N° 4513 - Rapport d'information de Mme Isabelle Bruneau déposé par la commission des affaires européennes sur la proposition d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS)




NO 4513

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS)

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme. Isabelle BRUNEAU

Députée

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 5

SUMMARY OF THE REPORT 7

INTRODUCTION 9

I. L’ÉTABLISSEMENT D’UNE ASSIETTE COMMUNE CONSOLIDÉE POUR L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS (ACCIS), UNE INITIATIVE AMBITIEUSE QU’IL CONVIENT DE SOUTENIR 11

A. HARMONISER UNE PARTIE DE LA FISCALITÉ DIRECTE, UN PROJET AU SERVICE DE L’APPROFONDISSEMENT DU MARCHÉ INTÉRIEUR 11

1. Une idée ancienne : rapprocher les législations nationales pour parvenir au « dernier stade de l’intégration » 11

2. Un projet porteur de simplification et de cohérence du marché intérieur 14

B. UN PROJET QUI NÉCESSITE UNE IMPORTANTE IMPULSION POLITIQUE QUE LA FRANCE DEVRAIT CONTINUER À INCARNER 16

1. Un projet difficile à mener dans un domaine de souveraineté des États membres 16

2. La France, qui soutient activement le projet depuis ses débuts, a un véritable rôle à jouer dans sa promotion 18

II. LA RELANCE DU PROJET ACCIS OU LA DÉMARCHE PRAGMATIQUE PRIVILÉGIÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE 21

A. UNE APPROCHE SÉQUENCÉE, TIRANT NOTAMMENT LES CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC DES NÉGOCIATIONS SUR LA PROPOSITION DE 2011 21

1. Une mise en œuvre en deux temps distincts 21

2. L’équilibre général du projet ACCIS : une cohérence d’ensemble 22

B. UNE PROPOSITION MODERNISÉE 24

1. Sur la forme : une communication actualisée 24

2. Sur le fond : plusieurs nouveautés notables par rapport à la précédente proposition 25

III. À CE STADE, CERTAINS ÉLÉMENTS DU « PAQUET ACCIS » RESTENT À PRÉCISER ET DES DÉFIS D’ORDRE POLITIQUE À RELEVER POUR MENER LE PROJET À SON TERME 29

A. EN DÉPIT DE CERTAINES INCERTITUDES QUANT AUX EFFETS DE L’ACCIS, LA PLUPART DES DIFFICULTÉS TECHNIQUES SONT A PRIORI SURMONTABLES 29

1. Des incertitudes sur les effets attendus 29

a. L’incontournable question des potentiels effets de seuil 29

b. Les effets incertains de la mise en place de l’ACCIS dans les conditions envisagées par la Commission européenne 30

2. De potentielles difficultés techniques contenues dans le dispositif 33

Sur la proposition de directive relative à une assiette commune 33

a. La super-déduction en faveur des activités de recherche et développement : un dispositif dont la portée reste à préciser 33

b. La déduction pour la croissance et l’investissement : un dispositif complexe aux vertus incertaines 37

c. Les règles en matière de déductibilité des intérêts : un impact à évaluer 38

d. Les règles d’amortissement : un système dual 39

Sur la proposition de directive relative à une assiette commune consolidée 39

B. L’IMPORTANCE DES DÉFIS D’ORDRE POLITIQUE À AFFRONTER CONDITIONNE FORTEMENT LE SUCCÈS DES NÉGOCIATIONS 41

1. Surmonter les résistances et oppositions déjà exprimées 42

2. Résister à la tentation de recourir à une coopération renforcée 44

TRAVAUX DE LA COMMISSION 47

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 55

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION 59

ANNEXES 63

ANNEXE NO 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 65

ANNEXE NO 2 : RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LE SÉNAT 67

ANNEXE NO 3 : AVIS DE SUBSIDIARITÉ ÉMIS PAR CERTAINS PARLEMENTS NATIONAUX 71

SYNTHÈSE DU RAPPORT

Si l’harmonisation de la fiscalité directe au sein du marché intérieur est une idée ancienne ayant donné lieu à diverses propositions, aucune n’a, jusqu’à présent, fait l’objet de déclinaison concrète. Sous l’impulsion notable de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne, le fonctionnement du marché intérieur a été profondément rénové tout au long des années 1980 et 1990, dans le cadre d’un processus d’approfondissement sans précédent.

Plusieurs initiatives circonscrites ont permis, par touches successives et par voie de directives, d’harmoniser certains aspects de la fiscalité pesant sur les entreprises exerçant des activités en Europe. Envisagé de longue date et présenté comme une initiative porteuse de simplification pour les entreprises et de symbole pour le dynamisme et la vitalité du projet européen, le projet d’instaurer une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) a (re)trouvé une actualité au début des années 2000.

Au moment où l’Union européenne lançait sa stratégie « Europe 2020 », la Commission esquissait, en 2001, une « stratégie pour permettre aux entreprises d’être imposées sur la base d’une assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés couvrant l’ensemble de leurs activités dans l’Union européenne ». Pendant dix ans, experts nationaux et responsables politiques ont réfléchi aux modalités de l’introduction d’une ACCIS. Le fruit de ce travail a permis à la Commission européenne d’introduire, le 16 mars 2011, une proposition de directive relative à l’ACCIS sur laquelle les États membres ne sont pas parvenus à un accord unanime.

Les avantages associés à l’harmonisation des règles relative à l’assiette imposable et l’attachement de la Commission européenne à ce chantier ambitieux l’ont conduite à l’inscrire de nouveau à son agenda économique et politique. Le 25 octobre dernier, elle a ainsi formellement relancé le projet ACCIS en introduisant deux propositions de directive visant à introduire, selon une démarche séquencée, une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés, dans un premier temps, et à procéder, dans un second temps, à sa consolidation.

De manière générale, le présent rapport témoigne de son plein soutien à la démarche de la Commission européenne. Si certains éléments techniques proposés par la Commission européenne restent encore à préciser et devront faire l’objet d’arbitrages, l’introduction d’une ACCIS est un projet qu’il convient de soutenir.

Pour aboutir, celui-ci aura toutefois besoin d’une impulsion politique forte que la France et l’Allemagne notamment pourraient incarner, compte tenu de leur implication constante et particulièrement active dans les travaux conduits en amont de la première proposition de directive. Délicate et fortement contrainte par les traités européens, l’intervention de l’Union européenne dans un domaine de souveraineté des États membres est toutefois légitime et nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur. Les effets bénéfiques associés à la mise en place d’une ACCIS pour le marché intérieur doivent plaider pour une action aussi large que possible et la tentation de constituer, sur ce sujet, une coopération renforcée semble devoir être considérée avec beaucoup de prudence.

SUMMARY OF THE REPORT

Even though the harmonization of direct taxation within the internal market is an old idea which has spawned various proposals, none of them has led to concrete action. When Jacques Delors was head of the European Commission, the functioning of the internal market was extensively revised during the 1980s and the 1990s in the framework of a substantial and unprecedented process.

Several well-defined initiatives led, through successive steps and directives, to the harmonization of certain taxation regulations concerning companies operating in Europe. The idea of setting up a common consolidated corporate tax base (CCCTB), a project which had been envisaged for quite some time and seen as a simplification for companies and as a symbol for dynamism and vitality of the European project, became topical (once again) at the beginning of the first decade of this century.

When the European Union launched its “Europe 2020” strategy, the Commission drafted, in 2001, the following notion : “a strategy to allow companies to be taxed founded on a consolidated corporate tax base covering all of their activities within the European Union”. For ten years national experts and political leaders reflected upon the mechanisms necessary for the introduction of a CCCTB. The outcome of this reflection led the European Commission to table, on March 16, 2011, a draft directive concerning CCCTB on which the member states did not reach a unanimous agreement.

The advantages linked to the harmonization of regulations concerning the tax base and the European Commission’s desire to continue this ambitious project, led it to, once again, include this idea in its economic and political agenda. On October 25 last, the Commission thus officially relaunched the CCCTB project, introducing two draft directive proposals aiming at including, in an ordered approach, first of all, a common base for corporate tax and then, at a later date, the consolidation of such a tax.

Overall, the current report lends its entire support to the approach undertaken by the European Commission. Even if certain of the technical dimensions proposed by the European Commission have yet to be clarified and are subject to arbitration, the introduction of CCCTB is a project which should be supported.

To conclude, this project needs a strong political impetus which France and Germany can supply, especially considering their on-going and particularly active involvement in the groundwork leading to the first draft directive. The intervention of the European Union, in an area concerning the sovereignty of member states, which is clearly tricky and delicate on account of the limitations imposed by the European treaties, is nonetheless legitimate and necessary for the functioning of the internal market. The beneficial effects of the implementation of a CCCTB for the internal market call for the broadest possible scope of action and yet the temptation to set up strengthened cooperation, in this field, should be carefully examined.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 25 octobre dernier, la Commission européenne a présenté deux propositions de directive visant à instaurer, au sein du marché intérieur, une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) et relancé ainsi un projet d’harmonisation fiscale envisagé depuis plus de cinquante ans sans s’être jamais concrétisé.

Des directives concernant la fiscalité des entreprises adoptées au début des années 1990 à la création, en 2004, de groupes de travail politiques et techniques chargés de réfléchir à l’opportunité et aux modalités de la mise en place d’une assiette commune consolidée, le projet, particulièrement soutenu par la France et l’Allemagne notamment, a trouvé une première réalisation concrète dans la proposition de directive du 16 mars 2011.

Des longues et difficiles négociations qui se sont déroulées, sans aboutir, sur ce texte, la Commission européenne a tiré plusieurs conséquences et la relance du projet ACCIS qu’elle a initiée à l’automne dernier est marquée du sceau du pragmatisme.

La Commission européenne a, tout d’abord, choisi de séquencer sa démarche et promeut une mise en œuvre progressive de l’ACCIS : dans un premier temps, les États membres devraient s’accorder sur les règles de l’établissement d’une assiette commune (ACIS) avant de définir, dans un second temps, les modalités de sa consolidation (ACCIS). 

Le projet ACCIS semble également avoir fait l’objet d’une modernisation par rapport à la précédente version. Le lien avec l’agenda politique et économique de la Commission européenne est particulièrement notable, qu’il s’agisse de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, de la priorité réaffirmée en Europe de promouvoir le développement des activités de recherche et développement ou encore de l’Union des marchés des capitaux.

Synonyme d’un mouvement d’approfondissement du marché intérieur, l’harmonisation d’une partie de la fiscalité directe pesant sur les entreprises présenterait des avantages évidents, au premier rang desquels figure la simplification. La mise en place d’un régime commun relatif à l’assiette imposable réduirait ainsi, pour les entreprises ayant des activités transfrontières, les coûts de mise en conformité et leur permettrait, à travers un mécanisme de « guichet unique » de ne remplir qu’une déclaration fiscale pour l’ensemble des profits qu’elles réalisent au sein du marché intérieur. Cela permettrait également de limiter certaines pratiques d’optimisation fiscale, notamment mises en œuvre en exploitant les failles ou asymétries qui existent entre les systèmes fiscaux nationaux.

Si certains éléments des directives proposées restent à préciser, dans les dispositifs comme dans leurs effets, le projet ACCIS dans son ensemble mérite un large soutien et une impulsion politique forte pour le mener à son terme. L’éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne suffira pas à créer les conditions favorables à un mouvement d’harmonisation, comme en témoignent notamment les avis négatifs exprimés par certains parlements nationaux des États membres. Dans cette perspective, votre rapporteure estime que la France doit continuer à soutenir et à promouvoir activement l’ambitieux projet qu’est l’ACCIS.

