence : entre 85 et 90 %, pour un montant estimé à 352 milliards d’euros.

Deux affaires sont particulièrement emblématiques de cette ouverture. En 2006, l’entreprise Bombardier, opérateur canadien, a remporté un contrat de 4 milliards d’euros pour la rénovation du réseau transilien, au détriment de l’entreprise Alstom. Cette dernière entreprise avait en revanche été empêchée de soumissionner pour la rénovation des métros canadiens. En fait, le Canada a inséré dans les notes générales de l’AMP, des dérogations excluant certains secteurs du champ d’application de l’accord, dont le transport urbain. Pour la construction de l’autoroute entre Varsovie et Lodz en Pologne, la société chinoise Covec a devancé deux grandes sociétés européennes de Bâtiment et travaux publics car elle proposait des prix deux fois inférieur au budget prévu. (7)

Si la part des pays émergents dans les marchés publics européens est encore limitée, ceux-ci se montrent de plus en plus intéressés par le marché européen. Ce projet se situe donc dans une vision à moyen et long terme.

Ce souci d’ouverture de l’Union européenne est loin d’être partagé par ses partenaires commerciaux. Cela tient largement aux spécificités de ce type de marchés financés sur fonds publics et sur lesquels les autorités publiques ont un large pouvoir discrétionnaire. De plus, si les règles de passation de ces marchés sont encadrées dans les pays de l’OCDE, elles sont beaucoup plus floues dans nombre d’Etats, s’agissant des modalités destinées à assurer la publicité, la transparence ou la non-discrimination…

En principe, les États parties à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics se sont engagés à ouvrir mutuellement leurs marchés. Mais peuvent être maintenues des restrictions horizontales par secteurs et les pays font un large usage de ces facultés. En conséquence, les marchés publics des Etats-Unis sont ouverts à 32 % (pour un montant de 178 milliards d’euros), ceux du Japon à 28 % (pour un montant de 27 milliards d’euros) et ceux du Canada, à 16 %.

Aux États-Unis, le Buy American Act (BAA) institue un système général de préférence nationale qui se traduit par l’application de mesures discriminatoires aux commandes publiques (8). Le Japon fait une interprétation restrictive de ses engagements au titre de l’AMP, ce qui lui permet de bloquer l’accès à certains secteurs stratégiques (marché ferroviaire, marchés de la construction, marchés publics locaux).

Les marchés des émergents sont quant à eux quasiment inaccessibles. Le cas de la Chine est particulièrement emblématique. Elle pratique une politique « Buy Chinese » réservant, sauf exception, aux seuls soumissionnaires chinois la participation aux appels d’offres. Il s’agit d’un principe inverse à celui de la politique européenne en matière de marchés publics : le marché chinois est en principe fermé avec des ouvertures potentielles quand le bien ou le service ne peut être obtenu ou dans des conditions commerciales acceptables. Encore cela se fait-il dans des conditions discriminatoires comme l’obligation d’entreprise commune (« joint-venture ») ou de transfert forcé de technologie !

Cette forte asymétrie existe également avec l’Inde. Alors que les entreprises indiennes ont un accès relativement facile aux marchés publics européens (par exemple dans le secteur de l’informatique, la société indienne Tata Consultancy Services intervient pour le General Register Office en Ecosse), l’Inde pratique le patriotisme économique et s’oppose à l’arrivée d’opérateurs économiques étrangers. Si les européens ont la possibilité d’intervenir, cela se fait de façon ponctuelle et pour le gouvernement central (9).

En pratique, ces différents pays n’ont aucun intérêt à ouvrir leurs marchés puisque ceux de l’Europe sont largement ouverts. La crise économique a largement accentué le recours à ces mesures discriminatoires dans le cadre des différents plans de relance.

IV. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PERMETTRA DE REMÉDIER AU DÉSÉQUILIBRE DANS LES CONDITIONS DE CONCURRENCE ET DONNERA À L’UNION EUROPÉENNE DES MARGES DE MANœUVRE EN MATIÈRE COMMERCIALE

Le projet de règlement consiste en une redéfinition du périmètre d’ouverture des engagements plurilatéraux et bilatéraux de l’Europe. Pour les entreprises d’un pays dont les marchés publics sont fermés, l’ouverture des marchés publics européens sera conditionnelle.

