N° 3946 - Rapport d'information de MM. Joaquim Pueyo et Bernard Deflesselles déposé par la commission des affaires européennes sur la politique spatiale européenne




 3946

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 juillet 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la politique spatiale européenne

ET PRÉSENTÉ

PAR MM Joaquim PUEYO et Bernard DEFLESSELLES

Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

(La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY)

SOMMAIRE

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Pages

I. CONFRONTÉE À UNE DOUBLE ÉVOLUTION SUR LA SCÈNE MONDIALE, L’EUROPE SPATIALE DOIT AMÉLIORER LA COORDINATION DE SES DIFFÉRENTS ACTEURS 19

A. L’EUROPE SPATIALE DOIT FAIRE FACE À DE NOUVEAUX ENJEUX 19

1. Le « New Space » américain, une rupture de paradigme 19

a. Un double choix politique : réduire les coûts de l’accès à l’espace et développer l’usage commercial de l’espace 19

b. La transformation des acteurs de l’Internet en opérateurs de système d’information et de réseaux sociaux 20

c. Une rupture technologique majeure annoncée mais non encore validée : le lanceur réutilisable 21

2. Des changements parmi les acteurs étatiques 22

a. L’émergence de nouveaux acteurs 23

b. Une nouvelle hiérarchie des puissances spatiales établies 23

3. Dans ce paysage spatial mouvant, une exigence fondamentale : le maintien d’une autonomie stratégique européenne 25

B. L’ORGANISATION COMPLEXE DE LA GOUVERNANCE GAGNERAIT À ÊTRE CLARIFIEE POUR MIEUX ARMER L’EUROPE DANS CETTE NOUVELLE COMPÉTITION SPATIALE 27

1. Une organisation complexe avec trois acteurs publics majeurs 27

2. Une « stratégie spatiale pour l’Europe » qui doit privilégier une coordination des efforts de chacun sur des objectifs partagés et conduits en commun 29

a. Une exigence de convergence des stratégies des acteurs publics 29

b. Un contexte favorable, grâce à un portage politique renforcé depuis 2014 30

c. Une évolution qui doit privilégier le résultat – les objectifs et les moyens – sur le meccano institutionnel 31

d. Le développement d’un écosystème industriel solide et créatif implique de mettre l’accent sur la promotion de la compétitivité 32

II. EN MATIÈRE D’ACCÈS À L’ESPACE ET DE SURVEILLANCE, LA POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE DOIT CONCRÉTISER LES ENGAGEMENTS ANNONCÉS TOUT EN CONSERVANT UNE CAPACITÉ D’ANTICIPATION ET EN ÉVITANT LA DISPERSION DES RESSOURCES 35

A. LES LANCEURS, UN AXE FONDAMENTAL DE LA POLITIQUE SPATIALE DONT LA PRÉSERVATION IMPLIQUE DE POSER LES BASES DE L’APRÈS 2030 35

1. Un accès à l’espace autonome confirmé  en 2014, dont les modalités techniques doivent être validées cette année 35

a. La décision du Conseil ministériel de l’ESA à Luxembourg le 2 décembre : développer une famille cohérente de lanceurs présentant de fortes synergies industrielles 36

b. Une intégration verticale en voie d’achèvement 37

2. Garder le cap choisi est impératif, mais doit s’accompagner d’investissements de recherche et développement et de la mise en place d’une préférence européenne pour les lancements institutionnels 40

a. Si les choix faits en 2014 demeurent pertinents aujourd’hui… 40

b. …l’évolution rapide des autres acteurs doit inciter à un effort complémentaire centré sur les technologies des lanceurs à bas coûts. 41

c. La réponse attendue au débat sur la notion de préférence européenne 42

3. La Stratégie spatiale pour l’Europe, une opportunité de compléter les financements déjà décidés 44

a. La souscription aux programmes lanceurs 44

b. Une question récurrente, la prise en charge des coûts liés au Centre Spatial Guyanais et une question nouvelle, les développements liés aux moteurs 45

B. DEUXIÈME ASPECT STRATÉGIQUE, LE VOLET SÉCURITÉ DOIT ÊTRE DÉVELOPPÉ TOUT EN ÉVITANT UNE DISPERSION DES RESSOURCES 47

1. Une nécessité, pérenniser les ressources du programme EU-SST (services de surveillance spatiale et de localisation des objets) 47

2. Un défi, réduire le risque de production des débris lors du lancement et de l’exploitation des objets spatiaux 48

3. Un nouveau projet d’infrastructure satellitaire, Govsatcom, dont la pertinence est questionnée. 49

III. MIEUX PROMOUVOIR ET DÉVELOPPER LES APPLICATIONS SPATIALES POUR RAPPROCHER L’ESPACE DES CITOYENS 51

A. UN IMPÉRATIF MAJEUR : RÉUSSIR LES PROGRAMMES EXISTANTS 51

1. Un système européen autonome de positionnement et de datation à couverture mondial : le programme Galileo 52

a. Une constellation en voie de stabilisation, pour un objectif d’une déclaration de services initiaux fin 2016 52

b. Un nouvel enjeu pour Galileo : l’imposer comme référence sur le marché des récepteurs et développer rapidement le secteur applicatif européen 54

2. Une capacité européenne opérationnelle et autonome d’observation de la Terre : le programme Copernicus 55

a. Un rôle stratégique pour l’environnement 55

b. Une double exigence : maintenir des moyens financiers et valoriser les services en définissant un cadre de distribution des données adapté 57

B. UNE NOUVELLE MÉTHODE ET UN NOUVEAU PROJET POUR CONTINUER DE FAIRE VIVRE L’EUROPE SPATIALE 59

1. Une nouvelle méthode, plus inclusive  et permettant une « fertilisation croisée » entre secteurs et entre acteurs 59

2. Faire vivre l’Europe spatiale à travers un nouveau projet : la contribution au suivi des engagements en matière de changement climatique par un programme de surveillance du climat depuis l’espace. 60

CONCLUSION 63

TRAVAUX DE LA COMMISSION 65

CONCLUSIONS ADOPTÉES 67

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 73

SYNTHÈSE DU RAPPORT

♦ Le panorama mondial de l’industrie spatiale s’est modifié considérablement depuis quelques années.

Avec un double choix politique affirmé (réduire les coûts de l’accès à l’espace et développer l’usage commercial de de dernier), les États-Unis ont spectaculairement relancé la concurrence dans le domaine des lanceurs avec Blue Origin et surtout SpaceX. L’arrivée en force d’investisseurs américains venus du secteur numérique et la transformation des acteurs de l’Internet en opérateurs de système d’information et de réseaux sociaux ouvrent la voie à un bouleversement du marché des satellites et de celui des lanceurs.

À l’hiver 2014, la réutilisation était vue comme un horizon à dix ans. Or le pari de la récupération est réussi depuis mai dernier. Mais seule la moitié du chemin a été réalisée par SpaceX puisqu’il faut encore prouver que le lanceur peut être remis en vol à un coût raisonnable. Les prochaines étapes seront, à ce titre, décisives pour démontrer la viabilité technique et commerciale de cette approche. Si c’est le cas, la rupture sera spectaculaire, avec une diminution conséquente du coût de l’accès à l’espace.

Encouragés par ces évolutions technologiques et par l’apport croissant des applications aux politiques publiques, de nouveaux États ont décidé de faire du spatial un axe majeur de leur développement. D’autres, déjà engagés sur cette voie, revendiquent aujourd’hui le statut de grande puissance spatiale : c’est le cas en particulier de la Chine et de l’Inde.

Dans ce paysage spatial mouvant, l’Europe doit, pour conserver sa capacité de décision politique et préserver ses avantages comparatifs économiques, assumer une exigence fondamentale : le maintien d’une autonomie stratégique européenne d’accès à l’espace et de surveillance de ce dernier, mais aussi mieux promouvoir et développer les applications spatiales pour rapprocher l’espace des citoyens.

2016 constitue à cet égard une nouvelle année cruciale pour l’Europe spatiale, après le choix décisif opéré en décembre 2014 en matière de lanceurs, avec la conjonction en fin d’année de plusieurs rendez-vous d’importance et la perspective d’adoption de documents structurants : la communication de la Commission européenne sur « Une stratégie spatiale pour l’Europe », la définition de la stratégie globale de sécurité et d’un plan d’action européen en matière de défense, l’engagement de la revue à mi-parcours du cadre financier 2014-2020 qui ouvrira la voie aux prochaines perspectives financières à partir de 2021, la déclaration de services initiaux de Galileo et, enfin, la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne.

Il est vital pour la politique spatiale européenne que, de tous ces rendez-vous se dégage une stratégie spatiale cohérente, privilégiant une approche équilibrée qui permette à la fois de préserver et de tirer parti de l’héritage construit depuis cinquante ans tout en ouvrant vers des voies plus innovantes.

♦ Outil stratégique, l’espace est évidemment un enjeu de souveraineté mais pas seulement : c’est aussi un outil socioéconomique majeur, en particulier depuis les années 1990. Aujourd’hui l’espace est partout, sans que cela soit toujours perceptible pour nos concitoyens. Une coupure de l’accès à l’espace aurait très rapidement des conséquences dramatiques sur le fonctionnement régulier de nos économies et de nos sociétés.

Ce caractère résolument transverse a permis une montée en puissance de l’Union européenne, concrétisée par le traité de Lisbonne, qui a fait de l’Union européenne un acteur politique aux côtés des États membres et de l’Agence spatiale européenne.

Dans un tel contexte, l’exercice efficient de cette compétence spatiale partagée doit être l’un des enjeux de la Stratégie spatiale pour l’Europe, et le soutien politique et financier à la politique spatiale européenne doit être réaffirmé.

Or l’Europe spatiale présente un jeu d’acteurs complexe avec trois acteurs publics majeurs (ESA, Commission, États membres), une montée en puissance de l’industrie, qui doit être encouragée et soutenue, et une articulation encore à trouver avec d’autres agences européennes.

Clarifier cette gouvernance tout en en conservant les atouts serait souhaitable, mais les évolutions doivent privilégier le résultat – les objectifs communs et les moyens appropriés – sur le meccano institutionnel. Car l’enjeu premier, pour la gouvernance spatiale en Europe, c’est d’abord et avant tout d’utiliser l’ensemble des capacités spatiales européennes en faisant converger les objectifs, en coordonnant les programmes, les moyens et les calendriers de mise en œuvre.

Cela passe par une rénovation du rôle des acteurs publics, en structurant et coordonnant la demande publique, d’une part,  et en soutenant un écosystème favorable à l’émergence au niveau européen, d’acteurs du numérique et du spatial, d’autre part, par le biais d’une action règlementaire, si nécessaire, mais aussi par l’accompagnement de jeunes entreprises créatrices de valeur, avec la mise en place d’un capital risque européen.

♦ Un secteur amont robuste soutenu par les autorités publiques est une condition essentielle de l’existence d’un secteur aval guidé par la demande, notamment privée.

En matière d’accès à l’espace et de surveillance, les engagements annoncés, notamment ceux de 2014 pour les lanceurs, doivent être conservés tout en y ajoutant des capacités d’innovation et en évitant la dispersion des ressources.

Lors du sommet de l’Agence spatiale européenne (ESA) le 2 décembre 2014, l’Europe a décidé de se doter d’une famille cohérente de lanceurs, avec Ariane 6 et Vega C, présentant de fortes synergies industrielles, avec un objectif de compétitivité.

Ariane 6 a été pensée pour à la fois répondre aux futurs besoins institutionnels de l’Europe et être compétitive sur ce marché marqué par de profondes évolutions. Le cap choisi conserve toute sa pertinence aujourd’hui, mais c’est aussi dès aujourd’hui qu’il faut préparer l’avenir post-2030 en misant sur les technologies permettant de réduire les coûts des lancements. L’Union européenne est en mesure d’apporter une réelle plus-value pour préparer l’avenir post-2030, avec notamment un soutien à des évolutions technologiques supplémentaires de compétitivité.

En outre, la question de la préférence européenne pour les lancements institutionnels doit être réglée. Une structuration de la demande européenne est la contrepartie indispensable au nouveau modèle économique qui reposera sur une plus grande implication du secteur privé, les concurrents des lanceurs européens bénéficient tous d’un soutien public affirmé. Une politique d’agrégation de la demande institutionnelle permettrait d’obtenir un volume critique de lancement susceptible de donner plus de visibilité et de cohérence au secteur.

Dans les faits, un fort ancrage des clients institutionnels vers Arianespace est aujourd’hui constaté. Il s’agit donc de formaliser l’existant, pour rassurer les acteurs industriels, mais aussi de donner un signal fort aux citoyens européens sur la cohérence et l’efficience des politiques européennes à un moment où toutes deux sont remises en cause par nombre de nos concitoyens.

La Stratégie spatiale pour l’Europe offre une opportunité de compléter les financements déjà décidés, avec une question récurrente, la prise en charge des coûts liés au Centre Spatial Guyanais, et une question nouvelle, celles des développements liés aux moteurs. L’importance du CSG justifierait son placement dans la catégorie des « grands équipements d’infrastructures » ou bien dans celle des « infrastructures stratégiques » afin qu’il bénéficie des financements correspondants.

En matière de surveillance, toute initiative portée par la Stratégie devra reposer sur un principe de coopération fondé sur la complémentarité des acteurs concernés (États membres, Agence européenne de Défense, Agence spatiale européenne, Commission) et donc prendre en compte les capacités développées par les États ainsi que les enjeux de souveraineté nationale.

Pérenniser les ressources du programme EU-SST (services de surveillance spatiale et de localisation des objets) est une nécessité ; tout élargissement de son périmètre devrait donner lieu à une rationalisation de la gouvernance pour éviter la dispersion des ressources.

Cet impératif d’usage efficient des ressources disponibles pose d’ailleurs la question de la pertinence d’un nouveau projet de satellites de communication pour la sécurité au niveau gouvernemental, Govsatcom, promu par la Commission. Des solutions ou moyens sont déjà mis en œuvre par les États ou sont en voie de l’être au niveau européen, avec le futur service public réglementé de Galileo. De plus, la valeur ajoutée d’une nouvelle infrastructure satellitaire apparaît limitée en termes d’innovation. Il est donc essentiel de clarifier en premier lieu la réalité de la demande en services de télécommunications gouvernementales à accès garanti, et l’absence de redondances avec d’autres infrastructures satellitaires.

Quant à la réduction de la production des débris lors du lancement et de l’exploitation des objets spatiaux, c’est un défi technologique et réglementaire.

L’idée d’un véhicule permettant de désorbiter des objets spatiaux en fin de vie a été évoquée, avec une double fonction d’ailleurs, puisqu’il pourrait en premier lieu aider au positionnement des satellites à propulsion électrique, ainsi que celle de l’utilisation de lasers de puissance pour les débris plus petits, l’utilisation de lasers de puissance.

Toutes les restrictions mises au nom de la lutte contre la production de débris peuvent apparaître aux yeux des puissances spatiales émergentes comme autant de barrières à l’entrée. Quant aux systèmes laser, tant leur principe de financement, qui pourrait reposer sur le principe pollueur-payeur par exemple, que leur concept d’emploi, suscitent des oppositions.

Trouver un consensus sur des bonnes pratiques, et plus encore sur une réglementation contraignante, n’est donc pas chose aisée. Ce n’est pas une raison suffisante pour y renoncer, et la France montre d’ailleurs l’exemple, avec la loi de 2008 relative aux opérations spatiales.

♦ Après avoir énormément investi dans des infrastructures spatiales et développé un socle solide de compétences dans le secteur industriel au cours des cinquante dernières années, l’Europe, et au premier rang la France, doit à présent en garantir une utilisation maximale et donc concentrer leurs efforts sur le développement des services, car ce sont eux qui aujourd’hui présentent la plus forte valeur ajoutée socio-économique.

La politique spatiale européenne a en la matière un impératif : réussir les programmes Galileo et Copernicus.

La constellation Galileo est en voie de stabilisation, pour un objectif d’une déclaration de services initiaux fin 2016.

Le lancement des services initiaux est fondamental pour ancrer la crédibilité de Galileo auprès des utilisateurs mais l’enjeu central réside dans l’utilisation effective du signal par les utilisateurs et dans l’émergence d’un véritable écosystème autour des applications. Or dans un environnement très compétitif, le développement des applications en Europe ne va pas de soi.

La Stratégie spatiale de l’Europe doit donc comporter des actions ciblées afin de promouvoir les avantages réels de Galileo par rapport à ses concurrents, avec une politique de communication et une stratégie ambitieuses de développement du secteur applicatif de la part de l’Agence européenne du GNSS, et si nécessaire, des initiatives règlementaires comportant des mandats d’emport dans certains secteurs stratégiques comme l’aviation civile, le secteur ferroviaire ou les infrastructures critiques. L’imposition de mandats d’emport est contraire à l’approche traditionnelle de la Commission européenne et suscitera donc sans doute de fortes réticences. Mais - et c’est encore plus vrai depuis le vote britannique du 23 juin – l’exigence d’une « Union plus efficace par la preuve » pourrait justifier un tel changement d’approche.

Longtemps dans l’ombre de Galileo, Copernicus s’affirme aujourd’hui comme le porte-drapeau de l’Union en matière spatiale. Mais, d’une part, la réduction du budget de la phase opérationnelle a conduit à étaler le déploiement des satellites et ne permet plus le financement de la prochaine génération des Sentinelles sur fonds de l’Union et, d’autre part, les géants américains du numérique représentent la majeure partie des téléchargements de données Copernicus, à partir d’une infrastructure pourtant financée sur des fonds européens.

