N° 911 - Rapport d'information de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion déposé par la commission des affaires européennes sur la relance de l'Europe de la défense




No 911

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIEME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES((1)

sur
la relance de l’Europe de la défense,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Joaquim PUEYO et Yves FROMION ,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Emeric BREHIER, Jean-Jacques BRIDEY, Mme Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, M. Yves DANIEL, MM. Charles de LA VERPILLIÈRE, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Jean-Claude FRUTEAU, Hervé GAYMARD, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Marc LAFFINEUR, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Michel LIEBGOTT, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY, Mme Paola ZANETTI.

SOMMAIRE

___

Pages

RÉSUMÉ DU RAPPORT 9

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : AU SERVICE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE COMMUNE – PSDC – DES INSTANCES MULTIPLES QUI CHERCHENT ENCORE LEUR PLACE, DES OUTILS REMARQUABLES MAIS MAL UTILISÉS 15

I. DES INSTANCES TROP EN RETRAIT POUR UN OBJECTIF AMBITIEUX 15

A. LE HAUT REPRÉSENTANT POUR LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ 15

B. LE SERVICE EUROPÉEN D’ACTION EXTÉRIEURE (SEAE), UNE ADMINISTRATION DIPLOMATIQUE À LA DISPOSITION DU HAUT REPRÉSENTANT 16

C. L’OBJECTIF AMBITIEUX D’UNE DÉFENSE COMMUNE 18

II. UNE MULTIPLICITÉ D’ORGANISMES COMPÉTENTS QUI NUIT À LEUR LISIBILITÉ, DES OUTILS REMARQUABLES MAIS MAL UTILISÉS 19

A. LA MULTIPLICITÉ DES INSTANCES COMPÉTENTES 20

1. Le groupe Relations extérieures (RELEX) 20

2. Le Comité politique et de sécurité (COPS) et la Représentation permanente (RP) et militaire 20

3. Le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) 21

4. L’État-major de I'UE (EMUE) 21

5. Le Groupe politico-militaire (GPM) 22

6. Le Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM) 22

7. La Direction de la planification et de la gestion de crises (CMPD) 22

8. La Capacité civile de planification et de conduite (CPCC) 22

9. La Cellule de veille et d’analyse 23

10. Le Département de réponse aux crises 23

11. Le Centre d'opérations 24

12. Les Quartiers généraux nationaux 24

13. L’Institut d'études de sécurité de l'UE (IESUE) 24

14. L’Agence européenne de défense. 25

B. DES FORCES MULTINATIONALES QUI MÉRITERAIENT D’ÊTRE MIEUX UTILISÉES 25

1. L’exemple de l’Eurocorps 25

2. L’exemple de la Brigade franco-allemande (BFA) 28

DEUXIÈME PARTIE : DES MISSIONS PSDC À INSCRIRE CLAIREMENT DANS LE CADRE D’UNE APPROCHE GLOBALE DE PRÉVENTION DES CONFLITS 31

I. LES MISSIONS MILITAIRES RÉCENTES OU EN COURS 31

A. LE MALI, UNE OCCASION PERDUE DE RELANCE DE L’EUROPE DE LA DÉFENSE 31

B. LES AUTRES MISSIONS MILITAIRES 35

1. Eufor-Lybie 36

2. Eufor Althéa en Bosnie-Herzégovine 37

3. Eunavfor Atalanta dans la Corne de l’Afrique 38

4. EUTM Somalia en Somalie et Ouganda 38

II. LES MISSIONS CIVILES 40

A. DES MISSIONS AU SERVICE DE LA PRÉVENTION DES CONFLITS 40

1. Les missions civiles « anciennes » toujours en cours 40

a) EUJUST LEX en Irak, première mission intégrée « État de droit » en Irak 40

b) EUDAM Rafah en Palestine 41

c) EUPOL COPPS, en Palestine également 41

d) EUSEC RDC, en République démocratique du Congo 42

e) EUPOL RDC, également en République démocratique du Congo 43

f) EUPOL AFGHANISTAN 43

g) EULEX KOSOVO 44

h) EUMM GEORGIA 44

i) EUBAM, en Moldavie et Ukraine (frontière) 45

2. Les missions civiles récemment lancées 45

a) EUCAP SAHEL Niger 45

b) EUAVSEC Sud-Soudan 46

c) EUCAP NESTOR, dans la Corne de l’Afrique 47

III. LA PROBLÉMATIQUE DES MOYENS ET DU FINANCEMENT 48

A. UNE PSDC CIVILE QUI MANQUE DE MOYENS 48

B. LA DIFFICULTÉ STRUCTURELLE DU FINANCEMENT DES OPÉRATIONS MILITAIRES 50

TROISIÈME PARTIE : DES COOPÉRATIONS CAPACITAIRES, INDUSTRIELLES ET TECHNOLOGIQUES À SOUTENIR 53

I. DES COOPÉRATIONS CAPACITAIRES À ENCOURAGER 53

A. LES COOPÉRATIONS AÉRIENNES 53

1. L’EATC (European Air Transport Command) un exemple réussi de coopération aérienne 54

2. D’autres exemples de coopérations aériennes 57

a) L’EURAC – European Air Chiefs Conference 57

b) LE GAE – Groupe Aérien Européen 58

c) L’EATF – European Air Transport Fleet 58

d) Les coopérations dans le domaine de la formation 59

e) Vers une capacité commune de commandement et de contrôle ? 60

f) Vers des « escadres européennes » ? 61

B. LES COOPÉRATIONS MARITIMES 61

1. L’exemple de l’Euromarfor 62

2. Quels projets pour avancer ? 64

C. LES COOPÉRATIONS TERRESTRES 66

1. Les coopérations de l’armée de Terre 66

a) Les cadres dans lesquels elles se situent 66

b) Un rôle majeur dans certaines fonctions clés 66

c) Une contribution significative aux opérations de l’Union européenne 67

d) Des coopérations à consolider dans le secteur de la formation et l’entraînement 67

e) Une participation au système d’alerte de l’Union européenne : les groupements tactiques 67

2. Les coopérations de la gendarmerie 69

a) Les engagements opérationnels de la gendarmerie nationale sous mandat de l’Union européenne 70

b) Les engagements de la gendarmerie nationale dans la conduite de projets 71

c) La Force de gendarmerie européenne et la FIEP 72

II. UN POTENTIEL DE COOPÉRATIONS INDUSTRIELLES ET TECHNOLOGIQUES À DÉVELOPPER 74

A. L’AGENCE EUROPÉENNE DE DÉFENSE (AED), VÉRITABLE CATALYSEUR DE PROJETS 75

B. DES EXEMPLES DE COOPÉRATIONS INDUSTRIELLES ET TECHNOLOGIQUES À MULTIPLIER 77

1. Le ravitaillement en vol et le programme MRTT 77

2. L’avion de transport militaire A 400 M 78

3. Les radios logicielles militaires 79

4. Les drones 79

5. Les programmes missiles et l’exemple de la coopération européenne MBDA 81

6. Les coopérations bilatérales : l’exemple des accords de Lancaster House 83

7. L’intérêt de définir une politique de coopération 83

C. LA SURVEILLANCE SPATIALE ET LE MODÈLE DU CENTRE SATELLITAIRE DE L’UNION EUROPÉENNE 85

1. Des exemples de coopération spatiale 85

2. Le Centre satellitaire de l’Union européenne, un modèle de coopération technologique à privilégier 86

QUATRIÈME PARTIE : LA COOPÉRATION STRUCTURÉE PERMANENTE (CSP), UN CADRE IDÉAL POUR UNE RELANCE DE L’EUROPE DE LA DÉFENSE, DANS LE PROLONGEMENT DES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2012 89

I. LES TEXTES RELATIFS À LA CSP 90

II. L’EXÉGÈSE DES TEXTES RELATIFS À LA CSP 92

A. UN OBJECTIF DE SOUPLESSE : AUCUNE OBLIGATION D’AUGMENTER LES BUDGETS NATIONAUX DE DÉFENSE 92

B. DES CRITÈRES D’ADHÉSION TRÈS OUVERTS 93

C. UNE COOPÉRATION STIMULANTE QUI LAISSERAIT BEAUCOUP DE LIBERTÉS AUX ÉTATS 95

D. DES POSSIBILITÉS DE FINANCEMENT COMMUNAUTAIRE MÉCONNUES 96

III. LES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2012 EN VUE DE SA RÉUNION DE DÉCEMBRE 2013 99

A. LES CONCLUSIONS DU CONSEIL RELATIVES À LA PSDC 99

B. LA NÉCESSITÉ DE DÉFINIR UNE NOUVELLE STRATÉGIE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ 101

TRAVAUX DE LA COMMISSION 107

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 111

ANNEXES 115

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 116

ANNEXE 2 : LA CSP, UN CADRE JURIDIQUE RICHE EN POTENTIALITÉS (ARTICLE DE DÉCEMBRE 2012 DE SYNOPSIS, COËTQUIDAN) 121

ANNEXE 3 : DECLARATION DU 15 NOVEMBRE 2012 DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA DÉFENSE 131

ANNEXE 4 : PROPOSITION DE MESSAGES DU CIDEF (CONSEIL DES INDUSTRIES DE DÉFENSE) EN VUE D’ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DE LA BITDE 137

ANNEXE 5 : L’INDUSTRIE DE DÉFENSE EUROPÉENNE EST À UN TOURNANT : APPEL À UNE PRISE DE CONSCIENCE 141

RÉSUMÉ DU RAPPORT

Le 5 février 2013, le Président François Hollande déclarait devant le Parlement européen : nous devons « avoir la lucidité indispensable pour élaborer une stratégie pour conduire une véritable politique extérieure commune, pour avoir une défense européenne. La France y est prête. Il est temps là encore d’en finir avec la dispersion des initiatives, de rassembler nos forces et nos moyens, de rapprocher nos industries, d’harmoniser aussi nos positions dans les instances internationales où l’Europe doit parler d’une voix, d’agir pour résoudre les conflits qui heurtent les consciences humaines ». Il s’agit bien, à nouveau, d’un appel clair en faveur de l’Europe de la défense.

« L’Europe de la défense » est d’ailleurs un terme utilisé surtout en France : nos voisins européens lui préfèrent en général celui, sans doute plus explicite de « politique de sécurité et de défense commune » – PSDC – consacré par le Traité de Lisbonne en 2007. Il s’agit en effet non pas tant d’assurer la « défense de l’Europe », rôle dévolu en principe à l’OTAN, que de préserver les intérêts de l’Europe en matière de sécurité, où qu’ils soient menacés dans le monde :le propos précité du Président de la République française va d’ailleurs clairement dans ce sens, lorsqu’il évoque la nécessité d’agir pour résoudre les conflits qui heurtent les consciences humaines…

La France affiche donc fermement cette ambition de relance de l’Europe de la défense et souhaite associer à sa démarche les autres États européens. Cela signifie-t-il pour autant que l’Europe de la défense soit quasiment inexistante ? Tel n’est pas le cas, et l’objectif du présent rapport d’information est bien de le montrer, en dressant un bilan assez complet, même s’il est impossible d’être exhaustif, de ce qui a déjà pu être réalisé.

Cet état des lieux « critique » insiste sur les avancées permises ou facilitées par le Traité de Lisbonne, dont l’Europe n’a pas encore pleinement tiré parti. Des progressions institutionnelles ont été pensées pour améliorer la visibilité de l’Europe de la défense, au sein de laquelle néanmoins la multiplicité des instances compétentes laisse l’impression d’une grande complexité, voire crée la confusion. D’intéressantes coopérations capacitaires, industrielles et technologiques se sont développées, en partie sous l’égide de l’Agence européenne de défense. De nombreuses missions PSDC, civiles et militaires – une trentaine au total – ont été menées ou sont encore en cours. Ignorées souvent du grand public, ces missions ou ces coopérations sont parfois emblématiques de ce que l’Europe pourrait faire en matière de défense, à condition d’adapter et d’amplifier sensiblement son effort.

L’accent a été mis in fine sur l’intérêt que présenterait la mise en place de cet outil – offert par le Traité de Lisbonne – qu’est la Coopération structurée permanente (CSP). Une analyse rigoureuse des textes qui s’y rapportent montre à quel point ils ont pu être mal interprétés par ses détracteurs. La CSP est en effet un instrument souple et engageant, qui pourrait constituer un symbole très fort dans le cadre de la relance de l’Europe de la défense, relance à laquelle se sont déjà ralliés les États du Groupe Weimar + (Allemagne, Pologne, Espagne, Italie et France) par leur Déclaration du 15 novembre 2012 (annexée au rapport).

Le présent rapport complète et finalise le rapport d’information n° 536 « l’Europe de la défense à la veille du Livre Blanc » qui était un travail d’étape. Il contient un certain nombre d’observations et de suggestions, et est assorti d’une proposition de résolution européenne. Celle-ci préconise notamment que soit étudiée la possibilité de mettre en place la Coopération structurée permanente, mais pas seulement. Elle contient également d’autres propositions s’inscrivant parfaitement dans le prolongement des conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 relatives à la PSDC, dont l’objet est de préparer le Conseil européen de décembre 2013, lequel sera dédié à la politique européenne de défense.

Ayant pris en compte de nombreuses informations recueillies au cours de leurs auditions et déplacements, vos Rapporteurs souhaitent, par ce nouveau rapport et la proposition de résolution européenne sur laquelle il débouche, associer la représentation nationale à la préparation de ce Conseil européen de décembre 2013.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport s’inscrit dans le prolongement du rapport d’information no 536, « L’Europe de la défense à la veille du Livre blanc », que vos Rapporteurs avaient présenté devant la commission des affaires européennes en décembre 2012.

Il comporte de nombreux développements complémentaires et surtout une approche plus analytique assortie d’un certain nombre d’observations et de suggestions. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs reprises dans la proposition de résolution européenne en fin de rapport.

Cette résolution européenne s’inscrit dans une démarche très pragmatique. Elle n’a pas pour but de proposer des idées complètement novatrices mais plutôt de s’appuyer sur des dispositifs déjà en place ou du moins déjà prévus par le Traité de Lisbonne.

Rien de révolutionnaire donc, mais du pragmatique pour progresser… Il est temps en effet de sortir de la longue litanie des déclarations incantatoires selon lesquelles « il faut relancer l’Europe de la défense ». Elles ont certes un mérite : celui de rappeler qu’un large accord existe sur le principe. Tout au cours de leurs auditions et entretiens, y compris avec nos voisins européens, vos Rapporteurs ont d’ailleurs pu vérifier ce large consensus. A l’heure où les États-Unis réorientent leurs priorités stratégiques vers la zone Asie-Pacifique, laissant clairement entendre aux Européens que de plus en plus ils devront assumer eux-mêmes leurs responsabilités, à l’heure surtout où les États membres sont confrontés à une crise budgétaire sans précédent, ils ont intérêt à coopérer pour maintenir l’efficacité de leur outil de défense et exister encore sur la scène internationale. La coopération capacitaire, industrielle et technologique est perçue comme une solution permettant de maintenir, à l’échelle européenne, la performance de l’outil de défense et, par là-même, l’existence d’une politique européenne de sécurité et de défense (la PSDC). De nombreux exemples de cette coopération existent déjà. Vos Rapporteurs auront eu à cœur, tout au long de leur mission, de ne pas jouer les « eurodépressifs » et de mettre au contraire en valeur ces prémices d’une « Europe de la défense » : on trouvera donc tout au long du rapport des illustrations emblématiques de cette coopération ; comme autant d’exemples à suivre et surtout à approfondir… Car qui dit capacité d’intervention autonome dit capacités militaires autonomes en Europe. Plusieurs opérations récentes, telle l’opération en Libye ou plus récemment encore l’intervention au Mali, sonnent comme autant de cruels rappels des lacunes de l’Europe de la défense. Pourtant, l’objectif de « définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune » a été clairement affirmé par le Traité de Lisbonne.

Il ne s’agit pas d’orienter la PSDC dans une perspective « va-t-en-guerre », loin de là. La majorité des missions PSDC – et vos Rapporteurs ont souhaité le souligner particulièrement dans le présent rapport – s’inscrivent dans une approche globale de prévention des conflits. Beaucoup, malheureusement trop méconnues, sont des missions civiles dont les objectifs pourraient être regroupés sous le terme générique d’aides au rétablissement de l’État de droit. Même les missions militaires – EUTM Somalie ou EUTM Mali en sont des exemples très actuels – s’inscrivent en réalité dans cette perspective d’aide au rétablissement de l’État de droit, donc à terme de prévention des conflits.

Cette dimension « prévention des conflits » doit être, selon vos Rapporteurs, clairement reconnue et pose, de façon plus générale, le problème des difficultés de financement de la PSDC. Alors que les dépenses opérationnelles liées à la politique extérieure et de sécurité commune (la PESC, dont la PSDC est partie intégrante) sont en principe à la charge du budget de l’Union européenne, par exception, les « dépenses afférentes à des opérations militaires ou ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense » sont en principe à la charge des États membres. Ce principe est bien entendu de nature, dans la conjoncture actuelle, à freiner les bonnes volontés des Etats membres, lorsqu’il s’agit de dépasser le stade des sympathiques déclarations d’intention pour mettre en œuvre des coopérations concrètes. Or, ce frein à la relance de l’Europe de la défense pourrait être atténué, d’une part par le recours à des dispositions méconnues du Traité de Lisbonne, notamment la notion d’» activités préparatoires » qui autorise des financements par le budget de l’Union, d’autre part par la reconnaissance du « caractère dual », civilo-militaire, de beaucoup de missions et coopérations menées dans le cadre de la PSDC. Le rapport s’attache à le souligner.

La crédibilité de la politique de sécurité et de défense commune passe également, et peut-être en premier lieu, par la clarification du rôle des multiples instances (rassemblant des experts dont la compétence n’est absolument pas en cause) qui sont à son service et par la nécessité de mieux utiliser les outils – souvent remarquables – dont elle dispose déjà. L’un des objectifs du Traité de Lisbonne était d’améliorer la lisibilité de la PSDC : le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas atteint, pour des raisons diverses évoquées dans le rapport. Sans doute le Haut Représentant actuel, Mme Ashton, est-il resté trop en retrait. Mais il semble urgent également de pouvoir répondre à une question simple : « qui fait quoi et qui décide de quoi ? » tant on s’y perd dans l’enchevêtrement de tous ces organismes (dont la lecture du seul sommaire du rapport peut donner un aperçu). Par ailleurs, il faut se poser la question de la sous-utilisation ou non –utilisation d’outils remarquables pourtant théoriquement à la disposition de l’Union européenne : l’Eurocorps, la Brigade franco-allemande, les groupements tactiques… En résumé, très prosaïquement, voici la question que l’on est immanquablement conduit à poser : pourquoi tant d’instances, pourquoi tant d’efforts pour en arriver à si peu de résultats pour « l’Europe de la défense » ? Et l’actualité malienne rend cette question encore plus lancinante.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’être eurosceptiques mais pragmatiques : il est évident que « l’Europe de la défense » ne se construira pas à vingt-sept. Le Traité lui-même, si on y regarde de plus près, même sans être juriste ni expert, est construit de toute évidence de manière à rendre possible l’approfondissement de la construction européenne entre les États membres qui le souhaitent. C’est un instrument permettant que cette construction européenne puisse s’étendre à tous les domaines, y compris les plus sensibles, comme la politique étrangère et la défense, en empêchant que les pays qui ne souhaitent pas participer à une Europe véritablement intégrée soient en mesure de bloquer ceux qui au contraire sont déterminés à construire la véritable unité européenne.

C’est pourquoi il faut privilégier dans ce domaine très sensible de la PSDC les solutions non contraignantes : les coopérations qui fonctionnent déjà sont d’ailleurs des coopérations souples, comme le montre, dans le domaine de la coopération aérienne, l’exemple de l’EATC (European Air Transport Command).

Les pistes à explorer doivent l’être en gardant à l’esprit cette idée de flexibilité : la possibilité de mise en place d’une coopération structurée permanente mériterait d’être enfin sérieusement étudiée par les Etats membres, mais sous l’angle de la souplesse. C’est pourquoi le rapport s’attache à démontrer que cet instrument, offert par le Traité de Lisbonne, ne présenterait en réalité, pour peu que l’on veuille bien se pencher de près sur la question, aucun caractère contraignant.

Enfin, les propositions figurant dans le texte de la résolution européenne s’inscrivent dans le prolongement direct des conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 – retranscrites en dernière partie du rapport – qui visent à préparer sa réunion de décembre 2013 dédiée à l’Europe de la défense. Les suggestions et observations de vos Rapporteurs ont pour but de respecter parfaitement l’esprit des conclusions du Conseil, sans jamais s’écarter des axes de réflexions qu’il a lui-même définis, ce qui renforce leur pragmatisme. Le Conseil déclare dans ces conclusions vouloir associer étroitement les États membres aux travaux de réflexion préparatoires à la réunion de décembre 2013. En conséquence, vos Rapporteurs souhaiteraient, au moyen de cette résolution européenne, pouvoir associer la représentation nationale française à l’effort de réflexion demandé par le Conseil.

PREMIÈRE PARTIE : AU SERVICE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE COMMUNE – PSDC – DES INSTANCES MULTIPLES QUI CHERCHENT ENCORE LEUR PLACE, DES OUTILS REMARQUABLES MAIS MAL UTILISÉS

La politique européenne de sécurité et de défense (PESD) a été rebaptisée « politique de sécurité et d’une défense commune » (PSDC) par le Traité de Lisbonne afin d’insister sur l’objectif ambitieux de défense commune, qui n’est plus présenté comme une éventualité mais comme un but. Sa particularité a été renforcée, même si elle continue à faire partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Dotée d’instruments spécifiques et nombreux, elle peine à s’affirmer.

I. DES INSTANCES TROP EN RETRAIT POUR UN OBJECTIF AMBITIEUX

Un effort important a été consenti pour incarner la politique étrangère de l’Union, au plus haut niveau avec le président du Conseil européen et au plus près de la gestion quotidienne des politiques avec le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (actuellement et jusqu’en novembre 2014 Mme Catherine Ashton).

La création de ce Haut représentant, dans sa configuration issue du Traité de Lisbonne, a pour objectif de rendre l’Europe plus visible sur la scène internationale tout en donnant davantage de cohérence à l’action extérieure de l’Union européenne. A cette fin, le Haut représentant est doté d’une triple casquette : il est en effet à la fois vice-Président de la Commission, Président du Conseil dans sa formation « affaires étrangères » et mandataire du Conseil, ce qui lui donne une position tout à fait stratégique au cœur des institutions. Ses pouvoirs sont importants.

A la différence du Haut représentant dans sa configuration antérieure, il dispose d’un droit d’initiative qu’il peut exercer seul ou avec la Commission. D’ailleurs, lui seul, conjointement cependant avec la Commission, peut proposer de déclencher des sanctions concrètes à l’encontre d’États tiers ou de personnes physiques ou morales à la suite d’une décision unanime du Conseil en ce sens.

Il est le coordinateur des débats au sein du Conseil Affaires étrangères, qu’il peut convoquer en cas d’urgence ; par souci de cohérence, le comité politique et de sécurité (COPS), qui prépare les décisions du Conseil, est désormais présidé par l’un de ses représentants.

Il est le mandataire du Conseil pour la conduite de la PESC, chargé d’exécuter les décisions prises et de représenter l’Union, notamment, le cas échéant, au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies lorsque ses membres permanents européens le demandent.

Enfin, il est le promoteur de la cohérence de l’action externe de l’Union grâce à la concentration à son profit des prérogatives extérieures de la Commission.

Cependant, dans la période récente, très riche en événements internationaux, le fait de disposer d’un responsable européen de la politique étrangère et de défense ne semble pas avoir, jusqu’ici, répondu aux attentes. Dès la nomination de Mme Ashton, ont fleuri dans la presse – et dans les milieux bruxellois – des commentaires peu flatteurs soulignant son peu d’expérience dans le domaine de la politique internationale et de défense, son manque de charisme et, en arrière-plan, sa nationalité : qu’une Britannique soit portée à la tête de la diplomatie européenne avait, pour beaucoup, un caractère paradoxal. Elle a dû faire face à un déferlement de critiques, venant de toutes parts et portant sur son action – son inaction plutôt, disent ses adversaires – comme sur sa personne.

Sans porter de jugement, force est de constater que ce Haut représentant qui constitue, par la visibilité nouvelle qu’il pourrait donner à la politique européenne extérieure et de défense, une avancée incontestable, est resté trop en retrait pour incarner et conduire véritablement cette politique, en tout cas dans le domaine de la défense.

Le Traité de Lisbonne a fourni au Haut représentant les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions, en prévoyant la mise en place du SEAE, véritable service diplomatique européen. Cette mise en place a été l’un des chantiers prioritaires de la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008.

L’article 27 du Traité de Lisbonne précise que ce service diplomatique doit être composé « de fonctionnaires des services compétents du secrétariat du Conseil et de la Commission ainsi que du personnel détaché des services diplomatiques nationaux. » Il a été précisé que les diplomates nationaux devront représenter au moins un tiers de l’effectif total en 2013. Jusqu’au 1er juillet 2013, le recrutement restera limité aux fonctionnaires de la Commission et du Secrétariat général du Conseil. L’effectif total doit être fixé chaque année dans le cadre de la procédure budgétaire.

Dans le projet de budget 2012, l’effectif a été fixé à 1 670 agents, ce qui peut paraître très important, ce nombre ne tenant pas compte des « agents locaux » dans les délégations. Selon le rapport établi fin 2011 par la Haute représentante, le nombre total s’élevait à 3 600 agents, si l’on tient compte également des quelque 2 000 agents en poste dans les délégations.

Le SEAE, qui a commencé à exister concrètement le 1er janvier 2011, comporte ainsi une administration centrale et des services extérieurs. Certes, l’effectif apparemment considérable accordé au SEAE est en partie trompeur, en ce sens qu’il ne s’agit pas d’un supplément net de bureaucratie mais, pour une importante proportion, de transfert de personnels et services administratifs préexistants. Il n’en reste pas moins que ces personnels sont désormais placés sous l’autorité de la Haute représentante.

M. Pierre Vimont, précédemment ambassadeur de France aux Etats-Unis, est actuellement le Secrétaire général exécutif du SEAE, et a été auditionné par notre commission le 28 novembre 2012, conjointement avec la commission de la Défense.

C’est donc une administration étoffée, dotée de nombreuses ramifications et de personnels compétents que la Haute représentante a désormais à sa disposition. Toutefois, le SEAE n’a pas reçu jusqu’à présent l’impulsion qui lui aurait été nécessaire pour s’affirmer en qualité de véritable service diplomatique européen. L’effort d’organisation en cours l’aidera peut-être à prendre l’essor qui pourrait être le sien, au service des objectifs ambitieux de la politique extérieure et de sécurité commune.

Lors de son audition, M. Pierre Vimont a notamment souligné que la première caractéristique de ce service, qui n’est pas une institution mais une administration de l’Union européenne, est de n’appartenir ni à la Commission ni au Conseil des ministres. Il se situe donc entre les deux, dans un effort de synthèse et d’innovation institutionnelle, qui n’a pas peu contribué à augmenter les difficultés de sa mise en place.

Sa seconde caractéristique est de répondre à la notion d’» approche globale » ou d’» approche intégrée » contenue dans le traité de Lisbonne, qui vise à assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l’action extérieure de l’Union européenne. Cette action sollicite à la fois les instruments traditionnels de la Commission – l’action commerciale, humanitaire, énergétique, de développement et de coopération ou de transport –, et les instruments des États membres et du secrétariat du Conseil – l’action diplomatique, politique, de sécurité et de défense. L’objectif du SEAE est de donner un cadre général à tous ces instruments afin de leur donner une efficacité maximale, notamment en période de crise. Le SEAE, en coordonnant l’action des différents instruments de l’Union européenne, met donc en œuvre une approche intégrée.

Celle-ci n’allait pas de soi dans l’Europe d’avant Lisbonne, où chacun agissait de son côté, qu’il s’agisse du commissaire chargé des relations extérieures, du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – M. Javier Solana – ou encore de la présidence tournante qui, tous les six mois, présentait un programme différent et des priorités nouvelles.

Le traité de Lisbonne a retiré à la présidence tournante tout rôle propre en matière de politique étrangère et de sécurité et une seule personne, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, a remplacé le commissaire chargé des relations extérieures et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Lady Ashton est donc à ce titre non seulement présidente du Conseil des ministres des affaires étrangères, mais également présidente du Conseil des ministres de la défense et du Conseil des ministres chargés du développement.

Vos Rapporteurs souhaitent que cet effort d’» approche globale », approche dont la mise en place nécessite effectivement sans doute un peu de temps, puisse enfin porter ses fruits et permettre au SEAE d’acquérir la dimension et la visibilité qui mériteraient d’être les siennes sur la scène internationale.

Une réelle nouveauté réside dans la place particulière accordée par le Traité de Lisbonne à l’objectif affirmé de parvenir à la « définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune » (article 24 du TUE modifié) lorsque le Conseil européen l’aura décidé à l’unanimité.

Les divergences des États membres sur leur conception des principes fondamentaux de la défense (entre le ralliement indéfectible au parapluie américain de l’OTAN et l’ambition d’une Europe puissante parlant d’une seule voix) et sur les efforts en termes de capacités militaires qu’ils sont prêts à consentir, voire sur la nature des menaces contre lesquelles se protéger efficacement, ont rendu évidemment difficiles les progrès dans ce domaine au cœur des identités nationales.

Des avancées sont cependant transcrites dans les traités, en particulier sur la direction que pourrait prendre la défense commune européenne.

Le Traité de Lisbonne a élargi (article 43 du TUE modifié) la liste des missions de l’Union dans ce domaine. Elles comportent désormais les « actions conjointes en matière de désarmement », les « missions de prévention des conflits » et les « opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Il est par ailleurs précisé que « toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ».

Il convient de souligner que cet élargissement des missions de l’Union européenne s’inscrit parfaitement dans le cadre de la volonté d’» approche globale » des problèmes de défense évoquée à propos du SEAE.

Une autre innovation fondamentale concerne la « clause de défense mutuelle » (§ 7 de l’article 42 du TUE modifié) qui prévoit que, dans le cas où un Etat membre est l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir. Ce souci doit cependant s’exercer dans le respect de la politique de neutralité de certains Etats membres et du traité de l’OTAN comme fondement de la défense collective de ses membres. L’Europe de la défense apparaît ainsi tout à fait complémentaire de l’OTAN.

Un pas décisif a été également franchi avec la possibilité désormais offerte au Conseil de confier la mise en œuvre d’une mission militaire à un groupe d’États membres qui le souhaitent et qui disposent des moyens adéquats (article 44 du TUE modifié).

Enfin la Coopération structurée permanente – sur laquelle vos Rapporteurs reviendront en fin de rapport – constitue une avancée d’autant plus intéressante que sa mise en place comme son fonctionnement ne sont nullement soumis à une règle d’unanimité, contrairement à ce que l’on pense parfois.

Pour progresser dans cette direction d’une défense commune européenne et de façon plus générale pour servir la PSDC, de nombreux organismes sont aujourd’hui compétents.

II. UNE MULTIPLICITÉ D’ORGANISMES COMPÉTENTS QUI NUIT À LEUR LISIBILITÉ, DES OUTILS REMARQUABLES MAIS MAL UTILISÉS

Outre la grande innovation du Traité de Lisbonne que sont le Haut représentant et son « service diplomatique » le SEAE, de nombreuses instances ont compétence dans le champ de la PSDC, certaines à compétence généraliste, d’autres plus spécifiques à la PSDC. Les instances « classiques » à compétence généraliste, dont le rôle a été rappelé dans le rapport d’étape, seront simplement évoquées ici pour mémoire : il s’agit du Conseil européen, du Conseil des ministres « Affaires étrangères », auquel sont conviés en principe deux fois par an les ministres de la défense, de la Commission européenne, du Parlement européen et du Comité des représentants permanents (COREPER).

Situé au cœur du dispositif institutionnel, le Comité politique et de sécurité est la cheville ouvrière de la PSDC. Il est présidé par le SEAE. Réunissant, deux fois par semaine, des représentants des 27 États de l’Union européenne ayant rang d'ambassadeur, il assure le suivi de la situation internationale, définit et suit les réponses de l’UE en cas de crise, émet des « avis » à l'intention du Conseil (propositions d’objectifs politiques et recommandations d’options stratégiques).

Il exerce également le contrôle politique et la direction stratégique de toutes les opérations militaires, aidé en cela par les avis et recommandations du Comité militaire de l’Union européenne, soutenu lui-même par l’État-major militaire. En interaction constante avec les organes consultatifs, il mandate les différents groupes de travail pour fournir des avis et recommandations.

L’Ambassadeur Jean-Louis Falconi est actuellement le Représentant de la France auprès du COPS.

La structure française du COPS est elle-même rattachée à la Représentation permanente (RP) de la France auprès de l’Union européenne, à la tête de laquelle est placé M. Philippe Etienne, Ambassadeur.

Le Général Gilles Rouby est depuis août 2012 Chef de la Représentation militaire de la France tant auprès de l’Union européenne que de l’OTAN.

Composé des chefs d’État-major des États membres, le plus souvent représentés par leurs Représentants permanents, le Comité militaire est l’organe militaire suprême de l’Union européenne. Il a pour mission de fournir au COPS des recommandations et avis sur toutes les questions militaires et évalue les options stratégiques de gestion des crises et de développement des capacités définies par l’État-major de l’Union européenne, auquel il donne ses directives. Son président, un officier général désigné par le Conseil sur proposition des Chefs d’État-major pour une période de trois ans, participe aux réunions du COPS et du Conseil « Affaires étrangères ». Le général français Patrick de Rousiers est, depuis l’automne 2012, l’actuel président du CMUE (il a succédé à un Suédois).

Il joue un rôle majeur dans l’expertise militaire. Notamment habilité à fournir une analyse militaire à la Haute représentante, l’État-major de l’Union européenne est la structure militaire permanente intégrée de l’Union européenne. Il est chargé de la planification stratégique et logistique des forces pour les opérations militaires de gestion de crise ainsi que de l’évaluation situationnelle des théâtres de crise, en coopération avec la Direction de la planification et de la gestion de crises (la CMPD ; cf. ci-dessous).

Il assure le lien entre le Comité militaire de l’Union européenne (le CMUE ; cf. ci-dessus) et les moyens et ressources militaires mis à disposition par les États membres. Toutefois, selon les indications recueillies par vos Rapporteurs, il n’a pas de lien avec les États-majors de l’Eurocorps et de la BFA, ce qui constitue probablement un frein à l’envoi de ces forces multinationales sur le terrain, sous bannière de l’Union européenne (cf. ci-après passage consacré aux forces multinationales).

Il regroupe environ 250 militaires détachés par les États membres, dont 17 Français.

Son Directeur général actuel est un Hollandais, le Lieutenant-Général Ton Van Osch.

La Direction de la planification et de la gestion de crises (plus connue sous son acronyme anglais « CMPD » pour Crisis Management and Planning Directorate) créée en 2009 par le Traité de Lisbonne, a pour mission la planification au niveau politique et stratégique des opérations civiles et militaires de la PSDC. Placée sous l'autorité de la Haute représentante et rattachée au Service européen d’action extérieure, cette structure permanente est composée de trois unités :la planification stratégique intégrée, les entraînements et capacités civiles, les partenariats et capacités militaires.

La CMPD produit le « concept de gestion de crise » qui est un document fondateur pour chaque opération validant les objectifs stratégiques de l’Union européenne pour une crise donnée et définit le cadre civil et/ou militaire de l’opération.

Son Directeur actuel est un Belge, M. Walter Stevens.

La CPCC (Civilian Planning and Conduct Capacity), ou Commandement civil de gestion des crises, est une structure qui regroupe une soixantaine de personnes et dont le noyau est composé notamment d’agents du Service européen d’action extérieure, auquel elle est rattachée. Elle a pour mission générale de planifier et de conduire les missions civiles de la PSDC. Le commandant de ces missions civiles en assure la direction et le contrôle, sous la surveillance et la direction stratégique du COPS et sous l’autorité de la Haute-représentante.

La CPCC transmet par ailleurs ses propositions au COPS qui les présente devant le Conseil. Elle tisse également des liens avec les organisations internationales et l’État-major de l’Union européenne.

Le Directeur de la CPCC est actuellement un diplomate allemand M. Hansjörg Haber et il a pour adjoint un Français, le Général Gilles Janvier.

Ce Département, actuellement dirigé par un Italien, M. Agostino Miozzo, est chargé de coordonner tous les services impliqués dans la réponse aux crises (SEAE et Commission). Il joue le rôle d’un « guichet unique » dans le cadre de la réponse aux crises.

