N° 3975 - Rapport d'information de MM. Jacques Cresta et André Schneider déposé par la commission des affaires européennes sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique




N° 3975

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juillet 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Jacques CRESTA et André SCHNEIDER

Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

I. LA VULNÉRABILITE DE L’UNION EUROPÉENNE POUR SON APPROVISIONNEMENT EN GAZ L’A CONDUITE À ADOPTER UNE STRATÉGIE DEPUIS 2010 7

A. LE GAZ OCCUPE UNE PLACE VARIÉE SELON LE MIX ÉNERGÉTIQUE DES ÉTATS 7

1. Des États de l’Ouest relativement protégés d’une dépendance à un fournisseur exclusif 7

2. L’Europe de l’Est connaît une dépendance plus grande en raison de la quasi-totalité de son approvisionnement par un fournisseur unique 8

B. LES CRISES DE 2006 ET 2009 ONT MIS EN LUMIÈRE LE BESOIN DE MIEUX ASSURER LA SÉCURITÉ DE L’APPROVISIONNEMENT 9

1. Les crises de fourniture du gaz ont illustré le caractère stratégique de la sécurité de l’approvisionnement 9

2. Pour remédier à ces situations de vulnérabilité, les États de l’Union ont adopté plusieurs types de solutions 10

a. Une réponse pragmatique de routes alternatives 10

b. Le renforcement de la solidarité et de la coopération par voie législative 11

II. FACE AUX VULNÉRABILITÉS PERSISTANTES SOULIGNÉES PAR LES TESTS DE RÉSISTANCE, IL APPARAÎT IMPORTANT DE RENFORCER LA SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT DANS LE CADRE DE L’UNION DE L’ÉNERGIE 13

A. LA PERSISTANCE DE VULNÉRABILITÉS RELANCE LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ DE L’APPROVISIONNEMENT GAZIER 13

1. La stratégie européenne pour la sécurité énergétique 13

2. Les tests de résistance du système gazier 13

B. L’UNION DE L’ÉNERGIE PLACE LA SÉCURITÉ DE L’APPROVISIONNEMENT PARMI SES GRANDES PRIORITÉS 15

1. L’Union de l’énergie 15

2. Le paquet d’hiver cherche à dessiner une stratégie complète pour l’approvisionnement en gaz 16

a. Stratégie en matière de chauffage et de refroidissement 16

b. Stratégie relative au gaz naturel liquéfié et au stockage de gaz 17

c. La décision sur les accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie 17

d. Le règlement sur la sécurité d’approvisionnement en gaz 19

i. Une régionalisation de l’analyse et de la prévention des risques 19

ii. La clause de solidarité 20

iii. La poursuite des investissements pour accroître la proportion des flux bidirectionnels 21

iv. L’amélioration de la transparence et de l’information 22

3. Le paquet d’hiver est en voie d’examen et plusieurs dimensions doivent en être précisées et ajustées pour respecter au mieux la souveraineté des États membres 22

TRAVAUX DE LA COMMISSION 25

CONCLUSIONS ADOPTÉES 33

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 35

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 16 février 2016, la Commission européenne a présenté, dans le cadre de son « paquet d’hiver », une stratégie globale visant à préparer l’Union européenne à la transition énergétique mondiale, mais aussi à d’éventuelles coupures dans l’approvisionnement en gaz. Cette nouvelle initiative de l’Union de l’énergie répond donc à une double préoccupation, environnementale et géopolitique, qui a tout à voir avec les accords climatiques récemment signés, d’une part, et avec les crises qui ont pu agiter la périphérie de l’Union, d’autre part, non sans menacer celles-ci de sérieuses répercussions pour sa fourniture en gaz.

Les deux textes plus spécifiquement examinés par notre rapport témoignent de la volonté de l’Union de prendre acte des risques renouvelés qui pèsent sur son approvisionnement en gaz depuis la crise ukrainienne de 2014, mais sont également cohérents avec le programme dessiné par le projet d’Union de l’énergie, qui figure parmi les principales priorités politiques de la Commission Juncker et a suscité de nombreuses propositions législatives depuis 2014, et continuera d’en susciter jusqu’à la fin de la mandature.

Comme l’explique la Commission européenne, la stratégie pour une Union de l’énergie vise à fournir à une Union moins dépendante des approvisionnements extérieurs une électricité compétitive économiquement et plus compatible avec les objectifs environnementaux qu’elle s’est récemment fixés avec l’Accord de Paris.

Le paquet d’hiver comprend d’abord une proposition de règlement avec des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et abrogeant le règlement de 2010, dont elle souligne les progrès qu’il a permis d’accomplir mais également les insuffisances qui justifient ce nouveau texte. Grâce à ce règlement, la Commission veut en effet accroître la solidarité et la coopération régionale entre les États membres pour l’approvisionnement en gaz naturel. Régionalisation et solidarité sont les concepts maîtres de ce nouvel outil réglementaire, mais les États devront s’entendre sur le caractère véritablement opérationnel de ces notions, et pour cela, au préalable, sur des définitions précises.

Au sein de ce paquet, une nouvelle décision vise aussi à remplacer la décision adoptée par le Parlement européen et le Conseil le du 25 octobre 2012 et entrée en vigueur le 17 novembre 2012, qui établissait un mécanisme d’échange d’informations concernant les accords intergouvernementaux conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l’énergie. La principale caractéristique de ce mécanisme réside dans le fait que la Commission contrôle la conformité des accords intergouvernementaux passés entre les État membre et les pays tiers après la conclusion de ces accords. La Commission estime avoir acquis une expérience suffisante quant au fonctionnement du mécanisme pour en proposer des améliorations, qui reposent principalement sur un accroissement de son propre rôle dans la négociation et la passation de ces contrats. De nouvelles obligations de transparence et d’information sont également proposées, notamment pour les instruments non contraignants, afin de créer un des conditions de négociation plus claires, ce qui pourrait avantager des pays très dépendants d’un fournisseur extérieur unique.

Deux autres instruments, non législatifs sont également proposés dans le paquet d’hiver, qui donneront lieu à des propositions de réglementation ultérieures sur lesquelles il sera intéressant de revenir en temps utile. Il s’agit d’une stratégie pour le chauffage et le refroidissement, et d’une stratégie pour le gaz naturel liquéfié.

Alors qu’elle ne produit que 6,5 % de l’énergie mondiale, l’Union européenne en consommait encore 12,7 % en 2014, conservant une part d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) significative dans son mix énergétique, à hauteur de 73 % (1), dont 27 % pour le gaz. La dépendance énergétique de l’Union européenne est élevée par rapport aux autres régions du monde, et ne cesse de croître, alors que les États-Unis connaissent parallèlement une tendance inverse spectaculaire depuis la découverte et l’exploitation de gaz de schiste sur leur territoire.

Ces 53 % de la consommation d’énergie importés représentent une facture de plus d’un milliard d’euros par jour pour l’achat de combustibles fossiles (pétrole et gaz). Le taux de dépendance de l’Union monte à 63 % pour le gaz. Bien que la tendance de la consommation gazière européenne soit à la baisse, sa dépendance s’accroît en raison de réserves déclinantes et d’une production qui ralentit : la situation de l’Union est donc encore celle d’une grande dépendance, et potentiellement, d’une grande vulnérabilité, d’autant plus que 40 % des importations de gaz en 2013 proviennent d’un seul fournisseur, la Russie.

Les chiffres moyens pour l’approvisionnement en gaz de l’Union européenne cachent la grande diversité des situations nationales : les mix énergétiques variés des États membre recouvrent en effet une dépendance plus ou moins grande vis-à-vis des fournisseurs extérieurs, et une exclusivité plus ou moins poussée de ceux-ci sur les marchés. Pour cinq États membres, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie, la République tchèque et la Slovaquie, l’approvisionnement en gaz dépend du seul partenaire russe.

La France a un approvisionnement gazier diversifié, elle ne dépend ainsi que pour environ 15 % des importations de gaz russe. L’infrastructure gazière de la France dispose en effet de sept points d’interconnexion principaux et de trois terminaux méthaniers, ce qui lui donne accès au gaz provenant de mer du Nord, de Russie, des Pays-Bas, du Maghreb mais aussi plus généralement au marché international du gaz naturel liquéfié (GNL). Les analyses réalisées en 2014 sur la base de différents scénarios de crise envisagés dans le cadre des tests de résistance demandés par la Commission européenne (avec pour postulat la perte du transit à travers l’Ukraine ou de l’ensemble de l’approvisionnement russe) ont mis en évidence la bonne résilience du système gazier français.