C’est une question qui doit être abordée par la future Stratégie de la Commission, à la fois pour des raisons opérationnelles mais aussi pour des raisons politiques, à l’orée de la discussion sur l’examen à mi-parcours des perspectives financières, afin de justifier les soutiens politiques absolument nécessaires à la sécurisation des fonds concernés.

La proposition récente de la Cour des comptes de réviser la politique de diffusion libre et gratuite de ces données n’est pas la solution adaptée, c’est bien plutôt par le développement d’un système de distribution assurant le meilleur accès pour tous les utilisateurs européens que ce paradoxe pourra être réglé.

Continuer à faire vivre l’Europe spatiale repose, enfin, sur une nouvelle méthode et sur un nouveau programme.

Le développement futur des programmes spatiaux européens devrait être orienté vers l’utilisateur et reposer sur les besoins des utilisateurs des secteurs public, privé et scientifique, tout en maintenant un fort soutien des autorités publiques au secteur amont, dont la robustesse est une condition essentielle de l’existence d’un secteur aval guidé par la demande, notamment privée. Cela implique de trouver un nouvel équilibre, avec une approche « thématique » et l’inclusion croissante des acteurs, d’une part, et un soutien aux outils de production industriels conjugué à un soutien à l’acquisition de services spatiaux.

Après l’Accord de Paris, le spatial peut jouer un nouveau rôle, tout aussi essentiel, dans la lutte contre le changement climatique : en contribuant à mesurer les concentrations de gaz à effet de serre, les observations depuis l’espace sont un outil majeur pour vérifier le respect des décisions et engagements internationaux en matière de réduction des émissions pris lors de la COP 21.

Un nouvel écosystème spatial du climat est en gestation, qui vise à contribuer au suivi des engagements en matière de changement climatique par un programme de surveillance du climat depuis l’espace.

Les États-Unis et le Japon ont déjà des satellites opérationnels dans ce domaine, la Chine se prépare à le faire ; les technologies sont matures, le coût de tels satellites reste relativement modeste.

L’Union européenne ne peut pas y rester indifférente ; elle doit prendre sur ce sujet une initiative innovante dans sa Stratégie spatiale pour l’Europe

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

●  « L’heure des choix a sonné.

« La nécessité de développer l’Europe spatiale est une évidence. Les pays européens n’ont plus, depuis de longues années, les moyens d’agir seul. Le coût des programmes spatiaux impose une dimension continentale, voir mondiale dans le domaine de la recherche, mais l’autonomie de décision de l’Europe implique la maîtrise d’une technologie présente aujourd’hui dans les usages les plus quotidiens (télécommunications, télévision, localisation…).

« Aussi, l’article 4 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fait-il de l’espace une compétence partagée entre l’Union européenne et les États — ce qui est une nouveauté introduite par le Traité de Lisbonne —. Son article 189 précise : « afin de favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité industrielle et la mise en œuvre de ses politiques, l’Union élabore une politique spatiale européenne. À cette fin, elle peut promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique et coordonner les efforts nécessaires pour l’exploration et l’utilisation de l’Espace ».

« Aujourd’hui, des décisions essentielles doivent intervenir car le panorama mondial de l’industrie spatiale est en train de se modifier considérablement : les États-Unis viennent de relancer la concurrence dans le domaine des lanceurs avec « SpaceX » ; la Chine dispose d’un lanceur habité et annonce de grandes ambitions, tout comme l’Inde.

« Or, le bilan de la politique spatiale européenne est contrasté, il est excellent dans le domaine des lanceurs avec la lignée des fusées Ariane, il est moins bon avec le projet de mise en place d’un GPS européen (le projet Galileo) qui va enfin mis en œuvre l’an prochain, mais avec un retard de plus de dix ans, qui a permis l’émergence de concurrents russes, chinois et indiens.

« Au-delà de l’élaboration de nouveaux programmes, l’Europe spatiale devra profondément réformer ses procédures et ses structures pour garder la place éminente qu’elle occupe aujourd’hui et qu’elle doit en grande partie aux efforts de la France qui, avec 24 000 emplois directs, très qualifiés, accueille la moitié des emplois européens du secteur. »

Tels étaient les propos introductifs de vos co-rapporteurs lors de leur première communication sur la politique spatiale européenne en novembre 2014 (1), à la veille d’une échéance décisive sur le programme Ariane. Ils conservent toute leur pertinence plus d’un an et demi après.

●  2016 constitue donc une année cruciale pour l’Europe spatiale, avec la conjonction en fin d’année de plusieurs rendez-vous d’importance et la perspective d’adoption de documents structurants :

- la communication de la Commission européenne sur « Une stratégie spatiale pour l’Europe », attendue cet automne. Avec pour ambition de couvrir les quinze prochaines années, elle offre l’opportunité d’orienter solidement l’Europe spatiale vers la garantie d’un accès autonome à l’espace, de poser l’enjeu de la préférence et de la solidarité européennes, ainsi que de favoriser l’élargissement des usages de l’espace, en particulier face aux grands enjeux sociétaux. Elle implique toutefois une fine articulation avec, d’une part, les États membres et, d’autre part, l’Agence spatiale européenne (ESA). Mais la résolution du Conseil du 21 mai 2007 relative à la politique spatiale européenne est à cet égard un précédent notable, puisque, fruit d’un travail conjoint entre la Commission européenne et l’ESA, elle exposait les orientations stratégiques des futures activités spatiales de l’Europe, l’Union européenne, l’ESA et leurs États membres s’engageant à mieux coordonner leurs activités et programmes et à organiser leurs rôles respectifs en matière spatiale, et elle s’accompagnait des éléments préliminaires d’un Programme spatial européen, qui constitue un outil stratégique de planification couvrant l’ensemble des grandes activités spatiales conduites en Europe et qui fait l’objet d’une consultation publique dans laquelle vont s’insérer les propositions de conclusions que nous avons soumises à la commission des Affaires européennes.

- la définition de la stratégie globale de sécurité et d’un plan d’action européen en matière de défense – attendu le 25 octobre prochain –, qui doit poser le cadre juridique et politique européen, définir la base industrielle ainsi qu’identifier les compétences permettent à l’Union de faire face à ses besoins en matière de sécurité. Les capacités de synergie offertes par l’Europe spatiale doivent y être prises en compte, qu’il s’agisse de la vocation duale de Galileo et Copernicus, ou bien de l’extension du programme de surveillance de l’espace (STT) au-delà du seul traitement des risques liés aux débris pour alimenter une réflexion plus large sur la détection des menaces et la sécurité dans l’espace,

- l’engagement de la revue à mi-parcours du cadre financier 2014-2020 - alors que le programme H2020 a été sollicité pour dégager les crédits nécessaires à la gestion des différentes crises qui ont récemment frappé l’Union -, qui ouvrira la voie aux prochaines perspectives financières à partir de 2021,

- la déclaration de services initiaux de Galileo,

- et enfin, la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, à Lucerne en Suisse en décembre 2016 (avec en particulier, un point d’étape sur la stratégie « Ariane 6 » - ce rendez-vous avait été fixé en décembre 2014 lors de la réunion de Luxembourg, mais plus généralement la définition des grandes priorités programmatiques pour les années à venir).

● Dans la continuité du rapport de 2012 sur « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne » publié par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (2) dans le cadre du suivi permanent que ce dernier opère sur la politique aéronautique et spatiale, ce dernier a également publié un compte rendu de l’audition publique du 7 juillet 2015 consacré à « la politique spatiale européenne » (3).Vos co-rapporteurs y renvoient donc pour une description technique détaillée des choix opérés en décembre 2014 en matière de lanceurs, afin de centrer leurs propos sur les enjeux que posent aujourd’hui le spatial en Europe et le spatial pour l’Europe.

● Comme le soulignait voilà quelques jours, lors de la rencontre Paris Air Forum, M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES), nous vivons aujourd’hui une « révolution spatiale » qui présente d’étranges similitudes avec les débuts de la conquête spatiale. Hier comme aujourd’hui, une révolution technologique préside à la mise en place d’un nouvel ordre mondial et au développement de projets autour de l’homme dans l’espace (hier la course à la Lune, aujourd’hui un horizon martien qui se fait de plus en plus proche, puisque estimée possible en 2030-2040 voilà six mois, une mission habitée vers Mars pourrait être lancée dès 2025, en tout cas avant 2030).

Une différence est toutefois notable : aujourd’hui l’espace est partout, sans que cela soit toujours perceptible pour nos concitoyens. Qu’il s’agisse de la logistique, des déplacements, des systèmes financiers, de la planification des récoltes, des communications, et même de l’enthousiasme partagé autour d’un match de football, comme récemment au moment de l’Euro 2016. Une coupure de l’accès à l’espace aurait très rapidement des conséquences dramatiques sur le fonctionnement régulier de nos économies et de nos sociétés.

● Outil stratégique, l’espace est évidemment un enjeu de souveraineté mais pas seulement : c’est aussi un outil socioéconomique majeur, en particulier depuis les années 1990.

L’impact de ce secteur est direct, puisque l’activité spatiale représente 320 000 emplois directs et indirects et génère un chiffre d’affaires de 52 milliards d’euros, selon la Commission européenne. L’Europe conserve une position dominante sur le marché mondial des satellites commerciaux (Arianespace affiche un carnet de commandes de trente-cinq satellites à lancer d’ici 2025) et dans le domaine des télécommunications spatiales (Eutelsat et SES font partie du trio de tête des opérateurs de satellites géostationnaires, avec une flotte active de 93 satellites, après une période de relative fragilisation en 2012-2013 en raison de la parité euro-dollar). Mais il permet aussi un indéniable effet de levier sur des secteurs économiques plus vastes (les bâtiment-travaux publics, les transports, la prospection et l’exploitation de ressources minérales et naturelles, le développement, l’agriculture, l’audiovisuel, pour ne citer que quelques exemples) ou les transferts de technologies.

Il représente enfin des enjeux scientifiques eux aussi majeurs, dont témoignent aujourd’hui non seulement l’horizon martien mais aussi d’autres missions scientifiques, à l’image de la mission de physique fondamentale Microscope (4) qui pourrait invalider la théorie de la relativité générale, et bouleverser toute la physique et la cosmologie.

Ce caractère résolument transverse a permis une montée en puissance de l’Union européenne, concrétisée par le traité de Lisbonne, qui a fait de l’Union européenne un acteur politique aux côtés des États membres et de l’Agence spatiale européenne.

En jouant aujourd’hui un rôle dans toutes les priorités politiques de la Commission (l’emploi, la croissance et l’investissement, l’Union de l’énergie, le marché unique numérique, les défis transnationaux que sont le climat, le terrorisme, les migrations), le spatial contribue à la croissance, au rayonnement international de l’Europe et de ses entreprises, et à sa sécurité et l’inclusion d’un volet spatial dans le programme de travail 2016 de la Commission européenne en est la traduction. C’est d’autant plus bienvenu que, comme outil au service du citoyen et des politiques sectorielles de l’Union, le spatial participe à l’identité et à l’idéal européens, ce qui n’est pas à négliger en ces temps d’incertitudes créées par la décision britannique de sortir de l’Union européenne le 23 juin dernier.

Dans un tel contexte, l’exercice efficient de cette compétence spatiale partagée doit être l’un des enjeux de la stratégie spatiale pour l’Europe, et le soutien politique et financier à la politique spatiale européenne doit être réaffirmé.

L’accès autonome à l’espace constitue la condition nécessaire à toute politique spatiale ambitieuse. Mais l’Europe dispose d’une palette d’infrastructures plus larges que la simple question des lanceurs, avec les actifs de premier plan que constituent, pour l’ESA, la Station Spatiale Internationale, et pour l’Union européenne, ses deux programmes phares, Galileo et Copernicus. L’Europe spatiale doit en faire une première priorité, en poursuivant l’effort déjà engagé tout en intégrant les phénomènes disruptifs constatés par ailleurs.

La politique spatiale est et doit être au service direct du citoyen. Le défi des applications spatiales est donc la deuxième priorité aux yeux de vos co-rapporteurs, avec deux axes à privilégier : connecter et observer. Ces deux fonctions, en effet, vont permettre l’émergence d’applications innovantes dans l’Internet pour tous, les transports connectés ou encore la surveillance du climat.

Le Parlement européen s’est prononcé, le 8 juin dernier, tant sur la question de l’ouverture d’un marché de l’espace que sur celle des capacités spatiales pour la sécurité et la défense en Europe (5) et la Présidence slovaque vient d’indiquer que la « Stratégie spatiale pour l’Europe » de la Commission sera débattue lors du Conseil Compétitivité du 29 novembre.

La France est le leader de l’Europe spatiale et a vocation à garder son rôle moteur. Ce leadership donne à la France une responsabilité : elle doit être une force d’entraînement pour une Europe spatiale plus intégrée et plus efficiente et les mesures qui seront proposées doivent assurer à l’Europe de rester à la pointe de l’innovation et de la compétitivité dans ce domaine en développant une vraie vision stratégique globale.

Avec ce rapport d’information, vos co-rapporteurs proposent donc de contribuer à la réflexion sur l’ambition souhaitable de la politique spatiale européenne, et répondre ainsi à la consultation publique lancée le 19 avril 2016 par la Commission européenne sur la future Stratégie spatiale pour l’Europe (6), en privilégiant une approche équilibrée, qui permette à la fois de préserver et de tirer parti de l’héritage construit depuis cinquante ans tout en ouvrant vers des voies plus innovantes.

Alors que la scène spatiale a longtemps été dominée par un trio d’acteurs disposant de capacités avancées, les États-Unis, l’Europe et la Russie, elle se caractérise aujourd’hui par une double évolution, qui se traduit par une augmentation à la fois quantitative et qualitative des acteurs spatiaux, qui justifie aux yeux de vos co-rapporteurs un approfondissement et une accélération en réponse de l’Europe spatiale.

Le « New Space » américain est en passe de créer une nouvelle industrie spatiale, qui ne remplace pas l’industrie traditionnelle avec ses grands acteurs étatiques et privés, mais qui la bouscule avec une logique entrepreneuriale, innovante sur le plan à la fois des techniques et des pratiques, tout en conservant un soutien institutionnel affirmé.

Le National Aeronautics and Space Act du 18 décembre 2010 marque un tournant dans la politique spatiale du gouvernement américain, avec l’affirmation, par le Congrès américain, que « le bien-être général des États-Unis d’Amérique requiert que l’Administration recherche et encourage, le plus possible, l’exploitation de l’espace sur des bases commerciales ».

Cette nouvelle politique spatiale américaine (« the new space ») consiste à orienter l’essentiel des efforts de l’agence spatiale américaine (National Aeronautics and Space Administration, NASA) vers l’exploration lointaine (« Beyond Earth Orbit ») et à encourager en parallèle, par un soutien financier massif, le développement d’un « Espace des entrepreneurs » pour la desserte de l’orbite basse terrestre, cargo comme équipage, sous la forme de contrats de service, pour un montant total, fin 2015, de 5 782,6 millions de dollars.

Investissements de la NASA à fin 2015

Source : New Space, nouveaux concurrents ou nouveaux partenaires ? Gilles Ragain, CNES, 6 octobre 2015

L’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency, DARPA) et la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) procèdent de même, et il convient d’ajouter de surcroît l’effet du « Buy American Act ».

Cette émergence d’une industrie spatiale d’initiative privée chargée de la « logistique » est marquée par l’arrivée en force d’investisseurs américains venus du secteur numérique, qui bouleversent les codes d’un domaine jusqu’alors très traditionnel : en appliquant les méthodes de l’Internet, leur but est de développer de nouvelles technologies permettant d’abaisser le coût d’accès à l’espace.

Blue Origin (créée en 2000 par Jeff Bezos, fondateur d’Amazon.com), comme SpaceX (fondée en 2002 par Elon Musk, actionnaire de Tesla, ancien actionnaire de l’entreprise PayPal) fonctionnent selon un modèle différent du modèle traditionnel, autour d’écosystèmes inspirés du fonctionnement des start-up, avec une intégration de moyens remarquable au regard de l’« éclatement » qui préside à l’organisation industrielle spatiale européenne, et avec une conception tout américaine de la prise de risque et de la communication, comme en témoignent tant les niveaux d’investissement annoncés – 1 milliard de dollars pour le projet Google – que les ordres de grandeur – 4 000 satellites pour les nouvelles constellations de petits satellites sur orbite basse –.

La transformation des acteurs de la filière numérique, passés du rôle de fournisseurs d’outils à celui de bâtisseurs de solutions puis à celui d’opérateurs de système d’information et de réseaux sociaux, implique la maîtrise de leur propre réseau de diffusion sur l’Internet.

Couplé à l’émergence de la propulsion tout-électrique dans le domaine des satellites, qui permet de lancer des satellites plus légers, à capacité égale, avec un gain sur les coûts de lancement, ce phénomène aboutit aux projets de constellations de petits satellites sur orbite basse précités, de Google ou de OneWeb.

La prise d’une participation de Google (associé au fonds Fidelity) dans SpaceX en janvier 2015 (10 % du capital, pour un montant d’un milliard de dollars USD), illustre parfaitement comment un des acteurs majeurs du numérique s’allie avec un des acteurs majeurs du NewSpace, autour d’un enjeu : lancer à moindre coût une constellation de satellites.

Ces projets ont un impact majeur à la fois sur le marché des satellites, avec une croissance des commandes de satellites de taille modeste, et sur les lanceurs.

Alors que la perspective de missions spatiales habitées augmentera de façon très importante la demande de masse à lancer, une solution a été imaginée par ces nouveaux acteurs : récupérer le premier étage du lanceur afin de le réutiliser pour une autre prestation, et ainsi baisser le prix de l’accès à l’espace.

