N° 3723 - Rapport d'information de Mme Nathalie Chabanne et M. Jacques Myard déposé par la commission des affaires européennes sur l'impact de la législation européenne en matière de services publics : le cas des télécommunications




N° 3723

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mai 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’impact de la législation européenne en matière de services publics :
le cas des télécommunications

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Nathalie CHABANNE et M. Jacques MYARD

Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 5

INTRODUCTION 9

I. LA LÉGISLATION EUROPÉENNE APPLICABLE AUX SECTEURS PUBLICS DE RÉSEAUX : UNE CONCEPTION FONCTIONNELLE DE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC COUPLÉE À L’APPLICATION MÉCANIQUE D’UN PRINCIPE 15

A. UNE CONCEPTION FONCTIONNELLE DES SERVICES PUBLICS, INCHANGÉE DEPUIS 1957, QUI EST SUSCEPTIBLE D’ÉVOLUER 17

1. Le choix structurant d’une conception limitée dans le Traité de Rome 17

2. Le Traité de Lisbonne a posé les bases d’appui pour un rééquilibrage 20

B. DES RÉGLEMENTATIONS SECTORIELLES FONDÉES SUR LA REPRODUCTION D’UN MÊME MODÈLE DANS UN CONTEXTE DE MUTATIONS TECHNOLOGIQUES ET SOCIOLOGIQUES 23

1. Des mutations technologiques et sociologiques qui mettent à mal la logique de monopole naturel jusqu’alors appliquée aux services publics de réseaux 23

2. Une extension de la libéralisation à partir du modèle des télécommunications, marqué pourtant par trois caractéristiques atypiques 25

II. LE SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS : UN CADRE EUROPÉEN QUI PRIVILÉGIE LA CONCURRENCE, LE CHOIX NATIONAL POUR UNE INITIATIVE PUBLIQUE LIMITÉE ET DÉCENTRALISÉE 31

A. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DU SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS : UN OBJECTIF PRIORITAIRE, LA RÉALISATION D’UN MARCHÉ INTÉRIEUR SANS FRONTIÈRES 32

1. La mise en place d’un cadre juridique européen contraignant pour les terminaux, les services et les réseaux par le biais du droit de la concurrence 32

2. Une régulation à double facette partagée entre plusieurs acteurs 38

B. UN RECOURS À L’INITIATIVE PUBLIQUE LIMITÉ MAIS AUSSI SOUS-UTILISÉ QUI ABOUTIT DE FACTO À PRIVILÉGIER LES ZONES DENSES 47

1. Du « service public »  au « service universel », un périmètre strictement encadré 47

2. Un État stratège en retrait : le choix d’une co-construction avec les opérateurs déléguée aux collectivités 53

a. Le très haut débit fixe : des réseaux d’initiative publique confiés aux collectivités territoriales pour les zones peu denses, fortement contraints et à l’avenir incertain 53

b. Les réseaux mobiles : des programmes de couverture ad hoc pour suppléer les obligations qui pèsent sur les opérateurs, qui sollicitent l’appui financier des collectivités territoriales 70

C. UN MARCHÉ REDESSINÉ AU PROFIT DES CONSOMMATEURS DE ZONES DENSES AU MOMENT OÙ LES OPÉRATEURS SONT CONCURRENCÉS PAR DE NOUVEAUX ACTEURS AUX MOYENS DÉMESURÉS 74

1. Des consommateurs satisfaits au détriment des opérateurs 75

a. Une baisse importante des prix pour le consommateur, dont la concurrence n’est le seul facteur explicatif 75

b. Un impact globalement négatif pour les opérateurs français 78

2. De nouveaux acteurs et de nouveaux enjeux qui appellent un cadre européen plus régulé 80

a. De nouveaux acteurs et de nouveaux enjeux 80

b. La nécessité d’une politique qui favorise la consolidation du secteur doublée d’une régulation forte pour protéger notre capacité d’innovation 82

CONCLUSION 87

TRAVAUX DE LA COMMISSION 89

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 91

SYNTHÈSE DU RAPPORT

Depuis la grande vague des déréglementations des années 1980-1990, fondée sur la prééminence accordée à l’intérêt du consommateur sur le producteur, les arguments n’ont pas manqué pour justifier la fin des monopoles publics, au premier chef ceux des télécommunications.

En érigeant en clé de voûte le principe de libre concurrence pour toute l’économie européenne, l’Union européenne a lancé un processus économique qui a entrainé un bouleversement de l’économie des services publics de réseaux jusqu’alors fondée sur la théorie du monopole naturel. Elle l’a aussi emporté – temporairement, il faut l’espérer – sur le plan politique par rapport aux États.

Mettant fin au consensus prudent depuis 1957 et le Traité de Rome entre États membres sur l’absence de nécessité d’une action de l’Union européenne, et donc sur le maintien de l’organisation de leurs services publics de réseaux telle qu’elle résultait de leurs traditions nationales, l’Acte unique de 1986 marque un tournant politique majeur, et de support à la mise en œuvre de politiques nationales, les réseaux d’infrastructures deviennent des facteurs clés nécessaire à la réalisation du marché unique et à la mise en œuvre des quatre libertés de circulation. La Commission européenne s’en empare donc, avec une logique de concurrence porteuse de diverses polarisations, entre court et long terme, entre citoyens et consommateurs, entre citoyens des villes et citoyens des champs, entre industriels et consommateurs.

Partant, elle en a oublié de se poser la question de l’objectif final. Que doit-il être : le meilleur service au moindre coût ou bien la concurrence ? En réalité, cette dernière n’est qu’un moyen pour mettre en œuvre les objectifs de l’Union, parmi lesquels notamment la cohésion économique, sociale et territoriale.

Or, là où la conception française traditionnelle définit le service public comme un instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt général définis dans le cadre d’une politique publique, l’Union européenne a retenu une approche différente : celle du simple constat de l’existence de manques, qu’il convient de pallier, tout en identifiant, de manière aussi limitée que possible, ce qui relève d’un monopole naturel, et en favorisant une « assimilation » aux règles du marché progressive par le biais de l’exigence de respect des règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations.

Alors que la création d’un véritable marché unique du numérique (MUN) en Europe est l’un des objectifs de la stratégie numérique pour l’Europe de mai 2010 (« Agenda numérique pour l’Europe »), l’une des sept initiatives phares de la stratégie UE 2020, et que le président Juncker en a fait la deuxième priorité de son mandat, cette logique a aujourd’hui atteint ses limites.

La persistance de zones non ou mal desservies tant en matière de téléphonie mobile qu’en matière de très haut débit fixe – en dépit, sur ce dernier point, des flexibilités offertes par un cadre européen pour une fois assoupli, mais qui n’a pas été utilisé comme il aurait pu l’être – mais aussi l’état de l’industrie européenne des télécommunications et son incapacité à rivaliser avec les autres acteurs internationaux sont incompatibles avec la réalisation de cette ambition sur tout le territoire de l’Union.

Car tel est bien l’enjeu. Aujourd’hui, le marché a été redessiné au seul profit des consommateurs des zones denses, et la fracture numérique est une réalité. L’ouverture sans restrictions du marché européen se traduit par une moindre capacité d’innovation européenne compte tenu du modèle retenu par les nouveaux acteurs numériques, notamment américains, les fameux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).

Des signes – encore trop peu nombreux – montrent qu’une évolution est possible à défaut d’être encore pleinement en cours.

C’est tout d’abord une inflexion politique dans le corps même des traités, où sont aujourd’hui affirmés la place et le rôle des services d’intérêt général dans le projet politique européen. Les Traités d’Amsterdam puis de Lisbonne ont ainsi posé des bases d’appui, il revient aux États de s’en emparer ; l’inclusion de la téléphonie mobile dans le service universel – aujourd’hui refusée par la Commission européenne et empêchée par l’écriture de la directive sur le service universel – doit en être le premier combat, alors que le contenu de ce service universel fait l’objet d’un constat de décalage, voire de désuétude , par rapport aux besoins des citoyens.

C’est ensuite une différence d’approche entre les différentes directions de la Commission européenne, entre direction « sectorielle » et direction « concurrence » que l’on peut noter ici et là. Privilégier – enfin – le point de vue des premières pourrait favoriser la dimension industrielle qui doit être au cœur de la définition de cet environnement propice que la Commission souhaite promouvoir avec le paquet télécoms rénové attendu pour 2016, avec la mise en place d’un cadre incitatif à l’investissement.

Cela permettrait de sortir du débat historique entre concurrence par les infrastructures et concurrence par les services. Cette notion revient en effet à valoriser les acteurs qui investissent massivement, qu’il s’agisse de dégroupage, de mutualisation de réseau ou bien d’investir dans leur propre déploiement, permettant ainsi de préserver la dynamique concurrentielle sur les marchés de détail tout en incitant à un investissement efficace, afin de permettre le déploiement le plus rapide et le plus large possible des réseaux mobiles et des réseaux à très haut débit de nouvelle génération, et propice à l’innovation.

La DG Concurrence doit modifier son approche rigide de l’évaluation du marché pertinent, aujourd’hui la taille d’un marché n’est plus nationale, elle est au minimum européenne. Si ses récentes décisions ne vont pas dans ce sens, il convient de noter a contrario la communication de griefs adressée en avril 2016 à l’entreprise à Google au sujet de son service de comparaison de prix et l’ouverture d’une procédure formelle d'examen distincte concernant Android, qui prend en compte cette question de « l’innovation européenne empêchée. »

Il en va non seulement du futur de l’industrie européenne des télécommunications – les industriels l’ont compris, une recomposition est en cours, mais le cadre concurrentiel doit accompagner, et non handicaper cette dernière –, mais aussi de la satisfaction des consommateurs à terme, et surtout de la réponse à la demande – fondamentale – d’un accès égal de tous les citoyens européens à la révolution numérique que la Commission européenne appelle de ses vœux.

Enfin, parce que la régulation doit avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public, elle doit relever pour partie des autorités publiques. Si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être « le » régulateur. Renforcer la légitimité des décisions qu’elle est amenée à prendre passe par une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, par l’institutionnalisation de relations avec ce dernier.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Envisagée pendant tout le premier trimestre de cette année, la fusion de Bouygues Telecom avec Orange, acteur dominant du marché des télécommunications, se voulait la traduction française d’une dynamique de concentration à l’œuvre à travers toute l’Europe.

Réunifiés au sein d’un nouveau groupe public ferroviaire SNCF depuis la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, les deux établissements publics affiliés, le gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau) et l’exploitant ferroviaire (SNCF Mobilités), ont enregistré une perte nette de 12,2 milliards d’euros en 2015, conséquence d’une importante dépréciation de leurs actifs. Si le président démissionnaire de SNCF Réseau, M. Jacques Rappoport, a réaffirmé que « les enjeux du réseau ferré c’est d’abord le service rendu à la nation » (1), le président de SNCF Réseau, M. Guillaume Pepy, a pour sa part signifié la fin du « TGV, conquête industrielle française », jugeant irréaliste de multiplier encore les lignes et les dessertes, déjà trop nombreuses pour la rentabilité (2).

Alors que le 8 octobre 2014 la Commission européenne avait validé l’accord commercial conclu entre EDF et le Gouvernement britannique pour l’exploitation de deux réacteurs nucléaires à eau pressurisée (EPR) de Hinkley Point C, et, le 10 mars 2016, donné son aval sur le partenariat et l’accord de financement passé entre EDF et le groupe chinois CGN, les tensions – financières et stratégiques – dans le groupe français, dont la situation de fragilité vient d’être soulignée par la Cour des comptes (3), ont conduit en quelques jours à la démission de son directeur financier et à l’appel à l’aide financière de l’État, son principal actionnaire, par le PDG, M. Jean-Bernard Levy (4).

Depuis la grande vague des déréglementations des années 1980-1990, fondée sur la prééminence accordée à l’intérêt du consommateur sur le producteur, les arguments n’ont pas manqué pour justifier la fin des monopoles publics, au premier chef, ceux des télécommunications, mais aussi ceux des transports et de l’énergie dans notre pays. Mais la politique européenne en matière de services publics a-t-elle vraiment les vertus qu’on lui prête? Qu’il soit permis à vos co-rapporteurs d’en douter, comme l’illustrent les trois exemples en introduction de ce rapport, dont ils ont été chargés par votre Commission en 2015.

L’Union européenne a érigé en clé de voûte le principe de libre concurrence pour toute l’économie européenne. Processus économique qui entraine un bouleversement de l’économie des services publics de réseaux jusqu’alors fondée sur la théorie du monopole naturel, c’est aussi – et peut-être d’abord pour vos co-rapporteurs – une question politique au niveau européen à travers une confrontation entre les États et la Commission européenne, cette dernière cherchant affirmer son indépendance et son pouvoir sur les premiers.

Partant, l’Union en a oublié de se poser la question de l’objectif final. Que doit-il être : le meilleur service au moindre coût ou bien la concurrence ? En réalité, cette dernière n’est qu’un moyen pour mettre en œuvre les objectifs de l’Union, parmi lesquels notamment la cohésion économique, sociale et territoriale. L’article 7 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose en effet que : « L’Union veille à la cohérence entre ses différentes politiques et actions en tenant compte de l’ensemble de ses objectifs et en se conformant au principe d’attribution des compétences. »

La Commission des Affaires européennes a fait montre d’un intérêt constant pour la mise en œuvre de la politique européenne de la concurrence. Votre co-rapporteur a ainsi, en 2011, analysé son impact sur la politique industrielle (5) et notre collègue, Mme Isabelle Bruneau, a, dans son excellent rapport de juillet 2014, dressé un panorama synthétique de la mise en œuvre des règles de concurrence par l’Union européenne (6).

Vos co-rapporteurs ont donc souhaité centrer leurs travaux sur l’application de ces règles à trois secteurs essentiels à leurs yeux, les télécommunications, l’énergie et les transports, en commençant leurs travaux par le premier d’entre eux.

En France les activités de réseau constituaient une part notable de ce qu’il est convenu d’appeler le service public. Dans la conception européenne, et compte tenu de leur nature marchande, ces activités sont au cœur des « services d’intérêt économique général ».

Dans ces industries de réseau, l’équilibre entre l’intérêt des consommateurs et la garantie d’une politique industrielle européenne reste à trouver pour vos co-rapporteurs, alors que les intérêts des premiers et des seconds ont été opposés dans la mise en œuvre des politiques de libéralisation sectorielle.

La logique de libéralisation choisie par l’Union européenne pour réaliser le marché unique est en effet porteuse, dans les secteurs de réseau, de diverses polarisations (économique, sociale, territoriale, temporelle, financière) mettant en cause les finalités mêmes des services publics.

La libéralisation privilégie les gros consommateurs qui disposent d’un pouvoir de marché sur les petits consommateurs, les clients solvables par rapport à l’égalité de traitement. Elle favorise les territoires les plus denses et concentrés, qui disposent déjà d’avantages comparatifs, et met en cause l’égalité de traitement ou les possibilités de péréquation des tarifs. Enfin, la libéralisation survalorise le court terme au détriment du long terme, avec pour conséquences des menaces sur l’investissement, l’emploi et sur l’environnement.

Dans les secteurs de réseau, la « concurrence pure et parfaite » est illusoire. Elle conduit seulement à une concurrence oligopolistique entre quelques grands groupes structurant le marché européen, entrainant de nouvelles concentrations et la création de nouvelles rentes au détriment des utilisateurs, comme le montre le marché américain des télécommunications ou britannique de l’énergie.

L’industrie européenne des télécommunications en est une parfaite illustration, elle qui se caractérise aujourd’hui par un paradoxe et une évolution intenables à long terme :

● Elle conduit une révolution des modes de production et bouleverse la société, tout en n’en recueillant pas ou peu les fruits. Le rythme de l’innovation conduit à une telle baisse des prix que la croissance est essentiellement absorbée par le consommateur ;

● Elle décroche par rapport à ses concurrents mondiaux alors que se présente clairement l’enjeu majeur de la convergence. Si l’Europe n’a jamais beaucoup pesé dans le domaine de l’informatique, elle a toujours été une puissance dans les télécommunications, qui représentent un gros tiers du marché mondial du numérique. Ses opérateurs, comme Orange ou Deutsche Telekom sont parmi les plus gros du monde et l’Europe avait pris une avance considérable dans le mobile en inventant le standard GSM. C’est désormais fini. Selon le cabinet IDATE Digiworld, la croissance de ce secteur, entre 2010 et 2016, devrait être quasi nulle en Europe (+ 0,3%), contre + 15 % aux États-Unis, + 26% en Asie et une explosion de 57% en Afrique. Presque tous les opérateurs européens, en dehors de Deutsche Telekom et de Telenor, ont vu leurs revenus continuer de reculer en 2014.

CLASSEMENT DES 15 PREMIERS OPÉRATEURS MONDIAUX TÉLÉCOMS
SELON LEUR CHIFFRE D’AFFAIRES - 2014

(en milliards d’euros)

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Source : IDATE, Marché mondial des services et acteurs télécoms, juin 2015

La construction d’un réseau – qu’il s’agisse d’antennes de télécommunications ou de réseaux fibrés, de lignes électriques ou de conduites de gaz – implique de lourds investissements. D’abord, pour couvrir les territoires et assurer aux citoyens une égalité d’accès à des services de qualité. Ensuite, pour entretenir le réseau afin d’assurer la sécurité des consommateurs.

La politique de libéralisation des secteurs des télécommunications, des transports et de l’énergie peut-elle permettre d’atteindre ces objectifs ? Pour vos co-rapporteurs, la réponse est : « Non », si elle oublie de prendre en compte les spécificités des secteurs concernés, et applique une recette toute faite de manière dogmatique et que ne sont pas mis en balance les avantages attendus avec les coûts en termes sociaux et territoriaux et les risques que cette politique peut générer pour l’indépendance de l’Union européenne.

En effet, alors que la Commission européenne ne manque pas de souligner que politique de la concurrence et politique industrielle poursuivent le même objectif : établir un environnement favorable à la compétitivité des acteurs économiques, il est clair aux yeux de vos co-apporteurs que la première n’est efficace que lorsque certaines conditions sont réunies.

Un retour sur l’historique du mouvement de dérégulation conduit dans les années 1980-1990 à partir du secteur des télécommunications met en évidence la façon dont les recettes jugées efficaces dans le secteur des télécommunications ont été plaquées sur ceux de l’énergie et des transports sans prendre en compte les spécificités propres à ces secteurs.

Le bilan mitigé de ce mouvement dans le secteur des télécommunications doit nous conduire – et la Commission européenne au premier chef, puisque l’article 3 du TFUE confère une compétence exclusive à l’Union européenne en matière d’« établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » – à revoir les modalités de sa mise en œuvre afin de conjuguer, dans l’Union, l’intérêt des consommateurs, la pérennité des industries ainsi que la cohésion des territoires, au risque, à défaut, de nuire à l’égalité de traitement des consommateurs.

Les infrastructures numériques, comme les infrastructures énergétiques et de transport, constituent non seulement un facteur d’attractivité des territoires, mais sont aussi des facteurs essentiels de cohésion sociale et de cohérence nationale. Les territoires ruraux et périurbains qui ne disposent toujours pas des infrastructures numériques nécessaires à un usage minimum de ces nouvelles technologies sont soumis à une forme de ségrégation territoriale: être coupé du monde empêche de « vivre ensemble », ne permet pas la revitalisation économique des territoires. Un aspect que la Commission européenne au premier chef devrait privilégier, la réalisation du marché unique numérique et le soutien à l’industrie numérique européenne est impossible sans infrastructures pour irriguer l’espace européen dans sa totalité.

Dans un contexte de modifications profondes à la fois technologiques et économiques portées par :

- un nouveau cycle d’investissements de long terme et très importants (réseaux à très haut débit fixes et mobiles ; rénovation du parc nucléaire, développement des énergies renouvelables),

- un nouvel écosystème (le numérique, avec l’apparition de services fournis par internet modifiant la chaîne de valeur traditionnelle des services de communications électroniques, et de nouvelles évolutions à venir avec le développement de l’internet des objets par exemple ; évolution du mix énergétique, engagements liés au changement climatiques, etc…),

l’enjeu est bien de redéfinir l’articulation de la politique de concurrence avec une politique industrielle pour les mettre, l’une et l’autre, au service de la compétitivité européenne. L’intérêt immédiat du consommateur ne peut et ne doit pas être la seule référence des politiques communautaires.

Des signes – encore trop peu nombreux – montrent qu’une évolution est possible à défaut d’être encore pleinement en cours. Il est pourtant essentiel aux yeux de vos co-rapporteurs de se démarquer totalement du dogmatisme « du tout concurrence » préconisé encore trop souvent par la Commission européenne de manière quasi-automatique sans prendre en compte les caractéristiques propres à chacun des secteurs.

« Je refuse une Europe qui ne serait qu’un marché, une zone de libre-échange sans âme, sans conscience, sans volonté politique, sans dimension sociale. » Jacques Delors.

En France, mais aussi en Europe, les services publics représentent un élément clé du modèle social.

Une « économie sociale de marché » implique en effet que certaines activités ne peuvent pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, et peuvent donc être soumises à des normes spécifiques d’organisation et de régulation, au nom de trois objectifs :

- garantir le droit de chaque habitant d’accéder à des biens ou services fondamentaux,

- construire des solidarités (promouvoir l’intérêt général, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale),

- répondre aux défaillances du marché et prendre en compte le long terme, c’est-à-dire créer les conditions d’un développement économique, social et environnemental durable.

Tous les États membres admettent, selon des formes et des degrés divers, cette limitation aux règles du seul marché, et si le Traité de Rome de 1957 aborde la question des services publics dans le cadre du marché commun, ces derniers s’accordent sur l’absence de nécessité d’une action de l’Union européenne. Chaque État membre conserve ainsi la plénitude de ses prérogatives pour définir, organiser, financer et réguler ses services publics de réseaux en fonction de ses traditions nationales.

Leur organisation, en France, sous la forme de grands monopoles étatiques comme ceux des télécommunications, du gaz, de l’électricité, du chemin de fer, s’est appuyée sur la logique de « monopole naturel ».

Les industries de réseau sont en effet très intensives en capital, induisant des rendements d’échelle croissants (la construction du réseau implique un coût fixe important mais le coût unitaire va en diminuant au fur et à mesure que la production croît, d’où des économies d’échelle importantes). Dans cette situation, un bien est produit à un coût unitaire nettement inférieur à une situation avec concurrence et l’entreprise dominante peut donc expulser du marché les autres acteurs existants et interdire l’entrée sur le marché à de nouveaux acteurs.

Monopole naturel

Une branche d’activité est en situation de monopole naturel sur un territoire plus ou moins vaste, lorsque les économies d’échelle y sont très fortes. Cette situation se présente le plus souvent lorsque l’activité de la branche est fondée sur :

- une exigence de très forts investissements au départ, pour fournir le service aux premiers clients ;

- la fourniture à faible coût du service à un client supplémentaire une fois l’investissement de départ réalisé (faible coût marginal).