Son directeur a ainsi été chargé de la supervision en octobre 2012 de l’exercice de gestion « Multilayer 2012 », organisé par le SEAE pour tester, en cas de crise, l’efficacité du système de réponse de l’Union européenne dans une opération militaire et une mission civile menées dans le cadre de la PSDC.

Cet exercice était le septième du genre, mais le tout premier à mobiliser tous les niveaux d’intervention – du politico stratégique à l’opérationnel – et à réunir tous les niveaux de décision et d’exécution sous le même drapeau, dans le format « Traité de Lisbonne ».

Ainsi la Commission, le SEAE, le Conseil et les États membres ont mesuré leur capacité à réagir et à interagir face à la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire d’une région fictive comptant onze pays dans laquelle la « Nusia » et la « Recuria », deux États en situation de transition post-conflit, étaient confrontés à des questions complexes et concomitantes comme la fixation des frontières, la sécurité des infrastructures publiques, la présence de mines anti-personnel et la piraterie maritime.

Le mécanisme européen de gestion de crise est en effet en pleine réforme et l’exercice « Multilayer 2012 » devrait permettre d’avancer sur l’efficacité organisationnelle de la PSDC.

Faute d’existence d’un quartier général européen permanent, 5 pôles de conduite des opérations militaires de l’Union européenne sont mis à disposition par les États membres (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni) et par l’OTAN (SHAPE à Mons).

Dans son discours sur la relance de la PSDC (Varsovie, 26 juillet 2012) M. Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères, a souligné que la France n’est pas fermée à la poursuite de la réflexion sur la création d’un quartier général européen. En revanche, la Grande-Bretagne a refusé catégoriquement de soutenir la proposition de Mme Catherine Ashton visant à établir un quartier général permanent des futures opérations militaires européennes. Cette opposition de la Grande-Bretagne bloque pour le moment tout espoir de lancement de la Coopération structurée permanente via la création d’un QG autonome européen dont les Britanniques seraient membres.

Son rôle est majeur et sera développé plus loin.

Toutes ces instances hautement qualifiées interviennent de façon active dans le champ de la PSDC. Face à cette multiplicité d’expertises, la critique est facile : pourquoi tant d’organismes pour si peu de résultats – jusqu’à présent – dans la construction d’une véritable « Europe de la défense » ? Ou est-ce cette multiplicité elle-même qui constitue un frein à son lancement ? Certes, comme M. Pierre Vimont l’a souligné lors de son audition, le SEAE a accueilli en son sein plusieurs de ces entités, celles qui constituaient le secteur de la politique de défense et de sécurité : le comité militaire, l’état-major, avec notamment la Direction de la planification et de la gestion de crises… et la Capacité civile de planification et de conduite. La France en particulier s’était demandé si ces différents services devaient être intégrés dans le SEAE, tout en reconnaissant qu’on ne pouvait pas plaider pour une approche globale et en écarter la dimension militaire. C’est pourquoi ces services ont été finalement intégrés comme éléments d’un ministère de la défense à l’intérieur d’un service qui se conçoit comme un ministère des affaires étrangères, ce qui est assez novateur. De ce fait, le SEAE a désormais la capacité d’intégrer immédiatement la dimension militaire dans les efforts consentis pour développer la gestion de crise. Ainsi, le chef de l’état-major européen et le président du comité militaire ont pu assister à ses réunions sur le Mali, aux côtés des différents planificateurs en matière de défense et de sécurité, ce qui a permis un travail plus rapide et coordonné qu’auparavant.

Toutefois, au regard des difficultés qu’a connues, malgré cet effort d’intégration, le lancement de la mission EUTM Mali, vos Rapporteurs continuent à douter que cette avancée soit suffisante et appellent à une clarification et à une rationalisation.

Par ailleurs, la PSDC dispose d’outils remarquables mais mal utilisés.

L’Eurocorps a été créé en 1992 et est devenu opérationnel en 1995. C’est un état-major de corps d’armée pouvant déployer jusqu’à 65 000 hommes. L’Eurocorps n’a toutefois pas de troupes désignées par les États à sa disposition en permanence, dès le temps de paix. L’état-major est composé de près de 400 personnes et la brigade multinationale d’appui au commandement comporte environ 600 militaires.

A la France et à l’Allemagne se sont tout d’abord adjointes trois autres nations (la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg) formant les cinq « nations-cadres » de l’Eurocorps, c’est-à-dire fournissant des contributions en hommes et en infrastructures, et surtout représentées au Comité commun qui décide de façon collégiale de l’éventuel déploiement de l’Eurocorps.

En dehors des « nations-cadres », la Grèce, la Turquie, la Pologne et l’Italie dites « nations associées », détachent un nombre limité d’officiers à l’Eurocorps, qui se trouve à Strasbourg. La Roumanie devrait prochainement envoyer un ou deux officiers. Les États-Unis ont également officiellement fait part de leur volonté de devenir nation associée (leur participation devrait s’élever à sept militaires, voire un peu plus) mais la concrétisation de ce projet bloque actuellement sur des questions de statut juridique des militaires américains qui seraient affectés à Strasbourg. La Pologne devrait rejoindre les nations-cadres à compter de 2016.

Le commandement de l’Eurocorps est assuré par un général de corps d’armée de l’une des « nations-cadres » pour un mandat de deux ans, mais les contributions nationales en hommes restent sous commandement national tant qu’elles ne participent pas au déploiement d’une « unité » dont le type et la taille sont déterminées au cas par cas par l’Eurocorps, en fonction des missions confiées à ladite unité.

L’Eurocorps est susceptible de répondre à des demandes de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union européenne. Déclaré pleinement opérationnel en 1995, il a été engagé pour la première fois en Bosnie-Herzégovine en 1998 sous commandement OTAN. En 2000, au Kosovo, il a pris pour la première fois le commandement d’une opération.

Son Quartier-général a obtenu la certification de Quartier-général de Force de réaction rapide de l’OTAN en septembre 2002 et en 2004-2005, l’Eurocorps est intervenu en Afghanistan (ISAF). De janvier 2012 à janvier 2013, une nouvelle mission en Afghanistan a impliqué au total près de 300 militaires de l’Eurocorps, toutes nations confondues (nations-cadres et nations associées) en deux rotations.

Le Général français Olivier de Bavinchove assure le commandement de l’Eurocorps depuis le 1er juillet 2011. Après quinze mois passés en Afghanistan, il a quitté fin janvier 2013 ses fonctions à l’état-major de l’ISAF, et de commandant des forces françaises en Afghanistan, pour reprendre son poste à Strasbourg. Son adjoint au commandement de l’Eurocorps, depuis le 1er juillet 2011, est un général de nationalité allemande, le Général Walter Spindler, qui commanda il y a quelques années la Brigade franco-allemande.

A de nombreux égards, l’Eurocorps peut être considéré comme disposant d’un quartier général de pointe en Europe et mériterait sans doute d’être davantage utilisé. Sa crédibilité est entérinée par deux facteurs-clé : il dispose de tous les moyens de commandement et de contrôle nécessaires, qu’ils soient légers et aérotransportables ou plus lourds mais surtout, il a une légitimité particulière. Tout engagement du Corps européen est en effet l’expression de la volonté politique et diplomatique commune de cinq nations européennes. Il semble d’autant plus regrettable à vos Rapporteurs qu’il ne soit pas en lien avec l’État-major de l’Union européenne, ce qui permettrait peut-être de l’engager plus facilement sur une demande de l’Union européenne… Le traité de Strasbourg entré en vigueur en février 2009 lui octroie en outre une pleine capacité juridique et des responsabilités additionnelles majeures dans la gestion financière et matérielle. L’Eurocorps serait sûrement susceptible de jouer un plus grand rôle que celui qui lui a été jusqu’à présent dévolu, dans un véritable processus de relance de l’Europe de la défense.

Il serait utile, dans cette perspective, d’envisager avec une certaine souplesse le recours à l’Eurocorps. Il est en effet surdimensionné, dans ses potentialités, pour des opérations comparables à l’opération Serval au Mali dont les effectifs sur le terrain sont largement inférieurs à ceux qu’il pourrait commander. Cependant, à condition qu’existe une réelle volonté politique en ce sens, il pourrait offrir une flexibilité « vers le bas », c’est-à-dire s’adapter, si la demande lui en était formulée, à un commandement de 10 000 hommes par exemple. De même, si cette mission lui était attribuée, il serait capable de planifier une opération militaire terrestre dans des délais rapides. Il serait même susceptible de passer à de la planification stratégique, si lui étaient adjoints des éléments des armées de l’air et de la marine, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’Eurocorps est en effet jusqu’à présent conçu pour diriger des forces terrestres ; il peut se coordonner avec les armées de l’air et de la marine mais il ne peut pas les diriger, même si la capacité à commander une force armée terrestre comprenant des ajouts aériens et maritime est actuellement un objectif.

Enfin, à titre plus symbolique, pourquoi ne pas envisager d’affecter à l’Eurocorps des locaux qui seraient destinés à entreposer du matériel et des équipements devant servir à des actions décidées par l’Union européenne ? À condition de prévoir également les personnels nécessaires à leur entretien, ce pourrait déjà être un signal fort, visible en tout cas, de l’existence d’un embryon d’» Europe de la défense ».

Vos Rapporteurs rappellent également que l’Eurocorps se familiarise avec « l’approche globale » et qu’il est conçu pour conduire un très large spectre d’opérations terrestres comprenant, outre les opérations de combat, des missions humanitaires d’évacuation et de maintien de la paix.

Elle a été créée en 1989 et elle peut être placée sous le commandement de l’Eurocorps. Son État-major se situe à Müllheim, dans le Bade-Würtemberg, et elle dispose de garnisons à Donaueschingen, Villingen et Immendigen. Depuis juillet 2010, un bataillon allemand s’est installé à Illkirch-Grafenstaden, près de Strasbourg. Cette localisation ne comporte pas un aspect uniquement militaire, elle est également très symbolique : pour la première fois depuis 1945, des troupes allemandes sont présentes sur le sol français.

Cette coopération militaire entre la France et l’Allemagne a permis des progrès considérables dans le domaine de l’interopérabilité, que ce soit en matière d’armements ou d’harmonisation des méthodes et modes d’action.

La BFA peut être utilisée dans le cadre d’actions menées par l’Union européenne ou l’OTAN. Elle est composée d’unités inter-armes et d’unités nationales de combat et de soutien logistique et compte environ 6 000 hommes et femmes. Si elle consolide toujours son noyau franco-allemand, elle intègre également à sa structure des capacités additionnelles belges et espagnoles et évolue ainsi dans sa capacité de commandement d’une structure multinationale. Les postes de commandement importants sont soumis à rotation tous les deux ans et confiés alternativement aux deux États.

Actuellement, la BFA est commandée par le général allemand Hagemann, qui a pour adjoint le colonel français Wallerand de Madre.

Alors qu’elle a été dans le passé déployée plusieurs fois en opérations extérieures comme unité constituée, notamment en ex-Yougoslavie, en Bosnie dans le cadre de la SFOR et au Kosovo dans le cadre de la DFOR (en 1996, en 2000 et en 2009) et en Afghanistan dans le cadre de la FIAS en 2004, depuis quelques années le déploiement de la BFA en unité constituée sur un théâtre d’opérations a été évoqué à plusieurs reprises, mais s’est toujours heurté à des obstacles, tantôt en France, tantôt en Allemagne. En conséquence, les unités qui la composent sont très souvent déployées, notamment au Kosovo ou en Afghanistan, mais toujours dans leurs zones de responsabilité respectives, les unités françaises d’un côté, les unités allemandes de l’autre…

Cette situation est dommageable. Alors que la BFA n’est pas seulement un symbole mais surtout une force opérationnelle dotée d’importantes capacités de combat, disposant d’unités d’élites, des doutes sur le bien-fondé de la BFA ont vu le jour. Dans ses rapports publics de 2008 et 2011, la Cour des comptes s’est interrogée au sujet de la faible utilisation des différentes structures militaires européennes, dont la BFA.

En réalité, la BFA est très utilisée, mais mal, c’est-à-dire pas sous la bannière européenne ; elle est projetée sur des mandats nationaux. L’opération Serval au Mali est typiquement l’opération dans laquelle la BFA aurait pu être utilisée. Certes, tout engagement de militaires allemands sur un théâtre d’opérations requiert l’accord du Bundestag ; un tel engagement est délicat, à l’approche des élections, mais il aurait été plus facile de présenter un engagement d’éléments allemands sous la bannière BFA : encore eut-il fallu une volonté politique et cette dernière a fait défaut. C’est sûrement dommage, et dommageable à la BFA, pourtant prête à utiliser son inter-opérabilité et son expérience : elle est préparée à l’avance à l’état d’esprit et aux méthodes de l’autre… Le non-déploiement de la BFA en tant que telle nuit en outre sûrement à l’attractivité et à la cohésion de cette Brigade…

À défaut d’avoir été sollicitée pour l’opération Serval, la BFA aurait pu l’être pour l’opération EUTM Mali, dont le lancement a été si longtemps retardé. Préparée depuis des mois, elle n’obéissait pas aux mêmes contraintes de rapidité d’engagement que l’opération Serval ; l’argument selon lequel la procédure de passage devant le Bundestag aurait été trop longue ne valait donc pas. Là encore, la volonté politique a fait cruellement défaut, ce qui est, selon vos Rapporteurs, d’autant plus regrettable que le 50e anniversaire du Traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne a été célébré fin janvier 2013… Une décision de la projection de la Brigade franco-allemande, dans le prolongement de cet anniversaire, aurait pu revêtir une portée d’autant plus forte… Comme pour l’Eurocorps, on ne peut que déplorer l’absence de liens entre l’État-major de la BFA et l’État-major de l’Union européenne, qui n’est pas de nature à faciliter l’engagement de la BFA sous bannière européenne.

De façon générale, le retour à une approche plus intégrée, à une meilleure mutualisation des forces sur les théâtres d’opérations relève de la seule responsabilité politique. Il serait profondément regrettable, à l’heure où l’on prône la relance de l’Europe de la défense, et parfaitement contraire à l’esprit sinon à la lettre du Traité de Lisbonne, de continuer à mal utiliser ces instruments emblématiques et à fort potentiel que sont les forces multinationales.

DEUXIÈME PARTIE : DES MISSIONS PSDC À INSCRIRE CLAIREMENT DANS LE CADRE D’UNE APPROCHE GLOBALE DE PRÉVENTION DES CONFLITS

I. LES MISSIONS MILITAIRES RÉCENTES OU EN COURS

L’idée d’une opération au Sahel est loin d’être nouvelle. Vos Rapporteurs faisaient déjà état, dans leur rapport d’information no 536 de décembre 2012, de la préparation d’une telle opération pour 2013. C’est pourquoi ils s’étonnent aujourd’hui de l’argument, souvent invoqué, selon lequel la solidarité européenne n’aurait pas pu s’exprimer davantage lors du lancement de l’opération française au Mali en janvier 2013, simplement parce que tous les États auraient été « pris de court ».

Depuis le début de l’automne 2012, cette idée de nouvelle opération européenne au Mali était activée et le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, avait fait le tour des capitales européennes pour convaincre les autres États, espérant rallier plusieurs d’entre eux pour le Conseil des Affaires étrangères et de la Défense de novembre 2012. Le 15 novembre 2012, après s’être réunis à Paris, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense du groupe Weimar + (France, Allemagne, Pologne, Espagne et Italie) ont publié une Déclaration (cf. annexe) confirmant leur « volonté de promouvoir une politique européenne ambitieuse dans le domaine de la sécurité et de la défense ». Dans le cadre de cette Déclaration du 15 novembre 2012, les ministres du Groupe Weimar + déclaraient notamment : « Nous partageons l’analyse que fournir un soutien aux organisations régionales et aux autorités locales en faveur de la stabilité dans des zones non gouvernées ou fragiles renforce la sécurité des citoyens et des intérêts de l’Union européenne. Dans cet esprit, l’Union européenne a accru son engagement dans la Corne de l’Afrique, en poursuivant l’appui à la gouvernance et au développement des capacités de la Somalie et dans le Sahel, en particulier au Niger, dans le cadre d’une approche globale et régionale. Nous encourageons nos partenaires à accroître leurs efforts en faveur d’un règlement d’une solution politique à la crise malienne, ainsi qu’à contribuer à une éventuelle mission de formation en soutien aux forces armées maliennes, conformément aux conclusions du Conseil des Affaires étrangères du 15 octobre ».

Il ne faut bien entendu pas confondre l’opération Serval, opération militaire lancée par la France pour répondre à une offensive soudaine de troupes islamistes en direction de Bamako, avec cette opération de formation en soutien aux forces de l’armée malienne, qui était à l’étude depuis déjà des semaines. Cependant, force est de constater que, pour l’opération Serval comme pour la mission de formation EUTM Mali, la solidarité européenne ne s’est pas exprimée dans des conditions satisfaisantes.

L’opération Serval déclenchée par la France le 11 janvier 2013 a certes pu paraître soudaine, et certains ont pu être surpris de la réaction française, de sa rapidité et de son importance. Cette opération était cependant tout sauf improvisée, au niveau militaire comme diplomatique. Depuis plusieurs semaines, les différents mouvements sur place étaient sous surveillance étroite, le Centre de planification et de conduite des opérations était en alerte, le Centre satellitaire européen de Torrejon analysait des images ; comme l’a expliqué le ministre de la Défense dès le 12 janvier, le renseignement avait permis de détecter les préparatifs d’une offensive importante, organisée et coordonnée par Ansar Eddine, AQMI et le MUJAO. Dès lors, la demande d’aide du Mali et l’intervention française étaient évidentes.

La France a décidé d’intervenir conformément aux résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et conformément à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies. L’objectif de son intervention était d’arrêter l’offensive des groupes terroristes, de préserver l’existence de l’État malien et de préparer le déploiement de la force d’intervention africaine qui avait été autorisé le 20 décembre 2012 par le Conseil de sécurité de l’ONU, dans le cadre de la résolution 2085.

Il s’agissait donc, dans le plein respect de la légalité internationale, de défendre les valeurs fondamentales de liberté et de démocratie, qui sont le fondement même de l’Union européenne, et de défendre la sécurité de l’Europe menacée par le terrorisme.

Certes la France a reçu de ses partenaires européens des félicitations et certaines aides logistiques. Il est excessif de prétendre que l’Europe n’a rien fait : des avions de transport ont été proposés, des moyens de communication et d’observation, également une aide médicale… Certains États européens – Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Danemark – ont même dès le début de l’opération manifesté leur intention d’apporter un soutien. D’autres pays les ont rejoints par la suite. Il ne s’agissait cependant pas d’une aide apportée et coordonnée dans le cadre de l’Union européenne, mais de propositions unilatérales et dispersées, au même titre que celle d’États non européens, tels les États-Unis et le Canada. Bien sûr, tous ces moyens additionnés ont été en réalité un appui utile à l’opération Serval, d’autant qu’ils ont permis à la France de disposer d’équipements dans lesquels elle reste déficitaire : moyens de transport, drones, ravitaillement en vol…

Cependant le bilan reste un peu amer : l’opération Serval est le type même d’opération que l’Union européenne ambitionne de pouvoir mener collectivement dans le cadre de la PSDC et une fois de plus, comme dans le précédent de la Libye, elle s’est avérée incapable de le faire.

Symbole des insuffisances de la politique européenne de défense, le conflit malien s’est révélé un invité encombrant au récent sommet de Varsovie (6 mars 2013) qui a réuni des chefs d’État et de gouvernement et les ministres de la Défense des pays du Triangle de Weimar (Pologne, Allemagne et France) et du Groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque). Dans un communiqué commun, les ministres de la Défense des six États européens ont certes déclaré : « Le Mali montre que nous vivons dans un monde où la défense de nos intérêts et de notre sécurité dépendra de plus en plus de la capacité à lancer rapidement et efficacement des opérations militaires ». Cependant, sans surprise, aucun État n’a proposé d’envoyer des forces pour prêter main forte aux soldats de l’armée française, alors impliquée dans des accrochages de plus en plus violents avec les rebelles islamistes.

La difficulté à monter la mission EUTM Mali est peut-être encore plus emblématique des limites de la volonté de relance de « l’Europe de la défense ».

Vos Rapporteurs rappelleront qu’il s’agit, à la différence de Serval, d’une opération menée dans le cadre de l’Union européenne et surtout préparée de longue date, pour un lancement qui était prévu début 2013. Elle n’est en dimension nullement comparable à Serval, qui a conduit à l’envoi de quelque 4 000 soldats français sur le terrain. En effet, selon le dispositif prévu au départ, la mission devait être composée de 400 à 500 personnes seulement, dont environ 200 formateurs accompagnés d’effectifs destinés à assurer leur protection. Comme son nom l’indique, EUTM Mali – European Training Mission – est uniquement une mission destinée à la formation des soldats de l’armée malienne. Son objectif n’est donc pas le combat des groupes armés terroristes qui sévissent au Mali, à la différence de Serval. C’est un objectif beaucoup plus « pacifique » même si, compte tenu du milieu dans lequel elle doit intervenir, cette mission PSDC a été conçue comme une mission militaire et non comme une mission civile (sur la différence ténue entre mission militaire PSDC et mission civile PSDC, on renverra aux développements qui suivent). Certes, depuis janvier les prévisions d’effectifs nécessaires à l’EUTM Mali ont dû être revus légèrement à la hausse : ils ont été augmentés à 550 personnes, se subdivisant en 200 formateurs comme prévu au départ, 200 personnes pour la logistique et le soutien médical, 50 pour l’État-major, ainsi que de 150 militaires pour assurer leur protection. Cela n’en reste pas moins une mission de taille tout à fait raisonnable, compte tenu par ailleurs de l’ampleur des besoins en formation de l’armée malienne. Les forces maliennes représentent en effet environ 10 000 hommes sur le papier, dont 6 000 combattants, l’objectif de l’Union européenne étant d’en former la moitié, soit environ 3 000.

Officiellement lancée, après moult retards et difficultés, le 18 février 2013, à l’unanimité des vingt-sept États membres, la mission EUTM Mali, dirigée par le Général français François Lecointre, ne faisait toujours pas le plein de ses effectifs en mars 2013. Il manquait encore 90 soldats pour assurer la sécurité des formateurs, difficiles à trouver apparemment, malgré un nombre d’États participants qui s’élève à vingt-deux (un record dans les missions PSDC, il faut le reconnaître). Alors que cette mission a été approuvée par tous, certains États n’ont apporté et ne souhaitent apparemment apporter aucune contribution (une absence de marque, les Pays-Bas…). L’EUTM avait pourtant été présentée, lors de son lancement, comme une démonstration de « l’activité » et de « l’engagement » de l’Europe de la défense.

Nation cadre, la France sera de loin le plus impliqué des vingt-deux pays participants avec 207 personnes, suivie par l’Allemagne (71), l’Espagne (54), le Royaume-Uni (40) avec une unité de formation composée des deux Irlande, la République tchèque (34), la Belgique (25) et la Pologne (20), les pays nordiques ayant fait une offre groupée (15 environ). Ces effectifs seront susceptibles d’évoluer régulièrement, au fur et à mesure des relèves des États membres, le temps prévu sur place étant variable selon les pays (de deux-trois mois à six mois) ; ils feront l’objet d’un nouvel ajustement avant l’été, pour la seconde partie du mandat initial qui est de quinze mois, mais pourra le cas échéant être prolongé.

Devant la difficulté à trouver 90 soldats supplémentaires pour assurer la sécurité, le ministre des Affaires étrangères M. Laurent Fabius s’est résolu le 11 mars à adresser une demande de contribution supplémentaire à deux États déjà participants, la Belgique et l’Espagne, pour une trentaine de militaires chacun. Si ces deux États acceptent de répondre à la demande française, la France devra toutefois probablement se résoudre à fournir elle-même encore une trentaine de militaires pour la force de protection. Les premiers soldats maliens devraient en effet commencer à être formés par la mission EUTM à partir du début avril à l’école militaire de Koulikouro, à une soixantaine de kilomètres de Bamako. La durée de leur formation initiale devrait être de deux mois et demi environ, puis un « rendez-vous opérationnel » devrait leur être fixé deux à trois mois après, pour vérifier les acquis.

Vos Rapporteurs regretteront ici les atermoiements dans le lancement de cette mission qui, à la différence de l’opération Serval, porte officiellement le label de l’Union européenne. La participation de la France, par ailleurs engagée dans Serval, paraît disproportionnée. Les réticences leur semblent d’autant moins compréhensibles que cette mission n’a pas vocation à être « exécutive » : il n’y aura pas de patrouilles de soldats en armes à Bamako, chargés de sécuriser tel ou tel secteur, comme l’OTAN l’avait par exemple fait précédemment au Kosovo. Les formateurs européens n’ont pas vocation à combattre, ni à encadrer lors d’opérations militaires les soldats qu’ils auront formés. Il n’est pas question qu’ils se déplacent dans des opérations de reconquête ou de stabilisation du pays.

En outre, l’objet de cette mission l’inscrira, à terme, dans le cadre d’une « approche globale ». L’enjeu est en effet d’améliorer les capacités et l’efficacité des forces armées maliennes, non pas pour le plaisir de reconstituer une armée mais bien pour permettre, sous autorité civile, le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays et la sécurité. La formation des soldats inclura d’ailleurs le respect du droit international, le traitement des prisonniers et les règles de comportement avec les civils.

Vos Rapporteurs regretteront par ailleurs que, dans le cadre de la mission EUTM Mali, un détachement de la Brigade franco-allemande ou du groupement tactique d’alerte n’aient pas été mobilisés. Ce sont en effet des outils flexibles, susceptibles de s’adapter à des situations difficiles et à des missions variées. Le groupement tactique de permanence au premier semestre 2013 est en outre un groupement « Weimar » (associant Pologne, Allemagne et France). Pourquoi n’aurait-il pu fournir à EUTM Mali des militaires destinés à assurer la sécurité des formateurs ? Il conviendrait de s’interroger sur l’apparente contradiction entre ces volontés de relance de l’Europe de la défense constamment proclamées et reproclamées et la non utilisation d’outils qui semblent n’avoir été créés que pour lui servir d’écrans de fumée. À quoi sert-il que l’Union européenne ait à sa disposition des corps bi ou multinationaux très bien entrainés, projetables, interopérables si elle reste toujours dans l’impossibilité de les déployer, au nom du respect de dispositions constitutionnelles qui font obstacle à leur envoi sur le terrain ?

Cette timidité est d’autant plus incompréhensible… que le soutien politique des États européens à l’opération française Serval et à la mission EUTM Mali a été affirmé et maintes fois répété. Il n’y a pas, sur ce sujet, de grandes dissensions politiques, contrairement à d’autres (Libye, Syrie, Palestine).

Le Mali est donc, bel et bien, une occasion perdue de relance de l’Europe de la défense…

Les missions militaires européennes achevées sont au nombre de cinq. Vos Rapporteurs renverront pour les quatre premières (Concordia en Macédoine, Artémis au Congo, Eufor RDC au Congo, Eufor Tchad/RCA au Tchad et en République Centrafricaine) aux développements figurant dans leur rapport d’étape, pour n’évoquer dans celui-ci que la dernière des missions militaires « achevées », qui est en réalité une mission européenne avortée, Eufor-Lybie, et les trois autres missions militaires en cours, Eufor Althea en Bosnie, Eutm en Somalie et la mission Atalante dans la Corne de l’Afrique.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé début avril 2011 de lancer une opération de l’Union européenne d’appui à des opérations d’assistance humanitaire, en réponse à la situation de crise en Lybie. Cette décision prévoyait que l’Union européenne, sur demande de l’Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) mènerait une opération militaire dans le cadre de la PSDC pour soutenir l’aide humanitaire dans la région.

L’opération a pris fin à la mi-novembre 2011 : les ambassadeurs du COPS ont donné leur accord pour cette date, marquant en fait la fin d’une « non-opération », sur la proposition de l’amiral italien commandant de l’opération. En effet, le feu vert des Nations Unies n’a jamais été donné et EUFOR-LYBIE n’a en réalité jamais été déployée, sauf en théorie, par la mise en place d’un quartier opérationnel de commandement (OHQ) à Rome et par la planification d’éventuels déploiements en soutien à une potentielle mission humanitaire de l’Union européenne.

Cette décision d’opération militaire, non suivie de réalisation, est une première qui n’est évidemment pas à porter au crédit de « l’Europe de la Défense ». Ce n’est bien entendu pas la faute des militaires. La condition d’accord de l’OCHA, le bureau des affaires humanitaires de l’ONU, a condamné la réalisation de l’opération. Sûrement l’Union européenne aurait-elle eu les moyens politiques et juridiques de lancer elle-même, de manière autonome, une opération qui réponde aux objectifs d’une résolution des Nations Unies, mais sans la condition en plus d’un accord, émanant d’une de ses agences qui n’était pas la seule organisation humanitaire à intervenir dans le conflit, ni la plus à même d’apprécier la situation (OCHA ayant mis du temps avant de pouvoir être présente sur le terrain et ayant dû finalement se réfugier à Tunis). Par ailleurs, plutôt que de monter un quartier général ad hoc dans une capitale, il aurait été peut-être préférable d’établir et de pérenniser ce quartier général opérationnel en Belgique, au sein du service diplomatique européen : cela aurait en tout cas permis d’économiser de l’énergie et des moyens et de bénéficier d’un retour d’expérience, la planification d’une opération, même non lancée, pouvant bénéficier aux suivantes.

Vos Rapporteurs rappellent à cet égard leurs observations précédentes sur la tendance abusive à la multiplication des instances compétentes ou parties prenantes qui, dans le cas de la Libye, a débouché sur une véritable paralysie de l’action de l’Union européenne. Celle-ci n’a pu être en l’occurrence compensée que par une action franco-britannique militaire, certes remarquable, mais qui n’intégrait pas la dimension humanitaire prévue dans le cadre d’EUFOR-LIBYE.

S’agissant toujours de la Libye, vos Rapporteurs constatent enfin que la mission de sécurisation frontalière, pourtant à l’étude depuis des mois au sein des instances européennes, semble au point mort. La guerre au Mali a pourtant révélé depuis à quel point la perméabilité de la frontière libyenne et le non contrôle de la circulation des armes pouvaient avoir des répercussions tragiques dans toute la région.

Les autres opérations militaires en cours sont début 2013 au nombre de trois, celle de Bosnie étant toutefois en extinction.

Lancée en décembre 2004, cette opération faisait suite à la décision de l’OTAN de mettre un terme à son opération SFOR ainsi qu’à l’adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la résolution 1575 autorisant le déploiement d’une force de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine. L’Union européenne a déployé une force importante (EUFOR) au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, afin de veiller à ce que l’accord de paix de Dayton continue à être respecté et de contribuer à un climat de sécurité en Bosnie-Herzégovine. L’opération ALTHÉA a été menée en ayant recours aux moyens et capacités de l’OTAN, dans le cadre des accords dits de « Berlin plus ». Cette coopération prouve, s’il en était besoin, que « l’Europe de la défense » n’a pas vocation a se construire contre l’OTAN, mais plutôt en complémentarité avec elle.

Les États membres de l’Union européenne se sont penchés à plusieurs reprises sur l’avenir de cette opération militaire, les effectifs sur le terrain diminuant au fur et à mesure des décisions de certains d’entre eux de ne plus contribuer. La situation sur place ne leur semblant plus nécessiter une opération militaire, certains, dont la France, ont envisagé la transformation en une mission non exécutive, moins gourmande en moyens.

Début 2009, la France a annoncé le retrait de son contingent (85 militaires) encore déployé en Bosnie-Herzégovine au titre d’EUFOR ALTHÉA. Elle est restée néanmoins engagée dans la mission civile sur place, par sa participation à la mission de police de l’Union européenne (MPUE), dont le mandat s’est achevé fin juin 2012.

Début 2013, les effectifs de la force s’élèvent à environ 840 soldats sur le terrain, appuyés par des forces de réserve hors du théâtre, mais ils sont en diminution régulière depuis l’origine (ils s’élevaient encore à 1 200 soldats début 2012). Les plus gros contingents sont fournis par l’Autriche et par la Turquie. Dans la conjoncture actuelle de crise budgétaire, aucun État ne semble disposé à augmenter ou même maintenir son contingent, qui reste en grande partie à la charge du budget national, le mécanisme de financement ATHÉNA (cf. ci-après) ne permettant de communautariser qu’une faible partie du budget de l’opération (le commandement et certaines tâches communes).

Lancée en décembre 2008, cette opération répond aux préoccupations de l’Union européenne provoquées par la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes, qui continuent à peser sur la sécurité maritime internationale ainsi que sur les activités économiques et la sécurité des pays de la région. C’est dans ce contexte qu’au titre d’une approche globale, l’Union européenne a démarré en Somalie une opération maritime, dans le cadre de sa politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Conseil de l’Union européenne a ensuite décidé de prolonger l’opération jusqu’en décembre 2014.

L’opération ATALANTA contribue incontestablement à l’amélioration de la lutte contre la piraterie, puisque de plus d’une vingtaine d’attaques contre des navires en 2011 on est passé à six en 2012. La France a assuré le commandement d’ATALANTA jusqu’à début août 2012, date à laquelle le relais a été passé à l’Italie. C’est une opération concluante sur le plan militaire pour un coût équivalent à moins d’un navire et demi porte-hélicoptères par an. Elle est emblématique de ce que peut faire l’Union européenne quand elle le veut : c’est en effet l’Union européenne qui, comprenant que le traitement de la menace devait être global, a autorisé une telle opération et elle est la seule organisation internationale à l’avoir menée.

Le dernier rapport de la Chambre des Lords britanniques sur l’opération ATALANTA (septembre 2012) en dresse un bilan très positif alors qu’il est rare qu’à Londres on fasse des louanges sur « l’Europe de la défense », et que le précédent rapport (avril 2010) pointait encore des lacunes au niveau des ressources matérielles et humaines mises à la disposition de cette mission. Le rapport de septembre 2012 estime même que l’opération européenne devrait être reconduite au-delà de 2014, relevant que si l’endiguement de la piraterie reste le but premier, son élimination devrait être l’objectif sur le long terme.

Lancée en avril 2010, cette mission de formation militaire a pour but de contribuer au renforcement du gouvernement fédéral de transition (GFT) et des institutions de Somalie. Ce soutien s’inscrit dans le cadre de l’engagement global de l’Union européenne en Somalie, en vue de répondre aux besoins prioritaires de la population somalienne et de stabiliser le pays.

La formation des forces de sécurité somaliennes a commencé dès mai 2010, en Ouganda, ce qui facilite la coordination de l’action de l’Union européenne avec la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). L’effectif en février 2013 était de 87 Européens provenant de treize pays différents, basés à Bihanga (Ouganda) avec des équipes en renfort pour les formations spécialisées : civilo-militaire, génie, détection d’engins explosifs.

Le Conseil de l’Union européenne a souligné que l’EUTM Somalia devrait être considérée comme faisant partie d’un engagement plus large de l’Union européenne et de la communauté internationale à l’égard de la Somalie. Il s’est félicité de la coopération étroite qui a été mise en place avec des partenaires clés dans cet effort commun, en particulier l’Ouganda, l’Union africaine, l’AMISOM, les Nations unies et les États-Unis. Le Conseil a salué les progrès significatifs réalisés et a rappelé qu’il importe de veiller à ce que se poursuive la mise en place des conditions générales permettant aux recrues formées dans le cadre de l’EUTM Somalia d’apporter une contribution efficace et durable aux forces de sécurité somaliennes et à la stabilisation de la situation en Somalie.

En mars 2011, l’Union européenne a rappelé qu’il ne peut y avoir de solution purement militaire à la crise en Somalie. Les réflexions relatives à la poursuite de son engagement en Somalie dans le cadre de la politique de sécurité et de défense, y compris l’évolution de la mission de formation en Ouganda, dépendront du contexte politique, de la réalisation de progrès satisfaisants concernant une structure de commandement et de contrôle et de l’évaluation de la réintégration des premiers bénéficiaires des formations.

Comme l’a souligné le Général Patrick de Rousiers, Président du Comité militaire de l’Union européenne, chaque armée des treize pays participants apporte ses meilleures compétences et c’est là la « force européenne ».

D’ailleurs, l’EUTM Somalia a servi de « modèle » lors des premiers travaux de réflexion en vue du lancement de l’opération EUTM Mali. La formation des soldats somaliens par les forces de l’Union européenne est sûrement un des grands succès de la politique européenne de défense, comme l’a rappelé en février 2013 le Général irlandais Gerald Aherne, qui a pris le commandement de cette mission : 3 000 soldats ont déjà été formés et un lien direct existe entre cette formation de l’armée somalienne et la stabilisation de la Somalie.