Mais tous les États de l’Europe de l’Ouest ne présentent pas une situation semblable. Ainsi, l’Allemagne, et notamment depuis qu’elle a fait le choix de sortir du nucléaire, a vu la part des énergies fossiles croître dans sa consommation finale d’énergie et dans la production d’électricité. Cela l’expose d’autant plus aux problématiques de sécurité d’approvisionnement. Toutefois, en raison de son poids économique et de raisons historiques, le pays se trouve dans une position plus favorable quant à la négociation des contrats d’approvisionnement que ne peuvent l’être d’autres États membres. L’axe énergétique Moscou-Berlin/Bonn remonte aux années 1970 et à la volonté du chancelier Willy Brandt de développer les rapports économiques Est/Ouest. La relation avec le fournisseur russe peut s’envisager comme plus partenariale. L’entreprise Gazprom (dont l’Etat russe est actionnaire majoritaire) a par exemple créé en 1993 avec BASF (par le biais de sa filiale Wintershall, premier producteur allemand de gaz et de pétrole) une société mixte commune, Wingas, spécialisée dans la distribution de gaz en Allemagne et dans des pays voisins. Gazprom a grâce à cela accès aux consommateurs allemands finaux et à ceux d’autres pays, par le biais d’acquisitions réalisées par cette filière Wingas (2).

Bien que l’Europe de l’Ouest, qui bénéficie de sources d’approvisionnement plus diverses (Norvège, Méditerranée mais aussi approvisionnement par GNL), se trouve de manière générale dans une moindre dépendance que l’Europe de l’Est à l’égard du fournisseur russe (ainsi, l’Espagne ou le Royaume-Uni par exemple n’en importent pas), l’approvisionnement de plusieurs grands pays comme l’Allemagne ou l’Italie n’en repose pas moins largement sur celui-ci.

La partie la plus orientale de l’Union européenne est soumise à une dépendance beaucoup plus grande pour la fourniture de son approvisionnement énergétique, qu’il s’agisse du gaz ou du pétrole. Il n’est qu’à souligner l’appel en 2014 de Donald Tusk, alors Premier ministre de la Pologne, à créer une véritable Union de l’énergie, qui reposait largement sur le constat de cette dépendance et de la vulnérabilité qu’elle signifiait pour les pays importateurs en cas de rupture d’approvisionnement. Cette proposition d’Union de l’énergie, portée par le couple franco-polonais, et qui relayait l’idée de Communauté de l’énergie telle qu’elle avait d’abord été présentée par Jacques Delors, trouve un certain aboutissement dans le paquet d’hiver 2016 sur la sécurité énergétique, dont l’un des buts affirmés est précisément de créer des conditions de négociations plus favorables au bloc européen grâce à l’appui renforcé de la Commission en amont de la conclusion des contrats de fourniture. Si la Commission ne retient pas l’idée d’une centrale d’achat européenne du gaz (tout au plus prévoit-elle cette possibilité), la réaffirmation d’un principe de solidarité en cas de crise et l’appel à la constitution d’une certaine régionalisation vont dans le sens de la proposition franco-polonaise.

La dépendance au gaz russe est relativement bien corrélée à la proximité géographique avec la Russie : pour dix pays de l’Union, le voisin russe est le principal fournisseur, et pour cinq d’entre eux, il est l’unique pourvoyeur de gaz. Cette proximité et cette dépendance s’inscrivent dans une continuité historique, puisqu’à l’époque de l’Union soviétique, la Russie jouait déjà le rôle de réserve énergétique. Toutefois, avec l’entrée dans l’Union européenne, les anciens partenaires ne jouissent plus de conditions aussi favorables, et redoutent cette exclusivité, les pays Baltes, la Finlande et la Bulgarie atteignant un taux de 100 % de gaz consommé provenant de Russie. L’importance du gaz dans le mix énergétique de certains des pays essentiellement fournis par la Russie peut être relativisée, ce qui réduit la gravité du danger de rupture d’approvisionnement. Néanmoins, cette situation de grande dépendance crée une vulnérabilité inutile dans le contexte d’une Union européenne qui gagnerait sans doute à adopter une position moins éclatée sur ces questions.

En 2006, puis en 2009, les troubles intervenus entre la Russie et l’Ukraine ont eu de sérieuses répercussions sur l’approvisionnement énergétique en Europe.

En 2006, le conflit portait sur le prix du gaz facturé par la Russie à l’Ukraine, désormais reconnue comme une économie de marché, et sur une accusation de prélèvement illégal par l’Ukraine sur le gaz à destination de l’Europe de l’Ouest. La Russie souhaitait donc, d’une part, revoir ses tarifs à la hausse, et accusait par ailleurs l’Ukraine de revendre à l’Europe une part du gaz qui lui était destiné, et qu’elle achetait à un prix inférieur au prix de revente, ceci afin de réaliser une plus-value sur le surplus revendu. Après plusieurs mois de contentieux entre Gazprom et Naftogaz, la compagnie russe finit par ne laisser passer que le gaz à destination de l’Europe de l’Ouest. L’insuffisance de l’approvisionnement ainsi opéré démontra que l’Ukraine avait effectivement réalisé une revente illégale et internationalisa le conflit, qui fut résolu par un accord russo-ukrainien après que l’Ukraine eut cédé.

La crise de 2009 porte à nouveau sur les tarifs de vente de gaz de la Russie à l’Ukraine, négociés annuellement entre les deux pays, et sur une dette invoquée par la Russie. Cette nouvelle crise a été plus grave, puisque les approvisionnements vers l’Europe ont cette fois été totalement interrompus le 7 janvier, certains pays connaissant de véritables pénuries aux sérieuses répercussions économiques. Pendant plus de dix jours, l’incertitude a régné sur la reprise des livraisons et les pays d’Europe centrale sont demeurés dans l’attente d’un règlement du différend, qui n’est intervenu par la signature d’un nouvel accord que le 19 janvier. Cet accord peu transparent, et dont la remise en cause régulière faisait douter de la solidité, n’est toutefois pas de nature à dissiper complètement les craintes de l’Europe orientale, et le gaz est définitivement apparu comme un moyen de pression privilégié du géant russe envers ses voisins. En 2009, l’Ukraine transportait encore 70 % des flux gaziers russes vers l’Europe, et pour certains pays comme la Slovaquie, la dépendance était totale envers ces flux de gaz.

Les crises du gaz de 2006 et 2009 ont agi comme un rappel douloureux de la situation de grande dépendance dans laquelle se trouvaient certains États européens pour leur approvisionnement en gaz, soumis à des aléas de nature très politique et sur lesquels l’Union avait peu de prise.

Face à cette situation, les réponses ont été de plusieurs ordres, sans toujours faire l’objet d’une réelle concertation entre tous les États membres. Certains d’entre eux ont en effet choisi de dupliquer la route d’approvisionnement du gaz russe pour éviter d’emprunter le corridor ukrainien, de façon à se mettre à l’abri de possibles nouveaux conflits russo-ukrainiens dans le futur. C’est le sens du projet Nord Stream, qui alimente l’Europe de l’Ouest, et en premier lieu l’Allemagne. Nord Stream achemine sur 1 220 km 55 Gm3/an de gaz naturel de la Russie au nord de l’Allemagne par la mer Baltique avec deux canalisations mises en service en 2011 et 2012, qui réduisent d’autant la dépendance au transit via l’Ukraine par rapport à son niveau de la crise de janvier 2009.

Un autre projet, le projet de gazoduc South Stream, devait permettre de contourner l’Ukraine pour apporter du gaz vers l’Europe de l’Ouest en passant par les mers Noire et Adriatique. Le projet a toutefois été abandonné par la Russie en décembre 2014 à la suite de désaccords avec l’Union européenne, qui contestait la légalité des contrats passés avec certains des États membres pour le passage du gazoduc (notamment avec la Roumanie et la Bulgarie).