Cette combinaison tend à donner un avantage déterminant à l’entreprise dominante puis, après disparition des concurrents, conduit à une situation de monopole : en effet, dans ces conditions, le premier opérateur sur le marché peut alimenter tous les clients du secteur, et peut leur facturer le coût moyen, alors qu’un opérateur nouveau devrait faire un investissement équivalent pour un nombre de clients bien plus faible au départ, donc avec un coût par client qui entraînerait de fortes pertes.

Le monopole naturel apparaît quand les capacités de production de l’opérateur dominant sont suffisantes pour alimenter tout le marché : aucun autre opérateur n’entre alors ou ne peut persister sur ce marché, et le premier peut en profiter pour augmenter ses prix autant que possible (il pourra toujours réagir en les baissant, si une concurrence nouvelle apparaît).

Afin de s’affranchir de la question de la maximisation du profit, une conception alternative a longtemps été pour l’État d’imposer le monopole d’une entreprise publique dans les secteurs de monopole naturel. Cela a été le cas dans de nombreux pays occidentaux à économie de marché, dès le début du XXe siècle.

La première nationalisation française à caractère économique : celle du téléphone, en 1889.

L’exploitation commerciale du téléphone dans l’Hexagone commence en 1878. À l’occasion de l’exposition universelle, le ministère des Postes et Télégraphes, tout juste créé, accorde des licences d’exploitation du téléphone urbain à trois concessionnaires, qui fusionnent dès l’année suivante pour former la Société Générale des Téléphones (SGT).

Au cours de la décennie qui suit, la région parisienne puis les grandes villes de province sont équipées et reliées entre elles. Devant l’enthousiasme des utilisateurs, l’État comprend qu’il a accordé à la SGT un avantage exorbitant.

Le 16 juillet 1889, le Parlement vote une loi nationalisant la Société Générale des Téléphones et institue le monopole des télécommunications en faveur de l’État. L’exploitation du téléphone est confiée au ministère des Postes et Télégraphes.

Source: ww.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights

Le choix, en 1986, du marché unique marque une rupture fondamentale :

- d’une part, les États membres confient aux institutions de l’Union la mission de réaliser le « marché unique » au 1er janvier 1993 et de mettre en œuvre les quatre libertés fondamentales de circulation (personnes, marchandises, services, capitaux) ainsi que d’éliminer les obstacles aux échanges ;

- d’autre part, la perception de ces réseaux d’infrastructures change radicalement : de support à la mise en œuvre de politiques nationales, ils deviennent des facteurs clés nécessaire à la réalisation de ce marché unique et à la mise en œuvre de ces quatre libertés. Une nouvelle théorie de la régulation se met en place distinguant la production du réseau (et sa maintenance) des services que l’on produit en utilisant le réseau.

À l’initiative des États membres – il ne faut jamais l’oublier –, commence alors un processus d’intégration des dynamiques économique et politique européennes dans les logiques nationales, qui se traduit en France par la « désintégration » des services publics de réseaux de télécommunication et d’énergie tels qu’ils avaient été définis depuis près d’un siècle.

La définition des principes et des normes applicables à certains de ces services publics est transférée au plan européen, et si les États conservent une capacité relative d’initiative et de choix, vos rapporteurs déplorent qu’ils aient trop longtemps laissé la « bride sur le cou » aux tenants d’une « concurrence juste et équitable, fondée sur le mérite » entre les entreprises.

La notion de service public n’apparaît pas en tant que telle dans le Traité de Rome.

Ses rédacteurs se sont en effet heurtés à la fois à la polysémie du concept et à la diversité des traditions, des modes d’organisations et des conceptions nationales. C’est donc l’expression « service d’intérêt économique général » (SIEG) qui est retenue à l’article 90 du Traité de Rome de 1957 (devenu l’article 86 du Traité instituant la Communauté européenne –TCE, puis l’article 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de Lisbonne – TFUE), expression qui n’a jamais été modifiée au cours des traités successifs.

Avec cet adjectif « économique », ce sont bien les activités de réseau (télécommunications, transports, énergie) qui sont visées au premier chef, ce qu’a d’ailleurs explicité la Commission dans son Livre blanc de 2004, où elle énumère un certain nombre de services qui figurent de façon naturelle parmi les SIEG : « services fournis par les grandes entreprises de réseaux comme les transports, les services postaux, l’énergie et la communication ».

Article 106 du TFUE

1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus.

2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

3. La Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres.

Or la rédaction retenue est en fait un choix structurant pour les décennies qui suivront, car elle met l’accent sur :

- la voie d’une « assimilation » progressive aux règles du marché via de l’exigence de respect des règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations ;

- non pas sur la conception organique mais sur les objectifs et les finalités, avec l’expression « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, mission particulière qui leur a été impartie » (l’Union européenne ne fait pas de distinction entre service rendu par une entreprise privée et service rendu par une entreprise publique) ;

- le caractère certes possible (à la condition d’être justifiée) mais en fait exceptionnel de la non-soumission aux règles de concurrence et à la liberté des échanges ;

- le rôle essentiel confié à la Commission européenne pour l’application de ces dispositions, même si les services publics font l’objet d’une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres, régie par le principe de subsidiarité. Les États sont libres de définir les services et de choisir la manière dont le service doit être assuré : ils peuvent offrir eux-mêmes le service ou confier le service à une entreprise. Il leur revient donc de définir les SIEG sous réserve de l’erreur manifeste d’appréciation, évaluée par la Commission européenne. Cette dernière a ainsi la possibilité de contester le bien-fondé de la qualification d’une activité de service d’intérêt général par un État.

Le choix du marché unique en 1986 et donc la mise en œuvre de cet article resté pour l’essentiel inappliqué a alors un impact déterminant sur ces réseaux d’infrastructures opérés sous la forme de service public dans la plupart des cas (il est à ce sujet essentiel de noter l’influence du Royaume-Uni, qui lance dès 1979 un programme de privatisation, avec les télécommunications dès 1981, le gaz en 1982, l’électricité, y compris le nucléaire, partiellement en 1989) : les formes nationales d’organisation et de régulation des services publics sont progressivement remises en cause par les institutions de l’Union européenne.

Devenus des facteurs clés nécessaires à la réalisation de ce marché unique et à la mise en œuvre des quatre libertés fondamentales de circulation, les services publics de réseau ont fait l’objet de stratégies sectorielles de « marché intérieur » fondées sur l’introduction :

- de la conception la plus large possible de la libre concurrence et du libre-échange en identifiant, de manière aussi limitée que possible, ce qui relevait d’un monopole naturel,

- et de nouveaux concepts et normes, tels que le « service universel », dans les télécommunications ou bien les « obligations de service public », dans l’énergie et les transports, garantissant certains services essentiels.

Les limites de ces SIEG sont délimitées par la Commission, mais aussi par les États, par le biais de la définition des contours de ce service universel. Une illustration de l’impact des choix européens sur le service public de réseau est ainsi le cas de l’inclusion – ou non – de l’accès au téléphone mobile ou à l’Internet à très haut débit. Dans une acception du service public des télécommunications en phase avec les besoins exprimés au 21e siècle, tel devrait être le cas pour vos co-rapporteurs (cf. infra).

Il appartient donc aux États, pour vos co-rapporteurs, de ne pas céder aux injonctions de la Commission, qui a trop longtemps vu une « politique de la concurrence » là où le droit primaire pose des « règles communes de concurrence », et ce d’autant plus que :

- l’adoption du Traité de Lisbonne pose les bases d’appui pour un rééquilibrage alors que toutes les réglementations sectorielles lui sont antérieures ;

- des signes encourageants montrent qu’une évolution est possible, qu’il s’agisse, au niveau européen, de la prise de conscience de la nécessité d’une politique commune de l’énergie avec l’Union de l’énergie ou bien des discussions sur le quatrième paquet ferroviaire, ou bien au niveau national, avec l’évolution des positions du régulateur sectoriel des télécommunications sur le nombre des opérateurs.

Le traité d’Amsterdam de 1997 avait marqué un vrai tournant, par l’affirmation, posée dans le corps même du traité, de la place des SIEG en tant que « valeur commune » de l’Union et de leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

Article 14 du TFUE (ancien article 16 du TCE)

Sans préjudice de l’article 4 du traité sur l’Union européenne et des articles 93, 106 et 107 du présent traité, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, l’Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application des traités, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent ces principes et fixent ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services.

Le Traité de Lisbonne marque une avancée importante, en complétant le Traité d’Amsterdam de 1997 et en conférant la même valeur juridique que les traités à la Charte des droits fondamentaux approuvée par le Conseil européen de Nice en décembre 2000, qui pose, à l’article 36, l’obligation faite aux institutions européennes de respecter l’accès aux SIEG tel qu’il est prévu par les législations nationales à la condition que ces dernières s’inscrivent dans le cadre du Traité.

Article 6 du TFUE

1. L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

[…]

Article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Accès aux services d’intérêt économique général

L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

L’article 1er du Protocole n° 26 sur les services d’intérêt général affirme la place et le rôle des services d’intérêt général dans le projet politique européen.

Article 1er du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général annexé au TFUE

Les valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général au sens de l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comprennent notamment:

- le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt économique général d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ;

- la diversité des services d’intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes;

- un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits.

Pour M. Pierre Bauby, que vos co-rapporteurs ont auditionné et dont ils partagent l’analyse, « il ne s’agit plus désormais d’organiser un jeu de règles assorties d’exceptions, de sauvegarder des services d’intérêt général dans un univers tout orienté vers la primauté du droit de la concurrence, mais d’instaurer, pour la société européenne, un cadre réglementaire conforme à ses valeurs dans lequel les services d’intérêt général ont toute leur place. » (7)

Toutefois, l’articulation entre droit de la concurrence et SIEG reste ambiguë. Ce régime reste en effet fixé par l’article 106 du TFUE, selon lequel « les entreprises chargées de la gestion des SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Selon que l’on considère la première partie ou la seconde partie de la phrase, l’interprétation est très différente. L’insistance sur « le respect des règles du traité » donne la primauté au cadre concurrentiel, tandis que le rappel des «  limites » à l’application de ces règles préserve bien un espace spécifique aux SIEG. Jusqu’à présent, la France a toujours valorisé la deuxième partie du texte, mais la possibilité de dérogation n’est pas laissée à sa libre appréciation. Elle est encadrée par la Commission européenne.

M. Pierre Bauby considère ainsi que l’article 14 du TFUE s’applique dans toutes les politiques de l’Union européenne, y compris en matière de marché intérieur et de concurrence, car il est inscrit parmi les dispositions du titre II «  Dispositions d’application générales ». À son sens, de surcroît, il serait possible de faire deux lectures de l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux, soit comme ne donnant aucune compétence, ni obligation aux institutions européennes puisque le respect de l’accès aux SIEG renvoie aux « législations nationales », soit comme obligeant les institutions européennes à respecter « l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations nationales » si ces dernières l’ont clairement défini.

Vos co-rapporteurs soulignent pour leur part que si une autre lecture est possible de ces articles 14 du Traité et 36 de la Charte (la mention « sans préjudice de l’article 106 » tend à indiquer que l’article 106 l’emporte sur cet article 14 justement en matière de marché intérieur et de concurrence pour les SIEG et l’obligation est faite aux institutions européennes de respecter « l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations nationales » à la condition que ces dernières s’inscrivent dans le cadre du Traité), cela ne doit pas conduire les États-membres à s’autocensurer, comme ils l’ont fait pendant trop longtemps, mais au contraire à les inciter à faire trancher cette incertitude par la Cour de Justice de l’Union européenne, dont la jurisprudence est plus équilibrée que l’on ne le pense parmi les responsables politiques et les hauts fonctionnaires français.

La direction générale de la concurrence qui avait un pouvoir d’appréciation sans limites dans ce domaine, commence maintenant à être contre-arbitrée. En effet, la Cour de Justice vient de considérer que, dans un certain nombre de cas, la Direction générale de la concurrence était allée un peu trop loin dans l’imposition de contraintes antitrust. Et l’arrêt Altmark de 2003 a conduit la Commission à opérer un virage politique en matière de contrôle des aides d’État, en fixant des règles de minimis dans le paquet Almunia.

Cela est particulièrement clair dans le secteur des télécommunications : vos co-rapporteurs ont pu constater, et cela leur a été confirmé par certains de leurs interlocuteurs, une différence d’approche entre les différents services de la Commission européenne, entre la direction générale « Réseaux de communication, contenu et technologies « (DG CONNECT) et la direction générale de la concurrence (DG COMP), la première appréciant mieux l’importance de la prise en compte des disparités géographiques entre États membres et de la nécessité de dépasser un modèle conçu à l’origine par et pour les zones urbaines que la seconde.

Préconisations de vos co-rapporteurs : tirer pleinement parti du nouveau cadre issu du Traité de Lisbonne et en particulier de l’article 1er du Protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, qui affirme la place et le rôle des services d’intérêt général dans le projet politique européen, et ne pas hésiter à défendre cette conception devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

À partir des années 1980, des mutations technologiques et sociologiques, qui interviennent en parallèle à cette décision politique du choix du marché unique, facilitent le choix de la forme retenue, la libéralisation, pour sa mise en œuvre dans les grands réseaux d’infrastructures de télécommunications et d’énergie.

La notion de « monopole naturel », sur laquelle s’appuie, pour l’économiste français Léon Walras, l’intervention de l’État pour assurer aux usagers des prix faibles et un développement aussi complet que possible des infrastructures, se trouve remise en cause dans ces deux secteurs.

La découverte de modes alternatifs au fil de cuivre pour le transfert de la voix et des données, les progrès technologiques permettant un élargissement de la bande passante, entraînent une baisse notable du coût des infrastructures, et rendent possible la duplication ou l’interopérabilité des infrastructures de télécommunications essentielles, gérées par des opérateurs distincts. Dans les infrastructures de télécommunication, la concurrence est presque partout : l’accès au client final n’est plus monopolistique grâce à la fibre ou au câble.

Selon certains experts, la très forte hausse de la demande de services de télécommunications (d’abord dans le mobile puis dans l’ensemble des services numériques) rend d’ailleurs rentable et souhaitable la construction d’autres réseaux, un monopole ne pouvant pas assurer l’ensemble de la demande, son propre réseau arrivant à saturation. Vos co-rapporteurs jugent toutefois indispensable de poser la question du coût, en lui-même mais aussi pour la société, de la création ex nihilo d’un nouveau réseau au regard du renforcement du réseau existant.

Si l’intégration verticale des industries électriques et gazières pouvait se justifier par la notion de « spécificité » des actifs en permettant une économie de coûts de transaction (par rapport à une coordination par le marché) grâce à une meilleure utilisation de l’effet « économies d’échelle », le progrès technique a fortement atténué cette spécificité des actifs dans l’amont de l’industrie électrique (cas des centrales à gaz à cycles combinés pour lesquelles les rendements d’échelle sont sensiblement inférieurs à ceux des équipements classiques, apparition des énergies renouvelables locales) comme dans la distribution et la commercialisation du gaz naturel, avec l’interconnexion croissante des réseaux et le recours à un marché spot avec couverture des risques sur un marché à terme.

Ces mutations technologiques fortes s’accompagnent d’une mutation sociologique.

Ancrée dans l’Histoire pour protéger le patrimoine industriel national ou pour réguler l’activité économique, l’intervention de l’État dans l’économie a donné lieu à trois grands mouvements de nationalisations – en 1936, à la fin de la seconde guerre mondiale et en 1982 (8), mais la première nationalisation française à caractère économique est celle du téléphone, en 1889.

Or, à la fin des années 60, la demande des Français se déplace du logement et de l’électricité, désormais satisfaits, vers le téléphone. À partir de 1971, les demandes de raccordement au réseau téléphonique grimpent en flèche passant de 221 218 nouvelles demandes en 1962 à 772 070 en 1972, engorgeant le réseau et allongeant les délais d’attente avant un raccordement (trois ans en moyenne, contre un délai de raccordement moyen de trois jours à la même époque aux États-Unis. (9)

Une première proposition de transformation du service public en un sens plus commercial est alors faite dès 1968 par Valéry Giscard d’Estaing, par le biais d’un amendement - non adopté - à la loi de finances qui proposait la transformation de la partie Télécommunications du ministère en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), les services postaux eux restant du ressort de l’administration centrale. Une série de rapports dans la première moitié des années 70 préconisent une évolution similaire, mais se heurtent à la forte opposition des personnels. Un choix alternatif est alors retenu, qui passe par un investissement public massif dans le cadre de la planification (plan de rattrapage) mais aussi par l’adoption, par la direction générale des télécommunications, d’un ensemble de pratiques étrangères au mode de fonctionnement d’une administration.

Au début des années 80, alors que la direction générale des télécommunications fonctionnait  déjà « comme une quasi entreprise publique […], cette «  entrepreneurialisation » se [concrétisant] dans l’évolution de la structure de l’organisation et dans une modification des modes de gestion du personnel » (10) afin de répondre à cette demande quantitative, cette dernière prend la forme non seulement d’une demande de diversification des offres en matière de services de télécommunications dans un contexte d’évolution technique, avec de nouveaux modes de transmission (satellites, fibre optique...), le passage de l’analogique au numérique ou la création de la télématique – bien réelles et justifiées aux yeux de vos co-rapporteurs – mais aussi de la contestation du système de péréquation tarifaire sur lequel était fondé le service public du téléphone, par ceux sur qui son financement reposait, soit en grande majorité des grands usagers professionnels , le tout dans un contexte politique mettant en avant les solutions libérales. La Commission européenne initie alors une politique industrielle reposant sur la politique de concurrence qui aboutit à la remise en cause des monopoles nationaux, le « secteur élargi » des télécommunications en étant le fer de lance.

Le service public de réseau choisi pour expérimenter ce changement de paradigme a été celui dans lequel les mutations technologiques étaient les plus marquantes et facilitaient donc la définition de modes d’organisation alternatifs aux monopoles, ce fut le secteur des télécommunications.

La situation de tous les pays européens était en effet similaire : un exploitant public, le plus souvent une administration, détenteur d’un monopole sur les services et les infrastructures, s’appuyait sur un équipementier national et lui servait de principal débouché, ce qui, aux yeux de la Commission européenne, bloquait l’émergence d’un grand marché européen.

Cette dernière a procédé avec une méthode ensuite reproduite dans d’autres secteurs : « l’émission de recommandations indiquant les objectifs visés par la Commission européenne à long terme, la constitution d’un réseau de soutien auprès des industriels du secteur, puis la publication d’un livre vert reprenant et approfondissant les indications données dans les recommandations et enfin l’émission de directives contraignant les États à adopter les mesures préconisées par la Commission s’ils ne l’avaient pas fait jusque-là » (11).

La Commission a d’abord publié un « Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements de télécommunications », en 1987, puis un programme d’action, le 9 février 1988 (« Communication COM/88/48FINAL de la Commission du 9 février 1988 : vers un marché communautaire compétitif en matière de télécommunications en 1992 – mise en application du Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications – état des discussions et propositions faites par la Commission »), avant de passer à l’étape suivante d’imposition du principe de concurrence en publiant une série de directives entre 1988 et 1990.

Initiée par le « premier paquet » de 1990, avec les directives 90/387/CEE et 90/388/CEE du 28 juin 1990, la libéralisation du secteur des télécommunications se traduit par la mise en place d’un cadre pour la fourniture harmonisée de services, l’abolition des droits exclusifs ou spéciaux pour la fourniture de services de télécommunications autres que le service de téléphonie vocal, la séparation des fonctions de régulation des fonctions opérationnelles, avec pour objectif la libéralisation complète au 1er janvier 1998.

Ce cadre est redéfini par un ensemble (« 2e paquet télécom ») de six directives, un règlement et une décision, adopté début 2002 et révisé en 2009 afin d’adapter la réglementation aux évolutions qui ont affecté le secteur (émergence et développement de l’Internet, des communications électroniques et de l’économie numérique). Deux éléments du paquet de 2009 doivent plus particulièrement retenir l’attention :

– l’exigence de « neutralité » des réseaux. Le principe de neutralité est défini comme l’objectif de la régulation, économique sociétale. Il est protégé par des obligations de transparence imposées aux opérateurs en matière de gestion de trafic et de restrictions à l’accès au réseau, et par de nouveaux pouvoirs accordés au régulateur (exigences minimales en termes de qualité de service ; traitement des litiges sur l’acheminement du trafic des fournisseurs de contenus par les opérateurs).

– le renforcement du régulateur. Ce renforcement se manifeste par une indépendance accrue – de façon excessive, aux yeux de vos co-rapporteurs, par rapport au pouvoir politique et tout particulièrement vis-à-vis du Parlement, garant de l’intérêt général, rôle pour lequel il est légitimé par l’élection au suffrage universel, alors que le contrôle que ce dernier exerce se limite souvent à la réception d’un rapport annuel – ainsi que par de nouveaux pouvoirs de régulation (notamment en matière de mutualisation à la fois sur les équipements et installations établis en application d’un droit de passage et sur la partie terminale des réseaux) et de sanction. Au niveau européen, la transformation du groupement des régulateurs européens en Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) et l’intervention de la Commission européenne dans la mise en œuvre de mesures de régulation nationales accentuent encore ce phénomène. Ces évolutions sont le symptôme d’une évolution assez substantielle de la régulation, qui n’a plus tant pour objet d’ouvrir à la concurrence les monopoles nationaux que d’éviter que ne réapparaissent des monopoles dans les nouveaux réseaux.

Enfin, le règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 parachève la notion de marché unique avec la fin graduelle au 15 juin 2017 des frais d’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union et renforce les règles en matière de neutralité de l’internet applicables à compter du 30 juin 2016, en laissant toutefois la possibilité aux fournisseurs d’accès de proposer des services spécialisés de qualité supérieure, pour autant que ces services ne soient pas fournis au détriment de la qualité de l’internet ouvert.

En matière d’énergie, le premier paquet de 1996 repose sur une séparation des activités de réseaux et de fourniture, le principe de l’accès des tiers aux réseaux, et une ouverture à la concurrence graduelle, limitée à certains consommateurs d’énergie au-delà d’une certaine consommation d’énergie.

Le deuxième paquet énergie de 2003/2005 conserve cette notion d’éligibilité aux offres de marché, mais en fonction de l’usage et non plus en fonction des quantités d’énergie consommées. Le troisième paquet énergie de 2009, avec cinq textes, renforce l’indépendance des gestionnaires de réseau de transport, avec le principe de dissociation comptable des réseaux de transport et de distribution et une procédure de certification conduite par les autorités de régulation nationales.

Si les stratégies mises en œuvre dans le secteur des télécommunications ont dû être adaptées dans le secteur de l’énergie, en raison de ses spécificités propres, on peut néanmoins dégager une ligne directrice générale : « identifier de manière aussi limitée que possible ce qui relève d’un monopole naturel, donc d’une claire dérogation par rapport aux règles de concurrence et du marché intérieur, puis séparer autant que possible celui-ci du reste des services, et introduire le maximum de concurrence, celle-ci étant censée garantir les conditions du meilleur service au moindre coût, et enfin mettre en place des organes de régulation du secteur, indépendants aussi bien des autorités publiques que des anciens monopoles nationaux ou locaux ». (12)

Vos co-rapporteurs soulignent toutefois trois différences majeures entre ces deux secteurs.