Globalement, « l’approche globale » est toujours évoquée par l’Union européenne même lorsqu’il s’agit de missions militaires. Il reste que cet aspect devrait être davantage mis en évidence, ne serait-ce que pour mieux emporter l’adhésion d’États européens parfois réticents à s’engager, et surtout pour bénéficier de possibles financements communautaires, comme cela sera expliqué plus loin.

II. LES MISSIONS CIVILES

On oublie trop souvent que les missions PSDC sont pour la plupart des missions civiles. A ce titre, vos Rapporteurs tiennent à souligner que la PSDC s’inscrit déjà largement dans une approche de prévention des conflits. Les objectifs de ces missions tournent en effet essentiellement autour des thèmes du renforcement de l’État de droit, de la formation des cadres ou et/de l’armée, de la protection des populations, du respect des droits de l’homme, de la libre-circulation et de l’assistance aux frontières, etc... Ce sont le plus souvent des missions de gestion de « fins de crises » dont le mandat nécessite toutefois plusieurs renouvellements. Un État de droit ne se bâtit pas en trois mois, surtout avec des moyens limités.

Pour les opérations civiles achevées, vos Rapporteurs renverront là encore aux développements de leur rapport d’étape. Elles sont au nombre de huit : Eupol Proxima puis Eupat en Macédoine, Eujust Themis en Georgie, AMM à Aceh en Indonésie, Eupol Kinshasa au Congo, Amis II au Soudan/Darfour, EU SSR en Guinée-Bissau et EUPM BIH en Bosnie-Herzégovine (cette dernière s’étant achevée fin juin 2012).

On compte cependant actuellement toujours une dizaine d’opérations civiles en cours, dont deux lancées très récemment, depuis l’été 2012 (Eucap Sahel au Niger et EUAVSEC au Sud-Soudan). Leurs mandats respectifs prouvent clairement la volonté de l’Union européenne de privilégier une approche de prévention de futurs conflits potentiels, dans une situation le plus souvent de gestion de crise ou de fin de crise.

1. Les missions civiles3 « anciennes » toujours en cours

Décidée par le Conseil de l’Union européenne en mars 2005, cette opération civile de gestion de crise a débuté sur le terrain en juillet 2005, avec pour objectif de renforcer la primauté du droit en Irak et d’y promouvoir une culture de respect des droits de l’homme. Elle cible notamment le perfectionnement professionnel de hauts responsables irakiens et la coopération opérationnelle entre les différentes branches du système pénal irakien (policière, judiciaire et pénitentiaire).

Malgré les difficultés du début, notamment des conditions de sécurité difficiles, les Européens ont ainsi formé, au cours des sept dernières années, plus de 5 000 participants au système pénal irakien.

Cette mission – dotée d’un effectif de 55 personnes en octobre 2012 - a été prorogée à plusieurs reprises et il a été décidé en juin 2012 qu’elle poursuivra ses activités jusqu’à fin 2013.

Cette mission de police, créée elle aussi mi-novembre 2005, basée en Cisjordanie, fait partie des efforts déployés par l’Union européenne pour contribuer à une paix globale avec Israël et à une solution fondée sur la coexistence de deux États. Son mandat consiste à aider l’Autorité palestinienne à renforcer les institutions du futur État de Palestine dans les domaines du maintien de l’ordre et de la justice pénale. Le soutien de l’Union européenne vise à accroître « la sûreté et la sécurité » de la population palestinienne et à contribuer à la mise en œuvre du programme de l’Autorité palestinienne en matière de renforcement de l’État de droit sur le plan intérieur. L’objectif est de faire de la police civile palestinienne (PCP) une force de sécurité compétente du futur État palestinien, reposant sur les principes d’une police démocratique. EUPOL COPPS soutient aussi la mise en place d’une justice pénale stable, qui satisfasse aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Elle a pour but d’aider l’Autorité palestinienne à renforcer les capacités professionnelles au sein des institutions judiciaires et à adopter une législation moderne.

Depuis juillet 2012, c’est un Irlandais du nord, M. Ken Deane, bien rôdé aux techniques européennes puisqu’il était précédemment Commandant adjoint des opérations civiles de l’Union européenne (CPCC) qui est à la tête d’EUPOL COPPS. Le 25 juin 2012, le Conseil de l’Union européenne a décidé de prolonger le mandat de la mission jusqu’au 30 juin 2013.

À la suite d’une demande officielle du gouvernement de la République démocratique du Congo, l’Union européenne a lancé début juin 2005 cette mission de conseil et d’assistance en matière de réforme du secteur de la sécurité au Congo.

L’EUSEC RDC, dotée d’un effectif de 78 personnes en octobre 2012, assiste les autorités congolaises dans la mise en place d’un appareil de défense capable de garantir la sécurité des Congolais, en respectant les normes démocratiques, les droits de l’homme et l’État de droit, ainsi que les principes de bonne gouvernance et de transparence. Elle les aide également dans des activités civilo-militaires de logistique et de formation des cadres. Elle mène également des activités visant à lutter contre l’impunité en ce qui concerne les violations des droits de l’homme, y compris les violences sexuelles.

Dans ses actions, l’EUSEC RDC coopère étroitement avec l’EUPOL RDC (cf. ci-après) et la Délégation de l’Union européenne en République démocratique du Congo, coordonne son activité avec les activités financées par la Commission européenne et les États membres, et œuvre de concert avec les Nations unies et d’autres acteurs nationaux et internationaux concernés.

La mission EUSEC RDC témoigne de l’engagement continu de l’Union européenne aux côtés des Congolais. Le rétablissement de la gouvernance en général et la réforme du secteur de la défense en particulier continuent en effet à jouer un rôle crucial dans la création de conditions durables de stabilité dans le pays. La mission a en conséquence été prorogée par un septième mandat couvrant la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2013.

Les exactions commises au Congo depuis de nombreuses années, en recrudescence depuis mai 2012 et plus récemment fin novembre 2012, lors de la prise de la ville de Goma par le mouvement rebelle M 23, attestent de l’impérieuse nécessité non seulement de prolonger mais probablement aussi de renforcer la mission EUSEC RDC comme la mission EUPOL RDC (cf ci-dessous). Certes il n’appartient pas à ces missions de stabiliser la région – c’est le mandat de la MONUSCO (mission de l’ONU pour la stabilisation de la RDC) forte de ses quelque 19 000 hommes. Toutefois les effectifs de ces deux missions PSDC (moins de 140 personnes à elles deux) paraissent singulièrement sous-dimensionnés face à l’ampleur de leur tâche dans ce pays. Mme Catherine Ashton a déclaré le 23 novembre 2012, en demandant l’arrêt immédiat de l’offensive du M 23 et son retrait de Goma, que l’Union européenne, en coordination avec l’ONU et d’autres organisations internationales, était prête à appuyer la région dans ses efforts pour trouver une solution durable à la crise… La meilleure façon de fournir cet appui serait peut-être de commencer par donner à ces deux missions PSDC les moyens que nécessitent leurs objectifs.

Cette mission a succédé à la mission EUPOL-KINSHASA, première mission européenne de police en Afrique entre février 2005 et juin 2007. Le 12 juin 2007, le Conseil de l’Union européenne a en effet décidé d’une action commune relative à la mission de police de l’Union européenne menée dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité (RSS-assistance, encadrement et appui aux autorités) et son interface avec la justice en République démocratique du Congo.

La mission EUPOL République démocratique du Congo offre des expertises techniques policières et civiles dans les domaines de la police et de la justice, mais également dans des domaines transversaux, notamment les droits humains, les droits des enfants dans les conflits armés, l’égalité hommes/femmes et la lutte contre l’impunité et les violences sexuelles. Composée d’une cinquantaine de personnes, elle n’a cependant pas vocation à se substituer à la police congolaise dans ses missions et responsabilités. Dirigée par un commissaire divisionnaire belge, son mandat a été prolongé, sur décision du Conseil du 24 septembre 2012, jusqu’au 30 septembre 2013 (cf ci-dessus, mêmes observations que pour EUSEC RDC).

Cette mission, qui s’inscrit dans le cadre général de l’action de la communauté internationale visant à aider les Afghans à assumer le maintien de l’ordre, a été décidée par le Conseil de l’Union européenne le 12 juin 2007.

Elle est particulièrement utile car EUPOL est le seul acteur multilatéral fournissant une expertise de haut niveau en matière d’opérations civiles de maintien de l’ordre ainsi que des compétences spécialisées en matière d’État de droit.

Elle est déployée au niveau central (Kaboul), régional et provincial, par l’intermédiaire des équipes de reconstruction provinciales.

Elle relève de l’action globale de l’Union européenne en faveur de l’Afghanistan et d’une approche coordonnée de l’Union européenne, comprenant des orientations politiques locales fournies par le Représentant spécial de l’Union européenne et un effort de reconstruction géré notamment par l’intermédiaire de la Délégation de l’Union européenne à Kaboul.

Certaines critiques sont néanmoins parfois dirigées à son encontre. Ainsi, un rapport de la Chambre des Lords de février 2011, tout en soulignant combien est stratégique cette mission pour la stabilisation de la région, déplore l’insuffisance d’engagement des États membres de l’Union européenne pour fournir l’effectif nécessaire. Il regrette que la mission tourne en permanence avec un effectif compris entre 200 et 300 personnes, avec un turnover important, au lieu des 400 planifiés ; la majorité de ces effectifs est fournie par les Finlandais, les Allemands, les Néerlandais et les Suédois, les participations britannique et française étant jugées pauvres. Alors que la date limite pour le retrait militaire s’approche, il serait important, conclut le rapport, de consacrer davantage de ressources à la mission pour qu’elle soit en mesure de réaliser ses objectifs.

Le 18 mai 2010, le Conseil a prolongé la mission pour une période de trois ans, jusqu’au 31 mai 2013.

C’est la plus grande mission civile jamais déployée au titre de la PSDC.

L’Union européenne a décidé de son lancement le 16 février 2008, la phase opérationnelle a débuté en décembre 2008 et a atteint sa pleine capacité en avril 2009.

Le mandat initial était de deux ans, mais il a été prévu que cette mission « État de droit » ne s’achèvera que lorsque les autorités du Kosovo auront acquis suffisamment d’expérience pour garantir la primauté du droit pour tous.

L’objectif central d’EULEX KOSOVO est d’assister et de soutenir les autorités du KOSOVO dans les domaines liés à « l’État de droit », en particulier la police, la justice et les douanes.

La question du reformatage de la mission, initialement dotée d’un effectif de près de 3 000 personnes, a néanmoins été posée. Début 2012 elle disposait d’un effectif international de 1 250 agents auxquels s’ajoute un effectif de 1 000 agents locaux. Le budget annuel alloué en 2012/2013 est de 111 millions d’euros. Plusieurs arguments militent en faveur du reformatage, notamment les contraintes budgétaires, les besoins au Kosovo qui ne sont plus les mêmes, la nécessité d’appropriation par les autorités kosovares de certaines fonctions.

Jusqu’à très récemment la mission EULEX KOSOVO a été dirigée par un Général à la retraite, le Français Xavier Bout De Marnhac. Le mandat en cours de la mission expire le 14 juin 2014.

Lancée le 1er octobre 2008, la mission d’observation de l’Union européenne en Géorgie s’inscrit dans le cadre des accords conclus les 12 août et 8 septembre 2008 entre la Géorgie et la Russie, grâce à une médiation diplomatique de la présidence française de l’Union européenne. Conformément aux conclusions adoptées par le Conseil européen lors de sa réunion extraordinaire du 1er septembre 2008, le Conseil de l’Union a décidé le 15 septembre de la création de cette mission non armée. En deux semaines seulement, soit avant le 1er octobre, l’Union européenne a déployé sur le terrain plus de 200 observateurs : c’est le déploiement le plus rapide jamais réalisé pour une mission de l’Union européenne.

L’objectif de cette mission, qui n’a pas de compétence d’exécution et dont le personnel n’est pas armé, est de contribuer à la stabilité à long terme de la Géorgie et des régions limitrophes touchées par le conflit de 2008. Il s’agit de superviser le déploiement de la police et des forces armées géorgiennes et d’assurer l’observation du respect, par toutes les parties, du droit humanitaire. Elle est dotée actuellement d’un effectif supérieur à 300 personnes.

Par une décision du 13 septembre 2012, le Conseil a prorogé la mission EUMM GEORGIA jusqu’au 14 septembre 2013.

Il s’agit d’une mission d’assistance frontalière créée début novembre 2005 en réponse à une demande conjointe des Présidents de Moldavie et d’Ukraine, visant à obtenir de l’Union européenne un soutien. Cette mission technique et consultative a surtout pour objectif d’aider les douaniers et garde-frontières moldaves et ukrainiens à coopérer entre eux et à acquérir des procédures efficaces pour prévenir et détecter la contrebande, le trafic des marchandises et des êtres humains, pour lutter contre la fraude douanière, en fournissant conseils et formations.

La mission regroupe environ 100 experts internationaux et 120 agents nationaux moldaves et ukrainiens. Elle est dotée d’un budget de 21 millions d’euros pour la période 2011-2013. En 2012, le Chef de la mission, un Allemand, M. Udo Burkholder, a établi comme objectif de mettre en place d’ici 2015 un plan de gestion intégré des frontières, visant à les amener à un niveau proche de celui de leurs homologues de l’Union européenne.

Le 26 juillet 2012, le Conseil a donné son feu vert à cette nouvelle mission PSDC civile lancée en août 2012 et visant à appuyer la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme dans la région du Sahel.

La durée initialement fixée pour EUCAP SAHEL Niger est de deux ans. La mission comporte une cinquantaine d’agents internationaux et une trentaine d’agents locaux, avec un quartier général à Niamey, au Niger, et des officiers de liaison à Bamako (Mali) et Nouakchott (Mauritanie). Grâce à ces éléments de liaison, la mission devrait contribuer à renforcer la coordination régionale avec le Mali et la Mauritanie. Ce type de mission de renforcement des capacités des forces de sécurité et de défense a vocation à être proposé aux autres États de la région.

Plus concrètement, la mission EUCAP SAHEL Niger, dotée d’un budget de 8,7 millions d’euros pour la première année, vise à la formation et au conseil des forces de sécurité intérieure du Niger, en lien avec les forces armées du pays, dans le but d’aider les autorités nigériennes dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, qui constituent une grave menace pour toute la zone sahélo-saharienne.

L’objectif est que le Niger puisse mieux contrôler son territoire, ce qui permettra la réalisation de projets de développement. EUCAP SAHEL Niger devrait ainsi permettre à la fois de combler les « chaînons manquants » de l’approche stratégique de l’Union européenne à l’égard de la région et compléter utilement d’autres actions financées par les fonds de l’Union européenne pour le développement et l’aide humanitaire.

Cette mission dispose d’une expertise militaire, ce qui pourrait inciter à la comparer à une opération « civilo-militaire ». Elle a néanmoins bien le statut d’opération civile. L’expertise militaire a pour but d’assurer la liaison avec les forces armées nigériennes. L’élément concerné, qui devrait faire partie des effectifs de la mission, sera intégré au niveau militaire central, principalement en vue de mener des activités de coordination plus étendues.

Le Sud-Soudan a vu sa reconnaissance entérinée par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU le 8 juillet 2011, qui créait en même temps la Mission d’assistance des Nations-Unies en République du Sud-Soudan (MANURSS) dotée au maximum de 7 000 militaires et 900 policiers, ayant pour mandat de « consolider la paix et la sécurité ».

Côté européen, les 27 ont adopté dès le 20 juin 2011 une approche générale sur l’indépendance du nouvel État, envisageant le déploiement d’une mission PSDC pour renforcer la sécurité autour de l’aéroport, et dans un second temps une mission étendue à la gestion des frontières du Sud Soudan.

Le concept de « gestion de crise » de la mission a été approuvé en janvier 2012 et, après quelques contretemps, la décision de lancement de la mission a pu être prise fin juin 2012, pour un démarrage progressif durant le second semestre 2012 et une capacité opérationnelle fin 2012.

À cette date, cette mission civile comptait une quarantaine d’experts européens et une vingtaine d’experts locaux. Une partie des personnels sont en effet détachés par les États membres, l’autre partie étant recrutée par contrat direct conclu par l’Union européenne.

Le quartier général de la mission est situé à Juba. Il s’agit d’éviter que cet aéroport – qui ambitionne d’être un aéroport de niveau international – ne devienne une porte d’entrée pour d’éventuels terroristes ou trafics. Pour cela, il convient de former les personnels et de les guider dans leur tâche, étant précisé que la mission n’aura pas de mandat exécutif (ce seront toujours les Sud-Soudanais qui seront en charge de la sécurité, les Européens n’intervenant à leurs côtés qu’en soutien). Enfin, des experts européens seront placés auprès de l’autorité aéroportuaire et du ministère sud-soudanais des transports, afin d’aider à mettre en place et codifier les différentes règles de sûreté (mission de conseil et d’assistance).

La mission, dotée d’un budget de 12,5 millions d’euros, est prévue pour une période initiale de 19 mois, incluant la phase préparatoire et de développement de sept mois au maximum.

Cette récente opération est une mission civile menée dans le cadre de la PSDC et dotée d’une expertise militaire. Elle a fait l’objet d’une décision du Conseil de l’Union européenne le 16 juin 2012 et son lancement a été approuvé mi-juillet 2012. Selon les considérants de la décision du Conseil « la mission sera menée dans le contexte d’une situation susceptible de se détériorer et d’empêcher la réalisation des objectifs de l’action extérieure de l’Union ». Un projet de décision du Conseil du 12 juillet 2012 a estimé qu’il conviendrait d’ouvrir des négociations entre l’Union européenne et les pays de la région de la Corne de l’Afrique, le cas échéant, sur le statut d’EUCAP NESTOR.

EUCAP NESTOR est tout à fait complémentaire des opérations de force navale EUNAVFOR ATALANTA et de formation militaire EUTM SOMALIA (cf. ci-dessus opérations militaires en cours).

Son objectif est de renforcer les capacités maritimes des États de la Corne de l’Afrique et de l’Océan indien occidental, essentiellement Djibouti, le Kenya, les Seychelles, la Somalie et la Tanzanie. Il s’inscrit dans le cadre de l’approche globale de l’Union européenne en matière de lutte contre l’instabilité dans la région et en particulier contre la piraterie, en tant que forme particulière de criminalité organisée.

EUCAP NESTOR dispose d’une chaîne de commandement unifiée pour les opérations de crise, avec un état-major de mission à Djibouti.

Afin de s’acquitter de cette mission, l’Union européenne a formé des partenariats stratégiques avec l’organisation maritime internationale (OMI), l’Office des Nations-unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et le Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD). La complémentarité avec d’autres projets financés par l’Union européenne concernant la sécurité maritime sera également cruciale.

Le Directeur de la Capacité civile de planification et de conduite (la CPCC) est le Commandant d’opération civile de l’EUCAP NESTOR. Le Chef de la mission, qui assume la responsabilité d’EUCAP NESTOR et en exerce le commandement et le contrôle sur le théâtre des opérations, relève directement du Commandant d’opération civile.

Fin juillet 2012, l’Amiral français Jacques Launey, nommé Chef de la nouvelle mission EUCAP NESTOR, a annoncé que le déploiement des 175 experts internationaux de la mission se ferait de façon progressive. L’objectif de la mission est d’atteindre une pleine capacité opérationnelle début 2013. L’Amiral LAUNAY a précisé que rien ne sera fait sans les Somaliens eux-mêmes.

Fin octobre 2012, la Somalie a été officiellement incorporée dans le programme EUCAP NESTOR.

III. LA PROBLÉMATIQUE DES MOYENS ET DU FINANCEMENT

Selon les indications recueillies par vos rapporteurs, les missions PSDC, pour beaucoup d’entre elles, manquent à la fois de ressources humaines et techniques. C’est le cas en particulier de la dizaine d’opérations civiles toujours activées début 2013 lesquelles, sauf dans deux cas, ont une composante militaire qui peut relever de l’Union européenne comme en Bosnie, ou non, comme en Afghanistan ou au Kosovo où elle relève de l’OTAN, ou encore au Congo ou au Sud-Soudan, où elle relève des Nations-Unies. Le maintien de cette synergie « civilo-militaire » est très important (ne serait-ce que parce qu’il faut bien sécuriser la mission civile) même si c’est bien la Capacité civile de planification et de conduite (CPCC) qui dirige ces missions civiles PSDC.

Cette dizaine de missions civiles activées (de tailles variables et parfois très réduites) représente un total d’environ 3 500 personnels, dont 50 % sont certes financés sur le budget communautaire (un quart de contractuels internationaux, un quart de contractuels locaux) mais 50 % sont en fait mis à disposition par les États membres. Cela entraîne un coût financier et n’est pas sans poser problème, les personnels ainsi mis à disposition n’étant pas remplacés. Ce problème est en grande partie à l’origine du retrait par la France des personnels de gendarmerie qu’elle avait l’habitude d’envoyer dans ce type de missions, où leur polyvalence et la plus-value qu’ils pouvaient apporter étaient particulièrement appréciées. Ces missions s’inscrivent en effet quasi-systématiquement dans le cadre d’une « approche globale » à laquelle leur profil et leur formation s’avéraient tout à fait adaptés.

La diminution significative de la contribution de la France à des missions PSDC activées depuis un certain temps semble regrettable à vos rapporteurs, car elle est de nature à entamer la crédibilité de notre pays vis-à-vis de ses partenaires européens. L’exemple d’EULEX KOSOVO l’a parfaitement illustré : le retrait de la gendarmerie française en mars 2011 a généré presqu’immédiatement un retrait de forces comparables envoyées par nos voisins européens. Le raisonnement sous-jacent était le suivant : puisque la France, qui reconnaît le Kosovo, a retiré des éléments, pourquoi pas nous ? La Roumanie, l’Italie se sont empressées de suivre notre exemple… Cette diminution de l’influence française au Kosovo risque de s’accroître avec la récente perte par la France du commandement d’EULEX, cette relève de commandement faisant partie d’un processus habituel.

Si l’implication de la France semble réelle sur des missions récentes (8 Français sur 22 personnels envoyés pour le début de l’opération EUCAP SAHEL Niger) elle devient insignifiante sur certaines missions plus anciennes, comme la Géorgie, avec 2 Français seulement sur un effectif de 320 personnels, ou au Congo où ils ne sont que 10.

Vos Rapporteurs estiment que, à l’heure où elle prône la relance de l’Europe de la défense, la France ne peut plus se permettre ce saupoudrage, si elle veut rester crédible.

Il faut espérer que l’année 2013, au cours de laquelle doit en principe intervenir la révision du Service européen d’action extérieure, avec un bilan des points faibles ou forts de son fonctionnement, fournira une occasion d’optimiser les instruments de gestion des crises trop nombreux, peu lisibles, comme l’ont déjà souligné vos Rapporteurs. Il est important de clarifier qui décide quoi. Il est préoccupant de constater que des postes pourtant budgétés pour les opérations PSDC ne sont même plus pourvus. La CPCC elle-même, rattachée au SEAE et dont le rôle est fondamental, puisqu’elle planifie et conduit toutes les missions civiles, est peut-être sous-dimensionnée avec son effectif d’à peine 70 personnes.

À la différence des opérations militaires, les opérations civiles de la PSDC sont en principe financées dans leur intégralité par le budget PESC, ligne du budget communautaire gérée par la Commission, votée par le Parlement et dont l’utilisation est décidée par le Conseil. Vos Rapporteurs souligneront ici que ce principe n’est semble-t-il pas respecté, puisque, en fait, comme évoqué ci-dessus, 50 % seulement des personnels de ces missions civiles sont financés sur le budget communautaire, ce qui semble en grande partie à l’origine du désengagement des États observé sur nombre de ces missions.

Par ailleurs, l’instrument de stabilité, créé en 2007 et bénéficiant d’une enveloppe d’environ 2 milliards d’euros pour la période 2007-2013, est un outil de la Commission en faveur de la sécurité dans les pays partenaires en situation de crise, auquel il serait peut-être bienvenu de pouvoir faire davantage appel. La même remarque vaut pour le Fonds européen de développement qui contribue, quant à lui, au financement de l’aide au développement sur le long terme pour les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Il peut également être mis à contribution pour apporter un soutien financier aux opérations de soutien à la paix conduites par les acteurs africains (Union africaine).

Bien entendu, les problèmes de moyens des missions civiles de la PSDC se posent avec encore plus d’acuité pour les missions militaires. En effet, alors que les dépenses opérationnelles liées à la politique extérieure et de sécurité commune (PESC) - dont la PSDC est, rappelons-le, partie intégrante – sont en principe à la charge du budget de l’Union européenne, par exception, les dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense sont à la charge des États membres, selon le principe de l’imputation des coûts à leurs auteurs (costs lie where they fall) ; une exception est cependant prévue pour les activités préparatoires (article 41 paragraphe 3 du TUE. C’est pourquoi vos Rapporteurs prônent un recours à ce concept, dont l’acception peut-être très large… cf. l’analyse du financement de la CSP.

Le mécanisme de financement Athéna n’atténue que très légèrement le principe selon lequel les opérations militaires et de défense sont à la charge des États membres qui les mènent.

En effet, dirigé par un Comité spécial représentant les États membres, le mécanisme Athéna a été créé en 2004 afin d’assurer la couverture des coûts communs aux États membres pour les opérations militaires de la PSDC. Toutefois ces dépenses, divisées entre les États selon une clé de répartition en fonction de leurs PIB respectifs, ne couvrent qu’une partie du coût total d’une opération militaire (environ 10 %), le reste demeurant à la charge exclusive des États participant à celle-ci.

Les révisions périodiques du mécanisme Athéna (la dernière ayant eu lieu fin 2011) permettent aux États de redéfinir régulièrement les coûts qui seront pris en charge par celui-ci. Par conséquent, le budget peut varier sensiblement (156 millions d’euros en 2008, 29 millions d’euros en 2012) en fonction des décisions des États ainsi que du nombre, de la localisation et de l’intensité des opérations militaires. Depuis 2004, le mécanisme Athéna a été utilisé pour des opérations militaires de l’Union européenne telles que EUFOR Althéa, EUFOR RDC, EUFOR Tchad/RCA, EUNAVFOR Atalante et EUTM Somalia.

La très faible possibilité de faire financer ces missions PSDC par le mécanisme Athena amène vos Rapporteurs à insister sur l’intérêt de souligner l’approche globale dans laquelle s’inscrivent désormais toutes ces missions, y compris les missions militaires. La différence entre missions militaires et missions civiles n’est sur le fond pas évidente, les missions militaires incluant désormais une composante que l’on pourrait qualifier sous le terme générique de « formation à l’État de droit » de plus en plus forte, et certaines missions civiles étant, par nécessité de les protéger, dotées d’une plus ou moins forte expertise militaire… EUCAP NESTOR en est un tout récent exemple. La différence entre les deux types de missions se situe en réalité davantage au niveau du commandement : militaire pour les opérations classées militaires, alors que c’est la CPCC (Capacité civile de planification et de conduite) qui dirige les opérations dites civiles. La CPCC n’en intègre pas moins et de façon tout à fait justifiée des officiers dans sa structure. La multiplication des organismes compétents, regrettée plus haut par vos Rapporteurs, entrave peut-être aussi la lisibilité de l’approche globale dans laquelle s’inscrivent également les missions militaires, et par là-même risque d’être un frein supplémentaire aux possibilités de financement sur fonds communautaires.

Il serait souhaitable, de l’avis de vos Rapporteurs, que la composante « civile » des missions militaires y compris pour la mission EUTM Mali soit davantage mise en exergue et reconnue au niveau de l’Union européenne, et qu’à ce titre ces missions se voient offrir des possibilités de financement sur fonds communautaires beaucoup moins limitées que jusqu’à présent.

TROISIÈME PARTIE : DES COOPÉRATIONS CAPACITAIRES, INDUSTRIELLES ET TECHNOLOGIQUES À SOUTENIR

I. DES COOPÉRATIONS CAPACITAIRES À ENCOURAGER

Par nature, les activités aérospatiales ont su très tôt réunir les Européens autour de grands projets, qu’ils soient civils ou militaires. Ces projets ont illustré la communauté de vue et la volonté de partager les connaissances, la technique ainsi que les savoir-faire. Les premiers pas de l’Europe politique ont ainsi été accompagnés par des réalisations emblématiques comme le Concorde et le Jaguar franco-britanniques, l’avion de transport Transall ou l’Alphajet, fruits d’efforts franco-allemands, sans oublier la formidable aventure d’Ariane-Espace. Dans le domaine du contrôle aérien, Eurocontrol et, plus récemment, le projet de « ciel unique européen », ont montré aussi que la dynamique européenne se propage dans tous les secteurs de l’aéronautique.

L’observation des différentes coopérations de défense européennes révèle que, bien souvent, elles n’ont rassemblé qu’un nombre très limité de membres (accords bilatéraux ou trilatéraux) au gré des fluctuations des relations entre États au sein de l’Union. De ce fait, la démarche adoptée dans la construction de l’Europe de la défense procède-t-elle fréquemment de la capitalisation par le bas, sur un terreau d’initiatives limitées.

Par ailleurs, l’interdépendance capacitaire et industrielle des pays européens se profile comme une réalité incontournable, annoncée par les initiatives « pooling and sharing » de l’Union européenne et « smart defense » de l’OTAN. De l’avis de vos Rapporteurs, ils convient donc de poursuivre les efforts de mutualisation déjà engagés et d’en développer de nouveaux. Ces coopérations fonctionneront si elles sont motivées par une volonté partagée de construire un outil cohérent permettant une action militaire commune, tout en préservant la souveraineté des nations.

L’armée de l’air n’a eu de cesse d’œuvrer activement à la construction de l’Europe de la défense. Son implication dans la PSDC de l’Union européenne s’articule autour de plusieurs axes dont les capacités et la formation.

Né d’une initiative franco-allemande de 1999, l’EATC a été inauguré le 1er septembre 2010 sur la base néerlandaise d’Eindhoven. Il réunit aujourd’hui les quatre pays européens les plus engagés dans la mutualisation de leurs moyens de transport aérien militaire : Allemagne, France, Belgique et Pays-Bas ; le Luxembourg est nouveau membre depuis janvier 2013 (il fournit pour le moment une contribution essentiellement financière) et l’Espagne va devenir membre à une date encore à définir.

L’EATC a atteint sa capacité opérationnelle en mai 2011 et a d’ores et déjà été mis à contribution au profit des opérations (Afghanistan, Côte d’Ivoire et surtout Libye).

À l’origine de la création de l’EATC, un constat : lors de précédentes missions PSDC, notamment lors de l’opération Artémis au Congo en 2003, ont été exprimés des besoins de création d’un « pool » de transport aérien, lesquels se sont heurtés tout de suite à la problématique du manque d’interopérabilité. Alors que dans l’aviation civile, tout était déjà organisé et que l’interopérabilité entre compagnies aériennes fonctionnait très bien, cette dernière s’avérait impossible à mettre en place dans l’aviation militaire, du fait des problèmes de souveraineté, de différence des cultures militaires, de la spécificité du transport militaire (notamment le transport de matières dangereuses). Alors qu’en France le vol tactique par exemple était déjà bien développé, l’Allemagne ne savait pas faire et était spécialisée dans le transport de base. Du fait de ces différences, il y avait très peu d’interopérabilité possible : elle a été alors imaginée et c’est de cette idée qu’est né l’EATC.

La mission de l’EATC est d’harmoniser la préparation, la mise en œuvre et l’emploi des capacités de transport aérien militaire (tactique et stratégique) des États membres. L’EATC peut ainsi réaliser des plans de transport nationaux, établir des procédures communes applicables pour les opérations, les exercices, la formation et le soutien technique.

Même si des progrès restent à espérer, l’EATC est à l’heure actuelle un modèle du « Pooling and Sharing ». Tous les jours, une cellule de l’EATC mutualise les vols et les rentabilise au maximum (soutes mieux remplies, etc.) ; grâce aux synergies ainsi mises en place, ce sont quelque 11% d’heures de vols militaires qui parviennent actuellement à être économisées.

Vos Rapporteurs estiment que dans des contextes de restriction des budgets militaires, de telles initiatives de mutualisation sont bien entendu éminemment « rentables ». La mutualisation doit cependant, pour rester attractive, être conçue avec une certaine souplesse. Tel est bien, précisément, ce qui caractérise l’EATC.

Ainsi, l’EATC a l’autorité opérationnelle sur des moyens de transport qui lui sont accordés par les États mais qui peuvent changer au gré de la volonté de ces derniers : tous les jours, des numéros d’avions lui sont attribués ; bien entendu des prévisions existent et elles constituent même un des principes de gestion ; cependant les États restent libres de désengager les moyens affectés. En pratique, les autorités étatiques formulent des demandes de transports : l’EATC y répond en fournissant les moyens dont elle peut disposer, moyens dont elle assure la conduite et le contrôle. Il est assez fréquent que, par manque de moyens disponibles au moment où une demande est formulée, l’EATC doive refuser des avions à un État demandeur. C’est la contrepartie de la souplesse de l’engagement des États.

Des avancées ne sont-elles pas envisageables pour pousser plus avant encore cette coopération réussie dans le domaine du transport aérien ?

La réponse est bien entendu affirmative et vos Rapporteurs formuleront ci-après quelques observations en ce sens.

L’EATC fonctionne actuellement sur la base d’un simple arrangement technique : on pourrait imaginer un véritable engagement intergouvernemental, fournissant un vrai cadre de fonctionnement à l’EATC. Les États pourraient alors s’engager à transférer à l’EATC de façon plus permanente la gestion d’une part raisonnable de leurs moyens de transports militaires (à titre d’exemple, la France transfère environ 50 % de sa flotte à l’EATC) afin d’éviter que l’EATC ne découvre par un document annuel la part de moyens que les États sont prêts à lui confier.

Cependant, encore une fois, il convient de garder au dispositif la souplesse qui le rend attractif et se garder de tout engagement qui le rendrait trop contraignant. La France a par exemple, pour l’opération Serval, pu retirer du jour au lendemain tous ses avions de l’EATC : il semble évident que de telles possibilités devront toujours être laissées aux États, en cas de nécessité de gestion de crise.

Le nouveau cadre de fonctionnement qui serait donné à l’EATC pourrait promouvoir d’autres formes de synergies, dont certaines sont d’ailleurs déjà à l’étude.

Ainsi, tout un pilier d’état-major à Eindhoven travaille, dans un but d’efficacité supplémentaire, à l’élaboration d’un référentiel unique portant sur des points tel que le temps de vol des pilotes, (les normes de l’OTAN s’avérant à cet égard insuffisantes). D’autres normes restent à améliorer dans le domaine de la navigabilité (certification des avions par exemple). Au départ, l’EATC envisageait même de fusionner les plans de transport : il reste loin de cet objectif qui impacte la souveraineté des États. Une volonté politique affirmée en ce sens permettrait néanmoins de faire avancer la question.

L’EATC devrait peut-être s’ouvrir aux pays participant au MCCE - Multimodal Control Center Europe – basé lui aussi à Eindhoven, qui regroupe quatorze membres et fonctionne comme une sorte de « base d’échanges » d’heures de vol. Ce rôle de « facilitateur » s’exerce sur la base d’un arrangement technique, le mécanisme ATARÈS, servant à répartir ces heures de vol de telle sorte qu’au final chaque État devrait avoir donné autant qu’il a reçu, quitte à rembourser financièrement des heures de vol qu’il n’a pu assurer (principe qui n’est semble-t-il pas toujours respecté). Une intégration à l’EATC mériterait d’autant plus d’être favorisée que l’EATC a d’ores et déjà phagocyté 80 % du travail effectué au titre d’ATARÈS… Cependant, une différence de fonctionnement des deux dispositifs y fait encore obstacle : à l’EATC, les États fournissent d’abord des moyens et c’est l’EATC qui décide ensuite de leur emploi, ce qui lui fait dépasser le rôle de simple facilitateur dévolu au MCCE. Enfin, l’EATC doit composer également avec l’existence de beaucoup d’accords bilatéraux : là encore des synergies restent à développer.

Il ne sera en tout cas pas possible de propulser indéfiniment deux entités antagonistes. L’EATC est un commandement militaire : pour attirer certains États, tels la Grande-Bretagne qui n’accepte pas de transférer son autorité sur ses avions, des formules plus souples pourraient être imaginées, comme la définition d’un statut de « nation associée ». Des formules de partenariat pourraient être aussi proposées, notamment avec les États nordiques qui ont déjà développé entre eux une coopération poussée.