Ce dispositif s’appuie sur deux piliers :

- le premier pilier (Articles 5 et 6 de la proposition) est décentralisé et applicable par les États membres. Au-dessous d’un seuil de 5 millions d’euros, aucune mesure restrictive à l’égard des entreprises étrangères ne sera autorisée. En revanche, pour un marché public d’un montant supérieur à ce seuil, l’État ou toute autre entité publique pourra exclure des sociétés non européennes en provenance d’un pays dont les marchés restent fermés aux européens, à condition que l’État concerné introduise une demande auprès de la Commission qui décidera de son fondement. Cette exclusion doit concerner les offres dans lesquelles la valeur des produits et des services non couverts par les engagements internationaux représente plus de 50 % de la valeur totale de ces produits et services contenus dans l’offre. La procédure est très encadrée :

- le pouvoir adjudicateur doit avoir averti les soumissionnaires de la menace d’exclusion et doit notifier à la Commission cette volonté d’exclusion au moment de la réception des offres ;

- la Commission européenne doit donner son accord dans un délai de deux mois, soit sur la base un accord international prévoyant les réserves explicites formulées par l’Union pour l’accès à ces marchés, soit en l’absence d’un tel accord, sur la constatation de mesures entraînant un manque de réciprocité « substantielle ». Cette situation sera présumée lorsque les mesures restrictives se traduisent par des « discriminations graves et persistantes » à l’égard des opérateurs économiques de l’Union (10).

- le deuxième pilier (articles 8 et 9 de la proposition) est centralisé au sein de la Commission européenne, sous le contrôle du Parlement européen et du Conseil. Par auto saisine, à la demande d’un Etat membre ou des parties intéressées, c'est-à-dire des entreprises, la Commission dispose d’un pouvoir d’enquête dès lors qu’elle estime une telle action va dans le sens des intérêts de l’Union. Il s’agit d’un instrument applicable en trois étapes, dans lequel la voie de la négociation est dans un premier temps privilégiée, une dernière étape se caractérisant par l’adoption de mesures restrictives. Si la Commission constate, après enquête, qu’un partenaire commercial empêche les entreprises européennes à répondre à des appels d’offres, elle entamera des négociations avec le Gouvernement concerné pour y remédier. Si l’Etat concerné refuse la concertation ou si quinze mois après, celle-ci ne donne pas de résultats satisfaisants, la Commission prendra des mesures restrictives à l’égard des entreprises originaires du pays qui ne pourront plus répondre aux appels d’offres au sein de l’Union. Les critères de réciprocité substantielle seront les mêmes que dans le cadre du premier pilier.

En outre, le projet renforce la surveillance des offres anormalement basses et fait obligation aux entités adjudicatrices de notifier aux soumissionnaires leur intention d’accepter une offre anormalement basse issue d’un pays fermé.

Ce projet de règlement constitue une proposition de base acceptable. Il faut toutefois souligner que la portée de ce dispositif, entre les mains de la Commission européenne, dépendra de la volonté politique de celle-ci et donc des Etats membres à le mettre en œuvre. Par ailleurs, des améliorations devront être apportées afin de garantir une application effective du principe de réciprocité. Ainsi, deux aspects devront faire l’objet d’un examen attentif :

- les délais de mise en œuvre : les phases de consultation et d’enquête menées par la Commission ne doivent pas ajouter pas de délais inutiles (11) ;

les mécanismes relatifs aux offres anormalement basses devraient être plus opérationnels afin de contribuer à établir des règles plus équitables s’agissant des règles sociales et environnementales et des règles liées aux aides d’État. En effet, les marchés publics sont une commande publique qui n’est pas seulement soumise aux critères de prix.