● Le secteur des télécommunications était à la veille d’un phénomène d’innovation disruptif majeur, avec l’apparition de l’internet et des réseaux mobiles, deux phénomènes ayant pour conséquence la remise en question des monopoles attachés au secteur des télécommunications.

En effet, comme deux exemples l’illustrent, monopole et innovation se concilient parfois difficilement en matière de télécommunications :

- France Telecom a su inventer le Minitel, mais n’a pas su le faire évoluer, car l’effort de recherche et développement, porté par l’opérateur, ne pouvait pas être rentabilisé par l’équipementier auquel il était associé, en raison de l’étroitesse du marché national. Il était donc essentiel de couper ce lien organique existant sur chaque marché national entre un opérateur et un équipementier afin de conduire les plus aptes à atteindre une taille critique face à leurs concurrents internationaux (d’abord américains, puis chinois) ;

- Le terminal multimédia a été inventé par un nouvel acteur agile, Iliad, qui a su agréger toutes les innovations des équipementiers pour, grâce à une innovation radicale du service – l’agrégation téléphone, télévision, internet, réseau informatique, etc. – s’approprier la valeur ajoutée.

Peut-on envisager un tel bouleversement avec les nouveaux outils développés dans le secteur de l’énergie, les compteurs Linky et Gazpar ? Les auditions conduites par vos co-rapporteurs ne leur permettent pas de trancher dans un sens ou dans l’autre.

● Le postulat de départ de la non-duplicabilité du réseau ne s’est pas vérifié dans le secteur des télécommunications, où, pour l’ARCEP, les opérateurs les plus performants dans le mobile comme dans le haut débit se distinguent par le choix fait de déployer leur propre réseau. Vos co-rapporteurs jugent toutefois que cette appréciation de la performance doit être nuancée par la prise en compte des situations dans toutes les zones géographiques, et notent à cet égard que les zones non denses sont l’illustration a contrario d’une sous-performance liée à la question du déploiement de l’infrastructure.

● Si le premier paquet était « rigide », le deuxième paquet télécom se démarque par son caractère atypique dans l’histoire de la construction européenne : il définit en effet des objectifs communs et une « boîte à outils » pour les atteindre, tout en laissant aux États membres la liberté dans leur emploi.

Mais vos co-rapporteurs souhaitent surtout rappeler que cette mobilisation des institutions européennes entre 1984 et 1990 contre les monopoles nationaux du secteur des télécommunications fut un processus dont le caractère essentiel est politique, la Commission européenne obtenant un renforcement de son pouvoir en étant chargée de contrôler la mise en place effective des principes décidés par les États membres.

*

Le secteur des télécommunications ayant servi de « cobaye », c’est donc ce dernier que vos co-rapporteurs ont choisi de porter en premier lieu leur attention.

Outre le bilan – contrasté – qui peut être fait de l’application des règles européennes, ce secteur est aujourd’hui confronté à de nouveaux enjeux qui rendent encore plus urgente, aux yeux de vos co-rapporteurs, une inflexion vers un cadre juridique qui garantisse la sauvegarde à long terme des intérêts des consommateurs par la préservation d’une industrie européenne forte face à ses concurrents mondiaux – et donc l’indépendance de l’Union européenne – mais aussi l’égalité d’accès des territoires et des citoyens.

Or si la libéralisation des biens et des services ne figure plus au sommet des priorités, ni des États membres ni de la Commission de Bruxelles, comme l’illustre le discours en 2014 du président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, devant le Parlement européen, où ne figurait pas le mot de libéralisation tandis que l’emploi et la sécurité étaient évoqués presque à chaque page, ce changement de cap, visible sur le dossier énergétique avec l’Union européenne de l’énergie, demeure à concrétiser pour le secteur des télécommunications : le terme de concurrence – qui n’apparaît pourtant que deux fois – reste utilisé à propos du marché numérique.

La régulation européenne et/ou nationale dans les télécommunications s’articule autour de trois objectifs :

– créer et préserver une concurrence sur les marchés concernés afin d’offrir aux utilisateurs un choix effectif entre des offres de services de qualité et à des prix abordables,

– assurer une redistribution en faveur de catégories déterminées de la population ou de certains territoires (couverture des zones blanches et réduction de la fracture numérique),

– conserver un certain contrôle sur la production et l’évolution de cette dernière alors que le numérique et donc les communications occupent une place croissante dans nos sociétés, nos économies, notre avenir.

Or vos co-rapporteurs font le constat d’un déséquilibre, d’un biais du régulateur en faveur du premier de ces objectifs, qu’il soit étatique (Arcep, pour la régulation du réseau, et Autorité de la Concurrence) ou communautaire (Autorité européenne de la Concurrence). La question n’est donc pas tant celle de la dérégulation (ces régulateurs interviennent d’une manière très contraignante) pour les acteurs que de la définition de cette régulation, et des modalités de son action.

La création d’un véritable marché unique du numérique en Europe est l’un des objectifs de la stratégie numérique pour l’Europe de mai 2010 (« Agenda numérique pour l’Europe »), l’une des sept initiatives phares de la stratégie UE 2020. Le président Juncker en a fait la deuxième priorité de son mandat.

Selon la communication relative à la stratégie pour le marché unique du numérique en Europe, publiée le 6 mai 2015, cette dernière repose, elle-aussi, sur trois axes : améliorer l’accès des consommateurs et entreprises aux biens et services numériques ; mettre en place un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques ; maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique européenne.

Elle implique une révision du paquet télécoms (régulation de l’accès aux réseaux, gestion du spectre, services de communication, service universel, gouvernance et cadre institutionnel), listée comme l’action 9, qui doit être lancée au deuxième trimestre 2016, selon le calendrier envisagé par le programme de travail de la Commission pour l’année en cours.

La dimension industrielle doit, pour vos co-rapporteurs, être au cœur de la définition de cet environnement propice que la Commission européenne souhaite promouvoir avec le paquet télécoms rénové, avec la mise en place d’un cadre incitatif à l’investissement dans les infrastructures afin de permettre le déploiement le plus rapide et le plus large possible des réseaux mobiles et des réseaux à très haut débit de nouvelle génération, et propice à l’innovation. Il en va non seulement du futur de l’industrie européenne des télécommunications, mais aussi de la satisfaction des consommateurs à terme.

Les industriels l’ont compris, une recomposition de l’industrie européenne est en cours, y compris dans notre pays, avec la tentative de rapprochement des groupes Orange et Bouygues Telecom, mais le cadre concurrentiel doit accompagner, et non handicaper, cette recomposition.

La question du marché unique numérique dépasse de loin le simple aspect technique. En effet, il s’agit avant tout d’aménagement et de développement des territoires, des économies et des sociétés européennes. Parce les consommateurs, objet de toute l’attention de la Commission européenne, sont avant tout des citoyens, l’amélioration du service qui leur est rendu doit contenir, au premier chef, une réelle égalité d’accès, aux services comme aux contenus.

Cela pose donc la question, cruciale pour vos co-rapporteurs, de l’État stratège, qui a fait le choix d’une initiative publique limitée et décentralisée, là où la définition européenne du service universel autorise pourtant depuis 2009 l’inclusion du haut débit (mais pas celle du service de téléphonie mobile).

Les textes de l’Union européenne relatifs aux télécommunications relèvent prioritairement de la réalisation du marché intérieur.

Article 26, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités.

Si la réalisation du marché intérieur, envisagée dès le début des années 1980 pour les terminaux, débute par la reconnaissance mutuelle des agréments, l’Europe intervient dans le domaine de la réglementation pour la première fois par le biais du droit de la concurrence. L’arrêt de la CJCE du 20 mars 1985, British Telecom, affirme en effet l’applicabilité des règles de concurrence aux opérateurs publics nationaux en monopole.

Le Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications (13) pose en 1987 les fondements de l’ouverture à la concurrence du marché des terminaux et des services, mais aussi des réseaux.

Orientations du Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications

Acceptation du maintien de droits exclusifs ou spéciaux sur les infrastructures de réseau

Acceptation du maintien de droits exclusifs ou spéciaux sur un nombre limité de services de base, si cette exclusivité apparait nécessaire pour la bonne exécution des missions de service public des opérateurs publics nationaux

Libre concurrence sur tous les autres services

Exigences fortes concernant les normes utilisées par les réseaux et services des opérateurs publics nationaux

Harmonisation des conditions d’accès aux réseaux des opérateurs publics nationaux, par la mise en œuvre de la Fourniture d’un réseau ouvert (Open Network Provision ou ONP)

Offre libre des équipements terminaux

Séparation des activités de réglementation et d’exploitation

Suivi strict et continu des activités des opérateurs publics nationaux, conformément aux règles de concurrence de la Communauté

Suivi strict et continu de tous les prestataires privés dans les secteurs nouvellement ouverts à la concurrence

Application aux télécommunications de la politique commerciale commune de la Communauté

● La première étape concerne les équipements terminaux, avec dans un premier temps l’utilisation du principe de reconnaissance mutuelle des agréments (directive 86/361/CEE du Conseil du 24 juillet 1986) (14) suivie moins de deux ans plus tard par une ouverture à la concurrence. La France a pourtant tenté de s’y opposer, y voyant le risque d’un précédent justifiant l’extension à la concurrence des activités couvertes par des monopoles publics. Déboutée par la CJCE (arrêt du 19 mars 1991, affaire C-202/88, France/Commission), l’avenir montrera que ses craintes étaient pourtant fondées…

Un cadre juridique harmonisé pour la mise sur le marché des équipements terminaux est mis en place successivement par les directives 88/301/CEE de la Commission du 16 mai 1988, 91/263/CE du Conseil du 29 avril 1991 et 1999/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 1999, cette dernière étant remplacée à partir du 13 juin 2016 par la directive « RED » n°2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à l’harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d’équipements radioélectriques.

● Dans une deuxième étape, une partie du marché des services de télécommunications est ouverte à la concurrence tandis qu’une harmonisation est privilégiée pour les réseaux, avec les directives 90/388/CEE et 90/387/CEE du 28 juin 1990 (15), principalement.

La première ouvre à la concurrence une partie du marché des services de télécommunications. Les États membres peuvent maintenir des « droits exclusifs ou spéciaux » uniquement sur les infrastructures, le service téléphonique et le service télex, ainsi que, jusqu’au 1er janvier 1993, sur les services de transmission de données de base, et les fonctions de réglementation et d’exploitation au sein des États membres doivent être séparées.

La seconde (directive « ONP cadre - Open Network Provision », ou réseau ouvert de télécommunication) a pour objectif l’harmonisation des réseaux, visant par-là la disponibilité d’un ensemble minimal de services, répondant à des caractéristiques harmonisées.

● L’ouverture à la concurrence des services « de base » et des infrastructures est finalement acquise au milieu des années 1990.

La Commission propose dès 1993 un calendrier, dans sa communication COM(93)159 final du 28 avril 1993, et deux Livres verts successifs publiés en octobre 1994 et janvier 1995, et ses propositions sont endossées par le Conseil européen dans trois résolutions ou décisions (cf. encadré sur le calendrier européen de l’ouverture des télécommunications à la concurrence).

La directive 96/19/CE de la Commission modifiant la directive 90/388/CEE marque l’étape finale, sur le plan juridique, de l’ouverture du marché. Elle prescrit en effet l’abrogation, avant le 1er juillet 1996, de toutes les restrictions à l’utilisation des infrastructures alternatives pour la fourniture des services déjà libéralisés, ainsi que l’abrogation de tous les droits exclusifs ou spéciaux à compter du 1er janvier 1998, tout en confirmant les périodes de transition définies par le Conseil européen.

Quatre directives (directive 97/13/CE sur les licences, directive 97/33/CE sur l’interconnexion, directive 97/66/CE sur la protection des données à caractère personnel dans le secteur des télécommunications, la directive 98/61/CE sur la sélection du transporteur et la portabilité du numéro) et un règlement (règlement 2887/2000 sur le dégroupage de l’accès à la boucle locale) la complètent.

Calendrier européen de l’ouverture des télécommunications à la concurrence

1984 Décision d’engager l’élaboration d’un « Livre vert » sur le rôle des télécommunications dans la construction européenne

1986 Adoption de l’Acte unique européen

1987 Publication par la Commission européenne du « Livre vert » sur les télécommunications européennes

16 mai 1988 Directive instaurant la concurrence pour les terminaux (dont postes téléphoniques).

7 décembre 1989 Sous présidence française : décision du Conseil des Ministres européens d’ouvrir progressivement à la concurrence la plupart des services de télécommunications, sous réserve des droits exclusifs et spéciaux sur le service téléphonique entre points fixes et sur les infrastructures publiques.

28 juin 1990 Directives ONP et « services » instaurant la concurrence pour les services de télécommunications hors service téléphonique.

1er janvier 1993 Concurrence sur les services de transmissions de données.

16 juin 1993 Décision du Conseil des Ministres européens de généraliser la concurrence sur tous les services de télécommunications à compter du 1er janvier 1998, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal pouvant bénéficier d’un délai supplémentaire de cinq ans et le Luxembourg de deuxans.

22 juillet 1993 Résolution du Conseil appelant à la définition d’un cadre réglementaire fondé sur les principes d’un réseau ouvert de télécommunication (ONP), éventuellement adaptés dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, et à la définition d’une politique en matière de communications mobiles et personnelles et en matière d’infrastructures.

17 novembre 1994 Décision du Conseil des Ministres européens de généraliser la concurrence sur les infrastructures à compter du 1er janvier 1998 (avec les mêmes périodes de transition pour certains États membres que pour le service téléphonique).

18 septembre 1995 Résolution du Conseil prévoyant d’adapter les directives ONP (16)au nouvel environnement concurrentiel, de définir des principes communs pour le financement du service universel, d’établir un cadre juridique pour l’interconnexion des réseaux dans la Communauté, et de rapprocher les régimes d’autorisation dans les États membres

16 janvier 1996 Directive instaurant la concurrence sur les mobiles (libéralisés depuis 1987 en France).

13 mars 1996 Directive modifiant la directive « services » pour fixer le calendrier et les conditions de la généralisation de la concurrence.

1er juillet 1996 Concurrence sur les infrastructures alternatives.

1er janvier 1998 Concurrence sur le service téléphonique ouvert au public et l’établissement des infrastructures sous-jacentes.

● Le paquet télécoms de 2002 révisé en 2009 transforme considérablement le cadre européen dans lequel doivent dorénavant s’inscrire les secteurs des télécommunications des États membres.

Constitué de cinq directives (17) et d’un règlement (18), le paquet télécom :

- établit un cadre règlementaire harmonisé pour l’ensemble des réseaux de communications électroniques (audiovisuel et télécommunications), les services fournis sur ces réseaux restant soumis à des régimes distincts. Il met en place un mécanisme entièrement nouveau pour la régulation des opérateurs historiques, fondé sur les concepts du droit de la concurrence (détermination des marchés pertinents, du degré de concurrence sur ces marchés pertinents et des acteurs dominants), avec une coordination de l’action des autorités nationales de régulation, notamment grâce à la création de l’ORECE,

- supprime les autorisations d’opérateur pour les remplacer par de simples déclarations,

- délimite les contours du service universel et encadre les conditions dans lesquelles les États membres désignent les opérateurs chargés de celui-ci,

- renforce considérablement les dispositions prévues par les textes européens en matière de protection des consommateurs de services de télécommunications et de la vie privée des utilisateurs de réseaux, ainsi qu’en matière de sécurité et neutralité des réseaux.

La transposition du paquet de 2002 a pour l’essentiel été opérée par les lois n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom et n° 2004-669 du 9 juillet 2004 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle.

La transposition du paquet de 2009 s’est faite par l’ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques.

● La fin des frais d’itinérance et l’accès à l’Internet ouvert marquent un pas supplémentaire vers un marché unique des télécommunications, en attendant la révision ambitieuse de la réglementation européenne en matière de télécommunication annoncée par la Commission pour 2016, qui pourrait notamment concerner la coordination de l’utilisation du spectre radioélectrique.

Le service proposé par les opérateurs de télécommunications permettant aux usagers de pouvoir appeler et être appelés dans un pays étranger repose sur une location de réseaux entre opérateurs de différents pays, qui se fait bien évidemment à titre onéreux et se répercute sur les tarifs des communications qui peuvent varier sensiblement d’un opérateur à un autre mais sont en général assez élevés.

La tarification différenciée de l’itinérance internationale est encadrée depuis 2012. En effet, le règlement (UE) n °531/2012 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2012 concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union prévoyait un tarif régulé appelé « eurotarif », encadré sous la forme de plafonds tarifaires, c’est-à-dire de prix maximum qu’un opérateur peut imposer à son client. Ce règlement imposait une baisse annuelle de l’ « eurotarif » jusqu’en 2014, chaque 1er juillet.

Le règlement (UE) 2015/2120 du 25 novembre 2015 du Parlement européen et du Conseil (19) accentue cet encadrement :

- à partir du 30 avril 2016, le plafonnement du tarif de détail d’itinérance se fera par comparaison avec le prix de détail national (et non plus dans l’absolu), et le montant des frais supplémentaires au prix de détail national est encore abaissé ;

- à partir du 15 juin 2017, les clients en itinérance internationale devront bénéficier du prix de détail national, sans frais supplémentaires, dans la limite d’une utilisation raisonnable.

Dans un contexte d’ouverture de l’accès au réseau des opérateurs historiques nationaux, l’existence de plusieurs opérateurs, et non plus d’un seul en situation de monopole d’État, a rendu nécessaire la mise en place de règles permettant aux nouveaux acteurs de se développer et favorisant l’exercice d’une concurrence réelle.

Les différentes formes et objectifs des systèmes de régulation

Les systèmes de régulation peuvent viser plusieurs objectifs et par conséquent prendre des formes différentes :

- Premier objectif possible : le contrôle de la concurrence et de son effectivité, par exemple dans les cas où une autorité publique a recours à un appel d’offres pour choisir le gestionnaire d’un service, ou pour vérifier qu’un opérateur en position dominante n’abuse pas de cette situation. La régulation relève alors le plus souvent des autorités nationales et européenne de surveillance de la concurrence (Conseil de la Concurrence, Commission européenne), celles-ci se prononçant ex-post, ce qui peut entraver le fonctionnement d’un secteur.

- Une variante est l’introduction de la concurrence dans un secteur. La régulation est alors conçue comme « asymétrique », exerçant un contrôle strict sur l’ancien monopole et favorisant les « nouveaux entrants » ; cette régulation est dès lors le plus souvent définie comme provisoire, en attendant l’existence d’un marché réellement concurrentiel.

- La régulation peut se concentrer sur l’accès des différents opérateurs à une infrastructure qui reste marquée par l’existence d’un monopole naturel (réseaux électrique, de gaz, de transports par rail, d’eau et assainissement, etc.) ; cela conduit souvent à mettre en place une autorité de régulation nationale par secteur, indépendante par rapport aux différents opérateurs et à l’autorité publique, surtout si celle-ci reste actionnaire unique ou majoritaire de l’ancien monopole ou du gestionnaire du réseau ; cette autorité doit alors se prononcer ex ante ou en continu, de façon à permettre un bon fonctionnement du secteur ; c’est la fonction de base qui a été assignée à la plupart des agences de régulation créées dans les secteurs de réseaux pour accompagner la libéralisation.

Mais la concurrence seule n’est pas le seul objectif de la régulation : cette dernière peut aussi avoir à surveiller que l’introduction de la concurrence ne provoque pas d’effets pervers (absence d’incitation à investir, multiplication des externalisations négatives, concentrations territoriales, etc.). La régulation peut alors aussi avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public ; elle relève alors pour partie des autorités publiques.

Source : Réseau Initiatives Pour un Autre Monde (IPAM) – Comment réguler les services publics.

Défini par la directive 2002/21/CE, ce cadre, pour le secteur des télécommunications, repose en premier lieu sur une régulation sectorielle ex ante, grâce à des conditions techniques et tarifaires adaptées associant régulation asymétrique et symétrique (20). Mais le droit général de la concurrence (régulation ex post) n’est pas mis de côté, et, notamment, les situations d’ententes et d’abus de position dominante, interdites par les articles 101 et 102 du TFUE, sont sanctionnées.

La prohibition des ententes et l’interdiction des abus de position dominante

Article 101 TFUE : « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous les accords entre entreprises, toute décision d’association d’entreprises et toute pratique concertée susceptible d’affecter le marché. »

Article 102 TFUE : « Est incompatible avec le marché commun et donc interdit le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante. »

Le droit de la concurrence ne sanctionne pas les positions dominantes, qui ne sont pas condamnables en elles-mêmes, mais leur abus, notion difficile à définir a priori mais qui doit être comprise comme une situation de puissance économique qui permet à l’entreprise d’agir indépendamment du comportement de ses concurrents, de ses clients et, au final, des consommateurs. On distingue deux types d’abus de position dominante  :

L’abus d’exploitation – constitué lorsqu’une entreprise exploite sa situation de rente par l’augmentation des prix, la baisse de la qualité ou encore par une baisse de la production ;

L’abus d’éviction – le fait pour une entreprise d’utiliser sa position dominante sur un marché pour éliminer les concurrents et in fine renforcer sa position dominante, par exemple au travers d’un refus de vente.

Les types d’accords le plus fréquemment sanctionnés relèvent de la catégorie des accords dits restrictifs de concurrence, autrement dénommés "cartels" ou "ententes restrictives", dont l’objectif est de fixer un prix supérieur à celui qui résulterait du libre jeu de la concurrence. D’autres ententes peuvent exister, elles sont relatives à des échanges d’informations confidentielles ou à des accords sur la stabilisation des parts de marché respectives des parties à l’entente.

● La prohibition des ententes et l’interdiction des abus de position dominante sont assurées par les autorités nationales, ou par la Commission européenne si ces pratiques sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, étant entendu qu’une jurisprudence constante de la Cour de Justice interdit des pratiques qui ont « une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d’échanges entre États membres », ce qui a un impact direct sur la question des concentrations.

Les institutions européennes, la Commission (au moins la Direction Générale Concurrence pour tout ce qui concerne les concentrations et les aides d’État) et la Cour de justice (de manière beaucoup plus générale, au fur et à mesure des différends qui lui sont soumis), exercent donc un rôle de régulation des services d’intérêt général, le plus souvent sans le reconnaître explicitement.

Article 8 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive cadre) (extraits)

2. Les autorités réglementaires nationales promeuvent la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, notamment:

a) en veillant à ce que les utilisateurs, y compris les personnes handicapées, les personnes âgées et les personnes ayant des besoins sociaux spécifiques, retirent un bénéfice maximal en termes de choix, de prix et de qualité;

b) en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques, y compris pour la transmission de contenu;

d) en encourageant l’utilisation et la gestion efficaces des radiofréquences et des ressources de numérotation.