Comme les deux bras d’un balancier que l’on renvoie l’un à l’autre, les effets potentiellement dommageables d’une concurrence excessive – notamment fiscale – et les bienfaits attendus d’une harmonisation des législations nationales nourrissent, depuis les débuts de la construction européenne, les réflexions sur le marché intérieur, son fonctionnement et son approfondissement, voire son achèvement.

Depuis plus de cinquante ans, les initiatives entreprises dans le cadre de la construction européenne visent ainsi à limiter, d’une part, les pratiques concurrentielles déloyales ou excessives et à promouvoir, d’autre part, une plus grande convergence des législations nationales.

Qu’il s’agisse des typologies économiques (2), de l’objectif politique de long terme qui animait les pères fondateurs de l’Europe ou de la comparaison avec les autres zones économiques intégrées (États-Unis notamment), l’harmonisation fiscale s’analyse, de manière systématique, comme une étape supplémentaire de l’intégration économique et politique. Partant, l’intégration fiscale constituerait, du point de vue de la construction européenne, une avancée notable.

Clairement envisagée dès les années 1960, l’harmonisation d’une partie de la fiscalité directe présenterait plusieurs avantages évidents.

Le premier d’entre eux est la simplicité. L’établissement de normes communes en matière de fiscalité des entreprises faciliterait, tout d’abord, le quotidien des acteurs économiques opérant dans plusieurs États membres. À l’heure actuelle, les entreprises transfrontières doivent en effet composer avec autant de dispositifs nationaux qu’il y a d’États membres. Si l’on considère l’Union européenne dans son ensemble, un corpus unique de règles applicables aux entreprises serait également de nature à renforcer l’attractivité d’ensemble du continent au sein duquel la coexistence de règles nationales parfois difficiles à concilier rend plus complexe la pénétration du marché européen par de nouveaux acteurs.

Dans une perspective plus symbolique, l’harmonisation d’une partie de la fiscalité directe représenterait un signal fort dont l’importance ne saurait, en particulier dans le contexte actuel, être négligée. L’instauration d’une ACCIS permettrait en effet de réaffirmer la vocation ultime du projet européen et l’attachement des États membres à l’Europe.

Ainsi, du rapport du Comité fiscal et financier de 1962 (dit « rapport Neumark ») au rapport Tempel de 1970, l’utilité d’une harmonisation de la fiscalité directe et, en particulier, de l’impôt sur les sociétés a été régulièrement soulignée et de nombreuses propositions ont été formulées dans cette perspective. Force est toutefois de constater que les réalisations concrètes ne sont pas légion.

De manière générale, les avancées constatées depuis les années 1990 ont pu se faire sur des questions clairement circonscrites (directive sur les fusions (3), sur les sociétés mères et filiales (4), convention relative à l’élimination des doubles impositions (5)) et/ou grâce à des modes de négociation finement calibrés et veillant à associer en amont et de manière régulière les États membres (6).

Sur toutes ces questions, les travaux du comité de réflexion à haut niveau sur la fiscalité des entreprises, composé d’experts indépendants et présidé par M. Onno Ruding, ancien directeur du Fonds monétaire international, ont été structurants. Chargé par la commissaire en charge de la fiscalité, de l'Union douanière et des prélèvements obligatoires, d’étudier l’opportunité et les possibilités d’une réforme de la fiscalité des entreprises dans le cadre de l’approfondissement de l’intégration du marché intérieur, le « comité Ruding » a présenté, en 1992, les conclusions de ses travaux et assorti ses recommandations d’un calendrier en plusieurs étapes (7).

Il est intéressant de relever que les travaux du comité sont traversés par des problématiques dont l’actualité n’est aujourd’hui pas démentie et que l’introduction d’une assiette commune fiscale à l’échelle européenne figure dans les propositions formulées par les experts.

Les travaux du comité Ruding (8)

Conformément au mandat qui lui avait été donné, le comité d’experts s’est principalement concentré sur les trois éléments suivants :

a) Les différences d’imposition entre États membres provoquent-elles d’importantes distorsions sur le marché intérieur, notamment en ce qui concerne les décisions d’investissement et la concurrence ?

b) Les distorsions qui se manifestent sont-elles susceptibles d’être éliminées simplement par le jeu des forces du marché et par la concurrence fiscale entre États membres ? Faut-il plutôt une action au niveau européen ?

c) Quelles mesures spécifiques sont nécessaires au niveau de l’Union européenne [la Communauté] pour éliminer ou atténuer ces distorsions ?

S’agissant des conclusions, le comité a considéré qu’il était peu probable que les États membres agissant séparément les uns des autres puissent réduire sensiblement les distorsions qui affectent le fonctionnement du marché intérieur et a soutenu, par conséquent, une action au niveau européen, « axée sur le minimum nécessaire », qui viserait notamment à :

a) supprimer les éléments de discrimination et de distorsions contenus dans les régimes fiscaux des États membres qui entravent les investissements et les participations transfrontalières ;

b) fixer un niveau minimal de 30 % pour les taux de l’impôt sur les sociétés ainsi que les règles communes de détermination d’une base d’imposition minimale, afin d’empêcher que les États membres ne se livrent à une concurrence excessive en vie d’attirer les investissements mobiles, ce qui tend à éroder la base d’imposition dans l’ensemble de l’Union européenne [la Communauté].

Il faut ensuite attendre le début de la décennie 2000 pour que la Commission européenne redevienne force de proposition en matière de fiscalité des entreprises. L’introduction d’une ACCIS, dont l’évocation régulière ne suffit pas à engendrer des réalisations concrètes, s’apparente ainsi à un serpent de mer. En 2001, dans une communication (9) publiée au moment où est lancé le programme « Europe 2020 », la Commission européenne présente de nouvelles propositions et esquisse les grandes lignes d’une « stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne ». Considérant qu’ »  une initiative plus ambitieuse, qui assurerait la couverture de l'ensemble des activités des entreprises au niveau de l'UE par une assiette unique et consolidée de l'impôt sur les sociétés, offrirait une solution plus systématique et à plus long terme. » (10), la Commission européenne réaffirme depuis, de manière régulière, la pertinence et l’utilité de ce projet.

L’introduction d’une assiette commune consolidée au sein de l’Union européenne présenterait plusieurs avantages majeurs.

Outre les gains de nature économique à proprement parler, l’établissement, au sein du marché intérieur, d’un corpus de règles uniques constituerait un embryon de régime commun de définition de l’impôt exigé des entreprises y exerçant des activités.

Pour les entreprises, la mise en place d’un interlocuteur unique auquel s’adresser pour s’acquitter des obligations fiscales qui leur incombent au titre des bénéfices réalisés en Europe serait un facteur de simplification important. Ainsi, dès lors qu’elles réalisent des bénéfices dans plusieurs États membres, les entreprises pourraient traiter avec une seule administration fiscale (« guichet unique »), laquelle serait ensuite chargée de répartir le produit de l’impôt recouvré, en appliquant la clé de répartition proposée et le taux applicable dans chaque État concerné.

Les entreprises implantées en Europe n’auraient ainsi plus à jongler avec des législations différentes voire divergentes et pourraient, le cas échéant, y étendre leurs activités. La simplicité qui résulterait d’un tel régime s’apprécie également en termes d’attractivité du territoire européen : l’ACCIS pourrait faciliter l’implantation sur le marché intérieur de certaines entreprises étrangères.

Par ailleurs, l’harmonisation des règles présidant au calcul de l’assiette imposable limitera les possibilités, pour les entreprises, de mettre en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale en profitant des failles et asymétries qui existent entre les systèmes fiscaux nationaux. La Commission européenne estime même que les prix de transferts, qui représentent actuellement environ 70 % du total des transferts de bénéfices, sont ainsi « voués à la disparition » (11).

L’ACCIS devrait enfin, selon la Commission européenne, limiter la tentation pour les États membres de se livrer, au sein du marché intérieur, à une concurrence fiscale dommageable (12).

De manière générale, la Commission européenne estime que l’ACCIS aurait un effet positif sur l’investissement et l’emploi qui pourrait être, respectivement, de l’ordre de 3,4 % et de 0,6 %. Au niveau agrégé, elle évoque une hausse de la croissance « pouvant aller jusqu’à 1,2 % » (13).

La simplification qui résulterait de la mise en place d’une ACCIS s’apprécie également par les économies qu’elle permettrait de réaliser aux contribuables exerçant des activités dans plusieurs États membres.

Les coûts de mise en conformité pourraient ainsi, selon la Commission européenne (14), diminuer de 10 % pour les temps consacrés à la mise en conformité et de 2,5 % pour les coûts de mise en conformité à proprement parler.

La Commission européenne rappelle que ces coûts peuvent représenter une charge importante pour les entreprises, qu’elle évalue à 2 % des impôts acquittés pour les grandes entreprises et pouvant aller jusqu’à près de 30 % dans le cas des petites et moyennes entreprises.

Enfin, l’ACCIS pourrait réduire le coût d’établissement d’une filiale au sein de l’Union européenne de l’ordre de 67 % d’après la Commission européenne.

Prérogative étatique par excellence, la fiscalité est un domaine sensible qui explique les équilibres institutionnels retenus et conservés au sein de l’Union depuis les débuts de la construction européenne.

Terrain privilégié de l’expression de préférences collectives et de choix de politique économique, la politique fiscale est un instrument d’autant plus précieux que les interdépendances résultant du processus d’intégration européenne s’analysent comme une perte de marges de manœuvre dans la conduite de certaines politiques publiques. La fiscalité est, à cet égard, un domaine sensible.

Au sein de l’Union économique et monétaire, où la politique monétaire a été intégralement confiée par les États membres à la Banque centrale européenne et où les politiques budgétaires sont soumises à un processus (certes perfectible) de coordination, la fiscalité est l’ultime domaine dans lequel les États membres peuvent exercer, pleinement et de manière exclusive, leur souveraineté. Partant, les systèmes fiscaux nationaux représentent un aspect stratégique des politiques d’attractivité mises en œuvre par les États membres.

La concurrence fiscale est ainsi une réalité au sein du marché intérieur. Les différences qui existent dans les législations nationales s’agissant du calcul de l’impôt sur les sociétés concernent tant les règles d’assiette que les taux.

De manière générale, chaque État membre dispose ainsi de toute latitude pour définir les conditions et les modalités du calcul de l’impôt exigé des contribuables opérant sur son territoire. Le projet ACCIS vise précisément à élaborer un corpus de règles communes aux États membres pour déterminer l’assiette imposable, tout en conservant intacte la possibilité qu’ils ont de fixer les taux applicables.

La tendance observée au sein de l’Union européenne depuis les années 1990 est celle d’une baisse du taux moyen d’imposition des sociétés, comme l’illustre notamment le graphique ci-dessous. La concurrence fiscale semble ainsi exercer une pression à la baisse sur les taux d’impôt sur les sociétés appliqués par les États membres.

Évolution du taux d’impôt sur les sociétés entre 1998 et 2016

Source : « Compétition fiscale et projet d’assiette commune de l’impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie adopter ? », Ernst & Young, mai 2016.

Selon la Commission européenne, en 2015, la moyenne du taux nominal d’impôt sur les bénéfices des sociétés dans l’Union européenne s’élève à de 22,8 % (15).

L’importance économique et la sensibilité de la fiscalité expliquent l’attention que lui portent les États membres comme les réticences que ceux-ci manifestent à se dessaisir de tout ou partie de leur souveraineté en la matière. Les équilibres institutionnels au sein de l’Union européenne sont d’ailleurs le reflet de cette situation.