Au niveau de la législation européenne, c’est le règlement (UE) n° 994/2010 de 2010 qui prend acte de la nécessité de renforcer la sécurité d’approvisionnement avec un certain nombre de dispositions importantes, en assurant la prévention et une action coordonnée en cas de rupture d’approvisionnement et en garantissant le fonctionnement correct et continu du marché intérieur du gaz naturel.

Le règlement de 2010 renforce le cadre commun instauré par la directive de 2004 pour que la sécurité de l’approvisionnement devienne une responsabilité partagée des entreprises de gaz naturel, des pays de l’Union européenne et de la Commission. La directive avait établi pour la première fois en 2004 un cadre juridique à l’échelon communautaire visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz et à contribuer au bon fonctionnement du marché en cas de ruptures d’approvisionnement. Elle a institué le groupe de coordination pour le gaz, qui s’est révélé un instrument très utile pour échanger des informations et définir des actions communes entre les États membres, la Commission, le secteur du gaz et les consommateurs. Le réseau européen des correspondants pour la sécurité énergétique, approuvé par le Conseil européen de décembre 2006, a lui permis d’améliorer la capacité de recueillir des informations et a fourni un système d’alerte précoce en cas de menaces potentielles pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique.

Le règlement de 2010 va plus loin que la directive de 2004, en s’efforçant d’intégrer les éléments qui n’ont pas permis d’éviter les crises de 2006 et 2009. Tout d’abord, il fixe des normes communes en matière d’approvisionnement. Il instaure le critère du N-1 comme un standard pour les infrastructures. Ce critère signifie que dans le cas d’une défaillance de la plus grande infrastructure gazière, la capacité des infrastructures restantes d’un État, déterminée selon une formule N-1 définie dans le règlement, doit être en mesure de satisfaire la demande totale de gaz de la zone couverte pendant une journée de demande en gaz exceptionnellement élevée, se produisant avec une probabilité statistique d’une fois en vingt ans.

Ensuite, le règlement vise à instaurer des capacités bidirectionnelles du gaz sur tous les points majeurs d’interconnexion, sauf exemption spécifique (dont bénéficie par exemple la France en raison de l’odorisation de son gaz, la création de flux rebours nécessitant alors de très lourds investissements peu justifiables économiquement). La création de ces capacités bidirectionnelles doit permettre des flux rebours du gaz : en cas de défaut d’approvisionnement du gaz venant de l’Est, on pourrait rediriger du gaz de l’Ouest vers l’Est par exemple.

Le règlement énonce un concept commun pour les clients dont l’approvisionnement en gaz doit être protégé. Tous les ménages sont des clients protégés. Les pays de l’Union peuvent également inclure dans la catégorie des clients protégés les petites et moyennes entreprises et les services sociaux essentiels (à la condition que ces clients supplémentaires ne représentent pas plus de 20 % de la consommation finale de gaz) et/ou les installations de chauffage urbain.

Pour agir en amont de la survenance des crises d’approvisionnement, le règlement instaure l’obligation pour les États de faire réaliser par l’autorité nationale compétente une analyse des risques, un plan d’action préventif et un plan de mesures d’urgence. Ces plans, évalués par la Commission et le groupe de coordination pour le gaz, devaient être soumis à une révision tous les deux ans.

Le règlement prévoyait également un mécanisme transparent, dans un esprit de solidarité, pour la coordination de la réaction à une situation d’urgence au niveau national, régional et européen. La Commission pouvait déclarer une urgence au niveau européen ou régional à la demande d’une autorité compétente qui a déclaré une urgence. Lorsqu’une demande provenait d’au moins deux autorités compétentes, la Commission pouvait déclarer une urgence au niveau de l’Union ou au niveau régional.

Toutes ces mesures ont sans conteste permis d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne. Pourtant, deux ans après la mise en œuvre du règlement, et à la lumière de nouvelles menaces, la Commission a décidé de renforcer ce cadre concomitamment au lancement de l’Union de l’énergie.

La sécurité d’approvisionnement figure comme un objectif à part entière de l’Union de l’énergie. Il faut sans doute rappeler à cet égard l’impulsion donnée par l’appel du Premier ministre polonais d’alors, M. Donald Tusk, en faveur d’une communauté européenne de l’énergie, appel relayé par le Président Hollande. En effet, Donald Tusk soulignait dès avril 2014 que l’Union européenne avait besoin d’une stratégie énergétique plus volontaire et qu’elle ne pouvait continuer à s’exposer à des pénuries alors que la situation russo-ukrainienne connaissait de nouvelles, et de plus graves, détériorations.

Dès mai 2014, une Stratégie européenne de sécurité énergétique est adoptée, dans la lignée du règlement de 2010 et à l'aune de la dégradation dramatique des relations entre l'Ukraine et la Russie. Cette stratégie insiste d'abord sur la grande dépendance de certains pays, particulièrement à l'Est et dans la région baltique : « six États membres dépendent de la Russie en tant que fournisseur extérieur unique pour la totalité de leurs importations de gaz et, pour trois d'entre eux, le gaz naturel couvre plus d'un quart des besoins énergétiques totaux. En 2013, les livraisons d'énergie par la Russie ont représenté 39 % des importations de gaz naturel de l'UE, soit 27 % de sa consommation de gaz. La Russie a exporté 71 % de son gaz en Europe, ses deux principaux clients étant l'Allemagne et l'Italie ».

La stratégie de 2014 reprend essentiellement les objectifs fixés par le règlement de 2010 : diversification des sources d'approvisionnement, révision des plans préventifs et des plans d'action d'urgence, amélioration des infrastructures existantes et création des interconnexions manquantes, mise en place de mécanismes de solidarité réactifs et efficaces, réduction de la demande et accroissement de l’efficacité énergétique.

Les tests de résistance constituent la première action concrète menée à partir de la stratégie énoncée en 2014. Il s'agit d'abord d'évaluer où résident les fragilités, quels sont les points les plus faibles du réseau gazier européen, et quelle est l'exposition des différents pays au risque de pénurie en cas de coupure de l'approvisionnement. La situation de conflit aggravé entre la Russie et l'Ukraine fait en effet peser la menace de nouvelles ruptures d'approvisionnement pour l'hiver 2014. Au début du mois de juillet 2014, la Commission a invité les États membres, les parties contractantes de la Communauté de l’énergie et la Géorgie, ainsi que la Suisse et la Turquie, à modéliser l’impact de divers scénarios possibles de perturbation de l'approvisionnement en gaz dans leur pays cet hiver, et à décrire les mesures prévues pour faire face aux pénuries d’approvisionnement. L’hypothèse d’une nouvelle perturbation en provenance de l’Est est alors plus que jamais d’actualité, au vu des troubles qui agitent l’Ukraine et la Russie.

La Commission a également demandé à la Norvège de faire état de sa capacité à réagir à une telle perturbation en augmentant ses livraisons de gaz. La Commission a proposé trois « groupes cibles » pour couvrir précisément les régions où les perturbations sont susceptibles d’avoir la plus grande incidence. Il s’agit du Sud-Est de l’Union (Bulgarie, Croatie, Grèce, Hongrie et Roumanie), des États baltes et de la Finlande, et des parties contractantes de la Communauté de l’énergie.

Pendant l'été 2014, les autorités nationales ont rassemblé les données et travaillé à l’évaluation des risques, de façon à présenter leur rapport à la Commission en août ou septembre 2014. Le réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport de gaz, l'ENTSOG a également participé à ces modélisations pour fournir son diagnostic, tout comme plusieurs associations d’entreprises, l’Agence internationale de l’énergie ou le G7 et d'autres partenaires.

Les scénarii proposés consistaient en la coupure de la route de transit du gaz ukrainien, ainsi que l'interruption des flux de gaz russe vers l’Europe pour des périodes d’un mois et de six mois (de septembre à février) dans l'hypothèse de conditions hivernales moyennes, dans chaque cas.

Les résultats de ces simulations ont confirmé, sans surprise, la plus grande exposition des pays de l’Europe du Sud-Est, de la Finlande et des États baltes aux risques de pénurie, ces pays montrant également les plus forts taux de dépendance. Selon la Commission, en l’absence d’approche coopérative et de mesures nationales supplémentaires, un manque de gaz de plus de 40 % était susceptible d’apparaître dans les deux cas à la fin de l’hiver pour les pays du sud-est de l’Union européenne, et, à un degré moindre, pour l’ensemble des pays de l’est de l’UE en cas de rupture totale d’approvisionnement.