3. Les autorités réglementaires nationales contribuent au développement du marché intérieur, notamment:

a) en supprimant les derniers obstacles à la fourniture de réseaux de communications électroniques, de ressources et services associés et de services de communications électroniques au niveau européen;

b) en encourageant la mise en place et le développement de réseaux transeuropéens et l’interopérabilité des services paneuropéens et la connectivité de bout en bout;

d) en coopérant entre elles ainsi qu’avec la Commission et l’ORECE, afin d’assurer le développement de pratiques réglementaires cohérentes et l’application cohérente de la présente directive et des directives particulières.

4. Les autorités réglementaires nationales soutiennent les intérêts des citoyens de l’Union européenne, notamment:

a) en assurant à tous l’accès à un service universel spécifié dans la directive 2002/22/CE (directive «service universel»);

b) en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs dans leurs relations avec les fournisseurs, en particulier en garantissant l’existence de procédures de règlement des litiges simples et peu coûteuses mises en œuvre par un organisme indépendant des parties concernées;

c) en contribuant à assurer un niveau élevé de protection des données à caractère personnel et de la vie privée;

d) en encourageant la fourniture d’informations claires, notamment en exigeant la transparence des tarifs et des conditions d’utilisation des services de communications électroniques accessibles au public;

e) en répondant aux besoins de groupes sociaux particuliers, notamment des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes ayant des besoins sociaux spécifiques;

f) en garantissant l’intégrité et la sécurité des réseaux de communications publics;

g) en favorisant la capacité des utilisateurs finals à accéder à l’information et à en diffuser, ainsi qu’à utiliser des applications et des services de leur choix.

5. Afin de poursuivre les objectifs visés aux paragraphes 2, 3 et 4, les autorités réglementaires nationales appliquent des principes réglementaires objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés, dont les suivants:

a) promouvoir la prévisibilité réglementaire en assurant une approche réglementaire cohérente sur des périodes de révision appropriées;

b) veiller à ce que, dans des circonstances similaires, il n’y ait pas de discrimination dans le traitement des entreprises fournissant des réseaux et services de communications électroniques;

c) préserver la concurrence au profit des consommateurs et promouvoir, s’il y a lieu, une concurrence fondée sur les infrastructures;

d) promouvoir des investissements efficaces et des innovations dans des infrastructures nouvelles et améliorées, notamment en veillant à ce que toute obligation d’accès tienne dûment compte du risque encouru par les entreprises qui investissent et en permettant diverses modalités de coopération entre les investisseurs et ceux qui recherchent un accès, afin de diversifier le risque d’investissement, tout en veillant à ce que la concurrence sur le marché et le principe de non-discrimination soient respectés;

e) tenir dûment compte de la diversité des situations en matière de concurrence et de consommation dans les différentes zones géographiques d’un État membre;

f) n’imposer des obligations de réglementation ex ante que lorsqu’il n’y a pas de concurrence efficace et durable, et suspendre ou supprimer celles-ci dès que cette condition est satisfaite.

L’Autorité de la concurrence intervient, comme dans d’autres secteurs et sur tous ces marchés, sur des situations de pratiques anti-concurrentielles : ententes, abus de position dominante, prix abusivement bas. Elle agit généralement ex post, en sanctionnant des pratiques déjà exercées.

C’est ainsi que le Conseil de la concurrence a infligé, le 30 novembre 2005, aux entreprises Orange France, SFR et Bouygues Télécom une amende de 534 millions d’euros pour infraction à l’article L.420-1 du code de commerce et à l’article 81 du traité de Rome, car ces entreprises avaient échangé des informations confidentielles relatives au marché de la téléphonie mobile et s’étaient entendues pour stabiliser leurs parts de marché respectives autour d’objectifs définis en commun.

L’idée sous-jacente était qu’avec les mécanismes naturels de concurrence qui se mettent progressivement en place sur certains secteurs du marché, la régulation ex ante de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) devait peu à peu disparaître, au profit de l’action ex post de l’Autorité de la concurrence. Ainsi, les précédentes obligations imposées à Orange sur le marché de gros des accès large bande livrés au niveau national ont été levées début 2007, l’Arcep considérant que ce marché était devenu concurrentiel, et l’action de l’Arcep se retrouve recentrée vers les nouveaux marchés du secteur des communications électroniques, notamment la mise en place de nouveaux outils de régulation face à l’émergence du très haut débit ou la prise en compte de la convergence fixe-mobile (un seul réseau permettant divers types de communications électroniques) ce qui sous-entend une évolution des conditions d’accès aux contenus et une homogénéisation des conditions de gestion des fréquences entre les secteurs des communications électroniques et de l’audiovisuel.

● Une fonction de régulation sectorielle partagée entre l’État et un régulateur sectoriel, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), dont les missions débordent du seul cadre fixé par le paquet télécom de 2002 rénové en 2009.

En effet, si les directives et règlements européens dits de « marché intérieur » définissent les règles du jeu générales applicables dans tous les États membres, avec dans certains cas des marges d’adaptation lors des transpositions en droit national, dans la plupart des cas, les règles européennes renvoient leur mise en œuvre et les procédures de régulation aux États membres.

L’Arcep est, en application du droit communautaire, chargée de réduire les obstacles à l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché afin, en plus du service universel, d’offrir aux utilisateurs un vrai choix entre différentes offres de services de qualité et à un prix abordable. Pour ce faire, elle dispose en particulier des compétences en matière d’analyse des marchés, d’obligations imposées aux opérateurs et de la régulation tarifaire de détail.

Sur l’ensemble du marché des communications électroniques, la Commission européenne a en effet identifié dix-huit segments dits « marchés pertinents », où doivent être surveillées les conditions d’une concurrence effective  : parmi eux, on compte sept marchés de détail (services de capacités par exemple) et onze marchés de gros (fourniture en gros d’accès à large bande livrés au niveau régional, « bit stream » ou marché national de la fourniture en gros d’itinérance internationale sur les réseaux de téléphonie mobile, par exemple).

L’Arcep analyse le fonctionnement de la concurrence et ses freins pour chacun de ces marchés, où elle identifie le cas échéant un ou plusieurs opérateurs exerçant une influence significative, se trouvant dans une situation qui leur permet de se comporter de manière indépendante de leurs concurrents, de leurs clients et, en fin de compte, des consommateurs. L’Autorité peut alors leur imposer certaines obligations : publication d’offres de référence sur le marché, contrôle des prix ou comptabilisation des coûts, séparation comptable, etc.

Si est ainsi mise en évidence la recherche de la concurrence par les infrastructures, vos co-rapporteurs souhaitent toutefois souligner la possibilité laissée, dans certaines conditions, d’autres modalités, en particulier pour tenir compte de la diversité des situations en matière de concurrence et de consommation dans les différentes zones géographiques d’un État membre.

L’Arcep a ainsi choisi, pour couvrir « les zones blanches », d’obliger tous les titulaires de licences à mutualiser réseaux et fréquences, et, pour ce qu’elle a défini comme une « zone de déploiement prioritaire » dans les zones les moins denses du territoire (18% de la population métropolitaine et 63% de la surface du territoire), défini une obligation réciproque entre SFR et Bouygues de faire droit aux demandes raisonnables de mutualisation.

Article L. 32-1 du code des postes et télécommunications (extraits)

« II.- Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre les objectifs suivants :

« 1° La fourniture et le financement de l’ensemble des composantes du service public des communications électroniques ;

« 2° Le développement de l’emploi ;

« 3° Le développement de l’investissement, de l’innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;

« 4° L’aménagement et l’intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires ;

« 5° La protection des consommateurs, conjointement avec le ministre chargé de la consommation, et la satisfaction des besoins de l’ensemble des utilisateurs, y compris les utilisateurs handicapés, âgés ou ayant des besoins sociaux spécifiques, en matière d’accès aux services et aux équipements ;

« 6° Le respect par les opérateurs de communications électroniques de la protection des données à caractère personnel, du secret des correspondances et du principe de neutralité vis-à-vis du contenu des messages transmis ;

« 7° L’intégrité et la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public et le respect, par les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, de l’ordre public et des obligations de défense et de sécurité publique ;

« 8° Un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé, conjointement avec les ministres chargés de la santé et de l’environnement ;

« 9° La sobriété de l’exposition de la population aux champs électromagnétiques ;

« 10° La promotion des numéros européens harmonisés pour les services à objet social et la contribution à l’information des utilisateurs finals, lorsque ces services sont fournis ;

« 11° La possibilité d’utiliser tous les types de technologies et tous les types de services de communications électroniques dans les bandes de fréquences disponibles pour ces services, sous réserve de faisabilité technique.

« III.- Dans le cadre de ses attributions et, le cas échéant, conjointement avec le ministre chargé des communications électroniques, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prend, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre les objectifs suivants :

« 1° L’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, en particulier lorsqu’ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

« 2° La définition de conditions d’accès aux réseaux ouverts au public et d’interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l’égalité des conditions de la concurrence ;

« 3° L’absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans les relations entre opérateurs et fournisseurs de services de communications au public en ligne pour l’acheminement du trafic et l’accès à leurs services ;

« 4° La mise en place et le développement de réseaux et de services et l’interopérabilité des services au niveau européen ;

« 5° L’utilisation et la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation ;

« 6° La capacité des utilisateurs finals à accéder à l’information et à la diffuser ainsi qu’à accéder aux applications et aux services de leur choix.

« IV.- Sans préjudice des objectifs définis aux II et III, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes veillent :

« 1° Au respect de la plus grande neutralité possible, d’un point de vue technologique, des mesures qu’ils prennent ;

« 2° A la promotion des investissements et de l’innovation dans les infrastructures améliorées et de nouvelle génération, en tenant compte, lorsqu’ils fixent des obligations en matière d’accès, du risque assumé par les entreprises qui investissent, et à autoriser des modalités de coopération entre les investisseurs et les personnes recherchant un accès, afin de diversifier le risque d’investissement dans le respect de la concurrence sur le marché et du principe de non-discrimination ;

« 3° A l’absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ;

« 4° A la promotion, lorsque cela est approprié, d’une concurrence fondée sur les infrastructures.

« Ils assurent l’adaptation du cadre réglementaire à des échéances appropriées et de manière prévisible pour les différents acteurs du secteur. »

Source : Légifrance.

● Si le cadre d’action de l’Arcep, défini par la législation européenne, a été enrichi par le législateur français, qui a complété les finalités de la régulation d’objectifs complémentaires, il convient de noter que :

- ces objectifs complémentaires sont tous assignés non seulement à l’Arcep mais également au Gouvernement, par le biais du ministre chargé des communications électroniques et aujourd’hui de l’Agence du Numérique, même si la loi n° 2005-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a procédé à une réorganisation de ces derniers,

- dans sa décision aff. C-424/07, 3 décembre 2009, Commission c/ Allemagne, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé qu’il n’appartenait pas au législateur national, mais uniquement au régulateur, de pondérer, au regard de chaque situation, les objectifs qui lui sont assignés.

La « régulation » des services d’intérêt général est – trop - souvent assimilée à la mise en place d’un « régulateur » quasi systématiquement défini comme « indépendant » de l’État supposé être intrinsèquement inefficace.

Vos co-rapporteurs sont fermement d’avis que, du fait des finalités d’intérêt général, la régulation ne peut et ne doit pas se réduire à la mise en œuvre du droit commun de la concurrence. Elle doit intégrer de manière spécifique les objectifs éventuels de politique publique (qui peuvent figurer dans la réglementation ou bien dans un cahier des charges) ; les relations évolutives entre missions de service d’intérêt général et droit de la concurrence ; la sécurité de financement des investissements, ainsi que de la compensation des objectifs et missions ; l’évaluation de l’efficacité économique et sociale du système (y compris de la régulation elle-même). C’est seulement ainsi que les besoins des consommateurs, des citoyens et de la société peuvent être pris en compte à leur juste mesure.

Par conséquent, et a contrario de la position de la CJUE, il appartient au pouvoir politique de veiller à l’arbitrage entre tous les intérêts différents – compte tenu à la fois de la diversité des acteurs, des échelles temporelles prises en compte (intérêts des générations futures), des spécificités territoriales, de l’internalisation de telle ou telle externalité, etc. Ces arbitrages mettent en jeu des intérêts et forces qui non seulement ne sont pas identiques, mais le plus souvent s’opposent. Or vos co-rapporteurs notent à cet égard que les décisions des autorités de régulation sont le plus souvent applicables sans appel et ne peuvent être contestées que devant les tribunaux.

Renforcer la légitimité des décisions qu’elles sont amenées à prendre passe nécessairement par une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, par l’institutionnalisation de relations avec ce dernier, avec, au minimum, un dépôt officiel du rapport annuel de l’ARCEP (sur le modèle de ce qui est prévu pour assurer la transparence dans le suivi du Plan France Très Haut Débit, puisque la Mission Très Haut Débit doit remettre chaque année un rapport au Parlement sur l’avancée des déploiements, les investissements réalisés et les engagements financière de l’État), conjugué avec un débat en séance plénière. Si vos co-rapporteurs se félicitent que les commissions des affaires économiques auditionnent de façon régulière le président de l’ARCEP, ils estiment toutefois que face au risque d’un démembrement de l’État, c’est à la représentation nationale tout entière qu’il appartient de débattre des enjeux et des choix liés à la régulation du secteur des télécommunications.

C’est tout particulièrement essentiel en matière de financement, pour ce qui concerne à la fois la garantie du financement à long terme des investissements nécessaires à l’universalité, à la qualité et à la continuité du service, ainsi que de la compensation des obligations de service public et de la tarification. La tarification du « service d’intérêt général », les enjeux en termes d’affectation des gains de productivité, le financement proportionné de la mise en œuvre des missions des services d’intérêt général doivent aux yeux de vos co-rapporteurs, relever des pouvoirs publics, après avis des autorités de régulation et des instances d’expression des acteurs.

Préconisations de vos co-rapporteurs : parce que la régulation doit avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public, elle doit relever pour partie des autorités publiques et si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être «  le » régulateur. Renforcer la légitimité des décisions qu’elles sont amenées à prendre passe nécessairement par une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, par l’institutionnalisation de relations avec ce dernier.

Vos co-rapporteurs souhaitent en tout premier lieu rappeler la conception française traditionnelle du service public : un instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt général définis dans le cadre d’une politique publique.

L’Union européenne a retenu une approche différente : celle du simple constat de l’existence de manques, qu’il convient de pallier. La traduction de cette approche, c’est la notion de « service universel », qui permet de ne plus assurer nécessairement les activités de service public au moyen des personnes publiques, utilisant un personnel d’agents publics et une propriété d’État, mais de confier à des entreprises privées la fourniture des services de communications électroniques essentiels, lorsque le marché ne permet pas aux consommateurs un accès peu onéreux aux services de base, en particulier ceux habitant dans des zones éloignées, disposant de faibles revenus ou souffrant de handicap.

Résultant de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, le périmètre du service universel des communications électroniques est strictement défini.

S’ils l’estiment nécessaire, les États membres ont ainsi la possibilité de désigner des entreprises pour assurer la fourniture des trois prestations suivantes : la téléphonie fixe (avec 2 composantes : raccordement et service téléphonique, pouvant être fournies par des opérateurs différents – modification apportée à la directive « Service universel » en 2009, afin d’introduire plus de concurrence et de favoriser les candidatures d’opérateurs de taille et de capacité différentes), les annuaires et renseignements téléphoniques et la publiphonie.

La procédure de désignation du prestataire de service universel est également encadrée : le mécanisme de désignation doit être notamment « efficace, transparent et non discriminatoire », et n’exclure a priori aucune entreprise. Les prestataires chargés de fournir les composantes du service universel sont donc désignés au terme d’une mise en concurrence.

Code des postes et télécommunications (CPCE)

Article L.35

Les obligations de service public sont assurées dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité. Elles comprennent :

a) Le service universel des communications électroniques défini, fourni et financé dans les conditions fixées aux articles L. 35-1 à L. 35-4 ;

b) Les services complémentaires au service universel des communications électroniques offerts dans les conditions fixées à l’article L. 35-5 ;

c) Les missions d’intérêt général dans le domaine des communications électroniques, en matière de défense et de sécurité, de recherche publique et d’enseignement supérieur, assurées dans les conditions fixées à l’article L. 35-6.

Article L.35-1

Le service universel des communications électroniques fournit à tous :

1° Un raccordement à un réseau fixe ouvert au public et un service téléphonique de qualité à un prix abordable. Ce raccordement au réseau permet l’acheminement des communications téléphoniques, des communications par télécopie et des communications de données à des débits suffisants pour permettre l’accès à Internet, en provenance ou à destination des points d’abonnement, ainsi que l’acheminement gratuit des appels d’urgence.

Les conditions tarifaires incluent le maintien, pendant une année, en cas de défaut de paiement, d’un service restreint comportant la possibilité de recevoir des appels ainsi que d’acheminer des appels téléphoniques aux services gratuits ou aux services d’urgence au bénéfice du débiteur saisi en application de la partie législative du code des procédures civiles d’exécution et du débiteur qui fait l’objet de mesures prévues aux articles L. 331-1 et suivants du code de la consommation.

Toute personne obtient, sur sa demande, l’abonnement au service d’un opérateur chargé du service universel dans les conditions prévues par le présent code. Le propriétaire d’un immeuble ou son mandataire ne peut s’opposer à l’installation de la ligne d’abonné demandée par son locataire ou occupant de bonne foi ;

2° Un service de renseignements et un annuaire d’abonnés, sous formes imprimée ou électronique, conformément aux dispositions de l’article L. 35-4 ;

3° (Abrogé/ concernait l’accès à des cabines publiques. loi n°2015-990 du 6 août 2015 - art. 129)

4° Des mesures particulières en faveur des utilisateurs finaux handicapés afin d’assurer, d’une part, un accès aux services mentionnés aux 1° et 2° qui soit équivalent à l’accès dont bénéficient les autres utilisateurs finaux et, d’autre part, le caractère abordable de ces services.

Le service universel est fourni dans des conditions tarifaires et techniques prenant en compte les difficultés particulières rencontrées dans l’accès au service téléphonique par certaines catégories de personnes, en raison notamment de leur niveau de revenu et en proscrivant toute discrimination fondée sur la localisation géographique de l’utilisateur.

Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, précise les modalités d’application du présent article et le contenu de chacune des composantes du service universel.

Article L.35-5

Les services complémentaires au service universel comprennent une offre, sur l’ensemble du territoire, d’accès au réseau numérique à intégration de services, de liaisons louées, de commutation de données par paquet et de services avancés de téléphonie vocale.

Le cahier des charges d’un opérateur chargé du service universel détermine ceux des services complémentaires au service universel qu’il est tenu d’assurer et les conditions de leur fourniture.

Le rapport « Le service universel des communications électroniques au regard des nouveaux usages technologiques : enjeux et perspectives d’évolution », remis le 17 octobre 2014 à la Secrétaire d’État au numérique, Mme Axelle Lemaire, par Pierre Camani, sénateur du Lot-et-Garonne, et Fabrice Verdier, député du Gard, fait un état des lieux très précis de la mise en œuvre de ce service universel, et vos co-rapporteurs en partagent le constat de décalage, voire de désuétude, avec les besoins aujourd’hui exprimés par leurs concitoyens.

L’impact de la composante « téléphonie fixe » (péréquation géographique et réduction sociale téléphonique) est aujourd’hui très limité.

La péréquation géographique correspond à un besoin essentiel, la possibilité pour chaque habitant d’obtenir le raccordement à un réseau téléphonique ouvert au public et la fourniture d’un service téléphonique, quel que soit son lieu d’habitation. Elle traduit un principe essentiel, le droit au raccordement sur l’ensemble du territoire à un prix abordable, y compris dans les territoires isolés et difficiles d’accès, et cette obligation pesait déjà sur l’ancien monopole d’État.

Le fait que l’essentiel du réseau ait été déjà réalisé à l’époque de l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications n’a en rien remis en cause cette obligation de raccordement, qui garde une utilité manifeste : la conjugaison de la croissance démographique et de l’expansion urbaine font que l’habitat sur le territoire français n’est pas figé ; la population n’est pas couverte à 100% en téléphone mobile et le raccordement fixe représente alors le seul moyen de communication disponible.

Mais elle a un impact limité puisqu’elle ne concerne qu’un peu plus de 1% des lignes et pèse au final peu dans les coûts du service universel.

La réduction sociale téléphonique consiste en une réduction sur le prix de l’abonnement téléphonique (hors coût des communications) proposée aux bénéficiaires des minimas sociaux.

Le dispositif ne bénéficie qu’à une faible partie de la population visée initialement : en 2013, le taux de personnes bénéficiant réellement de cette réduction par rapport à ceux qui peuvent y prétendre s’établissait bien en dessous des 10%, alors qu’il était encore de 21% en 2008 selon l’ARCEP. Son coût de gestion (20%) du coût total) en fait également un dispositif peu efficient.

Nos collègues parlementaires Camani et Verdier soulignent la préférence d’une grande partie des publics qui pourraient bénéficier du dispositif pour un accès au service téléphonique via une offre alternative, abonnements mobiles ou encore offres multiservices – ou offres groupées – (accès à l’internet et/ou à la télévision). Or la réduction ne s’applique qu’aux seules prestations de «  téléphonie fixe » offertes dans le cadre du service universel.

● En matière de services de renseignements et d’annuaires des abonnés aux services téléphoniques, le caractère prépondérant des services en ligne est aujourd’hui évident.

Le service de renseignements téléphoniques ne fait d’ailleurs plus l’objet d’une procédure d’attribution depuis 2012, l’abondance des offres commerciales suffisant pour répondre à la demande (mais il reste mentionné dans le code des postes et télécommunications électroniques).

Tel n’est pas – encore – le cas pour l’annuaire imprimé, mais la désaffection constatée de la population (baisse de la demande, les services en ligne, mis à jour, étant privilégiés) conjuguée au caractère volontaire de l’inscription sur l’annuaire des abonnés mobiles conduira probablement à moyen terme, à l’abandon de cette composante du service universel.

● La fin décidée depuis l’été 2015 des cabines téléphoniques.

L’usage indiscutablement résiduel de cabines téléphoniques en voie d’obsolescence dans un contexte réglementaire très contraint (avec l’implantation d’une cabine ou d’un point d’accès au service téléphonique dans chaque commune de la zone géographique assignée à l’opérateur du service universel et d’une seconde dans les communes dont la population dépasse 1 000 habitants, les exigences de la réglementation française sont particulièrement contraignantes par rapport aux autres pays européens compte tenu du très grand nombre de communes) a conduit à la suppression de cette composante par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

● Le refus de l’inclusion d’un accès abordable à la téléphonie mobile.

L’état des lieux dressé par le rapport Camani – Verdier fait état d’un report de la demande vers l’accès aux services de téléphonie mobile, qui semble être la préoccupation principale, en zones rurales notamment. Or l’extension du périmètre du service universel aux services de téléphonie mobile est conditionnée à la révision de la directive.