Ce projet de règlement permettra à la Commission européenne de se ménager des marges de manœuvre en matière de politique commerciale. Elle disposera d’un levier permettant de faire pression sur ses partenaires dont les marchés publics sont fermés. Cela pourra les inciter à rejoindre l’Accord plurilatéral, comme dans le cas de la Chine dont les offres ont été pour le moment jugées insuffisantes pour être partie à cet accord.

Par ailleurs, dans le cadre des accords bilatéraux en cours de négociation, les marchés publics feront partie de l’équilibre global de la négociation. En effet, l’Union européenne n’a pas intégré d’emblée un volet « marchés publics » dans le cadre de ses rapprochements commerciaux bilatéraux. Ainsi dans les négociations du projet d’accord avec le Canada, l’Union européenne avait souhaité qu’une des conditions de l’accord soit un accès réciproque aux marchés publics canadiens, dans la mesure où dans le cadre de l’AMP, le Canada a exclu une grande partie des marchés publics dans les provinces. Des entreprises comme Alstom sont donc exclues des marchés publics dans des provinces importantes. Dans la perspective de l’ouverture de négociations avec les Etats-Unis et le Japon, cet instrument est indispensable.

Ce texte permettra en outre de clarifier le cadre européen dans la mesure où certains États membres comme l’Espagne (12), l’Autriche, la Hongrie (13), l’Italie et le Royaume Uni ont pris des mesures de protection contre les soumissionnaires des pays tiers. Les incertitudes juridiques quant à la compatibilité de ces mesures nationales avec les engagements de l’Union créent un risque de fragmentation du marché intérieur, comme l’a mentionné le commissaire Barnier lors d’une conférence de presse le 21 mars 2012 (14). Il est nécessaire d’avoir un cadre uniforme qui évite les distorsions intra-communautaires.

V. CE DISPOSITIF N’EST EN AUCUN CAS PROTECTIONNISTE

La question est actuellement largement débattue : si dix États (15) le soutiennent, quinze États membres (16)dont l’Allemagne et le Royaume-Uni s’opposent à ce projet, le jugeant protectionniste et craignant une perte de crédibilité de l’Union européenne dans sa lutte contre l’établissement de nouvelles mesures protectionnistes. L’Allemagne redoute notamment des mesures de représailles.

Le principe d’ouverture de l’Union européenne est clairement affirmé et sera inscrit dans le droit européen. Il s’agit de créer un outil au service de la politique commerciale pour convaincre les pays fermés d’ouvrir leurs marchés publics Cette initiative n’est pas comparable aux clauses « buy american » ou « buy chinese » qui sont des clauses unilatérales et visent à la fermeture de secteurs à la concurrence internationale. C’est un instrument correctif qui sera utilisé dans les cas où les pays tiers refusent l’accès à leurs marchés afin de faire pression et créer un rapport de force plus favorable à l’Union européenne. La Commission a la maîtrise du dispositif et les sanctions ne seront pas automatiques. Ceci devrait être de nature à rassurer les Etats frileux quant au principe de réciprocité.

En effet, les États membres sont divisés et l’adoption du projet s’annonce difficile. Le rôle du Parlement européen sera majeur, dans le cadre de ses compétences en matière commerciale inscrites dans le Traité de Lisbonne. La Commission du commerce extérieur, chargée de l’examen du texte à titre principal, devrait être sensible au renforcement de la position de négociation que permettra ce texte.

Il est donc important que notre commission des affaires européennes manifeste son entier soutien à l’initiative de la Commission européenne en adoptant la proposition de résolution européenne suivante.

Il faudra que notre Commission veille à la cohérence de l’ensemble des textes sur la passation des marchés publics et que soit conservée la mention de la réciprocité.

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TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 15 janvier 2013, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

M. Christophe Caresche. Pour l’anecdote, en 1976, lorsque Alsthom remporta le marché du métro de Montréal, ce fut à la condition d’associer un industriel local. Et le choix d’Alsthom se porta sur Bombardier, alors constructeur de motoneiges…

M. Bernard Deflesselles. Vos recommandations me conviennent parfaitement, en particulier les points 3 et 5. Cela dit, nous débattons du principe de réciprocité depuis de nombreuses années et nous savons que la vraie difficulté réside dans la volonté politique de l’Union européenne. Quinze pays, et non des moindres, sont farouchement opposés à cette proposition de règlement. Comment pensez-vous que cette difficulté pourra être levée ? Quelle est votre appréciation sur le calendrier prévisible d’examen du texte ?