L’adoption de mesures nationales et une approche coopérative basée sur le marché devraient réduire significativement l’impact d’une telle rupture d’approvisionnement. Des progrès ont depuis 2010 été réalisés dans l'installation de capacités bidirectionnelles (pour permettre des flux rebours) et dans la diversification des fournisseurs, et les mécanismes de solidarité semblaient pouvoir jouer un rôle plus important. Comme le soulignent Marie-Claire Aoun et Sylvie Cornot-Gandolphe : « entre 2009 et 2014, le nombre de points d’interconnexion bidirectionnels sur le réseau de transport gazier européen est passé de 24 % à 40 %, permettant à des pays comme la Pologne, la République Tchèque ou la Slovaquie d’être approvisionnés par l’Ouest de l’Europe » (3).

Le bilan des tests de résilience était donc en demi-teinte : des progrès avaient été clairement réalisés, certes, mais des améliorations restaient encore possibles. La politique gazière devait donc apparaître comme un élément clé de la stratégie européenne pour une Union de l’énergie.

Dès le début de sa mandature, la Commission Juncker a placé les sujets énergétiques au cœur de ses priorités, notamment en nommant un vice-président à l’Union de l’énergie, Marcos Sefcovic. Cette volonté de créer un cadre européen plus solide et plus solidaire dans le domaine de l’énergie s’est traduite par de nombreuses initiatives, prises dans la ligne des objectifs fixés à l’horizon 2030 par le second paquet énergie-climat adopté par le Conseil en octobre 2014 (à savoir, parvenir à une réduction de 40 % des émissions de CO2, une part de 27 % pour les énergies renouvelables et 27 % d’amélioration de l’efficacité énergétique).

Logiquement, la sécurité de l'approvisionnement est devenue l'un des volets essentiels de l'Union de l'énergie, et l'un des principes qui ont motivé son lancement, particulièrement à partir de la volonté de nouveaux États membres de mettre fin à leur situation de grande dépendance et de vulnérabilité. Le Vice-Président à l'Union de l'énergie est d'ailleurs un commissaire slovaque : il faut rappeler qu'en plein hiver 2009, la Slovaquie avait connu une rupture totale de son approvisionnement en gaz pendant près de deux semaines. La présidence slovaque de l’Union européenne du second semestre 2016 sera placée sous le signe d’une attention particulière placée sur le sujet de l’énergie.

Les différentes propositions législatives ou stratégiques s’inscrivent depuis dans les cinq volets fixés par la Commission : assurer la sécurité de l’approvisionnement ; parvenir à un marché intérieur de l’énergie totalement intégré ; favoriser l’efficacité énergétique ; œuvrer pour la réduction des émissions de carbone afin d’enrayer le changement climatique et soutenir la recherche et l’innovation. Ces cinq volets cherchent à concilier des objectifs environnementaux, économiques et stratégiques.

Le 16 février 2016, la Commission a annoncé un ensemble de mesures dans le secteur du gaz destiné à renforcer la sécurité énergétique européenne, tout en respectant les objectifs fixés par l’Accord de Paris de décembre 2015. Il s’agit d’accroître la capacité de l’Union à faire face aux crises par plusieurs canaux : par la modération de la demande, une production domestique plus importante, l’achèvement du marché intérieur du gaz, un choix plus grand de sources et de routes pour l’approvisionnement.

Le règlement et la décision, sur lesquels nous reviendrons plus précisément, visent également à renforcer la solidarité entre les États membres pour la prévention et la gestion des crises, et à donner plus de transparence au secteur en offrant à la Commission un droit de regard plus étendu sur les négociations et passations de contrats intergouvernementaux avec des États tiers.

Le paquet d’hiver se compose de quatre textes : deux textes sont de nature législative et constituent une réforme de textes précédents, deux textes présentent des stratégies dont les développements législatifs n’interviendront qu’ultérieurement.

Le chauffage et le refroidissement, dans les bâtiments et l’industrie, représentent près de la moitié de la consommation énergétique de l’Union européenne. En outre, la satisfaction de ces besoins fait appel aux combustibles fossiles à hauteur de 75 %. Il s’agit de gagner en efficacité énergétique et en sobriété afin de diminuer d’autant la dépendance de l’Union à ses approvisionnements extérieurs. Pour cela, la rénovation de bâtiments souvent anciens, mal isolés, l’installation de systèmes de chauffage plus performants et reposant davantage sur des sources d’énergie renouvelable, notamment par des incitations en direction des consommateurs, sont évoquées comme autant de directions à emprunter.

Cette stratégie pourrait permettre aux consommateurs européens de réduire leurs factures d’énergie, de créer des emplois non délocalisables pour le secteur du bâtiment et du chauffage/refroidissement, tout en réduisant les émissions de carbone dues aux énergies fossiles.

La stratégie annonce un plan ambitieux, qui pour entrer en vigueur devrait être suivi des révisions législatives de la directive sur l’efficacité énergétique, la directive sur la performance énergétique des bâtiments et l’initiative « Financement intelligent pour bâtiments intelligents » en 2016 ; la nouvelle organisation du marché de l’électricité et la proposition relative à un cadre concernant les énergies renouvelables en 2016.

Une série d'actions non législatives seront également proposées, parmi lesquelles : l’élaboration d’une panoplie de mesures destinées à faciliter la rénovation des immeubles comprenant plusieurs appartements ; la promotion de modèles d’efficacité énergétique éprouvés pour les bâtiments scolaires et les hôpitaux du secteur public et le développement des travaux de l'initiative de « renforcement des compétences » visant à améliorer la formation des professionnels de la construction, notamment grâce à un nouveau module destiné aux experts du secteur énergétique et aux architectes.

L’Europe est le plus gros importateur de gaz naturel au monde, avec une capacité d’importation globale de gaz naturel liquéfié (GNL) considérable. Ces importations ont suffi en 2015 à satisfaire environ 43 % de la demande de gaz européenne, sans que l’accès au GNL ne soit malheureusement uniforme selon les régions de l’Union. Pour développer l’accès au GNL comme source alternative d’approvisionnement en gaz en supprimant les disparités régionales, des infrastructures énergétiques doivent être construites.

Ces infrastructures devraient permettre d’accroître les capacités d’importation et de stockage du GNL, notamment pour le sud de l’Europe, et d’unifier le marché intérieur afin de créer les bons signaux de prix. La réalisation de ces projets demande toutefois de lourds investissements, dont on peut interroger la pertinence à la lumière des retombées économiques attendues dans les conditions actuelles du marché.

Le développement de partenariats avec les pays fournisseurs participe également à la diversification des sources d’approvisionnement qui rend la dépendance extérieure de l’Union moins problématique.

Concernant le financement, la stratégie prévoit que des fonds de l’Union tels que le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, pourraient y contribuer, tout comme des prêts de la BEI, notamment au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques.

Cette proposition de décision vise à modifier la décision antérieure de 2012, qui régissait déjà les accords liant un ou plusieurs États membres et un ou plusieurs États non-membres de l’Union, et qui a une incidence sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union et sur le fonctionnement du marché intérieur européen de l’énergie. Elle recouvre les accords intergouvernementaux et les engagements juridiquement non contraignants, tels que les déclarations politiques communes ou les protocoles d’accord, qui contiennent une interprétation du droit de l’Union, définissent les conditions applicables à un approvisionnement en énergie (le prix) ou au développement d’infrastructures énergétiques. Les accords intergouvernementaux relatifs aux questions nucléaires n'entrent pas dans le champ d'application de la décision puisqu'ils sont couverts par le traité Euratom.

La Commission avait introduit dans la décision de 2012 la possibilité pour les États membres de se faire assister par elle lors de la négociation de ces contrats. L’échec du projet South Stream, porté par Gazprom et dont certains contrats avec les États membres ne respectaient pas la réglementation européenne, notamment avec la Bulgarie, aura poussé la Commission à proposer cette décision modifiée.