L’EATC a, en peu de temps compte tenu de sa date de création, largement prouvé son efficacité en ce qui concerne les besoins courants de transport. Pour les besoins occasionnés par les opérations militaires, certains obstacles nuisent encore à son efficacité. Ainsi, l’EATC fonctionne selon le même principe que celui de la bourse d’échanges ATARÈS : un État ne doit pas utiliser plus que ce qu’il donne. Or, ce principe semble peu compatible avec les besoins des opérations militaires, du moins celles menées dans un esprit de solidarité européenne ; à titre d’exemple, pour l’opération Harmattan en Libye, la France a pu économiser 15% de ses heures de vol grâce à l’EATC, ce qui l’arrangeait ; elle a néanmoins dû rembourser l’EATC… Cette question mise à part, l’opération Harmattan a été un test réussi des possibilités de fonctionnement de cet organisme.

Si l’EATC a su trouver sa place dans l’opération Harmattan, c’est surtout parce que celle-ci était couverte d’un « chapeau » OTAN et ONU et qu’elle avait malgré tout une « connotation Union européenne ». Pour l’opération Serval au Mali, il n’y avait pas de forte connotation européenne dans les opinions publiques. L’EATC n’y a pas trouvé de force de manœuvre. Il pourrait peut-être s’y insérer si les opérations perduraient au Mali, mais le départ a été quelque peu manqué.

Le retour de l’expérience malienne devrait toutefois inciter les États à explorer certaines pistes. La question de la mise à disposition de l’EATC de moyens dans lesquels cet organisme pourrait puiser, en cas de crise nécessitant une intervention militaire très rapide, reste bien entendu ouverte. Sans aller jusque-là, des avancées plus simples peuvent être imaginées : à titre d’exemple, la France a rémunéré des compagnies privées d’États acceptant la mise à disposition d’avions de transport militaire, la Russie par exemple. Or, les États volontaires pourraient très bien imaginer de verser à l’EATC des contributions financières qu’il utiliserait ensuite à cette fin. Ce pourrait être une forme d’affirmation de la solidarité européenne, dans le cadre de conflits dans lesquels certains États préfèrent ou ne peuvent s’engager trop directement.

De même, pourraient être imaginées pour ces États d’autres formes d’engagements souples : ainsi, dans le cadre d’une opération où la France engagerait ses capacités, d’autres pays pourraient « compenser » par la mise à disposition d’avions lui permettant de continuer à former ou entraîner ses pilotes.

L’absence de « chapeau » européen de l’EATC peut être regrettée à d’autres égards. Son budget actuel – 3 millions d’euros par an – reste limité à un petit budget de fonctionnement. Il serait souhaitable que ses financements puissent passer par l’Union européenne. Une capacité d’» acquisition en commun », que l’EATC n’a pas jusqu’à présent, pourrait alors être plus facilement envisagée.

L’EATC est un exemple réussi de coopération aérienne. Il lui manque sans doute ce chapeau de l’Union européenne et la participation de deux ou trois États supplémentaires. Cette évolution ne pourra s’effectuer sans lui conserver sa flexibilité caractéristique. Cette souplesse de l’engagement des États devrait, selon vos Rapporteurs, prévaloir dans toute coopération, toute initiative de « mutualisation et partage ». C’est à ce prix notamment que pourrait émerger une Coopération structurée permanente – dont l’EATC pourrait d’ailleurs être une forme – et que se consolidera peu à peu une « Europe de la défense ».

Fruit d'une initiative multilatérale, le GAE a pour objectif de développer et d'améliorer l'interopérabilité tactique entre les armées de l'air des nations participantes. Il se veut également force de propositions dans le domaine des concepts. Son commandement est « tournant » et le directeur actuel du GAE est le chef d’état-major de l’armée de l’air française jusqu'en décembre 2013.

Ses réalisations concernent :

- l'harmonisation de procédures à dominante air au niveau européen ;

- l'élaboration d'arrangements techniques multilatéraux (entraînement défense aérienne, vol basse altitude, ravitaillement en vol,...) ;

- la direction d'exercices à haute plus-value, notamment dans le domaine de la recherche et du sauvetage de personnels au combat.

De plus, il mène actuellement des études sur l'intégration de drones dans l'espace aérien européen et le retour d'expérience (RETEX) sur l'intégration Air-Sol en Afghanistan.

Le GAE est à l'origine de l'initiative EATC.

La Flotte européenne de transport aérien est un projet de longue haleine qui regroupe seize États membres et qui vise à fédérer, in fine, l'ensemble des projets de coopération entre flottes de transport aérien européennes, afin d'en optimiser la cohérence et l'efficacité.

L'ambition est de créer un réseau d'organismes nationaux et multinationaux de flottes d'avions de transport fondé sur des coopérations à la carte dans tout le spectre du transport aérien militaire, à l'image des alliances développées pour le transport aérien civil (« Skyteam militaire »).

Dans le cadre des synergies dégagées par l'EATF, différentes pistes innovantes permettent d'escompter de substantielles économies par :

- amélioration de la disponibilité par mutualisation et standardisation du soutien,

- facilitation et rentabilisation de la planification des vols grâce à une bourse d’échange de services,

- soutien de la création d’une unité multinationale d’A400M.

Ce groupe de l’AED est l’un des plus dynamiques et a d’ores et d’jà quelques avancées à son actif, par exemple dans la formation des pilotes de transport : un groupe de travail présidé par la France a ainsi édité un projet définissant les caractéristiques attendues d’un avion.

L’EATC participe en propre à ce projet et a vocation à en devenir un des moteurs. Les deux projets sont complémentaires : l’EATC, très intégré, suppose un haut niveau d’engagement ; l’EATF est plus large en termes de contributeurs et de périmètre, mais aussi plus lâche de par le niveau d’engagement exigé puisqu’il permet la participation à la carte à des sous-projets.

• L’EUAFA – European Air Force Academies – est une association rassemblant la communauté des écoles de l’air européennes de vingt-et-un pays. C’est un creuset aux potentialités étendues en matière de réflexion sur les formations.

• L’AJETS est une initiative emblématique dans le domaine de la formation. Au regard des contraintes qui pèsent sur les budgets de défense des deux pays partenaires du projet (France et Belgique), cette mutualisation de la formation des pilotes de chasse a permis de dégager des économies substantielles. Ce projet devrait perdurer au moins jusqu'en 2015.

• Le réseau d’échange d’officiers (OE) avec nos principaux partenaires européens permet de développer une meilleure connaissance mutuelle de nos armées de l'air, d'améliorer leur interopérabilité et d'offrir des perspectives de coopérations et de mutualisation. Une quinzaine d'officiers de l'armée de l'air sont actuellement en poste à l'étranger à ce titre pour une durée de deux à trois ans.

• L’» Erasmus militaire » : les jeunes officiers de l’armée de l’air peuvent en bénéficier au même titre que ceux de l’armée de terre et de la marine. C’est un domaine qui offre des perspectives très prometteuses et fait déjà l'objet de réalisations concrètes.

Cette initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers inspirée d'Erasmus a été lancée par la présidence française de l’Union européenne en novembre 2008 et approuvée par l'ensemble des vingt-sept. Son objectif est de développer et de diffuser, parmi les futurs cadres des armées européennes, une conscience européenne accrue et une culture commune de la PSDC, dans le but d'améliorer, à terme, l'interopérabilité des forces mises à disposition de l’Union européenne en opérations. Dans le cadre du Conseil, les ministres de la défense ont formulé de nombreuses recommandations initiales pour sa mise en œuvre, tant au niveau européen que national.

Le groupe de travail chargé d'assurer la mise en œuvre de l'initiative se réunit sous l'égide du Collège Européen de Sécurité et de Défense (CESD). Deux séminaires organisés par les présidences française et tchèque en 2008 et 2009 ont permis le lancement rapide des travaux et la mobilisation de l'ensemble des acteurs au sein des États membres (ministères de la défense, commandements de la formation et académies militaires des différentes armées). Les travaux de mise en œuvre ont donné lieu à des réalisations concrètes, par exemple :

- la création en septembre 2009 d'un module commun sur la PSDC, utilisable par les académies militaires et mis en application dans le cadre d'un stage pilote au Portugal ;

- la constitution d'une base de données du CESD accessible en ligne et recensant les différentes formations dispensées par les académies militaires ; la création sous pilotage bulgare d'un site internet dédié aux échanges d'information entre les représentants des États membres, leurs jeunes officiers et entre les académies militaires ;

- l’élaboration de modules communs de formations académiques, militaires ou professionnelles ;

- l’organisation fin 2010 d’un séminaire ERASMUS militaire d'une semaine au profit des élèves des académies militaires européennes.

Répondant aux exigences d'un espace aérien uniforme et aux enjeux d'un ciel européen unique, les centres de commandement et de contrôle « air » convergent naturellement vers des fonctions identiques, propres à fédérer les intérêts des nations.

Les processus de planification et de conduite suivis par les aviateurs qui arment ces structures sont déjà standardisés par les exigences de la circulation aérienne et de l'OTAN. Cela rend d’autant plus aisé le montage d’une structure européenne à moindre coût.

Les performances actuelles et à venir de détection lointaine et d’échange instantané d'informations permettent d'envisager un maillage optimisé et un domaine d'action particulièrement étendu. Dans le cadre du programme AGS (Alliance Ground Surveillance) de l'OTAN, la base aérienne de Sigonella en Sicile fusionnera entre autres les images prises par les drones des nations participantes, en vol au-dessus des zones de crise. Ce projet séduisant doit être un encouragement : les capacités d'anticipation, relevant en première approche de la souveraineté nationale, peuvent aussi être partagées au sein de l'Union Européenne, sans que les pays ne perdent pour autant en autonomie.

Selon les indications recueillies par vos Rapporteurs, en prenant appui sur l'existant, les possibilités de mutualisation à court terme sont réelles. La France a déjà passé des accords de défense aérienne avec ses voisins transfrontaliers. Le Centre National des Opérations Aériennes (CNOA) de la base de Lyon Mont Verdun pourrait permettre de poser une première « brique » vers cette voie, en s'attachant dans un premier temps à coordonner les missions de sécurité.

Cette approche offre donc de belles perspectives de construction d'une véritable capacité commune de commandement et de contrôle européenne, outil militaire d'anticipation et de conduite d'une opération en coalition, ce qui serait fédérateur d'un nouvel élan de politique de sécurité et de défense commune.

À partir d’initiatives bilatérales ou multilatérales, il pourrait être envisagé de consolider le socle de la PSDC par le biais de la création de structures capacitaires et opérationnelles « englobantes ».

Ainsi, à l’image des escadres de l'armée de l'air, cette nouvelle phase de développement du volet militaire de la PSDC viserait à mettre en place des escadres européennes permettant de fédérer des unités aériennes ayant le même type de missions ou d'équipement.

Ces unités doivent en effet faire face à des problématiques communes. Leur rapprochement sous un commandement commun faciliterait la standardisation (concepts, doctrine, emploi, etc.) et permettrait la mutualisation de certaines fonctions (formation, entraînement, maintenance).

Ces escadres pourraient s'appuyer sur des unités réparties sur l'ensemble du territoire européen et articulées autour de plusieurs piliers : drones, MRTT, A400M, formation…

Les coopérations aériennes pourraient donc encore offrir, si l’Union européenne voulait les y encourager, de nombreuses perspectives d’avenir.

Dans le domaine maritime comme dans le domaine aérien, acquérir une capacité et un savoir-faire communs requiert plusieurs décennies alors que les perdre prend quelques années à peine : le développement de projets communs et mutuellement profitables doit donc être sous-tendu, rappelleront d’emblée vos Rapporteurs, par une volonté politique forte et partagée dans la durée.

Les projets multinationaux et européens de coopération maritime sont relativement nombreux, tant dans le domaine capacitaire qu’opérationnel. Plusieurs coopérations sont déjà en cours et ont débouché sur des résultats concrets. Il n’est pas possible pour autant de considérer qu’il y aurait construction d’une « Europe navale » en tant que telle. Ce sont, là encore, des États membres avec leurs marines qui coopèrent ensemble, au cas par cas, et cette coopération est en elle-même très encourageante. Créer une « marine européenne » ne serait actuellement pas envisageable, les États ne souhaitant pas, dans ce secteur comme dans les autres, déléguer leurs forces de façon permanente à une structure supra-étatique. Néanmoins, lorsqu’il y a volonté politique, les marines européennes peuvent très bien travailler ensemble, comme le prouvent les exemples ci-après.

La Force maritime européenne, dite EUROMARFOR, a été créée en 1995 par la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Cette création est directement liée à la volonté exprimée par l’Union de l’Europe occidentale (UEO), lors de la réunion ministérielle de Petersberg en 1992, de pouvoir faire appel à des unités militaires, dans un ensemble varié de situations, et de donner ainsi un premier contenu concret à l’identité européenne de sécurité et de défense.

Agissant indépendamment ou de manière combinée avec d’autres forces, l’EUROMARFOR peut être employée pour : des missions humanitaires et d’évacuation de ressortissants ; des missions de maintien de la paix ; des missions de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.

L’EUROMARFOR est une force non permanente. Sa composition repose sur des moyens existants dans les marines participantes. Elle est pré-structurée et susceptible de réunir sous faible préavis un porte-avions, un groupe amphibie, un groupe de guerre des mines, des bâtiments d’escorte et de soutien, des sous-marins, et une composante d’aviation de patrouille maritime. Sa taille peut être adaptée à la mission confiée.

Compte tenu des préoccupations communes aux quatre pays fondateurs, la vocation méditerranéenne de l’EUROMARFOR est naturelle mais son champ d’intervention ne se limite pas à la Méditerranée.

L’EUROMARFOR est activée au moins une fois par an, pour prendre part à un entraînement multinational. Usant de procédures communes, cette longue expérience de coopération constitue le gage de l’efficacité de la force, qui tire un grand bénéfice de la pratique d’entraînements conjoints.

En septembre 2011, c’est un Français, le Vice-Amiral d’escadre Xavier Magne qui a pris le commandement de l’EUROMARFOR, remplaçant dans cette fonction un Vice-Amiral portugais. Le commandement opérationnel est prévu pour une période de deux ans, selon un principe de rotation entre les autorités navales nationales des quatre États membres permanents. Seule force militaire européenne dans le domaine maritime, elle est dotée d’un état-major européen et autonome.

Cette force maritime reste ouverte aux autres nations de l’Union européenne. Dédiée en priorité à cette dernière (elle fait partie du catalogue des forces de l’Union, avec une capacité de déploiement allant d’une force opérationnelle à un état-major de composante maritime) elle peut être déployée dans un cadre OTAN, ou sous mandat d’autres organisations internationales telles que l’ONU.

Depuis 2002 l’EUROMARFOR a connu quatre déploiements opérationnels dans des opérations de lutte contre le terrorisme et la piraterie en mer, les trois premiers en collaboration avec l’OTAN, et le quatrième, dans lequel elle est toujours engagée, dans le cadre d’une mission PSDC européenne.

Les trois premières missions étaient les suivantes : l’Opération Coherent Behaviour en mer Méditerranée fin 2002 ; l’opération Resolute Behaviour dans l’Océan Indien entre janvier 2003 et décembre 2005 et l’opération Impartial Behaviour, commandement de la Maritime Task Force de la FINUL au Liban, de mars 2008 à février 2009.

La mission PSDC dans laquelle est actuellement engagée, depuis janvier 2012, est l’opération ATALANTA dans la Corne de l’Afrique (cf. plus haut, chapitre consacré aux missions militaires). Sa participation à cette mission emblématique d’une coopération européenne réussie renforce la crédibilité d’EUROMARFOR qui – au même titre que les autres corps militaires européens – avait fait l’objet de critiques dans un rapport de la Cour des comptes de février 2011. La Cour y relevait notamment que l’EUROMARFOR n’avait été engagée que dans des opérations OTAN ou ONU, et jamais sous pavillon européen : c’est désormais chose faite.

Il faut souligner néanmoins que c’est en grande partie grâce à la force normalisatrice de l’OTAN que les marines européennes sont largement interopérables (matériels, doctrines et procédures, organisation des forces, entraînement) et que grâce à cette interopérabilité, ATALANTA est l’opération maritime européenne qui a duré depuis le plus longtemps, sans être terminée. Encore une fois, « l’Europe de la défense » ne se construit pas contre l’OTAN, mais en complémentarité avec elle.

Les résultats de l’opération ATALANTA et les progrès réalisés dans le domaine de la surveillance maritime des rivages européens (grâce à FRONTEX et EUROSUR notamment) prouvent, estiment vos Rapporteurs, la capacité de l’Union européenne à agir de manière concrète quand des intérêts communs existent. La mutualisation est d’une autre nature car elle implique un haut degré d’interdépendance dans la durée. Afin de préserver les souverainetés nationales, les droits et devoirs associés aux différents degrés possibles de mutualisation doivent être clairement définis. La mutualisation peut bien sûr générer des économies d’échelle, augmenter notre efficacité commune, maintenir notre interopérabilité, combler des trous capacitaires. Mais elle peut aussi entraîner une perte de capacité nationale par la perte d’une capacité mutualisée, puis abandonnée par l’Europe (cas des missiles anti radar). C’est pourquoi, quels que soient les impératifs budgétaires, elle doit toujours être envisagée avec une certaine prudence.

Les ambitions de l’Europe de la défense ont souvent été limitées par des conceptions divergentes de la place de l’Europe dans le monde. La France est en effet le seul pays d’Europe à avoir encore des territoires dans tous les océans de la planète, sauf l’Arctique.

La question des intérêts ne peut être absente du débat sur la place de l’Europe dans le monde. Si les intérêts vitaux des pays européens sont en grande partie liés, ce n’est pas toujours le cas des intérêts stratégiques (protection de nos approvisionnements en uranium, territoires ultra-marins, etc.). Dans ce domaine, il est donc nécessaire de prolonger l’impulsion politique par des discussions approfondies sur nos intérêts stratégiques.

Pour donner corps à cette vision, le projet de force commune franco-britannique CJEF (Combined Joint Expeditionnary Force) apparaît comme une démarche pertinente. Le rapprochement opérationnel reste une étape essentielle pour favoriser une meilleure intégration capacitaire. Il s’agit du projet phare de la coopération entre la France et la Grande-Bretagne après les accords de Lancaster House. La pleine capacité opérationnelle de cette force d’intervention interarmées conjointe est attendue en 2016. Fin octobre 2012, l’exercice conjoint Corsican Lion mené en Méditerranée a permis une première mise en œuvre de la composante maritime de cette future force conjointe. Cet exercice s’est révélé très prometteur quant à la capacité des deux marines à travailler ensemble.

La création à l’étude d’un groupe aéronaval franco-britannique (GAN) à l’horizon 2020 – comportant un porte-avions et son groupe aérien fourni par une des deux nations, l’état-major et l’escorte étant communs – permettrait de donner un signal fort à nos partenaires européens. De plus, elle permettrait d’apporter une réponse politique positive à la question du deuxième porte-avions français dont le financement ne semble pas possible aujourd’hui. Cette volonté commune d’assurer à deux la permanence d’un groupe aéronaval est de nature à affirmer la volonté permanente de l’Europe d’agir sur la scène internationale, et à séduire d’autres pays de l’Union. En effet, ce projet peut être ouvert aux pays de l’Union européenne, dont des unités pourraient contribuer à la constitution de l’escorte.

Nombreuses sont par ailleurs les coopérations bilatérales ou trilatérales ayant déjà débouché sur des réalisations concrètes dans le domaine maritime. On n’en citera ici pour mémoire que quelques exemples :

- les frégates européennes multi-missions (FREMM) : coopération France-Italie/OCCAR ;

- les chasseurs de mines tripartites : coopération ancienne entre France, Belgique, Pays-Bas, qui a impulsé le dynamisme toujours important dans le domaine de la « guerre des mines » ;

- les torpilles MUJO : coopération France-Italie ;

- le système PAAMS (principal anti-air missile system) : coopération France-Grande-Bretagne-Italie. Il constitue l’armement principal des frégates anti-aériennes Horizon (réalisées en coopération franco-italienne) et des destroyers T45 britanniques. Cette capacité n’aurait sans doute pas existé sans coopération.

Dans le domaine des coopérations maritimes comme pour les autres coopérations, les coopérations bilatérales ou trilatérales ne doivent pas être considérées comme un frein à l’» Europe de la défense ». Bien souvent au contraire elles pourront en être le moteur. Elles n’empêchent en tous cas pas l’existence d’autres projets de coopération plus ouverts. Parmi les projets prometteurs à l’étude, vos Rapporteurs citeront notamment :

le projet-phare à base de drones sous-marins destiné à lutter contre les mines : développé sous l’égide de l’Agence européenne de défense, il devrait voir le jour en 2018. Treize pays y participent, dont la France qui devrait remplacer ses onze chasseurs de mines. Ce projet – en tout début de négociation – pourrait d’ailleurs peut-être conduire à un projet industriel commun ;

l’initiative d’interopérabilité aéronavale européenne : lancée sous présidence française, elle progresse peu à peu. C’est une initiative visant à faciliter la coordination entre Européens lors d’un déploiement aéronaval, afin que des bâtiments de différents États puissent escorter le porte-avions ;

- les initiatives de développement de la surveillance maritime européenne :

• dans le cadre de l’AED, six États dont la France vont prochainement expérimenter la connexion de leurs réseaux de surveillance maritime militaire ;

• dans le cadre des travaux de la Commission européenne, il existe aussi un certain nombre de projets visant à échanger des informations de surveillance maritime, dont BlueMassMed ;

• BlueMassMed : ce projet, piloté par la France, vise à renforcer la coopération dans le domaine de la surveillance maritime entre acteurs riverains de la Méditerranée et de ses approches atlantiques. Les administrations de six États membres (France, Italie, Espagne, Grèce, Malte et Portugal) vont améliorer leur partage d’informations.

Tous ces exemples de projets de coopération réussis ou prometteurs sont emblématiques des possibilités de coopérations maritimes européennes.

Des exemples intéressants de ces coopérations ont déjà été développés (cf. plus haut les paragraphes consacrés à l’Eurocorps et à la Brigade franco-allemande) c’est pourquoi vos Rapporteurs n’y reviendront pas ici plus longuement.

À part l’Eurocorps et les groupements tactiques (cf. ci-après pour ces derniers) les coopérations européennes de l’armée de Terre en matière de défense européenne se situent beaucoup dans des cadres bilatéraux, notamment ceux du Traité de l’Élysée conclu en 1963 avec l’Allemagne, et du Traité de Lancaster House signé en 2010 avec le Royaume-Uni.

Dans ce cadre, la coopération franco-allemande est la plus aboutie dans de nombreux domaines tels que les forces (avec la Brigade franco-allemande), les formations (il existe un cursus d’échange de formations initiales d’officiers) et les échanges communs (grâce au GFACM, Groupe franco-allemand de coopération militaire).

La création d’une force franco-britannique non permanente de réaction rapide (la Combined Joint Expeditionary Force – CJEF, évoquée dans les coopérations maritimes) vise, à terme, à doter ce corps expéditionnaire d’une « composante terre » ; ce projet est déjà bien avancée.

La coopération franco-italienne se concrétise par la création d’un état-major non permanent de brigade alpine, dont la capacité opérationnelle devrait être complète en 2014.

L’armée de terre coopère également avec les autres armées de terre européennes dans des cadres élargis, triangle de Weimar, France-Union européenne, ou encore France-OTAN.

L’ensemble de ces coopérations terrestres renforce la crédibilité de la France, car elle demeure à la fois une des rares nations « capables », c’est-à-dire aptes à un engagement autonome, et un modèle pour certains pays européens.

Depuis plus de vingt ans, l’armée de Terre française joue un rôle majeur dans les différentes initiatives visant à bâtir une Europe de la défense, en plaçant les capacités dont elle dispose dans des secteurs clés au service de l’Europe de la défense :

• la fonction commandement, renseignement, opérations, logistique : des postes de commandement projetables comme l’Eurocorps déjà évoqué (Strasbourg), vecteur potentiel de l’Europe de la défense, ou le Corps de Réaction Rapide – France (Lille) sont conçus comme des états-majors multinationaux de niveau corps d’armée. Ils peuvent intervenir dans le cadre de missions Union européenne et OTAN ;

• l’armée de Terre participe également activement à l’élaboration d’une doctrine d’emploi des forces terrestres commune, essentielle à l’interopérabilité, dans le cadre du forum de réflexion et d’échanges FINABEL notamment.

L’opération de stabilisation Artemis au Congo et EUFOR Concordia en Macédoine en 2003, l’opération de stabilisation EUFOR Althéa en Bosnie en 2004, la sécurisation des élections au Congo dans le cadre d’EUFOR RDC en 2006, la sécurisation des camps de réfugiés dans le cadre de la mission EUFOR Tchad/RCA de 2007 à 2009 sont des exemples de l’implication française dans des missions PSDC achevées. L’armée de Terre française est également impliquée dans la plupart des missions PSDC en cours évoquées plus haut.

Dans une approche pragmatique, la relance de l’Europe de la défense devra s’appuyer sur ce moyen qui est celui offrant le plus de souplesse, de modularité et de visibilité : les opérations. C’est en effet en s’appuyant d’abord sur ce qui fonctionne que la construction d’un outil de défense européen pourra être relancée.

La France participe au tour d’alerte des groupements tactiques de l’Union européenne. Ces bataillons projetables sur court préavis sont considérés comme le laboratoire d’interopérabilité de l’Europe de la défense.

Adopté en 2004 et devenu opérationnel en 2007, le concept de groupement tactique – ou battlegroup en anglais – a été mis au point, sur la base d’une initiative franco-britannico-allemande, par l’État-major de l’Union européenne (EMUE) et approuvé par le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE). Il a pour objet de mettre à la disposition de la PSDC un vivier de forces capables de se déployer rapidement dans des zones lointaines en cas de déclenchement d’une crise. Un groupement est constitué d’une force armée de la taille d’un bataillon et renforcé par des éléments d’appui tactique et de soutien logistique au combat, ce qui représente 1 500 hommes. Il peut être formé par une État ou par une coalition multinationale d’États membres avec une nation cadre.

Depuis 2007, l’Union européenne devrait par exemple être en mesure d’entreprendre de concert, si le Conseil en décidait ainsi, deux opérations de réaction rapide avec une force de la taille d’un groupement tactique, et de pouvoir lancer ces deux opérations presque simultanément. Les critères clés du groupement tactique sont l’interopérabilité et l’efficacité militaire. Un groupement tactique est associé à un État-major de force susceptible d’être déployé. Les groupements tactiques restent en alerte pendant une durée de six mois et doivent être en mesure d’accomplir une mission d’une durée initiale de 30 jours, pouvant être portée à 120 jours, moyennant un réapprovisionnement approprié.

Un principe essentiel est que la formation du groupement tactique relève de la compétence des États membres concernés, l’Union européenne facilitant la coordination entre les États membres. Ces derniers proposent leurs groupements tactiques lors des réunions semestrielles de la conférence de coordination des groupements tactiques. La conférence établit sa programmation sur cinq ans. C’est aux États membres de décider de la manière dont ils constituent un groupement tactique complet et de la période durant laquelle celui-ci sera mis à disposition.

Le groupement tactique en alerte au premier semestre 2013 est constitué dans le « format Weimar » : France, Pologne et Allemagne (la Pologne comme nation cadre, la France et l’Allemagne en soutien). Au second semestre 2013 il ne sera formé que d’un seul pays, la Grande-Bretagne. Durant toute l’année 2013 – mais ce cas de figure n’est pas nouveau – il n’y aura donc qu’un groupement tactique de permanence au lieu de deux. Le nombre de semestre de 2013 à 2016 où un seul « battlegroup » est, selon le calendrier prévisionnel, de permanence, est supérieur au nombre de semestres où ils sont deux. Ces lacunes sont récurrentes dans le calendrier.

Cependant les États membres ne renient pas le concept, soutenant tous, lorsque la question est discutée au sein des instances européennes, à la fois le principe et le concept des groupements tactiques. Celui-ci est en effet considéré non seulement comme un outil de réaction rapide de l’Union européenne mais aussi et peut-être surtout comme un outil efficace de la transformation et de l’évolution des armées. Les groupements tactiques constituent un excellent cadre pour les entraînements, servant à augmenter l’interopérabilité des troupes et à créer de la solidarité entre nationalités. Le désir de les conserver est manifestement exprimé par tous les États membres mais l’implication dans un groupement tactique est une charge et les coupes budgétaires et les problèmes financiers rencontrés par certains d’entre eux semblent venir à bout de leur bonne volonté.

Vos Rapporteurs constateront ici que les groupements tactiques de l’Union européenne n’ont jamais été déployés en opérations : ils sont restés un instrument virtuel. Or ils avaient été conçus pour répondre rapidement à une crise. Certaines critiques, ou certains regrets du moins, se sont exprimés au début de l’année 2013 du fait du non-déploiement au Mali du groupement tactique d’alerte, alors qu’il était précisément composé des trois pays de Weimar (France, Allemagne, Pologne) qui dans la Déclaration du 15 novembre 2012 (cf. Annexe) venaient de confirmer solennellement, deux mois plus tôt, leur « volonté de promouvoir une politique européenne ambitieuse dans le domaine de la sécurité et de la défense ».Vos Rapporteurs renverront sur ce sujet au paragraphe consacré à la crise malienne. Si la question de la possibilité d’un déploiement au Mali reste sujette à controverses, on peut néanmoins regretter que les groupements tactiques ne soient jamais utilisés, d’autant plus que leur concept opérationnel prévoit un large champ d’interventions possibles : les groupements tactiques pouvant être employés pour l’éventail complet des tâches énumérées à l’article 43, paragraphe 1 du Traité sur l’Union européenne et pour celles qui sont énoncées dans la stratégie européenne de sécurité. Citons parmi ces actions « les missions humanitaires et d’évacuation », les opérations de « prévention des conflits » ou encore les «  opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Selon les indications recueillies par vos Rapporteurs, ils pourraient tout à fait être utilisés pour des opérations de sécurisation d’un aéroport par exemple, ou de mise en place d’infrastructures hospitalières, ou être envoyés le cas échéant, à condition qu’une volonté politique des États membres de l’Union européenne existe, sur des zones comme la Syrie.

Les appels à contribution pour une participation des États membres aux interventions suivent deux logiques : les engagements d'unités constituées d'une part et, d'autre part, l'envoi de personnels en individuels, pour tenir des postes ciblés au sein des structures opérationnelles ou d'État-major.

Force de police à statut militaire, la gendarmerie nationale est en mesure de répondre aux deux types d'appels : par ses capacités à manœuvrer avec des dispositifs composés de plusieurs unités ; par le savoir-faire professionnel et le degré d'expertise des personnels engagés en individuel.

Suite à l'intégration de la gendarmerie nationale au sein du ministère de l'Intérieur, police et gendarmerie nationales ont mutualisé leurs structures de coopération internationale en créant en 2010 une direction commune, la direction de la coopération internationale (DCI). Au sein de cette nouvelle entité, la « division de gestion des crises extérieures » est notamment chargée du déploiement des personnels à titre individuel alors que l'engagement d'unités militaires constituées continue à relever exclusivement de la direction générale de la gendarmerie nationale.

Selon les informations communiquées à vos Rapporteurs, au 1er novembre 2012, 295 militaires de la gendarmerie nationale étaient déployés en opérations à l'étranger, dont 53 au sein de trois missions civiles de l'Union européenne, EULEX Kosovo, EUCAP Sahel Niger et EUPOL Afghanistan.

En ce qui concerne EUPOL Afghanistan, lancée en juin 2007 pour trois ans puis prolongée jusqu'à mai 2013, la présence de la gendarmerie française dans la mission s'inscrit dans le cadre d'une action de la communauté internationale visant à aider les Afghans à assurer leur sécurité. Le mandat donne priorité à la coordination des volets police civile et judiciaire et au renforcement de la coopération opérationnelle. Au total, quatre gendarmes participent à cette mission PSDC, dont un colonel, chef de la composante policière en uniforme. S’y ajoute une mission du détachement de gendarmerie Afghanistan sous bannière de la force de gendarmerie européenne, mais il s’agit d’une opération de l’OTAN.

Est également envisagée la participation d’éléments de la gendarmerie aux missions EUCAP Nestor, mission de renforcement des capacités des pays de la Corne de l’Afrique basée à Djibouti, et à la mission PSDC éventuelle en Libye : l'Union européenne envisage en effet depuis un certain temps le lancement de cette mission de PSDC civile de gestion des frontières en Libye. Le processus de planification en cours est fortement contraint par le délicat contexte politique local et la difficulté à identifier les bons interlocuteurs. Le rôle majeur qu'a joué la France en Libye en 2011 imposera vraisemblablement une participation adaptée à cette mission, si elle est finalement lancée.

Les projets soutenus financièrement par l’Union européenne :

• Les jumelages

Plusieurs projets de jumelages sont conduits par la gendarmerie nationale sur des financements européens. Il s'agit bien souvent de permettre un renforcement des capacités de forces de police à statut militaire afin de les amener à atteindre les standards européens en matière de gestion démocratique des foules, de police administrative ou judiciaire.

La gendarmerie jordanienne a ainsi pu bénéficier récemment d'un jumelage avec la gendarmerie française, appuyée par la Garde civile espagnole, les gendarmeries roumaine et lituanienne. Les évaluations réalisées par la Commission européenne ont souligné la qualité de ce jumelage et apprécié l'atteinte des objectifs, au point d'envisager la reconduction de nouveaux jumelages.

En février 2012, un jumelage destiné à renforcer les capacités des Troupes de l’intérieur ukrainiennes a été lancé à Kiev. Ce jumelage est financé sur l'instrument européen de voisinage et de partenariat. Conduit par la gendarmerie nationale et la gendarmerie roumaine, ce projet d'une durée d'un an est destiné à améliorer le système de gestion de l'ordre public des troupes de l'intérieur et devait porter son effort dans le contexte particulier du déroulement de l'Euro 2012 en Ukraine. Il aura atteint ses objectifs, cet événement sportif s'étant parfaitement bien déroulé.

• Les actions de formation

EUPST (European Union Police Services Training – Entraînement des services de police européens)

À la suite de plusieurs exercices de forces de police européennes organisés de 2001 à 2007, la gendarmerie nationale a initié, en partie sur des fonds européens, un cycle de formation des unités de police baptisé EUPFT (European Union Police Forces Training – Entraînement des forces de police européennes) qui s'inscrit dans le cadre de la gestion civile de crises de l’Union européenne. Dans le prolongement de cette initiative, le programme EUPST 2011-2013 est un nouveau cycle de trois ans de formation qui reprend les principes d'EUPFT en élargissant le projet à des pays non membres de l'Union européenne. Au total, 2 400 officiers de police des pays de l'Union européenne (UE), de l'Union africaine (UA) et de pays contributeurs aux missions PSDC n'appartenant pas à l'Union européenne, seront formés aux missions civiles de gestion de crises.

Euromed Police III

Le projet Euromed Police dans son troisième volet a été lancé le 5 septembre 2011. Ce programme européen financé sur l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) à hauteur de 4,96 millions d'euros est prévu pour une période de trois années et s'achèvera en septembre 2014. Réunissant un consortium de six pays de l'Union européenne (France, Allemagne, Belgique, Bulgarie, Espagne et Royaume-Uni), Euromed Police III a vocation à délivrer une formation en matière de coopération policière internationale au profit de huit pays du bassin méditerranéen (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Autorité Palestinienne et Tunisie). La lutte contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants, le trafic d'armes, la cybercriminalité ainsi que le trafic d'êtres humains font partie des grandes priorités de ce programme. La gendarmerie nationale apporte son expertise lors des différents séminaires.

En tant que force armée disposant d'attributions en matière de police judiciaire, la gendarmerie nationale participe, aux côtés de plusieurs autres forces similaires membres ou non de l'Union européenne, à l'évolution de la doctrine d'emploi des forces de police à statut militaire. Cette participation se traduit par une présence au sein d'instances à vocation opérationnelle (Force de Gendarmerie Européenne) ou à vocation de réflexion et d'échanges (FIEP).

Résultant d'une initiative française, la FGE (Force de Gendarmerie Européenne) regroupe les États membres de l'Union Européennes dotés de forces de police à statut militaire (FPSM). Pouvant être déployée indifféremment sous commandement militaire ou civil, la FGE est un instrument de gestion de crise européen particulièrement adapté à la transition entre gestion militaire et gestion civile des crises.

La création de la FGE a été approuvée par la déclaration d'intention signée par les ministres de la défense français, italien, espagnol, portugais et néerlandais en septembre 2004. Cette création s'est concrétisée par la signature d'un traité le 18 octobre 2007 à Velsen aux Pays-Bas, ratifié par tous les États membres entre 2008 et 2012 et entré en vigueur le 1er juin 2012.

