N° 4278 - Rapport d'information de MM. Philip Cordery, Jean-Patrick Gille et Mme Sophie Rohfritsch déposé par la commission des affaires européennes sur le socle européen des droits sociaux




N° 4278

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 décembre 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur le socle européen des droits sociaux

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Philip CORDERY, Jean-Patrick GILLE et Mme Sophie ROHFRITSCH, Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 7

SUMMARY OF THE REPORT 9

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : CONSOLIDER L’ACQUIS SOCIAL DE L’UNION EUROPÉENNE ET LE FAIRE ENTRER PLEINEMENT DANS LE XXIÈME SIÈCLE 13

I. ADAPTER L’IMPORTANT ACQUIS SOCIAL DE L’UNION AUX MUTATIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES RÉCENTES 13

A. UN ACQUIS SOCIAL IMPORTANT QUI N’A PAS PERMIS LA CONVERGENCE ATTENDUE 13

1. Un acquis social important… 13

2. … qui n’a pas permis pour l’instant une réelle convergence 13

B. LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX : ADAPTER LE MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN AU XXIÈME SIÈCLE 14

1. Les nouveaux défis auxquels fait face l’Europe sociale… 14

2. … ont conduit la Commission européenne à présenter un projet de socle européen des droits sociaux opportun mais qui peut être jugé comme trop flou 15

a. Le socle européen des droits sociaux tel que présenté par la Commission européenne 15

b. … est un projet jugé opportun malgré des contours flous et imprécis 16

II. QUELS PRINCIPES FONDATEURS ET DIRECTEURS POUR LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX ? 17

A. LES QUESTIONS PRÉALABLES : CONVERGENCE DES DROITS, DÉFINITION ET PÉRIMÈTRE DU SOCLE 17

1. Faut-il parler de socle ou de pilier des droits sociaux ? 17

2. Affirmer l’objectif d’une convergence sociale ascendante 17

3. Quel périmètre pour le socle européen des droits sociaux : Union entière ou zone euro ? 18

B. LES PRINCIPES DIRECTEURS : ADAPTER L’ÉTAT-PROVIDENCE AUX MUTATIONS DU TRAVAIL ET LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LA PAUVRETÉ ET LES INÉGALITÉS. 19

1. Adapter l’État-providence aux mutations du travail 19

2. Lutter efficacement contre la pauvreté et les inégalités 19

DEUXIÈME PARTIE : QUELS CHOIX STRATÉGIQUES POUR LE FUTUR SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX ? 21

I. SUR LES PRINCIPES DIRECTEURS DU SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX 21

A. POUR UNE APPROCHE INTÉGRÉE DES QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ASSURANT UNE CONVERGENCE SOCIALE ASCENDANTE 21

1. Affirmer l’importance d’une convergence sociale ascendante 21

2. Favoriser une approche intégrée de la question sociale et de la question économique 21

B. REMETTRE LE DÉBAT SOCIAL AU CœUR DU DÉBAT EUROPÉEN 21

1. Donner de la lisibilité au débat européen en matière sociale et faire participer l’ensemble des acteurs à la construction des indicateurs de mesure des performances sociales 21

2. Relancer le dialogue social en Europe et le dialogue social européen 22

C. RENFORCER L’EFFECTIVITÉ DES DROITS SOCIAUX EXISTANTS, PERMETTRE LEUR ÉVOLUTIVITÉ AINSI QUE CELLES DES DROITS SOCIAUX À VENIR 22

1. Cibler le socle sur des principes peu nombreux 22

2. S’assurer de l’effectivité des droits existants 22

3. Permettre l’évolutivité des droits 22

II. QUELS DROITS POUR LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX ? 23

A. SUR L’AMÉLIORATION DE L’ACCÈS AU MARCHÉ DU TRAVAIL 23

1. Généraliser les droits attachés à la personne 23

2. Permettre une portabilité européenne des droits sociaux pour favoriser la mobilité des travailleurs 23

3. Se mobiliser pour l’emploi des jeunes 24

B. FAVORISER L’ÉQUITÉ ET L’ÉGALITÉ AU TRAVAIL 25

1. Un salaire minimum dans toute l’Europe 25

2. À travail égal, salaire égal 25

3. Garantir les droits des salariés de la nouvelle économie 25

C. SUR LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET LES INÉGALITÉS 26

1. Mettre en place une assurance chômage européenne 26

2. Un revenu minimum comme facteur de cohésion sociale ? 26

3. Une couverture santé minimale en Europe 27

III. SUR LES OUTILS DE MISE EN œUVRE DU SOCLE 29

1. Réfléchir à la mise en place d’un code de convergence sociale basé sur des objectifs sociaux à atteindre 29

2. Articuler la mise en œuvre du socle avec le semestre européen 29

3. Réorienter les fonds européens sociaux existants pour assurer une réelle convergence sociale 29

CONCLUSION 31

TRAVAUX DE LA COMMISSION 33

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 41

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION 47

ANNEXES 53

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 55

ANNEXE N° 2 : CONSULTATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX 57

SYNTHÈSE DU RAPPORT

Le 8 mars dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur le socle européen des droits sociaux, à laquelle la commission des Affaires européennes a décidé de répondre, afin de faire entendre sa voix dans ce sujet important pour l’avenir de l’Union dans son ensemble et de la zone euro en particulier.

Le présent rapport expose ainsi vingt-quatre propositions précises et pragmatiques, que la commission des Affaires européennes souhaite voir examiner au niveau européen avec le plus grand soin, qui s’articulent autour de trois axes principaux :

- l’amélioration des conditions d’accès au marché du travail ;

- la mise en œuvre des conditions de l’équité et de l’égalité au travail ;

- la lutte contre la pauvreté et les inégalités.

Leur objectif est triple : permettre une meilleure coordination économique, indispensable à la zone euro en particulier et à l’Union dans son ensemble, adapter le droit du travail et la protection sociale aux nouvelles formes d’emploi liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluriactivité – notamment en favorisant l’attachement des droits à la personne et non au contrat – et, enfin, lutter contre la pauvreté qui s’accroît sur notre continent.

Le rapport insiste en outre sur la nécessité de renforcer l’effectivité des droits sociaux existants, et de permettre leur évolutivité, ainsi que celle des droits sociaux à venir. Tout cela ne pourra se faire qu’en accordant une place de choix au dialogue social en Europe et en donnant de la lisibilité au débat européen en matière sociale. Il convient en outre d’avoir une approche intégrée des questions économiques et sociales assurant une convergence sociale ascendante. Pour cela, le rapport propose, d’une part, de réfléchir à la mise en place d’un code de convergence sociale basé sur des objectifs sociaux à atteindre, d’autre part, d’articuler la mise en œuvre du socle avec le semestre européen, et, enfin, de réorienter les fonds sociaux européens existants pour assurer une réelle convergence sociale.

SUMMARY OF THE REPORT

On March 8, 2016, the European Commission launched a public debate on the European social rights package, to which the European Affairs Committee of the French National Assembly decided to reply, so as to express its opinion on this important issue concerning the future of all the Union and in particular of the Eurozone.

This report thus sets down twenty-four precise and pragmatic proposals which the European Affairs Committee of the French National Assembly would like to see examined in depth at a European level. They deal with three main subjects:

- The improvement of the conditions governing access to the labour market;

- The implementation of conditions concerning equity and equality on the labour market;

- The fight against poverty and inequalities.

There is a triple objective: to enable better economic coordination which is essential for the Eurozone in particular but also for the entire Union, to adapt labour law and social protection to the new forms of employment linked to the digitization of the economy and to the development of the diversification of activities (especially by encouraging the notion of the linking of rights to the individual and not to contracts), and thirdly, to fight against poverty, which is growing on our continent.

In addition, the report underlines the need to strengthen existing social rights and allow their development, as well as that of future social rights. This can only occur if we provide a central role to social dialogue in Europe and if we give greater clarity to the European discussions in the social field. It is thus necessary to have an integrated approach to economic and social issues which ensures the idea of upward social convergence. In order to fulfill this wish, the report proposes, on the one hand, reflection on the implementation of a code of social convergence based on the social objectives aimed at, and, on the other hand, the application, in accordance with the European semester, of the package. This would be accompanied by a reorientation of the existing European social funds in order to ensure true social convergence.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 8 mars dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux, lequel avait été annoncé par le président Juncker au Parlement européen le 9 septembre 2015. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire et de la création d’un marché du travail équitable. Notre commission a décidé de répondre à cette consultation publique, qui prend fin le 31 décembre 2016. Il est en effet important que l’Assemblée nationale fasse entendre son point de vue dans ce processus, et participe à l’élaboration de ce socle, qui sera sans doute l’une des bases de l’évolution de l’Europe sociale dans les années à venir.

Jusqu’à présent, les avancées en matière sociale ont porté sur des passerelles entre les systèmes – comme les systèmes d’indemnisation chômage ou de retraite – afin que la diversité des régimes ne fasse pas obstacle à la circulation des travailleurs. On pensait que l’harmonisation se ferait naturellement et qu’il s’agissait de se contenter de veiller au respect des règles de la libre concurrence et de la libre circulation des travailleurs. Or, aujourd’hui, la réalité du dumping social au sein de l’Union et de la dévaluation compétitive au sein de la zone euro ont mis à mal cette croyance et des craintes fortes se font jour quant à la capacité de l’Union européenne de subsister, craintes renforcées depuis le résultat du référendum britannique sur le « Brexit », qui a largement porté sur les questions liées au champ social.

Dans un contexte de grands changements, liés notamment aux mutations du monde du travail du fait de la place grandissante de la numérisation et du vieillissement de la population, l’Europe va dans les années à venir devoir faire face à de nombreux défis, qui vont en premier lieu toucher son modèle de protection sociale et ainsi demander de définir une nouvelle stratégie européenne du marché du travail. La question sous-jacente est ainsi celle de la capacité de l’Union, dans un tel contexte, à maintenir son modèle et à assurer la convergence par le haut des modèles nationaux, pour l’instant en compétition les uns avec les autres.

À cet égard, vos rapporteurs se félicitent de l’initiative de la Commission, qui fait montre de son souci de rééquilibrer le poids de l’économique et du social en Europe face au financier. Malgré son caractère trop large et imprécis, car voulant embrasser tout le champ de la protection sociale et du droit du travail, cette consultation laisse transparaître les objectifs principaux de la Commission : faciliter la mobilité des travailleurs en Europe, lutter contre le dumping social, l’inégalité et les exclusions.