Les services de communications mobiles sont, par définition, exclus de l’ensemble minimal des services universels défini par la directive, étant donné que leur fourniture ne suppose pas un accès et un raccordement en position déterminée à un réseau de communications public. De même, les services d’abonnements Internet fournis au moyen des services de communications mobiles ne relèvent pas de cet ensemble minimal.

Dans sa communication COM(2011) 795 en date du 24 novembre 2011, la Commission européenne considère que le marché garantit à lui seul aux consommateurs un accès abordable à la téléphonie mobile, et donc que son inclusion dans le service universel n’est pas nécessaire, les études de marché au niveau européen ayant démontré que le jeu de la concurrence suffisait à fournir à tous les utilisateurs des offres de services mobiles de qualité à des prix raisonnables. Elle a réitéré à plusieurs reprises cette position.

Dans son arrêt du 11 juin 2014, Base Company et Mobistar (C-1/14), la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par la justice belge, a constaté que la directive « service universel » établit de manière explicite l’obligation pour les États membres d’assurer le raccordement en position déterminée à un réseau de communications public. Or, les termes « en position déterminée » s’opposent au terme « mobile ».

Certes, les États membres sont libres de considérer les services de communications mobiles, y compris les services d’abonnements Internet fournis au moyen des services de communications mobiles, comme des services obligatoires additionnels, au sens de la directive « service universel ». Dans ce cas, cependant, un mécanisme de financement de ces services impliquant la participation d’entreprises spécifiques ne peut pas être imposé. Il est possible de compléter par d’autres options le service universel, mais hors financement par fonds de service universel.

Or la persistance de zones blanches ou grises de téléphonie mobile pose la question de la définition du service universel alors que, de plus en plus, un téléphone portable devient un terminal multifonctions (moyen de paiement, clé, contrôle à distance). Nombre de pratiques rendent nécessaires l’accès à un téléphone mobile, et son usage devient aujourd’hui indispensable dans la gestion des relations sociales.

Lors des négociations sur la directive communautaire relative au service universel, la France – soutenue en cela par l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, la Grèce et l’Irlande – a voulu intégrer dans la définition du service universel la couverture mobile et l’Internet à haut débit, sans résultat.

Pour vos co-rapporteurs, limiter les prestations de service universel à la téléphonie fixe remet en cause le principe fondamental d’adaptabilité du service public, garant de sa pérennité. Le risque est réel de voir ce service universel finir « asphyxié ».

Par ailleurs, le financement mutualisé par l’ensemble des opérateurs (par exemple par le biais du fonds de service universel) ne peut être utilisé que pour le panier de services strictement défini dont nous venons de voir qu’il se réduit peu ou prou à un service à l’impact très limité.

Une inclusion ciblée et limitée dans le service universel (une prestation GSM de base incluant l’accès à un réseau à un prix abordable) correspondrait pourtant à l’aspiration des consommateurs, et aurait également pour avantage d’imposer des normes de qualité et une obligation de couverture territoriale étendue. Elle permettrait alors de répartir sur l’ensemble des opérateurs les frais ainsi liés à l’obligation de couverture des zones isolées peu rentables.

Une solution alternative a été retenue : l’article 129 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité chances économiques entérine la disparition des cabines téléphoniques en contrepartie d’une obligation, pour les opérateurs de télécommunications, de couverture de centres-bourgs de communes rurales en 2G et en 3G, grâce à une mutualisation du réseau et moyennant un financement public.

Ces derniers, y compris Free Mobile à compter de 2016, sont désormais tenus d’apporter une couverture de base (voix et internet mobile) à près de 3 800 centres-bourgs (ce qui représente environ 1% de la population) en 2G d’ici le 31 décembre 2016, et en 3G (indispensable pour utiliser Internet) d’ici le 30 juin 2017, et dans tous les cas au plus tard six mois après la mise à disposition du pylône par les pouvoirs publics. Faute de présentation d’un projet satisfaisant, l’Arcep pourra fixer les obligations à la charge de chacun des opérateurs pour parvenir à assurer la couverture des zones blanches.

Vos co-rapporteurs s’en réjouissent mais notent toutefois que cette liste inclut 67 communes toujours non couvertes malgré des précédents programmes gouvernementaux en 2003, puis en 2008. Ils expriment donc le vœu d’un suivi attentif des engagements des opérateurs tant par le régulateur que par les pouvoirs publics, et saluent la mise en place d’un observatoire.

Ils constatent également que la résorption de ce retard ne concerne pas la 4G, très haut débit mobile crucial dans l’utilisation optimale de services (navigation fluide, téléchargement rapide...) et donc pour des nouveaux usages (visiophonie, cloud...).

Préconisation de vos co-rapporteurs : assurer la pérennité de la notion même de service universel en l’adaptant aux nouvelles demandes et nouveaux usages de nos concitoyens, et donc faire usage du réexamen périodique du contenu du service universel prévu à l’article 15 de la directive pour demander son extension ciblée à des prestations de base de téléphonie mobile, voire aux infrastructures indispensables pour assurer l’égalité de la desserte des territoires.

À la fin du 19ème siècle, c’est sous la forme du monopole d’État que le réseau téléphonique commuté en cuivre est déployé. D’abord analogique, il se numérise progressivement à partir des années 1970, puis à la fin des années 1980, la direction générale des télécommunications décide de relier en fibre optique les centraux interurbains (réseaux de transport).Tout autres sont les modalités qui ont présidé au déploiement du haut débit.

Le principe de liberté d’établissement des réseaux, corollaire de la liberté d’entreprendre, prévaut depuis la directive 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, sans qu’aucun opérateur ne puisse conserver ou acquérir des droits de tirage exclusifs pour l’exploitation de certains réseaux. Le cadre européen limite l’intervention publique aux seuls cas avérés où l’insuffisance de l’offre privée ne permet pas un déploiement à moyen terme. En matière de très haut débit, ce cadre fait donc prévaloir l’incitation sur la coercition.

En l’absence d’un actif public à valoriser selon les priorités des politiques publiques, comme les fréquences hertziennes pour la téléphonie mobile, ce principe limite la capacité d’action des pouvoirs publics sur les opérateurs de réseaux fixes, et en particulier la possibilité d’exiger des opérateurs privés des déploiements dans les zones où ils ne souhaitent pas aller.

Toutefois, la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 autorise les États membres à inclure dans le périmètre du service universel la fourniture d’un accès à un réseau fixe à haut débit. Cette possibilité fait l’objet d’une attention particulière de la Commission européenne en raison des risques de distorsion de concurrence et d’imposition d’une charge déraisonnable sur les entreprises du secteur, comme elle le rappelle dans sa communication COM(2011) 795 du 24 novembre 2011 précitée.

● Un encadrement des réseaux très haut débit qui aménage un régime spécifique pour la mise en œuvre d’aides d’État.

Dans le cadre de la stratégie Europe 2020, le plan numérique de l’Europe a pour ambition que, d’ici à 2020, tous les Européens aient accès à un débit supérieur à 30 Mbit/s, et que 50 % d’entre eux au moins aient accès à des offres proposant un débit supérieur à 100 Mbit/s. L’investissement nécessaire pour atteindre l’objectif d’un accès généralisé à des offres de 30 Mbit/s est estimé, à l’échelle de l’Union, à 60 milliards d’euros, et à 270 milliards d’euros pour l’accès de la moitié des ménages à 100 Mbit/s.

Tout en réaffirmant le principe d’une priorité donnée aux mécanismes de marché et à l’initiative privée, la Commission européenne a dû admettre la possibilité d’une carence de cette dernière et la nécessité d’un financement public afin d’atteindre ces objectifs, et a aménagé en conséquence le régime des aides d’État.

Les lignes directrices communautaires 2009/C 235/04 pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit ont tiré la conséquence des inégalités territoriales en matière de densité de population et donc de la réalité d’une carence potentielle de l’initiative privée compte tenu de l’inégalité d’attrait qui en découle pour des opérateurs sur lesquels pèsent des exigences de rentabilité. Trois types de zones ont alors été délimitées :

- les « zones noires », à forte densité de population, caractérisées par une concurrence par les infrastructures entre opérateurs privés et où la couverture sera donc assurée par l’initiative privée, mais si des zones noires haut débit  sont présumées être des zones noires NGA (Next Generation Access), alors les États ont la faculté de démontrer le manque d’offre privée pour le déploiement du très haut débit et engager une intervention publique,

- les « zones grises », zones de densité intermédiaire, où une éventuelle carence doit en priorité être comblée par la mutualisation des infrastructures entre opérateurs privés, la nécessité d’une intervention publique devant être dûment justifiée ;

- les « zones blanches », qui, en raison de leur faible densité de population, ne font pas l’objet d’une offre privée suffisante, et où une intervention publique est ainsi justifiée.

Les lignes directrices 2013/C 25/01 pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit ont ensuite ouvert la possibilité d’une intervention publique dans une zone noire, à condition qu’elle permette un saut technologique notable par rapport aux infrastructures déployées par les opérateurs privés.

La Commission européenne a en outre veillé à ce qu’un constat de carence soit réellement possible :

- les lignes directrices de 2009 prévoient ainsi que si dans un délai de trois ans, aucun investissement privé n’est prévu pour engager des déploiements, le manque d’initiative privée peut être constaté au profit d’une intervention publique,

- les lignes directrices de 2013 précisent les conditions d’évaluation de l’offre privée afin de prévenir le risque d’une préemption de certains territoires par de simples déclarations d’intentions d’investir, non suivies d’effets.

Enfin, la directive 2014/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 vise à réduire le coût des réseaux très haut débit, particulièrement en matière de travaux de génie civil, en privilégiant la réutilisation des infrastructures existantes, y compris d’autres réseaux (électricité, gaz, eau...) (21).

Cette prise en compte du réel de la part de la Commission européenne, si elle doit être saluée, n’est toutefois pas exempte de conditions en cas d’aide publique :

- un accès de gros aux infrastructures passives du réseau aidé, ainsi qu’un dégroupage total doit alors être obligatoirement proposé afin d’assurer une concurrence effective par les services (neutralité et libre accessibilité des infrastructures à tout opérateur de services),

- la tarification, pour l’ensemble des réseaux très haut débit, y compris en cas de financement par une aide publique, doit être homogène. Privilégiant ainsi une logique de prix orientés vers les coûts, cette disposition encadre la commercialisation à venir des réseaux d’initiative publique.

Cette dernière condition vient d’ailleurs d’être introduite dans le code général des collectivités territoriales (article L. 1425-1) par l’article 126 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui fixe les principes tarifaires de l’accès des opérateurs aux réseaux d’initiative publique : les conditions tarifaires doivent être objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées et garantir le respect du principe de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques ainsi que le caractère ouvert de ces infrastructures et de ces réseaux. Ces conditions prennent en compte les subventions publiques afin de reproduire les conditions économiques d’accès à des infrastructures et à des réseaux comparables dans les zones rentables.

Il faut donc entendre que l’apport de financements publics a vocation in fine à permettre, dans la zone d’initiative publique, la reproduction des tarifs constatés en zone d’initiative privée. Or aujourd’hui, les territoires les plus fragilisés se retrouvent avec les dossiers les plus complexes sur les plans technique et financier, avec un retour sur investissement très incertain. Un double risque existe donc pour les collectivités, celui de se retrouver avec des réseaux dépourvus d’offre commerciale, faute de pouvoir proposer des tarifs attractifs, mais également d’être confrontées à des politiques de « mise en concurrence » par les opérateurs privés, qui pourraient tirer les tarifs excessivement vers le bas et donc réduire les recettes qu’elles pourront tirer de ces réseaux, et générer un niveau de subventions publiques trop important.

● Le recours possible au régime des services d’intérêt économique général (SIEG) 

Le régime des services d’intérêt économique général (SIEG) permet à des interventions publiques de ne pas être soumises à la qualification d’aides d’État. Le SIEG peut être fourni directement par une collectivité territoriale en régie, mais aussi par d’autres personnes, publiques ou privées, mandatées à cet effet. Une obligation de service public est imposée au prestataire, sur la base d’un critère d’intérêt général, garantissant la fourniture du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission.

Vos co-rapporteurs ont pris connaissance avec un vif intérêt de l’initiative de la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat qui, en 2011, a saisi l’Autorité de la concurrence de la question des projets « intégrés », c’est-à-dire des projets de réseaux élaborés par les collectivités territoriales à la fois sur la zone non rentable (zone blanche) et sur une partie de la zone intermédiaire (zone grise), afin d’équilibrer le modèle économique des réseaux publics et de surmonter l’incertitude relative à certains engagements privés, bref une application renouvelée et localisée du principe de péréquation au cœur de la notion de service public à la française.

Dans sa réponse telle qu’elle est rapportée dans le rapport de nos collègues sénateurs Hervé Maurey et Patrick Chaize (22), l’Autorité de la concurrence note la possibilité pour de tels projets d’être compatibles avec le cadre européen en prenant la forme d’un SIEG, condition indispensable pour identifier ex ante la carence de l’offre privée en matière d’infrastructures très haut débit.

Conditions d’une intervention publique dans le cadre d’un SIEG télécoms

Ces conditions cumulent à la fois les critères « Altmark » (en référence à l’arrêt Altmark de la CJCE du 24 juillet 2003) et les précisions apportées par les « lignes directrices communautaires pour l’application des règles relatives aux aides d’Etat dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit » publiées le 17 septembre 2009 :

•L’entreprise doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public, et ces obligations doivent être clairement définies ;

• Les paramètres sur la base desquels sera calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente ;

• La compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public en tenant compte des recettes qui y sont liées ainsi que d’un bénéfice raisonnable ;

• Lorsque le choix de l’entreprise chargée de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne aurait à supporter (compte tenu des recettes et du bénéfice raisonnable tiré de l’exécution de ses obligations).

Le porteur du projet doit de plus :

• motiver la qualification de SIEG du projet ;

• démontrer le risque de fracture dans le cas du seul investissement privé ;

• desservir tous les utilisateurs de la zone (foyers et entreprises) ;

• se conformer aux obligations d’ouverture, transparence et non discrimination ;

• fournir une infrastructure passive, neutre et librement accessible ;

• fournir toutes les formes possibles d’accès au réseau (notamment passif) sans fourniture de services de détail ;

• prévoir des garde-fous si le SIEG est confié à un opérateur verticalement intégré (séparation comptable, séparation structurelle) ;

• ne pas accorder de droit exclusif ou spécial au titulaire.

Source : http://numerique.aquitaine.fr/Etablir-et-exploiter-un-Reseau-d

À l’occasion de sa première décision en matière de très haut débit, le 30 septembre 2009, la Commission européenne a d’ailleurs conclu que la mise en œuvre d’un réseau public de très haut débit couvrant tout le département des Hauts-de-Seine était un service d’intérêt économique général (SIEG).

Force est donc de constater que le droit européen offre une palette d’outils plus souples qu’il n’y parait au premier abord pour réaliser le déploiement du réseau fixe à très haut débit.

● Un choix national, le recours aux opérateurs privés, qui limite l’État à un rôle de cofinanceur et de coordinateur technique, délégant aux collectivités territoriales la fonction d’aménageur, tout en contraignant fortement ces dernières.

À l’image de ce qui, à l’été dernier, vient d’être fait pour les conditions tarifaires, le cadre européen ainsi tracé a été transposé par la France, mais sans que ne soient utilisées toutes les flexibilités que ce dernier offrait.

La France n’a pas choisi de recourir au service universel pour assurer l’accès de tous aux réseaux à haut et très haut débit.

Or les acteurs de marché sont soumis à des impératifs de rentabilité et n’investissent que dans les zones les plus peuplées, donc les plus rentables. Sont apparues les premières inégalités en termes d’offres, de tarifs, de performances et de services, allant jusqu’à créer une véritable fracture numérique entre les territoires très urbanisés et les zones moins denses.

Nos collègues sénateurs Hervé Maurey et Patrick Chaize ont parfaitement décrit le mécanisme retenu par l’État, mis en œuvre depuis plusieurs quinquennats, dans leur rapport d’information paru en novembre dernier sur la couverture numérique des territoires (23) : « pour un programme pourtant primordial pour l’avenir, au même titre que le fut l’électrification autrefois, ce n’est pas l’État, mais les collectivités territoriales qui se sont vues chargées d’assurer le déploiement de la fibre sur les zones les moins denses du territoire et ainsi prévenir l’apparition d’une fracture numérique ».

Depuis le milieu des années 2000, les collectivités territoriales sont en effet compétentes en matière des communications électroniques. La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a ouvert aux collectivités et à leurs groupements la possibilité d’intervenir dans ce domaine afin de pallier un éventuel déficit d’offres privées sur leurs territoires  : l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales les autorise à établir un réseau d’initiative publique (RIP) en vue de le mettre à disposition d’opérateurs ou de l’exploiter directement pour fournir de la bande passante ou des lignes abonnées à des fournisseurs de service, voire à fournir un accès à l’utilisateur final en cas d’insuffisance avérée de l’initiative privée.

Comme il a été expliqué à vos co-rapporteurs au cours de l’une des auditions, une approche ascendante (dite « bottom-up » en anglais) a été retenue dès 2010 pour les deux programmes nationaux engagés pour développer le très haut débit. Les collectivités territoriales ont en effet été jugées être au plus près de l’expression des besoins des futurs utilisateurs et les plus à même de définir des priorités en phase avec leurs autres projets de développement, tels que la mise sur pied d’une zone d’activité par exemple. L’exemple pionnier du département des Pyrénées-Atlantiques est éloquent à cet égard, pour votre co-rapporteure.

Lancé en février 2013, le Plan France Très Haut Débit, qui visait à mettre en œuvre le quatrième engagement de François Hollande lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012, « la couverture intégrale de la France en très haut débit d’ici à dix ans », a repris sans grandes modifications ce modèle de déploiement.

Programme national très haut débit et Plan France Très Haut débit

Le programme national très haut débit (PNTHD) constitue le premier projet gouvernemental français visant une couverture intégrale en réseau à très haut débit. Rendu public en juin 2010 et détaillé en avril 2011, le PNTHD visait un objectif de raccordement de la population au très haut débit de 70 % d’ici 2020 et de 100 % d’ici 2025, en privilégiant le FttH, technologie considérée à juste titre comme la plus performante et la plus pérenne.

Le PNTHD a prévu un partage de la responsabilité des déploiements entre une zone privée (les zones suffisamment rentables pour un déploiement exclusivement privé- le cas échéant mutualisé entre opérateurs -, soit les zones très denses et les zones concernées par des intentions d’investissement ou « zones AMII », identifiées via un appel à manifestations d’intentions d’investissement (AMII) (été 2010 - janvier 2011), et une zone publique (le reste). Le PNTHD distingue ainsi trois zones :

- la zone très dense définie par l’Arcep (décision de l’Arcep n° 2009-1106 du 22 décembre 2009) pour 148 communes, regroupant 4,3 millions de logements. A priori rentables, les déploiements d’infrastructures sont assurés par les opérateurs privés, le cas échéant par une mutualisation.

- la zone moins dense privée dite « zone AMII », définie par l’Arcep sur la base de l’AMII pour 3 447 communes regroupant 11 millions de logements. Faisant l’objet d’intentions d’investissement, les déploiements d’infrastructures dans cette zone ont vocation à être mutualisés, un opérateur étant chargé du déploiement, avec un cofinancement apporté par les autres opérateurs.

- la zone moins dense publique, définie comme l’ensemble du territoire non compris dans la zone très dense ou dans la zone AMII, soit 17 millions de logements et locaux à usage professionnel. Identifiée comme non rentable pour le seul investissement privé, cette zone doit être couverte par les collectivités territoriales, le cas échéant avec un cofinancement des opérateurs privés.

La décision n° 2013-1475 du 10 décembre 2013 de l’Arcep retire 43 communes, correspondant à 547 000 logements, de la liste des communes des zones très denses, et ajoute Poitiers. Cette liste passe ainsi de 148 (soit environ 6,0 millions de logements) à 106 (soit environ 5,5 millions de logements), ce qui représente moins de 17% du nombre total de logements sur le plan national.

Lancé en février 2013, le Plan France Très Haut débit (PFTHD) prévoit une couverture de 100 % de la population française en très haut débit d’ici 2022, avec un objectif intermédiaire de couverture de 50 % de la population en 2017.

L’objectif a donc été rapproché de trois ans par rapport au PNTHD, mais en retenant une définition particulièrement large, le très haut débit au sens du PFTHD ne correspond pas nécessairement à un accès au FttH. En effet, l’objectif est de couvrir 80 % des ménages en FttH (Fiber to the Home - Fibre jusqu'à l'abonné) en 2022, la couverture restante consistant en un mix technologique ayant recours à la montée en débit des réseaux cuivre ou hertziens.

Pour assurer que la couverture du territoire sera intégrale en 2022 et éviter le déploiement de plusieurs réseaux en parallèle, le Plan divise le territoire en deux zones :

Dans les grandes agglomérations et chefs-lieux de département, les opérateurs privés déploient des réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH). Ils s’engagent à réaliser ces déploiements d’ici 2020 dans le cadre de conventions signées avec les collectivités territoriales concernées et l’État. Ces zones dites « conventionnées » concernent 3 600 communes et 57% de la population et représentent un investissement de 6 à 7 milliards d’euros ;

En dehors des grandes agglomérations, les collectivités territoriales peuvent déployer des réseaux publics mobilisant plusieurs types de réseaux d’accès à Internet : FttH, amélioration des débits sur le réseau ADSL, satellite, Wimax, 4G. Propriété des collectivités territoriales, ces « réseaux d’initiative publique » (RIP) proposent, comme les réseaux privés, des services aux particuliers et entreprises par des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Les recettes d’exploitation et le cofinancement issus de ces FAI permettront ainsi de financier la moitié de l’investissement (13 à 14 milliards d’euros). La seconde moitié de l’investissement (6,5 milliards d’euros) est financée par des subventions publiques, dont une enveloppe de subvention de l’État de plus de 3 milliards d’euros.

Afin de préciser les intentions d’investissement des opérateurs à l’heure du PFTHD, le plan prévoit la signature de conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) sur l’ensemble de la zone d’initiative privée, dite « zone conventionnée ».

D’après le rapport annuel 2014 du PFTHD, sur les 3 583 communes de l’ancienne zone AMII : 53 % des locaux sont « engagés dans processus de signature » d’une CPSD (1764 communes), 35 % des locaux bénéficient d’une CPSD signée (1059 communes) et 18 % des locaux sont en cours de conventionnement (705 communes). Le dispositif de conventionnement reste donc parcellaire, alors que l’Autorité de la Concurrence a acté en juillet dernier l’incapacité d’Orange et de SFR à s’entendre sur un échange de zones après le rachat de SFR par Numéricable.