En effet, en 2015, la Commission a réévalué la décision de 2012 et en a conclu que son efficacité était très limitée pour empêcher de telles incompatibilités en amont de la signature de contrats. Pour tous les accords intergouvernementaux notifiés, un tiers des accords relatifs à des infrastructures énergétiques ou à un approvisionnement en énergie contenaient des dispositions non conformes au droit de l’Union, situation d’autant plus préoccupante que ces contrats sont souvent de long ou très long terme. Il fallait donc améliorer le volet « préventif » de cette décision en imposant aux États membres des obligations de notifications préalables. La législation, dans son état actuel, n'impose aux États membres de notifier à la Commission leurs accords dans le domaine de l'énergie passés avec des pays tiers qu'après leur conclusion, alors qu’il est déjà trop tard pour en renégocier les termes.

Sur cette décision, la France s’était opposée à l’intervention obligatoire de la Commission pendant la période de négociation, notant qu’il était de la responsabilité des États membres de vérifier la compatibilité des accords avec le droit interne de l’Union. La position de prudence de la France, qui estimait que la décision précédente était suffisamment récente et efficace pour ne pas être révisée, concernait notamment la transmission des documents non contraignants à la Commission, qui laissait craindre une extension trop importante des pouvoirs de celle-ci dans d’autres domaines de négociation internationale.

Les rapporteurs partagent la réserve française sur l’extension du rôle de la Commission au détriment des États, et ont donc accueilli avec satisfaction l’orientation générale de compromis finalement adoptée lors du Conseil du 6 juin, et qui devrait être présentée au Parlement européen à la rentrée.

L’orientation générale circonscrit l’évaluation ex ante obligatoire de la Commission strictement aux accords concernant le gaz, les instruments non contraignants ne devront pas être notifiés. Comme dans le régime de la décision de 2012, les États membres pourront demander l'évaluation préalable d'autres accords intergouvernementaux qui ne sont pas liés au gaz. Les États membres tiendront la Commission informée de tous les accords intergouvernementaux, avant le début des négociations et régulièrement au cours de celles-ci.

Ce texte vise à réformer le règlement de 2010 afin d’accroître le niveau de sécurité de l’approvisionnement énergétique européen. Il tire donc les leçons des crises et menaces sur la fourniture en gaz survenues depuis l’adoption de la précédente réglementation, ainsi que des insuffisances révélées par les tests de résistance de l’été 2014.

Pour parvenir à améliorer la sécurité énergétique au sein de l’Union, le nouveau règlement propose une approche basée sur quatre axes principaux.

Une meilleure coopération régionale est mise en avant comme un prérequis indispensable au renforcement de l’Union de l’énergie pour le domaine du gaz : les tests de résistance ont en effet montré que la capacité des États à faire face à de nouvelles ruptures d’approvisionnement était largement tributaire de leur aptitude à mobiliser les ressources de façon plus coordonnée et plus solidaire.

La Commission propose donc que les plans d’évaluation des risques, les plans d’action préventifs et les plans d’urgence soient désormais également élaborés au niveau régional et qu’ils soient mis à jour tous les quatre ans. Des modèles communs permettraient de standardiser ces plans afin d’obtenir un niveau d’information plus homogène dans l’Union. Jusqu’à présent, les plans étaient élaborés au niveau national par les autorités responsables désignées par chaque État membre. Vos rapporteurs souhaitent souligner le fait que le règlement ne précise pas quelle serait l’autorité chef de file pour l’élaboration de ces plans, ni (et cela semble plus préoccupant) leur mise en œuvre en cas de besoin, ce qui pose un problème assez crucial de responsabilité.

En outre, les groupes régionaux tels que définis dans l’annexe du règlement sont contestés par plusieurs États membres, dont la France, pour leur pertinence en matière de risques. La composition sur une base géographique de ces groupes apparaît donc comme problématique, et plutôt facteur de rigidité que de la flexibilité pourtant recherchée par le règlement.

Vos rapporteurs sont donc réservés sur cette forme d’organisation : une organisation selon le risque paraîtrait plus logique, tout comme l’a fait valoir la représentation française. Mais ce type d’approche pose également la question de la gouvernance et de la coordination de ces structures, et de la possibilité d’un certain foisonnement (s’il y a un groupe régional par risque, comment éviter leur multiplication ? comment les articuler ?). Pour la gouvernance, la Commission a indiqué ne pas la définir plus précisément par respect pour une approche issue des États : elle ne souhaitait pas imposer de modèle prédéfini.

Les plans régionaux seront évalués par des groupes de pairs examinateurs par région, composés d’experts provenant des États membres autres que les États membres de la région concernée (jusqu’à cinq) et du réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). La Commission sélectionnera les membres de l’équipe et participera également, en qualité d’observateur, à l’examen par les pairs. Le rapport d’examen par les pairs sera présenté et discuté au sein du groupe de coordination pour le gaz afin d’assurer la cohérence des différents plans dans les différentes régions et dans l’ensemble de l’Union. Ce rapport sera également publié par la Commission.

On voit donc bien que si tous les États membres s’accordent sur le principe d’une régionalisation des approches afin de renforcer la cohésion européenne, la mise en œuvre apparaît comme délicate et soumise à débats, d’autant plus si l’on veut souscrire à la contrainte de minimiser les coûts administratifs et de ne pas faire se multiplier les structures.

Vos rapporteurs souhaitent quant à eux que soit privilégiée une approche sur la base du volontariat et du partage des risques, qui soit cohérente à la fois avec l’espace géographique et les modalités d’approvisionnement, et qui permette de jouer sur des complémentarités productives sans empiler les structures administratives.

Autre innovation importante, et très discutée du règlement, la clause de sécurité constitue une solution de dernier recours en situation d’urgence grave : la fourniture de gaz aux consommateurs protégés, à savoir les ménages et les services sociaux essentiels, dans l’État membre confronté à une situation d’urgence aura la priorité sur l’approvisionnement des consommateurs autres que les ménages et les services sociaux essentiels dans les États membres voisins.

En cas de situation d’urgence au niveau régional ou de l’Union, le règlement prévoit que la Commission assure l’échange d’informations en temps utile, en organisant des réunions du groupe de coordination pour le gaz ou d’un groupe de gestion de crise, son rôle d’appui et de mise en cohérence s’étendant alors aux actions menées à l’égard des pays tiers.

Vos rapporteurs souhaitent souligner qu’encore une fois le principe sous-jacent à une telle disposition ne saurait être contesté : la solidarité est à la base du projet européen, particulièrement dans son versant énergétique. La promotion et la défense de formes de solidarité renouvelées sont donc à la fois nécessaires et pertinentes. Toutefois, le règlement reste là aussi assez vague sur les modalités concrètes de l’application de ce principe en cas de crise. Ainsi, comment opérer cette fourniture du gaz au pays en situation de crise ? Les États-membres ne sont pas propriétaires du gaz, de quels moyens pourront-ils disposer pour engager les sociétés commerciales de distribution à fournir au prix de marché le gaz à des consommateurs d’un autre marché national ? Les accords techniques et administratifs bilatéraux dont il est question ne risquent pas de créer un foisonnement contraire à l’effort de coordination et de transparence affirmé par la régionalisation auxquels ils se juxtaposent ?

Cette disposition pose aussi le problème de possibles comportements non coopératifs : quelle incitation pour un États à engager les investissements utiles à l’approvisionnement en situation de pénurie s’il peut être approvisionné par ses voisins ?

De nombreux points restent donc à préciser, comme la forme juridique des accords qui seront nécessaires entre compagnies gazières privées des États membres pour la mise en œuvre de la fourniture de gaz ou le rôle de supervision de la Commission. L’articulation entre groupes régionaux de coopération et clause de solidarité n’est curieusement pas faite, même si les États sont incités à « convenir des arrangements techniques, juridiques et financiers pour appliquer le principe de solidarité et les inclure dans les plans d’urgence ».

Vos rapporteurs estiment que la cohérence et l’applicabilité du principe de solidarité sont à préciser, jusque dans des mesures très concrètes (par exemple, comment être sûr que les milliers de PME raccordées au réseau procéderont bien à la réduction de leur consommation en cas d’activation du principe de solidarité ?).

Le règlement de 2010 a permis de passer de 12 % de points d’interconnexion bidirectionnels en Europe à 40 %. Pour certains pays de l’Est de l’Europe très dépendants du fournisseur russe, la possibilité de ces flux rebours est déterminante quant à leur sécurité énergétique, car elle leur permet d’avoir accès à du gaz en provenance de l’Ouest.