En novembre - décembre 2014, la réutilisation était vue comme un horizon à dix ans. Or le pari de la récupération est réussi depuis mai dernier.

Blue Origin et surtout SpaceX sont à l’origine de cette rupture technologique majeure.

Spaxe X, le pari réussi de la récupération en un peu plus d’un an

Lors des deux premières tentatives de récupération du premier étage du Falcon 9, les 10  janvier et 14 avril 2015, à l’occasion des CRS-5 et CRS-6 (Commercial Resupply Service) à destination de la station spatiale internationale, le premier étage de la fusée a réussi à s’approcher de la plateforme d’atterrissage (la première sur terre, la seconde sur une barge en mer (7) ) mais avec une trop grande vitesse. La fusée s’est alors renversée et a été détruite en grande partie.

Six mois plus tard, le premier étage du Falcon 9 a finalement réussi à atterrir avec succès sur la terre ferme, le 21 décembre 2015, puis sur une plateforme maritime, le 8  avril, le 6 mai (à l’occasion d’un vol vers l’orbite géostationnaire, soit le type de mission majeure pour des lancements commerciaux), et le 27 mai 2016, avant un nouvel échec, le 16 juin dernier.

Le retour réussi du premier étage le 27 mai a été immortalisé par une caméra embarquée à bord de la fusée, soit un impact médiatique conséquent.

Reste celui de la réutilisation. Seule la moitié du chemin a été réalisée par SpaceX puisqu’il faut encore prouver que le lanceur peut être remis en vol à un coût raisonnable. Les prochaines étapes prévues par Blue Origin et, surtout, SpaceX seront, à ce titre, décisives pour démontrer la viabilité commerciale de cette approche.

Le système New Shepard a volé cinq fois, en avril 2015, novembre 2015, puis en janvier, avril et juin de cette année. Si le premier vol a pris fin avec un crash de la fusée sur la descente, Blue Origin a récupéré avec succès le module propulsif lors des quatre derniers lancements, et a prouvé qu’il était réutilisable, même si, en ne dépassant pas Mach 4 et en se contentant d’une trajectoire verticale et d’une altitude de 101,7 km, le New Shepard n’a pas eu à gérer une trajectoire et une mission aussi complexes que le premier étage du Falcon 9, ni à endurer des flux dynamiques et thermiques aussi importants.

Si SpaceX a annoncé que le premier étage récupéré serait désormais une pièce de musée, cette entreprise prévoit être en mesure de procéder à un lancement dès cet automne avec l’étage du Falcon 9 récupéré le 8 avril, avec un client qui pourrait être l’un des principaux opérateurs de satellites dans le monde, SES (Société Européenne des Satellites, basée au Luxembourg). Cela demande à être confirmé, compte tenu du « prix » attaché à la fiabilité du lanceur par les opérateurs de satellites, c’est d’ailleurs ce qui fait le succès inégalé d’Ariane 5 aujourd’hui.

C’est un rendez-vous supplémentaire cet automne, même s’il convient d’être prudent : les acteurs de l’espace américains ont un sens de la communication beaucoup plus développé que le nôtre.

La navette spatiale américaine était déjà réutilisable, à condition de dépenser 500 millions de dollars après chaque vol, selon M. Jan Wörner, directeur général de l’ESA. Seuls des vols répétés, à une cadence annuelle élevée, fourniront une réponse à la question de la réutilisation.

Mais si ce pari est réussi, la rupture sera spectaculaire, avec une diminution conséquente du coût de l’accès à l’espace. Elle posera alors à terme un enjeu technique et de compétitivité compte tenu du choix retenu pour Ariane 6.

Encouragés par ces évolutions technologiques et par l’apport croissant des applications aux politiques publiques, de nouveaux États ont décidé de faire du spatial un axe majeur de leur développement. D’autres, déjà engagés sur cette voie, revendiquent aujourd’hui le statut de grande puissance spatiale.

De nouvelles puissances spatiales ont fait leur apparition : l’Iran (qui a lancé en février 2015 son quatrième satellite, de fabrication iranienne, après trois précédents lancements entre 2009 et février 2012), les deux Corées. Et d’autres annoncent leur candidature, comme le Brésil ou les Émirats Arabes Unis, qui envisagent de lancer une sonde martienne, Hope, en 2021.

D’autres pays investissent également l’espace, comme l’Azerbaïdjan (ce dernier a fait son entrée dans le monde spatial avec le lancement de son premier satellite Azerspace-1 le 20 février 2013 ; aujourd’hui, ce pays a trois satellites, un dédié à la télécommunication et deux satellites en orbite basse, et il prévoit de lancer un nouveau satellite en 2017, qui sera une nouvelle fois consacré à la télécommunication), ou encore le Bengladesh, qui a confié à Thales Alenia Space la fabrication de son satellite de télécommunications Bangabandhu, destiné à réduire la fracture numérique en fournissant des services de télédiffusion et de communications sur les zones rurales, et dont le lancement est prévu l’année prochaine.

Parmi les nombreux pays émergents qui ne cachent plus leurs ambitions spatiales en Asie, au Moyen-Orient ou en Amérique du Sud, l’Inde et la Chine se distinguent par la vigueur et l’ampleur de leur effort spatial.

Alors que ces deux pays insistaient traditionnellement sur l’apport de services concrets à leurs populations par le spatial – gestion des ressources, prévention des catastrophes, éducation, télémédecine, agriculture –, ces deux pays revendiquent aujourd’hui le statut de grande puissance spatiale, et éclipsent les anciennes « puissances établies » comme la Russie et le Japon. Cette revendication d’un « statut » se double d’ambitions commerciales sur les marchés internationaux.

L’Inde est devenue la quatrième puissance spatiale à disposer d’un engin spatial martien, devançant la Chine et le Japon. Lancée le 5 novembre 2013, la sonde « Mars Orbiter Mission » s’est placée en orbite autour de Mars le 24 septembre 2014. L’objectif scientifique, de toute façon limité par la charge utile réduite, est secondaire : il s’agit, pour l’Inde, de démontrer sa capacité dans le domaine des télécommunications longue distance, de la navigation spatiale, de la planification de mission et de la mise au point des automatismes nécessaires.

Le cas de l’Inde illustre d’ailleurs très bien l’impact des évolutions technologiques et la nouvelle façon de faire l’espace, avec une économie de moyens remarquable: selon les propos du Premier ministre indien, rapportés par le journal Indian Express, le coût de production du film hollywoodien Gravity aurait été largement supérieur au lancement la sonde spatiale indienne, avec un budget, respectivement, de cent millions et soixante-treize millions de dollars. La Nasa avait consacré 671 millions de dollars pour sa mission martienne Maven, qui s’est envolée vers Mars le 18 novembre 2013…

Mais les ambitions de l’Inde s’étendent aussi aux marchés internationaux, avec un combiné lanceur-satellites construits en Inde.

Prenant le relais des États-Unis et de l’ancienne URSS, la Chine a posé en un robot explorateur, Chang’e 3, sur la Lune en 2013, pour la première fois depuis la mission soviétique Luna 24 en 1976. Le programme chinois d’exploration lunaire mené par la CNSA, l’agence spatiale chinoise, a aujourd’hui pour but non seulement l’étude et l’exploration de la Lune par des robots, mais aussi, à l’horizon 2025-2030, par des missions spatiales habitées, avec l’assemblage sur orbite d’une station créée à partir de trois modules de 20 tonnes.

Source : Isabelle Sourbès-Verger, 6èmes Rencontres « Droit et Espace », L’industrie spatiale face aux nouvelles dynamiques du marché mondial, 29 septembre 2015.

Conserver la capacité de décision politique de l’Europe et préserver ses avantages comparatifs économiques reposent, aux yeux de vos co-rapporteurs, sur une exigence fondamentale : l’autonomie dans l’accès à l’espace.

● L’accès à l’espace est le socle et le prérequis de tout secteur spatial de classe mondiale. Sans un accès à l’espace indépendant et efficient, il n’est pas possible de réaliser des missions spatiales, ni même d’exporter des satellites, même commerciaux. C’est aussi l’illustration parfaite du caractère dual de l’espace, puisque les lanceurs spatiaux sont développés et produits en étroite synergie avec les missiles balistiques, la plupart des compétences et technologies requises leur étant commune.

● Deuxième aspect stratégique, la sécurité dans l’espace, centrée notamment sur la protection des infrastructures spatiales, et la sécurité depuis l’espace, qui vise à tirer profit des applications spatiales pour la défense et la sécurité sur terre, et qui est à la croisée des trois initiatives mentionnées en introduction (la stratégie globale de sécurité, le plan d’action européen pour la défense et la stratégie spatiale, et la Stratégie spatiale pour l’Europe).

Une condition inacceptable mise par les Américains au lancement d’un satellite a poussé la France, suivie ensuite par l’Europe, à développer un lanceur autonome. La surveillance et le suivi (SSA – Space Situational Awareness – et SST – Space Surveillance and Tracking –, en « jargon ») doit bénéficier du même degré d’attention que celui que, depuis l’origine, l’Europe spatiale porte à l’accès à l’espace, et pour les mêmes raisons.

L’alerte satellitaire permettant de détecter tout départ de missile balistique significatif, elle joue un rôle majeur dans l’identification d’un éventuel agresseur, l’analyse de la prolifération balistique, la défense antimissiles, l’espace étant de surcroît le lieu « idéal » pour réaliser une interception d’un missile dont la portée dépasse 400 kilomètres (c’est là que le missile passe le plus de temps, sa trajectoire y est prédictible, les dégâts sont moindres s’il véhicule une charge Nucléaire, Radiologique, Biologique, Chimique).

L’infrastructure spatiale européenne peut d’ores et déjà être menacée à divers degrés, d’une simple altération de son fonctionnement (brouillage, cyberattaque, éblouissements des optiques, etc.) jusqu’à la destruction des moyens au sol et/ou des satellites, les outils existent.

La miniaturisation des satellites, la prolifération des débris orbitaux, la dépendance croissante envers les moyens spatiaux pour les opérations militaires, la nécessité de surveiller l’activité de satellites étrangers survolant des zones sensibles sont d’autres exemples des menaces auxquelles Européens et nous-mêmes sont aujourd’hui confrontés.

● Dernier aspect, qui découle des deux premiers puisqu’ils en sont les outils, le maintien d’une autonomie en matière d’applications spatiales duales, mais aussi de composants et d’applications critiques. Ce sont des éléments essentiels d’affirmation de souveraineté.

Dans ce paysage spatial mouvant, et en raison de cette exigence fondamentale, le rôle central des acteurs publics n’est pas appelé à s’amoindrir, bien au contraire pour vos co-rapporteurs. Les acteurs publics mettent en place les règles qui régissent toutes les activités spatiales et constituent les principaux clients de l’industrie spatiale.

Les caractéristiques structurelles de l’économie du spatial, pour le secteur amont en particulier, appellent un soutien public fort en matière de recherche et développement, voire de transition opérationnelle, car les acteurs privés ne sont pas à même d’assumer seuls des cycles de développement très longs, les lourds investissements et les risques technologiques importants.

Dans ce paysage spatial mouvant, et en raison de cette exigence fondamentale, le rôle central des acteurs publics n’est pas appelé à s’amoindrir, bien au contraire pour vos co-rapporteurs.

Les acteurs publics mettent en place les règles qui régissent toutes les activités spatiales et constituent les principaux clients de l’industrie spatiale. Les caractéristiques structurelles de l’économie du spatial, pour le secteur amont en particulier, appellent un soutien public fort en matière de recherche et développement, voire de transition opérationnelle, car les acteurs privés ne sont pas à même d’assumer seuls des cycles de développement très longs, les lourds investissements et les risques technologiques importants.

Or l’Europe spatiale présente un jeu d’acteurs complexe avec trois acteurs publics majeurs (ESA, Commission, États membres), une montée en puissance de l’industrie, qui doit être encouragée et soutenue, et une articulation encore à trouver avec d’autres agences européennes.

L’un des enjeux de la politique spatiale européenne est donc, d’une part, de clarifier cette gouvernance tout en en conservant les atouts, mais, d’autre part et surtout, de rénover le rôle des acteurs publics, en structurant et coordonnant la demande publique et en soutenant un écosystème favorable à l’émergence au niveau européen, d’acteurs du numérique et du spatial.

1. Une organisation complexe avec trois acteurs publics majeurs

Sur le plan européen, le paysage spatial a largement évolué depuis 2008. Alors que l’effort spatial européen avait été initialement porté par les agences spatiales nationales – notamment le CNES, au premier rang – l’Union européenne est progressivement montée en puissance, bénéficiant à la fois d’une légitimité politique plus forte que l’Agence spatiale européenne (ESA) et de ses financements nettement supérieurs aux budgets spatiaux nationaux, notamment pour financer Copernicus et Galileo.

La politique spatiale européenne repose sur trois acteurs publics majeurs : les États membres, l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne. En conséquence, le portage politique du sujet Espace demeure flou en raison de la multiplicité des acteurs. Cette évolution « organique » du paysage a entraîné un débat sur la gouvernance du « triangle institutionnel ».

● Outre leur pouvoir de décision dans les instances de l’Union européenne et de l’Agence spatiale européenne, les États membres ont des volontés politiques propres, des budgets et des programmes dans le domaine spatial, ils sont détenteurs de capacités spatiales propres dont les politiques de l’Union ont besoin, ainsi que de capacités de maîtrise d’ouvrage, d’industrie et de recherche ;

● Le traité de Lisbonne a conféré à l’Union européenne une compétence dans les questions spatiales relevant d’une catégorie particulière, puisque, à l’instar du domaine de la recherche et développement, « l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en œuvre des programmes, sans que l’exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer la leur » en vertu de l’article 4.3. En matière spatiale, l’Union européenne et les États membres ont donc une légitimité égale à agir.

Le périmètre de cette nouvelle compétence est défini par l’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), inclus dans le nouveau titre XIX (Recherche et développement technologique et espace).

Article 189

1. Afin de favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité industrielle et la mise en œuvre de ses politiques, l’Union élabore une politique spatiale européenne. À cette fin, elle peut promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique et coordonner les efforts nécessaires pour l’exploration et l’utilisation de l’espace.

2. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires qui peuvent prendre la forme d’un programme spatial européen, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

3. L’Union établit toute liaison utile avec l’Agence spatiale européenne.

4. Le présent article est sans préjudice des autres dispositions du présent titre.

 Se fondant sur les dispositions de cet article 189, le Conseil européen du 16 septembre 2010 a modifié la liste des formations du Conseil, ajoutant le volet « espace » aux trois volets « marché intérieur, industrie, recherche » couverts par le Conseil compétitivité.

● Organisation intergouvernementale, l’Agence spatiale européenne (ESA, European Space Agency) est composée de vingt-deux membres, dont vingt appartiennent à ce jour à l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie France, Finlande, Grèce, Hongrie, Luxembourg, Italie, Irlande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède),  les deux membres autres étant la Norvège et la Suisse. Les autres États membres de l’Union européenne (à l’exception de la Croatie, avec laquelle l’accord de coopération est en négociation) sont, à l’instar du Canada, des partenaires de coopération.

Agence spatiale de l’Europe, comme le précise l’article 2 de la Convention portant création d’une Agence spatiale européenne du 30 mai 1975, qui dispose que la politique et la stratégie spatiale européenne de long terme doivent être mises en œuvre par l’ESA, c’est dans son cadre qu’ont été développés la totalité des programmes spatiaux européens des quarante dernières années : lanceurs, programmes scientifiques, programmes d’applications, vols habités,…Ces programmes sont de trois types :

- les programmes obligatoires, que les États membres définissent et financent proportionnellement à leur puissance économique ;

- les programmes optionnels, dans lesquels quelques États comme l’Allemagne, la France ou l’Italie s’engagent, investissent et ont un retour technologique selon leur financement ;

- mais aussi les programmes spatiaux de l’Union, tels que Copernicus ou Galileo.

Chaque État membre est représenté au Conseil de l’ESA et dispose d’une voix, quelle que soit sa taille ou l’importance de sa contribution. La France est le premier contributeur de l’ESA, suivie par l’Allemagne, ces deux pays apportant la moitié du budget. Viennent ensuite le Royaume-Uni, puis l’Italie et la Belgique.

Ces deux espaces de politiques spatiales différents entre la Commission et l’ESA suscitent depuis plusieurs années un débat sur la gouvernance du « triangle institutionnel » (ESA, Commission, États membres), l’article 189 du TFUE disposant que des relations appropriées devront être établies entre l’Union et l’ESA.

Ce débat prend un relief particulier cette année, marquée par une échéance pour chacun de ces institutions : la publication par la Commission, à l’automne, de sa stratégie européenne pour l’espace et par ricochet son inclusion dans le cadre des prochaines perspectives financières, d’une part, et la définition de la stratégie programmatique de l’ESA par la Ministérielle biennale qui se tiendra à Lucerne en décembre, d’autre part. Il se heurte toutefois à la question des bases juridiques différentes pour chacun des acteurs publics.

Un enjeu de la politique spatiale européenne auquel cette double échéance doit, pour vos co-rapporteurs, apporter une réponse, c’est de rassembler et d’utiliser l’ensemble de ces capacités, de coordonner les programmes, de faire travailler ensemble de façon efficace les trois acteurs détenteurs des capacités européennes.

Pour doter l’Europe d’une politique spatiale, la Communauté européenne et l’ESA ont signé le 25 novembre 2003 un accord de coopération prévoyant des réunions conjointes du Conseil Compétitivité et du Conseil de l’ESA dénommées Conseil Espace. Cet accord-cadre est entré en vigueur en mai 2004, pour une période de quatre ans, tacitement reconductible pour des périodes de même durée. La relation entre l’Union européenne et l’ESA est en outre aujourd’hui structurée par neuf accords de délégation sur les programmes Galileo (navigation) et Copernicus (observation de la Terre).