Vos rapporteurs estiment que le futur socle européen des droits sociaux devra être offensif et concentré sur quelques points précis et concrets, afin de définir un cadre social propice à la compétitivité des entreprises et à la reprise du marché du travail, qui permettront le maintien d’un fort niveau de protection sociale, spécificité européenne.

Il devra permettre de consolider l’acquis social de l’Union et le faire entrer pleinement dans le XXIème siècle. Pour cela, le socle devra se construire sur des principes fondateurs clairs de convergence ascendante, de lutte contre les inégalités, et d’adaptation aux mutations de l’économie. Ses choix stratégiques devront être précis et efficaces, et permettre d’intégrer les questions économiques et sociales afin d’améliorer l’accès au marché du travail, de consolider le modèle européen de protection sociale et de lutter contre les inégalités sociales.

PREMIÈRE PARTIE : CONSOLIDER L’ACQUIS SOCIAL DE L’UNION EUROPÉENNE ET LE FAIRE ENTRER PLEINEMENT DANS LE XXIÈME SIÈCLE

Bien que la compétence de l’Union européenne soit encadrée en matière sociale, l’Union s’est dotée d’un grand nombre de normes en matière sociale, constituant un socle minimal de droits sociaux, liés en grande partie à la constitution du marché unique et à la libre circulation des personnes. Cet « acquis social » s’impose à tous les pays membres de l’Union. Il fonctionne selon deux principes fondamentaux : le principe de la prescription minimale (les directives communautaires visent à établir un niveau minimal de protection mais peuvent être améliorées au niveau national) et le principe de la non-régression (la norme européenne ne peut servir de prétexte à une régression de la norme nationale).

Ce corpus de près de deux cents textes concerne essentiellement la libre circulation des travailleurs, le droit du travail ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre les discriminations. La coordination des régimes de sécurité sociale, essentielle à la libre-circulation des travailleurs, a été le premier chantier entrepris, dès les années 1970 ; ont suivi ensuite de nombreux textes concernant, à titre d’exemple, la consultation des travailleurs, les droits minimaux pour les salariés exposés à des risques particuliers, le travail intérimaire, le travail détaché, la santé et la sécurité au travail, ou encore la conciliation de la vie familiale et professionnelle ou l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre les discriminations.

Marqué par la volonté de faciliter la mobilité des travailleurs, l’acquis social européen constitue aujourd’hui avant tout un socle minimum de droits qui permet aux citoyens européens de bénéficier d’un certain nombre de garanties juridiques en matière sociale lorsqu’ils travaillent dans un État autre que leur État d’origine.

Pour autant, ce socle organise plus la mobilité des travailleurs que la convergence entre les législations. Ceci s’explique, d’une part, par une compétence communautaire limitée en matière sociale et par le principe de prescription minimale, et, d’autre part, par la coexistence en Europe de réalités diverses en matière sociale selon les États membres. La construction communautaire a progressivement intégré la dimension sociale, mais de manière encore trop limitée et n’assurant pas vraiment la convergence des politiques sociales.

L’Europe en général, et l’Europe sociale en particulier, font face aujourd’hui à de nombreux défis.

D’une part, les élargissements récents ont augmenté les divergences en matière de niveaux de vie et de niveaux de protection sociale entre les États membres. L’Europe à 28 (bientôt 27) est une Europe de la diversité économico-sociale, entrainant des phénomènes de dumping social, révélés au grand jour par le débat autour de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. À titre d’exemple, notons que le salaire minimum au Luxembourg (1 923 euros) est plus de dix fois supérieur au salaire minimum en Bulgarie (184 euros) (1). Du côté des pays rentrés récemment dans l’Union, les préoccupations se tournent non pas vers le risque de dumping social, mais vers la difficulté à mettre en œuvre l’acquis communautaire et les craintes d’une remise en cause de la liberté de circulation des travailleurs.

D’autre part, le modèle social européen doit s’adapter à la mondialisation, qui a redessiné la division internationale du travail et la carte des investissements internationaux. L’Europe fait face à une compétition mondiale vive qui a des répercussions sur son marché de l’emploi et sur le financement de sa protection sociale, largement assise sur le facteur travail. Alors que dans les années soixante le modèle social européen a bénéficié de conditions économiques favorables, il doit de manière quasiment ininterrompue depuis les crises des années 1970 faire face à des remises en cause impactant non seulement son mode de financement, mais aussi la cohésion sociale (avec la montée des inégalités et de la pauvreté), le tout dans un contexte de vieillissement de la population, et donc d’augmentation des besoins en protections sociale et de raréfaction de l’offre de main-d’œuvre.

Beaucoup de tendances sont ainsi apparues, ou vont apparaître, auxquelles l’Europe va devoir s’adapter alors même que les systèmes d’assurance sociale des pays membres sont en souffrance du fait du manque de croissance et de la montée du chômage. Par exemple, les dix métiers qui recrutent le plus aujourd’hui n’existaient pas il y a dix ans. La formation initiale ne peut plus répondre seule aux besoins des entreprises.

Or, face à ces mutations, les modèles sociaux subissent des pressions d’autant plus lourdes que le contexte économique n’est pas favorable et que la Commission presse les États de réduire les déficits. Ces modèles, conçus au siècle dernier, doivent à présent s’adapter pour pouvoir perdurer.

Dans sa communication sur le lancement d’une consultation sur un socle européen des droits sociaux (SEDS) (2), la Commission européenne a fait part des objectifs multiples qu’elle souhaite assigner à ce socle :

- intensifier l’action des institutions européennes en faveur de l’amélioration du fonctionnement du marché du travail européen ;

- tenir compte de l’évolution récente des sociétés européennes, de leurs économies et du monde du travail ;

- jouer un rôle dans les mécanismes de convergence de la zone euro, en mettant l’accent sur les aspects sociaux et l’équité sociale ;

- permettre de surmonter les effets sociaux, économiques, et politiques de la crise de 2008.

La protection sociale est conçue par la Commission à la fois comme un effet et un facteur de la croissance : « les États membres les plus performants sur le plan économique ont élaboré des politiques sociales plus ambitieuses et plus efficaces, pas simplement sous l'effet du développement économique, mais parce qu'ils les ont placées au cœur de leur modèle de croissance. À cet égard, la conception de systèmes de protection sociale et d'institutions du marché du travail qui remplissent leur rôle et qui soutiennent la création d’emplois est essentielle. » La Commission estime ainsi nécessaire que l’accent soit mis sur les aspects sociaux et l’équité sociale dans le cadre des réformes structurelles, du soutien à l’investissement et aux politiques budgétaires responsables. Le socle des droits sociaux n’est donc pas appréhendé de manière autonome mais en lien avec les politiques économiques et budgétaires.

La Commission rappelle ensuite que les effets de la crise qui a débuté en 2008 ont été « graves et visibles sur la société et l’économie européennes. Ses effets ont en partie été amortis par les systèmes de protection sociale, mais le chômage a augmenté, une part importante de la population est exposée au risque de pauvreté, les finances publiques ont été mises à rude épreuve et les performances nationales ont fortement divergé. » Ainsi, près de 22 millions de personnes sont toujours sans travail et à la recherche d'un emploi (près de 17 millions dans la zone euro), dont 10 millions depuis plus d’un an.

En outre, la crise a accentué certaines tendances de long terme du marché du travail et en a masqué d’autres, notamment le prolongement et la diversification de la vie active et la diffusion de nouvelles formes de travail, ainsi que la coexistence de l’augmentation du niveau d’éducation et l’inadéquation des qualifications et des besoins de main-d’œuvre. L’Europe doit faire face aujourd’hui à la conjonction de la mutation du travail (avec l’ « uberisation » de son économie), de sa mutation démographique (vieillissement des populations), et de l’accroissement de la pauvreté et des inégalités.

La consultation de la Commission européenne a été jugée opportune voire urgente par les différents interlocuteurs de vos rapporteurs. De fait, l’Europe sociale a trop longtemps été négligée ; face à la montée de l’euroscepticisme et du populisme, face aussi aux dangers qui pèsent sur la stabilité de la zone euro et donc de l’Union européenne entière, il est absolument impératif de lutter contre les divergences et le dumping social et fiscal et de rééquilibrer le social face à l’économique, et ainsi réconcilier les peuples avec l’Union européenne.

Le socle est perçu comme l’opportunité de bénéficier d’un outil permettant à la fois de lutter contre la montée de la pauvreté et des inégalités, d’adapter le modèle social aux mutations du monde du travail et de rendre les économies européennes à la fois plus compétitives, dans la compétition internationale et plus protectrices (en mettant en œuvre les conditions d’une flexisécurité étendue à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne).

Toutefois, cette consultation est jugée à la fois trop floue et trop large ; elle ne paraît pas adaptée à la réalité des enjeux. S’adressant de manière trop simple – voire simpliste – à la fois à « tout un chacun » et aux spécialistes, elle est jugée trop floue car, d’une part, n’affichant pas exactement son objectif (créer de nouveaux droits ? consolider l’acquis social ? renégocier l’acquis social à la baisse ?) et, d’autre part, posant tous azimuts trop de questions alors qu’un ciblage des questions aurait semblé plus utile et plus efficace.

Il est important de définir précisément le socle européen des droits sociaux, car une telle définition permettra de définir plus précisément les objectifs qui lui seront assignés.

De quel socle parle-t-on ? S’agit-il de définir les contours d’un minimum social européen ? Ou bien s’agit-il de définir un socle européen qui sera amené à être complété au niveau national, à l’image de ce que la Commission des affaires européennes a préconisé en matière d’assurance chômage européenne (3) ?

Vos rapporteurs sont en faveur de la création d’un socle, et non d’un pilier, entendu comme permettant de bâtir, par le dialogue social européen, une convergence sociale ascendante.

De même, il convient de préciser que c’est bien la création d’un socle qui est en jeu, et non celle d’un ou plusieurs piliers, comme la sémantique anglo-saxonne peut le laisser penser (« social pillar »), ainsi que de préciser clairement et précisément quels seront ses objectifs et sa fonction.

La question de la convergence et de l’harmonisation des droits sociaux est présente depuis le début de la construction européenne mais n’a jamais été réglée. Loin de mettre en place une réelle harmonisation, les avancées ont porté sur des passerelles entre les systèmes (par exemple les systèmes d’indemnisation chômage ou de retraite) afin que la diversité des régimes ne fasse pas obstacle à la circulation des travailleurs. Les responsables européens ont longtemps estimé que l’harmonisation se ferait naturellement, de manière quasiment automatique sur le moyen terme, comme si elle était un mouvement naturel, et se sont contentés de veiller au respect des règles de la libre concurrence et de la libre circulation des travailleurs.