M. Gilles Savary. Je considère pour ma part que ce thème est assez nouveau, après une période de libéralisme absolu durant laquelle la tendance était à l’ouverture généralisée.

Ceci dit, parle-t-on d’ouverture réelle ou théorique des marchés ? L’Europe n’est pas homogène. Aucune entreprise étrangère, même européenne, n’a accès au marché ferroviaire espagnol ou au marché des transports collectifs urbains français, par exemple, alors qu’ils sont réputés ouverts. Le marché ferroviaire est ouvert en Allemagne mais pas en France. Comment gérer cette diversité européenne ? Qu’est-ce qu’un marché ouvert européen ? La proposition de règlement aborde-t-elle ce point ?

Mme Estelle Grelier. Depuis quatre ou cinq ans, le thème de la réciprocité est tout de même devenu un sujet « tarte à la crème », lié à ceux de la politique industrielle et de l’harmonisation sociale. Par ailleurs, gardons en tête que la majorité des importations et des exportations des États membres sont intra-européennes. Mais quelle est la réalité de la volonté de la Commission européenne ? Ne se donne-t-elle pas bonne conscience à bon prix ?

M. Jérôme Lambert. Cette proposition va certes dans le bon sens mais qu’est-ce réellement qu’un marché ouvert, en Europe et surtout ailleurs dans le monde ? La bonne volonté affichée dans une proposition législative ne changera rien à la réalité ; le cadre juridique reste sans effet sur certaines distorsions commerciales. Il ne faut certes pas rester inactif mais ne faisons pas preuve d’angélisme. Nous sommes en guerre commerciale et nous devons adopter des législations dures pour défendre les intérêts de la France et de l’Europe. Notre rôle, à nous parlementaires, est de relayer avec force les préoccupations de nos compatriotes.

La Présidente Danielle Auroi. Toutes ces questions pourront être reposées demain au commissaire au commerce extérieur Karel De Gucht, directement concerné.

Le Conseil est partagé et il a toutefois fait cette commande à la Commission européenne. Il est dans une situation inconfortable. L’adoption de la proposition de résolution de nos rapporteures montrera que les parlementaires nationaux savent soutenir la Commission européenne lorsqu’elle s’efforce de faire mieux valoir les intérêts de l’Europe.

Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure. Monsieur Savary, les marchés européens sont fragmentés, c’est un fait. L’harmonisation des passations de marchés publics au sein de l’Union européenne fera l’objet de textes spécifiques.

L’audition de demain sera en effet intéressante. Mais les partisans de cette proposition de règlement ne sont pas majoritaires en Europe et les positions des parlementaires reflètent, dans une certaine mesure, celles des gouvernements des États membres. Néanmoins, avec la crise, même si les pays les plus actifs à l’exportation continuent à craindre des rétorsions, les consciences évoluent.

Mme Seybah Dagoma, co-rapporteure. Les 18 et 19 octobre derniers, le Conseil européen a décidé que cette proposition de règlement serait examinée rapidement. Le rapporteur de la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, Daniel Caspary, doit remettre son rapport en juin 2013, en vue d’un examen courant 2014.

Ce sujet n’est pas une « tarte à la crème ». Le libre-échange a longtemps prévalu et l’idée de réciprocité était alors ignorée – le Conseil européen ne l’a évoquée pour la première fois qu’en 2010.

Il nous reste à convaincre. Près de la moitié des exportations de l’Union européenne vers la Chine proviennent de l’Allemagne et près du quart du total des importations chinoises sont réalisées avec l’Allemagne. Même si la politique commerciale est une compétence de l’Union, les intérêts des États membres sont donc divergents et les parlementaires européens auront un rôle majeur à jouer.