La Commission européenne souligne plusieurs obstacles dans les relations entre l’Union et l’ESA : la disparité des règles de financement, l’asymétrie des États membres à l’Union et à l’ESA, l’asymétrie de compétence en matière de défense et de sécurité, l’asymétrie concernant les responsabilités politiques, et enfin l’absence de mécanisme de coordination des politiques. La Commission ne pouvant, d’un point de vue juridique, souscrire une union avec une autre entité, elle considère qu’un rapprochement de l’ESA vers l’Union permettrait de surmonter ces obstacles, à long terme.

Pour le directeur de l’ESA que vos deux co-rapporteurs ont rencontré, deux espaces de politique spatiale différents, entre la Commission et l’Agence, ne permettent pas aux citoyens européens d’avoir une compréhension claire de l’Europe spatiale.

Les États membres, notamment les États « spatiaux », enfin, sont attachés à ce que l’ESA garde entière sa capacité à mener des programmes à géométrie variable, attractifs pour ces derniers, tout en restant l’agence de mise en œuvre des programmes spatiaux de l’Union.

Vos co-rapporteurs rappellent en outre les difficultés rencontrées par le programme Galileo, la Cour des comptes européenne, dans un rapport rendu en juin 2009, se montrant particulièrement cinglante et allant au-delà de l’analyse en 2009 conduite par l’un de vos co-rapporteurs (8), en considérant que la Commission européenne ne s’est pas montrée à la hauteur de sa tâche, à la fois pour des raisons indépendantes de sa volonté, mais également parce qu’elle n’a pas su se doter des outils techniques nécessaires à la gestion d’un tel projet.

Lors du Conseil de l’ESA du 2 décembre 2014, le scénario de rapprochement basé sur l’accord-cadre de « l’amélioration de l’existant » a recueilli un large soutien, tandis que les conclusions adoptées lors du Conseil du 5 décembre 2014 ont évoqué le rapprochement entre l’Union et l’ESA. Dans un contexte de concurrence exacerbée au niveau mondial, une approche institutionnelle cohérente est en effet indispensable pour utiliser au mieux les compétences et les fonds publics disponibles.

●  Dans l’optique des échéances précitées de 2016, les deux dernières Présidences (luxembourgeoise puis néerlandaise) ont pris l’initiative de renforcer le portage politique en organisant un Conseil espace informel, le 30 novembre 2015 puis le 30 mai dernier, afin de débattre des orientations stratégiques de la politique spatiale européenne.

Si ce forum ne doit pas avoir vocation à remplacer les enceintes de décision existantes, il permet de nourrir les décisions du Conseil Compétitivité et du Conseil de l’ESA et de rechercher la plus grande convergence possible entre les deux approches. À cet égard, selon les informations de vos co-rapporteurs, les États membres ont exprimé de manière claire et sans ambiguïté leur souhait d’une stratégie spatiale unique, élaborée en coopération étroite entre les trois acteurs publics et qui propose une vision commune et cohérente.

● Au niveau de la Commission européenne, l’espace est aujourd’hui de la responsabilité d’un seul Commissaire, Mme Elżbieta Bienkowska. L’ESA a aussi vu un changement à sa tête, avec l’arrivée voilà un peu plus d’un an de M. Johann-Dietrich Wörner, et les interlocuteurs de vos co-rapporteurs ont noté la forte amélioration des relations entre la Commission et l’Agence ces derniers mois. Il a été évoqué la possibilité d’une déclaration de principe conjointe contenant les orientations stratégiques de haut niveau, déclinée ensuite en deux documents séparés. Les discussions se poursuivent.

● Si l’objectif est une organisation du spatial européen plus intégrée – indispensable aux yeux de vos co-rapporteurs pour assurer la pleine capacité opérationnelle des deux programmes européens phares, Galileo et Copernicus et plus largement pour répondre aux défis posés sur le plan international – la clarification des relations entre la Commission et l’ESA n’est qu’un moyen.

L’Union européenne a une légitimité politique à impulser les grandes orientations en matière de politique spatiale mais elle doit nécessairement aussi prendre en compte les compétences, les initiatives et les priorités des États membres, ainsi que celles de l’ESA.

L’enjeu primordial de la gouvernance spatiale en Europe est donc d’utiliser l’ensemble des capacités spatiales européennes en faisant converger les objectifs, en coordonnant les programmes, les moyens et les calendriers de mise en œuvre, et c’est aux yeux de vos co-rapporteurs ce à quoi la Stratégie de l’Europe pour l’Espace doit s’attacher en matière de gouvernance générale, en mettant en place un mécanisme de coordination politique plutôt qu’en lançant un vaste mécano institutionnel.

● La montée en puissance du secteur aval et la volonté de tirer pleinement profit du caractère dual du spatial impliquent une articulation avec les agences européennes « sectorielles », qu’il s’agisse de l’Agence européenne de la défense, ou bien de celles chargées des transports ou de l’environnement.

● En ce qui concerne les projets spatiaux de l’Union, et compte tenu de l’expérience acquise tant sur les programmes lanceurs que sur le programme Galileo, une clarification du rôle de chacun des trois acteurs permettrait sans doute d’en améliorer la gouvernance, avec :

- la Commission européenne comme maître d’ouvrage des projets spatiaux de l’Union. Elle pourrait en définir les besoins, garantir l’adéquation entre les besoins exprimés par les utilisateurs et l’offre technologique, et enfin elle définirait le cadre réglementaire et financier desdits projets ;

- l’ESA et les agences des États membres, conjointement et sous la coordination de l’ESA, comme maître d’ouvrage délégué de ces projets, grâce à leurs compétences programmatiques et techniques, en veillant tout particulièrement à encourager l’innovation et le développement de nouveaux programmes scientifiques et opérationnels ;

- l’industrie européenne se voyant, elle, confier la maîtrise d’œuvre.

Une telle évolution impliquerait une évolution de l’Accord Cadre Union européenne-ESA de 2004. Il n’est à ce stade pas certain que tous les États membres souhaitent revenir sur cet accord cadre, ni que la Commission souhaite prendre en compte de façon détaillée ce sujet dans sa communication, cet automne.

Les acteurs privés sont présents dans le secteur amont, avec par exemple pour les lanceurs, la nouvelle répartition des rôles actée lors de la conférence ministérielle de l’ESA en décembre 2014 : les agences définissent les besoins, les industriels définissent les solutions. Un poids plus grand que par le passé leur est donc donné en matière de conception, de développement et gestion des programmés spatiaux.

C’est encore plus vrai en matière d’applications, dont le développement repose sur le croisement des capacités du secteur spatial avec celles d’autres secteurs économiques. La qualité de ces services, leur degré d’innovation, et donc leur valeur économique dépendent aussi de la capacité de l’industrie à fabriquer et à lancer des satellites performants, générant de nouveaux champs d’utilisation et d’application.

L’industrie spatiale européenne, à l’inverse de ses concurrentes américaines mais aussi émergentes, dépend en grande partie du marché commercial en raison de la taille limitée du marché institutionnel européen. Soutenir la compétitivité des acteurs privés, c’est à la fois permettre aux industriels européens de concourir sur les marchés commerciaux à des conditions équitables vis-à-vis de leurs concurrents qui bénéficient d’un fort soutien de leurs États, mais c’est aussi induire des effets positifs pour les acteurs institutionnels européens, qui sont leurs clients.

Le développement d’un écosystème industriel solide et innovant sur les plans technique et économique repose sur trois exigences :

- la structuration de la demande publique, avec une politique d’agrégation de la demande institutionnelle permettant d’obtenir un volume critique susceptible de donner plus de visibilité et de cohérence aux industriels. C’est tout particulièrement vrai pour les lanceurs ;

- une nouvelle approche pour le soutien à la recherche et au développement, en favorisant des projets plus ambitieux, dotés de ressources financières appropriées sur plusieurs années – la « crise Galileo » en 2007-2008 doit être méditée …– et garanties – ce qui pose le sujet des perspectives financières et de leur modulation en fonction des crises –, dans la perspective d’aboutir à des démonstrateurs technologiques et à des produits répondant aux conditions de marché, y compris en acceptant, de la part de l’Union européenne, d’être le client de systèmes précurseurs à vocation opérationnelle ;

- le soutien à l’émergence d’acteurs européens du numérique et du spatial par le biais d’une action règlementaire, si nécessaire, mais aussi par l’accompagnement de jeunes entreprises créatrices de valeur, avec la mise en place d’un capital risque européen, afin de rattraper pour autant que c’est possible, l’accès quasi illimité de nos concurrents américains à des financements de marché.

Tels sont les piliers transversaux sur lesquels devraient, pour vos co-rapporteurs, reposer la politique spatiale européenne, et donc ceux sur lesquels ils attendent beaucoup de la vision de la Commission européenne dans sa publication, à l’automne, sur la Stratégie spatiale pour l’Europe, mais aussi l’orientation générale du Conseil Compétitivité du 29 novembre et enfin la Conférence ministérielle de l’ESA.

Le lanceur conditionne la pérennité, la crédibilité, la rentabilité et la compétitivité et donc l’autonomie de l’ensemble du secteur spatial.

Avant d’être une question industrielle ou commerciale, l’accès à l’espace constitue donc une nécessité stratégique pour maintenir l’autonomie de décision de l’Europe. Vos co-rapporteurs rappellent que cette nécessité stratégique est aux origines mêmes de la création d’Ariane : en 1973, n’ayant pas de lanceur européen à leur disposition, Français et Allemands avaient dû solliciter les Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication Symphonie, et ces derniers, profitant de leur monopole, avaient alors assorti leur accord d’une condition, exigeant de renoncer à toute utilisation de ce satellite à des fins commerciales, par souci d’éliminer la possibilité même d’un rival. Véritable déclic, la position américaine avait finalement permis de lever les obstacles politiques, entre Européens, à la construction de ce formidable outil de souveraineté qu’est le lanceur Ariane.

Lors de la conférence ministérielle de l’ESA du 2 décembre 2014 à Luxembourg, la conception d’Ariane 6, avec deux nouvelles configurations, et de Vega C a été décidée, et une nouvelle organisation industrielle adoptée. Vos co-rapporteurs soulignent le rôle qu’a joué la France, grâce à sa secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Geneviève Fioraso, dont l’action a été unanimement saluée par tous leurs interlocuteurs. La mission sur les grands enjeux stratégiques de la filière spatiale française, dont, redevenue députée, elle a été chargée par le Premier ministre, M. Manuel Valls, et dont les conclusions sont attendues dans quelques jours, sera, pour vos co-rapporteurs, une nouvelle fois étape de son action positive en faveur de la filière.

La revue d’avancement du programme et de définition préliminaire d’Ariane 6 doit être effectuée avec l’ESA en 2016, afin de confirmer la faisabilité du programme tant sur les plans technique, opérationnel et financier. Une étape a été franchie le 13 juin dernier ; en septembre il appartiendra au Conseil de l’ESA de de confirmer la poursuite du programme et de son développement.

● Lors du sommet de l’Agence spatiale européenne (ESA) le 2 décembre 2014, l’Europe a décidé de se doter d’une famille cohérente de lanceurs présentant de fortes synergies industrielles, avec un objectif de compétitivité.

Elle se compose :

- d’une part, d’un nouveau lanceur conçu à partir de technologies éprouvées, ce qui doit en garantir la fiabilité, modulaire et flexible (deux versions : Ariane 62, avec deux boosters, et une capacité 5 tonnes en GTO qui répondra aux exigences du marché institutionnel, et Ariane 64, avec quatre boosters, une capacité 10,5 tonnes en GTO, destinée au marché commercial) avec pour objectif un vol inaugural en 2020 et une pleine capacité opérationnelle (douze lancements) en 2023 ;

- d’autre part, un lanceur plus petit, Vega C, conçu pour compléter la famille des lanceurs européens et répondre au marché des petites charges utiles (1,5 tonne) en orbite basse, notamment scientifiques et d’observation de la Terre.

Le programme Ariane 6 est en effet indissociable du programme Vega C : en disposant d’une famille de lanceurs capables de mettre sur orbite tout type de satellite, l’Europe a choisi de maintenir son accès autonome à l’espace.

Le 12 août 2015, l’ESA a signé les contrats pour le développement de la nouvelle génération de lanceur Ariane 6, sa base de lancement et l’évolution Vega C du lanceur actuel, pour des montants, respectivement, de 2 400 millions d’euros pour Ariane 6 (ASL), 600 millions d’euros pour la base de lancement (CNES) et 395 millions d’euros pour Vega C (ELV). Vos co-rapporteurs ont pu se rendre compte lors de leurs déplacements au Centre Spatial Guyanais en janvier comme sur le site des Mureaux d’Airbus Defence & Space en mai dernier, de l’engagement des acteurs à aller vite : les travaux de terrassement ont commencé pour l’ensemble de lancement à Kourou, et les équipes intégrées et la maquette numérique partagée préfigurent la mise en place de l’usine de production de l’étage inférieur et d’intégration de la partie centrale dont la première pierre devrait être posée fin 2016 aux Mureaux.

● Le succès de ces deux programmes, basé sur une stratégie de diminution du prix des lancements, repose en effet sur à la fois des modifications techniques et une réorganisation complète de la filière, avec :

- une rationalisation du design du lanceur (« redesign des coûts », et non pas du lanceur lui-même), simplifié et standardisé à partir de la reprise d’éléments existants sur Ariane 5 et Vega: le moteur de l’étage central sera dérivé de celui d’Ariane 5 ECA et utilisera la version modernisée simplifiée du moteur Vulcain (Snecma), les propulseurs d’appoint solides P120C, évolution du P80 existant, seront les mêmes que ceux de Vega C (en cours de développement, lancement prévu pour 2018), l’étage supérieur sera équipé du nouveau moteur réallumable Vinci (Snecma). Cette complémentarité va permettre de générer d’importantes économies d’échelle et ainsi permettre la production de 35 boosters par an ;

- une simplification du circuit de fabrication, avec la remise en cause en partie du principe du retour (le retour géographique sous la forme financière est maintenu mais les sites ont été rationnalisés), la mise en place d’une « entreprise étendue » avec les partenaires industriels, la constitution d’équipes intégrées, une maquette numérique partagée, ainsi que la modernisation des outils de production (un investissement d’un milliard d’euros est prévu, soit un tiers du coût de développement d’Ariane 6) et de l’assemblage (en grande partie assemblée à l’horizontale, ce qui impulse une fabrication vertueuse, en flux cadencé, et réduit les délais) ;

- une nouvelle organisation industrielle, qui autonomise les industriels et spécialise les productions sur un site unique.

LES PRINCIPALES FILIÈRES D’EXCELLENCE DU PROGRAMME ARIANE 6

Éléments du lanceur

Partenaires

Systèmes de lancement et intégration finale

Airbus Safran Launchers

Moteurs à propergol solide

ASL-Avio via Europropulsion (coentreprise à 50-50 entre Safran et l’italien Avio) et Regulus

Corps de propulseurs produits en Italie

Tuyères produites en France

Chargement du propergol effectué à Kourou

Systèmes cryotechniques (sol et bord)

Air Liquide (France)

Aérostructures métalliques, dômes et panneaux de réservoirs

MT Aerospace (Allemagne) avec Airbus Defence and Space Pays-Bas

(centre de production à Augsbourg - Allemagne)

Aérostructures composites

Casa (Espagne)

Coiffe

Ruag (Suisse)

Vérins

Sabca (Belgique)

Equipement sol mécanique

Apco Technologies (Suisse)

● L’annonce faite en juin 2014 par Airbus Group et Safran de leur intention de regrouper leurs activités « lanceurs » respectives dans une filiale commune (Airbus Safran Launchers-ASL) pour accroître la compétitivité et garantir la rentabilité de la filière européenne des lanceurs spatiaux face à une concurrence internationale accrue avait pour objectif d’intégrer verticalement la chaîne de valeur aérospatiale afin d’optimiser la fabrication des satellites, leur lancement et leur mise sur orbite.

Sur le modèle américain (un seul acteur qui concentre l’essentiel des actifs industriels), cette co-entreprise sera responsable de la conception du lanceur, alors cette mission était dévolue au centre national des études spatiales (CNES). Elle aura de surcroît le contrôle de son exploitation commerciale, à travers le rachat par la joint-venture des parts du CNES dans Arianespace (portant sa participation dans Arianespace de 39 % à 74 % du capital).

L’accord tripartite en juin 2015 a été concrétisé par arrêté ministériel le 11 janvier 2016. Retardée du 1er octobre au 31 décembre 2015, la mise en place d’ASL devait être « juridiquement constituée » début juillet 2016, après la résolution de formalités administratives et réglementaires.

Se posaient en particulier la question du traitement fiscal de la soulte de 800 millions d’euros versée par Safran en sus de l’apport d’actifs pour atteindre la parité avec Airbus, assimilée à une « cession de parts » soumise à imposition et pour laquelle, comme le permet la règlementation fiscale, une demande de « régime de faveur» a été déposée auprès de l’administration fiscale – ce point est d’importance au vu de la question des aides d’État –, et la validation de l’évolution de l’actionnariat d’Arianespace par les autorités anti-trust de la Commission européenne. Ces dernières ont en effet lancé le 26 février 2016 une enquête préliminaire afin d’examiner la conformité au règlement européen sur les concentrations du projet d’acquisition d’Arianespace par ASL, craignant que l’opération envisagée n’entraîne un recul de l’innovation et une hausse des prix sur les marchés des satellites et des services de lancement.