Or, aujourd’hui, les pratiques de dumping social et de dévaluation compétitive au sein de la zone euro mettent à mal ce constat. La convergence, en tout cas « par le haut », ne se fait pas de manière naturelle. Ainsi, lorsque l’on parle d’harmonisation en Europe, convient-il de préciser si l’on entend harmonisation par le haut, harmonisation moyenne ou même harmonisation par le bas.

Le socle devra donc affirmer clairement son objectif de convergence ascendante ; il sera important de s’assurer que la consultation ne devienne pas un instrument de contrôle des politiques sociales des États aux mains de la Commission européenne.

Le marché du travail en Europe va connaître de nombreuses mutations liées à de multiples facteurs : changements technologiques (digitalisation et importance croissante du numérique), accroissement de la mondialisation, changements environnementaux, vieillissement des populations.

Dans ce contexte, l’enjeu est de savoir quels emplois vont être créés et comment former les travailleurs à ces emplois. L’accroissement de la productivité lié à la digitalisation de l’économie fait craindre le développement d’un chômage de masse pour les catégories d’emploi à faible valeur ajoutée et à fort potentiel d’automatisation. Cela doit conduire à s’interroger sur la manière dont nous envisageons les compétences et la formation, qui ne doit plus être univoque mais offrir aux individus les moyens de leur adaptabilité rapide à des contextes de travail et économiques en mutation fréquente.

Notre système de protection sociale et de droits sociaux étant largement assis sur le contrat de travail, le risque est aussi de voir s’accentuer la dualisation inégalitaire du marché du travail déjà à l’œuvre, et donc l’inégalité entre les individus bénéficiant de contrats stables leur assurant le plein bénéfice de leurs droits sociaux et de la protection sociale, et ceux bénéficiant d’emplois atypiques plus précaires apportant des droits et une protection au rabais.

Le grand enjeu aujourd’hui de la protection sociale en Europe est donc d’adapter notre modèle d’État-providence aux mutations du travail, afin d’assurer une protection réelle à tous les individus et d’éviter une fracture au sein du marché du travail.

Depuis la crise des années 1970, et malgré l’existence de systèmes de protection sociale forts et l’accroissement des budgets alloués aux dépenses sociales, la pauvreté et les inégalités se sont développées en Europe.

Si les dépenses de protection sociale occupent une part importante du PIB dans l’Union européenne – 30,4 % pour la zone euro et 29,5 % pour l’Union à 28, cette moyenne cachant des disparités importantes avec, aux deux extrémités, le Danemark (34,6 % du PIB) et la Roumanie (15,6 % du PIB) – la pauvreté se répand en Europe, quel que soit le niveau de vie du pays membre. Ainsi, si le taux de risque de pauvreté (part des personnes ayant un revenu disponible après transferts sociaux inférieur au seuil de pauvreté) est de 25,4 % en Roumanie et de 21,4 % en Grèce, il est de 16,7 % en Allemagne (au niveau de la moyenne de l’Union), de 13,6 % en France et de 12,1 % aux Pays-Bas.

La crise qui a débuté en 2008 a particulièrement accentué l’accroissement de la pauvreté en Europe. Le taux de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian a ainsi augmenté de 16,4 à 16,9 % en Europe entre 2008 et 2011, le nombre de pauvres progressant de 80,4 à 84 millions selon Eurostat. Selon Oxfam, ce sont 123 millions d’Européens qui pourraient basculer rapidement dans la pauvreté, dont 11 millions de Français.

La crise n’a pas frappé tous les pays dans la même proportion : la France, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Grèce ont vu leur taux de pauvreté croître plus que la moyenne ; aux deux extrêmes se trouvent la Grèce (+23,1 %) et les Pays-Bas (+10,1 %).

L’Union européenne reste, à l’échelle mondiale, une des zones les plus égalitaires : son coefficient de Gini (4) était en 2011 de 0,31 dans l’UE 28 (il variait entre 0,24 en Slovénie et 0,36 en Lettonie), soit un meilleur ratio que le Canada (0,32), la Nouvelle-Zélande (0,36), le Japon (0,37), la Russie (0,42) ou les États-Unis (0,45). Mais alors que la pauvreté s’accroissait en Europe, s’est amplifié, du fait notamment de l’austérité qui pèse proportionnellement plus sur les ménages les plus modestes et des pratiques d’évasion fiscale, le phénomène d’accroissement des inégalités dans la détention des richesses, au point qu’aujourd’hui 1 % des plus riches Européens possède un tiers de la richesse totale, et que 40 % des Européens les plus modestes n’en détiennent que 1 %. Cela signifie que 7 millions d’Européens sont aussi riches que 662 millions d’autres.

La faiblesse des taux d’emploi et la faible probabilité de renouer avec le plein emploi dans un horizon de moyen terme interdisant d’envisager le seul accès à l’emploi comme moyen de réduire ces inégalités et d’obtenir un niveau de vie décent, un futur socle européen des droits sociaux devra trouver les moyens de répondre à la montée de la pauvreté et l’accroissement des inégalités. Ceci est particulièrement important pour les catégories de la population les plus touchées : personnes âgées, enfants, familles monoparentales, jeunes, travailleurs pauvres.

DEUXIÈME PARTIE : QUELS CHOIX STRATÉGIQUES POUR LE FUTUR SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX ?

Le socle devra s’attacher, dans un contexte de mutation d’économies de plus en plus numérisées et de vieillissement de la population active, à favoriser les transitions professionnelles et à sécuriser les parcours professionnels.

La France a été précurseur dans ce domaine, avec la création du Compte personnel d’activité (CPA) (5), qui, attachant des droits à la personne et non au contrat, permet à chaque travailleur d’accumuler des droits tout au long de sa vie active et de les utiliser au moment où il le souhaite, en fonction de ses besoins, notamment de ses besoins de formation. Un tel dispositif pourrait être étendu à l’échelle européenne, ce qui permettrait en outre de favoriser la mobilité intra-européenne en connectant les divers systèmes.

Le socle devrait aussi s’attacher à créer les conditions d’une véritable flexisécurité partout en Europe, permettant aux employeurs d’adapter leurs besoins de main-d’œuvre en fonction de leur activité économique, et aux actifs de bénéficier de protections fortes en dehors des périodes d’activité.

De telles mesures devraient être de nature à favoriser la compétitivité européenne dans la compétition économique mondiale, indispensable à la création d’emplois et à la survie du modèle social européen.

La mobilité européenne des travailleurs est un atout pour un meilleur accès au marché du travail. De nombreuses initiatives ont été prises ces dernières années en ce sens, comme par exemple le développement des EURES. Il est également indispensable de supprimer un certain nombre de freins à la mobilité en favorisant la portabilité européenne des droits sociaux. Le droit européen permet déjà la portabilité des droits à la retraite et à l’assurance-maladie et, dans une moindre mesure, des droits au chômage. Vos rapporteurs proposent d’aller plus loin.

Les règlements de coordination de l’assurance chômage prévoient que, pour le chômeur se rendant dans un État membre autre que l’État dans lequel il a cotisé, « le droit aux prestations est maintenu pendant une période de trois mois au maximum, à compter de la date à laquelle l'intéressé a cessé d'être à la disposition des services de l'emploi de l'État qu'il a quitté, sans que la durée totale de l'octroi des prestations puisse excéder la durée des prestations pendant laquelle il a droit en vertu de la législation dudit État. » Or, ce délai de trois mois, relativement court, est pénalisant pour la mobilité des travailleurs. Vos rapporteurs proposent de mettre en œuvre une prise en charge de l’assurance chômage par l’État de dernier emploi (État où le travailleur a cotisé) et non par l’État de la demande et pour une période plus longue de minimum six mois.

Concernant la formation professionnelle, la loi française permet déjà d’utiliser les droits acquis en France dans le cadre du CPA dans un autre pays de l’Union européenne. De nombreux pays prévoient un droit individuel à la formation professionnelle ; d’autres pourraient s’en doter dans le cadre du socle européen des droits sociaux. Un des grands enjeux des années à venir serait de permettre une coordination européenne de ce droit individuel à la formation, permettant ainsi de favoriser la mobilité intra-européenne en connectant les divers systèmes.

Le chômage des jeunes européens est un sujet préoccupant sur lequel les pays membres comme l’Union européenne doivent continuer à se mobiliser (6).

La pérennisation de l’IEJ (Initiative pour l’emploi des jeunes) devra, à cet égard, être un objectif affiché du socle, alors même que ses difficultés de mise en œuvre dans certains pays font peser des doutes sur le renouvellement du dispositif après la première programmation.

La mobilité des jeunes en Europe est un objectif prioritaire, qui pourrait être aussi favorisée par la création d’une carte étudiante européenne, sur le modèle de celle actuellement expérimentée par la France et l’Allemagne. Une telle carte permettrait aux étudiants d’accéder, dans tous les pays de l’Union, à un certain nombre de prestations de base – logement, bibliothèque, restauration.

En outre, l’élargissement et la démocratisation d’Erasmus doivent demeurer un objectif. Il convient notamment de mettre en œuvre une harmonisation des systèmes d’apprentissages pour permettre une montée en puissance du dispositif « Erasmus des Apprentis », qui vient de démarrer, avec pour objectif d’offrir aux jeunes qui suivent des filières professionnelles les mêmes opportunités qu’à ceux qui suivent des cursus académiques.

Enfin, il convient de ne pas se contenter de la Charte des stages de l’Union européenne, a minima et sans caractère contraignant, et de promouvoir en Europe un véritable statut du stagiaire, qui interdise partout en Europe les stages hors cursus et rende obligatoire la rémunération des stages (7).

La France est motrice dans le projet de création d’un salaire minimum européen ; notre commission a d’ailleurs examiné récemment un rapport sur ce sujet, qui exposait les avantages d’un tel salaire minimum (8), essentiel tant pour la construction de l’Europe sociale que pour la coordination des politiques économiques en Europe, en particulier dans la zone euro.

Malgré les difficultés de compétence liées au traité, le socle européen des droits sociaux devra faire de cette question une de ses priorités, via une recommandation de la zone euro, ou, plus largement, en appelant à une coordination intergouvernementale sur ce sujet, qui pourrait être ainsi ouverte à l’ensemble des États membres et non aux seuls membres de la zone euro.

Il s’agirait d’acter la nécessité pour chaque pays de se doter d’un salaire minimum, soit par la loi, soit par la négociation collective et d’organiser un processus de convergence de ces salaires minima dans le cadre du semestre européen, en coordination étroite avec les partenaires sociaux.