La spécificité du domaine fiscal s’exprime, au plan juridique, par sa soumission à une procédure législative spéciale régie, conformément aux dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), par la règle de l’unanimité. Le Parlement européen, co-législateur dans le cadre de la procédure législative ordinaire, perd ici son pouvoir de décision : il n’est ainsi, dans les matières fiscales, que consulté. La prépondérance des États membres dans la procédure législative européenne ainsi que l’adoption, à l’unanimité (et non à la majorité qualifiée), de toute mesure de nature fiscale est significative de l’importance stratégique de la fiscalité.

C’est aussi une contrainte supplémentaire – bien que légitime – pour les avancées de la construction européenne.

L’action de l’Union européenne en matière de fiscalité s’opère, dans le cadre du rapprochement des législations, sur la base de l’article 115 TFUE, lequel dispose : « Sans préjudice de l'article 114, le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur. »

En matière de fiscalité directe, l’intervention de l’Union européenne aux fins d’harmonisation des législations se fait au moyen de directives qui laissent, conformément à l’article 288 TFUE, les États membres libres de déterminer les moyens pour parvenir aux objectifs visés.

Favorable au projet ACCIS depuis ses origines, la France a joué, avec l’Allemagne, un rôle considérable dans la promotion des travaux engagés, au niveau politique comme au niveau technique, à partir de 2004.

À la suite de la présentation d’un « non-paper » relatif à l’ACCIS au cours d’une réunion informelle du Conseil ECOFIN, en 2004 – sous présidence néerlandaise – un groupe de travail a été institué et chargé d’étudier les aspects techniques liés à l’instauration d’une ACCIS.

Lors de son audition par votre rapporteure, M. Alain Lamassoure, député européen, a rappelé l’engagement constant de la France pour faire avancer ce dossier. Sous son impulsion et celle l’Allemagne notamment, le projet ACCIS a ainsi continué à être débattu dans les enceintes politiques et affiné dans les réunions techniques.

Si la proposition d’ACCIS introduite par la Commission européenne en 2011 était le reflet des équilibres dessinés au cours de près de dix années de discussions entre les États membres, les négociations ont rapidement fait apparaître des positions difficilement conciliables et éloigné la perspective de parvenir à un accord politique. Le projet avait besoin, pour être relancé, d’une forte impulsion politique.

Votre rapporteure considère que la France doit continuer à promouvoir activement l’instauration d’une ACCIS. La constance de son engagement constitue, dans cette perspective, un atout considérable qu’elle devrait utiliser pour faire entendre sa voix et convaincre ceux de ses partenaires européens qui se montrent actuellement réticents.

La France semble, dans cette perspective, pouvoir compter sur le soutien et l’appui de l’Allemagne, comme en témoignent les prises de positions régulières des deux États membres sur cette question. La question de l’harmonisation et de la convergence fiscales au sein de l’Union européenne compte également parmi les missions explicites du conseil économique et financier franco-allemand (CEFFA) qui se réunit régulièrement depuis 1988, en application du Protocole additionnel au Traité de l’Élysée.

Les échéances électorales des deux pays dans les mois à venir risquent de différer quelque peu les discussions sur ce sujet mais leur implication constante pour promouvoir la mise en place d’une ACCIS est un élément important pour l’avancée des négociations.

La relance du projet ACCIS, annoncée par la Commission européenne en octobre 2016, s’inscrit dans le cadre plus général du plan d’action concernant la fiscalité des entreprises de juin 2015 (16) dont elle constitue le premier des cinq domaines d’action prioritaires. La relance du projet y est d’ailleurs principalement présentée comme une « solution globale au transfert de bénéfices ».

Initialement formalisée dans une proposition de directive du Conseil en date du 16 mars 2011 (17), la perspective d’introduire une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés a fait l’objet d’intenses négociations qui n’ont, à ce jour, pas permis aux États membres de parvenir à un accord unanime.

Au Conseil depuis 2011, au cours de débats que la Commission européenne a qualifiés elle-même de « difficiles » (18), il est apparu que l’importance des bouleversements qu’impliquerait, pour les États membres comme pour les contribuables européens, la mise en place d’une ACCIS et le caractère particulièrement ambitieux de la proposition de la Commission européenne rendaient très incertaine l’issue des négociations. Semblant ainsi tirer les conséquences de l’échec des discussions qui ont entouré la proposition de 2011, la Commission européenne a décidé de scinder le projet ACCIS et d’en séquencer la mise en œuvre. Au plan technique, elle a fait usage de la possibilité qui est la sienne et a retiré le texte de 2011 pour pouvoir introduire une nouvelle proposition.

En l’espèce, la Commission européenne a formellement présenté deux propositions de directive distinctes (19) dont la complémentarité est évidente. La présentation, de manière simultanée, des deux textes qui composent le projet ACCIS en est une illustration et il ne fait aucun doute, dans la communication institutionnelle de la Commission européenne comme dans l’équilibre général des propositions de directive, que le projet repose sur deux jambes véritablement indissociables. Une assiette consolidée permettrait, en effet, de maximiser les effets bénéfiques attendus d’une telle harmonisation de la fiscalité directe pesant sur les entreprises.

Comme l’a indiqué le commissaire européen en charge des questions économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, lors de son audition par votre rapporteure (20), l’objectif de la Commission européenne est de parvenir, à terme, à obtenir des États membres un accord sur chacun des deux « C » de l’acronyme.

Faisant toutefois montre de pragmatisme, la Commission européenne a choisi de ne pas « brusquer » les États membres et de différer dans le temps les discussions sur la consolidation, dimension particulièrement problématique et en très large partie à l’origine de l’échec des négociations antérieures. La Commission européenne estime que cette démarche progressive en deux temps rend plus probable (ou moins improbable) un éventuel accord entre les États membres. Le raisonnement s’appuie également sur l’incitation que pourrait fournir l’adoption de la directive relative à l’assiette commune pour parvenir in fine à la consolidation.

La démarche de la Commission européenne distingue, d’une part, la définition de règles communes pour calculer l’assiette imposable (« ACIS ») et, d’autre part, les modalités de sa consolidation (« ACCIS »). Cette dernière étape doit permettre de répartir entre les États membres l’assiette de l’impôt auquel ils peuvent prétendre.

En termes de calendrier, il est envisagé que la première étape soit réalisée rapidement, pour une entrée en vigueur de l’assiette commune au 1er janvier 2019 et que la consolidation soit effective au sein de l’Union européenne au 1er janvier 2020.

Dans un premier temps, la Commission européenne propose d’établir un régime d’assiette commune pour l’imposition de certaines entreprises et définit les règles de l’établissement de cette assiette (article premier) (21).

Le texte de la Commission européenne prévoit une assiette large : tous les produits seront imposables, à moins qu’ils soient explicitement exonérés ou considérés comme dédutibles. L’article 7 de la proposition de directive relative à l’ACIS indique ainsi que « L’assiette imposable correspond aux produits diminués des produits exonérés, des charges déductibles et des autres éléments déductibles » (22).

À titre d’exemple, les produits provenant de dividendes ou de la cession de parts détenues dans une société extérieure au groupe seront exonérés pour les participations d’au moins 10 %, afin d’éviter que les investissements étrangers fassent l’objet d’une double imposition. De même, la directive prévoit que les bénéfices des établissements stables soient exonérés d’impôt dans l’État du siège.

Dans un second temps, la Commission européenne propose de définir les modalités de la consolidation de l’assiette commune. Si le début des négociations est conditionné à l’adoption, au préalable, de l’assiette commune, la consolidation est véritablement indissociable du projet et en constitue l’étape finale.

La Commission européenne l’indique de façon très claire : « Un grand nombre des principaux avantages de l’ACCIS sont liés à la consolidation. Cette seconde étape de la version réactualisée de l’ACCIS ne peut donc être ni négligée, ni laissée de côté. Les travaux sur ce paquet législatif ne s’achèveront qu’avec la mise en œuvre intégrale de l’ACCIS. » (23) La consolidation permet aux entreprises de lisser les performances économiques réalisées dans les différents États membres et de calculer un bénéfice imposable au niveau européen, en compensant les pertes et profits réalisés par leurs filiales établies dans les différents États membres.

Il s’agit toutefois d’une question à la fois complexe et sensible sur laquelle les États membres n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à s’accorder, comme en témoignent les discussions sur la proposition de directive de 2011.

Dans l’exposé des motifs de sa proposition de directive (24), la Commission européenne indique, en premier lieu, que la communauté internationale a récemment pris conscience du fait que les règles actuelles en matière de fiscalité des entreprises ne sont plus adaptées au contexte moderne.

Dans un environnement de plus en plus fortement caractérisé par la mobilité des facteurs de production et les interdépendances entre les économies et où des stratégies de plus en plus élaborées d’optimisation fiscale sont mises en œuvre, les disparités existant entre les législations nationales ne permettent pas toujours d’assurer que les bénéfices sont effectivement taxés là où ils sont réalisés.

Des asymétries des dispositions fiscales nationales résultent deux types de situations, diamétralement opposées mais qui, toutes deux, contribuent à limiter l’efficacité et la justice du système fiscal : d’un côté, le risque de voir une part importante des bénéfices réalisés en Europe échapper à tout ou partie de l’impôt, de l’autre, des phénomènes de surimposition. Double imposition et double non-imposition « perturbent ainsi le fonctionnement du marché intérieur » (25). La proposition de la Commission européenne concernant l’ACCIS entend notamment limiter ces phénomènes dommageables.

Si la question n’était pas totalement absente en 2011, le lien entre la mise en place d’une ACCIS et la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales est aujourd’hui indiqué, voire revendiqué, de manière très explicite. Le contexte économique général et l’émotion suscitée par les différents scandales fiscaux qui se sont succédé au cours des dernières années ont permis de réaliser des avancées considérables dans la lutte contre l’évitement fiscal. Les engagements pris par les États membres et les institutions européennes se sont traduits, dans un temps record, par un renforcement substantiel du cadre européen de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Ces progrès sont d’autant plus notables qu’ils sont intervenus très rapidement dans un domaine où l’unanimité est d’ordinaire souvent synonyme de blocage.

Profitant – logiquement – de ce contexte particulièrement porteur, la Commission européenne insiste sur l’articulation entre la proposition ACCIS et les travaux effectués par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans le cadre du plan d’action contre l’érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices (dit plan « anti-BEPS », Base Erosion and Profit Shifting) ou, sous son impulsion, par l’Union européenne (26).

De manière symbolique, la Commission européenne a d’ailleurs rendu publiques une proposition de directive relative aux dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers (27) et une proposition de directive relative au règlement des différends (28) le 25 octobre 2016, le même jour que le « paquet » ACCIS.

La première différence notable entre le texte introduit en 2011 et le « paquet de 2016 » concerne le caractère obligatoire ou optionnel du régime de l’ACCIS. La proposition présentée par la Commission européenne en 2016 introduit une obligation de se soumettre à l’ACCIS pour certaines catégories de contribuables et laisse aux acteurs qui ne sont pas concernés par le seuil établi la possibilité d’opter, sur une base totalement volontaire, pour le régime d’ACCIS.

En l’espèce, la Commission européenne propose que l’ACCIS soit obligatoire pour les groupes dont le chiffre d’affaires total consolidé est supérieur à 750 millions d’euros. Votre rapporteure rappelle que ce seuil est celui utilisé par l’OCDE dans ses travaux ainsi que par l’Union européenne dans ses précédentes directives, en particulier dans la directive du 12 juillet 2016 précitée.