Sur le premier point, un accord est intervenu. Sur ce second, depuis la notification de l’opération intervenue le 8 janvier dernier, la Commission disposait d’un délai de 90 jours ouvrables, soit jusqu’au 12 juillet, pour arrêter une décision.

En matière de lancement, la concentration étant verticale entre le maître d’œuvre industriel d’Ariane, Airbus, le motoriste Safran et la société de lancement Arianespace, elle n’enlève pas d’acteurs au marché : il reste toujours trois acteurs sur le marché : Arianespace, l’américain SpaceX et le lanceur russe Proton, exploité par la société ILS. Avec les trois mêmes acteurs, il n’y a donc pas de raison que les prix des lancements montent, d’autant moins qu’ASL a justement été créée pour baisser les prix de lancement, de l’ordre de 50%. Ariane 6 devrait ainsi être commercialisée entre 70 et 90 millions d’euros, contre 170 millions à Ariane 5. Un tel raisonnement repose néanmoins sur une prise en compte du marché des lancements à l’échelle mondiale – ce qui correspond à la réalité mais la Direction générale de la Concurrence a par le passé à de nombreuses reprises adopté une conception plus restrictive du « marché pertinent », désavantageant ainsi les entreprises européennes par rapport à leurs concurrentes américaines ou chinoises, par exemple. Poursuivre dans une telle vision restrictive serait, aux yeux de vos co-rapporteurs une grave erreur.

Vos co-rapporteurs soulignent que face à l’inquiétude que pourraient exprimer les autres fabricants de satellites, Thales Alenia Space, Loral ou Boeing, d’une possible tentation pour Arianespace de favoriser les satellites Airbus, dans les calendriers de lancement par exemple, l’impact de la filialisation d’Arianespace sur les fabricants de satellites a bien été prise en compte par ASL, selon une approche en deux temps : une première discussion entamée avec Thales et sa filiale Thales Alenia Space, avec la signature d’un accord « pare-feu » en novembre 2015 ayant vocation à servir de modèle d’accord, et donc soumis à la Commission. Mettre en œuvre une telle préférence serait de toute façon très visible et contreproductif du point de vue commercial pour Arianespace.

●  Cette nouvelle organisation a suscité en outre des interrogations chez deux des actionnaires minoritaires importants d’ASL et d’Arianespace, qui en contestent la pertinence.

Deux des autres actionnaires européens, l’allemand MT Aerospace, filiale d’OHB, et l’italien AVIO estiment, d’une part, que l’équilibre qui pré-existait auparavant, avec trois actionnaires importants Airbus Group, Safran et le CNES est rompu et, d’autre part, qu’une intégration totale de la filière n’est pas la seule explication du succès et de l’efficacité de Space X : le design de sa fusée, le fort soutien du gouvernement américain et la capacité de cette entreprise à évoluer dans l’environnement très compétitif du marché des lanceurs aux États-Unis sont autant de facteurs à prendre en compte. Pour ces raisons, l’un et l’autre ont annoncé leur volonté de conserver leur indépendance vis-à-vis d’ASL.

Actionnaire minoritaire d’Arianespace, Avio est également partenaire d’ASL dans la société commune Europropulsion, détenue à parts égales. Maître d’œuvre de la fusée Vega, dont il assure environ 65% du contenu industriel, Avio fournit également la turbopompe à oxygène liquide du moteur Vulcain 2 et les moteurs à poudre latéraux de l’étage inférieur d’Ariane 5, soit, avec ASL, l’ensemble des activités de la propulsion solide de la filière spatiale européenne.

Maison-mère de MT Aérospace, OHB fournit les infrastructures du réservoir du troisième étage et des étages à poudre d’Ariane 5 et elle est également responsable des grands ensembles métalliques du lanceur européen.

Or face à ces inquiétudes, et alors que l’actionnaire principal de l’industriel transalpin, le fonds d’investissement Cinven cherche à vendre sa part (81 %) vendre depuis plusieurs années, ces deux acteurs pourraient être tentés de s’unir, autour d’un deuxième pôle intégré satellite-fusée, en poussant alors à une Vega E surdimensionnée.

Vos co-rapporteurs jugent que le marché européen n’est pas en mesure de supporter une telle concurrence, qui serait donc contreproductive. Il serait ainsi fort regrettable à leurs yeux de s’engager sur cette voie, d’autant plus incertaine que de nombreux petits satellites disposent déjà de possibilités de lancement très attractives en tant que co-passagers : ainsi, la start-up Planet Labs a pu lancer 110 satellites en cinq ans à des coûts de lancement marginaux en profitant de cette possibilité de co-passager sur les différents lanceurs déjà disponible. Certes, les projets de méga constellations sont mis en avant pour définir un marché potentiel important de petits satellites, mais ils en sont aujourd’hui toujours au stade de l’ébauche.

Dans ce contexte, les acteurs minoritaires doivent pouvoir recevoir des garanties quant au fonctionnement d’Arianespace : ils représentent un lien avec les Gouvernements et les industries nationales qu’il convient de respecter. Lors de son audition par la Commission des affaires économiques du Sénat, le 25 octobre 2015, M. Stéphane Israël, président d’Arianespace le soulignait d’ailleurs. Dans ce contexte, un facteur clé de succès réside sans doute dans une gouvernance équilibrée dans l’exploitation d’Ariane, qui dépend d’ASL, et de Vega, qui dépend d’ELV.

Selon le Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche, M. Thierry Mandon, ASL a beaucoup travaillé pour améliorer la gouvernance d’Arianespace et garantir le droit des actionnaires minoritaires, ainsi que pour rassurer les fabricants de satellites qui avaient émis des inquiétudes sur les conditions de concurrence. Ce dernier se déclare donc optimiste quant à la décision de la Commission européenne.

● Ariane 6 a été pensée pour à la fois répondre aux futurs besoins institutionnels de l’Europe et être compétitive sur ce marché marqué par de profondes évolutions.

Si Arianespace, le CNES, l’ESA, ASL et Airbus Defence&Space affirment leur totale confiance dans le choix d’Ariane 6 (« les Européens auraient tort d’infléchir maintenant leur stratégie Ariane 6 et le respect du calendrier doit rester la priorité » (9)) tout comme les clients, les développements récents en matière de récupération d’étages semblent sèment le doute chez certains.

Le réemploi de fusées - outre l’aspect technique - dans des conditions économiques satisfaisantes dépend en grande partie de la taille du marché visé : une fusée réutilisable implique une capacité d’emport amputée et une cadence de lancement importante pour assurer une rentabilité correcte (certains évoquent le seuil de 30 tirs, Français Auque, président d’Airbus Defence&Space, l’estime à plusieurs dizaines de lancements par an). Un tel volume n’existe pas sur le seul marché commercial de mise en orbite de satellites de communications, et SpaceX vise les commandes publiques civiles ou militaires de la NASA. Or en Europe ces lancements sont en nombre très inférieur à ceux des Américains.

● Avec une échéance fixée à 2020-2023 dans le cadre du modèle économique européen basé sur onze à douze lancements commerciaux par an jusqu’en 2030 au moins alors que le marché des constellations reste encore indécis, le programme Ariane 6/Vega C offre donc une réponse pertinente.

L’objectif prix retenu pour Ariane 6 (70 millions pour A 62 et chiffre encore à définir pour A64 – 90 millions ?) est en effet compatible avec la proposition de SpaceX y compris en tenant compte de la récupération (la baisse de coût induite par la récupération serait d’environ 30 %, mais seule une partie des lanceurs pourra être récupérée, donc la baisse de prix induite par cette technique sera plus faible qu’annoncée, sans doute autour de 85 % du prix d’un lanceur vierge).

Par ailleurs, ce n’est pas un programme figé : Ariane 6 est conçue selon le concept de « briques technologiques », et l’une d’entre elles vise spécifiquement à identifier les évolutions possibles des lanceurs européens, dont le réutilisable (4e sous enveloppe, LEE – Launcher Evolution Elements).

Pour autant, l’Europe spatiale ne peut se permettre de rester spectatrice d’une telle révolution technologique capable de rebattre les cartes du secteur. Il faut donc d’ores et déjà se préparer à la période post 2030 et anticiper d’éventuels autres phénomènes disruptifs dans le secteur des lanceurs.

 Ariane 6 et Vega-C bénéficient aujourd’hui des efforts de recherche qui ont été réalisés tout au long de ces vingt dernières années. C’est bien donc bien dès maintenant qu’il faut engager les décisions préparant leurs évolutions.

La France a d’ores et déjà décidé de lancer de premières réflexions : le CNES et ASL ont signé un contrat d’études le 12 novembre 2015 pour explorer la faisabilité d’un moteur destiné à un futur lanceur européen réutilisable, le moteur Prométhée. Très largement fabriqués grâce à l’impression 3D et fonctionneront avec des hydrocarbures et de l’oxygène liquide, il est conçu dès le départ pour être réutilisable mais il pourra aussi équiper des lanceurs conventionnels. L’objectif est de réaliser un prototype qui puisse être testé avant la fin de cette décennie. Airbus Defence & Space travaille aussi sur un autre concept, baptisé Adeline, qui permet de réutiliser la partie la plus chère du lanceur (le moteur, la baie de propulsion et les équipements d’avionique liés, qui représentent 70 à 80% de la valeur totale d’une fusée).

Dans un contexte international extrêmement concurrentiel, où les autres acteurs du marché des lanceurs bénéficient d’un fort soutien de leurs gouvernements, vos co-rapporteurs jugent que c’est un sujet sur lequel l’Union européenne est en mesure d’apporter une réelle plus-value pour préparer l’avenir post-2030 en misant sur les technologies permettant de réduire les coûts des lancements, avec notamment un soutien à des études sur les techniques de réutilisation (la partie R&D étant alors confiée à des acteurs publics, comme c’est le cas de façon systématique aux États-Unis , et la réalisation des projets confiée à l’industrie).

Ils se réjouissent donc de voir que, pour la Commissaire Bienkowska « Ariane 6 est formidable mais nous devons regarder plus loin dans l’avenir pour éviter d’être surpris par de nouvelles technologies de lanceurs » lors de son allocution de bienvenue à l’ouverture de la 8ème conférence annuelle sur la politique spatiale européenne organisée à Bruxelles en janvier 2016.

Au lendemain du choix du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne, ce serait également une affirmation claire du rôle de cette dernière comme protectrice de l’avenir des citoyens et catalyseur des efforts de financement d’investissements essentiels à l’autonomie de l’Europe et à sa croissance économique.

Une véritable stratégie européenne en matière de services de lancement est rendue nécessaire à la fois par la future arrivée sur le marché du nouveau lanceur européen Ariane 6 et par un contexte international extrêmement concurrentiel, où les autres acteurs du marché des lanceurs bénéficient d’un fort soutien de leurs gouvernements.

Tout en étant l’une des grandes puissances spatiales, l’Europe se caractérise par la petitesse de son marché intérieur, et sa dépendance de son industrie spatiale aux marchés commerciaux, plus forte en proportion que pour l’industrie spatiale américaine, qui bénéficie de surcroît du « Buy American Act ». Son équivalent européen n’existe pas et les États européens peuvent choisir un autre lanceur que ceux d’Arianespace.

Les trois acteurs leaders – Northrop Grumman, Boeing et Lockheed Martin – réalisent respectivement 100%, 95% et 80 % de leur activité sur leur marché local américain, alors que des deux Européens les mieux placés, TAS et Airbus, se situent en 4e et 5e positions et réalisent plus de 50 % de leur activité sur le marché de l’exportation.

Le marché américain étant toujours aussi protectionniste (comme l’illustre l’attribution par la NASA, le 14 janvier 2016, du contrat CRS 2 : même les candidats non sélectionnés pour le contrat - Boeing et Lockheed Martin - en ont récupéré une part), il est absolument nécessaire que les membres de l’Union européenne « jouent le jeu » en privilégiant des services de lancement européens.

Une structuration de la demande européenne est aussi la contrepartie indispensable au nouveau modèle économique qui reposera sur une plus grande implication du secteur privé. En effet, aujourd’hui l’Europe apporte, pour équilibrer l’exploitation du lanceur Ariane 5, une subvention annuelle de 120 millions d’euros, appelée à disparaître dans le modèle Ariane 6. L’accroissement de la responsabilité des industriels repose sur le maintien d’un plan de charge.

Une politique d’agrégation de la demande institutionnelle permettrait d’obtenir un volume critique de lancement susceptible de donner plus de visibilité et de cohérence au secteur. Elle devrait, à yeux de vos rapporteurs, concerner à la fois la demande institutionnelle européenne mais aussi les demandes nationales.

En février 2013, la Commission européenne avait fait une première proposition afin de tendre vers une politique industrielle spatiale européenne, qui n’évoquait ni la notion de préférence européenne, ni une éventuelle participation de l’Union aux coûts des programmes de lanceurs d’ailleurs.

Lors du Conseil espace informel de novembre 2015, les États membres ont invité la Commission et l’ESA à élaborer un processus commun permettant de fédérer la demande institutionnelle européenne de services de lancement. C’est une forte demande des États « spatiaux » (France, Allemagne, Italie).

Dans les faits, un fort ancrage des clients institutionnels vers Arianespace est aujourd’hui constaté.

Globalement, la France, qui a pu très ponctuellement solliciter d’autres lanceurs dans le cadre d’une démarche donnant-donnant ou de projets en partenariat, achète quasi-exclusivement auprès d’Arianespace, les Allemands et les Italiens le faisant, pour leur part, dans une moindre mesure (ainsi le ministère de la défense allemand a confié à SpaceX le lancement en 2018-2019 de trois satellites radar de sa constellation SARah).

La Commission européenne achète la quasi-totalité de ses lancements à Arianespace. Elle est devenue le premier client et représente dans le carnet de commandes un peu moins d’un milliard d’euros, à travers les contrats passés avec l’Agence spatiale européenne.

Il s’agit donc de formaliser l’existant, pour rassurer les acteurs industriels, mais aussi de donner un signal fort aux citoyens européens sur la cohérence et l’efficience des politiques européennes, à un moment où toutes deux sont remises en cause par nombre de nos concitoyens. L’objectif est d’avoir cinq lancements garantis pour Ariane et trois pour Vega.

Cette formalisation devrait idéalement, pour vos co-rapporteurs, prendre la forme d’un contrat-cadre. L’accès à l’espace pourrait ainsi être conçu comme un service public européen ayant certes un coût, mais qui pourrait précisément être réduit par la mutualisation de la demande. Ce soutien devrait être assuré sans attendre pour les programmes en cours, Copernicus et Galileo, puisqu’en raison de leur évolution, l’Union européenne sera le principal client des services de lancements dans les dix prochaines années.

Les règles européennes empêchent sans doute aujourd’hui de coucher par écrit une telle obligation ; à défaut, il faut donc que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne, tacitement ou plus ouvertement, et que la Stratégie pour l’Europe spatiale, cet automne, formalise ces engagements.

Lors du Conseil ministériel de l’ESA à Luxembourg en 2014, la souscription aux programmes lanceurs s’est élevée à 4 386,8 millions € (91,35%). Le diagramme circulaire ci-dessous donne l’état de la répartition, en pourcentage, entre les États membres de l’ESA de leur contribution.

Contributions des États membres de l’ESA aux programmes lanceurs

Source : CNES

S’agissant du financement du programme Ariane 6 auquel la France contribuera à hauteur de 52 %, les autres États européens se sont également engagés. Outre l’Allemagne, l’Italie, la Suisse et la Belgique, qui sont les cinq premières nations Ariane, ces États se sont engagés, à Luxembourg, à fournir un effort significatif, dans un contexte budgétaire contraint.

À ces contributions, il convient en effet d’ajouter les contributions des États membres au Centre Spatial Guyanais (CSG) au travers de la Résolution CSG de l’ESA, pour un montant de l’ordre de 130 millions d’euros/an, dont un tiers sont à la charge du CNES, un tiers à la charge des États membres de l’ESA au prorata de leur PNB et un tiers à la charge d’Arianespace et des États membres sur la base de leur participation aux programmes Ariane, Vega et Soyouz.

Huit milliards d’euros vont être investis sur dix ans dans le secteur des lanceurs en Europe. Il est crucial que ces engagements budgétaires soient tenus.

● Si le 12 août 2015, l’Agence spatiale européenne a notifié à Airbus Safran Launchers (ASL) les différents contrats de développement, les coûts d’exploitation du Centre Spatial Guyanais restent eux à fixer.

Étendue sur plus de 690 km², abritant quelque 1 650 salariés permanents et affichant des taux de fiabilité, de sécurité et de disponibilité inégalés, cette base génère des coûts de fonctionnement élevés.

Qu’il s’agisse des investissements nécessaires à l’évolution et à l’optimisation des activités de la Base spatiale, ou du maintien en conditions opérationnelles (MCO) des équipements et des installations, les coûts du Centre Spatial Guyanais font l’objet d’un financement particulier et complexe.

Modalités de financement du Centre Spatial Guyanais (CSG)

Les deux tiers des coûts fixes du CSG sont financés par l’Agence spatiale européenne, un tiers restant à la charge de la France. 50 % de la contribution de l’ESA aux coûts fixes du CSG est payée par ses États membres en fonction de leur PNB, l’autre 50 % en fonction du retour géographique résultant de l’exploitation des lanceurs. ;

Les coûts variables induits par l’exécution des campagnes de lancement sont à la charge d’Arianespace, qui contribue également aux coûts fixes du CSG pour la partie allouée à Soyuz.