Dans le nouveau règlement, l’obligation de doter les interconnexions de capacités bidirectionnelles sera plus forte, et les exemptions moins largement accordées. Toutefois, la décision reposera sur des analyses coûts/bénéfices réalisées par tous les pays concernés sur les corridors gaziers. La France n’ayant pas réalisé de flux bidirectionnel en raison de l’odorisation de son gaz, les mettre en œuvre présenterait donc un coût très élevé pour un risque minime. L’analyse coût/bénéfice lui est donc favorable. Les rapporteurs rappellent qu’il ne s’agit pas pour l’Union de l’énergie d’imposer toujours plus d’obligations aux États, particulièrement dans les zones ne souffrant pas de dangers de ruptures d’approvisionnement. À cet égard, ils partagent l’analyse néerlandaise selon laquelle les capacités de substitution d’une autre énergie au gaz devraient intervenir dans l’évaluation des risques pesant sur l’approvisionnement des États (par exemple, la Finlande, très dépendante du gaz russe, peut toutefois lui substituer sans grande difficulté une alternative pétrolière).

Les entreprises de gaz naturel devront informer automatiquement les États membres et la Commission de certains contrats pertinents en matière de sécurité d’approvisionnement dès leur conclusion ou leur modification. Ces informations doivent permettre aux États membres de prendre dûment en compte tous les problèmes potentiels recensés dans l’évaluation des risques et d’adopter les mesures préventives nécessaires dans le cadre des plans d’action préventifs et des plans d’urgence. La Commission pourra également demander la modification des plans sur la base des contrats notifiés.

Sur ces sujets, il s’agira de déterminer plus précisément l’étendue des pouvoirs de la Commission et de veiller à ce que ces règles soient compatibles avec la sécurité et la confidentialité de certaines informations commerciales. Cette question fait partie des points sensibles discutés par les États membres. Vos rapporteurs tiennent à rappeler qu’en matière de partage d’informations, la France assume déjà largement ses obligations.

La décision concernant les accords intergouvernementaux conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie a fait l’objet d’une orientation générale lors de la réunion du Conseil du 6 juin 2016, et devrait être débattue pour adoption par le Parlement européen à la rentrée.

Plusieurs dimensions essentielles du règlement restent à préciser, notamment dans leur versant opérationnel, et des positions assez tranchées se sont déjà dessinées depuis le début de la discussion dans les groupes de travail du Conseil. Les pays de l’Est de l’Europe, très dépendants de l’approvisionnement russe, soutiennent avec force les propositions de la Commission, notamment sur les groupes régionaux tels que proposés par l’annexe et s’opposent au principe d’une coopération plus souple telle que défendue par la France, qui a présenté un non –papier avec l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Autriche. Selon cette proposition, il s’agirait de regrouper les pays suivant les risques, d’adopter une approche basée sur une forme de coopération propre au risque. Mais selon les représentants de pays plus vulnérables, l’intérêt du découpage proposé par la Commission est qu’il permet de faire coexister au sein des groupes des pays avec des profils et des degrés de risque différents.

Concernant la possibilité des achats groupés, vos rapporteurs estiment que la simple option donnée aux États pourrait faire l’objet de développements plus importants et plus précis.

Enfin, vos rapporteurs souhaitent insister sur la difficulté liée à la coopération régionale dès lors que les mix énergétiques restent des choix de souveraineté nationale. S’il ne s’agit pas de remettre en cause la capacité des États membres à influer sur ces décisions hautement stratégiques, force est de constater qu’elles peuvent induire des choix parfois non-coopératifs aux répercussions bien réelles sur les États frontaliers.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 19 juillet 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« La présidente Danielle Auroi. Nous allons parler à présent de la politique énergétique européenne avec nos collègues André Schneider et Jacques Cresta.

M. André Schneider, co-rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues. Le rapport que nous vous présentons aujourd’hui, et les conclusions que nous soumettons à la Commission, portent sur un sujet régulièrement abordé dans notre enceinte et toujours autant d’actualité : l’Union de l’énergie. Nous avons souhaité, avec mon collègue Jacques Cresta, nous pencher de plus près sur le « paquet d’hiver » présenté par la Commission le 16 février 2016, qui porte sur la sécurité d’approvisionnement en gaz. Au sein de ce paquet, le règlement visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel et la décision sur l’échange d’informations dans les contrats intergouvernementaux ont retenu toute notre attention.

Mais pour bien saisir tous les enjeux de ces textes, il faut rappeler le contexte très particulier qui a conduit à leur élaboration. Étant moi-même l’auteur de plusieurs rapports sur la dimension géopolitique de l’énergie, dont le plus récent date de 2015, je vais essayer de brosser à grands traits le contexte de l’approvisionnement gazier de l’Europe pour mieux faire ressortir les enjeux qui rendent nécessaire la réalisation de l’Union de l’énergie. Mon collègue Jacques Cresta reviendra ensuite plus précisément sur le contenu des textes que nous avons examinés, et vous présentera les conclusions que nous souhaitons soumettre à votre sagacité.

Alors qu’elle ne produit que 6,5 % de l’énergie mondiale, l’Union européenne en consommait encore 12,7 % en 2014, avec une part d’énergies fossiles très significative dans son mix énergétique. Le charbon, le pétrole et le gaz naturel totalisent encore 73 % de sa consommation, dont 27 % pour le gaz.

La dépendance énergétique de l’UE est très élevée par rapport aux autres régions du monde, mais ce qui est plus préoccupant, c’est qu’elle ne cesse de s’accroître. Cela n’est pas le cas des États-Unis par exemple, qui connaissent parallèlement une tendance inverse spectaculaire depuis la découverte et l’exploitation de gaz de schiste sur leur territoire. Il ne s’agit pas ici d’ouvrir un débat sur l’exploitation du gaz de schiste en Europe, mais il est important de souligner la singularité de la position européenne, qui constitue une véritable vulnérabilité à la fois stratégique et économique au plan mondial.

Ces 53 % de la consommation d’énergie importés par l’Union représentent une facture de plus d’un milliard d’euros par jour pour l’achat de combustibles fossiles (pétrole et gaz). Le taux de dépendance de l’Union monte à 63 %, rien que pour le gaz. Cela signifie que l’Europe importe presque deux tiers du gaz qu’elle consomme. Et bien que la tendance de la consommation gazière européenne soit à la baisse, sa dépendance continue à s’aggraver en raison de réserves déclinantes et d’une production qui ralentit. La situation de l’Union est donc encore celle d’une grande dépendance, et potentiellement, d’une grande fragilité, d’autant plus que 40 % des importations de gaz en 2013 proviennent d’un seul fournisseur, la Russie.

Mais ces chiffres, qui sont des moyennes au niveau européen, recouvrent également une grande diversité dans les situations nationales. Comme vous le savez, les mix énergétiques des États membre sont variés, et reposent plus ou moins sur l’accès à des fournisseurs extérieurs, voire à un fournisseur unique, ce qui est d’autant plus problématique. Pour cinq États membres, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie, la République tchèque et la Slovaquie, l’approvisionnement en gaz dépend ainsi du seul partenaire russe.

Vous l’aurez compris, la principale menace qui plane selon la Commission sur l’approvisionnement en gaz de l’Europe, particulièrement orientale, est bien celle d’une coupure d’approvisionnement décidée unilatéralement par la compagnie Gazprom, dont nous savons qu’elle est le prolongement de l’État russe. Toute la stratégie européenne telle que déclinée depuis 2010 vise donc essentiellement à circonscrire cette menace. Et il est vrai qu’en 2006, puis en 2009, les troubles intervenus entre la Russie et l’Ukraine ont eu de sérieuses répercussions sur l’approvisionnement énergétique en Europe.

En 2006, le conflit portait d’une part sur l’augmentation du prix du gaz que la Russie voulait facturer à l’Ukraine, désormais reconnue comme une économie de marché. D’autre part, l’Ukraine était accusée de revendre à l’Europe une part du gaz qui lui était destiné, et qu’elle achetait à un prix inférieur au prix de revente, afin de réaliser une plus-value. Après plusieurs mois de contentieux entre Gazprom et Naftogaz, la compagnie russe finit par ne laisser passer que le gaz à destination de l’Europe de l’Ouest. L’insuffisance de l’approvisionnement ainsi opéré démontra que l’Ukraine avait effectivement réalisé une revente illégale. Cela internationalisa le conflit, qui fut résolu par un accord russo-ukrainien.