Par ailleurs, la Commission européenne a introduit dans sa proposition de 2016 trois éléments nouveaux, qui ne figuraient pas dans le texte de 2011. Il s’agit de deux dispositifs de « politique fiscale » et d’un mécanisme temporaire de compensation des pertes qui permettra aux entreprises de consolider leurs résultats en attendant la mise en place de l’ACCIS dans son ensemble (c'est-à-dire avec le volet relatif à la consolidation).

La proposition de directive prévoit ainsi, en premier lieu, une super-déduction en faveur des activités de recherche et développement (ci-après « R&D ») (29) qui permettrait aux entreprises qui réalisent des investissements en R&D de déduire de leurs charges une partie significative des dépenses engagées en la matière. Un système encore plus avantageux est prévu pour les petites entreprises innovantes particulièrement dynamiques.

En second lieu, la Commission européenne propose d’introduire un mécanisme de déduction pour la croissance et l’investissement (DCI) (30) qui devrait permettre de mettre fin au « biais en faveur de la dette » qui résulte du traitement fiscal différent réservé au financement par l’emprunt, d’une part, et au financement par les fonds propres, d’autre part.

Si ces dispositifs nouveaux présentent des aspects positifs pour les entreprises, force est de constater qu’ils répondent également à des considérations d’opportunité. En effet, il aurait été difficile à la Commission européenne de réintroduire exactement la même proposition que celle de 2011, sur laquelle aucun accord n’avait émergé.

Outre les bénéfices associés à la mise en œuvre d’un dispositif de soutien aux activités de R&D et à la DCI, l’introduction de ces mécanismes dans la proposition initiale permettra aux États membres comme à la Commission européenne de disposer de marges de manœuvre dans les négociations. Un élément d’autant plus bienvenu que celles-ci seront probablement ardues.

En effet, la super-déduction en faveur des activités de R&D comme la DCI ne sont pas indispensables à la mise en place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. La première relève davantage de la volonté de la Commission européenne d’établir, à terme, un régime commun de soutien à la R&D et la seconde s’inscrit pleinement dans l’agenda de la Commission européenne s’agissant de l’Union des marchés des capitaux. Toutes deux pourraient toutefois appuyer ou nourrir certains compromis au Conseil. Les avantages associés à ces deux dispositifs pourraient ainsi être en mesure de maintenir à la table des négociations certains de nos partenaires européens réticents. A contrario, la Commission européenne pourrait d’autant plus facilement accepter de voir ces deux dispositifs retirés de sa proposition initiale qu’ils ne sont pas absolument nécessaires à l’harmonisation.

En troisième lieu, la définition d’une assiette commune étant séparée de la phase de consolidation, la Commission européenne propose d’introduire un mécanisme de compensation temporaire des pertes avec récupération, qui devrait rester en vigueur jusqu’au succès des négociations sur la consolidation de l’assiette.

Il est prévu que les groupes puissent prendre en compte, dans des conditions strictement définies, les pertes subies par une filiale ou un établissement stable établis dans d’autres États membres. Le principe général de la compensation est posé à l’article 42 de la proposition de directive (31).

Le caractère temporaire de la compensation est assuré par le fait que la société mère réintégrera dans son assiette imposable tout bénéfice ultérieur réalisé par l’une de ses filiales ou de ses établissements stables. La directive contient également une disposition permettant la réincorporation automatique des pertes (32) dans un délai de quelques années.

La proposition de directive introduite par la Commission européenne s’inscrit, en quelque sorte, dans le prolongement de l’arrêt rendu le 13 décembre 2005 par la Cour de justice des communautés européennes dans l’affaire « Mark & Spencer ». Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice devait se prononcer sur un litige opposant la société à l’administration fiscale britannique. Faisant application de la législation nationale qui permet aux seules sociétés résidentes de procéder entre elles à une compensation de leurs profits et de leurs pertes, l’administration fiscale britannique avait rejeté la demande de dégrèvement formulée par la société pour des pertes subies par ses filiales belge, allemande et française.

La Cour de justice devait ainsi se prononcer sur la compatibilité de la législation britannique avec le droit de l’Union européenne et, plus précisément, sur le caractère adapté ou non des restrictions apportées à la liberté d’établissement par ladite législation.

La Cour de justice a, dans un premier temps, rappelé que si la fiscalité directe était une compétence des États membres, ces derniers devaient veiller à l’exercer conformément au droit de l’Union européenne. En l’espèce, la Cour a considéré que l’application de la législation britannique créait une différence de traitement fiscal selon le lieu de résidence de la filiale ayant pour effet de dissuader la création de filiales dans d’autres États membres. Elle a, dans un second temps, considéré que cette entrave à la liberté d’établissement ne remplissait pas les conditions d’une restriction proportionnée et acceptable.

Par ailleurs, la proposition relative à l’ACIS (33) introduit également, en son article 53, une clause de « switch-over » dont il est peu probable qu’elle figure dans la version finale du texte en cas de succès des négociations sur le texte.

La directive « ATAD » prévoyait, dans la version introduite par la Commission européenne, une clause similaire (34) qui n’a pas été retenue dans la directive adoptée le 12 juillet 2016.

Dans un rapport d’information consacré au paquet « anti-évitement fiscal » présenté par la Commission européenne le 28 janvier 2016 (35), votre rapporteure indiquait, après avoir détaillé les principaux éléments du dispositif proposé s’agissant de la clause de switch-over, que son avenir était incertain, les réticences clairement exprimées par certains États membres et l’absence d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne étant susceptibles de constituer d’importants obstacles pour un accord et une mise en œuvre d’un tel dispositif.

Le rapport indiquait ainsi : « Outre les difficultés quasi méthodologiques à établir un niveau d’imposition optimal – dans un contexte par ailleurs marqué par la baisse tendancielle de l’imposition des sociétés –, les positions des États membres, diffèrent car elles reflètent des préférences collectives nationales. Le principal obstacle à la mise en œuvre d’un tel dispositif réside donc dans les résistances des États membres à réaliser une harmonisation plus poussée de la fiscalité directe en Europe. »

Compte tenu de l’issue des négociations sur la directive « ATAD », il y a lieu de penser que l’article 53 fera de nouveau l’objet d’âpres discussions et qu’aucun accord ne sera trouvé au Conseil sur cette question.

S’agissant du champ d’application du régime ACCIS, la proposition de directive de la Commission européenne met fin à l’optionalité totale qui caractérisait le régime de 2011. Dans le précédent texte, l’optionalité se concevait d’autant mieux que l’assiette commune et la consolidation n’étaient pas séparées et elle permettait aux entreprises d’apprécier, par rapport à leur situation propre, l’opportunité d’opter ou non pour le régime ACCIS.

La proposition de 2016 introduit une obligation générale pour certains acteurs économiques d’appliquer le régime de l’ACCIS et ménage la possibilité, pour les acteurs qui ne sont pas concernés, de s’y soumettre volontairement.

Cette nouveauté par rapport à 2011 ne se laisse pas aisément apprécier et les avis sur le critère proposé par la Commission européenne sont contrastés. De manière générale, les modalités retenues s’agissant de l’application du régime ACCIS emportent deux séries de remarques : sur le principe même du seuil et sur celui qui a été retenu en l’espèce.

Au plan théorique, la définition d’un seuil conditionnant l’application des dispositions des directives introduit, quelles qu’en soient les caractéristiques, un risque de fausser la concurrence sur le marché intérieur. Dans la proposition de la Commission européenne, ce risque est d’autant plus important que le régime de la directive pourra être appliqué à des entreprises dont le chiffre d’affaires se situe en deçà du seuil. L’éventuelle distorsion de concurrence s’apprécie ici entre les entreprises dont le chiffre d’affaires ne commande pas l’application d’ACCIS mais parmi lesquelles certaines peuvent faire le choix de s’y soumettre volontairement. L’importance des effets de seuil redoutés est toutefois difficile à évaluer avec précision et il convient, par conséquent, de se montrer prudent.

Compte tenu de ces réserves de principe, la solution qui pourrait s’imposer pour mettre fin au débat semble être la suppression de tout critère : l’ACCIS serait, dans cette perspective, obligatoire pour tous les acteurs économiques, quel que soit leur chiffre d’affaires. Il s’agit sans doute, à terme, de l’objectif vers lequel tendre. Si certains observateurs sont favorables à une telle proposition, à l’instar de M. Alain Lamassoure, auditionné par votre rapporteure, celle-ci semble, à ce stade, ne pas pouvoir rencontrer suffisamment de soutien (36). Sans doute prématurée compte tenu du contexte politique et des équilibres qui se dessinent sur le projet ACCIS, la question mérite toutefois d’être posée.

Par ailleurs, le seuil proposé par la Commission européenne fait, en l’espèce, l’objet de débats. Pour mémoire, la proposition de directive prévoit que les groupes réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros sont obligatoirement soumis au régime ACCIS. Au Parlement européen, où des travaux ont été initiés sur chacune des propositions de directives, les positions sont, à ce jour, divergentes. M. Alain Lamassoure, rapporteur du texte relatif à la consolidation, a ainsi indiqué que, de manière générale, les représentants de la droite européenne soutenaient la proposition de la Commission européenne tandis que ceux de la gauche étaient favorables à un seuil inférieur à 750 millions d’euros (37).

Deux arguments peuvent être avancés pour soutenir le texte et la démarche de la Commission européenne. Le critère de chiffre d’affaires retenu est, tout d’abord, cohérent avec les travaux effectués par l’Union européenne et par l’OCDE en matière lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. C’est donc un critère qui a du sens et avec lequel les acteurs sont habitués à composer. Il est, ensuite, sans doute raisonnable de privilégier, dans un premier temps, une application obligatoire circonscrite de la directive, étant donné le bouleversement d’ensemble qu’implique la mise en place d’une ACCIS.

Les discussions sur cette question sont susceptibles de faire apparaître des positions différentes et il conviendra de suivre avec attention l’avancée des négociations. Peut-être les États membres décideront-ils, après avoir pris en considération tous les éléments du débat, d’aller plus loin que la Commission européenne en proposant une application obligatoire pour tous les acteurs. Dans la balance, notamment : les coûts pour les États membres liés à la gestion dans la durée d’un système dual résultant de la configuration proposée par la Commission européenne et les coûts du passage à l’ACCIS pour les plus petites entreprises pour lesquelles un dispositif progressif pourrait être envisagé.

Les conséquences de la mise en place de l’ACCIS sont, à ce stade, relativement incertaines. Elles sont également d’autant plus délicates à apprécier que les implications sur les États et sur les entreprises sont, par effet miroir, inversées. Si l’ACCIS permet aux entreprises de réaliser des « économies » fiscales, c’est autant de recettes en moins pour les administrations nationales.

De manière générale, la mise en place d’un système de guichet unique devrait être bénéfique pour les entreprises qui verront leurs charges administratives réduites grâce à la déclaration fiscale unique. Pour les administrations fiscales, la gestion simultanée et en parallèle de plusieurs systèmes fiscaux nationaux sera, à l’inverse, facteur de complexité et générateur de coûts supplémentaires.

L’impact budgétaire global de l’ACCIS est difficile à évaluer avec précision. Si les effets de la consolidation sur les recettes fiscales des États membres restent à préciser, ils seront vraisemblablement différents selon les pays.

En outre, la démarche en deux temps retenue par la Commission européenne rend également plus complexe la perception des conséquences de la réforme car elle introduit une période transitoire au cours de laquelle les effets bénéfiques associés à la consolidation ne seront pas perceptibles.