Le coût de maintien en conditions opérationnelles est établi en fonction d’un modèle de mission nominal (6 Ariane, 2 Vega et 2 Soyouz par an), et dans un souci d’assurer la stabilité du système, les prix sont forfaitise pour trois ans, sur trois ans, avec une possibilité d’extension sur deux ans, dans la limite d’un montant plafond.

Le contrat 2013-2017 co-signé par le CNES et l’ESA est d’un montant de 438 millions d’euros.

Source : Latitude 5, n°101, juillet 2013

Or la prise en charge du maintien en condition opérationnelle du Centre Spatial Guyanais par les pouvoirs publics, voire sa gratuité, est demandée de façon récurrente par les industriels, à l’image de ce qui se pratique aux États-Unis. Vos co-rapporteurs retiennent de leur déplacement en Italie la forte demande d’une réduction du coût, pour les industriels, du poste « CSG » dans l’économie du développement des programmes Ariane 6 et Vega C. La question n’est pas neutre : une gratuité totale correspondrait à une aide financière publique 2 à 2,5 fois supérieure à ce que perçoit aujourd’hui Arianespace, qui finance 50% des installations du CSG.

● À cette question récurrente, s’ajoute aujourd’hui celle du coût du développement du moteur Prométhée, évalué par ses promoteurs à environ à 300-400 millions d’euros sur trois-quatre ans.

●  L’examen à mi-parcours des perspectives financières, qui tracera la voie au prochain cadre financier, est crucial à cet égard.

Si sur la période 2014-2020, près de 12 milliards d’euros sont alloués aux deux programmes spatiaux (programmes Galileo, règlement n° 1285/2013, à hauteur de 4,3 milliards d’euros et Copernicus, règlement n° 377/2014 à hauteur de 7,1 milliards d’euros), le programme de recherche Horizon 2020 (orienté principalement vers les organismes publics, plus que vers les entreprises industrielles) ne disposait lui que d’un financement de 2,7 milliards d’euros, qui s’est vu très contraint par sa contribution au Plan Juncker.

Le Conseil Ecofin a exclu, le vendredi 22 avril dernier, une hausse des plafonds budgétaires alors que, en raison, particulièrement, de la prise en charge de l’accueil des migrants et de la question de la surveillance des frontières extérieures, ce cadre financier pluriannuel (CFP) est déjà été fortement sollicité.

PLACE DE LA THÉMATIQUE ESPACE DANS LES PROGRAMMES-CADRES DE RECHERCHE

6e programme-cadre

2002-2006

7e programme-cadre

2007-2013

H2020

2014-2020

0,240 milliard € (sur un total de 17,5 milliards €)

1,900 milliard € (sur un total de 53,3 milliards €)

Y compris :

565 millions € pour Copernicus (GMES) (mis en œuvre par l’ESA)

450 millions d’euros pour Galileo et EGNOS (European Global Navigation Satellite System, EGNSS) sur l’enveloppe Transport.

1,479 milliard € (sur un total de 79 milliards €)

Source : DG Grow

L’enjeu, pour l’enveloppe financière allouée aux projets spatiaux de l’Union, doit donc être, pour vos co-rapporteurs, d’une part, de limiter la réduction des budgets Copernicus, Galileo et H2020 Espace, et d’autre part, d’établir des priorités quant aux sujets qui pourraient faire l’objet de nouvelles lignes budgétaires. Ces priorités devraient être à leurs yeux l’inclusion d’une ligne budgétaire dédiée aux lanceurs et la prise en charge des coûts de fonctionnement du CSG.

Dans les discussions préalables, deux conceptions du rôle de l’Union se dégagent :

- d’une part, l’accent mis sur la création d’un environnement propice aux nouveaux développements de la politique spatiale, en aval ;

- de l’autre, le soutien des fondamentaux de la politique spatiale européenne, soit les infrastructures.

Un secteur amont robuste, soutenu par les autorités publiques, est une condition essentielle de l’existence d’un secteur aval guidé par la demande, notamment privée, pour vos co-rapporteurs. C’est pourquoi ils considèrent que l’importance du CSG justifierait son placement dans la catégorie des « grands équipements d’infrastructures » ou bien dans celle des « infrastructures stratégiques » afin qu’il bénéficie des financements correspondants. Ils espèrent beaucoup de la Stratégie spatiale pour l’Europe sur ce point.

Pour la Stratégie spatiale pour l’Europe, ce volet recouvre deux aspects principaux : les initiatives SST et le projet de satellites de communications gouvernementales Govsatcom.

En préambule, il est clair aux yeux de vos co-rapporteurs que toute initiative portée par la Stratégie devra reposer sur un principe de coopération fondé sur la complémentarité des acteurs concernés (États membres, Agence européenne de Défense, Agence spatiale européenne, Commission) et donc prendre en compte les capacités développées par les États ainsi que les enjeux de souveraineté nationale.

Depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’objets et véhicules ont été lancés dans l’espace, au point qu’aujourd’hui les infrastructures spatiales (satellites et stations) sont menacées par un risque de collision avec toute sorte d’objets et débris dérivant dans l’espace. Ces objets peuvent également entrer dans l’atmosphère et causer des dégâts terrestres.

Face à cette menace, seuls deux pays en Europe étaient au début de la décennie en capacité de surveiller l’espace : la France et l’Allemagne, rendant ainsi l’Union européenne très dépendante des informations fournies par les États-Unis, mieux équipés en ce domaine. C’est la raison pour laquelle, l’ensemble des acteurs européens du secteur, dont la France, ont estimé nécessaire que l’Union européenne renforce sa capacité dans la surveillance de l’espace, et se dote d’un système européen de surveillance de l’espace et de suivi des objets en orbite, système dit SST (pour le terme anglais « space surveillance and tracking »).

Alors que dans sa proposition initiale (proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant un programme de soutien à la surveillance de l’espace et au suivi des objets en orbite (COM (2013) 107 final du 01/03/2013), la Commission proposait la mise en place d’un programme reposant sur la mise en réseau des capteurs nationaux existants (radars, télescopes, satellites), l’établissement d’un système de traitement et d’analyse de données récoltées par le réseau de capteurs et l’instauration d’un système de fourniture de services aux opérateurs de véhicules spatiaux et aux autorités publiques, dont elle aurait eu seule la charge de mise en œuvre ce programme et de gestion des fonds alloués (près de 70 millions d’euros d’ici à 2020), ce programme « EU-SST » fonctionne aujourd’hui sous la forme de subventions à un groupe d’États membres acceptant de mettre en commun (sous des règles en cours de définition) leurs moyens.

Son démarrage est lent. Un premier consortium ouvert d’États membres a été créé mi 2015, regroupant France, Italie, Espagne, Angleterre et Allemagne, qui mettent en pool commun leur contribution (la contribution de la France consiste dans un premier temps en l’amélioration d’un radar moyen existant, avant de le remplacer à terme par un radar dix fois plus puissant, et à déployer un réseau de stations laser et télescopes), une première subvention de 20 millions d’euros (sur les 70 millions affectés à ce programme) a été allouée.

Selon la Commission européenne, les premiers services seront disponibles à la mi-2016, et d’autres États membres sont intéressés à prendre part à ce consortium.

Une condition sine qua none à un tel élargissement est une pérennisation des ressources, en dotant ce programme d’un budget propre, et une rationalisation de la gouvernance, pour éviter la dispersion des ressources, l’objectif majeur de ce programme devant être une amélioration de la performance des capteurs européens existants.

Ce sujet de la sécurité dans l’espace pose aussi la question de la règlementation pour réduire le risque de production des débris lors du lancement et de l’exploitation des objets spatiaux, ainsi que celle du « nettoyage ».

La loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales a fait de la France un précurseur en la matière, et la France étant son État de lancement, la future Ariane 6 se conformera à ses prescriptions visant à réduire la production de déchets : l’étage supérieur, grâce au moteur réallumable Vinci, sera désorbité.

L’enlèvement d’une dizaine de grosses épaves par an permettrait, selon Airbus Space and Defense, de stabiliser la situation en matière de déchets. L’idée d’un véhicule permettant de désorbiter des objets spatiaux en fin de vie a été évoquée par plusieurs de nos interlocuteurs, avec une double fonction d’ailleurs, puisqu’il pourrait en premier lieu aider au positionnement des satellites à propulsion électrique. Des études financées par l’ESA, le CNES, et son équivalent allemand, le DLR, ont démontré la faisabilité de tels systèmes.

Pour les débris plus petits, l’utilisation de lasers de puissance a été évoquée.

Pour séduisantes que ces différentes idées puissent paraître, il convient de garder à l’esprit que, d’une part, toutes les restrictions mises au nom de la lutte contre la production de débris peuvent apparaître aux yeux des puissances spatiales émergentes comme autant de barrières à l’entrée. Trouver un consensus sur des bonnes pratiques, et plus encore sur une réglementation contraignante, n’est donc pas chose aisée. Ce n’est pas une raison suffisante pour y renoncer, pour vos co-rapporteurs, et là encore, « l’Europe par la preuve » pourrait permettre d’entraîner d’autres puissances.

Quant aux systèmes laser, tant leur principe de financement, qui pourrait reposer sur le principe pollueur-payeur par exemple, que leur concept d’emploi posent problème, car ce type de système pourrait être perçu comme une menace par tous les pays dotés de satellites.

La Commission européenne propose un nouveau service de satellites de communication (SatCom) pour la sécurité au niveau gouvernemental (Govsatcom), qui répond à son sens à un besoin de certains gouvernements européens, et qui permettrait de pallier un éventuel retrait de la demande militaire américaine, dont dépendent fortement les opérateurs de télécommunications par satellite européens.

Des solutions ou moyens sont déjà mis en œuvre par les États ou sont en voie de l’être au niveau européen, avec le futur service public réglementé de Galileo. De plus, la valeur ajoutée d’une nouvelle infrastructure satellitaire apparaît limitée en termes d’innovation.

Il est donc essentiel de clarifier en premier lieu la réalité de la demande en services de télécommunications gouvernementales à accès garanti, et l’absence de redondances avec d’autres infrastructures satellitaires : les fonds disponibles sont limités, il faut prioriser les initiatives.

Si elle était avérée, l’autonomie stratégique devra en être le pivot, en particulier pour ce qui concerne les contrats industriels, afin de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. Les satellites, équipements et charges utiles spatiales, ainsi que les éléments sol sensibles devront être fabriqués en Europe, avec une garantie de protection contre les intrusions informatiques en particulier. Les mécanismes de gouvernance en sécurité mis en place sur Galileo fournissent un précédent utile pour garantir la robustesse d’un tel futur service.

Après avoir énormément investi dans des infrastructures spatiales et développé un socle solide de compétences dans le secteur industriel au cours des cinquante dernières années, l’Europe, et au premier rang la France, doit à présent en garantir une utilisation maximale et donc concentrer leurs efforts sur le développement des services, car ce sont eux qui aujourd’hui présentent la plus forte valeur ajoutée socio-économique : le marché mondial des géo-services, c’est-à-dire les services qui reposent sur des données de localisation géographique était estimé entre 150 et 170 milliards de dollars par Google à l’occasion de la conférence « Space Applications for Belgium » en juin 2014.

Qu’est ce qu’une application spatiale ?

Une application spatiale est une activité dans laquelle l’utilisation de signaux ou de données issus de satellites peut :

- apporter une amélioration à des services sociétaux existants,

et/ou

- proposer de nouveaux services, et ce à destination d’acteurs et utilisateurs opérationnels, publics ou privés.

Source : CNES

Projet européen fédérateur majeur en raison de ce qu’il représente : à la fois un symbole d’un changement de paradigme (le spatial devient un outil au service de politiques publiques sectorielles, notamment dans les transports), et la première infrastructure majeure de l’Union au bénéfice direct de ses citoyens et de son indépendance stratégique, Galileo – tout comme Copernicus d’ailleurs – doivent donner lieu à de nouvelles initiatives dans les développements en aval, faisant appel aux données spatiales.

Le large potentiel qu’offre l’utilisation des données, des applications et des services spatiaux est aujourd’hui techniquement prouvé, les infrastructures sont en place ou quasiment, mais le rythme d’appropriation par le marché (« market update ») est plutôt lent et les politiques sectorielles ne prennent pas encore suffisamment en compte la contribution précieuse que peuvent apporter les données spatiales, surtout lorsqu’elles sont combinées à des données et informations provenant d’autres sources terrestres et à des solutions informatiques.

Projet d’envergure doté d’ici 2020 d’un financement de 10 milliards d’euros (pour la période 2014-2020 : 6,3 milliards d’euros, dont 1,5 milliard d’euros pour l’achèvement du déploiement de la constellation, et 100 millions d’euros pouvant être utilisés pour les applications), mais avec un coût final sans doute proche de 13 milliards d’euros, le système européen de radionavigation par satellite a deux composantes :

- un système régional dit « d’augmentation » du système américain GPS, EGNOS (« European Geostationary Navigation Overlay Service », soit Service Européen de Navigation par Recouvrement Géostationnaire), lancé en 1997, et pleinement opérationnel depuis 2011 ;

- mais surtout le développement d’un système européen de radionavigation par satellite autonome, le programme Galileo, lancé en 1999. Visant à doter l’Europe d’un système européen autonome de positionnement et de datation, de couverture mondiale, précis et robuste, fournissant un message d’intégrité et restant compatible et interopérable avec les systèmes existants (GPS américain et Glonass russe) il doit être constitué d’une constellation de trente satellites en orbite moyenne et d’une infrastructure au sol.

Après le lancement de deux satellites (les n° 13 et 14) le 24 mai dernier, la moitié des satellites de la constellation européenne Galileo est déjà en place. Ce septième lancement (effectué par un Soyouz) sera suivi des lancements de trois Ariane 5 spécialement adaptées, qui emporteront chacune quatre satellites Galileo d’un coup, à partir du 17 novembre prochain, à raison de deux lancements par an, améliorant ainsi au fur et à mesure les performances du système.

En 2018, la constellation devrait donc compter 26 satellites opérationnels (10) , mais après le lancement des quatre satellites prévu à la fin de cette année, et une fois la période de test écoulée, l’état d’avancement du projet devrait atteindre la masse critique minimale pour la fourniture des services initiaux (en dépit du fait donc que le quatrième satellite n’est plus actif pour cause de défaillance technique, et que les cinquième et sixième satellites sont positionnés sur une orbite trop basse).

Phases du programme Galileo

§ une phase de définition (2002-2004), terminée ;

§ une phase de développement et de validation en orbite, financée pour moitié par l’Union européenne et pour moitié par l’Agence spatiale européenne (ESA) et conduite par l’ESA. Au cours de cette phase, quatre satellites opérationnels ont été lancés en 2011 et octobre 2012, par des lanceurs Soyouz, depuis Kourou ;

§ une phase de déploiement de la constellation (jusqu’en 2020), dénommée FOC (Full Operational Capability), prévoyant initialement le lancement de 26 satellites. Les deux premiers satellites ont été lancés par Soyouz depuis Kourou le 22 août 2014, mais placés sur une mauvaise orbite du fait d’une défaillance du lanceur (ils ne pourront être partie prenante de la constellation, mais participeront activement au SAR (recherche et sauvetage). Les douze suivants ont été lancés avec succès les 27 mars, le 11 septembre, le 17 décembre 2015 et 24 mai 2016.

§ une phase d’exploitation commerciale, prévue à partir de fin 2016.

L’Europe est donc en voie de s’affranchir du GPS américain vingt ans après le premier forum organisé à Bruxelles sur un futur système de navigation par satellite 100 % européen, Galileo devant fournir :

– un service ouvert permettant un positionnement standard ;

– un service commercial offrant des performances améliorées ;

– un signal sécurisé, pour les usages gouvernementaux des États membres (PRS, Public Regulated Service) ;

– la recherche et le sauvetage, pour la détection et la transmission des messages des balises.

Pour vos co-rapporteurs, le lancement des services initiaux est fondamental pour ancrer la crédibilité de Galileo auprès des utilisateurs : il s’agit en effet de démontrer aux investisseurs potentiels, aux fabricants de puces et aux concepteurs d’application que le programme entre en phase opérationnelle. Cela doit donc être la priorité  à court terme.

Mais, pour ce concurrent direct du GPS américain et du Glonass russe (déjà opérationnels) et du système chinois Beidou (en cours de déploiement), l’enjeu central réside dans l’utilisation effective du signal par les utilisateurs et dans l’émergence d’un véritable écosystème autour des applications.

Le succès à long terme de Galileo passe impérativement par le développement rapide du secteur applicatif européen. En effet, c’est cet écosystème qui justifiera les investissements publics réalisés, en contribuant à la croissance et à l’innovation européennes dans des secteurs de pointe, et qui crédibilisera Galileo auprès des utilisateurs internationaux. Galileo doit donc s’imposer comme référence face à ses concurrents sur le marché des récepteurs, afin que des puces compatibles soient systématiquement incluses dans les équipements grand public (téléphones intelligents, voitures connectées, etc.)

Or dans un environnement très compétitif, le développement des applications en Europe ne va pas de soi : la difficulté principale est de convaincre les acteurs économiques des secteurs potentiellement utilisateurs de Galileo de s’engager à utiliser un signal qui n’est pas encore disponible, alors que les industriels concernés n’ont pas encore pris la mesure des avancées rapide du programme Galileo après les difficultés initiales.

C’est notamment le cas du secteur automobile (Galileo peut en effet avoir un rôle central dans l’architecture technologique mise en place autour des véhicules connectés, en permettant une conduite prédictive et en améliorant la qualité des données générées par les autres senseurs embarqués - caméras, centrales de navigation inertielles, etc. ) ou du secteur ferroviaire ( si les bénéfices directs sont a priori très limités, l’utilisation de Galileo peut entraîner des bénéfices indirects importants, en remodelant entièrement l’architecture de signalisation du réseau ferré secondaire ; en permettant de rendre viable économiquement des lignes régionales aujourd’hui déficitaires, il apporte donc des externalités positives en termes d’impact écologique ou d’aménagement du territoire).