Les investissements nécessaires au déploiement des réseaux sont estimés à 20 milliards d’euros d’ici 2022, partagé entre les opérateurs privés, les collectivités territoriales et l’État :

- 6 à 7 milliards d’euros pour la zone d’initiative privée (hors raccordement final), reposant sur les fonds propres des opérateurs privés,

- et 14 milliards d’euros pour la zone d’initiative publique. Une première moitié doit s’appuyer sur les subventions de l’État, prévues à hauteur de 3,3 milliards d’euros, l’apport des différents niveaux de collectivités territoriales, les prêts accordés par la Caisse des dépôts, de longue maturité (jusqu’à 40 ans) et à taux faible (taux du livret A + 1 %) en mobilisant l’épargne réglementée, et par la Banque européenne d’investissement avec un consortium de banques privées, ainsi que les subventions des fonds européens (FEDER et FEADER) ; une seconde moitié doit reposer sur les cofinancements apportés par les opérateurs privés et les recettes d’exploitation.

Source : Rapport d’information déposé au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat par le groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire, sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions, par MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize le 25 novembre 2015.

« La méthode retenue par le Gouvernement est bonne. C’est une méthode pragmatique qui tient compte à la fois de l’énorme travail réalisé, depuis cinq ans, par les collectivités territoriales, par les opérateurs et par les acteurs publics, dont le régulateur ; et elle est préférable à une méthode qui aurait consisté à construire quelque chose d’entièrement nouveau, avec les importants retards qui en seraient résultés sur l’investissement » déclarait d’ailleurs le 13 mars 2013 M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP, lors de son audition conjointe par la commission des affaires économiques et la commission du développement durable du Sénat sur les questions d’aménagement numérique du territoire relatives à la feuille de route «  très haut débit » du Gouvernement

Vos co-rapporteurs tiennent toutefois à souligner leur regret d’un renoncement de l’État à assumer son rôle de garant de l’équilibre et de l’aménagement du territoire, à l’image de ce qu’il a su faire par le passé pour des programmes similaires en termes d’accès à la modernité et au maintien de l’indépendance de notre pays, comme l’électrification et le choix de l’énergie nucléaire.

De plus, ils notent que, certes contraint par les lignes directrices, l’État a toutefois mis en place un cadre plus favorable aux opérateurs privés en allant au-delà de ces dernières, en :

- délimitant la zone intermédiaire sur la base de « simples » déclarations d’intentions des opérateurs, non seulement non contraignantes mais aussi avec un cadre temporel de concrétisation desdits projets quasiment doublé par rapport aux exigences européennes (la procédure d’appel à manifestations d’intentions d’investissement (AMII) menée en 2011 a retenu un horizon temporel de cinq ans, et non trois ans). Une simple « manifestation d’intérêt » par un investisseur privé peut ainsi retarder la fourniture de services à haut débit dans la zone visée si aucun investissement n’est réalisé pendant ces cinq ans, et l’intervention publique sera ainsi bloquée pendant une durée équivalente ;

- rendant impossible, via les règles d’éligibilité des subventions, le déploiement avec le soutien de l’État des réseaux d’initiative publique dans les zones intermédiaires sous la forme d’un SIEG : afin d’être éligibles aux subventions de l’État, les RIP doivent en effet porter a minima sur le périmètre d’un département, être cohérents avec la programmation du schéma directeur territorial d’aménagement numérique concerné, et ne pas empiéter sur une zone d’initiative privée.

● Le constat dressé par le rapport d’information précité de nos collègues sénateurs Hervé Maurey et Patrick Chaize conforte l’appréciation de vos co-rapporteurs sur la disparité de traitement appliquée à leurs concitoyens en matière de télécommunications et sur l’accentuation des inégalités existantes qui en résultent, puisque cet accès se trouve de facto réservé aux usagers des zones denses.

La couverture de la population en matière de haut débit progresse essentiellement par la modernisation des réseaux existants dans la zone d’initiative privée.

L’éligibilité au très haut débit se concentre significativement sur les zones très denses et les zones moins denses câblées, le décalage entre les deux zones étant lié à la fois à l’utilisation des réseaux de cuivre et de câble par les opérateurs privés, ce qui facilite une progression rapide des taux de couverture, et aux délais de lancement des projets dans la zone d’initiative publique. À la mi-2015, la zone d’initiative privée ainsi comptait 4,03 millions de prises de fibre optique jusqu’à l’abonné - contre 707 000 pour la zone d’initiative publique - ainsi réparties : 2,88 millions de prises pour la zone très dense, contre 1,15 million en zone moins dense.

Comme de nombreux élus locaux, vos co-rapporteurs peuvent constater dans leurs circonscriptions respectives la persistance d’infrastructures fragmentées, voire absentes.

Celle de votre co-rapporteur, les Yvelines, est symptomatique de l’effet perturbateur lié à la fusion entre Numericable et SFR, autorisée par l’Autorité de la concurrence le 27 octobre 2014, alors que SFR était amené à participer activement au déploiement du FttH dans la zone d’initiative privée, à titre principal ou en tant que cofinanceur avec Orange.

Le nouvel ensemble détient un réseau de câble de près de 10 millions de prises, qu’il est possible de moderniser à moindre coût par rapport au déploiement d’une boucle locale optique intégrale afin de proposer une offre très haut débit. Il est donc compréhensible que cet opérateur concentre ses investissements dans cette zone câblée, essentiellement en zone très dense et dans la zone AMII cablée, ce qui contraint, par ricochet, l’autre acteur, Orange, à faire de même pour maintenir ses parts de marché. Est éclairant à cet égard l’incapacité d’Orange et Numericable-SFR à aboutir un accord sur l'échange de zones de déploiement dans la zone moins dense, finalement acté par l’Autorité de la concurrence le 30 juillet 2015.

Avec une telle concentration des investissements privés dans les zones les plus concurrentielles, non seulement l’objectif de 80 % de couverture FttH en 2022 est remis en question – alors même que cette zone privée avait vocation à être le principal moteur du déploiement FttH à moyen terme – mais au lieu de s’atténuer, les disparités territoriales existantes vont s’accentuer, sans que l’intervention publique ne puisse y pallier. En effet, les modalités retenues par l’État pour encadrer la définition de la défaillance de l’initiative privée (cf. supra) empêchent les collectivités territoriales, placées dans une situation d’incertitude et d’attente vis-à-vis des opérateurs, de s’engager à la place de ces derniers, alors que la Commission européenne avait veillé à ce qu’un constat de carence soit réellement possible.

L’AMII datant de 2011, vos co-rapporteurs appellent à utiliser pleinement l’horizon temporel de cinq années retenu par l’État pour permettre le constat de carence qui ouvre la porte au déploiement d’un RIP.

Certaines collectivités l’ont fait. Ainsi, la Métropole européenne de Lille (MEL) a établi un constat de défaillance de l’opérateur Numericable SFR, le 1er  avril dernier. Première à signer les conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) avec les opérateurs, dès octobre 2013, au terme du processus prévu à l’article 12 du modèle type CPSD (échec des discussions locales avec l’opérateur, puis réunion régionale de la Commission de concertation régionale pour l'aménagement numérique du territoire (CCRANT), la MEL a saisi le comité de concertation du plan France Très Haut Débit (CCFTHD). Celui-ci a rendu un avis favorable à la demande de la collectivité, le 24 mars 2016, après avoir entendu les arguments de l’opérateur. Cette position ouvre la possibilité à la MEL d’engager de nouvelles discussions avec tous les opérateurs présents sur son territoire ou de recourir à l’initiative publique.

La circonscription de votre co-rapporteure, les Hautes-Pyrénées, illustre quant à elle à la fois le volontarisme des collectivités territoriales en zone peu dense et les difficultés auxquelles elles se heurtent.

Selon le bilan de l'Agence du Numérique, à fin mars 2016, de l’avancement du Plan France THD (24), 46,2% des locaux/foyers sont couverts en THD (avec un débit supérieur à 30 Mbit/s en réception), les décisions de financement de l’État depuis le début du second semestre 2015 ont été accélérées (par un facteur 3) et 2,2 milliards d'euros ont été engagés par l’État (sur plus de 3 milliards annoncés) et plus de 150 millions d'euros devraient être décaissés d’ici à la fin 2016.

lan France THD en chiffres

97 départements sur 101 (25) ont déposé un dossier de demande de subvention auprès du Plan France THD, ce qui représentent 84 projets. Mais selon la carte publiée à l’appui de ce bilan, les départements du Maine, du Var et des Bouches du Rhône en sont encore au stade de l’élaboration du projet, le Rhône (couvert depuis les années 90 par un réseau câblé EPARL, exploité par Numéricable, relié en fibre optique sur l’ensemble du département et aujourd’hui modernisé pour l’accès à Internet en THD) et les Pyrénées-Atlantiques (projet en cours d’actualisation) étant dans une situation particulière.

Ce bilan doit toutefois être regardé avec prudence. Avoir déposé un dossier d’aménagement numérique pour obtenir le soutien de l’État ne signifie pas que le déploiement est prêt à démarrer, mais il illustre la volonté des départements de s’engager – qu’il convient de saluer compte tenu des contraintes en matière de dotations financières qui pèsent sur eux – , dans un cadre national pourtant très contraint et marqué d’incertitudes fortes.

Échelle de base des RIP de deuxième génération, la maîtrise d’ouvrage par le conseil départemental représentait 18 % des projets en 2015.

Même si les démarches régionales ou pluri-départementales sont vivement encouragées par la structure de pilotage de l’État, le cadre retenu est en effet celui du département, alors que la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation de notre République organise la possibilité d’une délégation partielle ou complète de la compétence dans le domaine des communications électroniques des collectivités territoriales ou de leurs groupements à un syndicat mixte.

Source : CEREMA, 2015.

De surcroit, certains départements se sont engagés il y a quelques années dans des réseaux d’initiative publique destinés à résorber les « zones blanches », ce qui limite fortement leur capacité à lancer un RIP dans le cadre de ce plan, avec le risque de concurrence entre ces réseaux publics si leur périmètre n’est pas parfaitement délimité. Ces projets, encore en cours, obèrent la capacité financière à déployer de nouveaux réseaux publics, cette fois en fibre optique.

C’est par exemple le cas des Hautes-Pyrénées, qui ont mobilisé 31 millions d’euros jusqu’en 2032 dans un RIP de première génération pour construire un réseau de collecte destiné à dégrouper les zones bas-débit de l’ADSL, en partenariat public-privé avec l’opérateur Axione.

De plus, ces RIP en cours ne peuvent pas être modifiés par un simple avenant, et un nouveau marché doit alors être lancé pour créer un RIP sous cette nouvelle forme.

La conséquence en est une fragmentation du territoire, avec des territoires pionniers, comme notamment celui du Calvados, de la Communauté de Communes Cœur Côte Fleurie, de l’Ain, du territoire du Pays de Bitch ou encore de l’Oise, avec un taux de déploiement de 40 000 prises par an pour ce RIP, et de l’autre, parfois juste de l’autre côté de la limite administrative, des départements qui viennent seulement de déposer leur dossier ou ne m'ont pas encore fait. Or cette fragmentation numérique peut avoir de graves conséquences sur le développement économique des territoires via les décisions d’implantation ou de développement d’activités économiques.

Lors de son audition par vos co-rapporteurs début février 2016, M. Antoine Darodes, président de l’Agence du numérique, s’est montré optimiste quant à la résorption de cette différenciation entre territoires, arguant de la pression exercée par les acteurs, économiques notamment, comme facteur d’une accélération du portage politique des projets. Vos co-rapporteurs en conviennent mais soulignent toutefois l’inégalité des territoires qu’engendre ce cadre national, qui « empêche » certaines collectivités territoriales d’aller à un rythme plus dynamique.

● Enfin, dernier obstacle, le dossier du Plan France THD est toujours entre les mains de la Commission européenne pour une validation officielle. À défaut, les aides publiques aux projets de réseaux d’initiative publique (RIP) lancés par les collectivités seront qualifiées d’aide d’État.

Pour être subventionnés, les réseaux d’initiative publique doivent respecter un cahier des charges défini par l’État, qui précise notamment les objectifs ainsi que les conditions techniques et commerciales à respecter. Or la dernière version du cahier des charges fourni par la France en novembre 2015, qui devait obtenir une réponse de la Commission européenne en février dernier, est toujours en attente d'une validation.

La Commission européenne s’interroge en effet sur son effet pour l’opérateur historique. Dans les faits, la montée en débit consiste à tirer des fibres optiques jusqu'au sous-répartiteur le plus proche des habitations (fibre jusqu'à l'antenne - FttA), puis d’utiliser le réseau cuivre d’Orange, souvent le seul disponible en zones rurales. Pour prévoir l’avenir (fibre jusqu'à l’abonné - FTTH), des câbles de fibre optique supplémentaires peuvent être tirés. Deux points poseraient particulièrement question pour la Commission européenne : d’une part, ces fibres « surnuméraires », qui à son sens devraient être directement mises à disposition des autres opérateurs, même si ces derniers peuvent déjà venir proposer leurs offres ; d’autre part, les fibres directement utilisées par Orange devraient revenir à la collectivité territoriale après un délai fixé réglementairement.

Lors de son audition, M. Antoine Darodes s’était montré raisonnablement optimiste, soulignant que le déblocage des financements par l’État n’en était pas affecté.

Mais cette incertitude freine cependant les collectivités territoriales, qui doivent avancer l’intégralité des financements, soit par leurs fonds propres, soit par un recours à l’endettement. En effet, les subventions de l’État ne sont décaissées qu’au fur et à mesure de l’achèvement des réseaux, plaque par plaque, comme le précise le cahier des charges des demandes de subvention : « La subvention de l’État sera versée en plusieurs versements, étalés sur plusieurs années dans la limite de la durée prévue par le présent cahier des charges, au rythme de la construction du réseau et après justification que les réseaux financés ont effectivement été construits conformément aux spécifications techniques. »

Cette incertitude pourrait d’ailleurs perdurer encore un peu, l’agence nationale allemande pour les réseaux (BnetzA) venant de notifier, le 7 avril, à la Commission européenne un plan signé avec l’opérateur historique Deutsche Telekom pour le déploiement du très haut débit via la « vectorisation », technique qui permet de monter en puissance sur le réseau cuivre historique en attendant le déploiement de la fibre optique.

Cette notification est la suite de la décision de conformité partielle du régime d’aide allemand de 3 milliards d'euros en faveur du déploiement de l’internet à haut débit rendue par la Commission européenne en juin 2015.

Compatibilité du plan allemand d'aide au déploiement des réseaux d'accès de nouvelle génération (NGA) à haut débit au regard des règles en matière d’aides d’Etat

En février 2014, l’Allemagne a notifié un projet de régime national d’aide au déploiement des réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA) à haut débit doté de 3 milliards d’euros.

L’objectif est de mettre en place des réseaux capables de proposer aux ménages et aux entreprises des vitesses de téléchargement d’au moins 30 Mbit/s (mégaoctets par seconde) et, dans la plupart des cas, de 50 Mbit/s. Un financement peut être accordé aux projets qui consentent des investissements importants dans des réseaux augmentant sensiblement les niveaux de service.

Les opérateurs privés et les municipalités peuvent solliciter un financement dans les zones cibles qui ne disposent que d’un accès haut débit de base et dans lesquelles il n’existe pas de plans d’investissement privés visant à développer la technologie NGA dans les trois prochaines années.

La Commission européenne a examiné la mesure à la lumière de ses règles en matière d’aides d’État, notamment des lignes directrices sur les aides d’État au haut débit de 2013. Ces lignes directrices exigent notamment que les réseaux financés sur des fonds publics soient ouverts à tous les concurrents sur une base non discriminatoire.

La Commission européenne a estimé que les principaux éléments du projet allemand de étaient conformes aux règles de l’Union en matière d’aides d’État : le régime de 3 milliards d’euros vise à assurer un accès à l’internet haut débit dans tout le pays, y compris dans les zones rurales, ce qui favorisera l’intégration économique, sociale et culturelle, et, de manière générale, le régime contribue à la réalisation des objectifs de la stratégie numérique de l’UE tout en maintenant la concurrence sur le marché unique.

Cependant, le régime allemand, tel qu’il a été notifié, incluait également un autre élément, la vectorisation, qui peut être ajoutée aux réseaux NGA et qui permet d’améliorer encore les vitesses de connexion moyennant un léger investissement supplémentaire.

L’un des inconvénients de cette technologie réside dans la nécessité de regrouper un grand nombre de ménages pour qu’ils soient desservis par un seul fournisseur. Les concurrents ne disposent donc pas d’un accès physique individuel aux abonnés. La Commission européenne craint par conséquent que la vectorisation puisse avoir des effets anticoncurrentiels. Étant donné que cette technologie ne garantit pas actuellement un libre accès au réseau, l’une des exigences des lignes directrices sur le haut débit, elle ne peut être utilisée pour l’instant dans les projets financés sur des fonds publics. Quoi qu’il en soit, les objectifs du régime peuvent être atteints sans recourir à la vectorisation.

L’Allemagne a toutefois annoncé qu’un produit permettant aux concurrents d’accéder pleinement aux réseaux vectorisés serait bientôt élaboré. Ce produit sera soumis à l’appréciation de la Commission, qui examinera alors s’il remplit les conditions de libre accès fixées dans les lignes directrices sur le haut débit. Une fois autorisée par la Commission, la technologie de la vectorisation pourrait alors être aussi utilisée dans des projets publics.

Source : Commission européenne - Communiqué de presse – 15 juin 2015.

Or l’autorité allemande de la concurrence a émis des doutes sur ce plan, la « vectorisation » limitant les capacités d’innovation des concurrents de Deutsche Telekom, cette dernière gardant la main sur le réseau et la qualité des produits proposés par ses concurrents, soit un risque d’une « re-monopolisation » du réseau allemand.

La Commission européenne devrait donner son avis dans les trois mois. La montée en débit sur le réseau cuivre sera directement concernée par cette décision. Si cette question ne concerne qu’une minorité des plans de déploiement locaux, c’est pourtant elle qui freine depuis des mois l’approbation du plan très haut débit français par les autorités européennes de concurrence.

Lors du Salon mondial du marché numérique (Cebit) de Hanovre en mars dernier, le commissaire à l’Économie numérique, M. Günther Oettinger a indiqué qu’à ses yeux, pour arriver au très haut débit, « toutes les techniques se valent ».

Reste à en convaincre, une fois de plus, la Direction Générale de la Concurrence.

Les réseaux de téléphonie mobiles reposent sur l’utilisation de bandes de fréquences radio, qui font partie du domaine public. Il est donc possible, dans la procédure d’attribution des licences d’utilisation, de fixer des obligations de couverture du territoire et/ou de population.

● Une réalité en décalage avec les obligations de couverture et les programmes de complément.

Malgré l’ancienneté de certains réseaux (le début du déploiement du réseau 2G date de mars 1991 et les premières autorisations pour le réseau 3G mobile de 2001-2002) et des engagements souscrits en matière de déploiement à travers différents programmes (programme national de résorption des zones blanches 2 G de 2003 puis de 2008, accord de 2010 de mise en œuvre du partage des installations entre opérateurs prévu par l’article 119 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie – dit « accord Radio Access Network Sharing »), aucun réseau mobile ne couvre l’intégralité de la population française à ce jour, et certaines zones ont d’ores et déjà un accès « 4G+ » alors que d’autres territoires sont encore privés d’une couverture 2G stable.

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Source : Arcep/ Observatoire sur la couverture et la qualité des services mobiles, décembre 2015 (mise à jour des données pour la couverture).

Une campagne de mesures menée sur le terrain a permis de recenser plus de 260 communes dont le centre-bourg n’était toujours pas couvert en couverture minimale (26) 2G au second semestre 2015 et de constater que moins de la moitié des 3 800 communes concernées par le programme « zones blanches centres bourg » étaient couvertes en Internet mobile par les opérateurs en janvier 2016 (27).

Les raisons en sont multiples : communes oubliées du recensement, communes considérées comme couvertes tout en ne bénéficiant pas dans les faits d’une véritable couverture en centre-bourg, communes pour lesquelles la couverture s’est dégradée, communes nouvelles polycentriques, pour la 2G ; suspension de l’accord de RAN Sharing conclu en 2010 alors même que l’Arcep constatait fin 2013 que seuls 650 sites environ étaient couverts, soit 25 % du total, pour la 3G ; non-respect des échéances fixées pour la zone de déploiement prioritaire (28) (63% du territoire, 18 % de la population, dont la couverture est difficilement réalisable par des fréquences hautes et qui intègre donc notamment les communes concernées par les zones blanches) en matière de couverture, pour la 4G. Fin 2014, la couverture de la ZDP restait marginale (environ 10 %) et les départements peu denses disposaient d’une couverture limitée, selon le rapport de nos collègues Hervé Maurey et Patrick Chaize précité.

● Une nouvelle tentative : l’inscription dans la loi à l’été 2015 des dispositifs de complément de couverture jusqu’ici conventionnels, complétée par un dispositif partenarial de couverture mobile hors centre-bourg et un « coup de pouce de l’État ».

L’article 129 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques entérine la disparition des cabines téléphoniques en contrepartie de l’obligation pour les opérateurs de télécommunications de couvrir les zones blanches. La couverture de ces zones devra être assurée en services mobiles 2G avant le 31 décembre 2016 et en services mobiles 3G au plus tard le 30 juin 2017, et au plus tard six mois après la mise à dispositions des infrastructures par les collectivités territoriales, dans les deux cas.

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Selon les données de l’Observatoire de la couverture mobile des zones peu denses de l’Arcep mis en ligne le 16 février 2016, 3 568 centres-bourgs doivent être couverts en 2G d’ici fin 2016 et 3 799 centres-bourgs en 3G d’ici la mi-2017.

Au 1er janvier 2016, les opérateurs couvraient collectivement :

- 3 236 centres-bourgs en 2G (contre 3 221 le trimestre précédent, il en reste donc 332 à traiter d’ici la fin de l’année) et

- 1 721 centres-bourgs en 3G, soit près de 2 100 à couvrir en moins d’un an et demi.

À eux trois, Bouygues Telecom, Orange et SFR fournissent aujourd’hui de la 4G à 41 % de la population dans les zones peu denses. Ils doivent couvrir 40 % de la population dans les zones rurales en 4G. D’ici la fin de l’année, mais avec respectivement 12 % et 8 % de couverture annoncée au 1er janvier, Bouygues et SFR devront donc déployer massivement dans ces zones pour respecter leurs engagements. L’Arcep a d’ailleurs officiellement mis en demeure « par anticipation » ces deux opérateurs de respecter leurs obligations de couverture sur ces fréquences.

Si une couverture mobile en Internet mobile du centre-bourg des communes concernées est ainsi garantie, certaines zones stratégiques, notamment économiques ou touristiques, pourraient demeurer dépourvues d’une telle couverture. Aussi, ces mesures sont complétées par un appel à projets « 800 sites stratégiques » ouvert pour une durée de quatre ans, de 2016 à 2019 (300 sites en 2016, autant en 2017). Plusieurs vagues de sélection de projets sont prévues pour valider régulièrement des zones à couvrir (les deux premières sont prévues en mai – juillet 2016, puis en juillet-octobre 2016). Les opérateurs se sont engagés à activer des services d’Internet mobile (a minima 3G) sur ces nouveaux sites.