L’étude réalisée par Ernst & Young en juillet 2016 conclut ainsi « qu’aucun État ne constaterait un impact positif budgétaire immédiat de l’adoption des nouvelles règles de l’assiette commune » (38). L’impact pour la France et pour l’Allemagne serait même particulièrement désavantageux.

Source : « Compétition fiscale et projet d’assiette commune de l’impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie adopter ? », Ernst & Young, mai 2016.

De manière plus générale, dans un rapport de décembre 2016 consacré à l’impôt sur les sociétés (39), le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) indique que les petites économies bénéficieraient de la première phase du projet « car des assiettes plus homogènes renforcent l’efficacité des stratégies de concurrence fiscale par les taux » tandis que pour les grands pays (moins offensifs en matière de concurrence fiscale), l’harmonisation des règles d’assiette »  accentuerait le caractère défavorable de leur position en matière de taux, mais la consolidation et la répartition de l’assiette » pourraient leur être davantage profitables.

Il semblerait, à cet égard, que l’assiette imposable revenant à la France passerait, une fois le volet relatif à la consolidation mis en œuvre, de 8,3 % à 10 % du total de l’assiette imposable européenne (40).

La France, qui se situe dans la seconde catégorie de pays, a ainsi tout intérêt à soutenir activement la proposition de directive relative à la consolidation afin que la période transitoire qui lui est, globalement défavorable, soit aussi limitée dans le temps que possible. Dans cette perspective, elle pourra compter sur le soutien de la Commission européenne qui a indiqué son souhait de voir les négociations sur le « paquet ACCIS » enserrées dans un délai de deux ans.

Outre ces préoccupations de nature budgétaire, la mise en place de l’ACCIS dans les conditions envisagées par la Commission européenne (c'est-à-dire avec un caractère obligatoire pour certains acteurs seulement) aura également des conséquences sur les missions quotidiennes de l’administration fiscale. La coexistence de deux systèmes de calcul de l’assiette imposable et de deux modes de recouvrement différents implique, pour les administrations fiscales, une plus grande complexité de gestion et des coûts induits.

Du point de vue des entreprises, les effets de l’ACCIS sont également difficiles à évaluer. Dès lors qu’il n’est pas obligatoire pour tous les contribuables, le régime ACCIS s’analyse comme un vingt-neuvième système de calcul de l’impôt sur les sociétés (qui s’ajouterait ainsi aux systèmes des vingt-huit États membres). Ainsi, les entreprises qui ne sont pas obligatoirement soumises au régime européen devront-elles maîtriser, outre le dispositif ACCIS - pour décider ou non de s’y soumettre, toutes les règles nationales des pays dans lesquelles elles exercent des activités.

Enfin, la mise en place du régime ACCIS pose également un certain nombre de questions pratiques. À titre d’exemple, l’on peut se demander si les entreprises disposeront d’un interlocuteur à même de répondre à leurs interrogations quotidiennes quant à l’interprétation des directives ou s’il conviendra, le cas échéant, de saisir la Commission européenne. Les choses semblent ainsi devoir encore être précisées.

Présentée comme une mesure destinée à soutenir l’innovation et l’économie au sein de l’Union européenne, la super-déduction en faveur des activités de recherche et développement (ci-après « R&D ») est un dispositif intéressant qui pose toutefois des questions sensibles, en particulier quant à sa compatibilité avec les dispositifs nationaux similaires.

En l’espèce, la proposition de directive prévoit que les entreprises qui réalisent des investissements en R&D puissent déduire de leurs charges une partie significative de ces dépenses. Outre la déductibilité de principe dont bénéficient les coûts de R&D (41), la Commission européenne introduit un dispositif qui permet aux contribuables de déduire, par exercice fiscal, 50 % supplémentaires des coûts de R&D supportés (42). Lorsque ces coûts sont supérieurs à 20 millions d’euros, la déduction est de 25 % du montant excédentaire.

Par ailleurs, une super-déduction bonifiée pourra être octroyée aux « petites entreprises en phase de démarrage qui n'ont pas d'entreprises associées et qui se montrent particulièrement novatrices » (43) et leur permettra de déduire 100 % supplémentaires de leurs coûts de R&D, à hauteur de 20 millions d’euros.

Si le dispositif présenté par la Commission européenne a le mérite d’être cohérent et constitue un embryon de système européen de soutien à la R&D, les conditions de son application doivent encore être précisées. En particulier, la question de sa compatibilité avec des dispositifs nationaux de soutien à la recherche et à l’innovation, à l’instar des crédits d’impôt, doit être posée.

La question trouve, en France, une résonnance particulière dans la mesure où l’attachement au crédit d’impôt recherche (CIR) est fort. Créé en 1983, profondément réformé dans la loi de finances pour 2008 et maintenu depuis – en dépit des critiques qui ont pu être formulées, notamment quant à son efficacité et à sa gestion (44) – le CIR constitue l’un des éléments clé du système français de soutien à l’innovation et à la recherche auquel les entreprises semblent par ailleurs très attachées.

Si les dispositifs constituent l’un comme l’autre une incitation au développement des activités de R&D, ils sont très différents dans leurs modalités de fonctionnement comme dans leurs effets.

Pour mémoire, le CIR, défini à l’article 244 quater B du code général des impôts, s’analyse comme un dispositif de soutien à l’innovation qui accroît la compétitivité des entreprises. Le CIR permet ainsi aux entreprises qui peuvent y prétendre de bénéficier d’un crédit d’impôt de « 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant ». Il n’a donc aucune incidence sur l’assiette imposable, à la différence de la super-déduction proposée par la Commission européenne. Votre rapporteure indique qu’il s’agit là d’un élément important qui pourrait être utilisé pour plaider en faveur de la compatibilité de la super-déduction européenne avec le CIR (cf. infra).

Dans son rapport de décembre 2016 précité, le CPO indique que le CIR est « nettement plus favorable » (45) au mécanisme proposé par la Commission européenne, à l’exception des petites entreprises en création qui engagent moins de vingt millions d’euros de dépenses de R&D pour lesquelles les deux dispositifs présentent des effets équivalents (cf. graphique ci-dessous).

Par ailleurs, la super-déduction en faveur des activités de R&D n’est intéressante que lorsque les entreprises réalisent des bénéfices sur lesquels elles peuvent imputer la déduction, alors que le CIR est indifférent aux résultats réalisés et constitue une créance au profit des sociétés.

NB : La ligne « ACIS-PE » correspond aux petites entreprises bénéficiant de la super-déduction de 100 % jusqu’à 20 millions d’euros de dépenses. L’avantage fiscal retenu est calculé sur la base d’un taux de 28 %, qui entrera en vigueur progressivement jusqu’en 2020, en application de l’article 11 de la loi de finances pour 2017.

Du point de vue des entreprises, la comparaison des deux dispositifs est sans équivoque : le CIR est, de manière générale, bien plus avantageux que le système envisagé par la Commission européenne. Partant, la question qui se pose est celle de la position à tenir dans les négociations au Conseil.

À ce jour, il semble que la question de la compatibilité du CIR avec la super-déduction européenne ne soit pas encore tout à fait tranchée (46). La Commission européenne devrait ainsi préciser l’interprétation qu’il convient de donner à la directive en indiquant notamment si le mécanisme qu’elle propose d’introduire se substitue intégralement aux dispositifs nationaux répondant à des objectifs similaires.

La question semble avant tout de nature politique, comme le souligne notamment le rapport du Sénat, réalisé par M. Albéric de Montgolfier le 21 décembre 2016 (47), sur le projet ACCIS.

Auditionné par la commission des Finances du Sénat le 1er décembre 2016, M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale, indiquait que si, au plan technique, rien ne s’opposait à la « cohabitation » du système proposé par la Commission européenne avec le CIR, il conviendrait de s’interroger sur l’opportunité de maintenir deux dispositifs répondant au même objectif (48).

Si la Commission européenne doit encore clarifier ces points, les éléments apportés par M. Valère Moutarlier, directeur « Fiscalité directe, coordination fiscale, analyse économique et évaluation » de la Commission européenne lors de cette même audition, semblent confirmer cette analyse : « La question de la compatibilité avec des mécanismes tels que le crédit d'impôt recherche, concerne la possibilité d'agir nationalement sur le montant final de l'impôt, et non sur son assiette ; elle est moins juridique et plus politique. L'esprit de la proposition n'est pas que chacun puisse agir de manière autonome sur le montant final de l'impôt. Mais comme la directive porte sur le calcul de l'assiette, et non sur le taux ou la liquidation de l'impôt, il y a évidemment une marge de manœuvre politique. »

Par ailleurs, il ressort des auditions effectuées par votre rapporteure que si la Commission européenne devait affirmer l’incompatibilité de la super-déduction en faveur des activités de R&D avec les réductions et crédits d’impôt de manière générale et le CIR en particulier, cette position rencontrerait, en France, de fortes résistances, tant de la part des entreprises que des autorités politiques qui demeurent, jusqu’à présent, très attachées à ce dispositif fiscal.

En tout état de cause, même dans l’hypothèse où les deux dispositifs seraient considérés comme compatibles et donc – potentiellement cumulables –, il conviendra de préciser très clairement leur articulation. Le potentiel cumul de la super-déduction européenne et du CIR pour les entreprises soumises – par obligation ou par choix – à l’ACCIS risquerait de créer à leur profit un avantage concurrentiel disproportionné. A contrario, il serait sans doute difficile au législateur national de restreindre le bénéfice du CIR aux seules entreprises qui ne relèvent pas du régime ACCIS, au risque que cela entraîne une rupture d’égalité devant les charges publiques.

Comptant également parmi les dispositions nouvelles par rapport à la proposition de 2011, le mécanisme de déduction pour la croissance et l’investissement (DCI) proposé par la Commission européenne vise à remédier à la différence de traitement fiscal qui existe entre les deux modes de financement concurrents que sont le financement par l’emprunt et le financement par les fonds propres.

Les intérêts versés au titre des emprunts contractés étant, sous certaines conditions, déductibles de l’assiette imposable, alors que les dividendes ne le sont pas, le système contribue à entretenir un « biais en faveur de la dette ».

Le mécanisme proposé par la Commission européenne s’inspire des systèmes dits « d’intérêts notionnels » que connaissent, sous des formes différentes, l’Italie et la Belgique notamment. L’idée générale est de permettre aux contribuables recourant au financement par les fonds propres de déduire une partie de leurs coûts, comme ils auraient pu le faire s’ils avaient opté pour un financement par l’emprunt. Il est ainsi proposé de définir les modalités selon lesquelles sera évalué le rendement des augmentations de « fonds propres DCI ».

De manière générale, il ressort des auditions réalisées par votre rapporteure que ce système est particulièrement séduisant pour les entreprises françaises, compte tenu de son caractère avantageux et du fait qu’il n’existe pas d’équivalent en droit interne.

Force est toutefois de constater que la mise en place d’un tel dispositif pose plusieurs questions sensibles. Ainsi le CPO, dans son rapport précité, évoque-t-il notamment le coût budgétaire, particulièrement élevé si le taux nominal d’imposition n’augmente pas et dans des proportions suffisantes pour compenser la perte du rendement de l’impôt qui résulte de la mise en place du système (49).

Les effets de moyen-long terme étant, à ce jour, relativement difficiles à évaluer avec précision, le CPO préconise, sur ce point particulier, la prudence.