Certes, Galileo comporte certains avantages que d’autres constellations GNSS ne proposent pas, comme l’authentification de service ouvert ou la précision et fiabilité de très haut niveau du service commercial, mais ces constellations ont pris un temps d’avance…

Pour vos co-rapporteurs, la Stratégie spatiale de l’Europe doit donc comporter des actions ciblées afin de promouvoir les avantages réels de Galileo par rapport à ses concurrents, et de faire de ce dernier un vecteur efficace de politiques publiques. Ces actions sont de plusieurs ordres :

- d’abord, une politique de communication ambitieuse autour de Galileo. Tant la publication de la communication de la Commission européenne que le lancement de quatre nouveaux satellites puis la Conférence ministérielle de l’ESA, qui auront lieu dans un laps de temps rapproché, fournissent un support idéal qui doit être mis à profit ;

- ensuite, l’élaboration d’une stratégie ambitieuse de développement du secteur applicatif par l’agence européenne du GNSS (GSA), dont le rôle, central pour améliorer la gouvernance du programme, va être accru avec la conduite de l’exploitation de la constellation le 31 décembre 2016. À ce titre, vos co-rapporteurs se réjouissent de l’élection le 23 juin dernier de M. Jean-Yves Le Gall à la présidence du conseil d’administration de cette dernière, et se déclarent pleinement confiant en sa capacité à « fédérer l’équipe d’Europe de l’espace » au moment où Galileo va commencer sa vie opérationnelle et à redynamiser cette agence, notamment par un discours plus positif et plus offensif sur les applications dont il a pu donner un premier aperçu lors de son audition par la commission des affaires européennes le 6 avril dernier (11) ;

- mais surtout, afin de démontrer le potentiel de Galileo dans des secteurs stratégiques, comme les transports ou les télécommunications, des initiatives règlementaires comportant des mandats d’emport dans certains secteurs stratégiques comme l’aviation civile, le secteur ferroviaire ou les infrastructures critiques ne peuvent être éludées. Le secteur des véhicules connectés et autonomes pourrait aussi être concerné.

La Commission a déjà consenti des efforts concrets dans ce domaine (100 millions d’euros, pour le développement de puces et de récepteurs Galileo), mais les premiers services vont donc être lancés sans que le terminal n’existe de manière généralisée. Vos co-rapporteurs ont pleinement conscience que l’imposition de mandats d’emport est contraire à l’approche traditionnelle de la Commission européenne et suscitera donc sans doute de fortes réticences. Ils rappellent néanmoins l’exigence, encore accrue depuis le vote britannique du 23 juin, d’une « Union plus efficace par la preuve ». À tout le moins, le secteur public pourrait jouer un rôle d’aiguillon sur ce sujet, avec une plateforme de test technologique, à l’image de ce qui s’est passé pour la voiture électrique.

● Lancée en 1998, l’initiative GMES (Global Monitoring for Environment and Security) de surveillance mondiale de l’environnement et de la sécurité Copernicus s’appuie sur quatre « piliers » :

- une composante spatiale (constituée de satellites d’observation du sol, des océans et de l’atmosphère),

- une composante in situ (constituée d’instruments de mesure au sol ou aériens mesurant des paramètres relatifs à l’état des océans, du sol et de l’atmosphère),

- une composante normalisation et harmonisation des données,

- une composante de services à l’utilisateur, avec thématiques liés à l’information environnementale : la surveillance des territoires, des océans, de l’atmosphère, du climat, la gestion des urgences et l’appui à la sécurité.

En développant des capacités de surveillance opérationnelle des milieux aux échelles globale et régionale, il joue donc un rôle stratégique pour l’environnement, dans des domaines aussi divers que la composition de l’atmosphère (aérosols, gaz à effet de serre), l’océanographie, l’occupation des sols et la gestion des territoires, le déploiement de services d’urgence et la gestion des risques, mais également le suivi du changement climatique. Ce programme est ainsi la principale contribution européenne au groupe intergouvernemental pour l’observation de la Terre.

● Longtemps dans l’ombre de Galileo, Copernicus s’affirme aujourd’hui comme le porte-drapeau de l’Union en matière spatiale.

Des accords de délégation pour la coordination des services ont été conclus avec l’Agence européenne de l’environnement et le Centre commun de recherche (JRC) pour le service Terre, et avec ce dernier seulement pour le service Urgence, avec Mercator-Océan pour le service Océan, avec le Centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme pour les services Atmosphère et Changement Climatique. Les discussions ont été finalisées pour le service Sécurité avec Frontex (composante surveillance des frontières) et l’Agence européenne pour la sécurité maritime (composante sécurité maritime).

La composante spatiale du programme Copernicus

La composante spatiale absorbe entre environ deux tiers du budget du programme, articulé autour de plusieurs missions appelées « Sentinelles ». Les dépenses sont aujourd’hui partagées entre l’ESA et l’UE : l’ESA a financé le développement des cinq modèles Sentinel, chacun comprenant un prototype de vol et le modèle de vol, appelés A et B respectivement. L’UE financera les modèles C et D.

Sentinel-1 : fourniture d’imagerie radar tout-temps, jour et nuit, à des fins d’observation du sol et des océans. Sentinel-1A a été lancé le 3 avril 2014 et Sentinel-1B le 26 avril 2016.

Sentinel-2 : fourniture d’imagerie optique haute résolution pour l’observation des sols (utilisation des sols, végétation, zones côtières, fleuves, etc.). Ces données peuvent aider les agriculteurs dans la surveillance des changements de la végétation et des cultures au cours de la période végétative.Sentinel-2 sera également utile pour la mise en place de services de traitement de l’urgence, qu’il s’agisse d’accidents d’origine humaine ou de catastrophes naturelles. Le premier satellite Sentinel-2A a été lancé dans la nuit du 22 au 23 juin 2015. Le satellite Sentinel-2B sera lancé fin 2016 ou au printemps 2017.

Sentinel-3 : surveillance mondiale des océans et des sols. Le lancement du premier satellite Sentinel-3A s’est déroulé le 16 février 2016 ; son jumeau, Sentinelle, 3B, doit être lancé en 2017.

Sentinel-4 : embarqué comme charge utile sur un satellite EUMETSAT Météosat de Troisième Génération (MTG) , Sentinel-4 fournira des données sur la composition de l’atmosphère. Il sera lancé en 2018.

Sentinel-5 : fourniture de données sur la composition de l’atmosphère. Sentinel-5 sera lancé en 2019 sur un satellite Système polaire d’EUMETSAT – Deuxième génération (EPS-SG). Le lancement du satellite 5 P devrait intervenir à la fin de cette année.

Après une série de lancements réussis ces derniers mois, les satellites Sentinel délivrent des premiers services de qualité, et le nombre d’utilisateurs augmente régulièrement : 3,5 millions de produits ont été distribués à 25 000 utilisateurs enregistrés.

● Piloté par la Commission européenne, cofinancé par le budget de l’Union et par l’Agence spatiale européenne, il intègre aussi des composantes nationales (en particulier données in situ et services existants).

Environ 3,4 milliards d’euros ont été investis pendant la phase préparatoire entre 2003 et 2013 (la contribution de l’UE venant essentiellement du budget espace des 6e et 7e programme-cadre de recherche et développement technologique et, pour une moindre mesure, d’un budget dédié pour la période 2011 – 2013).

Pour la phase de déploiement opérationnel, avec à partir de 2014, la montée en puissance du segment spatial et la mise en place de ses différents services, le budget adopté par le Conseil européen le 8 février 2013 pour la période 2014-2020, d’un montant de 3,786 milliards d’euros, a été réduit de manière significative (– 35 %) par rapport à la demande initiale de la Commission européenne (– 35 %), ce qui a conduit à étaler le déploiement des satellites et ne permet plus le financement de la prochaine génération des Sentinelles sur fonds de l’Union.

L’objectif de Copernicus étant in fine bien les services, un bon niveau de financement doit donc, pour vos co-rapporteurs, être assuré pour sa composante spatiale, qui est le moyen d’atteindre cet objectif.

D’autre part, si la composante in situ est fournie par et à la charge des États membres, des manques ont été identifiés, principalement dans la diffusion des données dans le cadre du segment « Sol » du programme (c’est-à-dire les entités en charge de la réception des télémesures en provenance du satellite, ainsi que de la fourniture de données et de services aux utilisateurs scientifiques), opéré par l’ESA.

Face à l’accroissement des données concernées, il est envisagé d’intégrer les initiatives des États membres en faveur de la réception et diffusions des données satellitaires, mais le programme - et donc le budget de l’Union- devrait pouvoir prendre en charge tout ou partie de ces manques.

●  La présentation de Copernicus comme un programme spatial ne permet pas de valoriser au mieux les services qui lui sont associés. L’enjeu consiste donc à définir un cadre de distribution des données adapté, qui permette d’éviter les écueils rencontrés par le programme français d’observation de la terre Spot, dont le plein succès technique s’est pourtant accompagné d’un relatif succès commercial.

Les données (brutes) et les informations produites dans le cadre de Copernicus sont mises à disposition avec un accès total, ouvert et gratuit. Ce sont des conditions d’accès aux données et informations analogues à celles de programmes similaires, comme le programme américain Landsat.

Visant ainsi à encourager leur utilisation et de renforcer les marchés européens de l’observation de la Terre, en particulier le secteur aval, ces données sont pourtant beaucoup plus utilisées en dehors de l’Union qu’à l’intérieur de cette dernière... Les géants du numérique (Google, Amazon) représentent la majeure partie des téléchargements de données Copernicus, à partir d’une infrastructure pourtant financées sur des fonds européens !

Outre l’absence d’un intégrateur de données européen comparable en taille avec ces acteurs américains et donc capable de rivaliser avec ces derniers, un autre facteur mentionné par les interlocuteurs de vos co-rapporteurs a été une relative difficulté d’accès aux données, notamment pour les PME.

C’est une question qui doit être abordée par la future Stratégie de la Commission, à la fois pour des raisons opérationnelles mais aussi pour des raisons politiques, à l’orée de la discussion sur l’examen à mi-parcours des perspectives financières, afin de justifier les soutiens politiques absolument nécessaires à la sécurisation des fonds concernés.

Dans son référé adressé au Premier ministre sur la contribution de la France au programme spatial européen d’observation de la Terre en avril dernier (12) , la Cour des comptes souligne qu’il est crucial « que ce programme serve en premier lieu le secteur aval européen et ses différentes communautés d’utilisateurs » et que si les discussions globales engagées par la Commission européenne avec Google pour tenter de trouver un accord devaient échouer, alors « une révision de la politique de diffusion libre et gratuite de ces données devrait s’imposer ».

Pour vos co-rapporteurs, il s’agirait d’une évolution peu cohérente avec la politique générale d’ouverture de l’accès aux données publiques menée aussi bien au niveau européen que par la France. C’est bien plutôt par le développement d’un système de distribution assurant le meilleur accès pour tous les utilisateurs européens que ce paradoxe pourra être réglé, et les grands acteurs du numérique contrés sur le terrain des mégadonnées.

Si le rôle des puissances publiques reste central dans l’économie du spatial, l’accent aujourd’hui mis sur les services commerciaux pour consolider l’acquis des infrastructures implique de trouver un nouvel équilibre entre les différents acteurs.

L’Europe spatiale a longtemps pensé l’offre (les infrastructures) sans prendre en compte l’impact de ces dernières sur la demande, ni l’inverse d’ailleurs.

Une telle segmentation – si elle a permis à l’Europe de disposer aujourd’hui d’une offre d’infrastructures spatiale à la qualité reconnue –, n’est pas la manière la plus efficience de développer le secteur applicatif. Le développement futur des programmes spatiaux européens devrait être orienté vers l’utilisateur et reposer sur les besoins des utilisateurs des secteurs public, privé et scientifique, tout en maintenant un fort soutien des autorités publiques au secteur amont, dont la robustesse est une condition essentielle de l’existence d’un secteur aval guidé par la demande, notamment privée.

À cette fin, une double approche devrait être privilégiée, pour vos co-rapporteurs, qui conjugue :

- d’une part, une approche « thématique » à une inclusion croissante des acteurs, via des « boosters  » ou « clusters ». La première favorisera la prise en compte du spatial dès l’élaboration des politiques sectorielles (agriculture, transports, lutte contre le changement climatique, en particulier, mais le marché intérieur et l’agenda numérique sont également concernés), via la mise en place de « projets pilote » ou l’organisation de forums d’utilisateurs afin de favoriser l’accès aux données spatiales pour des secteurs donnés, etc., et doit s’accompagner pour cela de la mise en relation des acteurs des secteurs spatial et numérique avec d’autres acteurs économiques, avec de nouveaux partenariats entre le secteur public et les acteurs privés ;

- d’autre part, un soutien aux outils de production industriels à un soutien à l’acquisition de services spatiaux. La proposition de l’ESA de mise en place d’une centrale d’achat de services spatiaux au niveau de l’Union, permettant à la fois de satisfaire les besoins des différentes directions générales en matière de données spatiales, d’offrir une visibilité de long terme aux fournisseurs de données et de constituer une masse critique nécessaire à la viabilité de certaines applications dérivées de données spatiales mérite un examen attentif. Cette initiative pourrait être financée par des mécanismes nouveaux, en sortant d’une logique d’acquisition patrimoniale pour aller vers une logique de services.

Le rôle de l’outil spatial en matière de compréhension du climat et de ses changements est aujourd’hui reconnu : ce sont les satellites qui ont mis en évidence le réchauffement climatique et l’augmentation du niveau moyen des océans.

Les satellites océanographiques portés par la France (TOPEX-Poséidon lancé en dès 1992 puis Jason 1, Jason 2 et Jason 3 - lancé le 18 janvier dernier avec succès – qui ont pris sa suite) ont mis en évidence l’augmentation du niveau moyen des océans de 3,2 millimètres par an, ce qui est considérable à l’échelle de la planète grâce à ces données, continues depuis vingt-quatre ans.

Après l’Accord de Paris, le spatial a un rôle à jouer nouveau et tout aussi essentiel dans la lutte contre le changement climatique : en contribuant à mesurer les concentrations de gaz à effet de serre, les observations depuis l’espace sont un outil majeur pour vérifier le respect des décisions et engagements internationaux en matière de réduction des émissions pris lors de la COP 21. Les technologies sont matures, le coût de tels satellites reste relativement modeste.

Or l’Europe est la dernière grande puissance mondiale à ne pas avoir pris d’initiative dans ce domaine : les États-Unis et le Japon ont déjà des satellites opérationnels dans ce domaine, la Chine se prépare à le faire.

La France a pour sa part décidé de lancer deux programmes de mesure des gaz à effet de serre (MicroCarb, pour l’observation du gaz carbonique et Merlin, pour l’observation du méthane, développé, lui, avec l’Allemagne), selon une approche de partage de données avec l’ensemble des agences spatiales de la planète. En avril à l’initiative du CNES, qui porte ces deux projets, une réunion des chefs d’agence a rassemblé l’administrateur de la NASA, le président de l’Agence spatiale indienne, le directeur général de l’Agence spatiale européenne, des représentants des agences chinoise, japonaise et d’autres puissances spatiales.

L’Europe ne peut pas rester indifférente à ce nouvel écosystème mondial du climat en gestation, elle doit prendre sur ce sujet une initiative innovante dans la Stratégie spatiale pour l’Europe, avec une feuille de route en matière d’observation du climat et de ses déterminants, dont l’objectif serait une nouvelle constellation de satellites, pour la mesure des gaz à effet de serre.

CONCLUSION

Le programme scientifique spatial européen, porté principalement par l’ESA avec le soutien des agences et des laboratoires nationaux, a engrangé des succès retentissants au niveau mondial : l’atterrissage du robot Philae, l’apport du satellite Mars Express en orbite autour de Mars, etc et cela devrait continuer : la théorie de la relativité générale, qui règne sans partage, avec son absolue et irritante perfection, sur la moitié du monde sensible, va peut-être être invalidée par la mission du CNES de physique fondamentale portée par le satellite Microscope.

Pour les sciences de l’Univers, l’enjeu est de progresser grâce aux missions spatiales sur les questions fondamentales comme l’origine et l’évolution de l’Univers, l’émergence de la vie, le fonctionnement du système solaire, etc…Pour les sciences de la Terre, l’outil spatial est devenu incontournable, car il permet un suivi global, homogène et sur de longues périodes.

Il faut donc continuer à favoriser cette dynamique de la connaissance scientifique. La Stratégie devrait retenir deux axes prioritaires, le soutien aux technologies critiques, pour les infrastructures, et l’archivage, l’accès et l’exploitation scientifique des données, pour l’aval, en mobilisant le programme de recherche et développement H2020, et le suivant.

Outre la science, la plupart de ces missions, très exigeantes, font considérablement progresser les industriels en matière de compétences et de technologies : par exemple, la réalisation d’un miroir en carbure de silicium sur le satellite Hersell Planck pourrait ouvrir la voie à la réalisation de systèmes d’observations permanente de la Terre depuis l’orbite géostationnaire, de vraies « webcams de l’espace ».

Ces missions fascinent aussi le public, dont la curiosité et l’envie pour l’espace ont été récemment ravivées par une série de films hollywoodiens, Prometheus, en 2012, Gravity en 2013, Interstellar et Seul sur Mars en 2015.