Le socle devra favoriser l’égalité au travail entre les travailleurs titulaires de contrats classiques et ceux soumis à des relations de travail plus floues du fait de la croissance de l’économie de partage et de l’augmentation des plateformes numériques.

En effet, alors que de nombreux travailleurs ne sont plus soumis à un contrat caractérisé par un lien de subordination juridique mais à une réelle subordination économique, le socle devra s’attacher à créer des conditions de travail et de protection sociale équitables adaptées à ces nouvelles formes d’emploi : droit à la présomption de travail pour lutter contre le faux travail indépendant, droit à une rémunération adéquate, droit à des conditions de travail équitables (notamment en termes de temps de travail), droit à la formation, droit à la protection contre le risque chômage et le risque vieillesse notamment.

Vos rapporteurs estiment nécessaire que le futur socle européen des droits sociaux aille dans le sens de la mise en place d’une assurance chômage au niveau européen. Constituant un socle de base que les pays pourraient compléter librement au niveau national, celle-ci, comme envisagé dans le rapport présenté à notre commission en février 2016 (9), serait un bon stabilisateur économique et social pour l’Europe. Ce serait en outre une réalisation concrète pour l’Europe sociale, dont l’Union a besoin.

Ce sujet, qui est encore peu présent dans le débat européen et relève encore du débat entre experts, doit faire partie des réflexions prioritaires de la Commission dans l’élaboration du socle. Alors que la zone euro est devenue celle du chômage de masse, où le chômage et le salaire jouent le rôle de variable d’ajustement en cas de crise, cette question met en jeu à la fois la question plus globale de la convergence sociale et celle de la relance de l’Europe sociale.

Une certaine harmonisation des couvertures maladie entre États membres, par exemple en fixant un socle de couverture minimum, pourrait avoir deux effets positifs pour le fonctionnement de l’Union européenne, au-delà de l’impact positif sur la cohésion sociale :

- améliorer le capital humain, en limitant le renoncement aux soins pour raison financière. Le développement et la préservation du capital humain ne passent pas uniquement par les qualifications mais également par le maintien des individus en bonne santé ;

- favoriser une mobilité équitable entre États membres : une couverture socle réduirait potentiellement des freins à la mobilité des individus entre État d’une part, et d’autre part limiterait les incitations à la mobilité basées sur la recherche d’une meilleure couverture maladie ;

- par ailleurs, de manière indirecte, il n’est pas exclu que la mise en place d’une couverture minimale dans tous les États puisse éventuellement se diffuser pour une amélioration des autres couvertures. Cela pourrait pousser au relèvement des cotisations maladie dans les pays où les assurances sociales sont les moins bonnes (et pourrait réduire l’écart de coût du travail entre États et réduire les difficultés liées au travail détaché). Ce phénomène théorique devra toutefois être confirmé dans les faits.

Ainsi, une couverture socle, garantissant une couverture santé minimale pour tous les ressortissants de l’Union européenne, pourrait être envisagée dans le droit communautaire. L’étendue des services et biens de santé qu’elle couvre pourrait difficilement être harmonisée tant les systèmes de santé nationaux sont différents.

À l’instar de Mme Maria João Rodrigues, rapporteure pour la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen (10), vos rapporteurs estiment que l’objectif de convergence sociale vers le haut doit être sous-tendu par un ensemble d’objectifs à atteindre, sur la base de la stratégie Europe 2020 et des objectifs de développement durable, et doit servir à la coordination des politiques économique, sociale et d’emploi de l’Union. Ils estiment aussi que ces objectifs pourraient faire partie du code de convergence actuellement examiné pour la zone euro.

Ces objectifs, sous formes d’indicateurs, pourraient être construits en coopération avec l’ensemble des acteurs concernés (citoyens européens, partenaires sociaux, États membres, institutions européennes), ce qui serait un gage de leur acceptabilité.

De ce fait, le socle devrait être articulé avec le semestre européen, de sorte que les tableaux d’indicateurs en matière sociale et d’emploi ainsi que le code de convergence créé par le socle soient pris en compte lors des recommandations par pays et pour la zone euro. Cette surveillance macrosociale est décisive pour articuler l’économique et le social, qui doivent aller de pair pour le bon fonctionnement de la zone euro et de l’Union dans son ensemble.

La mise en place de mécanismes incitatifs – et non contraignants – est souhaitable. Une notation sociale, un « triple A social » pour reprendre l’expression de Jean-Claude Juncker, permettrait d’organiser la convergence entre les pays membres. Une véritable notation sociale permettrait en outre de mieux orienter les fonds européens, aujourd’hui accordés de manière non liée aux performances sociales des États, et selon des critères non coordonnés avec ceux du semestre européen.

Les fonds européens actuels en matière sociale (FESE, FEDER, FEM) ont des règles de gouvernance parfois lourdes et compliquées, peu lisibles, qui ne sont pas toujours orientées vers les dépenses d’investissement social. La création du socle doit être l’occasion de réorienter ces fonds et d’en revoir les règles de fonctionnement afin de leur permettre de remplir leur vocation première. De même, il serait opportun de s’engager sur la pérennisation du FEAD, dont la mise en œuvre lente et difficile fait craindre qu’il ne soit pas reconduit lors de la prochaine programmation du cadre financier pluriannuel.

Enfin, il serait peut-être judicieux, comme évoqué dans le paragraphe précédent, de lier l’attribution des fonds avec le respect des droits sociaux existants et des priorités fixées en matière sociale ou dans le cadre du semestre européen par la Commission.

CONCLUSION

Vos rapporteurs souhaitent que le projet de socle européen des droits sociaux aboutisse.

Le socle européen des droits sociaux pourrait être la base d’une convergence vers le haut des droits sociaux qui aurait un double bénéfice : lutter contre la pauvreté en Europe, d’une part, et, d’autre part, permettre une meilleure coordination économique, notamment au sein de la zone euro, indispensable à la survie de la monnaie commune.

Le présent rapport et la proposition de résolution qui l’accompagne constituent la réponse de la commission des Affaires européennes et de l’Assemblée nationale à la consultation publique lancée par la Commission européenne sur le socle européen des droits sociaux. Ils sont marqués par la volonté d’affirmer des principes clairs et précis pour le socle européen des droits sociaux, afin de garantir sa réussite.

Le processus de consultation s’achèvera le 31 décembre 2016 et servira de base à la proposition finale de socle que la Commission européenne présentera début 2017. Les contributions reçues serviront également aux travaux sur le Livre blanc sur l’avenir de l’Union économique et monétaire européenne, prévu pour le printemps 2017.

Vos rapporteurs souhaitent vivement que les propositions, précises, du présent rapport, soient étudiées avec soin par la Commission européenne. Elles sont de nature à enrichir la réflexion de la Commission européenne sur les principaux enjeux relatifs à la protection sociale aujourd’hui : la construction d’un marché du travail européen unifié et sans distorsion sociale (réglant notamment et en premier lieu la question du détachement des travailleurs), l’élaboration d’un cadre juridique protecteur et d’une protection sociale adaptée pour les travailleurs pluri-actifs, notamment de la nouvelle économie, ainsi que la lutte contre la pauvreté.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 6 décembre 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Jacques Myard. J’ai écouté nos collègues avec beaucoup d’intérêt, car, pour paraphraser une formule célèbre, personne n’a le monopole du social, et je ne peux bien évidemment que souscrire aux objectifs de votre proposition, dans la mesure où, améliorer les conditions des travailleurs, comme dirait le camarade Marchais, est un objectif parfaitement louable en soi, tout comme la préservation de l’État providence européen marqué par un accroissement régulier des droits sociaux.

J’ai toutefois le sentiment, à vous écouter, que vous traitez d’avantage les conséquences que les causes, puisqu’in fine vous souhaitez que le socle serve à conforter la zone euro. Il faudrait avant tout que vous vous interrogiez sur les réalités de la machine économique construite en Europe : la monnaie unique a été une formidable machine infernale à créer du chômage. Je suis bien sûr d’accord sur la nécessité de l’égalité au travail et de permettre la conciliation avec la vie familiale, ou encore avec la nécessité de développer Erasmus, mais, vous omettez la cause fondamentale de la crise sociale et économique, qui est directement liée à l’inadéquation de la monnaie unique en Europe et à la faiblesse des investissements dans toute la zone, particulièrement en France, et y compris en Allemagne, qui vit sur son capital.

En exposant fortement vos propositions, avec la passion légitime qui est la vôtre, vous mettez la charrue avant les bœufs : aujourd’hui pour régler le problème social, il faut commencer par relancer la machine économique. À ce titre, les initiatives européennes, comme le plan Juncker – un cautère sur une jambe de bois – sont insuffisantes. Il faut tout mettre sur l’investissement, changer de logiciel économique, et même, comme je l’ai proposé, permettre des avances du système des banques centrales aux États pour l’investissement et la relance de la machine économique. Tout ce que vous dites n’a de sens que si la machine économique est relancée, que si les investissements reprennent ; effectivement, comme disait Bergeron, il faut du grain à moudre. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le salaire minimum car beaucoup de nos partenaires n’en veulent pas ; on voit d’ailleurs ce qui se passe en Allemagne, où il y a une véritable exploitation de certains travailleurs immigrés. Une fois qu’on aura relancé l’économie et l’investissement, on pourra défendre un certain nombre de points qui me paraissent effectivement importants et que vous avez défendus, tels qu’Erasmus.

M. Gilles Savary. Je salue ce travail extrêmement complet et qui répond au devoir de la France de faire entendre une voix forte sur ce sujet-là. Je suis d’accord avec notre collègue Myard pour dire que nous avons mis en place des politiques procycliques coordonnées et conjointes qui ont terriblement ralenti la croissance, ajouté au ralentissement de la croissance lié à l’onde de choc de la politique des « subprimes », et créé un ralentissement généralisé de l’ensemble de l’économie européenne. Mais cela n’est pas lié à l’euro : ce n’est pas la faute de l’euro mais de la politique économique européenne. D’ailleurs, ce que l’on a pu maintenir s’est fait au prix d’une dérégulation complète et d’une sortie de l’orthodoxie monétaire. C’est la banque centrale qui a à peu près sauvé ce qui restait à sauver en faisant de la production de monnaie ; et ce sont plutôt les États, du fait de difficultés liées aux divergences économiques – les Allemands n’entendant pas payer pour les autres – qui ont fait que la politique économique a été calée sur l’assainissement des dettes – qui n’a pas réussi d’ailleurs – de façon à ce que les Allemands ne considèrent pas qu’ils étaient les financeurs de l’ensemble des autres pays et, surtout, qu’il n’y ait pas d’incitation à s’engager dans un endettement public non contrôlé.