Enfin, comme l’a souligné à juste titre Madame Grelier, la politique industrielle européenne constitue un vrai enjeu.

M. Bernard Deflesselles. Les députés européens des quinze États membres opposés à la proposition de règlement défendront-ils exactement les mêmes positions que leurs pays ou bien sauront-ils s’en affranchir ?

Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure. Les pays opposés sont tout de même des poids lourds. Le rapporteur lui-même, M. Caspary, est réservé. Il faudra vraiment une volonté politique. Ce n’est pas gagné mais il n’est pas exclu que les choses évoluent par étapes.

La Présidente Danielle Auroi. Les conclusions de nos rapporteures sont reprises par une proposition de résolution européenne, qui vous est soumise aujourd’hui. Cette proposition pourra être débattue en séance plénière.

Puis la commission a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et notamment ses articles 206 et 207,

Vu les communications de la Commission européenne du 9 novembre 2010 « Commerce, croissance et affaires mondiales (Com (2010) 612 final) et du 28 octobre 2010 « Une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation » (Com (2010) 614 final),

Vu les conclusions des Conseils européens des 16 septembre 2010 et 23 octobre 2011,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’accès des produits et services des pays tiers au marché intérieur des marchés publics de l’Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l’accès des produits et services originaires de l’Union aux marchés publics des pays tiers (COM (2012) 124 final , Texte 7237) du 21 mars 2012,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics (COM (2011) 896 final) du 20 décembre 2011,

Considérant que selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce, les États doivent s’efforcer de maintenir un niveau général de concessions réciproques et mutuellement avantageuses,

Considérant qu’une concurrence loyale et un accès équitable aux marchés publics constitue un instrument indispensable pour assurer la croissance économique mondiale et la création d’emplois,



1. Rappelle que les marchés publics européens sont transparents et largement ouverts aux pays tiers, qu’ils soient signataires ou non de l’Accord plurilatéral sur les marchés publics ou d’accords bilatéraux avec l’Union européenne,

2. Regrette les pratiques restrictives en matière de marchés publics de certains partenaires commerciaux, en contradiction avec les engagements de lutte contre le protectionnisme figurant dans les déclarations du G20 de novembre 2008,

3. Approuve les orientations générales de la proposition de la Commission européenne qui prévoit d’exclure des procédures d’appels d’offres au sein de l’Union européenne, les entreprises des pays dont les marchés publics sont fermés aux entreprises européennes,

4. Souligne qu’en affirmant clairement le principe d’ouverture des marchés publics européens, cette proposition ne constitue nullement une mesure protectionniste mais une incitation à l’abandon des obstacles à l’exercice de la libre concurrence,

5. Estime que cette proposition permet de traduire juridiquement le principe de réciprocité mais que des améliorations techniques devront y être apportées afin de rendre les mécanismes plus opérationnels, s’agissant notamment des délais de mise en œuvre de la procédure et du contrôle des offres anormalement basses,

6. Précise que la référence à la réciprocité devra, en cohérence, figurer dans les autres propositions de la Commission européenne visant à moderniser la commande publique.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Par application de la clause de la nation la plus favorisée.

3 () D’autres pays comme les Pays-Bas et l’Irlande ont un excédent commercial, respectivement à hauteur de 36,2 milliards d’euros et de 32,4 milliards d’euros de janvier à septembre 2012. Sur la même période, le déficit commercial de la France était de 62,5 milliards d’euros, de l’Espagne de 27,3 milliards d’euros et de la Grande-Bretagne de 121 milliards d’euros.

4 () La Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a considéré que la directive sur les concessions de service devait être transformée en recommandations non contraignantes pour les Etats. S’agissant de la proposition de directive sur la passation des marchés publics, la mention explicite des services de sécurité sociale obligatoires dans la liste des services soumis aux directives contient un risque pour les régimes de sécurité sociale.

5 () L’accord plurilatéral sur les marchés figure dans une annexe spécifique – l’annexe IV- de l’accord de Marrakech instituant l’OMC.