Autre nouveauté par rapport à la proposition de 2011, la règle concernant la limitation de la déductibilité des intérêts vise notamment à décourager certaines pratiques auxquelles recourent les entreprises à des fins d’optimisation fiscale. Elle s’inscrit dans la continuité des travaux effectués par l’Union européenne en matière de lutte contre certaines pratiques d’évasion ou d’optimisation fiscales dans le cadre de son paquet « anti-évitement fiscal » présenté le 28 janvier 2016.

Certains États membres disposent déjà de règles similaires et le dispositif proposé par la Commission européenne est très proche de ce qui existe en Allemagne.

Précisées à l’article 13 de la proposition de directive (50), les règles de limitation des intérêts prévoient la déductibilité des coûts d’emprunt « à hauteur du montant des intérêts ou d’autres produits imposables provenant d’actifs financiers perçus par le contribuable ».

Les surcoûts d’emprunt pourraient, quant à eux, être déduits dans des proportions limitées : la proposition de directive introduit un seuil maximal de 30 % du résultat avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA) ou un plafond de 3 millions d’euros, le montant le plus élevé des deux étant retenu .

Similaire à la règle introduite dans la directive « ATAD » du 12 juillet 2016, cette disposition présente l’inconvénient majeur de revêtir un caractère procyclique. Les règles de déductibilité sont, en effet, définies par rapport aux résultats de l’entreprise, ce qui implique que plus une entreprise réalise de bénéfices, plus elle peut déduire ses surcoûts d’emprunt et donc réduire sa charge fiscale. A contrario, plus le résultat de l’entreprise est faible, plus sa charge fiscale sera importante.

Par ailleurs, il semble difficile à ce stade d’évaluer précisément l’impact de la mise en place d’un tel mécanisme. Lors des auditions réalisées par votre rapporteure, il a été indiqué que les effets pour les entreprises françaises seraient sans doute contrastés et que la question méritait donc de plus amples analyses.

Dans son rapport précité, le CPO invite ainsi les services concernés du ministère de l’économie et des finances français à engager des travaux techniques visant à mieux appréhender les effets de la règle proposée par la Commission européenne sur les entreprises « selon leur taille, leurs modalités d’organisation et leur secteur d’activité » pour permettre à la France de définir sa position dans les négociations à venir.

Les règles concernant l’amortissement des immobilisations qui figurent dans le texte de la directive ACIS sont le reflet des compromis qui s’étaient dessinés - sans toutefois avoir donné lieu à un accord formel - lors des négociations entourant la proposition de 2011.

La Commission européenne propose ainsi d’introduire un système dual selon lequel les immobilisations de moyen et long termes sont amorties sur une base individuelle tandis que les immobilisations de court terme sont inscrites dans un panier d’immobilisation dans les conditions prévues à l’article 37 de la proposition de directive.

Il conviendra de veiller à l’évolution des négociations sur ce texte. Il semble que la proposition de directive, en prévoyant expressément un amortissement sur une base linéaire, semble exclure l’amortissement dégressif que permet le droit fiscal français (51). L’impact des règles proposées par la Commission européenne devra ainsi être précisé.

Comme rappelé, la consolidation est question complexe et sensible sur laquelle les États membres n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à s’accorder.

L’impact budgétaire de la consolidation pour les États membres est, tout d’abord, incertain. L’étude d’impact qui accompagnait la proposition de mars 2011 semblait indiquer qu’il n’y aurait que peu de « perdants » mais l’exercice de prévision est, en la matière, particulièrement délicat. Il faut donc prendre les estimations avec beaucoup de prudence.

La consolidation soulève ensuite plusieurs questions d’importance sur la gestion et le contrôle de l’impôt recouvré en application du système ACCIS. La consolidation et la répartition de l’assiette imposable nécessitent en effet de préciser comment les administrations fiscales nationales vont coopérer pour gérer et contrôler ensemble les recettes découlant de la mise en œuvre du dispositif ACCIS.

Dans cette perspective, force est de constater que les méthodes et cultures, actuellement différentes, des administrations fiscales des États membres ainsi que leur efficacité dans le recouvrement ou dans la lutte contre la fraude constituent autant de facteurs susceptibles de rendre la coopération peu aisée. L’un des défis consistera ainsi à faire naître la confiance dans la capacité de tous les systèmes fiscaux nationaux à mener à bien et pour le compte d’autrui les missions liées à la gestion, au recouvrement et au contrôle de l’impôt.

La proposition de directive relative à l’ACIS (52) prévoit que des contrôles puissent être initiés et coordonnés par l’autorité fiscale principale, c'est-à-dire celle du pays dans laquelle la société mère du groupe a sa résidence fiscale. Tout État membre ayant un « intérêt à agir » pourrait également demander la réalisation d’un contrôle (53), ou contester une décision de l’autorité fiscale principale. Le texte indique que les différends entre contribuables et autorités fiscales seront traités « par une instance administrative compétente pour connaître des recours en première instance conformément à la législation de l'État membre de l'autorité fiscale principale » (54).

Les discussions sur les critères optimaux sont, enfin, compliquées à mener, tant pour des raisons techniques que d’opportunité. La méthode introduite par la Commission européenne dans sa proposition de directive (55) ne présente pas de nouveauté par rapport au texte de 2011. Trois critères sont ainsi suggérés pour procéder à la répartition des bénéfices imposables entre les États membres.

La démarche a le mérite de la simplicité et vise à préserver un rattachement fiscal qui corresponde au plus près à la réalité de l’activité économique.

La Commission européenne propose une clé de répartition reposant sur trois facteurs également pondérés (à hauteur d’un tiers chacun). Le premier, relatif à la main-d’œuvre de l’entreprise dans un État membre, se décompose en nombre d’employés et en masse salariale, chaque élément comptant pour moitié dans le calcul et devant permettre de prendre en compte les différences existant au sein de l’Union européenne entre les niveaux de salaires notamment.

Le second facteur (« immobilisations ») concerne les immobilisations corporelles détenues par l’entreprise dans l’État membre. La Commission européenne a délibérément exclu de la formule les immobilisations incorporelles et les actifs financiers en raison de « leur caractère mobile et des risques de fraude » (56). Ce point est susceptible de constituer, pour la France, un élément défavorable compte tenu de l’importance de ces immobilisations dans le patrimoine des entreprises et ne semble pas être en mesure de tenir compte des évolutions et mutations de l’environnement économique.

Le troisième critère concerne le « chiffre d’affaires » et est constitué des ventes effectuées par l’entreprise dans l’État membre, en application du principe de vente par destination défini à l’article 38 de la proposition de directive relative à l’ACCIS (57).

Il est, à ce stade, difficile d’apprécier avec précision quels seront les effets d’une telle clé de répartition. Ceux-ci seront probablement différents selon la taille et le secteur d’activité de l’entreprise. Des analyses approfondies semblent devoir être effectuées.

Il est toutefois possible de souligner que l’exclusion des immobilisations incorporelles de la formule de répartition est source d’inquiétude, en particulier pour la France. Par ailleurs, votre rapporteure s’associe aux craintes exprimées dans le rapport du Sénat précité s’agissant des entreprises du secteur numérique. Si la proposition de directive prévoit de manière explicite des adaptations pour certains secteurs, à l’instar des services financiers et des assurances, du secteur pétrolier et gazier et de celui des transports maritimes et aériens, rien n’est dit sur le secteur du numérique.

Or, comme le rappelle le rapport du Sénat précité, ces entreprises se caractérisent très précisément par « l’importance de leurs actifs corporels » (58) ainsi que « par une main-d’œuvre relativement peu nombreuse et de surcroît très mobile » (59). Le chiffre d’affaires réalisé par ces entreprises dans chaque pays est enfin « difficile à établir avec précision » (60). Par conséquent, l’introduction de l’ACCIS dans les modalités proposées par la Commission européenne ne semble pas adaptée au secteur du numérique.

Conformément au protocole no 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « tout parlement national ou toute chambre de l'un de ces parlements peut, dans un délai de huit semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif dans les langues officielles de l'Union, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité. »

Faisant application de cette disposition, plusieurs assemblées parlementaires ont émis, sur le projet ACCIS, un avis motivé.

À ce jour, six États membres ont exprimé, de manière plus ou moins affirmative, leurs doutes quant au respect du principe de subsidiarité par les propositions de directives introduites par la Commission européenne. Ainsi, les Pays-Bas (Chambre des représentants comme Sénat), le Luxembourg, la Suède, le Danemark, l’Irlande et Malte considèrent que les textes ne sont, en l’état, pas conformes – voire contraires – au principe de subsidiarité.

En dépit de certaines inquiétudes dont la plupart rejoignent les éléments évoqués dans le présent rapport par votre rapporteure, l’Espagne, le Portugal et le Bundesrat de la République fédérale allemande ont, quant à eux, témoigné leur soutien au projet et à la démarche de la Commission européenne. Dans la résolution qui accompagne le rapport de M. Albéric de Montgolfier précité, le Sénat a, pour sa part, indiqué qu’il « approuvait la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés » tout en faisant part de certaines réticences quant au contenu des directives proposées (61).

Avis de subsidiarité rendus par certains parlements nationaux sur les directives qui composent le « paquet ACCIS » (62)

Compte tenu des réticences exprimées par un nombre significatif d’organes parlementaires, seule une véritable impulsion politique pourra, semble-t-il, faire avancer les négociations et œuvrer à bâtir un consensus. La Commission européenne, qui est le principal promoteur du projet ACCIS, aurait, dans cette perspective, tout intérêt à s’appuyer sur la présidence de l’Union européenne. Le rôle des États membres qui vont se succéder à la présidence de l’Union européenne sera, en effet, déterminant pour maintenir l’impulsion politique nécessaire à la tenue de négociations qui s’annoncent délicates.

Assumant actuellement la présidence, Malte semble, de manière générale, peu allante sur cette question et l’avis de subsidiarité rendu par la Chambre des représentants le 26 décembre dernier pourrait confirmer les réserves du pays sur l’ACCIS. L’Estonie et la Bulgarie, qui assureront la présidence de l’Union européenne respectivement du 1er juillet au 31 décembre 2017 et du 1er janvier 2018 au 30 juin 2018, ne semblent pas non plus, à ce jour, soutenir activement la proposition de la Commission européenne.

Outre ces éléments de nature politique, force est de constater que l’agenda fiscal européen est, depuis deux ans, particulièrement chargé et que la poursuite ou l’achèvement des travaux entrepris en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales paraissent davantage prioritaires que l’ouverture d’un nouveau dossier que l’on sait ne pas être consensuel.

S’agissant des négociations, la Commission européenne a indiqué qu’il serait souhaitable qu’elles s’effectuent, pour l’ensemble du projet (c'est-à-dire pour les deux propositions de directives) dans un délai bref de deux ans. Il appartiendra aux États membres de se montrer coopératifs pour respecter ce calendrier qui, s’il n’est qu’indicatif, éviterait aux discussions de s’enliser et de mettre à mal le projet ACCIS.

L’arrêt des négociations après l’adoption éventuelle de la première directive serait, en effet, problématique parce qu’il laisserait l’Union européenne dans une situation doublement insatisfaisante : non seulement les entreprises ne bénéficieraient pas des complets bénéfices du dispositif, qui ne se déploieront véritablement qu’une fois la consolidation de l’assiette mise en œuvre, mais les États membres devraient composer avec un système qui leur sera, pour plusieurs d’entre eux, assez largement défavorable (63). En outre, l’arrêt des négociations risquerait d’enterrer définitivement la phase de consolidation et, en définitive, le projet lui-même.