C’est un sujet qui, en réalité, tient plutôt à la génétique de l’Europe, c’est-à-dire au fait qu’on a une politique économique coopérative – même si elle est supervisée aujourd’hui par le semestre européen – alors que l’on a une monnaie unique. Ironie du sort, c’est la structure la moins démocratique – la banque centrale européenne – qui a fait la politique conjoncturelle ; ce n’est pas la structure politique, c’est-à-dire le Conseil. On a la construction européenne, qui est une construction avec un espace public fondamentalement national – on rend des comptes politiques aux nations et on parle à son peuple quand on sort du Conseil – et un tricotage fédéral, furtif pendant des années, ce qui fait qu’on est sur ce porte-à-faux du fait de la crise.

Il est indéniable qu’il y a aussi des problèmes structurels à régler dans chacun des pays ; par exemple le problème du chômage français – à 6 millions de chômeurs de catégorie B – n’est pas le problème de l’ensemble des pays européens. Il ne faut pas intérioriser notre problème et penser qu’il est celui de toute l’Europe : il y a des pays qui font mieux. En outre, nous avons une dérégulation complète du marché du travail ; le marché du travail européen est aujourd’hui une superposition des marchés nationaux sur lesquels s’instillent des dérégulations complètes qui sont en train de complètement déstabiliser les marchés nationaux. La concurrence est saine quand elle améliore la créativité et la qualité de service, mais, aujourd’hui, ce sont les différences fiscales et sociales qui alimentent le jeu concurrentiel.

Je me félicite que nos collègues aient fait un certain nombre de propositions, au premier rang desquelles l’assurance chômage européenne est probablement la plus forte : avec un tel système, aucun pays n’aurait intérêt à laisser le chômage se développer dans les autres pays, car tout pays payerait en partie l’assurance chômage. C’est un mécanisme désincitatif des politiques pro-cycliques et une idée très forte à mettre en place. Si on avait eu un tel mécanisme, aucun pays n’aurait eu intérêt à laisser se développer le chômage en Grèce, en Espagne ou au Portugal. J’ai en revanche une approche plus critique sur d’autres propositions ; il ne faut pas transposer notre modèle social à toute l’Europe car, d’une part, cela reviendrait à entreprendre les travaux d’Hercule, et, d’autre part, ce serait trop autocentré, car on veut toujours transposer son propre système.

Il faut au contraire s’attaquer à des phénomènes nouveaux, non régulés, qui ne font pas partie du patrimoine social des nations. Il faut par exemple une réglementation européenne sur l’économie numérique : quelle est la fiscalisation de l’économie numérique ? Quels sont les droits sociaux attachés à ses travailleurs ? On ne peut pas traiter Uber de manière différenciée en fonction des pays membres. C’est un phénomène radicalement nouveau sur lequel je ne vois pas de réflexion lourde en termes de régulation. En France, Uber ne se considérait pas comme un organisateur de transport ; nous avons eu une réponse législative nationale sur la question des plateformes, mais ce n’est pas le cas partout en Europe. De même, la question des faux indépendants et de l’auto-entreprenariat appelle une régulation européenne. On n’en fait pas de réforme du travail, mais elle se fait toute seule, et le patronat la met en œuvre grâce au recours à tous ces artifices et moyens : autoentrepreneurs, plateformes numériques, travailleurs détachés des sociétés d’intérim. C’est une flexibilisation que j’appelle « darwinienne », comme pour les travailleurs détachés, c’est-à-dire une flexibilisation sauvage, rapide et violente. Ce sont des sujets sur lesquels j’apprécierais qu’on envoie un message fort à l’Europe : alors que nous sommes tous face au même phénomène, il faudrait une régulation sur ces sujets créateurs d’emplois ; et on n’imposerait pas un modèle national, car ce sont des phénomènes nouveaux. C’est très important.

Je pense qu’il faudrait aussi que vous repreniez l’idée d’une carte de travailleur européen, sur le modèle de la carte Vitale, pour identifier les droits du titulaire. Cela permettrait de s’affranchir des procédures compliquées liées aux bureaux de liaison. Il faut inventer la figure du travailleur européen, et que chaque travailleur européen mobile ait sur lui la carte qui permet d’identifier les droits qu’il porte et les organismes sociaux auxquels il est rattaché.

Je vais enfin revenir sur un sujet qui m’est cher, celui du travail détaché. Il y a quand même une très grande curiosité : la prestation de service internationale, qui est le détachement d’intérim, ressortit de la directive « détachement » et non de la directive « établissement ». C’est pratiquement la seule prestation de service qui n’est pas assujettie à la directive « établissement », parce qu’on considère qu’elle gère un trafic de travailleurs qui doivent être libres de circuler, même s’ils coûtent moins cher que tous les autres et sont moins bien protégés. Or, une société d’intérim est une société de services qui devrait être tenue de s’établir. On a besoin de main-d’œuvre étrangère, notamment pour les métiers en tension où il n’y a pas de main-d’œuvre française – par exemple, de soudeurs polonais qui coûtent 4 000 euros mensuels sur les chantiers de l’Atlantique : le détachement n’est pas forcément du travail low cost – mais ces mises à disposition de main-d’œuvre étrangère ne devraient être liées qu’à des échanges d’entreprises et non à des trafics de main-d’œuvre. La question n’est pas d’interdire le travail détaché : on se tirerait deux fois une balle dans le pied, une première fois en se privant d’envoyer nos travailleurs à l’étranger pour vendre la France, et, une seconde fois, en se privant de main-d’œuvre étrangère dont nous avons besoin ; mais le détachement d’intérim devrait être assujetti à l’établissement.

M. Bruno Gollnisch, député européen. J’ai deux questions sur ce travail extrêmement stimulant pour l’esprit – quoi que l’on pense du fond de l’affaire et des solutions proposées – et qui ne relève pas de mon domaine de compétence. La première porte sur le périmètre : pourquoi se limiter à la zone euro ? Je ne vois pas très bien ce qui empêcherait que ce socle social s’applique à d’autres pays que ceux de la zone euro ; cela me paraît même, si tant est que ce socle social soit nécessaire, une nécessité dans la mesure où les pays hors zone euro sont ceux desquels on peut craindre le plus le dumping social. Ce serait plutôt un motif supplémentaire pour leur appliquer le socle. Ma deuxième question concerne la portabilité du système social – et cela rejoint ce que disaient nos collègues Myard et Savary sur les questions de travailleurs détachés. Je ne crois pas à l’unification des régimes sociaux pour les raisons qui ont été exposées à l’instant. En revanche, on peut espérer des règles de conflits de lois qui soient claires et précises. Pourquoi ne pas décider, dans ce domaine, que s’agissant d’un travailleur d’un pays A qui vient travailler dans un pays B, le régime qui lui sera applicable sera le plus favorable afin d’éviter le dumping social ? Par exemple pour le salaire minimum et la durée du travail, domaines où la détermination du régime le plus favorable n’est pas trop difficile ? C’est une mesure qui respecterait la diversité des régimes sociaux de chaque État mais qui serait de nature à faire cesser le dumping social que l’on craint, à juste titre.

Mme Nathalie Chabanne. Merci à nos collègues pour cette présentation très claire du sujet. Je voudrais revenir sur la problématique de la nature juridique du socle, car son manque de clarté ne participe pas à la sécurité juridique de l’ensemble des travailleurs. Quelle serait la nature exacte du socle européen des droits sociaux qui serait créé ? Vous avez parlé de la problématique de la mise en œuvre de ce socle, que vous comprenez comme un outil économique. Je le vois plutôt de mon côté comme un code qui puisse s’appliquer à l’ensemble des travailleurs dans un délai relativement bref.

Il ne faudrait pas changer de paradigme. Le code a vocation à édicter les règles protectrices de droit du travail et non de droit du marché du travail – ce n’est pas la même chose – et je suis d’accord que ce code devrait s’appliquer à l’ensemble de la zone et non se limiter à la zone euro. Le socle pourrait être bénéfique pour l’ensemble des citoyens européens. Aujourd’hui, l’Europe pâtit de suffisamment de défauts pour ne pas créer un nouveau système à deux vitesses, qui accroîtrait les inégalités sociales et le dumping social – qui pourrait paraître encore plus exacerbé si le socle ne s’appliquait qu’à la zone euro.

M. Arnaud Richard. Je vois que nous répondons à une consultation de la Commission européenne qui date de mars dernier ; la Commission va donc en tirer des conséquences pour modifier le droit social européen via des directives ou des règlements. Mais le modèle social européen va-t-il survivre à la mise en œuvre de ce socle ? On voit plus de dérégulation que de régulation dans tous ces beaux principes.

La Présidente Danielle Auroi. Je rappelle que c’est une consultation publique à laquelle tout le monde peut répondre. Nous sommes parmi les parlements nationaux qui répondent le plus aux consultations publiques de la Commission. C’est notre intérêt, car la consultation précède la mise en forme juridique. Je remercie nos collègues de nous faire cette proposition de compromis entre au moins deux tendances des deux côtés de l’hémicycle. C’est un travail collectif et c’est un compromis, très européen de ce point de vue-là.

J’ai deux remarques à faire. Je vous ai trouvé, presque à l’inverse de ce que disent les collègues, un peu tendres dans vos propositions. Il me semble qu’il faudrait que l’on soit plus directif – notamment en remplaçant dans la proposition de résolution le plus souvent possible le verbe « estimer » par le verbe « souhaiter ». Il faut bien que l’on dise ce que l’on souhaite, et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, le marché dérégulé est sans arrêt mis en cause (comme en Italie ou lors du « Brexit »). La pauvreté augmente. Si on prend les références « seuil de pauvreté », on s’aperçoit que beaucoup de pays sont concernés et que les gens vivent en grand nombre sous le seuil de pauvreté. Il faut questionner la pauvreté et non seulement les formes de travail. Deuxièmement : vos propositions, réponses à une commande, sont une étape. Il faudra dans un deuxième temps travailler encore sur les droits sociaux face au développement de l’économie collaborative et de l’économie numérique. Je suis, sur beaucoup de sujets, favorable à un travail « de poisson-pilote » sur la zone euro ; mais en l’occurrence, du fait des risques de dumping social, je suis aussi plutôt favorable à un périmètre à 27.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Je voudrais répondre à Jacques Myard que, s’il avait été présent dans cette même salle la semaine dernière lorsque nous avons, Arnaud Richard et moi-même, présenté notre rapport sur l’approfondissement de l’UEM, il aurait entendu que tout cela forme un tout. Nous traitons aujourd’hui de la réponse à la consultation de la Commission européenne sur le socle européen des droits sociaux, mais, évidemment, pour approfondir l’UEM qui est bancale aujourd’hui, avec une union monétaire sans union économique, il nous faut aller plus loin vers la convergence salariale, fiscale, et sociale. Au sein de la zone euro, les déséquilibres créés par des politiques salariales et sociales très divergentes – comme l’a mentionné Gilles Savary – font que notre monnaie est sous le feu de tous ceux qui en veulent la destruction. Notre objectif aujourd’hui est bien de sauver l’UEM dans son ensemble, en lui amenant un aspect social pour assurer son équilibre.