Le traité prévoit trois statuts :

– celui de membre, ouvert à tout État membre de l'Union européenne avant une FPSM (les 5 pays fondateurs et la Roumanie depuis décembre 2008) ;

– celui d'observateur, ouvert aux pays candidats à l'Union européenne avant une FPSM (la Turquie depuis mai 2009) ;

– celui de partenaire, ouvert aux États membres de l'Union européenne et aux pays candidats à l'Union européenne qui ont une force à statut militaire possédant quelques compétences en matière de police (la Pologne et la Lituanie depuis respectivement mars 2007 et décembre 2009).

Un comité interministériel de haut niveau (CIMIN) assure la direction politico-stratégique de la FGE et la coordination politico-militaire entre les parties. Il est composé, pour la France, d'un représentant du ministère de la défense (le DGGN est désigné par délégation du ministre de la défense) et d'un représentant du MAE. La présidence du CIMIN, assurée par le Portugal depuis le 1er janvier 2012, est soumise à une rotation annuelle (Pays-Bas en 2013 et France en 2014).

La FGE dispose d'un quartier général permanent multinational, modulaire et projetable de 36 officiers et sous-officiers (dont 6 français), situé à Vicenza en Italie. Elle affiche en théorie une capacité initiale de réaction rapide de 800 personnes sous un délai de 30 jours à compter de la décision d'engagement. La France déclare une capacité opérationnelle théorique de 350 gendarmes.

Ayant vocation à servir prioritairement la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union européenne, la FGE est une force autonome pouvant être mise à la disposition d'autres organisations internationales (ONU, OTAN, OSCE, etc.).

Elle peut intervenir en substitution ou en renforcement des forces de police locales, ou participer à des opérations humanitaires.

La FGE a déjà été déployée en Bosnie de novembre 2007 à octobre 2010 (mission EUFOR ALTHEA) et en Haïti de février à décembre 2010.

Actuellement déployée en Afghanistan depuis le 8 décembre 2009, la FGE participe à hauteur de 318 personnels (dont 72 gendarmes français) à la mission de formation et de tutorat de la police afghane au sein de la mission de formation de l'OTAN.

La FIEP (pour France-Italie-Espagne-Portugal) est une association qui regroupe les « forces de gendarmerie et de police européennes et méditerranéennes à statut militaire ».

Initiée en 1994, elle comprenait à l'origine la gendarmerie nationale française, l'arme des carabiniers italiens et la garde civile espagnole. Elle a été rapidement rejointe par la garde nationale républicaine portugaise (1996), la gendarmerie turque (1998), la maréchaussée royale néerlandaise et la gendarmerie royale marocaine (1999), puis par la gendarmerie roumaine (2002), la gendarmerie royale jordanienne (2011). Le Qatar est observateur depuis octobre 2012.

La présidence de la FIEP est assurée annuellement par l’un des pays membres (en 2013 l’Espagne, en 2014 l’Italie, en 2015 la France).

L'association vise principalement à promouvoir, par un échange d'informations et un retour d'expériences, une réflexion novatrice et active sur les formes de coopération policière. Elle a également pour objet de valoriser le modèle de force « de type gendarmerie », en charge de missions de sécurité intérieure.

À toutes ces coopérations capacitaires, s’ajoutent bien entendu les coopérations industrielles et technologiques.

II. UN POTENTIEL DE COOPÉRATIONS INDUSTRIELLES ET TECHNOLOGIQUES À DÉVELOPPER

Un article d’Etienne de Durant, Directeur du Centre des Études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (IFRI) faisait récemment le constat suivant :

« À première vue improductifs, les investissements de défense jouent en réalité un rôle de premier plan dans l’économie française. L’armée de terre est sans doute le premier employeur national de jeunes non qualifiés, avec 15 000 recrutements par an. Les crédits d’équipement militaire forment plus de 70% des investissements de l’État. Les industries qui en profitent totalisent 165 000 emplois directs et autant d’indirects, pour un chiffre d’affaires cumulé d’environ 15 milliards d’euros, soit le troisième secteur industriel en France. Elles ont dégagé des bénéfices et ont contribué à hauteur de 6,5 milliards à nos exportations en 2011. Safran, MBDA, EADS, RTD, Dassault, Nexter, Thales, DCNS et tant d’autres rassemblent une large part des fleurons de ce qui nous reste d’appareil industriel et de haute technologie. Loin de n’être que des « marchands de canons », les groupes aéronautiques, navals et terrestres sont au cœur de l’innovation de haute technologie, y compris les retombées dans le domaine civil de la R&D (recherche & développement) militaire. Sans défense, pas d’Airbus, d’Ariane ou de satellites. La défense n’est clairement pas le problème.

Redressement productif, emplois d’avenir, non délocalisables et souvent hautement qualifiés, solde positif à l’exportation : elle devrait en revanche faire partie de la solution » (publié dans Le Monde du 2 mars 2013).

Tels sont bien les termes dans lesquels se pose aujourd’hui la question du soutien de nos industries de défense, dans une conjoncture généralisée de restrictions budgétaires. Si l’on peut concevoir une rationalisation des dépenses, dans ce secteur comme dans les autres – à condition que ce ne soit pas plus que dans les autres – diminuer la part de notre effort de défense dans le PIB – qui n’est plus que de 1,5 % hors pensions – serait, outre une aberration économique, complètement suicidaire, si l’on veut garder des capacités d’action crédibles en matière de défense et une ambition stratégique minimale. Paradoxalement, en Europe, les coupes dans les budgets de la défense sont dues dans une large mesure à la prospérité et au sentiment de protection efficace de la paix sur le continent depuis de longues années.

Les budgets s’étant considérablement resserrés dans l’ensemble des États membres, la coopération est perçue comme une solution permettant de maintenir – à l’échelle européenne – la performance de l’outil de défense. Plutôt que de développer sur une base nationale l’ensemble des capacités de défense, les États membres réfléchissent désormais à la possibilité de répartir davantage l’effort capacitaire. En décembre 2010, les ministres de la défense de l’Union européenne, réunis à Gand, ont ainsi lancé une initiative majeure de « partage et mutualisation » capacitaire, le « Pooling and Sharing » dont le pendant à l’OTAN est l’initiative « Smart Defense » (Défense intelligente). Ces deux initiatives ne doivent pas être considérées comme concurrentes mais comme complémentaires.

Cependant, une coopération efficace dans le domaine des capacités repose sur une forte impulsion politique, une communauté d’intérêts stratégiques entre États membres et enfin – et surtout – un véritable socle industriel. C’est la raison pour laquelle l’Agence européenne de défense (AED) prête une attention particulière à la base industrielle et technologique de défense en Europe (la BITD ou BITDE).

Vos Rapporteurs rappelleront ici le rôle particulièrement important – et à encourager – de l’AED, dans cette perspective importante de renforcement de la BITDE.

L’AED, formellement instituée depuis 2004, a été dotée d’une base légale et renforcée par le Traité de Lisbonne (articles 42-3 et 45 du TUE modifié). Elle a pour objectif l’harmonisation progressive des efforts de défense des États membres et doit aider l’Union à gagner une autonomie stratégique sur le plan militaire. Son action se décline en quatre volets : développement des capacités de défense des États membres dans le domaine de la gestion des crises, mise en place d’un marché européen des équipements de défense et renforcement de la compétitivité de l’industrie de défense européenne, promotion de la recherche pour répondre aux besoins futurs en matière de défense et renforcement de la coopération en matière d’armement par le lancement de projets bi – ou multinationaux.

L’AED agit donc comme un catalyseur afin de promouvoir la collaboration capacitaire entre les États.

Sur le plan institutionnel, l’Agence est composée d’une administration centrale – 80 personnes environ dont un directeur exécutif (actuellement Mme Claude-France Arnould) - et d’un Comité directeur réunissant les ministres de la Défense des États membres. Ce Comité directeur prend des décisions sur le fonctionnement et le programme de travail de l’Agence, dans les limites fixées par le Conseil, lequel donne un cadre financier tri-annuel. Fait exceptionnel à ce jour en matière de défense, le Comité directeur décide à la majorité qualifiée. Ce vote à la majorité qualifiée accorde une plus grande souplesse de fonctionnement à l’AED, même si un mécanisme de « frein d’urgence » permet à un État de requérir un vote à l’unanimité.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a notamment permis d’étendre les compétences de l’AED aux aspects industriels et commerciaux des questions d’armement. Le défi majeur est que l’AED devienne une pépinière des programmes d’armement réalisés en coopération européenne, afin de mettre à la disposition des forces armées européennes des équipements interopérables et correspondant à leur besoin opérationnel. Dans cette perspective, la France est intéressée par de nombreux thèmes de coopération, en particulier dans les domaines de l’espace, de la surveillance maritime, du déminage maritime, du transport stratégique, des drones et des communications.

Les ministres de la Défense ont adopté le 19 novembre 2012 un code de conduite sur le partage et la mutualisation capacitaire proposé par l’Agence européenne de défense. C’est une première en Europe : ce code de conduite, qui propose par exemple de considérer de manière systématique la coopération dans le développement de toute nouvelle capacité, de protéger d’éventuelles coupes les budgets alloués à des programmes menés en coopération, ou encore de garantir les échanges entre les différentes formes de coopération régionale, devrait permettre de structurer la coopération sur le long terme, et de l’ancrer dans les planifications de défense nationale.

Un rapprochement entre l’Agence européenne de défense et l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (OCCAR) a déjà été encouragé par le Conseil de l’Union européenne du 10 novembre 2008. En effet, l’OCCAR a développé un savoir-faire reconnu dans la conduite de programmes d’armement. C’est une agence intergouvernementale composée de six pays membres (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne) qui est également chargée de dégager des synergies dans les projets d’armement. Il a été convenu de mettre naturellement l’OCCAR à la disposition des États membres et de l’AED pour conduire de nouveaux programmes d’armement établis en coopération dans le cadre de l’Agence. Le 27 juillet 2012, les deux agences européennes ont conclu un important accord de partenariat, formalisant et renforçant une coopération qui existait déjà de facto.

Tous les États de l’Union européenne sont membres de l’Agence européenne de défense, à l’exception du Danemark qui n’a pas souhaité s’associer au volet militaire de la PSDC. Bien que le Danemark semble intéressé par certaines coopérations (les acquisitions groupées) mises en place au sein de l’Agence, l’AED fonctionne donc en principe dans un format à 26.

Ceci ne signifie pas que tous les projets menés à l’Agence doivent l’être à 26. L’AED est un instrument intergouvernemental au service des États membres qui le souhaitent. Elle peut, car c’est essentiel pour l’avenir de la coopération, soutenir des projets à quelques-uns et même à partir de deux États membres participants. Le soutien à l’industrie européenne fait partie intégrante de ses missions et revêt une importance particulière. Si elle ne dispose ni du mandat ni des moyens pour s’insérer dans la restructuration du paysage industriel en Europe, elle peut agir sur certains leviers, articuler au mieux l’offre et la demande et structurer un environnement aussi favorable que possible à l’industrie européenne de défense.

Les coopérations industrielles et technologiques en matière de défense se sont ainsi beaucoup développées depuis le Traité de Lisbonne, certaines sous l’impulsion, directe ou indirecte, de l’AED.

Cependant, récemment – début 2013 – le directeur de l’OCCAR, M. Patrick Bellouard, constatait avec regret que, sur les 50 milliards d’euros d’investissements annuels des pays européens en matière d’armements, le montant annuel des programmes réalisés en coopération s’élève à environ 8 milliards d’euros : soit moins de 20 %.

Selon vos Rapporteurs, beaucoup reste encore à faire pour encourager ces coopérations européennes, dont certains exemples sont pourtant tout à fait remarquables.

L’initiative sur le « Pooling and Sharing » - Mutualisation et Partage – dans le domaine du ravitaillement en vol est particulièrement soutenue par la France et par l’AED. Elle a connu une nouvelle impulsion fin 2012. Le 19 novembre 2012, le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, a en effet annoncé, à l’issue de sa participation au comité directeur de l’AED, que dix États européens – France, Belgique, Espagne, Grèce, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Norvège – venaient de signer un accord « pour que l’Europe se dote d’ici à 2020 d’une capacité commune d’avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport » – dans le cadre du programme MRTT (multi-rôle transport tanker). « Ce modèle est prometteur » a estimé le ministre, qui avait déjà souligné début octobre à l’Assemblée nationale que « les contraintes budgétaires représentent peut-être une chance pour l’Europe de la défense, car il faut éviter que l’Europe ne connaisse un déclassement stratégique ». Pour la France, la commande des premiers MRTT a été inscrite dans le projet de loi de finances 2013. Ils sont notamment appelés à remplacer à l’horizon 2017 les Boeing C 135, dont l’âge avancé fait courir un risque permanent de rupture capacitaire et exige une très lourde maintenance.

Le communiqué du ministère de la Défense du 19 novembre 2012 a en outre annoncé que les dix États signataires de l’accord précité, ainsi que d’autres futurs contributeurs, feront l’acquisition ou utiliseront en commun une flotte d’aéronefs destinée à répondre au besoin de ravitaillement en vol des Européens en opérations, dans le même esprit que le Commandement du transport aérien européen (programme EATC).

Jusqu’à présent l’EATC, comme cela a déjà été évoqué, n’a pas encore de possibilité d’acquisition en commun mais cela pourrait effectivement évoluer… Vos Rapporteurs estiment que le « pooling and sharing » du ravitaillement en vol est tout à fait souhaitable, à condition que les États aient encore quelque chose à partager. Ils rappellent à cet égard que les besoins nationaux en ravitaillement en vol ne sont à l’heure actuelle pas satisfaits et que, pour l’opération Harmattan en Libye, 75 % du ravitaillement en vol n’avait pu être assuré par les Européens. Pour que cette annonce se concrétise, il semble indispensable que les coupes budgétaires n’affectent pas ce programme de flotte européenne destinée à répondre aux besoins du ravitaillement en vol, et de favoriser tous projets industriels tendant à son développement : ce qui serait conforme au « code de conduite sur « le partage et la mutualisation » de novembre 2012 qui demande notamment de protéger d’éventuelles coupes les budgets alloués à des programmes menés en coopération (cf. ci-dessus paragraphe sur l’AED). Ce qui vaut pour le programme MRTT vaut bien entendu également pour tous les autres programmes menés en coopération.

Il rassemble sept États – France, Allemagne, Espagne, Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni et Turquie – pour son développement, sa production et son assemblage. Le programme a toutefois subi des retards et dépassements de coûts imprévus. La France a commandé 50 exemplaires de l’A 400 M et devrait recevoir sa première livraison d’ici fin 2013.

Vos Rapporteurs insisteront ici sur l’importance du maintien par la France de son engagement d’achat de cinquante A 400 M, l’Allemagne ayant déjà revu à la baisse ses prévisions initiales. Les programmes menés en coopération ne doivent pas, selon le code de bonne conduite précité, souffrir de coupes budgétaires. Il en va de la crédibilité de la France vis-à-vis de ses partenaires européens, dès lors qu’elle s’affiche en leader de la volonté de relance de l’Europe de la défense.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne examinent les moyens d’approfondir leur coopération autour de l’A 400 M, à travers la question du soutien et de la protection de ces avions contre la menace sol-air à guidage infrarouge – Projet DIRCM.

La coopération en matière de systèmes de communication est fondamentale pour garantir la maîtrise de la chaîne de décision dans des environnements complexes impliquant parfois plusieurs nations. Pour maîtriser cette complexité, six États – la France, l’Espagne, l’Italie, la Finlande, la Pologne et la Suède – développent depuis 2009 avec l’AED le projet ESSOR dont le but est d’établir un référentiel normatif pour la production de systèmes de radios logicielles militaires en Europe. Ainsi a été définie une norme ESSOR, partagée au niveau européen et compatible avec le standard américain SCA. Sur cette base, le groupe Thalès a été retenu en novembre 2012 par le ministère de la Défense pour mener à bien le programme CONTACT, portant sur des radios tactiques, aéronautiques et navales de nouvelle génération ; ce programme représente un enjeu important en termes de potentiel commercial, la France équipant en radios de nombreuses forces armées à travers le monde.

L’AED se rapproche actuellement de la Commission dans le cadre du programme Horizon 2020 (programme de recherche sur la période 2014-2010) pour mieux articuler les investissements européens sur les technologies à usage potentiellement dual : insertion des drones dans le trafic aérien civil – programme JIP UAS ATI. Elle intervient également dans le programme MIDCAS – Mid-Air Collision Avoidance System, initiative lancée en 2009 par cinq États – France, Allemagne, Espagne, Italie et Suède – et qui répond à l’enjeu d’évitement des collisions, fondamental dans une perspective d’insertion des drones dans un espace aérien non ségrégué.

Les drones MALE – Moyenne altitude longue endurance – sont prioritaires pour l’armée de l’air française dont les capacités en matière de renseignement sont insuffisantes. Afin de doter rapidement nos forces de moyens opérationnels, la solution actuellement à l’étude est l’achat de MQ-9 Reapers américains de la société General Atomics, qui pourraient être francisés/européanisés par des sociétés françaises, maintenant ainsi le savoir-faire en matière de senseurs, de communications et de navigabilité des industriels nationaux. Le scénario privilégié est donc celui d’une démarche d’européanisation des équipements, puis progressivement du drone lui-même, étant donné que le Royaume-Uni et l’Italie possèdent déjà des Reapers et que l’Allemagne et la Pologne envisagent elles aussi d’en acquérir. Des discussions sont en cours avec General Atomics pour doter ces drones américains de capteurs et d’armements européens.

Les drones tactiques, mis en œuvre par l’armée de terre, trouvent aujourd’hui leur place dans les missions d’appui tactique des forces engagées au sol. Interconnectés aux systèmes de commandement de l’armée de terre de la force déployée sur le théâtre, les drones tactiques sont particulièrement pertinents dans la conduite des opérations tout en préservant les vies humaines.

La solution de drones tactiques Watchkeeper fait l’objet d’une évaluation technique et opérationnelle dans le cadre de la coopération franco-britannique. Cette solution pourrait constituer un des éléments de la force expéditionnaire conjointe (CJEF) à l’étude entre les deux pays.

Le système Watchkeeper a été développé et produit par Thales en Grande-Bretagne avec déjà une part industrielle et un savoir-faire significatif d’origine française. Dans le programme SDT, cette part serait accrue du fait de l’intégration avec les systèmes d’information et de communication C41 de l’armée de terre française, du soutien logistique et du développement de nouvelles capacités impliquant des PME innovantes. Le lancement du programme SDT permettrait d’éviter une rupture capacitaire et de disposer rapidement en France de drones tactiques performants, répondant aux critères aéronautiques de navigabilité et de certification.

Le choix de Watchkeeper par le Royaume-Uni et la France est de nature également à concrétiser notre coopération définie par le traité de Lancaster House, tout en bénéficiant, dans un contexte budgétaire contraint, des retombées de l’investissement réalisé par le ministère de la défense en Grande-Bretagne.

Le démonstrateur de drone de combat NEURON est un programme associant France, Espagne, Grèce, Italie, Suède et Suisse avec pour objectif la préparation du futur système aérien de combat. Le maître d’œuvre du programme, Dassault Aviation, a annoncé que le Neuron a effectué avec succès son premier vol le 1er décembre 2012. L’innovation réside dans « l’intelligence » de ce démonstrateur : l’objectif du programme est de valider la capacité du NEURON a réagir de manière autonome dans un environnement tactique simulant des conditions particulièrement hostiles. À cet effet, un ultime essai de synthèse devrait avoir lieu en 2014.

Les Gouvernements français et britannique se sont d’autre part lancés conjointement, depuis l’été 2012, dans des études visant à tracer les contours d’un éventuel « système de combat aérien futur » - SCAF ou FCAS en anglais.

Le système aérien de combat du futur doit faire l’objet d’une phase de démonstration avec les Britanniques (Traité de Lancaster House) à compter de 2014. Il est envisagé que ce système devienne opérationnel à l’horizon 2030. En fonction des besoins des différentes aviations de combat européennes, ce programme pourrait être étendu à d’autres pays.

L’AED par ailleurs développe un projet phare à base de drones sous-marins pour lutter contre les mines : les négociations sont encore à leur tout début mais elles pourraient conduire à un projet industriel commun.

Le programme PAAMS – Principal Anti-Air Missile System – évoqué dans les coopérations maritimes met en relation trois États – la France, le Royaume-Uni et l’Italie – pour la production du système d’armes principal des frégates anti-aériennes de nouvelle génération. Rappelons que cette capacité n’aurait sans doute jamais pu exister sans coopération.

Le programme METEOR associe six États – La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède – et est destiné à les équiper d’un missile air-air de longue portée, susceptible de neutraliser ou détruire des cibles aériennes à longue distance. La France a commandé 200 missiles de ce type en 2010, pour des livraisons en 2018 afin d’équiper les avions de combat Rafale. En ce qui concerne ses partenaires, les missiles Meteor seront mis en œuvre sur des avions de type Eurofighter pour le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, de type Gripen pour la Suède. La maîtrise d’œuvre industrielle du programme est assurée par MBDA-UK (Grande-Bretagne) et les industriels partenaires sont MBDA-F (France), MBDA-It (Italie), Saab (Suède) et Inmize (Espagne).

– L’exemple de coopération européenne MBDA

Outre par son implication dans le programme METEOR précité, le groupe MBDA est à de nombreux titres un exemple représentatif des coopérations industrielles et technologiques possibles au niveau européen. Vos Rapporteurs l’ont constaté notamment lors de leur déplacement en Pologne, où ils ont pu rencontrer des responsables de MBDA et visiter l’usine EADS Airbus Military Casa de Varsovie.

MBDA, groupe industriel du secteur aéronautique et spatial, leader européen des missiles, filiale commune d’EADS, de BAE Systems et de l’italien Finmeccanica, emploie environ 10 000 personnes réparties notamment en France (4 300 emplois) et dans plusieurs autres pays européens. La visite de l’usine EADS Airbus de Varsovie a permis de constater une réelle coopération européenne puisque :

• elle est dirigée par des ingénieurs espagnols ;

• elle produit les encadrements de la porte de soute pour les Airbus A-330, au profit du site EADS de Hambourg ;

• elle réalise les grandes visites des avions Casa-295 polonais en service dans les forces aériennes polonaises depuis 2001 ;

• elle produit de nombreuses pièces pour les différentes versions d’avion-cargo Casa ;

• elle a développé, produit et rénove désormais les avions d’entraînement monomoteurs polonais PZL-130 Orlik, en service au sein de l’École de l’air polonaise.

Les représentants du Groupe MBDA en Pologne ont réalisé, à l’intention de vos Rapporteurs, une présentation des projets du groupe qui comprennent une coopération industrielle importante avec le groupe polonais BUMAR, présentant l’avantage d’offrir une « polonisation » des équipements, un développement en Pologne des radars ou du système de commandement et de contrôle (C2) ainsi que des transferts de technologie importants.

Vos Rapporteurs considèrent que de telles coopérations européennes doivent absolument être soutenues, dans une logique de consolidation de la base industrielle et technologique de défense en Europe. Elles sont notamment conçues pour préserver des emplois dans les États participants. À titre d’exemple, dans le cadre du projet de développement d’un système de défense anti-missile, la Pologne cherche à s’équiper de missiles intercepteurs. MBDA, à la différence des États-Unis, propose un transfert de technologie préservant les emplois polonais. En d’autres termes, alors que les Américains proposent un produit fini « sur étagère », MBDA, avec le missile intercepteur Aster 30 notamment, offre un vrai partenariat à la Pologne lui permettant de continuer à utiliser et développer des équipements dont elle dispose déjà (radars par exemple). Alors que l’offre américaine concurrente écarte tout le système de contrôle et de développement polonais, l’offre MBDA vise à ne fournir aux Polonais que ce qui leur fait défaut. La France peut leur proposer les lanceurs, les missiles et le soutien de la DGA pour consolider leurs expérimentations et systèmes, tout en préservant le vrai savoir-faire de l’industrie polonaise. C’est pourquoi vos Rapporteurs souhaitent attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’encourager les autorités polonaises à accepter une véritable coopération entre MBDA et BUMAR (l’entreprise publique polonaise spécialisée dans l’armement et les équipements militaires). Selon les indications recueillies par vos Rapporteurs, cette coopération MBDA/BUMAR permettrait de créer environ 5 000 emplois en Pologne, alors que la solution américaine lui en ferait perdre environ un millier… Il est évident qu’elle contribuerait également à lutter contre le risque de « désertification technologique » en Europe et en particulier en France. Il faut que la Pologne reste aux côtés des Européens pour consolider avec eux la BITDE, et le rôle de tous les politiques qui affirment vouloir relancer l’Europe de la défense est de le rappeler.

En ce qui concerne les coopérations bilatérales, on peut citer à titre d’exemple la coopération franco-britannique lancée par les accords de Lancaster House de novembre 2010. Deux accords ont été signés : un traité de coopération dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires et un traité de coopération en matière de défense et de sécurité. À cette occasion ont été annoncés de nombreux projets de coopération : outre un soutien à l’A 400 M et l’étude du drone tactique Watchkeeper précités, des projets de coopération en vue d’un missile anti-navires léger, de nouveaux sous-marins, une coopération dans le domaine de la guerre des mines navales, un soutien à la mise en place de la force interarmées projetable franco-britannique (CJEF-Combined Joint Expeditionary Force) opérationnelle à l’horizon 2016/2017, etc.

Rappelons que, dans la perspective de ce projet de force interarmées projetable ont lieu des exercices préparatoires conjoints : à l’occasion de l’exercice conjoint Corsican-Lion, qui s’est tenu en mer Méditerranée du 16 au 26 octobre 2012, les ministres de la Défense français et britannique, tout en se félicitant de façon générale de la coopération bilatérale entre leurs deux pays, se sont déclarés prêts à ouvrir des « projets spécifiques à d’autres pays européens, lorsque cela apporte de la valeur ajoutée et aboutit à une amélioration des capacités ».

Cette coopération franco-britannique n’est donc pas nécessairement une coopération fermée. Il est important de le souligner car elle suscite de nombreuses interrogations voire déceptions auprès de nos autres partenaires européens : vos Rapporteurs se font ici l’écho des impressions recueillies au cours de leurs déplacements et rencontres de personnalités en Europe.

De façon générale, il semble primordial que les coopérations bilatérales ne soient jamais, lorsque c’est possible, exclusives de l’agrégation d’autres États volontaires.

Vos Rapporteurs estiment, rejoignant en cela des observations qui leur ont été formulées par le Cidef (Conseil des industries de défense) que l’Union européenne devrait s’employer à définir une véritable politique de coopération industrielle et technologique (bi-tri ou multilatérale).

La réussite de programmes en coopération bi ou multilatérale passe en effet obligatoirement par l'application de quelques critères : éviter une accumulation de spécifications nationales qui génère des délais et des surcoûts ; exprimer des besoins communs précis et les traduire en spécifications techniques raisonnables et ajustées aux capacités budgétaires ; imposer aux participants qu'ils prévoient de commander un nombre d'exemplaires réaliste et qu'ils s'engagent fermement sur cette quantité, de façon à éviter les réductions de cibles successives qui majorent d'autant le coût unitaire et introduisent des tensions en matière de gestion des programmes ; mettre en place une organisation industrielle simple avec un maître d'ouvrage, un maître d'œuvre et des partenaires compétents ; abandonner le juste retour4, car la coopération sur un programme doit fusionner les compétences existantes et exploiter leurs synergies, non les dupliquer.

L'importance de ces critères explique l'intérêt que représentent les coopérations bilatérales, comme l'illustrent le Traité franco-britannique de novembre 2010 qui n'est pas exclusif, et les relances avec l'Allemagne et l'Italie. Le partenariat franco-britannique montre comment deux pays européens, aux ambitions similaires, prévoient d'acquérir les capacités opérationnelles nécessaires à un coût limité et de soutenir leurs champions industriels dans le cadre d'une interdépendance acceptée et maîtrisée.

Le partage ou la mutualisation de besoins et de capacités (à l'instar de l'initiative Pooling and Sharing de l'Agence Européenne de Défense) peuvent favoriser le maintien de savoir-faire. Cette politique nécessite l'identification des technologies pouvant donner lieu à une interdépendance en Europe et à la définition de règles pour assurer la sécurité d'approvisionnement, et prenant en compte les capacités industrielles et technologiques de ses filières (stratégie d'optimisation).

L'industrie européenne ne souffre pas jusqu’à présent d'un manque de compétitivité, ainsi qu'en attestent ses succès à 1’exportation face à ses concurrents extracommunautaires. Elle souffre en revanche d'un manque de nouveaux programmes qui permettraient la mise en place de coopérations industrielles, de nature à garantir la pérennité des compétences industrielles et technologiques. Une approche uniquement réglementaire est insuffisante voire contre-productive sans une ambition politique préalable. Il semble donc indispensable d’appeler les États européens à une convergence des besoins capacitaires et des efforts budgétaires des États membres, au lancement de programmes nouveaux en coopération et à l’application effective du principe de préférence européenne. Toute autre politique laissera la place aux concurrents étrangers qui proposeront leurs produits État par État, ne laissant aux acteurs locaux qu’un rôle de sous-traitance à faible contenu technologique.

Au-delà de ces coopérations industrielles, l’Union européenne peut contribuer à forger les règles de la mondialisation des technologies. L’Europe peut peser sur leur élaboration à travers la promotion à l’extérieur des normes de son marché intérieur, une politique de propriété intellectuelle incitative et créative, une politique de certification reposant sur les impératifs de sûreté et de sécurité. Les règles de propriété intellectuelle qui régissent les projets de l’Agence Européenne de Défense et le Programme cadre de recherche et de développement pourraient, elles-aussi, jouer un rôle important, à condition d’être réformées. Pour l’instant, elles ouvrent le bénéfice des résultats de ces recherches à tous les États membres sans distinction, ce qui dissuade les entreprises les plus innovantes de participer à ces programmes.

Il est nécessaire en conclusion que l’Union européenne s’attache réellement à maintenir une BITDE – base industrielle de technologie et de défense – dotée d’un haut niveau de compétitivité. Vos Rapporteurs renverront également sur ce point aux messages qui leur ont été transmis par le Cidef (cf. Annexe 4).

Ils souhaiteraient particulièrement attirer l’attention sur le document figurant en Annexe 5 sur lequel l’ensemble des représentants de l’industrie européenne de défense se sont entendus en mai 2012 (Source ASD : AeroSpace and Defence Industries Association of Europe).

Le programme MUSIS – Multinational space-based imaging system for surveillance, reconnaissance and observation – vise à offrir à sept partenaires européens associés – France, Allemagne, Belgique, Espagne, Grèce, Italie et Pologne – une fédération des capacités de suivi de situation et de veille stratégique, une aide à la prévention et à l’anticipation des crises ainsi qu’à la planification et à la conduite des opérations PSDC.

À la différence du programme GALILEO qui fédère une coopération européenne dont les applications seront essentiellement civiles – il s’agit d’offrir à compter de 2014 des services de pointe en matière de radionavigation par satellite, secteur dans lequel les États-Unis détiennent actuellement le monopole grâce au système GPS – le programme MUSIS a donc clairement pour objectif des applications militaires. Il succèdera à terme aux systèmes d’observation spatiaux optique HELIOS II et Pléiades ainsi qu’aux capacités d’observation radar de nos partenaires européens (Cosmo-Skymed italien et SAR-Lupe allemand) qui, dans le cadre du programme d’observation spatiale ORFEO (accord d’échange de capacités) permet les échanges d’images satellitaires de renseignement.

Les utilisateurs de MUSIS disposeront d’un accès à l’ensemble de ses composantes spatiales. Le système complet devrait comprendre une composante d’observation optique infrarouge de haute résolution assurée par la France, deux composantes d’observation radar assurées par l’Allemagne et par l’Italie, une composante optique « champ large » assurée par l’Espagne.

La conduite de ce programme très fédérateur est confiée à l’OCCAR. L’AED est étroitement associée au projet, notamment pour assurer le lien avec l’Union européenne, dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense. La réalisation est confiée, pour ce qui concerne la partie française, à Astrium France et à Thales Alenia Space France.

Le Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE ou SATCEN), créé en 2002, est une agence de l’Union européenne située à Torrejon, en Espagne (non loin de Madrid). Il a pour mission d’exploiter et produire des informations résultant de l’analyse des images terrestres satellitaires, en soutien à la prise de décision de l’Union européenne dans le cadre de la PSDC.

Vos Rapporteurs, ayant eu l’opportunité de se rendre sur place et de recevoir des informations sur les modalités de fonctionnement de ce Centre, souhaitent ici attirer l’attention sur ce modèle de coopération technologique, à leurs yeux trop méconnu.

Il est financé par les vingt-sept États membres, les cinq plus gros contributeurs étant par ordre décroissant l’Allemagne, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Les contributions sont fixées en fonction du PIB/habitant (sur un budget annuel de 12,3 millions d’euros, 2,5 millions sont ainsi apportés par l’Allemagne et 2 millions par la France). Il s’agit donc d’un petit budget qui depuis trois ans n’est même pas indexé sur le taux d’inflation espagnol, comme cela pourrait sembler logique compte tenu de la localisation de ses installations. Sont représentés au Centre, dans lequel travaillent un peu plus d’une centaine de personnes, dix-neuf États sur vingt-sept. Environ 50 % sont sous statut militaire et 50 % sont sous statut civil, titulaires pour la plupart de doctorats liés à l’espace.

Ce Centre est spécialisé dans l’analyse d’images satellitaires. Les experts analystes sont détachés par les États membres pour des périodes allant de six mois à trois ans, mais beaucoup d’États manquent d’experts en la matière, la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie étant ceux qui en sont le mieux pourvus. Certains États membres peuvent utiliser le Centre pour y développer l’expérience de leurs spécialistes, c’est le cas en particulier des pays de l’Est.

La prévention des conflits fait partie des compétences du Centre. Son spectre d’actions – conformément aux « missions de Petersberg » - est encore plus large et englobe notamment les actions à visée humanitaire ou civile. À titre d’exemple, des analyses d’images ont ainsi été fournies à l’occasion des inondations sur l’île de Madère en 2010.

La création du Centre répond à la volonté politique de l’Union européenne de doter l’Europe, à l’issue de la première guerre du Golfe en 1991, de son propre outil de renseignement. Il a été construit en Espagne sur d’anciens bâtiments américains, puis cette volonté politique a diminué et le Centre satellitaire a été affecté en 2002 à l’Union européenne.

Il ne s’agit pas, comme cela avait été souhaité à l’origine, d’un Centre de renseignement « complet », doté de ses propres satellites. Son souhait serait d’acquérir une autonomie dans le domaine de « l’outillage », mais jusqu’à présent il achète toutes les images satellitaires qu’il analyse ensuite, sur demande des États. C’est en effet un Centre d’imagerie, sans capteurs et sans satellites. Le budget annuel réservé à l’achat d’images est limité à 2 millions d’euros, ce qui n’est pas de trop compte tenu de sa dépendance vis-à-vis des services extérieurs d’approvisionnement. Les images achetées pour analyse peuvent être des images commerciales ou des images gouvernementales, provenant de systèmes comme Hélios ou Skymed.

En pratique, le Centre négocie pour acquérir ses images satellitaires au « meilleur prix ». Il est difficile pour lui d’obtenir des images des États venant du système Hélios, qu’il obtient « après la guerre », trop tardivement : le système Hélios 2 rassemble cinq États membres partenaires mais chaque fois il est nécessaire d’avoir l’accord des cinq pour utiliser des images… 80 à 90 % des images qu’il achète sont ainsi américaines. Le Centre souhaiterait privilégier l’achat d’images européennes mais ce n’est guère rentable. De plus les analystes ont besoin d’images qui soient les plus précises possibles. Depuis le lancement il y a quelques mois du satellite Pléiade, il existe certes un satellite européen qui serait susceptible de concurrencer les satellites américains quant à la précision de l’imagerie ; cependant il s’agit d’une source unique et parallèlement, la technologie américaine progresse de son côté extrêmement vite.

Ce nouveau risque du dépassement technologique ne pourrait guère être résolu, selon vos Rapporteurs, que grâce à un soutien européen accru à la recherche dans le domaine de l’imagerie satellitaire. Ce devrait être d’autant plus facilement envisageable que ce domaine est par essence à caractère dual, avec de nombreuses possibilités d’applications civiles.

Vos Rapporteurs estiment en effet regrettable cette quasi-obligation pour le Centre satellitaire d’être dépendant de l’achat d’images essentiellement américaines, alors que son budget est alimenté par les États membres de l’Union européenne et que par ailleurs il est, dans son fonctionnement, un symbole de coopération technologique européenne.