De manière générale, il conviendra de se montrer attentif au déroulé des négociations. Il est, en effet, fort probable que le texte évolue considérablement. Si certains correctifs pourraient opportunément être suggérés dans les réunions des groupes techniques au Conseil, il faudra sans doute veiller à ce que les grands équilibres du paquet soient préservés, faute que quoi le projet serait vidé de toute sa substance et risquerait de perdre en intérêt comme en cohérence.

Compte tenu des difficultés associées à un accord unanime sur chaque composante du projet ACCIS, de la volonté, clairement affichée, de certains États membres – dont la France – de promouvoir l’harmonisation de la fiscalité directe pesant sur les entreprises et, à l’inverse, des oppositions quasi principielles exprimées par d’autres États membres, le recours à une coopération renforcée pourrait être envisagé.

Régies par les articles 20 TUE et 326 et suivants TFUE, les coopérations renforcées permettent aux États membres qui le souhaitent d’ »  instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées des traités, dans les limites et selon les modalités prévues au présent article, ainsi qu'aux articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

Introduites en 1997 par le Traité d’Amsterdam, révisées une première fois par le Traité de Nice puis par le Traité de Lisbonne, elles permettent ainsi à certains États désireux d’avancer ensemble sur une thématique particulière de le faire. La possibilité d’instaurer une coopération renforcée pour mettre en place, entre certains États, une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés est une option souvent envisagée en cas d’échec des négociations à vingt-huit.

À la lumière des auditions qu’elle a réalisées, votre rapporteure considère toutefois qu’une coopération renforcée ne permettrait pas d’atteindre de manière pleinement satisfaisante les objectifs poursuivis par l’ACCIS.

Cela éloignerait la perspective d’une harmonisation, pourtant bienvenue du point de vue du fonctionnement du marché intérieur, des modalités de calcul de l’assiette imposable et risquerait, en outre, de désavantager les États membres de la coopération renforcée par rapport à ceux qui décideraient de ne pas s’associer à la démarche.

Alors que l’ACCIS compte parmi ses objectifs la limitation d’une concurrence fiscale dommageable, la mise en place d’une coopération renforcée entre un nombre limité de pays rendrait de facto la situation des pays hors coopération renforcée plus avantageuse. Or, il est fort probable que ces États soient ceux qui pratiquent déjà une concurrence fiscale particulièrement agressive, tant par leur taux d’imposition que par les possibilités offertes aux contribuables de réduire leur base imposable.

Le principal enjeu pour la Commission européenne comme pour les États membres qui soutiennent le projet ACCIS est ainsi de parvenir à convaincre les pays européens les plus réticents des avantages et intérêts mutuels qui relèvent de la mise en place d’une assiette commune consolidée au niveau européen.

Dans une perspective de plus long terme, votre rapporteure considère qu’une réflexion sur l’opportunité et les modalités d’encadrer les taux d’impôt sur les sociétés, à l’image de ce qui existe pour la taxe sur la valeur ajoutée, devrait être initiée.

Dans son rapport précité, le CPO indique, à cet égard, que « La France pourrait ainsi soutenir la mise en place d’un tunnel de taux analogue à celui en vigueur pour la TVA, au moins dans le cas où la consolidation et la répartition de l’assiette entre pays ne parviendraient pas à être adoptées » (64).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 15 février 2017, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure. Madame la Présidente, chers collègues, dans la continuité des travaux que nous avons effectués sur la fiscalité tout au long de cette législature, je vous présente aujourd’hui un rapport d’information assorti d’une proposition de résolution européenne sur le projet relatif à l’instauration d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés « ACCIS » au sein de l’Union européenne.

Le 25 octobre dernier, la Commission européenne a en effet introduit deux propositions de directive sur ce sujet. Avant de vous en présenter les grandes lignes et de vous soumettre la PPRE, je voudrais revenir brièvement sur l’historique de ce projet.

L’idée d’harmoniser, au sein de l’Union européenne, une partie de la fiscalité directe pesant sur les entreprises est un projet ancien. En effet, depuis plus de cinquante ans, les initiatives entreprises dans le cadre de la construction européenne visent à limiter, d’une part, les pratiques concurrentielles déloyales ou excessives et à promouvoir, d’autre part, une plus grande convergence des législations nationales.

Dans les années 1980 et 1990, sous l’impulsion de la « Commission Delors », un certain nombre d’initiatives circonscrites ont été entreprises pour harmoniser certains aspects de la fiscalité des entreprises, par exemple, la convention relative à l’élimination des doubles impositions. Au début des années 2000, ensuite, la Commission européenne redevient force de proposition en matière de fiscalité des entreprises et esquisse, en 2001 une « stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne ». Les fondations du projet ACCIS sont ainsi posées.

C’est en 2004, sous l’impulsion notable de la France et de l’Allemagne, des groupes de travail de nature technique et politique sont instaurés pour dessiner les grandes lignes d’une assiette commune consolidée. Après près de dix ans de réflexion et de réunions régulières, la Commission européenne introduit, le 16 mars 2011, une proposition de directive relative à l’ACCIS sur laquelle les États membres ne sont, jusqu’à présent, pas parvenus à trouver un accord unanime.

La récente relance du projet ACCIS par la Commission européenne résulte d’une démarche pragmatique, qui tire notamment les conséquences de l’échec des négociations sur la proposition de 2011. En effet, les discussions sur la proposition de 2011 ont fait apparaître que l’importance des bouleversements qu’impliquerait, pour les États membres comme pour les contribuables européens, la mise en place d’une ACCIS et le caractère particulièrement ambitieux de la proposition de la Commission européenne rendaient très incertaine l’issue des négociations. Semblant ainsi tirer les conséquences de l’échec des discussions qui ont entouré la proposition de 2011, la Commission européenne a décidé de scinder le projet ACCIS et d’en séquencer la mise en œuvre. Au plan technique, elle a fait usage de la possibilité qui est la sienne et a retiré le texte de 2011 pour pouvoir introduire une nouvelle proposition.

Formellement, cette proposition se compose de deux directives : l’une relative à une assiette commune (ACIS) et l’autre relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Afin de ne pas « brusquer » les États membres, la Commission européenne a décidé de séquencer la mise en œuvre de l’ACCIS et espère un accord sur chacune des deux directives pour une application, respectivement au 1er janvier 2019 et au 1er janvier 2020. Le séquençage en deux textes n’enlève rien à la cohérence du projet et à l’objectif de long terme que constitue l’instauration d’une assiette commune consolidée. Le commissaire Pierre Moscovici, que j’ai eu l’occasion d’auditionner, l’a d’ailleurs très clairement indiqué : l’objectif de la Commission européenne est de parvenir, à terme, à obtenir des États membres un accord sur chacun des deux « C » de l’acronyme.

De manière générale, la relance du projet ACCIS s’inscrit dans le cadre du plan d’action concernant la fiscalité des entreprises de juin 2015 dont elle constitue le premier des cinq domaines d’action prioritaires. L’introduction d’une assiette commune consolidée au sein de l’Union européenne présenterait plusieurs avantages majeurs.

Je précise toutefois, à titre liminaire, que le projet ne concerne que l’harmonisation des règles de l’assiette imposable et non les taux. Les États membres demeureront totalement libres de fixer leur taux d’imposition.

Le premier avantage est que la définition d’un corpus de règles uniques constituerait un embryon de régime commun de définition de l’impôt exigé des entreprises y exerçant des activités. Le deuxième avantage est que la mise en place d’un interlocuteur unique auquel s’adresser pour s’acquitter des obligations fiscales qui leur incombent au titre des bénéfices réalisés en Europe serait un facteur de simplification important. Ainsi, dès lors qu’elles réalisent des bénéfices dans plusieurs États membres, les entreprises pourraient traiter avec une seule administration fiscale, laquelle serait ensuite chargée de répartir le produit de l’impôt recouvré, en appliquant la clé de répartition proposée et le taux applicable dans chaque État concerné.

Les entreprises implantées en Europe n’auraient ainsi plus à jongler avec des législations différentes voire divergentes et pourraient, le cas échéant, y étendre leurs activités. La simplicité qui résulterait d’un tel régime s’apprécie également en termes d’attractivité du territoire européen : l’ACCIS pourrait faciliter l’implantation sur le marché intérieur de certaines entreprises étrangères.

Autre avantage, l’harmonisation des règles présidant au calcul de l’assiette imposable limitera les possibilités, pour les entreprises, de mettre en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale en profitant des failles et asymétries qui existent actuellement entre les systèmes fiscaux nationaux. Ceci devrait enfin limiter la tentation pour les États membres de se livrer, au sein du marché intérieur, à une concurrence fiscale dommageable, thématique que nous avons déjà développée dans un précédent rapport d’information.

Sur le fond, il ressort des auditions que j’ai pu effectuer que le contenu du paquet ACCIS ne présente pas de difficultés techniques insurmontables. La plupart des obstacles seront ainsi de nature essentiellement politique.

Il faut noter néanmoins un certain nombre de différences avec la proposition de directive de 2011. La première différence concerne le caractère obligatoire ou optionnel du régime de l’ACCIS. La Commission européenne propose que l’ACCIS soit obligatoire pour les groupes dont le chiffre d’affaires total consolidé est supérieur à 750 millions d’euros. Je rappelle que ce seuil est celui utilisé par l’OCDE dans ses travaux ainsi que par l’Union européenne dans ses précédentes directives, en particulier dans la directive du 12 juillet 2016 que nous avions eu l’occasion d’analyser avec mon collègue Marc Laffineur dans un précédent rapport consacré au paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne.

Par ailleurs, la Commission européenne a introduit dans sa proposition de 2016 trois éléments nouveaux : il s’agit de deux dispositifs de « politique fiscale » et d’un mécanisme temporaire de compensation des pertes qui permettra aux entreprises de consolider leurs résultats en attendant la mise en place de l’ACCIS dans son ensemble, c'est-à-dire avec le volet relatif à la consolidation.

La Commission européenne propose tout d’abord d’introduire une super-déduction en faveur des activités de recherche & développement qui permettrait aux entreprises qui réalisent des investissements en R&D de déduire de leurs charges une partie significative des dépenses engagées en la matière. Un système encore plus avantageux est prévu pour les petites entreprises innovantes particulièrement dynamiques. Ce dispositif est intéressant mais sa compatibilité avec le crédit d’impôt recherche (CIR) devra être confirmée. C’est un élément très important des négociations pour la France dans la mesure où les entreprises françaises comme les autorités politiques sont très attachées à ce dispositif efficace dans son ensemble et dans la mesure où le dispositif européen est « nettement moins avantageux » que le CIR - je reprends ici les termes du Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport consacré à l’impôt sur les sociétés en décembre 2016.

Le deuxième dispositif consiste en un mécanisme de déduction pour la croissance et l’investissement (DCI) qui devrait permettre de mettre fin au « biais en faveur de la dette » qui résulte du traitement fiscal différent réservé au financement par l’emprunt, d’une part, et au financement par les fonds propres, d’autre part. De manière générale, ce système est particulièrement séduisant pour les entreprises françaises, compte tenu de son caractère avantageux et du fait qu’il n’existe pas d’équivalent en droit interne. Ses effets de moyen long terme sont toutefois relativement difficiles à évaluer avec précision et il convient donc de se montrer prudent.

Le troisième élément est que la définition d’une assiette commune étant séparée de la phase de consolidation, la Commission européenne propose d’introduire un mécanisme de compensation temporaire des pertes avec récupération, qui devrait rester en vigueur jusqu’au succès des négociations sur la consolidation de l’assiette. Il est ainsi prévu que les groupes puissent prendre en compte, dans des conditions strictement définies, les pertes subies par une filiale ou un établissement stable établis dans d’autres États membres.