Concernant la question du périmètre, bien sûr, on voudrait un socle pour toute l’Europe, mais il faut être réaliste. On connaît la réalité de l’Union européenne aujourd’hui. On sait que les pays qui sont les moins allants en termes de coopération sociale ne sont pas dans la zone euro aujourd’hui. Il vaut mieux, à notre avis, aller plus vite, avoir un socle au niveau de la zone euro, auquel d’autres pourront adhérer et qui deviendra le socle de tous ceux qui adhéreront demain à la zone euro, puisque l’objectif, à présent, de tous les pays de l’Union hors zone UE hormis le Danemark, est de rejoindre la zone euro. Si on attend que tous les pays de l’Union européenne veuillent adhérer au socle, je crains que nous n’attendions trop longtemps ces adaptations absolument nécessaires.

En réponse à Gilles Savary, je voudrais dire que notre objectif n’a jamais été de créer des réponses franco-françaises, hormis la proposition CPA qui permettrait une portabilité européenne et qui intéresse la Commission. On peut effectivement symboliser le rattachement des droits à la personne dans une carte européenne.

Une des enjeux majeurs des années à venir est d’avoir un règlement de coordination de la formation européenne comme on en a pour la vieillesse, la santé et le chômage.

Sur la question de la nature juridique, l’objectif est de créer un socle, donc des droits minimaux. Nous souhaitons, et ce sera sans doute la position de la France, que l’on ne s’arrête pas à la simple création d’un socle de droits mais qu’on organise la convergence vers le haut de ces droits. C’est pour cela que l’on propose dans la dernière partie du rapport un certain nombre de mesures qui permettraient d’organiser cette convergence au sein du semestre européen, en étant incitatif, et non contraignant – la contrainte en matière sociale se retourne souvent contre ceux qui ont le plus de difficultés. On ne va pas pénaliser un pays parce qu’il a plus de chômeurs ; il faut créer des outils incitatifs pour permettre aux pays les plus en difficulté de pouvoir s’en sortir. C’est pour cela, notamment, que nous proposons que les fonds européens soient orientés vers les priorités en matière sociale, et qu’il y ait une coordination entre la politique des fonds et celle du semestre européen. L’objectif est qu’il y ait moins de différences au niveau européen et plus de coopération en matière économique.

M. Jean-Patrick Gille, co-rapporteur. Ce débat peut paraître vague et idéologique mais la PPRE fait toute une série de propositions qui sont tout à fait précises et appréhendables par tout le monde. L’exercice n’était pas de penser toute l’Europe et l’économie mais bien de répondre à la consultation sur le socle ; il est vrai toutefois que c’est l’occasion de relier l’économique et le social, comme nous l’indiquons dans notre rapport. À partir du moment où l’on a une monnaie unique, on ne peut plus dévaluer. On a cru qu’on allait converger, mais en fait ce n’est plus possible car, comme il n’y a plus la possibilité de dévaluer, c’est la politique sociale et les salaires qui jouent le rôle de la variable d’ajustement. Cela ne facilite pas la convergence, c’est même un élément de divergence. Comment compenser aujourd’hui ce point qui a été sous-estimé ? C’est la question qui est posée. La réponse est que l’on est dans une véritable difficulté, car on n’a pas un vrai marché de l’emploi européen, ou, comme disait notre collègue Savary, nous avons un marché qui est sauvage. Il suffit pour éclairer le débat de citer deux chiffres : le salaire minimum en Bulgarie – 184 euros – et celui au Luxembourg – 1 923 euros. C’est quand même très tentant pour les Bulgares de venir travailler chez nous, même au Smic. On a là une vraie difficulté. On a un marché de l’emploi qui n’est pas régulé, pas organisé, mais, en même temps – et c’est le principe de l’Europe – on a organisé la liberté de circulation des travailleurs. On ne peut résoudre cette tension qu’en créant une régulation du marché de l’emploi, seule à même de contrer ces distorsions sociales. Ce ne sera qu’à partir de ce moment-là que l’on pourra parler d’un vrai marché du travail européen. C’est toute la problématique de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. L’idée du droit d’option est compliquée, car qui va définir la manière de lever l’option ? Il faut avoir un dispositif permettant de créer cette convergence, qui, bien sûr, doit être ascendante.

Deuxième sujet connexe que nous défendons : la question du compte personnel – en lien avec la carte de travailleur européen que défend Gilles Savary. Il ne s’agit pas de plaquer le modèle français – d’ailleurs nous en sommes encore aux balbutiements. Ce qui est important, c’est l’idée derrière cette notion de compte : les droits ne sont plus liés au contrat mais à l’individu, et sont garantis collectivement. C’est ce qu’on a fait il y a soixante-dix ans avec la Sécurité sociale. L’idéal serait que ces droits soient garantis collectivement au niveau européen – nous n’y sommes pas encore. Cette idée est sous-jacente aussi dans ma proposition d’assurance chômage européenne, avec un socle garanti collectivement par l’ensemble des pays membres. Elle est importante, car elle nous permet de résoudre deux problèmes : celui de la mobilité, d’une part, et, d’autre part, le problème le plus important de la nouvelle économie qui est la pluriactivité. La forme de salariat classique que l’on connaît est en train d’éclater : ce n’est pas la relation au travail qui change, mais le fait que les gens basculent autour de nous dans des formes de pluriactivité. La notion de compte a un mérite extraordinaire : chaque activité vient abonder le compte et résout donc à la fois le problème de la mobilité et celui de la pluriactivité. C’est pour cela que je pense qu’elle est porteuse.

Sur la zone euro, notre réponse n’est pas idéologique mais pragmatique : nous recherchons l’efficacité. Or, la zone euro est celle qui a le plus intérêt à mettre en œuvre le socle, car elle est très fragile et a intérêt à se consolider. La zone euro a plus d’intérêt à agir et donc peut-être plus de chance de réussir, quitte à s’élargir aux autres États membres par la suite.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Un dernier mot sur la sémantique de la résolution : on peut tout à fait changer les mots « estime » par les mots « souhaite ».

M. Jean-Patrick Gille, co-rapporteur. J’ajouterai que le sujet fondamental n’est pas celui du statut juridique mais celui de la méthode : comment faire ? Par quelle méthode fait-on converger les droits sociaux ? Comment comprendre le socle ? À notre sens, c’est un minimum partagé que chaque État pourra compléter ; c’est d’ailleurs un modèle qui existe déjà beaucoup en Europe. À ce sujet, la question de savoir si toute personne, même démissionnaire, doit avoir des indemnités chômage, va arriver dans le débat public. C’est compliqué dans notre système à nous, mais possible dans d’autres pays où le système est organisé différemment, sur la base d’un socle minimal et de compléments.

Pour conclure sur la méthode, ces avancées ne se feront pas uniquement par l’intergouvernemental : il faudra aussi du dialogue social, ce qui nécessite de renforcer et revitaliser le dialogue social européen, actuellement en difficulté et qui nécessite, comme nous l’ont exposé les organisations rencontrées, d’être revitalisé. Ma conviction est que le sujet est vraiment d’arriver à construire un marché du travail européen, aujourd’hui encore non régulé.

La Présidente Danielle Auroi. Il faudra en effet approfondir cette réflexion, en particulier sur l’économie du numérique.

La commission a adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution européenne. »

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L’Assemblée nationale,

Vu le Traité sur l’Union européenne, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la Charte sociale européenne, son protocole additionnel et sa version révisée entrée en vigueur le 1er juillet 1999,

Vu le rapport dit des cinq présidents, « Compléter l’Union économique et monétaire européenne », du 22 juin 2015,

Vu la législation existante en matière sociale et économique, et notamment les mécanismes de coordination des politiques et les instruments financiers de l'Union européenne dans les domaines de l'emploi, de la politique sociale, de la politique économique et monétaire, du marché intérieur, de la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux, du Fonds social européen et de la cohésion économique, sociale et territoriale,

Vu la communication de la Commission européenne du 8 mars 2016 sur le lancement d’une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM(2016) 127) et ses annexes,

Se félicitant que la Commission européenne lance une consultation sur le socle européen des droits sociaux, marquant la volonté de remettre les questions sociales et économiques au cœur des politiques européennes,

Regrettant que le pilier social de l’Union économique et monétaire ait trop longtemps été négligé, alors même qu’il est une des clés de sa réussite,

Jugeant indispensable de rééquilibrer l’action de l’Union européenne en faveur de l’économique et du social, pour sa survie en général et celle de la zone euro en particulier,

Jugeant que ce rééquilibrage est aussi nécessaire pour rendre foi en l’Union européenne aux citoyens afin de lutter contre les replis nationaux et l’euroscepticisme,

Considérant que l’Union européenne et les États membres sont parvenus à créer un modèle social parmi les plus avancés du monde en matière de protection sociale et de droit du travail, s’attachant à promouvoir l’emploi et le progrès social,

Considérant que cet acquis social doit être préservé,

Considérant que cet acquis social est aujourd’hui menacé par les problèmes sociaux auxquels fait face l’Union européenne depuis la crise économique et financière de 2010, ainsi que par les mutations actuelles des économies liées à la numérisation et aux nouvelles technologies, et par les défis sociaux de long terme liés au vieillissement des populations, à l’accroissement des inégalités, aux changements climatiques, aux flux de migrants et de réfugiés,

Considérant que l’Union et ses États membres doivent relever ces défis en s’appuyant sur des initiatives communes ambitieuses,

Considérant que le socle européen des droits sociaux peut constituer une initiative de ce type, de nature à renforcer le modèle social européen en lui permettant d’entrer dans le XXIe siècle,

Considérant que le socle européen des droits sociaux doit être compris aussi comme un outil économique, les déséquilibres sociaux ayant un impact sur le potentiel de croissance et de compétitivité de long terme,

Considérant que la mutation des économies et les défis précédemment cités impliquent de se mobiliser pour inventer les solutions qui permettront de conserver un modèle social juste et des économies créatrices d’emplois de qualité,