Ils pensent d’autre part que, sous réserve de consentir à l’augmentation de son budget bien entendu, il mériterait, compte tenu des compétences qui sont les siennes, d’être davantage utilisé par les États membres. L’Union européenne n’a en effet pas toujours été un très fidèle soutien pour le Centre, que Mme Catherine Ashton avait même songé à fermer. Elle semble avoir changé d’avis depuis l’affaire libyenne, où les analyses d’images fournies par le Centre se sont avérées d’une grande utilité.

Rappelons enfin que ces analyses n’ont pas uniquement vocation à être utilisées dans le cadre de conflits mais également pour la prévention des conflits, la protection des civils ou dans le cadre d’exercices d’entraînement. Ainsi le Centre a fourni, dans le cadre de l’exercice Multilayer 2012 précité (exercice de simulation d’une crise en Afrique) les analyses d’images demandées par l’Union européenne. Cet exercice a mis en évidence le potentiel du Centre satellitaire, dont les expertises permettaient de proposer des orientations en l’espace de deux jours.

QUATRIÈME PARTIE : LA COOPÉRATION STRUCTURÉE PERMANENTE (CSP), UN CADRE IDÉAL POUR UNE RELANCE DE L’EUROPE DE LA DÉFENSE, DANS LE PROLONGEMENT DES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2012

La mise à l’étude de CSP représente une innovation très importante, sans doute la plus ambitieuse du Traité de Lisbonne en matière de défense.

Pour vos Rapporteurs, la bonne lecture des dispositions du traité de Lisbonne est la suivante : la CSP est un réservoir de capacités nationales, mises à disposition par les États membres. Ces derniers conservent leur souveraineté sur ces capacités nationales : s’ils souhaitent qu’elles ne soient pas mises à disposition pour telle ou telle mission, elles ne doivent pas l’être. Mais sauf opposition étatique, l’Union européenne doit pouvoir puiser dans ce réservoir de capacités, pour les utiliser de façon flexible, en fonction des besoins de telle ou telle mission.

Cependant, le contexte historique dans lequel le Traité de l’Union européenne a été adopté, l’extrême sensibilité qui s’attache aux questions de défense, c’est-à-dire à la souveraineté des États, donnent aux dispositions rédactionnelles du Traité un caractère nécessairement général, qui autorise d’inévitables interprétations.

Cela n’a pas manqué d’être le cas et, s’agissant tout particulièrement de la Coopération Structurée Permanente, certains commentateurs ont fait en sorte d’entourer cette disposition majeure d’un halo de confusion difficilement pénétrable, qui donne à penser qu’elle n’est qu’une « usine à gaz » sans intérêt effectif.

C’est pourquoi l’analyse qui suit s’attache à montrer, sans préjugé, comment la mise en œuvre de la Coopération Structurée Permanente est de nature à répondre dans une mesure très significative à l’impérieux besoin de lancer une initiative politique résolue en matière de défense européenne, propre à déclencher un sursaut salutaire.

Seront donc examinées successivement les caractéristiques de la Coopération Structurée Permanente telles qu’elles résultent des textes, puis sa « valeur ajoutée » pour la défense européenne telle qu’elle résulte de leur exégèse.

I. LES TEXTES RELATIFS À LA CSP

Les articles 42 paragraphe 6 et 46 du TUE modifié offrent la possibilité de mettre en place une coopération structurée permanente entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (« Schengen de la défense »). La procédure est considérablement assouplie par rapport aux autres coopérations renforcées puisqu’elle n’est pas soumise à un nombre minimal de participants. L’adhésion d’un État membre à la CSP est autorisée par le Conseil à la majorité qualifiée, après consultation du Haut représentant. Afin de garantir l’efficacité opérationnelle de la coopération, les membres de ce « Schengen de la défense » peuvent, à la majorité qualifiée également, suspendre la participation des États qui ne remplissent plus les critères de capacités ou qui ne peuvent assumer les engagements qu’ils ont souscrits. Enfin et peut-être surtout, si un État participant souhaite pour une raison ou une autre quitter la CSP, il peut le faire sur simple notification de sa décision au Conseil, qui ne peut qu’en prendre acte…

Soulignons également que la règle de la majorité qualifiée ne concerne que l’adhésion à la CSP. Les États qui n’adhèrent pas à la CSP ne peuvent pas, ensuite, bloquer les décisions des États qui y adhèrent : la règle de la majorité qualifiée ne s’applique plus aux décisions prises dans le cadre de la CSP, qui bénéficie donc d’une autonomie de gestion.

Le noyau d’une Europe de la défense a été ainsi clairement, souplement et efficacement défini par le Traité de Lisbonne.

Le Protocole sur la coopération structurée permanente, annexé au TUE et qui a la même valeur juridique, détaille les modalités de fonctionnement de la CSP. Il précise notamment qu’elle est ouverte à tout État membre qui s’engage:

– à procéder plus intensivement au développement de ses capacités de défense, par le développement de ses contributions nationales et la participation, le cas échéant, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’Agence européenne de défense ;

– à avoir la capacité de fournir, soit à titre national, soit comme composante de groupes multinationaux de forces, des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, configurées sur le plan tactique comme un groupement tactique, avec les éléments de soutien, y compris le transport et la logistique, capables d’entreprendre, dans un délai de 5 à 30 jours, des missions visées à l’article 43 du TUE, en particulier pour répondre à des demandes de l’ONU et soutenables pour une période initiale de 30 jours, prorogeable jusqu’à au moins 120 jours.

Il n’y a donc clairement que ces deux obligations impératives pour entrer dans la CSP, même si par ailleurs, le Protocole précise également que les États membres participant à la CSP s’engagent :

– à coopérer en vue d’atteindre des objectifs concernant le niveau des dépenses d’investissement en matière d’équipements de défense, et à réexaminer régulièrement ces objectifs à la lumière de l’environnement de sécurité et des responsabilités internationales de l’Union ;

– à rapprocher, dans la mesure du possible, leurs outils de défense, notamment en harmonisant l’identification des besoins militaires, en mettant en commun et, le cas échéant, en spécialisant leurs moyens et capacités de défense, ainsi qu’en encourageant la coopération dans les domaines de la formation et de la logistique ;

– à prendre des mesures concrètes pour renforcer la disponibilité, l’interopérabilité, la flexibilité et la capacité de déploiement de leurs forces, notamment en identifiant des objectifs communs en matière de projection de forces ;

– à coopérer afin de s’assurer qu’ils prennent les mesures nécessaires pour combler, sans préjudice des engagements les concernant au sein de l’OTAN, les lacunes constatées dans le cadre du « Mécanisme de développement des capacités » ;

– à participer, le cas échéant, au développement de programmes communs ou européens d’équipements majeurs dans le cadre de l’Agence européenne de défense.

Comme le montre leur lecture, ces autres « engagements » des États souhaitant adhérer à la CSP relèvent plus de leur bonne volonté, de leur démarche responsable, que d’obligations conditionnant leur adhésion.

Le Protocole prévoit enfin que l’Agence européenne de défense contribue à l’évaluation régulière des contributions des États membres participants en matière de capacités et en fait rapport au moins une fois par an. Cette évaluation peut servir de base aux recommandations et aux décisions du Conseil.

II. L’EXÉGÈSE DES TEXTES RELATIFS À LA CSP

Pour bien comprendre les dispositions relatives à la CSP et les opportunités – hélas non saisies – qu’elle offre, il est nécessaire d’avoir une lecture croisée de ces textes, en particulier du Protocole additionnel qui rend réellement explicite l’objectif de souplesse recherché et proposé par les rédacteurs du TUE.

Rappelons qu’en vertu de l’article 42 paragraphe 6, « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union. » : ainsi, le Traité de Lisbonne, en instituant la CSP, peut donner l’impression d’engager les Européens à dépenser davantage pour leur défense alors qu’aujourd’hui ces derniers, compte tenu des restrictions budgétaires générales, auraient intérêt à dépenser mieux (ou moins) en mutualisant et en coordonnant leurs efforts. C’est la première des critiques portées à l’encontre de la CSP.

Pourtant, une approche politique et pragmatique des textes relatifs à la CSP permet de dépasser cette apparente contradiction. « Les engagements plus contraignants » évoqués à l’article 42 et «  le développement des contributions nationales et la participation, le cas échéant, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’AED … » évoqués dans le Protocole additionnel comme préalables à la participation à la CSP, ne doivent pas être confondus avec une obligation pour les pays candidats d’accroître leur budget national de défense.

Cette lecture est trop simplificatrice. Dépenser mieux n’est pas dépenser plus, et la formule « remplissent des critères plus élevés de capacités militaires » fait référence à l’aptitude à remplir des missions avec un outil opérationnel donné et non au montant que tel pays consacre à sa défense. Ainsi une armée de conscription, coûteuse mais non projetable, n’est pas apte à exécuter « les missions les plus exigeantes ». La lecture croisée des articles 42 et 46 du TUE et du Protocole additionnel conduit à comprendre que le critère d’entrée est, en fait, l’accroissement de l’effort consenti par les États membres pour le développement de leurs contributions nationales en faveur de la PSDC et non l’augmentation nette de leur budget de défense. Quel intérêt aurait en effet pour la CSP l’augmentation des budgets français ou britannique de la défense pour moderniser leur dissuasion nucléaire ou de tel autre État membre pour améliorer la condition de ses militaires ? Or, c’est pourtant ce que proposent implicitement ceux qui voudraient fonder sur un pourcentage de PIB consacré à la défense le « ticket d’entrée » dans la CSP.

Le seul référentiel acceptable et compatible avec l’esprit du Traité, pour fixer les critères d’adhésion à la CSP, est celui du niveau d’effort consenti par chaque État membre pour répondre aux exigences de la CSP. C’est un niveau d’effort qui doit être proportionné à ses moyens. Il n’est pas pertinent d’imposer un couplage entre l’effort capacitaire au bénéfice de la CSP et l’effort budgétaire consenti par chaque État membre pour sa défense.

L’interprétation des termes du Traité ne doit pas pour autant conduire à la construction d’une CSP « au rabais ». Au contraire, l’adhésion à la CSP doit être une démarche engageante, assortie pour chaque État membre d’un véritable effort sur la base d’un engagement contractuel.

Il en découle que les critères d’adhésion d’un État à la CSP doivent être la résultante d’un compromis entre l’effort qu’il est capable de consentir et sur lequel il s’engage, et le niveau d’exigence que l’Union européenne estime raisonnable de lui imposer afin de garantir la crédibilité de la CSP. C’est donc une démarche contractuelle, adaptée et engageante, qu’il convient de faire prévaloir sur toute autre perspective basée par exemple sur un pourcentage de dépenses militaires, rapporté au PIB. La CSP doit être capable de prendre en compte la diversité des situations des pays européens, afin d’éviter un phénomène d’exclusion fort peu compatible avec l’idée que l’on doit se faire d’une défense européenne.

La CSP invite chaque pays à se responsabiliser au regard d’un engagement européen collectif, à dépenser mieux en faveur de la PSDC, sans nécessairement dépenser plus. Les États européens ont depuis l’origine de l’Union européenne accepté et largement mis en œuvre une discipline communautaire dont les effets s’observent au quotidien. Un dispositif de sanctions vient parfois appuyer, si nécessaire, les rappels à l’observation de la règle commune et des engagements pris : toutefois, pas de sanctions prévues dans le cadre de la CSP, l’État ne respectant pas ses engagements risquant, au plus, de voir la suspension de sa participation décidée par les autres, s’il n’en décide pas de lui-même.

Une autre question qui revient dans le débat sur la CSP est la taille que celle-ci doit prendre. Doit-elle revêtir la forme d’un groupe restreint constitué des États dotés de la défense la mieux pourvue ou, à l’inverse, doit-elle être ouverte au plus grand nombre ? Le débat entre CSP « sélective » et CSP « inclusive » est politiquement désastreux et doit être évité à tout prix. Au demeurant on ne peut envisager de progrès dans la mise en œuvre de la CSP sans que soient surmontées les difficultés liées aux fortes disparités entre les pays de l’Union européenne, qu’il s’agisse de leurs moyens militaires ou de leurs capacités en matière de recherche et de production industrielle de défense, et de leurs budgets. Les dispositions du Protocole additionnel sur la CSP offrent heureusement la solution à cette problématique en différenciant clairement l’adhésion obligatoire à la compétence « génération de forces » et celle facultative à la compétence « programmes d’armement ».

La composante « génération de forces » implique (cf. article 1 du Protocole additionnel) « d’avoir la capacité de fournir (…) soit à titre national, soit comme composante de groupes multinationaux des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, configurées sur le plan tactique comme un groupement tactique, avec les éléments de soutien, y compris de transport et la logistique, capables d’entreprendre, dans un délai de 5 à 30 jours, des missions visées à l’article 43 du TUE en particulier pour répondre à des demandes de l’ONU, et soutenables pour une période initiale de 30 jours, prorogeable jusqu’à au moins 120 jours ». De nombreux pays européens sont à même de répondre à cette exigence. Il suffirait que soit individuellement, soit par regroupement comme savent le faire par exemple les Scandinaves, les États apportent une contribution dont l’unité de base serait le groupement tactique. Rien n’interdit évidemment dans le Traité aux pays à fort potentiel militaire de faire plus ou beaucoup plus s’ils le souhaitent.

Il convient de souligner, en outre, que cette « capacité à fournir » des unités de combat n’implique pas a priori que ces forces soient dédiées uniquement à la CSP.

La composante « programmes d’armement », quant à elle, n’a pas de caractère obligatoire, puisqu’elle repose sur « la participation, le cas échéant, (…) aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’agence européenne de défense (AED) dans le domaine du développement, des capacités de défense, de la recherche, de l’acquisition et de l’armement ».

Comment faire plus pragmatique ou plus souple ? Un pays peut donc, à l’extrême limite, s’engager dans la seule compétence « génération de forces » sans pour autant souscrire aux contraintes de la compétence « programmes d’armement ». Cette dernière est en fait une compétence de cooptation, puisque les pays détenteurs du savoir-faire, ainsi que l’AED, seront arbitres des coopérations qu’ils souhaitent entreprendre.

En différenciant la compétence « génération de forces » de la compétence « programmes d’armement », la CSP lève un obstacle majeur à la construction de l’Europe de la défense. Dès lors que tout pays de l’Union européenne peut, si sa candidature est agréée, adhérer à la compétence « génération de forces » et, de ce fait, devenir membre à part entière de la CSP, elle permet au plus grand nombre de pays européens d’adhérer. La CSP pourrait s’affirmer ainsi comme le « principe actif » de l’Europe de la défense, permettant à l’Union européenne de dépasser certains des obstacles majeurs qui l’entravent et de présenter une image renouvelée de cohésion, de cohérence, de crédibilité et de responsabilité sur la scène internationale.

Ce qui est novateur dans ce mécanisme de générations de forces, qui s’apparente à celui de l’OTAN, c’est l’interopérabilité européenne et le niveau de capacités opérationnelles que la CSP exigera de ces unités de combat. Au regard de la situation actuelle, cela représente un effort certain, mais indispensable. Cet effort particulier renvoie d’ailleurs très précisément au « développement des contributions nationales ». En effet le niveau de qualification opérationnelle, l’interopérabilité indispensable à des groupements tactiques destinés à la CSP, exigeront des États membres un effort financier réel, même s’il est contenu.

On pourra évidemment objecter que ce n’est pas avec un conglomérat de groupements tactiques, aussi performants soient-ils, que l’Union européenne sera en mesure de s’engager ou de peser militairement dans un conflit où qu’il soit.

Chacun sait bien que l’outil dont il faut doter à terme l’Union doit comporter la totalité des composantes indispensables : structures de commandement, moyens de communication, de renseignement, de logistique, mais aussi les composantes aériennes, maritimes et spatiales, etc. S’agissant des structures de commandement, pourquoi ne pas recourir à la structure déjà existante de l’État-major de l’Eurocorps, étoffée ou reconfigurée en tant que de besoin ? (notamment pour lui adjoindre une composante aérienne et navale, permettant la direction d’opérations variées, et non plus uniquement terrestres…)

La CSP ne fait par ailleurs obstacle ni à l’appartenance à l’OTAN des pays de l’Union européenne, ni au libre exercice de la souveraineté et des politiques nationales. Elle est également totalement compatible avec les coopérations bi ou multilatérales comme le stipule l’article 42 paragraphe 3 du TUE : « Les États membres qui constituent entre eux des forces multinationales peuvent aussi les mettre à la disposition de la politique de sécurité et de défense commune ».

Il importe également de souligner avec force que l’appartenance à la CSP n’a pas d’effet d’entraînement automatique d’un pays membre dans une opération décidée par l’Union européenne. L’article premier du Protocole sur la CSP est à cet égard particulièrement clair lorsqu’il prévoit la « participation, le cas échéant, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’Agence. Les États restent donc libres de décider ou non de leur participation. La CSP n’est pas une structure « va-t’en guerre ». Elle n’a pas vocation à interférer dans les processus de déclenchement ou de direction des opérations militaires ou civilo-militaires. Elle n’est en fait qu’une dynamique capacitaire collective offrant à l’Union européenne les moyens d’atteindre « les objectifs définis par le Conseil ».

La participation opérationnelle aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’Agence, présentée comme une opportunité offerte aux États membres de la CSP, a sa contrepartie qui est de ne pas contribuer au renforcement de la Base Industrielle et Technologique de Défense Européenne (BITD), de ne pas favoriser l’homogénéisation souhaitable du parc « européen » d’équipement militaire aussi rapidement qu’il le faudrait. Mais à contrario, cela préserve les contrats d’armement élaborés par les industriels européens de toute obligation de coopération multinationale dont on connaît les effets calamiteux lorsqu’elle réunit des « coopérants » dépourvus des compétences nécessaires.

Au total, on peut considérer objectivement que dans la situation de consolidation insuffisante où se trouvent les industries de défense européennes, la souplesse et le pragmatisme qui s’attachent à cette obligation optionnelle (compétence armement) favorisent la mise en œuvre de la CSP.

En outre, et sans caricaturer les desseins des rédacteurs du TUE, la CSP peut être vue comme un stimulant de la base industrielle et technologique de la défense européenne. Le Protocole additionnel est en effet consacré pour partie aux voies et moyens pouvant permettre aux États membres de combler leurs lacunes capacitaires. En consacrant le rôle central de l’AED, le Traité a posé le principe qu’il ne devrait pas y avoir de CSP sans AED, ni d’AED sans CSP. La CSP, parce qu’elle pourrait favoriser progressivement des habitudes nouvelles en matière de coopération sur les équipements, de standardisation, d’interopérabilité, pourrait être en fait le pourvoyeur de l’AED, et le serait d’autant mieux qu’elle pourrait exprimer auprès des entreprises européennes, via l’AED, les besoins des forces européennes. En effet, quelle alternative peut-on opposer à la CSP ? L’OTAN ? Les coopérations bilatérales ? La CSP, parce qu’elle est avant tout une dynamique capacitaire au service de l’Union européenne, offre avec l’AED les perspectives les moins incertaines pour assurer la pérennité de nos industries de défense, et contribuer à l’émergence du « marché à échelle européenne » évoqué dès 2007 par la Commission dans sa communication « stratégie pour une industrie européenne de défense plus forte et plus compétitive ».

La seule faiblesse de la CSP pourrait résider dans son financement, puisque cette question n’est pas explicitement évoquée dans les textes régissant la CSP, mais ne peut pas être ignorée, d’autant plus que le TUE rappelle fermement que le budget de l’Union européenne ne peut pas être sollicité pour « des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense » (article 41 paragraphe 2). Toutefois, le TUE ouvre la porte à un financement communautaire pour « les actions préparatoires » nécessaires à l’exécution des missions PSDC qui peuvent être financées par le budget de l’Union européenne. Dans l’hypothèse où le Conseil n’autoriserait pas le recours au budget communautaire pour financer ces actions préparatoires, il est prévu qu’un « fonds de lancement » constitué de contributions des États membres peut être sollicité, sur proposition du Haut représentant pour la politique étrangère et la politique de sécurité (article 41, paragraphe 3).

On ne peut manquer de regretter le caractère certes limitatif des circonstances dans lesquelles un financement communautaire peut être déclenché. C’est donc sur les États de l’Union que repose encore le financement des opérations auxquelles peut les appeler l’Union elle-même… Mais il faut noter l’inflexion des textes européens et le caractère aujourd’hui moins absolu des tabous pesant sur le financement des opérations militaires par l’Union européenne.

Ainsi, l’expression « activités préparatoires » peut supporter diverses acceptions. Selon que l’on s’en tient aux seules mesures à caractère logistique précédant le déclenchement d’une opération, ou que l’on prend en compte la réalisation ou l’acquisition d’équipements indispensables à l’exécution de la mission (équipements satellitaires, chaînes logistiques, équipements de combat etc.) il existe incontestablement des marges de manœuvre dans ce domaine ouvert par le TUE au financement communautaire. Les « activités préparatoires » peuvent par exemple être menées dans le cadre d’une coopération industrielle ou technologique préalable à une opération militaire ou civile. Dès lors, on pourrait poser le principe que les interventions du budget communautaire seraient prioritairement réservées aux besoins nés de telles activités préparatoires, menées dans le cadre de la Coopération Structurée Permanente, ce qui renforcerait très fortement l’attractivité de celle-ci pour les États membres.

Le rôle de la CSP dans le développement des capacités de l’Union en matière d’action extérieure peut permettre d’espérer, dans un certain nombre de secteurs, la mobilisation de ressources communautaires de nature publique (budget général de l’Union européenne) et privée (Banque européenne d’investissement (BEI), etc…). Le secteur humanitaire et civilo-militaire nécessite des moyens de communication, de transport aérien ou d’hélitransport, de logistique de théâtre d’opération, qui font aujourd’hui défaut. Ne peut-on imaginer que le budget communautaire participe à la réalisation des équipements indispensables à l’efficacité de l’action décidée par l’Union européenne elle-même ? De même le « plan de développement des capacités », élaboré conjointement par l’État-major de l’Union européenne et l’AED conformément aux dispositions de l’article 42 paragraphe 3 du TUE sur « la définition d’une politique européenne des capacités et de l’armement » a mis en évidence des lacunes capacitaires dans les secteurs où la dualité civilo-militaire n’est pas contestable : communication, surveillance d’espaces maritimes, transport logistique, moyens sanitaires, etc. La dualité de certains équipements pourrait également faciliter l’intervention de ressources publiques communautaires. Une telle perspective n’est toutefois crédible que si la CSP présente un caractère assez largement inclusif.

Enfin, il convient également d’évoquer les possibilités d’intervention des fonds du programme civil de recherche et de développement (PCRD) dans ces projets à forte dualité civilo-militaire.

Certes, comme l’a fait remarquer justement Mme Claude-France Arnould, Directrice de l’AED, lors du Conseil des ministres de la Défense du 22 mars 2012, les chiffres sont « inquiétants sur la baisse des budgets, particulièrement en matière de recherche et de technologie, et encore plus pour les projets menés en coopération ». Il est donc « urgent de trouver des réponses et de limiter les conséquences des baisses de budget » et surtout « de trouver des synergies avec la Commission européenne ».

Face à cette situation, en clair, il s’agit aujourd’hui d’éviter les doublons, et de voir si certains projets intéressant à la fois la sécurité (projets civils) et la défense (projets militaires) ne pourraient pas être financés sur les budgets de recherche de la Commission européenne, notamment dans le cadre du prochain cadre financier pluri-annuel (2014-2010).

Toutes les technologies nouvelles ou presque étant nées dans le domaine militaire, il serait en effet paradoxal que les restrictions de financement communautaire prévues par l’article 41 paragraphe 2 du TUE continuent à leur être appliquées. Il conviendrait de développer la recherche sur certaines technologies-clés dans le domaine de la défense, appelées à s’étendre aussi dans le champ civil, pour obtenir ainsi un soutien budgétaire pour certains marchés de défense, sans quoi c’est toute notre compétitivité technologique qui risque de s’effondrer dans les dix ou vingt ans à venir…

*

Selon vos rapporteurs, la mise en place de la CSP5 ne dépend pas, en tout état de cause, d’obstacles financiers, mais bien d’une volonté politique. C’est un cadre à la fois souple et engageant, propre à mobiliser les États de l’Union européenne et à leur ouvrir la voie d’une approche collective, mais pragmatique et réaliste, de leur défense. Certains États ont d’ailleurs manifesté clairement leur intérêt pour la CSP (notamment la Belgique, la Hongrie, la Pologne). Dans le rapport Danjean d’octobre 2012 sur la mise en place de la PSDC, la SEDE (sous-commission « Sécurité et Défense » du Parlement européen) recommande elle-même avec insistance l’utilisation des outils prévus par le Traité de Lisbonne en matière de défense, notamment la Coopération structurée permanente. Le Parlement, en adoptant lors de sa séance plénière à Strasbourg le 22 novembre 2012 le rapport Danjean a dressé le même constat : les instruments européens qui sont mis à disposition des États membres et des institutions européennes ne sont pas suffisamment utilisés, alors que simultanément l’Union européenne doit faire face à une baisse significative des capacités d’action de ses États membres, du fait, entre autres, des coupes opérées dans les budgets nationaux de défense.

Les conditions de constitution de la CSP étant au fond assez faciles à remplir, le plus important serait de permettre au processus de démarrer. Une fois que les États membres commenceront une coopération structurée, ils seront pris dans un « engrenage vertueux ».

L’Europe a donc entre les mains l’instrument de relance de sa politique de défense. Elle peut décider de l’utiliser à tout moment. Le voudra-t-elle ?

*

III. LES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2012 EN VUE DE SA RÉUNION DE DÉCEMBRE 2013

Politique de sécurité et de défense commune

Points 20 à 25

20. Le Conseil européen rappelle ses conclusions de décembre 2008 et note que, dans un monde en mutation, l'Union européenne est appelée à assumer des responsabilités accrues en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, afin de garantir la sécurité de ses citoyens et la promotion de ses intérêts.

21. À cet égard, le Conseil européen reste déterminé à renforcer l'efficacité de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en tant que contribution concrète de l'UE à la gestion de crises internationales. L'UE joue un rôle important dans son voisinage et dans le monde. Le Conseil européen rappelle que les missions et opérations relevant de la PSDC constituent un élément essentiel de l'approche globale de l'UE à l'égard de régions de crise, telles que les Balkans occidentaux, la Corne de l'Afrique, le Proche-Orient, le Sahel, l'Afghanistan et le Caucase du Sud, et il demeure résolu à améliorer leur efficacité sur le plan opérationnel. Il rappelle aussi que les missions et opérations relevant de la PSDC devraient être menées en étroite coopération avec d'autres acteurs internationaux concernés, tels que les Nations unies, l'OTAN, l'OSCE et l'Union africaine, ainsi que des pays partenaires, en fonction des besoins propres à chaque situation. Le renforcement de la coopération avec les partenaires intéressés dans le voisinage de l'Europe revêt une importance particulière à cet égard.

22. Pour que les responsabilités en matière de sécurité puissent être assumées, le Conseil européen insiste sur le fait que les États membres de TUE doivent être prêts à fournir des capacités tournées vers l'avenir, à la fois dans le domaine civil et dans le domaine de la défense. Le Conseil européen souligne que les contraintes financières actuelles mettent en évidence la nécessité urgente de renforcer la coopération européenne afin de développer les capacités militaires et de combler les lacunes critiques, y compris celles recensées lors d'opérations récentes. Il met aussi l'accent sur les avantages qu'une telle coopération peut avoir pour l'emploi, la croissance, l'innovation et la compétitivité industrielle dans l'Union européenne.

23. Le Conseil européen invite la Haute Représentante, notamment au travers du Service européen pour l'action extérieure et de l'Agence européenne de défense, ainsi que la Commission, agissant tous dans le cadre de leurs compétences respectives et coopérant étroitement le cas échéant, à élaborer de nouvelles propositions et actions visant à renforcer la PSDC et à améliorer la disponibilité des capacités civiles et militaires requises, et à faire rapport, au plus tard en septembre 2013, dans la perspective du Conseil européen de décembre 2013, sur les initiatives prises en la matière. Les États membres seront étroitement associés aux travaux tout au long de ce processus.

24. À cette fin, le Conseil européen insiste notamment sur les questions suivantes :

Augmenter l'efficacité, la visibilité et l'impact de la PSDC

- en poursuivant le développement d'une approche globale en matière de prévention des conflits, de gestion des crises et de stabilisation, y compris par un renforcement de la capacité à répondre à de nouveaux défis en matière de sécurité ;

- en renforçant la capacité de l'UE à déployer de manière rapide et efficace les capacités et le personnel civils et militaires appropriés, et ce dans tout l'éventail des actions en matière de gestion des crises.

Renforcer le développement des capacités en matière de défense

- en recensant les doubles emplois actuels et les lacunes en matière de capacités, et en établissant un ordre de priorité pour les besoins futurs dans le domaine des capacités civiles et militaires européennes ;

- en facilitant une coopération européenne plus systématique et à long terme en matière de défense, y compris par le recours à la mutualisation et au partage des capacités militaires ; et, à cet égard, en envisageant de manière systématique une coopération en amont dans le cadre de la planification effectuée par les États membres en matière de défense nationale ;

- en facilitant les synergies entre les initiatives sur le plan bilatéral, sous-régional, européen et multilatéral, y compris l'initiative de l'UE portant sur la mutualisation et le partage et celle de l'OTAN portant sur la défense intelligente.

Renforcer l'industrie européenne de la défense

- en développant une base industrielle et technologique de défense européenne qui soit plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive ;

- en créant des synergies accrues entre les aspects civils et militaires de la recherche et du développement ; en œuvrant, notamment par la mise en œuvre effective des directives relatives aux marchés publics et aux transferts intracommunautaires, au bon fonctionnement d'un marché de la défense, ouvert aux PME et bénéficiant de leurs contributions.

25. Le Conseil européen fera le point, en décembre 2013, des progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs, évaluera la situation et, sur la base de recommandations de son président, fournira des orientations, notamment par la fixation de priorités et d'échéances, en vue d'assurer l'efficacité des efforts que déploie l’Union européenne pour permettre à l'Europe de s'acquitter de ses responsabilités en matière de sécurité.

Vos Rapporteurs, dans la proposition de résolution européenne qu’ils ont élaborée, ont souhaité s’inscrire au plus près des axes de réflexion proposés dans lesdites conclusions, qui font l’objet du point 24.

A la question : « S’il y avait, selon vous, une proposition à faire au Conseil européen de décembre 2013 en vue de relancer l’Europe de la défense, quelle serait-elle ? » vos Rapporteurs n’ont reçu qu’une seule réponse partagée par la plupart de leurs interlocuteurs européens. Elle est cependant d’importance. Quasiment tous se rejoignent dans une préoccupation commune : « Quels peuvent-être aujourd’hui nos objectifs communs, sur quelles priorités stratégiques l’Europe serait-elle prête à s’accorder ? » Et l’idée de la définition d’une nouvelle Stratégie européenne de sécurité a été plus d’une fois évoquée lors des auditions…

La reprise du sujet par le Conseil européen de décembre 2013 semble s’imposer. Il avait adopté il y a exactement dix ans, lors de sa réunion des 12 et 13 décembre 2003 à Bruxelles, la précédente Stratégie européenne de sécurité et l’avait complétée par une annexe en décembre 2008, mais depuis cette date il n’a plus abordé la question. Il y a dix ans, l’accent avait été notamment mis sur la nécessité de renforcer la sécurité dans le voisinage de l’Union et sur l’objectif d’un partenariat efficace et équilibré avec les États-Unis. Il y a cinq ans, l’annexe de décembre 2008 sur les capacités fixait des objectifs chiffrés et précis ambitieux pour que, dans les années à venir, l’Union européenne soit en mesure de mener à bien simultanément, en dehors de son territoire, une série de missions civiles et d’opérations militaires d’envergures différentes dont : le déploiement de 60 000 hommes en 60 jours pour une opération majeure, deux opérations importantes de stabilisation, deux opérations de réponse rapide utilisant notamment les groupements tactiques... Les évolutions et événements intervenus depuis ces deux dates ont montré les limites des objectifs et ambitions précédemment définis.

Les profonds bouleversements géostratégiques de 2012 et la redéfinition orientale des priorités américaines se conjuguent aujourd’hui aux difficultés financières et budgétaires internes. Pour la France, même si, avec 31,4 milliards d’euros pour 2013, la Défense reste un des postes les plus importants du budget de l’État, il a été réduit de moitié en trente ans, passant de 3 à 1,5 % du PIB. Par rapport aux prévisions de la loi de programmation militaire 2009-2014, les restrictions sont même supérieures à celles qui avaient été prévues ; espérons que la future loi de programmation militaire n’imposera pas des coupes budgétaires telles qu’elles remettraient en cause nos options stratégiques et la capacité de nos armées à remplir leurs missions, car tel est bien le risque, même si des économies peuvent être espérées grâce au « Pooling and Sharing » : encore faut-il qu’il reste quelque chose à mutualiser et partager.

Les autres pays européens sont dans le même cas : de fait, la défense n’y est pas, non plus, une priorité budgétaire – et sauf exception ils sont maintenant bien en-dessous de la norme de 2 % du PIB minimum recommandée par l’OTAN. Globalement, l’Europe ne consacre plus que 1,6 % de son PIB à la défense. Parallèlement, on assiste à un réarmement massif des autres continents : en dix ans les dépenses militaires ont augmenté de 198 % en Chine, de 82 % en Russie, de 81 % aux États-Unis (où le budget de la défense représente aujourd’hui 5 % du PIB), de 55 % en Inde. « Pour la protection de notre prospérité et de notre sécurité, il serait désastreux de réduire davantage le budget de la défense. Nous avons déjà dépassé les limites de l’acceptable » a averti le lieutenant-général Ton van Osch, Chef d’état-major de l’Union européenne, lors d’une discussion sur le futur de la défense européenne, au Parlement européen le 26 févier 2013. Il a, à cette occasion, précisé qu’il n’était pas à la recherche d’une armée européenne conjointe « utopique » mais simplement de capacités suffisantes pour les opérations européennes, et que parfois il est nécessaire de collaborer avec d’autres États pour obtenir les capacités nécessaires.

Le développement capacitaire européen n’a d’ailleurs jamais atteint les objectifs visés. Le développement de capacités liées à la projection n’est réellement utile que si celles-ci peuvent in fine être déployées sur le terrain. L’exemple des groupements tactiques est à ce titre particulièrement révélateur, puisque, mis en place dès 2007, ils n'ont jamais été utilisés pour les fins auxquels ils ont été conçus. La mise en disponibilité des capacités devrait donc être un des enjeux majeur et fondamental de tout approfondissement de la coopération. L'idée est de trouver des modes de participations dans lesquels, au-delà des économies réalisées, des partages de visions stratégiques peuvent s'opérer. À ce titre, l'exemple du centre de commande de transport aérien (l’EATC) ou la mise en place future d'une flotte multinationale d’A400M permettent de répondre à des lacunes capacitaires de manière transversale. En partageant, voire en acquérant ensemble le même matériel, des collaborations efficaces peuvent se réaliser, de la formation à la maintenance en passant par une disponibilité accrue de capacités multi nationalisées.

La CSP, si l’on parvient à la mettre en place, devra se baser sur un projet stratégique concret et partagé, fondé sur cette Stratégie européenne de sécurité qui reste à définir. Cette vision stratégique commune ne doit cependant pas handicaper la poursuite de la Politique de Sécurité et de Défense Commune mais seulement lui permettre de se doter des moyens qui lui manquent cruellement aujourd'hui. Car une fois les objectifs communs définis, les moyens permettant de les atteindre pourront l’être eux-aussi plus facilement…

En particulier, parallèlement à la coopération militaire qui permet de réduire la fragmentation de la demande, il ne pourra y avoir de capacités de défense crédibles et pérennes sans le soutien d'une base industrielle et technologique de défense européenne efficace. Les technologies militaires pourraient bénéficier plus largement des nombreux financements accordés à la recherche civile dans un nombre important de domaines.

Il n’en demeure pas moins que sur le plan industriel, le récent échec de la fusion entre EADS et BAE témoigne, s'il le fallait encore, des difficultés à aboutir à une vision industrielle commune à l'échelle de l’Union européenne. En ces temps de crises, les résistances nationales à des restructurations conséquentes ne peuvent se transformer qu'en déclin de compétitivité face à un marché domestique de plus en plus déclinant et à une concurrence internationale accrue. Le développement de centres d'excellence dans le domaine des équipements de défense, censé participer au mouvement plus général de restructuration des industries européennes, peine également à se mettre en place. Enfin, le soutien aux petites et moyennes entreprises dans leurs pénétrations des marchés européens devrait également être amélioré afin de soutenir l'effort d'innovation dont elles sont garantes. Ceci requiert une adhésion pleine et entière des États membres aux tentatives d'instaurer un marché de la défense harmonisé et libéré davantage de ses entraves réglementaires incapacitantes.