Ces décisions des Comités interministériel aux ruralités (Cir) des 13 mars et 14 septembre 2015 ont été complétées par l’annonce d’un effort financier supplémentaire de l’État.

Alors que la construction des pylônes était aux frais des collectivités, avec une subvention de l’État, les opérateurs devant, eux, y apposer leurs antennes et les brancher à leur réseau, la participation des communes totalement dépourvues de couverture se limitera à la mise à disposition de l’emplacement et au raccordement électrique, l’alimentation étant prise en charge par les opérateurs. Le coût pour l’État de cette prise en charge intégrale est, pour chaque installation, de 100 000 euros en zone rurale et de 130 000 euros en montagne.

L’État sélectionnera et co-financera (à hauteur de 42,5 millions d’euros, dans la limite de 50 000 à 75 000 euros par site) avec les collectivités territoriales concernées la moitié du coût des infrastructures que ces dernières présenteront dans le cadre de leurs schémas directeurs d’aménagement numérique (à une échelle a minima départementale).

Vos co-rapporteurs se félicitent de cet appui de l’État, bienvenu bien que tardif, tant sur le plan du droit, avec un recours à la loi pour obliger les opérateurs à faire, que sur le plan financier.

L’égalité d’accès de tous à la téléphonie mobile exige une forme de solidarité nationale. L’appui de l’État en est une manifestation, l’inscription dans la définition du service universel pourrait en être la consécration.

L’objectif affirmé de l’introduction de la concurrence était bien la baisse des prix pour les consommateurs. Il le reste, comme le montre la déclaration de M. Andrus Ansip, vice-président de la Commission pour le marché unique numérique le 27 octobre dernier, à l’occasion du vote du Parlement européen actant la fin des frais d’itinérance: « Les Européens ont été entendus. Le vote d’aujourd’hui est l’aboutissement des efforts considérables déployés pour mettre fin aux frais d’itinérance dans l’Union européenne […]. À partir de la mi-juin 2017, utiliser son téléphone mobile lors de déplacements dans l’UE coûtera le même prix que dans son pays de résidence habituel. Les tarifs baisseront déjà à partir d’avril 2016. Ce résultat vient récompenser le travail accompli par la Commission, et notamment par ses anciennes vice-présidentes Viviane Reding et Neelie Kroes, qui se sont employées à faire disparaître les frais d’itinérance élevés. »

Pourtant ce changement pose aussi la question de l’impact pour les opérateurs européens, alors que ces frais d’itinérance représentent près de 4 milliards d’euros par an, notamment pour les opérateurs de pays touristiques, comme la France. Une étude du cabinet d’études américain spécialisé dans la technologie Juniper Research indique que les revenus des opérateurs liés aux frais de roaming devraient baisser, en particulier en Europe (52 milliards de revenus en 2017, en baisse de 7% au niveau mondial, de 28% en Europe), mais ces pertes pourraient être compensées par une plus forte utilisation des forfaits mobiles à l’étranger, jusqu’alors bridée par des tarifs prohibitifs, et de nouveaux services, en particulier ceux liés aux contenus, qui devraient progresser et être valorisés (29). Vos co-rapporteurs soulignent toutefois l’existence d’un risque qu’il conviendrait de ne pas négliger, et qui ne serait pas acceptable à leurs yeux, celui d’une compensation par le biais d’un report sur les tarifs appliqués aux consommateurs restant dans le champ national.

Quel impact a eu pour les consommateurs, pour les opérateurs, pour les territoires ce cadre européen ? Est-il toujours adapté aux enjeux de migration de la valeur vers l’immatériel, dans les services comme dans les terminaux, d’égalité des droits en matière d’accès, de préservation de l’outil industriel et technologique européen dans un contexte de concurrence globalisée où les acteurs over-the-top (OTT) que sont Google, Apple, Amazon ou Facebook reconstituent des monopoles à l’échelle mondiale ?

Le numérique est un formidable accélérateur de croissance, dont le potentiel a été maintes fois identifié et mérite d’être davantage exploité par l’Europe, en particulier dans un contexte de ralentissement économique important.

Force est de constater que l’industrie européenne du numérique, au premier rang de laquelle figurent les opérateurs, n’affiche pas les résultats escomptés, bien au contraire. L’Europe doit sans plus tarder s’attacher à créer les conditions favorables à la reconquête de son leadership en matière numérique.

La concurrence, le démantèlement des « entreprises historiques » et la privatisation ont-ils fait baisser les prix pour les consommateurs et permis un accès accru de ces derniers à ces nouvelles fonctionnalités? La question est d’autant plus légitime que la remise en cause du service public s’est faite au nom de l’intérêt du consommateur final.

Le prix pour le consommateur est ainsi la variable la plus surveillée par les autorités européennes, qui cherchent à protéger ce dernier des abus de positions dominantes.

La politique de diminution systématique des prix a été fortement encouragée par l’Arcep, avec un enthousiasme décrit par les représentants des opérateurs que vos co-rapporteurs ont auditionnés comme parfois encore plus affirmé que celui de la Commission européenne. L’arrivée d’un quatrième opérateur est ainsi citée à l’appui de cette perception. Free a pu adopter une politique de prix très agressive car il bénéficiait de dérogations garanties par les autorités de régulation : en plus d’autorisations de fréquence à un prix trois fois inférieur au prix ordinaire, Free a également bénéficié d’obligations asymétriques telles que l’itinérance 2G et 3G, c’est-à-dire la possibilité de passer par le réseau d’un autre opérateur afin d’être immédiatement présent sur le marché de détail (en l’occurrence, Orange, désigné à la suite d’un appel d’offres, qui lui loue son réseau et perçoit à ce titre une rémunération). Si l’Arcep a joué un rôle, il convient toutefois de ne pas oublier que deux « clés ont ouvert la porte » à Free, le régulateur, certes, mais,  en premier lieu, le pouvoir politique (le principe d’un quatrième opérateur était inclus dans les conditions faites aux licences 3G, et la décision d’autoriser l’attribution d’une quatrième licence mobile a été prise par le Premier ministre, le 12 janvier 2009).

Les prix ont reculé en moyenne de 30 % depuis 2010. La France arrive ainsi en tête des pays d’Europe pratiquant les tarifs les plus bas, selon une étude du régulateur belge des télécoms, l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT) s’appuyant sur les prix d’août 2014 dans cinq pays européens, la France, la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. La moyenne des abonnements en France est parmi les plus basses du monde : autour de 20 €, contre 54 € aux États-Unis.

Étude comparative du niveau des prix des produits de télécommunications en Belgique, aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni

[tarifs du mois d’août 2014]

Pour les mobiles, l’étude s’est fondée sur des profils d’utilisation (nombre de minutes par mois, de Gigaoctet de téléchargement et de SMS par mois) auquel on a fait correspondre le tarif le plus avantageux pour établir la comparaison. Le tout est pondéré par la part de marché de chaque opérateur dans le pays considéré afin d’aboutir à un prix moyen par pays et par profil. Au total, 263 offres mobiles ont été comparées.

L’Allemagne est le pays le plus cher quel que soit le profil.

Pour de petits besoins en Internet mobile, la France est le pays le moins cher, suivi de la Grande-Bretagne : 8,27 euros par mois en moyenne pour 50 mégaoctets en France. La France est le deuxième pays le moins cher, après la Grande-Bretagne: pour 2 Gigas à télécharger dans le mois, le Britannique dépensera mensuellement 25,43 euros, le Français 26,90 euros, tandis qu’il en coûtera pas moins de 63,95 euros en Allemagne, mais l’IBPT constate aussi que les opérateurs y incluent de plus en plus des données et des minutes de « roaming » (itinérance à l’international) au même prix que dans son pays.

Dans le domaine des formules prépayées, la France n’est pas bien positionnée : la Grande-Bretagne est la plus attractive et l’écart maximum avec l’Hexagone va jusqu’à 13 euros selon les offres.

Concernant le « triple-play » (Internet, TV, Téléphone), la comparaison des 98 offres ne s’est plus fondée sur un profil mais sur des caractéristiques de performance comparable (vitesse de téléchargement), tout en conservant plusieurs profils d’appel pour la partie téléphonie. Aucune exigence n’est imposée en nombre de chaînes de TV. L’étude considère trois seuils de débit : inférieur à 30 Mégabits par seconde, entre 30 et 60 Mbits/s et entre 60 et 100 Mbits/s.

La France est championne toute catégorie pour des débits entre 30 et 60 Mbits/s. Un consommateur qui aurait les habitudes d’un Belge - pas très différentes d’un Français - ne paierait que 40 euros/mois dans l’Hexagone contre 67 euros/mois en Belgique s’il utilise fréquemment son téléphone. Aux Pays-Bas, le pays le plus cher, il paierait 82 euros/mois. La France est exclue du classement pour les débits 60 à 100 Mbits/s, peu répandus vu la géographie du pays, mais réapparaît dans le très haut débit, au-delà de 100 Mbits/s, concentré dans les grands villes...mais orienté vers le futur. Le prix, là aussi, est en France aux alentours de 40euros/mois alors que les pays voisins flirtent avec les 70 à 80 euros/mois.

Comme toute étude comparative, elle a ses limites. C’est un instantané des offres tarifaires en août 2014. Les opérateurs cherchent désormais à se différencier, explique l’étude, non plus uniquement sur la vitesse de téléchargement mais sur d’autres facteurs  : Internet mobile gratuit en plus du haut débit, volume de téléchargement illimité, clouds et réseaux sociaux gratuits. Des consommateurs y trouveront leur compte plutôt que de toujours viser le moins cher des forfaits. Mais comparer ces petits et grands avantages est quasi impossible. Mieux vaut prendre alors, à vitesse de téléchargement égale, l’offre la meilleure marché, pas celle qui donne le plus de petits à-côtés. C’est en Allemagne qu’on a le plus de petits avantages inclus (cloud, hotsposts WiFi, etc).

Source : La Tribune, La France a les meilleurs prix télécoms d’Europe, Charles Cuvelliez, 10 février 2015.

Le rapport 2014 de l’Observatoire annuel du marché des communications électroniques en France publié par l’ARCEP le 7 janvier 2016 retraçant l’évolution de la facture moyenne mensuelle par abonnement fixe et mobile depuis 1998 met également en évidence ce phénomène dans un contexte de forte hausse du nombre des abonnés et d’accroissement des usages.

Facture moyenne mensuelle par abonnement fixe et mobile

Les communications depuis les réseaux fixe et mobiles

Dans leur étude, commandée par Iliad, la maison mère de Free, « L’impact macroéconomique de l’attribution de la quatrième licence mobile » parue en 2012, MM. Augustin Landier et David Thesmar ont estimé à 1,7 milliards d’euros le gain de pouvoir d’achat lié à l’arrivée de Free sur le marché des opérateurs (30). Il est vrai qu’un forfait illimité coûtait près de 200 euros en 2010, et encore 100 euros en 2011, et que Free, en lançant son offre illimitée à 19,99 euros et son offre mobile à 2 euros a permis à nombre de consommateurs d’accéder à un service hors de leur portée.

Mais cette concurrence accrue n’est, semble-t-il, pas le seul facteur explicatif.

Frontier Economics, dans une étude menée à la demande du GSMA (Groupe Speciale Mobile Association) estime que la baisse des prix s’explique surtout par une amélioration des performances techniques des nouveaux réseaux (dont le débit a été multiplié par 1 000) et finalement peu par l’intensification de la concurrence (seule 15% de la baisse en résulterait) (31).

L’étude conduite par Massimo Florio, Network Industries and Social Welfare. The experiment That Reshuffled Européen Utilities, en 2013, qui a été présentée à vos co-rapporteurs par MM. Gilles Jeannot et Olivier Coutard lors de leur audition, met en effet en évidence l’effet significatif, pour le marché français, de la structure de marché sur le segment de la téléphonie mobile. Mais pour le segment de la téléphonie fixe, c’est l’impact du développement de la téléphonie mobile qui se révèle in fine déterminant sur le prix des télécommunications de ce secteur. Quant au prix de l’abonnement au service de téléphonie fixe, il tend à être d’autant plus élevé que la réglementation de l’accès au marché est moins contraignante.

En 2003, l’Europe comptait 23 millions d’abonnés haut débit, ils sont 145 millions au 1er janvier 2013. Dans le même temps, le nombre des abonnés mobiles a crû de 370 à 657 millions. Il serait donc injuste de dire que la libéralisation n’a pas été bénéfique pour les opérateurs du secteur des télécommunications : ils ont su développer leur activité. Ainsi, la politique européenne de libéralisation du marché des télécommunications a participé, selon les représentants de ce groupe auditionnés par vos co-rapporteurs, de la croissance du groupe Orange, en lui permettant notamment d’étendre ses parts de marché en Europe et dans le monde (d’où sa présence aujourd’hui dans 32 pays différents), tout en réduisant ses coûts et de gestion et en stimulant son innovation.

Toutefois, cette exigence de baisse des prix a une conséquence négative pour l’image même de ce secteur : pour ses représentants, les bas prix des forfaits pour les téléphones mobiles favorisent l’idée selon laquelle l’industrie des télécommunications n’a que peu de valeur.

Or la valeur de cette dernière a effectivement souffert. La quatrième étude Arthur D. Little L’économie à l’ère du numérique réalisée pour le compte de la Fédération française des télécoms en novembre 2014 (32) montre que la performance économique des principaux opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) s’est fortement dégradée.

Leur chiffre d’affaires a baissé de 9% entre 2011 et 2014 (11% entre 2012 et 2013), leur marge brute d’exploitation a reculé de 14 % sur la même période, tandis que leur trésorerie disponible a reculé de 39% entre 2010 et 2013. Cette baisse des marges et du chiffre d’affaires a eu un effet très négatif sur la valeur des opérateurs. Les opérateurs européens auraient perdu environ 30% de leur valeur entre 2006 et 2012, même s’il convient d’intégrer l’effet de la crise financière de 2008 et la situation de croissance atone de la zone euro (33).

Une telle situation a un double impact.

En premier lieu, la capacité des opérateurs à investir est menacée, pour les analystes d’Arthur D. Little : si la décroissance actuelle des revenus des opérateurs se poursuit, les investissements devraient diminuer de 500 millions d’euros par an, dès 2018. Le recul des investissements ne peut être sans incidence sur la couverture réseau, sur la qualité des services, sur l’emploi. Alors que la France et l’Europe étaient en pointe sur le marché des télécommunications (du temps du GSM notamment), elles sont aujourd’hui en retard.

Certes, un investissement « I » peut être décidé si sa valeur actuelle nette est positive, c’est-à-dire si la somme des profits futurs, actualisés par le coût du capital, est supérieure à « I ». La perspective d’importants bénéfices dans le futur peut inciter une entreprise réalisant peu de profits à investir, en particulier dans un contexte de taux très bas, comme le montre l’exemple d’Altice. Orange investit ainsi encore aujourd’hui 14% de son chiffre d’affaires annuel, selon les représentants de cette entreprise que vos co-rapporteurs ont auditionné. Mais ses investissements demeurent largement inférieurs à ceux des entreprises non-européennes, et d’autres opérateurs sont plus affaiblis, notamment Bouygues.

Mais vos co-rapporteurs sont convaincus de la pertinence du théorème de l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » à la condition toutefois que la gouvernance de ces compagnies ne soit pas orientée en premier lieu vers la rémunération des actionnaires.

En second lieu, les opérateurs français n’ont pas les moyens de rivaliser avec les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) américains pour réaliser des acquisitions.

Un nouveau type d’acteurs a en effet fait irruption sur la scène mondiale des télécommunications, et redistribué, y compris en France, le cadre traditionnel dans lequel s’inscrivait ce secteur.

Les entreprises de services sur le Net, qu’il s’agisse des « GAFAM » (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), avec leur système d’exploitation fermé de droit américain, ou bien des opérateurs de vidéo à la demande, de télévision diffusée par Internet, etc., utilisent les réseaux, et captent donc une partie du marché et une partie des revenus des câblo-opérateurs et opérateurs.

Alphabet-Google est aujourd’hui la première capitalisation mondiale avec 555 milliards de dollars, Amazon (300 milliards), Facebook (300 milliards) dépassent dorénavant largement les télécoms (les capitalisations des deux plus importants, AT&T et Verizon, sont respectivement de 230 milliards de dollars et 206 milliards) (34).

Or ces acteurs de l’Internet « contournent » la question de l’accès au réseau en s’adressant au client final soit par le biais du terminal soit par la mise en relations des utilisateurs entre eux (plateformes, réseaux sociaux).

De surcroit, ils posent la question des systèmes d’exploitation.

Le duopole constitué de Google et d’Apple domine de façon écrasante le marché des smartphones grâce à leurs systèmes d’exploitation respectifs, Android et iOS, qui permettent l’accès à leurs écosystèmes « fermés » de services connectés et d’applications téléchargeables en ligne.

Selon les données du cabinet d’études américain International Data Corporation (IDC), Android et iOS ont cumulé 96,3% de toutes les livraisons mondiales en volume de téléphones intelligents, contre 95,6% un an plus tôt.

Apple avec iOS, a vu une croissance de 17,3% en 2015, une progression supérieure à la moyenne du marché (9,8%), tandis que Windows Phone de Microsoft reste au niveau mondial autour de 2,2 %.

Android est ainsi devenu le premier système d’exploitation pour téléphones intelligents en Europe. Or, même si Android est un système d’exploitation libre, la majorité des fabricants de téléphones intelligents et de tablettes utilisent Android en combinaison avec un éventail d’applications et de services propriétaires de Google, installés par défaut. C’est le cas notamment du Play Store, de Maps (système de cartographie), de Chrome (moteur de recherche) ou encore Youtube (Vidéo Network). Ce système d’offre offre groupée permet à Google de bénéficier d’un placement avantageux sur l’écran d’accueil des téléphones, ce qui entraîne la baisse de rendement d’applications similaires qui ne sont pas installées par défaut.

La Commission européenne a décidé de compléter sur cette question une première procédure (lancée en novembre 2010 mais notifiée formellement en août 2015) pour abus de position dominante en matière de recherche sur l’internet, en cherchant à savoir si « Google a violé les règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante en entravant le développement et l’accès au marché des systèmes d’exploitation, applications et services concurrents pour appareils mobiles, au détriment des consommateurs et des développeurs de services et produits innovants ». (35)

Quant à Apple, son modèle, totalement intégré et fermé, repose à la fois sur la captation des utilisateurs par le biais des terminaux et sur la détention des contenus par le biais des banques de programmes.

À cette force de frappe, s’ajoute l’attitude – trop ? – conciliante de la Commission européenne, comme l’illustre ces deux exemples.

● Tout d’abord, la question du niveau des terminaisons d’appel (36), actuellement régulé par l’Arcep. Leurs prix sont aujourd’hui très bas en France, ce qui a favorisé le développement des forfaits illimités et l’usage des SMS, accessibles à tous. Estimant que ces prix sont trop peu élevés, la Commission européenne a décidé de procéder à un examen du système de calcul, qui empêcherait selon elle la progression de services alternatifs, tels que WhatsApp (racheté par Facebook en 2014), Viber ou encore iMessage, qui ne peuvent être utilisés que par le biais d’une connexion internet (3G, 4G, Wifi) et d’un téléphone intelligent. Ces entreprises de services sont toutes américaines, et vos co-rapporteurs regrettent donc que la Commission européenne tende ainsi à favoriser l’arrivée d’opérateurs étrangers, au détriment des entreprises européennes, surtout quand ces entreprises s’auto-exonèrent de la régulation (les applications telles que Viber et WhatsApp s’exonèrent des réseaux - tuyaux, routeurs- et passent par les adresses IP, ce numéro d’identification attribué à chaque appareil connecté à un réseau informatique).

● Mais aussi l’ouverture du marché européen des télécommunications aux entreprises non-européennes, qui l’ont investi et en profitent pleinement. La situation sur le marché du terminal est emblématique à cet égard. Les principaux concepteurs de téléphone et autres outils de télécommunications sont aujourd’hui sur le continent nord-américain (pour la conception des systèmes, iOS et Android, et dans une moindre mesure, Windows Mobile et BlackBerry ; Nokia, le dernier européen, a été racheté par Microsoft en 2014) et en Asie (pour les terminaux).

Quant aux équipementiers, Ericsson n’était plus en 2014 que le troisième mondial en parts de marché en équipements et logiciels réseaux (9%) derrière CISCO (19%) et Huawei (11%), l’Europe constituant le premier marché pour ce dernier (sa part de marché est passée de 2,5% en 2006 à 25% en 2014). Les importations d’équipements pour réseaux de téléphonie mobile dans l’UE s’élevaient en 2014 à un milliard d’euros par an.

En 2013, la Commission européenne avait pourtant lancé deux enquêtes visant les pratiques commerciales des équipementiers télécoms chinois, ce qui concernait, sans les nommer, les groupes ZTE et Huawei, soupçonnés d’avoir recours à des méthodes de dumping et de bénéficier de subventions d’État susceptibles de les aider dans leurs conquêtes de marché à l’international. Et ce, au détriment d’acteurs régionaux comme Alcatel-Lucent ou Nokia Siemens Networks (devenu Nokia Networks) en Europe. Elle y a mis fin en 2014 en concluant un accord amiable avec la Chine, selon lequel cette dernière s’engageait à limiter les crédits à l’export octroyés à ses équipementiers Huawei et ZTE, à surveiller la part de marché des équipementiers chinois en Europe et celle des Européens en Chine et à coopérer en matière de recherche industrielle et de standardisation dans le secteur des télécommunications.

Comment en est-on arrivé là ?

En premier lieu par la priorité donnée à la baisse des prix au service du consommateur et par l’action du régulateur sur les marges des opérateurs, qui répercutent leurs contraintes sur les équipementiers. Ils ont ainsi fait appel à Huawei, dont les prix bas couplé à une technologie radio tout-en-un permettent d’économiser sur la maintenance, et lui ont permis de remonter la chaîne de valeur et de devenir aujourd’hui l’un des équipementiers les plus innovants, alors que ZTE, joue, lui, encore la carte du low cost.

Mais aussi en l’absence d’un accord tacite comme celui qui existe aux États-Unis entre les pouvoirs publics et les opérateurs pour ne pas laisser entrer les équipementiers chinois et limiter ainsi la concurrence au niveau des fournisseurs. Les opérateurs y trouvent leur compte, car ils recherchent la « co-création » avec leurs partenaires, avec à la clef, un véritable partenariat entre l’opérateur, qui veut de l’innovation et du service, et l’équipementier, qui doit être assuré d’un volume d’affaires suffisant pour rentabiliser ces progrès.

La question des équipementiers comme celle des systèmes d’exploitation exigent aux yeux de vos co-rapporteurs une double réponse.

● La première question est symptomatique de l’absence d’une vision industrielle. Si la Commission européenne reconnaissait le caractère mondialisé de la concurrence et acceptait l’existence de champions européens sur toute la chaîne de valeur ajoutée, alors elle pourrait être un outil puissant d’accompagnement.