Considérant que la transition réussie du marché du travail est un enjeu majeur, afin notamment d’apporter des garanties à tous les travailleurs de la nouvelle économie, les nouvelles formes de travail se traduisant par une précarité accrue et une protection sociale dégradée,

Considérant que tous les citoyens européens, actifs ou non actifs, doivent pouvoir bénéficier d’une protection sociale leur apportant des conditions de vie dignes et leur permettant de participer pleinement à la vie en société,

Considérant que les différences actuelles entre les normes sociales des États sont de nature à créer un dumping social entre les États membres, notamment via les contournements de la directive sur le détachement des travailleurs,

Considérant que la mise en œuvre d’un salaire minimum européen et d’une assurance chômage européenne, sujets sur lesquels la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale s’est exprimée en détail, est de nature à assurer la convergence sociale entre les pays de l’Union européenne,

1. Se réjouit de l’initiative de la Commission qui remet au cœur du débat européen les questions sociales et économiques et rééquilibre leur importance par rapport aux questions financières ; estime toutefois que le socle européen des droits sociaux tel qu’il résulte de la consultation de la Commission et des documents qui lui sont associés est encore flou et a des contours trop imprécis ;

2. Souhaite que le socle européen des droits sociaux se fonde sur des principes directeurs clairs et affirmés ; que le premier d’entre eux soit la nécessité d’une convergence sociale ascendante et le maintien et le renforcement de l’acquis social européen ;

3. Juge nécessaire de clarifier la notion de socle, et en particulier de la différencier de celle de pilier, présente dans la sémantique anglaise, ainsi que d’indiquer clairement et précisément ses objectifs et sa fonction ;

4. Souhaite que le périmètre du socle, dans un premier temps, pour des raisons de pragmatisme et d’efficacité, se restreigne à la zone euro, tout État membre de l’Union hors zone euro étant bien sûr invité à s’y joindre ;

5. Souhaite que les principes directeurs du futur socle européen des droits sociaux favorisent une approche intégrée de la question économique et de la question sociale afin de rééquilibrer leur poids face aux questions financières ; remarque que la seule question financière n’épuise pas la problématique européenne et a, au contraire, du fait des résultats des politiques d’austérité, montré ses limites ;

6. Estime que la relance de la politique sociale européenne ne saurait se faire sans les partenaires sociaux, et qu’ainsi la relance du dialogue social européen et du dialogue social au sein des pays membres doit être au cœur du projet de socle européen des droits sociaux ;

7. Souhaite qu’un des objectifs principaux du socle soit de régler les problèmes que rencontrent les travailleurs lorsqu’ils tentent de faire appliquer leurs droits, que ce soit au niveau national ou lors de mobilités entre les États membres, que les citoyens européens soient accompagnés dans leurs démarches d’accès aux droits nationaux et européens, et, ainsi, que le renforcement de l’acquis social existant et de son effectivité soit une priorité du socle ;

8. Estime que le socle doit être fondé sur des principes peu nombreux permettant l’évolutivité des droits, et qu’il doit être fondé sur une démarche prospective permettant de s’adapter aux mutations du contexte économique et social ;

9. Estime que le socle doit avoir pour priorité de favoriser la création d’emploi et l’accès à l’emploi en créant les conditions d’une véritable flexisécurité ;

10. Estime ainsi que le socle devra favoriser les conditions de la compétitivité européenne dans la compétition économique mondiale, pour apporter aux entreprises et aux salariés des outils permettant à la fois de s’adapter à la réalité du marché et de protéger les parcours professionnels ;

11. Souhaite que les mutations actuelles de la relation de travail et la croissance des emplois atypiques peu protégés (faux indépendants notamment) incitent à réfléchir à la création de nouvelles protections pour ces travailleurs (droit à une rémunération adéquate et à des conditions de travail équitables, droit à la formation, droit à la protection sociale, droit à une pension), notamment en réfléchissant à la notion de subordination économique ; que la mise en place de contrats de travail sûrs et flexibles permettant de réduire les inégalités entre les travailleurs plus protégés et les autres, mais aussi de sécuriser les employeurs en simplifiant le cadre réglementaire, soit une priorité du socle ;

12. Souhaite ainsi qu’une des priorités du socle soit d’attacher les droits à la personne et non au contrat, sur le modèle français du compte personnel d’activité (CPA), afin de permettre à chaque citoyen d’accumuler des droits tout au long de sa vie active et de les utiliser au moment où il le souhaite, en fonction de ses besoins ;

13. Souhaite que la mise en place de la flexisécurité s’accompagne d’une politique volontaire d’amélioration des compétences tout au long de la vie, afin de permettre aux citoyens de s’adapter tout au long de leur vie professionnelle, et donc d’un effort accru sur la formation initiale mais aussi continue, l’investissement dans le capital humain étant décisif pour s’adapter notamment au développement de l’économie du partage et de l’économie numérique ;

14. Souhaite que le socle permette une meilleure portabilité des droits sociaux afin de favoriser la mobilité des travailleurs, notamment en ce qui concerne le droit au chômage dont la portabilité doit être étendue et le droit individuel à la formation professionnelle qui devrait faire l’objet d’un règlement de coordination ;

15. Souhaite que la mobilisation en faveur de l’emploi des jeunes soit une priorité du socle, via la pérennisation de l’IEJ, le renforcement de la mobilité des jeunes (notamment du programme Erasmus des Apprentis) et l’établissement d’une législation européenne des stages plus protectrice que la Charte des stages actuelle, afin de ne pas maintenir les jeunes dans une situation de précarité ;

16. Estime qu’il est nécessaire de mettre en place un salaire minimum dans chaque pays, soit par la loi, soit par la négociation collective, et d’organiser un processus de convergence de ces salaires minima dans le cadre du semestre européen, en coordination étroite avec les partenaires sociaux ;

17. Souhaite que le socle mette en œuvre les conditions d’une égalité au travail, tant entre les sexes – en mettant en place notamment une politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle – qu’entre les travailleurs des différents États membres – en mettant en œuvre le principe « à travail égal, salaire égal » ;

18. Souhaite que le socle garantisse les droits des travailleurs dépendant de la nouvelle économie (économie collaborative notamment) ;

19. Souhaite que le socle promeuve la mise en place d’une assurance chômage en Europe qui constituerait un socle que les États membres pourraient compléter, et modifie les règles actuelles d’indemnisation pour permettre une indemnisation chômage supérieure à trois mois en cas de mobilité d’un travailleur dans un autre pays membre ;

20. Souhaite que le socle mette en place un revenu minimum dans chaque pays européen ainsi que tout dispositif de nature à assurer à tous les citoyens européens, et notamment les plus fragiles d’entre eux, un niveau de vie décent et les conditions d’une participation à la vie en société ;

21. Souhaite que le socle garantisse une couverture santé minimale dans chaque pays de l’Union ;

22. Souhaite que, pour atteindre tous ces objectifs, le socle se dote d’outils efficaces et pragmatiques, et estime qu’il est nécessaire de développer le débat public en matière sociale afin de faire participer tous les acteurs à la construction d’indicateurs de mesure de performance sociale des États membres ;

23. Souhaite que de tels indicateurs participent à la mise en œuvre d’un code de convergence sociale, basé sur des objectifs sociaux à atteindre, qui pourrait s’articuler avec le semestre européen ;

24. Souhaite enfin que la réorientation des fonds européens (FSE, FEDER, FEM), afin de lier leur attribution au respect des droits sociaux existant et des priorités fixées en matière sociale ou dans le cadre du semestre européen par la Commission, soit envisagée, et que la pérennité du FEAD soit garantie.

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION

On the European Pillar of Social Rights

The National Assembly,

In the light of the Treaty on European Union, the Treaty on the functioning of the European Union and the Charter of Fundamental Rights of the European Union,

In the light of the European Social Charter, its additional protocol and its revised version that entered into force on 1 July 1999,

In the light of the so-called five presidents report, 'Completing Europe's Economic and Monetary Union', of 22 June 2015,

In the light of the existing legislation on social and economic matters, and especially the mechanisms coordinating the policies and the financial instruments of the European Union in the fields of employment, social policy, economic and monetary policy, the internal market, free movement of goods, persons, services and capital, the European Social Fund and economic, social and territorial cohesion,

In the light of the communication from the Commission to the European Parliament of 8 March 2016 launching a consultation on a European Pillar of Social Rights (COM(2016) 127) and its annexes,

Welcoming that the European Commission is launching a consultation on the European Pillar of Social Rights, marking the determination to place social and economic issues back at the heart of European policies,

Regretting that the social pillar of the Economic and Monetary Union has been neglected for too long, whereas it is one of the keys to its success,

Deeming it essential to re-balance EU action to promote economic and social matters, for its survival in general and that of the Eurozone in particular,

Deeming that such re-balancing is also necessary so that citizens regain faith in the European Union in order to combat any withdrawal into national self-interests and Euroscepticism,

Considering that the European Union and the Member States have managed to create one of the world's most advanced social models as regards social protection and labour law, focussing on promoting employment and social progress,

Considering that these social achievements must be preserved,

Considering that these social achievements are today threatened by the social problems which the European Union has been facing since the economic and financial crisis of 2010, as well as by the present-day changes in the economies related to digitisation and new technologies, and by the long term social challenges resulting from the ageing of populations, the rise in inequalities, climate change and the flows of migrants and refugees,

Considering that the EU and its Member States must rise to these challenges by basing themselves on ambitious common initiatives,

Considering that the European pillar of social rights can form an initiative of this type, which can strengthen the European social model by bringing it into the 21st century,

Considering that the European pillar of social rights must also be understood as an economic tool, as social imbalances impact growth potential and long term competitiveness,

Considering that the previously mentioned change in economies and challenges imply making every effort to invent the solutions which will enable a fair social model to be kept along with economies creating quality jobs,

Considering that the successful transition of the labour market is a major challenge in order to provide assurances to all the workers of the new economy, as new forms of work lead to greater precarity and a deterioration of social protection,

Considering that all European citizens, whether working or not, must enjoy social protection providing them with dignified living conditions and allowing them to fully participate in social life,

Considering that the present differences between the social standards of the States can create social dumping between the Member States, especially by circumvention of the directive on posting of workers,

Considering that the implementation of a minimum European wage and a European unemployment insurance, subjects on which the National Assembly's European Affairs Committee has commented in depth, can ensure social convergence between EU countries,

1. Welcomes the Commission's initiative which places social and economic issues back at the heart of the European debate and re-balances their importance with respect to financial issues; feels however that the European pillar of social rights resulting from the Commission consultation and annexed documents is still vague and too imprecise;