Lors du Sommet du 6 mars 2013 à Varsovie visant à préparer le Conseil européen de décembre 2013, qui a réuni les représentants des États du Groupe Weimar (Allemagne, France, Pologne) et ceux du Groupe de Visegrád (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie), la Chancelière Angela Merkel, le Président François Hollande et leurs homologues des quatre États d’Europe centrale ont déclaré voir dans la crise économique actuelle une raison de plus pour relancer l’Europe de la défense. « À l’heure de la crise financière globale persistante et de son impact négatif sur les budgets de défense, nous devrions nous concentrer sur un renforcement de la coopération multinationale de défense » ont déclaré les ministres de la Défense des six pays, en prélude à ce Sommet inédit. Ils ont souligné que l’Europe doit permettre de mutualiser et de coordonner l’effort de défense européen, y compris en matière industrielle. Mais au-delà, ont-ils encore déclaré « l’OTAN et l’Union européenne devraient coopérer de près, de manière à ce que leurs initiatives se complètent et se renforcent mutuellement (…) sans doubler inutilement leurs efforts ».Vos Rapporteurs sont effectivement convaincus que si l’Europe de la défense doit pouvoir prendre son essor en dehors du cadre de l’OTAN, elle doit également le faire en coopération avec l’OTAN. En aucun cas il ne s’agit d’opposer les deux instances.

« Il est évident aujourd’hui que personne ne peut tout faire tout seul, mais que nous voulons prendre ensemble la responsabilité de notre sécurité européenne », a déclaré, lors de ce Sommet, Angela Merkel, soulignant la nécessité de « renforcer » la coopération sur l’Europe de la Défense. « Je ne peux que soutenir » la déclaration des ministres de la Défense, a-t-elle affirmé. Et le Président François Hollande de plaider en écho : « Si les budgets militaires diminuent, les menaces, elles, augmentent. Il faut donc de la solidarité, de la mutualisation, une stratégie ».

Comme l’a souligné le Général Jean-Paul Perruche, auditionné par vos Rapporteurs en sa qualité de Président du groupe de réflexion EuroDéfense-France et d’ancien Directeur général de l’État-major de l’Union européenne, jusqu’ici l'Europe de la Défense n'est pas l'expression d'une politique de sécurité et de défense de l'Union européenne mais le tronc commun des politiques de défense nationales de ses pays membres. Il est pourtant clair que l'addition de 27 politiques de sécurité hétérogènes et parfois divergentes ne saurait répondre au besoin de défense de l'Union européenne et de l'enjeu qu'elle représente : un territoire de 4 millions de km2, peuplé de 500 millions d'habitants et produisant 25 % du PIB mondial. Aucune politique nationale ne prend en compte un tel enjeu. Il manque à la PSDC actuelle un regard d'ensemble sur le besoin de défense de notre continent en tant qu'entité politique. Il est paradoxal de constater que seuls les États-Unis ont une vision globale de la sécurité de notre continent. Il ne s'agit pas à ce stade de vouloir substituer une approche européenne aux actuelles approches nationales mais plutôt de l'y ajouter. Sans une approche globale européenne, pas de stratégie européenne de défense !

Mais il ne peut pas y avoir de défense européenne sans une identité européenne qui elle-même ne peut exister sans que nos concitoyens se la soient appropriée. L’idée d’un Livre blanc européen de la Défense a été plusieurs fois évoquée (il y a à l’heure actuelle plus de vingt Livres blancs – ou équivalents – nationaux). Ce serait une bonne idée que de consentir cet effort de synthèse, à condition d’y faire figurer des objectifs suffisamment précis pour que viennent s’y agréger des programmes de coopération concrets. Une vision européenne globale du besoin de défense s'impose donc pour y parvenir. Elle consisterait à penser la défense européenne non comme l'intersection des 27 défenses nationales, mais comme leur matrice. Au lieu de partir d'expressions de besoins nationaux pour voir ensuite ce qui est « mutualisable » au niveau européen, il s'agirait simultanément d'exprimer un besoin global européen et de le comparer à celui résultant de l'addition des besoins nationaux. Un processus de rationalisation devrait ensuite conduire à une plus grande cohérence d'ensemble du dispositif européen, à une meilleure efficacité stratégique de la mutualisation et du partage (Pooling and Sharing), et à une meilleure compréhension des enjeux globaux de défense par les citoyens ; les Baltes percevraient mieux l'incidence pour eux des problèmes de sécurité de la Méditerranée et les Latins, la problématique du voisinage des pays de l'Est avec la Russie… Telle devrait être l’approche privilégiée par la future Stratégie européenne de sécurité.

L’année 2013 semble être l’année de tous les défis pour l’Europe de la défense. Il s’agit de ne pas laisser passer cette fenêtre d'opportunité que représente la mise à l'agenda du Conseil européen d'enjeux majeurs pour les intérêts stratégiques et économiques de l'Union européenne. Car au-delà des considérations internes et de compétitivité technologique et industrielle, la PSDC demeure un élément essentiel dans la pluralité des politiques qui permettront à l'Union européenne de maintenir sa place demain et de mieux défendre sa vision et son rôle sur la scène internationale à l'avenir.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 9 avril 2013, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

« M. Jacques Myard. Vous me rappelez cette phrase d’Élisabeth Ière d’Angleterre : « salut aux chercheurs d’aventures » ! La PESC est quasiment morte née et je ne pense pas que cela puisse se développer. Il faut sortir du cadre de l’Union européenne, où il n’existe pas de solution, en matière de propriété intellectuelle notamment. De plus, vous semblez oublier que, du point de vue juridique, c’est l’OTAN qui est le cadre en matière de défense.

Je suis d’accord pour dire que nous avons une chance, dans la mesure où les Américains ne peuvent pas tout faire. Néanmoins, la volonté manque du côté de nos partenaires européens. De plus, les moyens budgétaires sont insuffisants ; d’aucuns disent que si l’on veut enterrer un projet, il suffit de le placer au niveau européen… Pour que cela fonctionne et que des synergies puissent se créer, il faut des coopérations bilatérales, avec un pilote dans l’avion !

Par ailleurs, la Cour des comptes a dit qu’il fallait dissoudre la brigade franco-allemande. Je maintiens que pour avancer dans le domaine de la défense, il faut sortir de l’Union européenne.

Le point 21 est dangereux : conditionner l’ouverture des marchés à l’exigence de réciprocité signifie que ce sont les prix qui vont l’emporter. Il ne faut plaider que pour un seul objectif, celui de la préférence communautaire ; mais si la concurrence des prix est totale, ce sont les États-Unis qui emporteront tous les marchés.

Le dernier point doit être particulièrement mis en avant, car certains pays poursuivent effectivement un effort de défense en Europe, notamment la France et le Royaume-Uni.

Je m’abstiendrai sur ce texte.

M. Pierre Lequiller. Ma conclusion sera différente de celle de Jacques Myard. Je partage l’avis des rapporteurs sur la nécessité de faire avancer l’Europe de la défense, et je regrette que tel n’ait pas été le cas ces derniers temps.

Je voterai cette résolution car elle donne une direction. Les instruments sont là. Le problème, c’est la volonté politique.

Notre entrée dans l’OTAN a été une bonne chose, utile. Il n’y a pas de politique communautaire s’agissant de la Syrie, seulement une coopération franco-britannique. Cela est inquiétant : on n’avance pas en matière d’industrie de la défense, même s’il existe des programmes qui aboutissent.

La « coopération structurée », dont on parle depuis le traité de Lisbonne, n’est toujours pas définie. On n’a pas dit quels sont les pays « qui le peuvent et qui le veulent », pour reprendre une expression de jacques Delors. Il est temps de le faire. Il faut que la volonté politique s’exprime. À cet égard, le fonctionnement de Mme Ashton sur les questions de défense m’inquiète, dans la mesure où les différents scénarii possibles ne sont pas anticipés et préparés.

Alors que le budget diminue, il faut faire un effort de coopération en matière industrielle. Je souhaite que le budget de la France ne diminue pas trop sensiblement.

S’agissant du dernier point évoqué par le Rapporteur, la coopération industrielle est un préalable à l’Europe de la défense.

Mme Seybah Dagoma. Je partage l’avis de Jacques Myard s’agissant des réserves qu’il a émises sur le principe de réciprocité tel qu’il est évoqué aux points 20 et 21 de la proposition de résolution.

Si je suis favorable à la réciprocité s’agissant des marchés publics, la directive qui a été adoptée en est seulement à ses prémisses. Je pense par exemple, qu’il faut exclure l’industrie de la défense de l’accord transatlantique entre les États-Unis et l’Union européenne.

De plus, la libéralisation des marchés de sécurité et de défense irait à l’encontre des objectifs mêmes de la directive que nous avons adoptée, à savoir conserver notre capacité stratégique vis-à-vis des pays tiers.

En l’état du texte, je m’abstiendrai sur la proposition de résolution

La Présidente Danielle Auroi. Je suis favorable à cette proposition de résolution, dans la mesure où vous avez souligné que la situation a changé : du point de vue de la défense, les États-Unis sont désormais davantage orientés vers le Pacifique que vers l’Atlantique.

Vous avez, de plus, bien intégré la logique de la réflexion sur la prévention des conflits.

Enfin, le dernier point de la proposition de résolution, qui « propose qu’une part des crédits affectés par certains États à la sécurité de l’Europe ne soit pas prise en compte dans le calcul des déficits budgétaires des États plafonnés à 3 % », me paraît être une bonne chose. Cette proposition est très fondée, je voterai le texte.

M. Joaquim Pueyo. Nous avons surtout insisté sur les innovations du traité de Lisbonne, en particulier bien sûr la coopération permanente structurée. Cela ne signifie pas pour autant, évidemment, que nous ignorons les autres dispositions traditionnelles des traités sur l’articulation avec l’Alliance atlantique.

La brigade franco-allemande, quant à elle, a une portée historique et symbolique d’une toute autre ampleur que les petites préoccupations comptables. Mais il demeure vrai qu’elle pourrait sans doute être plus utilement encore employée.

M. Pierre Lequiller a plus que raison : il est désormais temps d’agir avec force vers une défense commune, et c’est bien pourquoi nous proposons des avancées concrètes et précises. Pour réussir, il nous faudra être pragmatique. C’est d’autant plus vrai en matière de coopération industrielle, comme le montrent les succès réels engrangés jusqu’ici, qu’il s’agisse des A330 MRTT, de l’A400M ou des missiles…

Enfin, notre proposition de résolution rappelle avec ambition l’importance du principe de réciprocité. Il ne faut pas oublier, en effet, que s’il convient de protéger nos marchés des concurrents déloyaux, nous devons aussi prendre en compte la nécessité d’exporter. Sans doute notre formulation est-elle perfectible, mais je crois que son esprit est partagé par tous ici.

M. Yves Fromion. Je confirme que pour les échanges extra-communautaires nous cherchons à promouvoir le principe de réciprocité. Par ailleurs, nous parlons, ce qui représente une innovation considérable – convenons-en – si l’on se replace quelques années en arrière, de préférence communautaire.

Pour le reste, je partage pleinement les remarques exposées par mon co-rapporteur : l’industrie est l’indispensable avant-garde de l’Europe de la défense et la coopération structurée permanente ne fonctionnera que si elle est réaliste, et empreinte de souplesse et de pragmatisme, compte-tenu de l’extrême hétérogénéité des situations militaires des États membres.

S’agissant enfin du Service européen d’action extérieure, je pense qu’il importe de rompre avec le dénigrement systématique en soulignant qu’il se met petit à petit en place et que sa montée en puissance sera très vite un grand atout pour la politique étrangère commune.

M. Philippe Armand Martin. Concernant précisément l’hétérogénéité des contributions et des forces des États, pourriez-vous nous donner quelques précisions sur la nature des engagements fournis par la France à Bruxelles, s’agissant notamment du COPS ?

M. Yves Fromion. Ces données sont publiques et aisément accessibles. Nous vous les transmettrons très rapidement par écrit.

La Commission a adopté la proposition de résolution, dont le texte figure ci-après, à l’unanimité, moins deux abstentions.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur l’Union européenne et notamment son titre V relatif aux dispositions générales relatives à l’action extérieure de l’Union et aux dispositions spécifiques concernant la politique étrangère et de sécurité commune ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment sa cinquième partie relative à l’action extérieure de l’Union ;

Vu le protocole sur la coopération structurée permanente annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 relatives à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ;

Considérant qu’il est de la responsabilité de l’Union européenne d’assurer la mise en œuvre des dispositions des traités précités, telles que modifiées par le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 ;

Considérant que certaines de ces dispositions, notamment celles relatives à la coopération structurée permanente, n’ont pas encore été mises en œuvre ;

Rappelant que le Conseil européen, dans la perspective de sa réunion de décembre 2013, a invité la Haute Représentante et la Commission à élaborer de nouvelles propositions et actions visant à renforcer la PSDC et à lui faire rapport au plus tard en septembre 2013 sur les initiatives prises en la matière ;

Rappelant qu’il a également indiqué dans ses conclusions des 13 et 14 décembre 2012 que les États membres seront étroitement associés aux travaux tout au long de ce processus ;

Prenant acte qu’il insiste notamment sur trois objectifs :

• Augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC ;

• Renforcer le développement des capacités en matière de défense ;

• Renforcer l’industrie européenne de la défense.

Et souhaitant s’inscrire au plus près des axes de réflexion proposés dans lesdites conclusions, formule les propositions et observations suivantes :

I.– En vue d’augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC :

1) Estime nécessaire une mise en œuvre plus complète et volontariste des dispositions figurant au Traité de Lisbonne (TUE) concernant la PSDC.

2) Invite le Conseil européen de décembre 2013 à une révision de la Stratégie européenne de sécurité définie en 2003 et adaptée en 2008, afin de recenser les nouveaux défis et menaces auxquels l’Union européenne entend répondre et les objectifs stratégiques qu’elle entend privilégier.

3) Suggère que ces travaux de recensement des objectifs prioritaires de l’Union européenne servent de base à un futur Livre blanc sur la sécurité et la défense européenne.

4) Souhaite que soit favorisée l’émergence de la Coopération structurée permanente (CSP) prévue à l’article 42 § 6 du TUE et au Protocole additionnel sur la CSP, et invite en conséquence la Commission et le Conseil européen de décembre 2013 à en étudier la possibilité.

5) Souligne que la CSP offrirait un réservoir de capacités nationales dans lesquelles l’Union européenne pourrait puiser avec l’accord des États ainsi que, sans préalable contraignant, un cadre propice au développement d’initiatives concertées et concrètes en matière d’interopérabilité et d’adaptation des capacités à des engagements spécifiques dans les domaines civils et militaires.

6) Souligne que la CSP devrait permettre d’accueillir, dans des conditions de souplesse, d’adaptabilité et de pragmatisme, des initiatives éparses de coopération, telles que l’Eurocorps, la Brigade franco-allemande, les Groupements tactiques, Euromarfor, l’EATC, etc, dont certaines sont peu concluantes pour la PSDC.

7) Estime que l’Union européenne et les États membres de la CSP devraient pouvoir s’appuyer, d’une part, sur un organisme de planification, à créer sur la base du réemploi de compétences dispersées ou en déshérence, et, d’autre part, sur l’Eurocorps, outil de conduite des opérations existant mais non utilisé par l’Union européenne.

8) Estime que l’Union européenne, si elle agréait la création de la CSP, ne pourrait s’exonérer de la soutenir ; que dès lors devrait être utilisée la possibilité d’accès au budget de l’Union européenne pour le financement d’ « activités préparatoires » prévu, après consultation du Parlement européen, par l’article 41-3 du TUE, pour des missions visées aux articles 42-1 et 43 ; que cette procédure pourrait être utilisée également pour financer l’acquisition de capacités indispensables à la préparation d’engagements civilo-militaires de l’Union européenne : capacités de renseignement, satellitaire notamment, de transmissions, de transport logistique ou tactique ou acquisitions d’équipements spécifiques, etc.

9) Suggère que le mécanisme de financement Athena soit amplifié pour se révéler plus efficace et surtout plus équitable pour les États missionnés par l’Union européenne.

10) Se déclare favorable au développement d’une approche globale en matière de prévention des conflits, de gestion des crises et de stabilisation, et déplore à cet égard le manque de moyens et l’insuffisant formatage de la plupart des missions civiles lancées au titre de la PSDC.

11) Observe que la multiplication des structures dédiées à la PSDC est de nature à nuire à sa lisibilité et à son efficacité, et appelle à leur clarification et à leur rationalisation.

II.– En vue de renforcer le développement des capacités en matière de défense :

12) Souligne que l’Union européenne est dépourvue de capacités propres en matière de défense mais également de l’aptitude à s’en doter, et devrait en conséquence progresser dans deux directions, étant observé que la CSP offrirait un moyen cohérent d’y parvenir : d’une part, l’évolution des dispositions institutionnelles de l’Union européenne afin qu’elle puisse acquérir en propre des capacités en rapport avec ses objectifs stratégiques ; d’autre part, dans l’attente d’une réforme institutionnelle souhaitable, la recherche de procédures favorisant le développement de capacités nationales susceptibles d’être engagées sous la « bannière » de l’Union européenne, grâce à un soutien communautaire.

13) Souhaite que le recensement des doubles emplois et des lacunes et l’établissement d’un ordre de priorité des besoins futurs dans le domaine des capacités civiles et militaires européennes puissent être conduits rapidement, sous l’égide de l’Agence européenne de défense (AED).

14) Propose que la dualité civilo-militaire de nombreux projets de recherche soit reconnue au niveau de l’Union européenne et que le PCRD puisse être sollicité plus largement et plus systématiquement pour le financement de la recherche-développement duale.

15) Propose que le financement des activités préparatoires prévu par l’article 41-3 puisse s’appliquer au renforcement des capacités nationales susceptibles d’être mises en œuvre au profit de l’Union européenne, à l’acquisition progressive par l’Union européenne d’équipements patrimoniaux dans des domaines tels que le renseignement militaire ou les transmissions par exemple.

III.– En vue de renforcer l’industrie européenne de la défense :

16) Observe que la base industrielle de technologie et de défense (BITD) européenne souffre de handicaps structurels qui la rendent de plus en plus vulnérable à l’évolution du marché mondial, et suggère en conséquence d’accélérer la consolidation des entreprises, selon une démarche concertée permettant prioritairement de préserver les capacités indispensables à l’indépendance de l’Union européenne.

17) Estime que l’Union européenne doit accompagner la nécessaire restructuration des industries de défense par un soutien approprié aux bassins industriels qui seront impactés.

18) Suggère que les États travaillent à une harmonisation de la demande, sous l’égide de l’AED, et que l’AED et l’OCCAR, dont les missions sont complémentaires et indissociables, soient fusionnées par souci de cohérence, de lisibilité, d’efficacité.

19) Observe que le soutien de l’Union européenne à la Recherche-Développement (R&D) de défense et de sécurité implique une révision des procédures mises en œuvre par l’AED (propriété intellectuelle partagée) car elles constituent une entrave majeure ; estime souhaitable que l’Union européenne consacre une enveloppe de 1 milliard d’euros en fonds communautaires à la R&D de défense et de sécurité.

20) Demande que l’Union européenne apporte un soutien aux exportations de produits et équipements issus de la BITD européenne car elles contribuent à son développement et sa pérennité ; souhaite que le principe de réciprocité soit pris en compte en matière de marchés publics.

21) Demande qu’en matière de marchés publics de défense et de sécurité, l’Union européenne réfléchisse à un mécanisme d’incitation à l’abandon des obstacles à l’exercice de la libre-concurrence, de façon à assurer le principe d’ouverture des marchés publics européens aux pays tiers en cas de réciprocité ; à défaut de cette réciprocité, demande que l’Union européenne réfléchisse à un mécanisme de préférence communautaire, inspiré des pratiques de préférence nationale observées de façon générale sur le marché mondial des équipements de défense et de sécurité.

22) Préconise une initiative de relance du projet de fusion EADS-BAE.

23) Propose qu’une part des crédits affectés par certains États à la sécurité de l’Europe ne soit pas prise en compte dans le calcul des déficits budgétaires des États plafonnés à 3 %, ou que soit créé un mécanisme de dédommagement tenant compte de l’effort particulier de certains États pour le financement d’un bien public européen.

ANNEXES

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Par ordre alphabétique (personnes auditionnées à Paris et à Bruxelles) :

Ø Mme Claude-France Arnould, Directrice de l’Agence européenne de Défense

Ø M. Laurent Collet-Billon, Délégué général pour l’armement

Ø M. Arnaud Danjean, Président de la Sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen (SEDE)

Ø M. Dominique David, Directeur exécutif de l’Institut français des relations internationales (IFRI)

Ø Le Colonel Christophe Denis, Adjoint Organisations internationales à l’État-major de l’armée de l’air

Ø M. François Desprairies, Président de la Commission des Affaires européennes du Conseil des industries de défense française (CIDEF), directeur des Affaires institutionnelles d’Airbus

Ø M. Philippe Errera, Ambassadeur Représentant permanent de la France à l’OTAN

Ø M. Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, Représentant de la France au Comité politique et de sécurité (COPS)

Ø M. Vincent Gorry, Directeur des Affaires européennes et internationales au GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales)

Ø M. Camille Grand, Directeur de la fondation pour la recherche stratégique (FRS)

Ø L’Amiral Edouard Guillaud, Chef d’État-major des armées

Ø Le Lieutenant-Colonel Alexey Ilyushin, Attaché de Défense adjoint à l’ambassade de Russie

Ø Le Général Gilles Janvier, Adjoint de M. Hansjörg Haber, Directeur du Commandement civil de gestion des crises (CPCC) rattaché au SEAE (Service européen d’action extérieure)

Ø M. Benoît Laurensou, Chef de Cabinet du Délégué général pour l’armement

Ø M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense, dans le cadre d’une audition en commission sur la politique européenne de défense

Ø Mme Julia Maris, Conseiller pour les affaires européennes de M. le Ministre de la Défense

Ø M. Axel de Martene, membre du Cabinet du commissaire européen Michel Barnier

Ø M. Jean-Pierre Maulny, Directeur-adjoint de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), spécialiste des questions de défense

Ø M. le Dr Antonio Missiroli, Directeur de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne (IESUE)

Ø Le Contre-Amiral Roman Novoselov, Attaché de défense à l’ambassade de Russie

Ø Le Général Jean-Paul Perruche, Président d’EuroDéfense-France, ancien Directeur général de l’État-major de l’Union européenne (EMUE)

Ø Le Général Gilles Rouby, Chef de la RP (Représentation permanente) militaire française auprès de l’Union européenne et auprès de l’OTAN

Ø Le Général Patrick de Rousiers, Président du Comité militaire de l’Union européenne (CMUE)

Ø M. Hans Stark, Secrétaire général du CERFA (Comité d’études et de recherches franco-allemandes) de l’IFRI.

Ø M. Eric Trappier, président du Comité Défense du CIDEF, Directeur général chez Dassault Aviation 

Ø M. Pierre Vimont, Secrétaire Général Exécutif du SEAE (Service européen d’action extérieure) dans le cadre d’une audition en commission sur la politique européenne de défense

*

Vos Rapporteurs souhaitent en outre remercier, pour les informations qu’ils ont bien voulu leur communiquer sur les coopérations européennes :

-le Général Denis Mercier, Chef d’État-major de l’armée de l’air

- le Général Jacques Mignaux, Directeur général de la gendarmerie nationale

-le Général Bertrand Ract Madoux, Chef d’État-major de l’armée de terre,

-l’Amiral Bernard Rogel, Chef d’État-major de la marine

Déplacements effectués :

Vos rapporteurs se sont déplacés :

• à Bruxelles où ont eu lieu des auditions et où ils ont assisté à l’examen par la SEDE (Sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen) du Rapport annuel sur la PSDC ;

• à Berlin,

– où ils ont participé à un Forum organisé par la Fondation Konrad Adenauer et l’IFRI sur le thème : « L’Europe peut-elle encore se défendre ? Possibilités d’action pour la France, l’Allemagne et l’Union européenne » ;

– où ont eu lieu des entretiens, notamment avec :

Ø Mme Suzanne Kastner, Présidente de la Commission de défense du Bundestag, et des députés de la commission ;

Ø le Dr Ulrich Schlie, Directeur politique du Ministère allemand de la Défense ;

Ø le Général Philippe Chalmel, Attaché de Défense à l’ambassade de France, ancien Commandant de la Brigade franco-allemande.

Les rapporteurs remercient l’ambassade de France à Berlin et le Général Philippe Chalmel, pour leurs informations et l’aide apportée dans l’organisation de ce déplacement et de ces rencontres.

• en Espagne, où ils ont pu visiter le Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE) à Torrejon de Ardoz.

Les Rapporteurs remercient le Colonel Pascal Legai, Directeur-adjoint de ce Centre, et les autres responsables du CSUE pour l’organisation de cette visite et toutes les explications qui leur ont été fournies à cette occasion.

• à Varsovie, où ont eu lieu des visites et entretiens, notamment avec :

Ø M. Stefan Niesołowski, Président de la Commission de la défense nationale de la Diète polonaise, et plusieurs députés ;

Ø M. Marcin Kaźmierski, Directeur du département de la politique de sécurité internationale du ministère de la Défense ;

Ø M. Stanisław Koziej, Directeur, avec rang de ministre, du bureau de la sécurité nationale (BBN) auprès du Président de la République, assisté de ses deux principaux adjoints, le Général Lech Konopka, chef du département de contrôle sur les forces armées et M. Kazimierz Sikorski, chef du département des analyses stratégiques ;

Ø M. Władysław Ortyl, Président de la Commission de la Défense nationale du Sénat, et plusieurs sénateurs ;

Ø M. Bugajski, Directeur du département des affaires de sécurité du Ministère des affaires étrangères polonais ;

Ø le sénateur Bogdan Klich (PO), ancien ministre de la Défense et responsable d’un Think tank polonais, l’International Strategic Studies de Cracovie ;

Ø le député Robert Biedroń, du mouvement Palikot (RPP), membre du groupe parlementaire France-Pologne ;

Ø M. Roman Kuźniar, Conseiller pour les affaires stratégiques du Président Komorowski ;

Ø les responsables de l’usine EADS Airbus Military Casa PZL ;

Ø les responsables des projets du groupe MBDA, notamment M. Mark Ferret ;

Ø Le Colonel Etienne Champeaux, Attaché de défense à l’ambassade de France.

Les Rapporteurs remercient l’ambassade de France à Varsovie, M. l’Ambassadeur Pierre Buhler et le Colonel Etienne Champeaux, pour leurs informations et l’aide apportée dans l’organisation de ce déplacement et de ces rencontres.

• à Londres, où ont eu lieu des entretiens, notamment avec :

Ø M. James Arbuthnot, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes ;

Ø Lord Robin Teverson, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Lords ;

Ø le Contre-amiral Henri Schricke, Attaché de Défense à l’ambassade de France.

Les rapporteurs remercient l’ambassade de France à Londres, M. l’Ambassadeur Bernard Emié et le Contre-amiral Henri Schricke, pour leurs informations et l’aide apportée dans l’organisation de ce déplacement et de ces rencontres.

• aux sièges des États-majors de l’Eurocorps (à Strasbourg) et de la Brigade franco-allemande (à Müllheim, Allemagne) où ont eu lieu des entretiens, notamment avec :

Ø le Général Walter Spindler, Commandant-adjoint de l’Eurocorps, ancien Commandant de la Brigade franco-allemande ;

Ø le Colonel Wallerand de Madre, Commandant de la Brigade franco-allemande.

• à Dublin, où M. Yves Fromion a participé à la deuxième Conférence interparlementaire sur la PESC/PSDC.

ANNEXE 2 : LA CSP, UN CADRE JURIDIQUE RICHE EN POTENTIALITÉS (ARTICLE DE DÉCEMBRE 2012 DE SYNOPSIS, COËTQUIDAN)

Décembre 2012

SYNOPSIS

La coopération structurée permanente, un cadre juridique riche en potentialités pour une Europe des défenses.

Limitée par la déconnection entre l'affirmation d'une culture et la mise en place d'une défense commune, la coopération structurée permanente souffre aujourd'hui d'une nette désaffection. Or, celle-ci se présente comme un cadre juridique riche en potentialités sur lequel pourrait se construire une Europe des défenses efficace et dont le soutien logistique constituerait la matrice. Un modèle d'armée européenne a aujourd'hui discrètement émergé. Sa fédération par le bas, rendue possible par le traité de Lisbonne, constitue une opportunité de premier ordre pour les industries de défense.

SYNOPSIS, Centre de Recherche des Ecole de Coëtquidan

Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr 56380 GUER

SYNOPSIS, une équipe d’experts civils

et militaires au service de la défense

Stéphane Baudens, évolutions juridiques

Olivier Chantriaux, prospective financière

Jérôme Pâris, mutations des forces armées

Stéphane Taillat, analyse géopolitique

Anne-Sophie Traversac, droit de l’Union

Thomas Flichy,coordination

La coopération structurée permanente, un cadre juridique riche en potentialités pour une Europe des défenses

Le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN a été récemment évalué par le rapport Védrine remis au Président de la République le 14 novembre 2012. Ce compte rendu s'inscrit dans le cadre d'une politique visant à concilier la préservation du lien transatlantique avec le développement d'une défense européenne autonome. La ratification du traité de Lisbonne et la refonte des traités européens devaient favoriser la relance, sous de nouvelles formes, de la coopération militaire européenne. Le mécanisme de coopération structurée permanente avait été conçu notamment à cette fin. Dès septembre 2010, la Présidence belge de l'Union européenne avait provoqué un débat pour étudier les voies et moyens d'une coopération structurée permanente en matière de défense. Prévue par le traité de Lisbonne et décrite dans un protocole, cette disposition juridique était censée aider les États de l'Union européenne à intensifier leur coopération. Aujourd'hui, la coopération structurée permanente semble souffrir d'une certaine désaffection, Or, celle-ci se présente comme un cadre juridique riche en potentialités, sur lequel pourrait se construire à moyen terme un dispositif européen de défense de premier ordre. Aboutissement d'une longue évolution institutionnelle, la coopération structurée permanente constitue la porte ouverte à un dispositif de défense pragmatique. Malgré ses imperfections, ce cadre juridique permet la mise en place d'une Europe de la défense fédérée par la logistique.

ABOUTISSEMENT D'UNE LONGUE HISTOIRE INSTITUTIONNELLE, LA COOPERATION STRUCTUREE PERMANENTE SE PRESENTE COMME LÀ PORTE OUVERTE À UN DISPOSITIF DE DEFENSE PRAGMATIQUE

Malgré sa progression parfois erratique, le développement d'une coopération souple et volontaire s'avère indispensable au rayonnement de l'Europe.

Héritiers d'une tradition très ancienne de coopération militaire, les États d'Europe gardent aujourd'hui en mémoire le souvenir tragique des aventures guerrières communes marquées du sceau de la contrainte. La fourniture forcée de troupes au profit d'un quelconque dessein impérial, s'est le plus souvent révélée dévastatrice. A l'inverse les entreprises heureuses visant à assurer la paix et la sécurité de l'Europe ont été généralement placées sous le signe d'une libre participation des Nations à la sauvegarde de leurs propres intérêts. Dans ce contexte, la France a longtemps joué un rôle tout à la fois modérateur et fédérateur. Le mécanisme de coopération permanente s'inscrit à cet égard dans la continuité d'une histoire marquée par la coopération volontaire et souple entre les armées européennes. Pour ne citer qu'un exemple, les marines européennes coopèrent depuis la Renaissance en Méditerranée afin de lutter contre la piraterie. L'Europe de la Défense, gui s'inscrit dans la continuité d'une coopération ancienne, ne progresse concrètement que sous l'impulsion de contraintes extérieures, qu'il s'agisse de la fin de la Guerre Froide ou bien de la guerre de Yougoslavie. En l'absence de crise, le sentiment de sécurité ressenti par les européens incite les États à réduire leurs budgets de défense. La construction d'une Europe de la défense s'est donc faite par à-coups. Avec le «tournant » du sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998, les progrès de l'Europe de la défense ont été significatifs, qu'il s'agisse de la création de forces européennes (Headline goal 2003 et 2010), de la relève de l'Otan au Kosovo, de la création de groupements tactiques de combat ou battlegroups, ou bien du lancement de l'Agence européenne de défense, en juillet 2004. Toutefois, depuis décembre 2009, la non-ratification du projet de Traité constitutionnel européen par la France en 2005, les Pays-Bas en 2005 et enfin l'Irlande en 2008, a ouvert une période d'incertitude, privant temporairement la Politique Européenne de Sécurité et de défense (PESD), en charge de missions de gestion de crise, de ressources institutionnelles. La ratification du Traité de Lisbonne par la France et la signature du traité bilatéral de défense en novembre 2010 à Lancaster House par David Cameron et Nicolas Sarkozy ont relancé ce processus de coopération militaire, en dépit de la rigueur budgétaire ambiante. Cette relance s'est concrétisée par quelques résultats : la lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes (Atalante), la création du commandement européen du transport aérien militaire (EATC) en 2010 et te projet commun de ravitailleurs en vol conduit par quatre États : l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, et la Belgique. La construction d'une Europe de la défense avance donc lentement. Mais il ne faut pas oublier que le temps des décideurs politiques et des opinions publiques est plus court que celui de la construction d'une défense commune.

Cette construction s'avère pourtant nécessaire dans la mesure où aucune puissance européenne ne peut plus assurer seule sa sécurité extérieure et faire face isolément à ses besoins stratégiques, comme l'atteste le fait que le Royaume-Uni et la France n'envisagent plus d'opérations militaires de moyenne et de haute intensité sans la participation ou le soutien des États-Unis. Ce fut notamment le cas de l'opération Harmattan en Libye. La coopération transatlantique et le lien avec les États-Unis demeurent une donnée essentielle, dans le domaine politico-stratégique comme dans le domaine industriel pour la très grande majorité des États européens, en particulier pour les nouveaux entrants comme le montre la comparaison des deux élargissements de l'OTAN et de l'Union européenne. L'européanisation de la défense est facilitée également par la création de groupes multinationaux, véritables poids lourds des équipements militaires, comme, par exemple, le groupe d'aéronautique EADS dans lequel se sont fondus les Français Aérospatial-Matra, l'Allemand DASA et l'Espagnol CASA. Elle est aussi une réponse au rétrécissement des budgets militaires nationaux en Europe, qui rend difficile le financement simultané de plusieurs bureaux d'études. Aujourd'hui, l'industrie européenne de défense, marché d'avenir, pèse environ 93 milliards d'euros, 30 % de la production mondiale et près de 400 000 emplois. Avec vingt-sept États membres, les alliances pour constituer des majorités ou des minorités de blocage seront moins prévisibles, plus instables au sein de TUE. Néanmoins, pour la France et plusieurs autres États européens, malgré de fortes contraintes budgétaires nationales et une certaine phobie de la force en Europe, la coopération au sein de l'UE apparaît comme la voie privilégiée pour développer une politique de défense. La crise financière peut d'ailleurs se révéler une opportunité afin de mettre au point une politique étrangère commune. Au lieu de vouloir maintenir à tout prix l'illusion de l'influence globale, il serait préférable, pour l'Europe de fixer des objectifs géopolitiques réalistes et limités concernant ses intérêts propres. Mais une politique étrangère conjointe aux États européens ne pourra émerger qu'à partir du moment où les États auront défini des intérêts et des valeurs spécifiquement européennes qui sont les leurs, et qu'ils souhaitent défendre quel qu'en soit le prix, Sous ce rapport, il serait chimérique de vouloir dissocier la défense de la culture : si l'Europe estime qu'elle n'a pas d'héritage culturel à préserver, pourquoi se mettrait elle en peine de se défendre ?

Parmi les plus-values du traité de Lisbonne : une coopération structurée permanente, porte ouverte à une défense plus approfondie de l'Union.