À cet égard, la question de la consolidation du secteur est un test vital. Or les récentes décisions de Mme Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence, semblent confirmer le maintien d’une approche favorable à la concurrence.

Après avoir refusé en septembre 2015 au Danemark d’avaliser une opération entre les filiales de Telenor et de TeliaSonera, la consolidation sur le marché belge opéré par la fusion entre l’un des trois opérateurs mobile belges Base, filiale du néerlandais KPN, et le câblo-opérateur Telenet, filiale de l’américain Liberty Global, qui proposait aussi des services de téléphonie mobile en tant qu’opérateur de réseau mobile virtuel (ou MVNO, de l’anglais « Mobile Virtual Network Operator ») sur le réseau de Mobistar a reçu un feu vert le 4 février dernier. Telenet, avec ce rachat, pourra ainsi se renforcer en offres quadruple play (Internet-téléphonie fixe-téléphonie mobile-TV) face à Proximus, l’ancien opérateur historique, le seul autre acteur à en proposer en Belgique.

Si le marché belge reste donc constitué de trois réseaux mobiles (Base, Mobistar et Proximus) et de 24 MVNO (dont 14 louent des portions du réseau de Base), la Commission européenne a imposé la création d’un opérateur virtuel capable de leur faire contrepoids, en exigeant la vente de la participation de Base dans le MVNO Mobile Vikings au radiodiffuseur belge Medialaan.

Ce dernier deviendra un MVNO de plus grande envergure grâce, d’une part, au transfert d’une partie de la clientèle de Base, qui vend des services mobiles sous sa marque Jim mobile et, d’autre part, à un accord d’accès au réseau mobile de Base à des conditions qui « lui permettront d’être compétitif ». Medialaan aura ainsi toutes les fonctionnalités d’un vrai opérateur mobile, sauf la couverture réseau radio, couplé à ses services de télévision.

La règle suivie par Mme Vestager semble donc être « si un acteur disparaît, un autre doit émerger ».

La décision attendue vis-à-vis de l’offre d’absorption d’O2, filiale de l’espagnol Telefonica, par Three, appartenant à Hutchison, au Royaume-Uni sera l’occasion de le vérifier.

Mettant en avant un risque de flambée des prix, ses services ont ouvert une enquête approfondie en octobre dernier sur cette opération de près de 14 milliards d’euros qui ferait passer à trois le nombre d’opérateurs mobiles.

Mme Sharon White, directrice générale du régulateur britannique, l’Office of Communications (Ofcom), s’est exprimée dans un article du Financial Times du 1er février 2016 (37), en faveur d’un refus de cette opération, refusant de facto le passage de quatre à trois opérateurs télécoms au Royaume-Uni.

Pour cette dernière, protéger la concurrence dans le secteur permettra d’assurer non seulement la stabilité des prix pour les consommateurs mais aussi de générer de l’investissement dans le secteur des télécoms. L’instauration d’un quatrième opérateur, en 2003, s’est faite au profit du consommateur qui a pu bénéficier de nombreux services et d’une baisse de prix sur certains forfaits grâce à la concurrence, mais aussi de l’investissement dans le secteur des télécoms : « Ils ont investi des milliards pour déployer la 4G en maintenant des marges d’autofinancement de l’ordre de 12 %. C’est la concurrence, et non la consolidation, qui a conduit à ces investissements. »

Quoi qu’il en soit, le constat d’échec du rachat de Bouygues Telecom par Orange, acté voilà quelques jours, rend le sens de cette décision moins lourd de conséquence, le secteur des télécommunications français restant sans doute encore partagé entre quatre opérateurs pour quelque temps.

Vos co-rapporteurs constatent néanmoins, et cela est fréquent, une divergence entre l’approche pro-concurrentielle de la DG Concurrence et celle affichée par la DG sectorielle. Le commissaire européen à l’économie numérique, M. Günther Oettinger s’est en effet montré plus ouvert à l’idée d’une restructuration sans concession imposée, seul moyen de faire des économies d’échelle et d’assurer les investissements nécessaires à la 4G et la 5G. Lors du congrès de Hanovre sur le numérique, le CeBIT, il a ainsi plaidé pour fixer des « objectifs d’investissement » dans la future législation.

Cet impératif des investissements est aujourd’hui partagé, y compris par le régulateur national, après une phase – sans doute trop longue – où la priorité a été accordée aux prix, comme le démontre les propos de M. Sébastien Soriano, président de l’Arcep, dans le Figaro du 7 avril 2016 : « C’est la fin de la régulation pro-low cost et le début de celle pro-investissement. Je ne renie absolument pas la période précédente, marquée par des prix trop élevés dans les télécoms, qui appelaient un serrage de vis. Aujourd’hui, les prix ne sont plus la seule priorité. Dans le mobile, nous allons nous assurer que les quatre sont bien dans une logique d’investissement. Nous ne pouvons pas accepter qu’un modèle soit différent des autres. Il faut organiser la fin de l’itinérance de Free chez Orange. En janvier, l’Arcep a publié un document pour éclairer le marché sur ce sujet. Il a été mis en suspens le temps des négociations autour d’un rachat de Bouygues Telecom par Orange. Maintenant que ce dossier est clos, nous reprenons les travaux. » 

Le cadre européen doit mettre en avant le principe de « concurrence par les investissements », ce qui permettrait de sortir du débat historique entre concurrence par les infrastructures et concurrence par les services. Cette notion revient à valoriser les acteurs qui investissent massivement, qu’il s’agisse de dégroupage, de mutualisation de réseau ou bien d’investir dans leur propre déploiement, permettant ainsi de préserver la dynamique concurrentielle sur les marchés de détail tout en incitant à un investissement efficace.

● Pour la Commission européenne, l’enjeu est simplement d’assurer des conditions de concurrence équitables et non discriminatoires entre acteurs – tous les acteurs fournissant un même service devant être soumis aux mêmes règles et à la même fiscalité –. Mais les enquêtes ouvertes par la Commission européenne à l’encontre de Google, Apple et Amazon concernant leurs stratégies d’optimisation fiscale ne suffisent pas, elles doivent s’accompagner d’une régulation très forte. En effet, les réseaux de service verrouillent l’innovation. Dans cette situation de « réseaugiciel », pour reprendre l’expression de M. Pierre Bellanger dans son ouvrage «  La souveraineté numérique », une application de cartographie innovante imaginée en France est condamnée à l’échec car elle ne sera pas reliée à un GPS, à un carnet d’adresses, à un moteur de recherche. Or un service isolé n’a aucune chance.

À ce titre, vos co-rapporteurs accueillent positivement la communication de griefs adressée en avril 2016 à Google par la Commission européenne au sujet de son service de comparaison de prix et l’ouverture d’une procédure formelle d'examen distincte concernant Android à propos de son système d’exploitation Android, qui prend en compte cette question de « l’innovation européenne empêchée. »

L’image retenue par M. Pierre Bellanger, la bataille qu’a menée l’Inde au début du XXème siècle pour retrouver sa souveraineté sur le coton, est éclairante à cet égard : « L’Inde était un grand producteur de coton, et lorsque les Britanniques ont conquis l’Inde, ils ont rapatrié l’industrie en Grande-Bretagne pour réexporter le coton tissé vers l’Inde. Toute la bataille de Gandhi a été de récupérer ce filage du coton et cette souveraineté. Aujourd’hui, le coton du XXIème siècle, ce sont les données. Nous exportons nos données, des données brutes, que nous réimportons sous forme de services. Et ce faisant, nous perdons le cœur de notre valeur ajoutée, le cœur de nos emplois, le cœur de nos services. » (38)

Sur les services innovants, l’Europe a besoin d’un cadre harmonisé et s’appliquant de manière uniforme à l’ensemble des services et acteurs concernés.

Le cadre actuel se focalise uniquement sur les réseaux de communications électroniques, laissant les géants d’internet et des terminaux échapper à toute règle. Pour faire face aux enjeux posés par la transition numérique de la société, dont l’un des aspects essentiels est la dimension globale qu’elle implique pour un certain nombre de secteurs de l’économie, l’Europe a besoin d’un cadre harmonisé et s’appliquant de manière uniforme à l’ensemble des services et acteurs concernés, et en particulier sur la protection des données personnelles, la fiscalité, les obligations liées à la fourniture de services de communication électronique et de diffusion audiovisuelle mais aussi les question d’interopérabilité et d’ouverture.

Le réexamen du cadre réglementaire annoncé pour 2016 (prévu dans la Stratégie pour un marché unique du numérique) devrait ainsi concerner au premier chef le caractère équitable des règles, par l’inclusion des plateformes en ligne qui fournissent des services similaires ou équivalents aux services de communication classiques, ces acteurs prenant une importance croissante.

CONCLUSION

Vos co-rapporteurs suggèrent donc de :

Préconisation 1 : tirer pleinement parti du nouveau cadre issu du Traité de Lisbonne et en particulier de l’article 1er du Protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, qui affirme la place et le rôle des services d’intérêt général dans le projet politique européen, et défendre, au Conseil et auprès de la Commission européenne, des services publics comme instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt définis dans le cadre d’une politique publique, y compris par une action devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Préconisation 2 : refonder la politique de la concurrence européenne, celle du marché intérieur, en allant dans le sens d’une politique plus équilibrée entre l’intérêt du producteur et l’intérêt du consommateur. À cet égard, il conviendrait, d’une part, de demander au Conseil européen de donner des directives à la Commission pour que les décisions de la Direction générale Concurrence prennent en compte la diversité des territoires et la défense de l’industrie européenne et, d’autre part, de faire figurer le « respect de l’égalité réel d’accès aux services de télécommunications » et la « protection de l’intérêt économique européen » dans les objectifs des régulateurs.

Préconisation 3 : assurer la pérennité de la notion même de service universel en l’adaptant aux nouvelles demandes et nouveaux usages de nos concitoyens, et donc faire usage du réexamen périodique du contenu du service universel prévu par la directive concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques pour demander son extension ciblée à des prestations de base de téléphonie mobile, voire aux infrastructures essentielles pour assurer l’égalité d’accès de tous au service de téléphonie mobile.

Préconisation 4 : parce que la régulation doit avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public, elle doit relever pour partie des autorités publiques. Si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être « le » régulateur. Renforcer la légitimité des décisions qu’elle est amenée à prendre passe par une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, par l’institutionnalisation de relations avec ce dernier.

Préconisation 5 : renforcer le cadre européen en choisissant de valoriser les acteurs qui investissent massivement, qu’il s’agisse de dégroupage, de mutualisation de réseau ou bien d’investir dans leur propre déploiement, et régulant de manière appropriée tous les acteurs sur les services innovants, afin que l’Union européenne obtienne sa juste part de la création de valeur.

Préconisation 6 : obtenir que la Commission européenne harmonise les vues divergentes de ses directions générales sectorielles, bien plus en phase avec la réalité industrielle, et de sa direction générale de la Concurrence, afin que l’échelle de prise en compte du marché soit au minimum l’échelle européenne, voire l’échelle mondiale ; se limiter à une analyse sur le marché national est symptomatique d’une myopie regrettable pour juger de la pertinence du nombre d’opérateurs.

Préconisation 7 : faire en sorte que dans son analyse des situations d’abus de position dominante, la direction générale de la Concurrence prenne pleinement en compte la notion de « mutuabilité technologique » pour l’ensemble des éléments des télécommunications, à l’image de ce que la Commission a enfin accepté de faire avec sa communication de griefs à Google au sujet d’Android, son système d’exploitation pour téléphones mobiles, le 20 avril dernier.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 4 mai 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour ce travail d’analyse sur un sujet complexe et très technique. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont in fine vos préconisations ?

M. Jacques Myard, co-rapporteur. La première priorité, c’est le rééquilibrage du projet européen et donc de donner une place et un rôle effectifs aux services publics comme instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt définis dans le cadre d’une politique publique, y compris par une action devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. La deuxième préconisation, c’est la refondation de la politique de la concurrence européenne, celle du marché intérieur, en allant dans le sens d’une politique plus équilibrée entre l’intérêt du producteur et l’intérêt du consommateur. À cet égard, il conviendrait, d’une part, que les décisions de la Direction générale Concurrence prennent en compte la diversité des territoires et la défense de l’industrie européenne et, d’autre part, que les objectifs des régulateurs incluent le « respect de l’égalité réel d’accès aux services de télécommunications » et la « protection de l’intérêt économique européen ».

M. Jacques Myard, co-rapporteur. La troisième préconisation, c’est d’élargir le contenu du service universel à des prestations de base de téléphonie mobile, voire aux infrastructures essentielles pour assurer une égalité réelle d’accès de tous au service de téléphonie mobile.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. Notre quatrième préconisation concerne la régulation : si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être « le » régulateur, et une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, l’institutionnalisation de relations avec ce dernier doit être mise en place.

M. Jacques Myard, co-rapporteur. Le modèle des agences, que nous copions sur nos voisins du nord de l’Europe, a la conséquence funeste à mes yeux d’affaiblir la notion même d’État et de son pouvoir de contrôle.

La cinquième préconisation porte sur une réforme du cadre européen dans un sens qui valorise les acteurs qui investissent massivement, et qui régule de manière appropriée tous les acteurs sur les services innovants, afin que l’Union européenne obtienne sa juste part de la création de valeur.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. Il faut également, sixièmement, que l’échelle de prise en compte du marché soit au minimum l’échelle européenne, voire l’échelle mondiale.

M. Jacques Myard, co-rapporteur. Aujourd’hui, la réalité du marché, c’est l’Europe tout entière, voire au-delà, et la décision relative au marché belge est « déconnectée » de la réalité, à cet égard. L’échelle de jeu des GAFAM, c’est la planète ! Notre dernière préconisation les concerne d’ailleurs, il faut que dans son analyse des situations d’abus de position dominante, la Commission européenne prenne en compte la notion de « mutuabilité technologique ». Un premier pas vient d’être fait avec la notification de griefs à l’égard du système d’exploitation Android, il faut aller plus loin.

La Présidente Danielle Auroi. Je ne vois rien à ajouter à vos excellentes préconisations, et nos collègues non plus. Cette question de la dichotomie entre zones urbaines et zones rurales est particulièrement importante, et je dois souligner que l’Auvergne est particulièrement engagée pour faire disparaitre cette fracture numérique entre territoires.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Association européenne des réseaux de télécommunication (ETNO)

- M. Steven Tas, président du comité exécutif

- M. Vianney Hennes, directeur du bureau Orange Bruxelles

Autorité de la Concurrence

- M. Thierry Dahan, vice-président de l’Autorité de la Concurrence

- M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint

- M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint

- M. David Viros, chef du service du Président

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

- M. Benoît Loutrel, directeur général

- M. Stéphane Lhermitte, directeur des affaires économiques et de la prospective

Commission européenne

- M. Robert Madelin, directeur général, direction générale des réseaux de télécommunications, du contenu et des technologies

- M. Dominique Ristori, directeur général, direction de l’énergie

Numericable

- Mme Brigitte Laurent, directeur des relations institutionnelles et de la règlementation

- M. Thomas Puijalon, responsable affaires publiques

Orange

- Mme Florence Chinaud, directrice des relations institutionnelles

Personnalités qualifiées

- M. Pierre Bauby, auteur de l’ouvrage « L’européanisation des services publics », Presses de Sciences-Po, 2011, accompagné de Mme Similie Popa et Mme Marinette Valiergue, juristes

- M. Gilles Jeannot, sociologue, et M. Olivier Coutard, socio-économiste membres du Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (Ecole des Ponts et Chaussées, CNRS, Université Paris-Est), auteurs de l’ouvrage : « Revenir au service public? », La Documentation française, 2015

- M. Raphael Homayoun Boroumand, docteur en économie, professeur associé à Paris School of Business, chercheur affilié à la City Universy of London, et M. Thomas Porchet, docteur en économie, professeur associé à Paris School of Business, co-auteurs de l’ouvrage « 20 idées reçues sur l’énergie », éditions de Boeck, 2015

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne :

- M. Antoine Ferri, conseiller chargé de la politique de l’énergie

- M. Pascal Rogard, conseiller chargé des télécommunications, de la société de l’information et des postes

- M. Guillaume Gillet, conseiller chargé d’Euratom (questions atomiques et recherche)

SFR

- M. Thomas Puijalon, responsable affaires publiques

1 () La SNCF subit une perte nette colossale en 2015, Lefigaro.fr avec AFP, publié le 11/03/2016 à 10:34, mis à jour le 11/03/2016 à 11:55.

2 () Après des pertes historiques, la SNCF cherche un modèle économique pour le TGV, Le Figaro, publié le 11/03/2016.

3 () Rapport particulier de la Cour des Comptes, La stratégie internationale d’EDF, exercices 2009 à 2013 et actualisation pour l’exercice 2014, publié le 10 mars 2016.

4 () EDF 'confident' Hinkley Point nuclear power station will go ahead, BBC, 12 mars 2016.

5 () Rapport d’information sur la politique industrielle, déposé, au nom de la Commission des Affaires européennes, par MM. Jérôme LAMBERT et Jacques MYARD, députés, le 1er juin 2011 (n° 3510).

6 () Rapport d’information sur la politique européenne de concurrence, déposé, au nom de la Commission des Affaires européennes, par Mme Isabelle BRUNEAU, députée, le 8 juillet 2014 (n° 2105).

7 () L’européanisation des services publics, Presses de Sciences Po, 2011.

8 () La plupart des nationalisations de l’après-guerre ont ainsi répondu à une double nécessité, assurer la reconstruction de l’économie nationale après cinq années de conflit et doter le pays des infrastructures lourdes afin de moderniser son économie. Les nationalisations ont alors concerné les activités de service public pour lesquelles les coûts d’investissement sont considérables (charbon, électricité, gaz, chemins de fer). Les nationalisations de 1982 ont eu elle aussi un caractère stratégique : en nationalisant simultanément des segments clés de l’appareil productif et du système financier, l’État avait pour objectif de se donner les moyens d’intervenir massivement et directement dans le fonctionnement de l’économie afin de d’orienter les choix industriels et de réduire le poids des contraintes de court terme dans les décisions des entreprises.

9 () La "libéralisation" des télécommunications en France (1981-1996), Rémi Gilardin, Mémoire de 4e année
Séminaire : Histoire de la France au XXe siècle, sous la direction de : Gilles Richard, Sciences Po Rennes, 2010.

10 () Rémi Gilardin, op. cité.

11 () Rémi Gilardin, op. cité.

12 () Pierre Beauby, L’européanisation des services publics, Presses de Sciences Po, 2011.

13 () « Vers une économie européenne dynamique - Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications COM(87)290 final », 30 juin 1987

14 () Directive 86/361/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, concernant la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipements terminaux de télécommunications, abrogée par la directive 91/263/CEE)

15 () Directive 90/388/CEE de la Commission du 28 juin 1990 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications et directive 90/387/CEE du Conseil du 28 juin 1990 relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications

16 () Directive 90/387/CEE précédemment citée, complétée par a directive « ONP liaisons louées », la directive « ONP téléphonie vocale », les recommandations « ONP paquets » et « ONP RNIS ».

17 () Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre règlementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (« directive cadre »), directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (« directive accès »), directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (« directive autorisation »), directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (« directive service universel »), directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (« directive vie privée et communications électroniques »).

18 () Règlement (CE) n o 1211/2009 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) ainsi que l’Office.

19 () Règlement (UE) 2015/2120 du 25 novembre 2015 du Parlement européen et du Conseil établissant des mesures relatives à l'accès à un Internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) n° 531/2012 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2012 concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union.

20 () La première s’applique aux seuls opérateurs détenant une position dominante - en pratique, l’opérateur historique - qui, au terme d’analyses de marché, se voient imposer des obligations spécifiques. C’est par exemple l’accès au génie civil d’Orange. La deuxième s’applique à tous les opérateurs. C’est par exemple l’obligation faite à l’opérateur déployant une infrastructure de boucle locale en fibre optique une obligation d’accès en faveur des opérateurs concurrents, de sorte que ces derniers puissent proposer leur offre de service aux clients finaux, ou bien la portabilité du numéro de téléphone mobile.

21 () L’article 115 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques habilite le Gouvernement à procéder à cette transposition par ordonnance dans un délai de neuf mois après promulgation.

22 () Rapport d’information déposé au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat par le groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire, sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions, par MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize le 25 novembre 2015.

23 () Rapport d’information déposé au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat par le groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire, sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions, par MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize le 25 novembre 2015.

24 () Lors des 7e Rencontres Parlementaires sur l'économie numérique française et du colloque de l’Avvica, le 5 avril 2016.

25 () Trois d’entre eux départements ne relèvent pas du plan France THD : Paris, couvert intégralement sur fonds privés ; les Hauts-de-Seine, situé en zone très dense et déjà couvert par un SIEG; la Seine-Saint-Denis, dont le territoire est partagé entre zone conventionnées et villes couvertes par le RIP Debitex télécom.

26 () Une première liste de 238 communes avait été publiée en novembre, avant d’être portée à plus de 250 communes.

27 () http://www.francethd.fr/mobile/mesure-ameliorer-couverture-mobile.html

28 () Afin d’assurer que la progression de la couverture globale en 4G ne masque pas des disparités territoriales, les autorisations d’utilisation de fréquence liées à la bande de 800 MHz imposent, en sus d’une couverture nationale graduée dans le temps, des échéances en matière de couverture départementale et de couverture d’une zone de déploiement prioritaire (ZDP) : couvrir 40 % de la population de la zone de déploiement prioritaire d’ici 2017 et 90 % de cette zone d’ici 2022. Les opérateurs seront donc tenus de réaliser des déploiements selon une trajectoire géographique plus rapide dans ces zones qu’ils ne le feraient s’ils ne faisaient intervenir que leurs propres critères technico-économiques.

29 () http://www.ariase.com/fr/news/consequences-fin-frais-roaming-europe-article-3998.html

30 () Quelle consolidation pour les télécoms en Europe ? Le cercle des économistes, 12 février 2016.

31 () Quelle consolidation pour les télécoms en Europe ? Le cercle des économistes, 12 février 2016.

32 () www.fftelecoms.org, 4eme_etude_adl_economie_des_telecoms_-_fftelecoms_-_decembre_2014.pdf.

33 () Quelle consolidation pour les télécoms en Europe ? Le cercle des économistes, 12 février 2016.

34 () Quelle consolidation pour les télécoms en Europe ? Le cercle des économistes, 12 février 2016.

35 () Communiqué de la Commission européenne du 15 avril 2015.

36 () Lorsqu'un client possède un forfait chez un opérateur et utilise temporairement le réseau d'un opérateur concurrent, ce dernier facture le coût de la communication au premier opérateur.

37 () http://media.ofcom.org.uk/comment/2016/three-and-O2-merger/

38 () Gilles Babinet et Pierre Bellanger : la régulation des données, défi majeur du XXIème siècle, Les Échos, 12 février 2014.