2. Desires that the European pillar of social rights be based on clear and affirmed guiding principles; that the first such principle be the need for upward social convergence and maintenance and strengthening of the European social achievements;

3. Deems necessary to clarify what the French notion of 'socle' as in 'socle européen des droits sociaux' conveys. The word 'socle' means 'ground-rock' or 'foundation' whereas 'pillar' as in 'European pillar of social rights' conveys the idea of a very important part of something. Therefore the goals and purpose of the initiative should be clearly and precisely stated;

4. Desires that the perimeter of the pillar initiative be limited, in a first stage, for pragmatic reasons and in the name of efficacy, to the Eurozone, while any EU Member State outside the Eurozone will of course be invited to join;

5. Desires that the guiding principles of the future European pillar of social rights favour an integrated approach to the economic issue and the social issue so as to re-balance their weight opposite financial issues; notes that the financial issue alone does not put paid to the European problem and has, on the contrary, owing to the results of the austerity policies, shown its limits;

6. Feels that the revitalisation of European social policy cannot be achieved without the social partners, and that therefore the relaunching of social dialogue at European level and at Member State level should be central to the European pillar of social rights project;

7. Desires that one of the main goals of the pillar be to solve problems encountered by workers attempting to get their rights applied, whether that be at national level or during mobility activities between Member States; that European citizens be accompanied in their quest to access national or European laws; and that, therefore, the strengthening of the existing social achievements and of their efficacy be a priority of the pillar;

8. Feels that the pillar should be based on principles few in number allowing rights to evolve over time, and that it must be founded on a forward-looking approach allowing adaptation to changes in the economic and social context;

9. Considers that the pillar must prioritise the promotion of job creation and access to employment by creating the conditions of a genuine flexicurity;

10. Believes therefore that the pillar will have to promote the conditions for European competitiveness in global economic competition, in order to provide companies and employees with the tools to adapt to the reality of the market and also protect career paths;

11. Desires that the present changes of the employment relationship and the growth of atypical jobs (pseudo self-employed in particular) spur reflection on the creation of new protections for these workers (right to adequate remuneration and fair working conditions, right to training, right to social protection, right to a pension), especially by reflecting on the notion of economic subordination. Also desires that a priority of the pillar consist in the use of secure and flexible work contracts that reduce inequalities between more protected workers and the others, while also giving employers a secure employment framework by simplifying the regulations;

12. Desires therefore that one of the priorities of the pillar be to ascribe rights to the person and not to the contract, in line with the French personal activity account (compte personnel d'activité – CPA), to enable every citizen to accumulate rights (to training, for instance) throughout their working lives and use them at the time they desire, depending on their needs;

13. Desires that the deployment of flexicurity go hand in hand with a pro-active policy to improve skills throughout life to enable citizens to adapt through their entire professional life. Desires therefore that flexicurity be combined with an increased effort as regards basic training and also continuing education, as investment in human capital is decisive in adapting in particular to the sharing economy and the digital economy;

14. Desires that the pillar allow better portability of social rights to promote the mobility of workers, especially regarding the right to unemployment benefits, whose portability must be broadened, and the individual right to vocational training, which should be the subject of a coordinating regulation;

15. Desires that action to promote youth employment be a priority of the pillar, via the continuity of the Youth Employment Initiative, the strengthening of youth mobility (especially of the Erasmus for apprentices programme) and the establishment of European legislation on internships more protective than the current European quality charter on internships, to avoid keeping youths in precarious situations;

16. Feels it is necessary to establish a minimum wage in each country, either by law or by collective bargaining and organise a process of convergence of these minimum wages in the framework of the European semester, in close coordination with the social partners;

17. Desires that the pillar implement the conditions for gender equality at work – by establishing in particular a policy of reconciliation between family life and work life – and also equality at work between workers from the various Member States – by means of the principle of equal pay for equal work;

18. Desires that the pillar guarantee the rights of workers in the new economy (especially the collaborative economy);

19. Desires that the pillar promote the establishment of unemployment insurance in Europe which would form a foundation that the Member States could complete, and that it modify the current compensation rules to permit unemployment compensation longer than three months in the event of mobility of a worker in another Member State;

20. Desires that the pillar set in place a minimum income in each European country and also any scheme ensuring all European citizens, and especially the most fragile among them, have a decent standard of living allowing them to participate in social life;

21. Desires that the pillar guarantee basic health coverage in each EU country;

22. Desires that, to reach these goals, the pillar adopt effective and pragmatic tools, and considers that it is necessary to develop the public debate on social matters in order to get all the players to participate in the construction of Member State social performance measurement indicators;

23. Desires that such indicators participate in implementing a social convergence code based on social goals to be reached, which could be linked with the European semester;

24. Desires, last, that the redirection of the European funds (ESF, ERDF, EGF) be envisaged so as to link their allocation with compliance with existing social rights and with the priorities established in the social field or in the framework of the European semester by the Commission. Also desires that the continuity of the FEAD be ensured.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Secrétariat Général aux Affaires Européennes (SGAE)

M. Jean-François BOURDAIS, chef du secteur TESC

Mme Nathalie LHAYANI, chef de secteur PARL

Mme Catherine LE RUDULIER

Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social 

Mme Nathalie NIKITENKO, déléguée aux affaires européennes et internationales

Mme Marianne FOREJT, chef du bureau Europe

Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) 

Mme Sylvie BRUNET, présidente de la section du travail et de l’emploi 

Mme Aminata KONE, présidente de la section des affaires sociales et de la santé

Mme Emelyn WEBER, rapporteure

M. Etienne CANIARD, rapporteur

Union nationale des professions libérales (UNAPL)

M. François BLANCHECOTTE, vice-président

Mme Sandra VIARD, chargée de mission

Mouvement des Entreprises de France (MEDEF)

Mme Garance PINEAU, directrice-adjointe à la direction des relations sociales

Mme Marine BINCKLI, chargée de mission à la direction des affaires publiques

Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) 

Mme Natacha MARQUET, responsable des affaires sociales européennes et internationales

Centre européen des employeurs et entreprises fournissant des services publics (CEEP)

M. Sylvain RENOUVEL

Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME) 

M. Jean-Michel POTTIER, vice-président chargé des affaires sociales

M. Florian FAURE, directeur des affaires sociales et de la formation 

Mme Béatrice BRISSON, responsable des affaires européennes et internationales

Mme Sandrine BOURGOGNE, secrétaire générale adjointe

Mme  Sabrina BENMOUHOUB, chargée de mission « organisation et développement ».

Confédération générale du travail (CGT) 

M. Paul FOURIER, conseiller confédéral « salaire, conventions collectives, suivi du semestre européen »

Force Ouvrière (FO) 

M. Sébastien DUPUCH, conseiller technique « Europe, international »

Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

M. Joseph THOUVENEL, vice-président

Confédération française démocratique du travail (CFDT) 

Mme Samira BOUZEBRA, secrétaire confédérale

M. Mariano FANDOS, secrétaire confédéral

ANNEXE N° 2 : CONSULTATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX

Les questions pour lesquelles la Commission européenne sollicite des avis sont les suivantes :

Sur la situation sociale et l’acquis social de l’UE

1. Selon vous, quelles sont les priorités les plus pressantes en matière sociale et d’emploi ?

2. À quoi pouvons-nous attribuer les différences de situation sur le plan social et de l’emploi en Europe ?

3. L’acquis de l’UE est-il adapté à la réalité actuelle et l'UE pourrait-elle, selon vous, encore l'améliorer ?

Sur l’avenir du travail et des systèmes de protection sociale

4. Quelles sont, selon vous, les tendances les plus génératrices de changement ?

5. Quels seraient les principaux risques et les principales opportunités associés à ces tendances ?

6. Existe-t-il des pratiques, existantes ou émergentes, au niveau politique, institutionnel ou entrepreneurial, que vous recommanderiez comme référence ?

Sur le socle européen des droits sociaux

7. Êtes-vous d’accord avec l’approche décrite dans la présente communication pour la mise en place d’un socle européen des droits sociaux ?

8. Êtes-vous d’accord avec les propositions contenues dans la présente communication concernant le champ d'application, les domaines et les principes du socle ? Y a-t-il des aspects qui ne sont pas formulés de manière adéquate ou qui n'ont pas encore été couverts ?

9. Quels domaines et quels principes seraient primordiaux dans le cadre d’un retour à la convergence dans la zone euro ?

10. De quelle manière faudrait-il les formuler et les rendre opérationnels ? Plus précisément, pensez-vous que des normes minimales ou des critères de référence pourraient s'appliquer et présenteraient une valeur ajoutée dans certains domaines et, dans l'affirmative, lesquels ?

1 () Chiffre au 1er janvier 2015. Cf. sur ce sujet, « Proposition pour un salaire minimum européen », Rapport d’information n° 3856 présenté par M. Philip Cordery, Commission des Affaires européennes, juillet 2016.

2 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, COM(2016) 127 final, 8 mars 2016.

3 () Voir à ce sujet : L’assurance chômage européenne : un stabilisateur économique et social pour l’Europe, Rapport d’information n° 3420, Jean-Patrick Gille, commission des Affaires européennes, février 2016.

4 () Le coefficient de Gini mesure l’écart de répartition des revenus disponibles entre individus. Il varie de zéro à un, où zéro signifie que les revenus sont répartis équitablement entre tous les membres de la société et un signifie que tous les revenus sont concentrés chez une seule personne.

5 () Voir sur ce sujet : Rapport d’information n° 3673 de M. Philip Cordery portant observations sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, Commission des Affaires européennes, Assemblée nationale, avril 2016.

6 () Voir sur ce sujet : Rapport d’information de M. Philip Cordery n° 2620 sur l’emploi des jeunes en Europe, Commission des affaires européennes, Assemblée nationale, mars 2015.

7 () Voir sur ce sujet : Rapport d’information de M. Philip Cordery n° 1784 portant observations sur la proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages, et à l’amélioration de statut des stagiaires, Commission des Affaires européennes, Assemblée nationale, février 2014.

8 () Proposition pour un salaire minimum européen, rapport d’information n° 3856 de M. Philip Cordery, Commission des Affaires européennes, Assemblée nationale, juillet 2016.

9 () L’assurance chômage européenne : un stabilisateur économique et social pour l’Europe, rapport d’information n° 3420 de M. Jean-Patrick Gille, commission des Affaires européennes, Assemblée nationale, février 2016.

10 () Projet de rapport sur un socle européen des droits sociaux (2016/2095 (INI)), Commission de l’emploi et des affaires sociales, Parlement européen, septembre 2016.