La crise de 2009 a porté à nouveau sur les tarifs de vente de gaz de la Russie à l’Ukraine, négociés annuellement entre les deux pays, et sur une dette invoquée par la Russie. Cette nouvelle crise a été plus grave, puisque les approvisionnements vers l’Europe ont cette fois été totalement interrompus pendant plus de dix jours au plus fort de l’hiver. Certains pays européens ont connu de véritables pénuries aux sérieuses répercussions économiques.

Le gaz est alors définitivement apparu comme un moyen de pression privilégié du géant russe envers ses voisins, d’autant plus qu’en 2009, l’Ukraine transportait encore 70 % des flux gaziers russes vers l’Europe, et pour certains pays comme la Slovaquie, la dépendance était totale envers ces flux de gaz.

Voilà pour le contexte à l’aube des années 2010. Depuis, des efforts ont été réalisés pour pallier cette relation de dépendance. Certaines solutions ont été apportées dans le cadre européen : il s’agit du règlement de 2010, de la stratégie européenne pour le gaz de 2014 sur lesquels mon collègue va revenir. D’autres solutions, plus pragmatiques, ont consisté à diversifier les routes d’approvisionnement, pour faire échapper certains pays européens aux affres de la relation russo-ukrainienne. Il s’agit par exemple de la construction du gazoduc Nord Stream, qui achemine directement le gaz russe vers l’Allemagne en passant par la mer baltique, et en contournant le corridor ukrainien, mais aussi certains États membres – comme la Pologne ou les pays baltes – qui auraient peut-être pu bénéficier d’une route terrestre.

La relation bilatérale privilégiée ici par l’Allemagne est bien représentative du dilemme entre souveraineté énergétique des États européens et solidarité dans l’Union. Étant moi-même député frontalier, je peux témoigner de cette difficile conciliation entre les choix nationaux et le caractère transfrontalier du marché intérieur de l’énergie, puisque si les Allemands n’ont pas consulté leurs partenaires européens pour fermer leurs centrales nucléaires, cela ne les a jamais empêchés d’avoir recours à cette énergie au besoin, notamment en prenant des parts dans la centrale de Fessenheim. 

Pour tenter de réconcilier ces deux dimensions, souveraineté nationale et coopération européenne dans le dossier du gaz, la Commission a donc proposé le paquet d’hiver, que mon collègue Jacques Cresta va à présent vous détailler.

M. Jacques Cresta, co-rapporteur. Comme vous l’a bien expliqué mon collègue co-rapporteur André Schneider, la stratégie européenne en matière d’approvisionnement gazier et de sécurité énergétique vise principalement à écarter tout risque de pénurie, et à doter l’Union d’une énergie sûre et compétitive. Depuis 2004, la réglementation européenne a donc évolué dans ce sens, jusqu’au paquet d’hiver de 2016 qui comprend le règlement et la décision qui nous intéressent aujourd’hui. Je vais revenir brièvement sur ces différentes étapes.

Tout d’abord, en 2004, une directive a établi pour la première fois un cadre juridique à l’échelon communautaire afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz pour un bon fonctionnement du marché en cas de ruptures d’approvisionnement. Elle a institué le groupe de coordination pour le gaz, un instrument très utile pour échanger des informations et définir des actions communes entre les États membres, la Commission, le secteur du gaz et les consommateurs.

Mais c’est véritablement le règlement de 2010 qui pose les jalons les plus importants qui ont permis à l’Union de réaliser des avancées substantielles sur la voie de plus d’indépendance énergétique dans le secteur du gaz.

Des normes communes sont fixées en matière d’approvisionnement, pour fournir en priorité les consommateurs protégés lors d’un éventuel épisode de crise. Tous les ménages sont des clients protégés, et cette catégorie peut également inclure les petites et moyennes entreprises et les services sociaux essentiels et/ou les installations de chauffage urbain.

Le règlement instaure le critère dit du N-1 comme le standard pour les infrastructures. Dans le cas d’une défaillance de la plus grande infrastructure gazière d’un État, la capacité des infrastructures restantes doit être en mesure de satisfaire la demande totale de gaz de la zone pendant une journée de demande en gaz exceptionnellement élevée, se produisant avec une probabilité statistique d’une fois en vingt ans.

Autre mesure d’importance, le règlement impose l’installation de capacités bidirectionnelles du gaz sur tous les points majeurs d’interconnexion, sauf exemption spécifique, dont bénéficie par exemple la France en raison de l’odorisation de son gaz, la création de flux rebours nécessitant alors de très lourds investissements peu justifiables économiquement. En cas de défaut d’approvisionnement du gaz venant de l’est, on pourrait rediriger du gaz de l’Ouest vers l’Est par exemple.

Pour agir en amont de la survenance des crises d’approvisionnement, le règlement de 2010 instaure l’obligation pour les États de faire réaliser par l’autorité nationale compétente une analyse des risques, un plan d’action préventif et un plan de mesures d’urgence. Ces plans, évalués par la Commission et le groupe de coordination pour le gaz, devaient être soumis à une révision tous les deux ans.

Toutes ces mesures ont sans conteste permis d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne. Pourtant, deux ans après la mise en œuvre du règlement, et à la lumière de nouvelles menaces, la Commission a décidé de renforcer ce cadre concomitamment au lancement de l’Union de l’énergie.

Après la détérioration de la situation à la frontière russo-ukrainienne en 2014, la Commission a souhaité établir le bilan des efforts réalisés par les États depuis le règlement de 2010. Elle a donc décidé dans sa Stratégie européenne de sécurité énergétique de mener une évaluation de grande ampleur. Des tests de résistance du système gazier européen ont été effectués dans un cadre plus large que celui de l’Union pour faire le bilan des vulnérabilités persistantes. Il s’agissait de simuler les effets de la coupure de la route de transit du gaz ukrainien, ainsi que l'interruption des flux de gaz russe vers l’Europe pour des périodes d’un mois et de six mois.

Le bilan était en demi-teinte : des progrès avaient été clairement réalisés depuis les crises de 2006 et 2009, certes, mais des améliorations restaient encore possibles en relançant la coopération européenne sur ce sujet.

La Commission a donc proposé en février 2016 un paquet d’hiver conforme aux objectifs de l’Union de l’énergie. Le paquet d’hiver se compose de quatre textes : deux textes sont de nature législative et constituent une réforme des textes précédents, deux textes présentent des stratégies dont les développements législatifs sont encore attendus. Nous ne revenons donc pas dans le rapport sur ces stratégies, qui appellent un travail ultérieur.

La décision sur les accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie, qui a récemment fait l’objet d’une orientation générale au Conseil de juin, créait selon nous beaucoup de contraintes pour les États, en donnant à la Commission une grande latitude d’examen et de contrôle en amont, lors des négociations de contrats intergouvernementaux. L’orientation générale a permis une approche plus équilibrée, qui permettra aux États qui le souhaitent l’assistance de la Commission.

Le règlement pour la sécurité d’approvisionnement en gaz de 2016 vise à réformer le texte de 2010 afin d’accroître le niveau de sécurité énergétique européen et propose une approche basée sur quatre axes principaux.

D’abord, une régionalisation de l’analyse et de la prévention des risques. Les tests de résistance ont montré que la capacité des États à faire face à de nouvelles ruptures d’approvisionnement était largement tributaire de leur aptitude à mobiliser les ressources de façon plus coordonnée et plus solidaire. Pour cela, les plans d’évaluation des risques, les plans d’action préventifs et les plans d’urgence devraient désormais être élaborés au niveau régional, selon des modèles communs. Jusqu’à présent, ils l’étaient nationalement par les autorités responsables de chaque État membre. Nous souhaitons souligner le fait que le règlement ne précise pas quelle serait l’autorité chef de file pour l’élaboration de ces plans, ni, et cela semble plus préoccupant, pour leur mise en œuvre en cas de besoin, ce qui pose un problème assez crucial de responsabilité.