C’est quand il est médiatisé que l’espace reconquiert l’opinion publique. Vos co-rapporteurs souhaitent donc qu’il soit pleinement tiré parti de la conjonction qui s’offre à l’Europe cet automne, avec les premiers services de Galileo, la Conférence de l’ESA, la publication de la Stratégie Spatiale pour l’Europe de la Commission, pour remettre au cœur le citoyen et lui offrir un avenir européen plein d’étoiles. C’est, après tout, bien l’image qui symbolise l’Europe sur notre drapeau, un cercle infini d’étoiles…

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 12 juillet 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Arnaud Richard. Je souhaite féliciter les rapporteurs pour cet exposé très complet, et aussi rappeler le rôle fondamental joué par Mme Geneviève Fioraso, Secrétaire d'État chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, entre 2012 et 2015.

Je m’interroge pour ma part sur la capacité réelle d’Ariane 6 à être à terme concurrentielle face à SpaceX, et sur l’état de notre préparation à l’après Ariane 6. Ma deuxième question porte, enfin, sur l’impact du Brexit sur l’ESA.

M. Philip Cordery. La politique spatiale est une politique clé au niveau européen car elle fonctionne, et vous avez eu raison de mettre en valeur cet aspect positif, c’est important aujourd’hui.

Je partage votre analyse sur l’importance, pour Galileo, de « transformer l’essai » des applications. La France est-elle en pole position à cet égard? Avez-vous des inquiétudes quant aux décisions à venir de la Conférence ministérielle de l’ESA en matière budgétaire ? Enfin, je crois comme vous que la Commission ne peut pas tout faire. La politique spatiale illustre à merveille les différents niveaux de gouvernance possible dans notre Europe, avec de l’intergouvernemental, du communautaire et des coopérations renforcées.

M. Bernard Deflesselles, co-rapporteur. La question du caractère concurrentiel d’Ariane 6, tout le monde la prend très au sérieux : il y a une logique industrielle de réduction des coûts, c’est un lanceur modulaire et évolutif je l’ai dit, l’analyse de marché et l’incertitude sur la réutilisation font de ce lanceur, pour les conditions de marché pour lesquels il a été défini, est pertinent. Mais il faut rester vigilants. Les acteurs le sont déjà, et nous demandons à l’Union européenne de participer aussi à cette « vigilance ».

M. Joaquim Pueyo, co-rapporteur. L’ESA est une agence intergouvernementale dont tous les membres ne sont pas membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni peut donc en rester membre en dépit de sa décision de sortir de l’Union européenne. »

CONCLUSIONS ADOPTÉES

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 4, paragraphe 3, et 189,

Vu le règlement (UE) nº 1285/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la mise en place et à l’exploitation des systèmes européens de radionavigation par satellite et abrogeant le règlement (CE) nº 876/2002 du Conseil et le règlement (CE) nº 683/2008 du Parlement européen et du Conseil,

Vu le règlement (UE) nº 377/2014 du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 établissant le programme Copernicus et abrogeant le règlement (UE) nº 911/2010,

Vu le règlement (UE) n° 512/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant le règlement (UE) n° 912/2010 établissant l’Agence du GNSS européen,

Vu la résolution du Conseil du 21 mai 2007 relative à la politique spatiale européenne (2007/C 136/01),

Vu les conclusions du Conseil du 26 mai 2014 vers une vision commune UE-ASE dans le domaine spatial pour renforcer la compétitivité,

Vu la décision n° 541/2014/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 établissant un cadre de soutien à la surveillance de l’espace et au suivi des objets en orbite,

Vu la communication de la Commission du 14 juin 2010 sur un plan d’action relatif aux applications basées sur le système mondial de radionavigation par satellite (GNSS) (COM(2010) 308),

Vu la communication de la Commission du 4 avril 2011 « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen » (COM(2011) 152),

Vu la communication de la Commission du 28 février 2013 « La politique industrielle spatiale de l’Union européenne - Libérer le potentiel de croissance économique dans le secteur spatial » (COM(2013) 108),

Vu la communication de la Commission du 19 avril 2016 « Initiative européenne sur l’informatique en nuage – Bâtir une économie compétitive des données et de la connaissance en Europe » (COM(2016) 178),

Vu les résolutions du Parlement européen du 8 juin 2016 sur, respectivement, l’ouverture d’un marché de l’espace et les capacités spatiales pour la sécurité et la défense en Europe,

Vu les conclusions, adoptées le 4 novembre 2014, par la commission des affaires européennes sur la politique spatiale européenne,

Vu la consultation publique, lancée par la Commission européenne le 19 avril 2016, sur la future Stratégie spatiale pour l’Europe,

Considérant que la politique spatiale est un élément essentiel de l’identité et de l’idéal européens, tant par l’autonomie stratégique qu’elle permet que par l’outil fondamental de cohésion européenne qu’elle représente à travers son apport au progrès scientifique et technique et sa participation à toutes les priorités politiques identifiées par la Commission européenne (la croissance économique et la création d’entreprises, la cohésion sociale et la création d’emplois, le marché unique numérique, les défis transnationaux, etc.),

Considérant la valeur de « l’Europe par l’exemple » dont témoignent en matière de coopération, au niveau de l’Union, la politique en matière de lanceurs ainsi que la réalisation des programmes spatiaux phares,

Considérant le grand nombre d’acteurs participant à la mise en œuvre de la politique spatiale européenne, notamment l’Agence spatiale européenne (ESA), la Commission européenne, les États membres, l’Agence du GNSS européen (GSA), l’Agence européenne de défense, les agences européennes dans les domaines de la sécurité, de l’environnement, des transports, mais aussi l’industrie,

Considérant que la mise en place et le maintien de capacités spatiales tant pour la sécurité et la défense en Europe qu’en matière économique et scientifique requièrent une coopération efficace et des synergies entre tous ces acteurs publics et privés, mais aussi avec d’autres institutions internationales,

Considérant l’évolution mondiale de l’offre de lanceurs ainsi que celle du marché des satellites de télécommunications et institutionnels, et leur impact respectif sur l’activité des lanceurs européens Ariane et Vega,

Considérant la réactivité manifestée par l’Agence spatiale européenne et les agences nationales, ainsi que par les acteurs industriels, et les efforts d’adaptation d’ores et déjà mis en œuvre par tous les acteurs,

Considérant le caractère opérationnel (système européen de navigation par recouvrement géostationnaire – EGNOS – et Copernicus) ou quasi opérationnel (Galileo) des deux programmes majeurs de l’Union européenne, dont les données sont ou seront très bientôt, respectivement, librement accessibles dans le monde entier,

Considérant toutefois que les investissements massifs consentis par l’Union européenne dans les infrastructures spatiales s’accompagnent d’une utilisation des applications et des services aval jusqu’à présent inférieure aux attentes,

1. Juge nécessaire une approche globale, intégrée et à long terme du secteur spatial au niveau de l’Union européenne et appelle la Commission européenne à retenir, pour sa Stratégie spatiale pour l’Europe, un triple objectif de maintien de la position éminente de l’Europe dans la hiérarchie des puissances spatiales, de maintien de la position dominante des lanceurs européens face à l’apparition de nouveaux concurrents soutenus avec force par des modèles de financement compétitifs – objectif essentiel tant pour le secteur civil que pour le secteur de la sécurité et de la défense –, et de contribution de la politique spatiale aux autres politiques de l’Union ainsi qu’aux enjeux majeurs de coopération internationale que sont la sécurité, le maintien de la paix et la lutte contre le changement climatique ;

2. Rappelle avec force le caractère indispensable d’une autonomie européenne pour l’accès à l’espace, les systèmes critiques et les applications duales, et demande en conséquence que, d’une part, cette Stratégie affirme le soutien institutionnel (fédération de la demande institutionnelle en vue d’atteindre une masse critique) et financier (avec notamment une participation au Port Spatial de l’Europe en Guyane) indispensables au maintien d’une filière européenne de lanceurs, et que, d’autre part, des conditions de concurrence équitable soient assurées à l’industrie spatiale européenne ;

3. Est d’avis que la politique spatiale doit, plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, être au service direct des femmes et des hommes européens, et qu’en conséquence la future Stratégie spatiale pour l’Europe doit apporter des réponses à la fois politiques et techniques au défi des applications spatiales, en replaçant l’expression des besoins au centre de celles-ci, d’une part, et en garantissant la continuité des données, d’autre part ;

4. Souligne le grand nombre d’acteurs participant à politique spatiale de l’Union et considère qu’un des enjeux majeurs de la future Stratégie est la mise en place d’un mécanisme de coordination institutionnelle afin de s’assurer d’une cohérence de leurs objectifs, de leurs moyens et de leurs calendriers de mise en œuvre ;

5. Considère que si le rôle des acteurs publics reste central dans l’économie du spatial, l’accent aujourd’hui mis sur les services commerciaux pour consolider l’acquis des infrastructures implique de trouver un nouvel équilibre entre les différents acteurs, et appelle donc à la définition dans cette Stratégie d’une nouvelle méthode, plus inclusive et permettant une « fertilisation croisée » entre secteurs et entre acteurs, s’appuyant sur les initiatives des États membres spatiaux, mais aussi à mettre l’accent sur le financement de la recherche et développement et à accepter, pour stimuler le secteur amont, de soutenir des systèmes précurseurs à vocation opérationnelle ;

6. Constate l’apport notable des réorganisations qui ont d’ores et déjà été opérées – et qui demeurent pertinentes aujourd’hui, dans un contexte pourtant mouvant –, qu’il s’agisse des projets de développement des lanceurs européens Ariane 6 et Vega C, de la redéfinition des rôles respectifs des agences (définition des besoins) et des industriels (définition des solutions) pour les lanceurs, de l’accélération de mise en orbite et la montée en puissance de la GSA, pour Galileo, mais note qu’il est nécessaire de faciliter l’accès aux données de Copernicus – aujourd’hui essentiellement utilisées par les plateformes numériques américaines – et s’inquiète du handicap que représente, pour Galileo, le retard pris dans sa mise en œuvre en dépit des avantages indéniables de ce dernier par rapport à ces concurrents (authentification, précision et fiabilité de haut niveau) ;

7. Considère en conséquence que la Stratégie devra inclure un plan d’action pour accélérer l’utilisation effective de ces deux constellations ainsi qu’un financement adapté – le coût des programmes Copernicus et Galileo est aujourd’hui bien au-delà des dotations budgétaires initiales , avec pour objectifs principaux :

- pour Galileo : faire de Galileo et EGNOS des standards mondiaux, y compris par le biais d’initiatives législatives comportant des mandats d’emport dans certains secteurs stratégiques comme l’aviation civile, le secteur ferroviaire ou les infrastructures critiques ; une mise en cohérence institutionnelle, avec la GSA ; la pérennisation du service, avec la préparation de la génération suivante de satellites ;

- pour Copernicus : étendre l’utilisation des données par les acteurs économiques et scientifiques, ainsi que par le grand public, européens ; anticiper sur la revue du programme, prévue en 2017, en esquissant des pistes d’évolution des missions ; pérenniser le service, avec la préparation de la génération suivante de satellites ;

8. Prend acte de l’éventail étendu des possibilités de financement existants (Horizon 2020, fonds structurels et d’investissement européens, fonds européen pour les investissements stratégiques) et appelle à soutenir en priorité l’émergence d’une filière européenne de production de composants et de sous-systèmes critiques, le développement d’outils permettant l’archivage, l’accès et l’exploitation, notamment scientifique, des données, selon une approche renouvelée (financements pluriannuels, concentration sur des projets plus ambitieux) susceptible d’aboutir à des démonstrateurs technologiques ;

9. Rappelle, six mois après la conclusion de l’Accord de Paris, le rôle établi du spatial en matière de compréhension du climat et de ses changements mais aussi encore à construire, à l’échelle européenne, en matière de contrôle du respect des décisions et engagements internationaux, alors que d’autres puissances spatiales ont déjà des outils opérationnels ou se préparent à le faire, et appelle l’Union européenne, les États membres et l’Agence spatiale européenne à continuer à faire vivre l’Europe spatiale à travers un nouveau projet européen, la contribution à la maîtrise du changement climatique par un programme de surveillance du climat depuis l’espace ;

10. Insiste, en matière de capacités duales, sur l’importance de la surveillance et du suivi dans l’espace en matière de gestion des débris spatiaux mais aussi de prévention des conflits, et invite, en priorité, l’Union européenne à améliorer, dans le cadre de cette Stratégie, les capteurs SST existants ainsi que leur gouvernance avec un programme doté d’un budget propre, tout en présentant une vision générale des initiatives duales fondée sur la complémentarité des acteurs concernés et prenant en compte les capacités développées par les États ainsi que les enjeux de souveraineté nationale ;

11. Est d’avis que l’Union européenne doit aussi prendre une part active dans l’élaboration d’un accord international qui fournisse une définition juridique des débris spatiaux, établisse des normes et des règles concernant leur élimination, et précise les aspects liés à la responsabilité ;

12. Souligne, enfin, l’absolue nécessité d’une appropriation de l’Europe spatiale par ceux qui en sont, in fine, les bénéficiaires ultimes, et suggère donc d’intensifier les efforts de communication, de valorisation et de vulgarisation scientifique. À cet égard, il serait particulièrement opportun d’utiliser la conjonction de la publication par la Commission de sa Stratégie, du lancement des services initiaux de Galileo et de la réunion de la Conférence ministérielle de l’ESA. »

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Entretiens à Paris

Agence spatiale européenne (ESA)

M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général

Airbus Defense and Space France *

M. François Auque, président

M. Nicolas Chamussy, directeur de cabinet du PDG Airbus Group et président désigné à compter du 30 juin 2016)

M. Alain Wagner, vice-président relations institutionnelles

Mme Annick Perrimond-Du Breuil, directeur des relations avec le Parlement

Airbus Safran Launcher (ASL) 

M. Charmeau, président

M. Jürgen Ackerman, secrétaire général 

M. Christian Döring, attaché de direction

Arianespace 

M. Stéphane Israël, président

Centre national d’études spatiales *

M. Jean-Yves Le Gall, président

Secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche

M. Gilles Rabin, Conseiller innovation et politique spatiale du Secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche

Mission à Berlin (14-15 janvier 2015) : entretiens avec

Dr. Karl-Friedrich Nagel, Directeur espace au Ministère fédéral de l’économie et de l’énergie (BMWi)

Dr. Stephan Hess, Directeur Aérospatial et Défense à la fédération de l’industrie Aérospatiale (BDLI)

S. E. M. Philippe Etienne, Ambassadeur de France en Allemagne,

Dr. Klaus-Peter Willsch, Président du groupe parlementaire Aérospatial et Défense au Bundestag

Mission à Rome (27-28 avril 2016) : entretiens avec

M. Fabrizio Bocchino, sénateur

M. Stefano Orlando, Président de Thales Italie

M. Elisio Prette, Président de Thales Alenia Space Italie

S. E. Mme l’Ambassadrice Catherine Colonna, accompagnée par M. Paul Hunsinger, ministre conseiller pour les affaires économiques et Mme Tiffany Ziller, attachée recherche et innovation

M. Giulio Ranzo, président-directeur général d’Avio

M. Pier Giuliano Lasagni, vice-président du conseil d’administration d’Avio

M. Sergio Scippio, directeur business et stratégies

M. Roberto Ciervo, directeur affaires générales et ressources humaines

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

1 () Communication sur la politique spatiale européenne, de MM. Bernard Deflesselles et Joaquim Pueyo, 4 novembre 2014

2 () Rapport n° 348 déposé le 7 novembre 2012 par Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs

3 () Rapport déposé au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la politique spatiale européenne : compte rendu de l’audition publique du 7 juillet 2015 et de la présentation des conclusions le 24 novembre 2015, par M. Jean-Yves Le Déaut, député, Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, le 25 novembre 2015 (n°3253)

4 () « Micro Satellite à traînée Compensée pour l’Observation du Principe d’Équivalence »

5 () Résolution du Parlement européen du 8 juin 2016 sur les capacités spatiales pour la sécurité et la défense en Europe (2015/2276(INI) et résolution du Parlement européen du 8 juin 2016 sur l'ouverture d'un marché de l'espace (2016/2731(RSP)

6 () Marché intérieur, Entreprises : Consultation publique sur une stratégie spatiale pour l’Europe, ouverte du 19 avril au 12 juillet 2016, https://ec.europa.eu/eusurvey/runner/SpaceStrategy

7 () Selon les vols à accomplir (notamment en raison de la masse à satelliser ou de l’orbite visée), le seul moyen pour SpaceX de récupérer son premier étage consiste à le poser en mer à plusieurs centaines de kilomètres du point d’envol car le carburant restant est en quantité insuffisante pour revenir près du pas de tir.

8 () Rapport d’information sur l’état du programme Galileo déposé, au nom de la Commission des affaires européennes, par M. Bernard Deflesselles, le 8 décembre 2009 (n° 2142).

9 () « Le programme Ariane 6 est excellent. Nous nous sommes portés candidats pour un premier lancement » Michel de Rosen, président d’Eutelsat Communications lors de la présentation des résultats du premier semestre 2015-2016, en février 2016. Air&Cosmos

10 () Le Règlement (UE) no 912/2010 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 établissant l’Agence du GNSS européen, abrogeant le règlement (CE) no 1321/2004 du Conseil sur les structures de gestion des programmes européens de radionavigation par satellite et modifiant le règlement (CE) n o 683/2008 du Parlement européen et du Conseil (dit règlement GNSS) prévoit une capacité opérationnelle complète le 31 décembre 2020.

11 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/c-rendus/c0270.asp

12 () https://www.ccomptes.fr/.../20160707-refere-S2016-1343-contribution-France-programme-Copernicus.pdf