6 () L’Union européenne dans son ensemble étant partie à l’accord et comptant pour un membre. Les autres membres sont Arménie, Canada, Corée du Sud, Etats-Unis, Hong Kong, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Pays–Bas pour le compte d’Aruba, Norvège, Singapour, Suisse, Taiwan. Cet accord est en cours de négociation et la Chine a fait des offres pour y adhérer, offres qui pour l’instant ont donc été considérées comme insuffisantes.

7 () Non soutenue localement, la Covec a rencontré de grandes difficultés pour trouver des fournisseurs, louer du matériel et acheter des matériaux de construction.

8 () Le BAA date de 1933 et l’Executive order 10582 de 1954 a élargi son champ d’application afin d’autoriser les autorités adjudicatrices à rejeter les demandes étrangères pour des raisons d’intérêt national ou de sécurité nationale. Le BAA interdit l’achat de fournitures étrangères pour un usage sur le territoire américain et exige l’utilisation de produits de construction nationaux dans les contrats de construction conclus par les Etats-Unis. L’American Economic Recovery And Reinvestment Act de 2009 a ajouté deux nouvelles dispositions au BAA : les fonds versés par l’ARRE ne peuvent pas être utilisés pour un projet de construction, de travaux, de maintenance ou de réparation de bâtiment public, si tout le fer, tout l’acier ou tous les produits manufacturés utilisés dans le projet ne sont pas produits aux Etats-Unis. Ces fonds ne peuvent pas non plus être utilisés pour les marchés publics du Department of homeland Security pour certains textiles (habillement, tentes…) figurant sur une liste. Des dépenses à ces restrictions peuvent être demandées sur le fondement de l’intérêt public, de non disponibilité ou un coût déraisonnablement élevé d’un achat. Suite à l’adoption de l’ARRA, de nombreuses propositions législatives prévoient des mécanismes similaires. Ces mesures nées dans le contexte de la crise économique de 2008 s’identifient comme des outils protectionnistes en dépit déclarations du G20 en novembre 2008 qui avait plaidé contre le protectionnisme.

9 () Selon l’OMC, « En Inde, le système des marchés publics est décentralisé et composé d’une multitude d’entités à différents niveaux de gouvernement (y compris de nombreuses entreprises du secteur public central), aucune réglementation commune ne régissant les marchés publics. Les marchés publics sont considérés comme un instrument important de la politique du gouvernement et sont utilisés pour atteindre certains objectifs socioéconomiques. Par conséquent, le Gouvernement central a, dans le cadre du régime de marchés publics, établi des réserves et des préférences de prix. »

10 () Au terme de l’article 6 de la proposition, afin de déterminer s’il existe une discrimination substantielle, la Commission évalue soit dans quelle mesure les lois en matière de marchés publics du pays concerné garantisse la transparence et préviennent toute discrimination à l’égard des opérateurs économiques, des produits et des services de l’Union européenne, soit dans quelle mesure les autorités adjudicatrices à titre individuel appliquent ou adoptent des pratiques discriminatoires à l’égard des opérateurs de l’Union.

11 () La Commission européenne adopte un acte d’exécution dans un délai de deux mois à partir de la notification ; ce délai peut être prorogé de deux mois lorsque les informations figurant dans la notification sont incomplètes.

12 () Il existe une procédure administrative contraignante pour les soumissionnaires non ressortissants communautaires. Les autorités espagnoles analysent la situation et en cas d’absence de réciprocité, l’Espagne peut décider de fermer ses marchés.

13 () S’il existe un accord entre la Hongrie et le pays concerné (AMP ou accord de libre-échange), cela implique qu’un même traitement soit appliqué. Un système comparable a été mis en place en Italie.

14 () http://europa.eu/rapid/press-release_TRANS-12-1_fr.htm?locale=en

15 () France, Italie, Pologne, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Portugal, Bulgarie, Lituanie, Grèce.

16 () Allemagne, Royaume Uni, Danemark, Pays Bas, Suède, Irlande, Finlande, Estonie, Lettonie, République tchèque, Autriche, Belgique, Espagne, Luxembourg et Slovénie.