La définition des groupes régionaux dans lesquels seront réalisés ces plans, donnée par l’annexe du règlement, fait l’objet d’un vif débat parmi les États membres. Pour les États les moins vulnérables, à l’Ouest de l’Europe, une approche par type de risque serait préférable, et le découpage régional proposé par la Commission apparaît trop rigide, trop strictement géographique, en tenant trop peu compte des complémentarités des États. Pour les États de l’Europe orientale, qui soutiennent l’approche de la Commission, il importe au contraire que les groupes soient composés de pays dont les profils de risque se complètent.

Nous soutenons l’approche française exprimée dans un non-papier, aux côtés de l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Autriche : une organisation selon le risque apparaît selon nous plus logique et plus souple, et permettrait de jouer des complémentarités productives sans empiler les structures administratives. La question de la gouvernance et de la coordination de ces structures reste toutefois posée et peu définie par la Commission.

Ensuite, deuxième axe, la clause de solidarité. Autre innovation importante, la clause de sécurité constitue une solution de dernier recours en situation d’urgence grave : la fourniture de gaz aux consommateurs protégés, à savoir les ménages et les services sociaux essentiels, dans l’État membre confronté à une situation d’urgence aura la priorité sur l’approvisionnement des consommateurs autres que les ménages et les services sociaux essentiels dans les États membres voisins.

Le principe sous-jacent à une telle disposition ne saurait être contesté : la solidarité est à la base du projet européen, particulièrement dans son versant énergétique. La promotion et la défense de formes de solidarité renouvelées sont donc à la fois nécessaires et pertinentes. Toutefois, le règlement reste là aussi assez vague sur les modalités concrètes de l’application de ce principe en cas de crise. Les États-membres ne sont pas propriétaires du gaz, de quels moyens pourront-ils disposer pour engager les sociétés commerciales de distribution à fournir au prix de marché le gaz à des consommateurs d’un autre marché national ? Les accords techniques et administratifs bilatéraux dont il est question ne risquent-ils pas de créer un foisonnement contraire à l’effort de coordination et de transparence affirmé par la régionalisation auxquels ils se juxtaposent ?

Cette disposition pose aussi le problème de possibles comportements non coopératifs : quelle incitation pour un État à engager les investissements utiles à l’approvisionnement en situation de pénurie s’il peut être approvisionné par ses voisins ?

De nombreux points restent à préciser, comme la forme juridique des accords nécessaires entre les compagnies gazières privées des États membres pour la mise en œuvre de la fourniture de gaz, ou le rôle de supervision de la Commission. L’articulation entre groupes régionaux de coopération et clause de solidarité n’est curieusement pas faite, même si les États sont incités à « convenir des arrangements techniques, juridiques et financiers pour appliquer le principe de solidarité et les inclure dans les plans d’urgence ».

Le troisième axe repose sur la poursuite des investissements pour accroître la proportion des flux bidirectionnels. Le règlement de 2010 a permis de passer de 12 % de points d’interconnexion bidirectionnels en Europe à 40 %. Pour certains pays de l’Est de l’Europe, la possibilité de ces flux rebours est déterminante quant à leur sécurité énergétique, car elle leur permet d’avoir accès à du gaz en provenance de l’Ouest.

Dans le nouveau règlement, l’obligation de capacités bidirectionnelles sera plus forte, et les exemptions moins largement accordées. Toutefois, la décision reposera sur des analyses coûts/bénéfices réalisées par tous les pays concernés sur les corridors gaziers. La France n’ayant pas réalisé de flux bidirectionnel en raison de l’odorisation de son gaz, les mettre en œuvre présenterait donc un coût très élevé pour un risque minime.

Selon nous, il ne s’agit pas pour l’Union de l’énergie d’imposer toujours plus d’obligations aux États, particulièrement dans les zones ne souffrant pas de graves dangers de ruptures d’approvisionnement. À cet égard, ils partagent l’analyse néerlandaise selon laquelle les capacités de substitution d’une autre énergie au gaz devraient intervenir dans l’évaluation des risques pesant sur l’approvisionnement des États (par exemple, la Finlande, très dépendante du gaz russe, peut toutefois lui substituer sans grande difficulté une alternative pétrolière.)

Enfin, le dernier axe, l’amélioration de la transparence et de l’information. Les entreprises de gaz naturel devront informer automatiquement les États membres et la Commission de certains contrats pertinents en matière de sécurité d’approvisionnement dès leur conclusion ou leur modification.

Sur ces sujets, il s’agira de déterminer plus précisément l’étendue des pouvoirs de la Commission et de veiller à ce que ces règles soient compatibles avec la sécurité et la confidentialité de certaines informations commerciales. Cette question fait partie des points sensibles discutés par les États membres. Vos rapporteurs tiennent à rappeler qu’en matière de partage d’informations, la France assume déjà largement ses obligations.

M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen. Contrairement aux États-Unis, nous n’avons pas l’intention d’avoir recours au gaz de schiste. Nous ne souhaitons pas non plus développer le nucléaire. La politique d’efficacité énergétique ne peut suffire à faire cesser notre dépendance. Par conséquent, nous devons avoir les meilleurs relations possibles avec les fournisseurs comme la Russie. Aujourd’hui, on voit bien que la Russie est surtout l’objet de sanctions et cela doit nous faire réfléchir à notre relation avec elle, si nous voulons que le problème de notre dépendance aux fournitures de gaz se pose dans des termes différents.

La présidente Danielle Auroi. Je vous propose à présent d’adopter les conclusions du rapport. »

La Commission a adopté à l’unanimité les conclusions ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTÉES

La commission des Affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz,

Vu la décision du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant un mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie,

Vu la communication de la Commission du 16 octobre 2014 sur la résilience à court terme du système gazier européen,

Vu la communication de la Commission européenne du 25 février 2015 pour un « cadre stratégique pour une Union de l'énergie résiliente, dotée d'une politique clairvoyante en matière de changement climatique »,

Vu les conclusions du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 pour un « cadre d'action en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030 »,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel et abrogeant le règlement du 20 octobre 2010,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du conseil établissant un mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie, et abrogeant la décision n° 994/2012/UE,

1. Approuve la priorité fixée par la Commission européenne d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique à tous les États membres sur la base d’un renforcement de la solidarité au sein de l’Union et d’une plus grande coopération régionale,

2. Est favorable à l’accent mis dans le « paquet d’hiver » sur la conciliation entre des objectifs de durabilité, de sécurité et de compétitivité économique,

3. Se félicite de l’orientation générale adoptée par le Conseil de juin sur la décision concernant les accords intergouvernementaux en matière d’approvisionnement en gaz, qui permet de mieux circonscrire le rôle d’assistance et de coordination de la Commission en respectant la souveraineté des États membres,

4. Souhaite que l’approche régionale proposée par la Commission pour l’élaboration des évaluations des risques, des plans de prévention et des plans d’urgence soit davantage axée sur les risques et moins strictement géographique,

5. Soutient le mécanisme de solidarité élaboré pour les cas d’urgence mais invite la Commission à en préciser les mécanismes d’application, notamment pour les entreprises, et les liens avec l’approche régionale,

6. Invite la Commission à évaluer plus précisément les besoins en termes d’infrastructures afin que les moyens budgétaires soient concentrés sur les projets prioritaires,

7. Considère que la généralisation des flux bidirectionnels doit continuer de connaître des exemptions et appelle à une juste allocation des coûts engendrés selon une répartition régionale adaptée.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Ø Mme Marie-Claire Aoun, directrice du Centre sur l’énergie de l’IFRI

Ø M. Philippe Lucas en charge du secteur énergie et environnement, SGAE

Ø Mme Christine Cabuzel en charge de l’énergie au SGAE

Ø M. Guillaume Fuchs, adjoint au chef de secteur, Relations avec le Parlement national, SGAE

1 () http://www.iris-france.org/71890-chute-du-cours-des-hydrocarbures-la-securite-energetique-europeenne-en-danger/, tribune de Mikaël Lefèvre pour l’IRIS

2 () « Les stratégies de Gazprom : un problème géopolitique ? », Yannick Jourdan, Revue Géographique de l'Est, vol. 50 / 1-2 | 2010

3 () L’Europe du gaz à la recherche de son âge d’or, Marie-Claire Aoun et Sylvie Cornot-Gandolphe, IFRI, octobre 2015