Les modifications et précisions apportées par le traité de Lisbonne concernant la Politique de Sécurité et de Défense Commune sont de trois ordres. Outre la pérennisation de l'agence européenne de défense - chargée d'établir les capacités opérationnelles - le texte semble vouloir faire évoluer le dispositif actuel vers une défense commune, un agencement des missions et des capacités en fonction des intérêts des États membres et un élargissement des objectifs stratégiques. Loin de représenter uniquement des contraintes, ces trois évolutions significatives sont riches d'opportunités. Notamment car elles prennent en compte la réalité d'une politique de sécurité et de défense qui s'exerce dans le cadre d'États dont les intérêts sont largement convergents mais demeurent cependant distincts. C'est le cas pour l'article 43-1 qui élargit sensiblement le champ des missions dites de Petersberg. Celles-ci ne se limitent plus aux missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants, aux missions de maintien de la paix et à la gestion des crises, y compris par la force. On note en effet que le traité inclut désormais les actions conjointes en matière de désarmement, les missions d'assistance et de conseil en matière militaire, les missions de prévention et de stabilisation des conflits, ainsi qu'une clause spécifiant la possibilité d'apporter un soutien à un État tiers pour lutter contre le terrorisme sur son territoire. Certes, ces ajouts sont une validation a posteriori des missions effectivement menées depuis 2003. D'autre part, il faut noter l'absence de consensus sur l'application concrète de ces dispositions : à l'approche minimaliste du Royaume-Uni - qui considère que l'Union Européenne ne devrait prendre en compte que les missions dites de basse intensité - s'oppose notamment l'approche française volontiers plus large. Toutefois, cet élargissement du champ des missions pouvant être couvertes par le cadre institutionnel de la PSDC n'est pas neutre. Il reflète une prise de conscience nécessaire des procédés et approches stratégiques dans les conflits contemporains. Plus important, l'inclusion de la clause transversale contre le terrorisme est congruente avec la préférence croissante des décideurs politiques occidentaux pour des actions indirectes. Sur le deuxième point, l'article 42-7 constitue une modification importante, au moins en théorie.

En troisième lieu, l'article 42-6 établit la possibilité de coopérations permanentes structurées ou PESCO. Celui-ci n'indique pas si une telle coopération est unique, ou si il peut en exister plusieurs, ni si ce dispositif est inclusif ou exclusif. Pour autant, cette imprécision ne constitue pas un obstacle si l'on considère l'existence de modèles qui pourraient servir à la mise en place de plusieurs coopérations. Plusieurs évolutions sont possibles, en fonction de l'implication politique des décideurs. Un premier cas de figure verrait l'émergence de coopérations bilatérales ou multilatérales sur la base du partage des capacités. De telles configurations existent déjà : le triangle de Weimar entre la France, la Pologne, et l'Allemagne, l'initiative de Gand (Suède, Allemagne) et bien sur la coopération militaire franco-britannique. Cette dernière pourrait servir d'étalon de mesure à l'établissement de coopérations structurées entre plusieurs États membres. Un second cas pourrait faire de cette coopération franco-britannique un pôle d'attraction pour d'autres États. De fait, la coopération sur des aspects techniques, ainsi que la volonté de dépasser les limites inhérentes aux programmes multilatéraux d'acquisition d'armement, est certainement une opportunité à saisir. Mais comme sur le point précédent, la convergence des intérêts politiques est la base à toute forme de coopération. Selon les dispositions du traité de Lisbonne, les États peuvent s'astreindre à des exigences supérieures en matière de défense dès la signature du traité ou bien rejoindre la coopération structurée permanente à un stade ultérieur. Ils peuvent librement quitter cette posture s'ils le souhaitent. A l'inverse, s'ils ne remplissent plus les critères, le Conseil n'est pas obligé de les en exclure. On voit donc bien que la volonté souveraine des États est soigneusement préservée par les dispositions relatives à la coopération structurée permanente : celle-ci ne peut résulter que d'un libre accord entre volontés souveraines. A ce titre, la Coopération Structurée Permanente, solution fonctionnelle, reflète la fameuse politique des petits pas et permet une Europe de la défense à la carte, en d'autres termes réaliste et en fonction des capacités de chacun.

Le traité de Lisbonne établit ainsi un certain nombre de modifications qui permettent partiellement de surmonter les obstacles techniques. Plus exactement, il offre aux décideurs politiques des États membres une plus grande marge de manœuvre dès lors qu'ii s'agit d'interpréter ou de mettre en œuvre les dispositions de la PSDC. En outre, même s'il semble faire un pas supplémentaire vers la définition d'une politique de défense commune, il reste ouvert à la réalité du système interétatique européen. Dans ce cadre, les occasions stratégiques sont à souligner : la PSDC semble être devenue pour de nombreux États membres - y compris ceux initialement sensibles au risque de la voir se substituer partiellement à l'OTAN - un outil supplémentaire de leur politique étrangère. C'est le cas pour les États orientaux, qui aspirent à jouer un rôle plus important par rapport au centre européen. Mais cela doit être le cas également pour la France. Le retour dans la structure de commandement intégré de l'OTAN participe d'une logique similaire : prenant acte du fait que la France ne peut plus remplir ses objectifs stratégiques seule, il s'agit de lui donner accès à plusieurs configurations lui permettant d'exercer les effets militaires et politiques de la force conjointement à d'autres États. Et ce, en dépit du fait que les intérêts de chacun ne concordent jamais totalement,

Des imperfections juridiques surmontables grâce à l'émergence d'un modèle contemporain d'armée européenne.

Nombre d'observateurs ont noté le manque de souplesse de la coopération structurée permanente. L'unanimité étant nécessaire, faut-il dès lors décréter une fédéralisation brusque des capacités militaires européennes ? Cela se révélerait aussi illusoire qu'impossible à mettre en œuvre. Il convient plutôt de préserver l'autonomie de décision des États. La solution pragmatique est celle d'une Europe de la défense à la carte, articulée, si possible, autour d'un noyau dur et d'intérêts stratégiques communs qui pourraient être la sécurisation des approvisionnements énergétiques -et donc la lutte contre la piraterie - le contrôle des migrations et l'endiguement du terrorisme international. Tous les États européens, à des degrés divers, ont entrepris -sous l'impulsion de l'OTAN, pour projeter des forces et à cause de restrictions budgétaires - de réformer leurs armées. Les transformations conduites, même si elles n'ont pas été simultanées, tendent à être largement similaires dans leurs effets et leurs objectifs. Ces différentes réformes des armées définissent, en réalité, par leur parenté, un modèle contemporain d'armée européenne. Dans ce cadre, il convient de privilégier la souplesse comme la subsidiarité nationale et zonale.

Pour relancer un effort de coordination européenne en matière de défense, surtout en cette période de restriction budgétaire, ii est urgent de repartir sur des bases réalistes. Il convient en premier lieu d'admettre les disparités demeurant militairement entre les États membres de l’UE ; ces disparités tiennent à la culture et à l'histoire, aux moyens et aux capacités, à l'industrie et à l'économie. L'uniformité ne peut qu'être illusoire et impossible. Sur cette base, nous devons accepter la possibilité d'une Europe de la défense à la carte. En second lieu, il faut privilégier les projets aux superstructures. Tout doit être ordonné à des projets précis. Passer d'un fonctionnement rigide à une structuration matricielle, dont le cœur serait constitué de projets concrets. En troisième lieu, il convient d'admettre que les États puissent garder le dernier mot en la matière et puissent, du fait de leurs prérogatives, refuser de s'associer à des opérations. Il faut donc préférer la coordination à l'uniformisation, la subsidiarité nationale et zonale à l'illusion d'une inaccessible intégration. L'Europe de la défense sera une Europe des défenses. La coordination, la conjonction, la connexion de défenses différentes et nationales, responsables chacune dans son ressort zonal mais unies dans une relation d'ordre partenarial, et partageant un même souci des mutualisations logistiques, industrielles et opérationnelles, tel pourrait être le modèle d'une refondation de la PSDC. Il n'y aura pas d'armée unique européenne, mais bien des armées européennes coordonnées et coopérant. D'un point de vue réaliste, la revalorisation de la PSDC ne peut procéder que d'une montée en puissance technique, industrielle et opérationnelle.

S'appuyer sur la coopération structurée permanente afin de fonder une Europe effective de la Défense, fédérée par la logistique.

Des choix pragmatiques s'imposent pour articuler autonomies nationales de décision et coopérations multi-scalaires dans une Europe des défenses réaliste. Pour restaurer une ambition européenne en matière de défense, il convient de privilégier l'opérationnel et la pratique, l'infrastructure aux superstructures. La conduite d'opérations par des coalitions aux périmètres du reste variés est de nature à forger à l'échelle de l'UE une culture militaire commune, et qui soit proprement européenne. Pour y réussir, il serait souhaitable de constituer, en dépit des réticences constamment exprimées par la Grande-Bretagne, un centre permanent de planification et de conduite des opérations des États de l'UE. Cet OHQ permanent aurait pour mission, en dehors de la conduite d'opérations en cours, de faire des plans et se trouverait conduit, de ce fait, à discerner les ennemis potentiels de l’UE. Les échanges entre écoles de guerre européennes doivent être multipliés. Parallèlement, les unités européennes multinationales, comme les groupements tactiques ou la brigade franco-allemande, doivent être orientées franchement vers l'opérationnel et la projection. L'UE doit, dans la mesure de ses moyens et pour défendre des intérêts clairement définis, multiplier les interventions militaires. Cette identité opérationnelle commune ne doit pas être dissociée de la nécessaire affirmation des capacités industrielles de l'Europe en matière de défense. Tout l'enjeu actuel est de créer, à l'échelle de l’UE et de l'Europe continentale, et jusque sur la rive sud de la Méditerranée, un vaste marché intérieur de la défense, protégé par l'instauration de mesures réglementaires de protection. Ainsi serait créé un véritable marché intérieur de l'armement, qui permettrait aux grandes industries européennes d'assurer la vente de leur production et le succès de leurs programmes. A la différence de l'industrie américaine, qui est assurée du succès de ses ventes au sein du grand marché intérieur des États-Unis, l'UE ne dispose pas d'un tel atout. La constitution d'un grand marché intérieur protégé doit être une priorité. L'AED pourrait se positionner comme responsable de la cohérence des programmes industriels d'armement avec les objectifs clairement définis. La question de la préférence européenne va se révéler indispensable pour protéger le tissu industriel existant. En effet, la crise économique va contraindre les dépenses militaires, notamment américaines. Aussi par conséquent, la concurrence dans ce secteur va s'intensifier pour donner jour à un accroissement des pratiques plus ou moins légales. L'aspect de la guerre économique doit être pris en compte dans la gouvernance de la CSP. En cela, il rejoint la composante logistique.

Les opérations de l'UE, une fois l'accord politique obtenu, ont été limitées par les questions logistiques. Au Tchad durant la récente mission EUFOR, le déploiement des différentes nationalités a été marqué par une faible communication entre eux, limitant drastiquement leur efficacité sur le terrain, et sur les bandes rebelles. Les raisons sont multiples, mais la logistique est au cœur des différends, au-delà des difficultés linguistiques, culturelles, et surtout de la faible interopérabilité des matériels utilisés par les sections, ou les battlegroups (transmissions, véhicules, sanitaires...). La logistique bénéficie d'une image positive dans les média et les opinions publiques. Elle est associée à l'aide aux populations, aux actions civilo-militaires et à l'aide médicale. Elle oriente et conditionne les déploiements, à l'image d'un chef d'orchestre. La bonne gouvernance de la CSP serait obtenue par la mise en œuvre de cette task force. Sa disponibilité permanente permet aux États d'utiliser à la carte ces modules selon les besoins, et en maîtrisant les coûts. De plus, l'utilisation de ces moyens en dehors des besoins purement militaires, permettrait de rentabiliser cet outil en facturant aux États membres les services rendus dans un cadre public. Les contributions des États membres adhérents à la CSP se jugeraient à l'aune de l'efficacité de cette unité logistique coordonnée de soutien. Les missions de Petersberg, qui font consensus au sein des États, pourront être aisément remplies par tout ou partie de ces éléments logistiques.

Il apparaît donc urgent de poser les jalons d'une meilleure coordination logistique afin de donner sens à une PSDC qui serait efficace et efficiente. Jouer le jeu de coopérations renforcées en la matière pourrait être un axe d'action. La France, en tout cas, est qualifiée pour faire des propositions en matière de coopération logistique et s'imposer comme nation pilote. Rappelons que la France avait été nation cadre en matière logistique, dès 2008, dans l'opération EUFOR Tchad-RCA. La France dispose d'une tradition éminente et d'experts, grâce à son commissariat des armées. Peut-être pourrions-nous envisager l'exportation du modèle français et l'essaimage de bases de défense interarmées dans toute l'Union européenne. Peut-être des mutualisations pourraient être possibles. Une coopération industrielle en matière de ravitaillement serait, par exemple, envisageable. Quant aux fournisseurs des armées européennes, une réglementation pourrait conduire à privilégier les Européens, en instituant une protection communautaire. Il faudrait dès lors rompre avec le dogme de l'ouverture et de la concurrence totales. C'est à cette condition que pourrait être consolidé un marché intérieur de la défense en Europe, stimulant des échanges intra-européens. La logistique pourrait ainsi constituer la pierre angulaire de la coopération structurée permanente. Cette task force Logistique Européenne permanente serait composée de plusieurs éléments emblématiques. Les vecteurs seraient des avions gros porteurs de type Antonov, des avions ravitailleurs, des bateaux porte-conteneurs, des bâtiments de projection et de commandement de conception française, et enfin des camions blindés gros porteur. Les moyens du soutien pourraient inclure un hôpital de campagne aérotransportable avec bloc chirurgical, des ateliers de réparation mécanique de 2e et 3e échelon pour les matériels de cette task force. Cette liste est non exhaustive, et devrait faire l'objet de discussion dans le cadre de la CSP. Dans le cadre des relations avec l'OTAN, et du burden sharing souhaité par les États-Unis, la CSP axée sur la logistique se positionnerait ainsi sur un créneau porteur.

Vers une Europe des défenses constituée autour d'un noyau dur

La PSDC ne peut renaître qu'en faisant le deuil des utopies fédéralistes : elle doit faire le pari, entièrement pragmatique, du réalisme politique et stratégique. Aucun État supranational européen ne viendra se substituer tout d'un coup aux États membres de l’UE. C'est par la multiplication d'opérations, d'exercices conjoints, d'échanges de vues, entre armées reconnaissant mutuellement leurs différences et réunies au sein de la PSDC, que des perspectives stratégiques communes pourront être définies. Trop longtemps, l’on a cru qu'il suffisait de constituer des structures communes, toute une superstructure militaire, pour créer une convergence des intérêts et des orientations ; cette vision technocratique a fait long feu ; l'Europe doit prouver son existence militaire dans l'action opérationnelle, avec l'appui et l'accord de chacun des États concernés. Il convient de mettre en valeur, non pas une superstructure artificielle, mais bien une infrastructure opérationnelle et logistique, qui naîtra du tissage de coopérations entre les divers États qui composent l’UE. Plutôt que de chercher à embrigader de force, par des textes contraignants, l'ensemble des États européens, il convient d'accepter l'idée d'une Europe de la défense à la carte, en ayant à l'esprit qu'à chaque mission correspond une coalition au format particulier : la mission fait la coalition. La souplesse doit être constitutive de la nouvelle Europe de la défense, qu'on pourrait même qualifier d'Europe des défenses.

Le maillage de coopérations multi-scalaires pourrait s'articuler autour d'intérêts communs clairement définis. La constitution d'une vraie culture militaire européenne ne saurait en effet procéder de la mode du tout-soft : les Européens doivent prendre de nouveau conscience du caractère indispensable des capacités hard. Un document d'orientation stratégique pourrait être, rédigé chaque année. Il ne s'agirait pas de confectionner un rapport long ; mais d'énumérer très brièvement les priorités stratégiques de l’UE pour l'année à venir. Ces priorités correspondraient à des projets précis autour desquels des coopérations aux formats divers mais efficaces pourraient se structurer. Ce document aurait vocation à être très court, à ne pas excéder deux pages. Subsidiairement, des accords de défense internes bilatéraux permettraient d'étoffer le maillage stratégique constitutif d'une identité européenne de défense. Il faut rendre toute sa valeur au format bilatéral. Le multilatéral s'avère souvent rigide, source de blocages. Le bilatéral est souple, propice à la conclusion d'accords rapides et ponctuels. Suivant cette voie, des accords pourraient se multiplier et tout un maillage d'échanges stratégiques se tisser au cœur de l'Europe. Il faut rompre avec l'idole exclusive du multilatéral.

Aboutissement d'une longue évolution institutionnelle, la coopération structurée permanente se présente ainsi comme la porte ouverte à un dispositif de défense pragmatique qui, malgré ses imperfections, permet la mise en place d'une Europe de la défense fédérée par la logistique. Les effets de la mondialisation, la concurrence pour une ubiquité stratégique, la dégradation progressive de l'Europe parmi les puissances militaires sont autant de phénomènes qui nous invitent à refonder l'Europe des défenses sur un postulat réaliste. L'ambition demeurera mais non l'utopie. Préférons l'ambition à l'utopie. Il nous reste à être nous-mêmes, sans chercher à imiter à tout prix notre allié américain. Nous devons accepter de penser que nous sommes différents d'eux et différents entre Européens. Pour cela, nous devons faire le deuil des chimères ; et relever un pari intellectuel consistant à refonder les coopérations européennes en matière de défense sur un postulat réaliste. Cette refondation doit aller de pair avec la constitution progressive d'une véritable école européenne réaliste des relations internationales, émule et correspondante des écoles réalistes d'outre-Atlantique. S'il convient d'exploiter les potentialités du traité de Lisbonne, il faut également exploiter les outils internes de valorisation de ce texte. A ce point de vue, les travaux de la commission défense nationale et forces armées gagneraient à être rendus plus visibles afin de remédier au manque d'information et de compréhension dont souffre le citoyen français et donc européen.

SYNOPSIS

ANNEXE 3 : DECLARATION DU 15 NOVEMBRE 2012 DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA DÉFENSE

1. Nous, ministres des Affaires étrangères et ministres de la Défense d’Allemagne, de l’Espagne, de France, d’Italie et de Pologne, nous sommes réunis ce jour à Paris pour confirmer notre volonté de promouvoir une politique européenne ambitieuse dans le domaine de la sécurité et de la défense. De grands progrès ont été accomplis ces dix dernières années. Les trois nouvelles missions lancées cette année témoignent de la capacité de l’Union européenne à agir. Toutefois, des menaces pour notre sécurité, y compris dans le voisinage de l’Europe, appellent à prendre des mesures décisives. Les Européens doivent assumer leur part de responsabilités pour relever de façon plus énergique les défis à venir afin de garantir la sécurité de l’Europe.

2. La force singulière de la politique de sécurité et de défense commune tient à son approche globale de la gestion des crises. En mobilisant tous ses instruments civils et militaires, l’Union européenne doit être capable de résoudre des crises complexes, pluridimensionnelles et impliquant plusieurs acteurs, tout en renforçant l’efficacité de ses missions et opérations.

3. La réforme en cours des procédures de gestion des crises et la prochaine revue du Service européen d’action extérieure devraient permettre à l’Union européenne d’agir rapidement et efficacement sur tout le spectre des mesures de gestion des crises, en étroite coopération avec les organisations internationales et régionales ainsi qu’avec les pays partenaires. Engagés dans la mise en œuvre des conclusions du Conseil des Affaires étrangères de décembre 2011 et juillet 2012 sur la Politique de sécurité et de défense commune, nous sommes convaincus que l’Union européenne doit mettre en place, dans un cadre qui reste à définir, des structures véritablement civilo-militaires pour planifier et conduire des missions et opérations et créer une plus grande synergie entre le Service européen d’action extérieure et la Commission afin de garantir leur réussite.

4. L’Union européenne devrait être apte et résolue à prendre ses responsabilités dans des régions où ses intérêts de sécurité et ses valeurs sont en jeu. Le respect de ses engagements en matière de sécurité et de stabilité là où l’Union européenne est déjà engagée de façon opérationnelle et le lancement de nouvelles missions et opérations de gestion des crises constituent à cette fin les contributions les plus concrètes et les plus indispensables de la PSDC.

5. Nous partageons l’analyse que fournir un soutien aux organisations régionales et aux autorités locales en faveur de la stabilité dans des zones non gouvernées ou fragiles renforce la sécurité des citoyens et des intérêts de l’Union européenne. Dans cet esprit, l’Union européenne a accru son engagement dans la Corne de l’Afrique, en poursuivant l’appui à la gouvernance et au développement des capacités de la Somalie et dans le Sahel, en particulier au Niger, dans le cadre d’une approche globale et régionale. Nous encourageons nos partenaires à accroître leurs efforts en faveur d’un règlement d’une solution politique à la crise malienne, ainsi qu’à contribuer à une éventuelle mission de formation en soutien aux forces armées maliennes, conformément aux conclusions du Conseil des Affaires étrangères du 15 octobre. Nous encourageons également l’Union européenne à se tenir prête, comme le rappellent les conclusions du Conseil des Affaires étrangères de juillet 2012, à assister et soutenir les nouvelles autorités libyennes.

6. En ce qui concerne les Balkans, autre zone clé pour notre sécurité, il nous faut discuter avec nos partenaires de la façon dont l’Union européenne pourrait mieux agir sur le terrain et contribuer davantage à la normalisation de la région. L’Union européenne doit également demeurer engagée et impliquée dans les efforts pour stabiliser et apporter une solution au conflit en Géorgie. S’agissant de l’Afghanistan, nous devrons maintenir l’engagement de l’Union européenne en faveur d’une police nationale afghane forte et efficace, en coordination avec d’autres acteurs internationaux.

7. Les Européens doivent se donner les moyens de leurs ambitions dans le domaine de la sécurité et de la défense. S’agissant des moyens civils et militaires nécessaires, y compris les instruments de réaction rapide tels que les groupements tactiques de l’Union européenne, nous devrions être prêts à les tenir à disposition, les entraîner, les déployer et les maintenir sur le terrain.

8. Il est essentiel de continuer à développer les capacités stratégiques adéquates, en toute transparence et cohérence avec l’OTAN. Les efforts entrepris jusqu’à présent dans des formats ad hoc entre Européens ont déjà permis des projets significatifs de mutualisation et de partage. Afin de renforcer cette coopération, les efforts associant, de façon pragmatique, au moins deux pays européens, notamment sur des capacités à forte valeur ajoutée (par exemple l’espace, la défense antimissile balistique, les drones, le ravitaillement en vol, les capacités de transport aérien, le soutien médical aux opérations, la radio logicielle) resteront primordiaux. Nous devrions maintenir notre engagement à travailler ensemble, entre nous et avec d’autres partenaires intéressés, afin de promouvoir les projets existants et à venir de mutualisation et de partage, destinés à améliorer la disponibilité et l’efficacité de nos capacités critiques communes.

9. Les États membres de l’Union européenne devraient continuer à renforcer les vecteurs et multiplicateurs de forces qui assurent la capacité de déployer et de soutenir des opérations militaires sur des théâtres lointains et de longues périodes et à mieux équilibrer le partage du fardeau au sein de la communauté transatlantique. Ce serait un grand pas vers une approche « intelligente » et « partagée » des réductions des dépenses militaires. Une meilleure coordination entre les processus nationaux de planification optimiserait les ressources disponibles et la coopération entre États membres.

10. L’Union européenne doit continuer à jouer un rôle majeur en matière d'innovation et de progrès technologiques et conserver ses capacités et compétences en matière de défense. A cette fin, nous estimons que l'Europe doit s'efforcer d’amplifier ses efforts, et renforcer les synergies entre les activités de Recherche & Technologie dans les activités des États membres liées à la défense et de faire appel à l’Agence européenne de défense dans son rôle de facilitateur.

A cet égard, il conviendrait d’étudier plus avant une meilleure utilisation des possibilités offertes par le Programme cadre européen de recherche et de développement, en particulier en ce qui concerne les technologies à double usage. A cette fin, tous les acteurs impliqués devraient mener un dialogue constructif sur la préparation du prochain Programme cadre HORIZON 2020. Ils devraient aussi analyser attentivement les moyens de soutenir le renforcement de l’industrie européenne de défense, en tenant compte du cadre juridique existant et de ses implications politiques.

11. Les restrictions significatives des budgets de défense et l'insuffisance de nouveaux programmes, parallèlement à la baisse des budgets de Recherche & Technologie, pourraient réduire les capacités d’ingénierie et les moyens de défense européens en affectant la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Nous devrions œuvrer en faveur d’une Base industrielle et technologique de défense européenne suffisante, compétitive et viable. Ces objectifs impliquent une plus grande coopération entre États membres et des synergies accrues.

12. Nous sommes prêts à contribuer ensemble à cet effort, avec tous nos autres partenaires européens désireux de renforcer les capacités nécessaires à la gestion européenne civile et militaire des crises. À titre d’exemple, le Commandement européen de transport aérien, adapté et étendu à d'autres États membres, pourrait constituer un véritable pas en avant vers des capacités rapides et partagées de transport aérien et de ravitaillement en vol, et représente un modèle innovant qui pourrait être appliqué à l'utilisation d'autres capacités. Dans les mois à venir, nous souhaiterions que ces discussions favorisent la coopération sur des projets structurants pour contribuer au renforcement de la culture de coopération en Europe.

13. Nous saluons l’initiative du Président Barroso et du Président Van Rompuy de tenir une session du Conseil européen en 2013 qui sera appelée à confirmer notre ambition en matière de Politique de sécurité et de défense commune et à fournir les orientations nécessaires sur les priorités stratégiques à venir, entre autres pour renforcer la compétitivité de l’industrie de défense européenne. Cette initiative devrait recevoir un soutien politique adéquat au plus haut niveau, en lien étroit avec la Haute Représentante, et s’inscrire dans un processus plus large d’intégration politique européenne accrue. En matière de défense aussi, nous avons besoin de plus d'Europe. Nous sommes résolus à œuvrer ensemble en ce sens.

-------------------

ANNEXE 4 : PROPOSITION DE MESSAGES DU CIDEF (CONSEIL DES INDUSTRIES DE DÉFENSE) EN VUE D’ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DE LA BITDE

À l’occasion de son audition par MM. Fromion et Pueyo

L'objectif de la Commission Européenne devrait être de contribuer à l'autonomie stratégique des États, notamment en garantissant leur sécurité d'approvisionnement. Une condition incontournable, dans le marché ouvert voulu par la Commission, en est le maintien d'une BITDE dotée d'un haut niveau de compétitivité.

Les conditions permettant d'assurer la compétitivité de la BITDE sont :

a. La maîtrise de la R&D, élément clé de la compétitivité dans une industrie de haute technologie pour permettre entre autre l'accès aux marchés export face à des concurrents (notamment américains), qui bénéficient d'un soutien en R&D très marqué.

Or le volume d'investissement R&D en Europe est en net recul

• Au niveau des États : les budgets R&T des membres de l'AED ont reculé de 23 % entre2006 et 2010.

• Recul qui n'a pas été compensé par la mutualisation de la R&T au plan européen. La création en 2004 de l'Agence Européenne de Défense a permis d'accroître la part de R&T exécutée en coopération (de 10 % à 14 % environ, avec un pic de 16.6 % en 2008). Ce résultat demeure cependant très en-deçà des objectifs visés. Cette situation s'explique, à défaut de se justifier, par :

- l'hétérogénéité des attentes des pays européens en matière de R&T (la France et le Royaume-Uni représentent 75 % des dépenses) ;

- l'engagement des pays européens dans des projets concurrents (duplications), souvent pour préserver leurs BITD nationales ;

- ou encore l'engagement de certains dans des coopérations extra-européennes (en particulier le programme d’avions de combat nouvelle génération JSF/F-35).

• Les conditions pour que les fonds communautaires de la Commission puissent assurer un complément de financement ne sont pas encore réunies. En particulier, les outils existants sont inadaptés au secteur de la Défense :

- une majorité du Parlement Européen n'est pas favorable à un investissement dans la recherche de défense ;

- le dispositif PCRD pose un problème de gouvernance. Le PCRD est conçu pour fonctionner sur un mode bottom-up (technology push)6, tandis que la Défense (comme les autres secteurs industriels opérant sur le long terme) privilégie un fonctionnement top-down7 fondé sur les besoins capacitaires ;

- le dispositif PCRD pose un problème d'instrument. Fonctionnant sous régime de subvention, le PCRD demande une participation financière importante de l'industrie. L'expérience de ces dernières années montre que la capacité d'autofinancement de l'industrie de défense est aujourd'hui saturée8, et que même si le PCRD offrait de nouvelles possibilités de financement, les industriels du domaine ne pourraient pas y accéder.

- Un régime appliqué aux droits de propriété intellectuelle inadapté. Les règles de participation à H2020 préparées par la Commission offrent un droit d'accès aux résultats de la recherche ainsi qu'à une partie du patrimoine des participants, aux institutions et organismes de l'Union. Il en résulte un risque fort de dissémination sur des sujets sensibles qui touchent la sécurité des États.

• Le financement de la R&D de Défense nécessite un outil et une démarche dédiés

- la R&T doit s'inscrire dans une démarche capacitaire,

- son financement doit être cohérent avec le modèle économique du secteur de la défense (la R&T de défense est un outil de politique industrielle),

- un régime adapté pour la gestion des DPI,

- protection des technologies critiques au niveau européen (limiter l'accès des financements aux opérateurs économiques européens de défense)

b. L'émergence d'un marché européen, constitué de programmes en coopération (sans nationalité), grâce à la consolidation de la demande

La compétitivité de l'industrie européenne, donc sa survie, passe par la constitution d'un marché européen qui permettra de générer des séries de taille suffisante pour absorber les coûts fixes, et de fédérer les compétences et les industriels. Ce marché européen nécessite :

- la consolidation de la demande, au niveau des besoins capacitaires, des caractéristiques techniques et des calendriers

- le lancement de programmes en coopération suivant des règles simples mais indispensables à leur réussite tant technique qu'économique :

Δ éviter une accumulation de spécifications nationales qui génère des délais et des surcoûts ;

Δ exprimer des besoins communs précis et les traduire en spécifications techniques raisonnables et ajustées aux capacités budgétaires ;

Δ imposer aux participants qu'ils prévoient de commander un nombre d'exemplaires réaliste et qu'ils s'engagent fermement sur cette quantité ;

Δ mettre en place une organisation industrielle simple avec un maître d'ouvrage, un maître d'œuvre et des partenaires compétents ;

Δ abandonner le juste retour, car la coopération sur un programme doit fusionner les compétences existantes et exploiter leurs synergies, non les dupliquer.

c. Dans ce contexte, l'industrie pourra engager sa restructuration, avec la résorption des surcapacités et des doublons.

Le mouvement de restructuration concernera l'ensemble des secteurs, à l'exception de ceux identifiés par les États membres comme stratégiques ou présentant un intérêt de souveraineté, pour lesquels ils veulent conserver des capacités propres. Le soutien à ces secteurs « réservés » sera assuré directement par les États.

Pour tous les autres secteurs, les besoins des États seront assurés au sein du marché européen, selon des règles communes concernant l'ensemble des phases d'acquisition.

d. La mise en place de ce marché européen nécessite la définition de règles précises par les États européens et les organismes européens concernés

i. Des règles appliquées aux droits de propriété intellectuelle adaptées au marché de la Défense. La diffusion des droits pour des technologies sensibles liées à la souveraineté des États, et dont la maîtrise pourrait porter atteinte à la sécurité des citoyens, ne peut être la même que pour des technologies civiles

ii. Un engagement des États à soutenir les domaines technologiques maîtrisés par les sociétés implantées sur leur sol, ainsi qu'à soutenir tous les acteurs d'une filière localisée sur leur sol

iii. Un engagement des États à assurer aux industriels des autres États membres le libre accès aux technologies développées par les industriels implantés sur leur sol

iv. La définition d'un acteur économique européen dans le domaine de la Défense. L'accès aux financements des États membres ou de la Commission, la libre circulation des biens et des technologies de Défense, l'accès aux appels d'offres des États européens nécessitent que cette définition soit posée le plus vite possible, et de la façon la plus complète qui soit. Cela signifie la définition de critères d'appartenance à la BITDE : contrôle effectif, valeur ajoutée technologique au niveau européen (bureaux d'études, brevets, DPI)

Cette définition est un préalable à la constitution du marché européen et à la restructuration de l'industrie européenne.

ANNEXE 5 : L’INDUSTRIE DE DÉFENSE EUROPÉENNE EST À UN TOURNANT : APPEL À UNE PRISE DE CONSCIENCE

(Le présent document a été établi en mai 2012 par l’ASD – AeroSpace Defence Industries Association of Europe – et a fait l’objet d’un accord au sein de l’industrie européenne de défense)

Considérant que :

(1) Il est désormais incontestable que les restrictions budgétaires imposées à l'industrie de défense en Europe, notamment en raison de la crise financière, commencent à avoir un impact notable sur la demande actuelle et à venir, ainsi que sur l'investissement en recherche et développement ; ce qui entraîne une diminution des capacités industrielles de défense ;

(2) En conséquence de quoi, l'industrie européenne se tourne vers des marchés plus dynamiques afin de soutenir les activités rentables et maintenir les capacités industrielles de défense ;

(3) La réussite à long terme de l'industrie européenne de défense sur les marchés étrangers dépendra de sa capacité à montrer qu'elle dispose d'un marché national ou d'un marché en Europe pour ses produits ;

(4) L'érosion continue et de plus en plus rapide des capacités de l'industrie de défense aura d'importantes répercussions sur les politiques de sécurité et de défense qui doivent être soutenues.

Notre industrie recommande que les lignes d'action suivantes soient adoptées afin de contrer la tendance actuelle et de l'inverser :

a) Pour optimiser les économies d'échelle à l'intérieur de l'Europe, le processus d'harmonisation des exigences et de consolidation de la demande devrait être radicalement modifié.

Sur le plan politique, aussi souhaitables que puissent paraître les approches paneuropéennes, l'efficacité exigerait que soit maintenue une certaine souplesse pour progresser à géométrie variable, un rôle de premier plan revenant aux 6 ou 8 États membres qui représentent l'essentiel des dépenses de la défense européenne.

b) Dans tous les domaines stratégiques ou de souveraineté, les États membres devraient clairement définir leurs principales capacités en matière de défense (concernant notamment le maintien en condition opérationnelle, la formation et la logistique), en tant qu'intérêt national, ou comme une contribution individuelle ou conjointe aux objectifs de l'UE et de l'OTAN.

Ces capacités devraient être étayées par de solides activités de recherche et développement, stratégiques et à prix modéré, ainsi que des plans d'achats au niveau national ou à l'extérieur si cela se justifie, en collaboration avec d'autres États membres de l’Union européenne.

c) Toutes les autres exigences relatives aux capacités de défense devraient être remplies en conformité avec les règles communautaires du marché intérieur, en garantissant à l'industrie européenne de défense une concurrence équitable pour la conception, la fabrication et les fonctions support. Dans leurs décisions d'investissement et d'acquisition, et conformément à leurs déclarations communes, les gouvernements devraient estimer à leur juste valeur les réalités du marché et la gravité de la situation actuelle que connaît l'industrie européenne, ainsi que l'impact de leurs choix sur les capacités industrielles actuelles et futures.

En conséquence, lorsque l'approvisionnement sur le marché mondial est envisagé, les relations commerciales avec les marchés non européens devront être fondées sur les principes de justice et d'équité. Tant que ces conditions ne seront pas garanties, l'approvisionnement sur le marché européen sera privilégié.

d) Une attention particulière devrait être accordée au maintien et au développement de technologies de pointe et aux efforts de R&D, afin de garantir l'efficacité souveraine des forces militaires européennes et la compétitivité de l'industrie de défense européenne.

e) Les États membres devraient, dans leur propre intérêt, soutenir les efforts de l'industrie de défense européenne en passant des accords intergouvernementaux et en assurant un investissement pertinent dans les technologies.

(1 ) La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 De nombreuses informations et actualisations d’informations sur toutes les missions PSDC peuvent être trouvées sur le site web : www.bruxelles2.eu.

3 De nombreuses informations et actualisations d’informations sur toutes les missions PSDC peuvent être trouvées sur le site web : www.bruxelles2.eu.

4 La notion de « juste retour » est un concept communautaire, emprunté à la pratique des fonds structurels, qui doit permettre aux différents États de bénéficier des fonds investis dans une organisation ou un programme (par l’intermédiaire des contrats obtenus par les entreprises nationales) à hauteur de leur contribution budgétaire.

5 Pour information complémentaire, on trouvera en annexe une excellente étude sur la CSP publiée en décembre 2012 par SYNOPSIS, le Centre de recherche des Ecoles de Cooëtquidan.

6 Approche ascendante, par le développement technologique.

7 Approche par la base.

8 Le niveau moyen d'EBIT (earnings before interests and taxes) de l'industrie de défense Européenne se situe au niveau de 3~4 %, contre 7~9 % pour l'industrie US. Cet écart s'explique par deux facteurs :

- Les marges plus élevées permises par les contrats US de type cost-plus, qui laissent les risques à la charge de l'État.

- Le financement par les USA de la totalité de la R&D de défense, qui évite à l'industrie d'autofinancer.