J’indique également que la proposition de la Commission européenne contient également une clause de switch-over dont il est peu probable qu’elle figure dans la version finale du texte en cas de succès des négociations sur le texte. Il s’agit en effet d’une clause qui figurait dans le texte initial de la directive dite « ATAD » dont j’ai parlé et qui n’a pas été retenue dans le texte définitif adopté en juillet dernier.

De manière générale, nous proposons de soutenir la démarche comme l’économie générale du paquet « ACCIS » mais il convient d’indiquer certaines incertitudes qui devront être précisées avant l’adoption des directives et de signaler les éléments qui font d’ores-et-déjà l’objet de discussions.

Le seuil établi par la proposition de directive pour en conditionner l’application pose deux types de questions : sur le principe même d’un seuil et sur celui retenu en l’espèce. Au plan théorique, la définition d’un seuil conditionnant l’application des dispositions des directives introduit, quelles qu’en soient les caractéristiques, un risque de fausser la concurrence sur le marché intérieur. Compte tenu de ces réserves de principe, la solution qui pourrait être adoptée pour mettre fin au débat semble être la suppression de tout critère : l’ACCIS serait, dans cette perspective, obligatoire pour tous les acteurs économiques, quel que soit leur chiffre d’affaires. Il s’agit sans doute, à terme, de l’objectif vers lequel tendre. Si certains observateurs sont favorables à une telle proposition, à l’instar de M. Alain Lamassoure, que j’ai eu l’occasion d’auditionner, celle-ci semble, à ce stade, ne pas pouvoir rencontrer suffisamment de soutien.

Je rappelle toutefois que le critère de chiffre d’affaires retenu est, tout d’abord, cohérent avec les travaux effectués par l’Union européenne et par l’OCDE en matière lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. C’est donc un critère qui a du sens et avec lequel les acteurs sont habitués à composer. Il est, ensuite, sans doute raisonnable de privilégier, dans un premier temps, une application obligatoire circonscrite de la directive, étant donné le bouleversement d’ensemble qu’implique la mise en place d’une ACCIS.

Les conséquences de la mise en place de l’ACCIS sont, à ce stade, relativement incertaines. Elles sont également d’autant plus délicates à apprécier que les implications sur les États et sur les entreprises sont, par effet miroir, inversées. Si l’ACCIS permet aux entreprises de réaliser des « économies » fiscales, c’est autant de recettes en moins pour les administrations nationales.

De manière générale, la mise en place d’un système de guichet unique devrait être bénéfique pour les entreprises qui verront leurs charges administratives réduites grâce à la déclaration fiscale unique. Pour les administrations fiscales, la gestion simultanée et en parallèle de plusieurs systèmes fiscaux nationaux sera, à l’inverse, facteur de complexité et générateur de coûts supplémentaires.

L’impact budgétaire global de l’ACCIS est difficile à évaluer avec précision et les effets seront différents selon les pays. S’agissant de la France, la mise en place de l’ACIS ne serait pas très favorable mais avec la consolidation, les choses seraient différentes. La Commission européenne estime que l’assiette imposable revenant à la France passerait, une fois le volet relatif à la consolidation mis en œuvre, de 8,3 % à 10 % du total de l’assiette imposable européenne.

Outre ces préoccupations de nature budgétaire, la mise en place de l’ACCIS dans les conditions envisagées par la Commission européenne aura également des conséquences sur les missions quotidiennes de l’administration fiscale. La coexistence de deux systèmes de calcul de l’assiette imposable et de deux modes de recouvrement différents implique, pour les administrations fiscales, une plus grande complexité de gestion et des coûts induits. Du point de vue des entreprises, le régime ACCIS s’analyse comme un vingt-neuvième système de calcul de l’impôt sur les sociétés, qui s’ajouterait ainsi aux systèmes des vingt-huit États membres. Ainsi, les entreprises qui ne sont pas obligatoirement soumises au régime européen devront-elles maîtriser, outre le dispositif ACCIS - pour décider ou non de s’y soumettre, toutes les règles nationales des pays dans lesquelles elles exercent des activités.

Enfin, la mise en place du régime ACCIS pose également un certain nombre de questions pratiques s’agissant notamment du recouvrement et du contrôle de l’impôt par tous les États membres.

Pour conclure, l’importance des défis d’ordre politique à affronter conditionne fortement le succès des négociations.

Pour mener le projet ACCIS à son terme, plusieurs défis devront être relevés. Il s’agit, tout d’abord, de convaincre l’ensemble de nos partenaires européens de parvenir à un accord unanime, lequel est indispensable à l’adoption des deux directives qui composent le « paquet » de la Commission européenne. Il s’agit ensuite, en cas d’accord sur l’harmonisation des règles d’assiette, de ne pas s’y arrêter et de maintenir l’impulsion politique nécessaire à l’adoption de la directive relative à la consolidation.

Dans cette perspective, la France doit, me semble-t-il continuer à jouer un rôle particulièrement actif dans la promotion du projet ACCIS. Il semble qu’elle puisse compter sur le soutien de l’Allemagne et de certains autres pays comme le Portugal et l’Espagne notamment.

Mme Chantal Guittet. Nous parlons ici d’harmonisation fiscale mais il me semble, qu’à ce jour, les normes comptables ne sont pas harmonisées. N’y a-t-il pas, dans cette absence d’harmonisation, un biais susceptible de favoriser l’évasion fiscale par un arbitrage comptable et non plus fiscal ? Je me demande pourquoi la Commission européenne n’envisage pas d’harmoniser également les normes comptables, pour éviter ce genre d’arbitrages.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure. C’est, en effet, une question très importante, que nous avions déjà abordée dans nos précédents rapports. Nous avions notamment auditionné l’ordre des experts-comptables et il nous avait été clairement indiqué que cette absence d’harmonisation des normes comptables pouvait être préjudiciable à l’ensemble des mesures prises en faveur de l’harmonisation fiscale. Cette dernière devra certainement être suivie de l’harmonisation des outils que l’on utilise en matière comptable. Cela serait effectivement une cohérence nécessaire.

Mme Chantal Guittet. Je m’interroge également sur le seuil retenu : 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, n’est-ce pas un seuil trop élevé ?

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure. Dans notre précédent rapport, nous avions évoqué le souhait de certains acteurs, notamment des organisations internationales, de faire baisser ce seuil de 750 millions d’euros parce qu’il exclut de fait de très nombreuses entreprises. De mémoire, le seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires couvre 20 % des entreprises actives en Europe et 80 % du chiffre d’affaires qui y est réalisé. La question du seuil est véritablement un sujet sur lequel il faut qu’on avance au niveau européen.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Pouvez-vous revenir sur l’impact de la mise en œuvre de l’ACCIS sur la France ? Il me semble que vous avez dit que l’application des directives lui serait défavorable. Si tel est le cas, cela veut-il dire que le système est profitable aux entreprises et cela ne serait-il pas alors un moyen d’attirer plus d’entreprises en France ?

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure. D’après les évaluations réalisées, c’est la première étape de la mise en place du projet d’assiette commune qui serait défavorable à la France. À partir du moment où la consolidation serait effective, le système serait plutôt bénéfique pour la France du point de vue des recettes fiscales. Par ailleurs, si les entreprises bénéficient d’économies d’impôt au niveau européen, c’est autant de recettes fiscales en moins au niveau de chaque État membre.

M. Yves Daniel. Cette démarche est très intéressante pour faire avancer les travaux sur l’harmonisation de manière globale. Je suis tout à fait favorable à cette initiative et je voulais savoir si ce projet vous semblait être l’un des leviers parmi un ensemble de mesures plus large permettant une plus grande harmonisation en Europe. Nous avons parlé des travailleurs détachés, nous parlons de la taxe sur la valeur ajoutée, du revenu minimum, aujourd’hui de la fiscalité des entreprises et j’espère que ces débats nous permettront d’aller encore plus loin et encore plus vite dans la voie de l’harmonisation européenne.

Mme Chaynesse Khirouni. Vous avez évoqué le fait que les principaux obstacles à surmonter n’étaient pas de nature technique mais plutôt d’ordre politique et que la France pouvait ou devait jouer un rôle important sur ce sujet. J’aurais voulu savoir ce que la France pouvait politiquement mettre en œuvre rapidement dans le cadre de ces négociations.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure. La constitution de l’assiette commune consolidée est, je l’ai rappelé, un projet historique. Suite à l’échec des négociations sur la proposition de 2011, parce que le paquet était trop ambitieux, il a été décidé de scinder la démarche en deux et de faire d’abord une assiette commune puis une assiette consolidée. J’ai auditionné à Bruxelles le commissaire Pierre Moscovici qui a donné le calendrier suivant : une mise en place de l’assiette commune au 1er janvier 2019 et de la consolidation au 1er janvier 2020. Comme l’a souligné Alain Lamassoure, ce calendrier contraint permet d’inciter à trouver des accords rapides.

Par ailleurs, le projet ACCIS est un gage de transparence au sein de l’Union européenne. Les entreprises paieront un impôt selon des critères communs, ce qui permettra d’éviter les stratégies d’optimisation fiscale agressive et par là même une concurrence fiscale dommageable entre les entreprises et entre les États. C’est une étape nécessaire qui devra s’accompagner d’autres mesures à mettre en place : le renforcement des mesures de lutte contre l’évasion fiscale et l’harmonisation des normes comptables que nous avons évoquées.

S’agissant des obstacles à surmonter, ils sont, en effet, essentiellement politiques dans la mesure où, je le rappelle, ce sont les États membres qui décident des taux en vertu de leur souveraineté budgétaire et fiscale et les décisions en matière de fiscalité se prennent à l’unanimité, ce qui complique évidemment les choses. Lors de nos précédents rapports également, nous en étions arrivés à la conclusion selon laquelle une coopération renforcée entre plusieurs pays serait une première étape. Néanmoins, la coopération renforcée serait source de complexité car plusieurs systèmes de calcul de l’impôt coexisteraient. Il y a également une crainte assez forte que les effets positifs attendus de la mise en place d’une ACCIS ne soient tout à fait au rendez-vous où qu’ils soient contrebalancés par des effets plus négatifs. Il n’en demeure pas moins que ce projet présente un certain nombre d’améliorations par rapport à 2011 et il me semble que la France a un rôle majeur à jouer, avec l’Allemagne notamment, dans l’avancée des discussions. Le projet ACCIS nous permettra de mieux identifier et de mieux imposer les entreprises là où elles réalisent leurs bénéfices.

La Présidente Danielle Auroi. Je rappelle qu’Isabelle Bruneau a mené, tout au long de la législature, des travaux sur les questions fiscales et l’on voit bien les différentes étapes qui se sont dessinées et se dessinent encore et sur lesquelles il faudra que notre commission continue à travailler.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur l’Union européenne,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au comité économique et social du 23 octobre 2001, « Vers un marché intérieur sans entraves fiscales. Une stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne », COM(2001) 582 final,

Vu la proposition de directive du Conseil du 16 mars 2011 concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), COM(2011) 121 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 25 octobre 2016, intitulée « Pour la mise en place d’un système d’imposition des sociétés équitable, compétitif et stable dans l’Union européenne », COM(2016) 682 final,

Vu la proposition de directive du Conseil du 25 octobre 2016 concernant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés, COM(2016) 685 final,

Vu la proposition de directive du Conseil du 25 octobre 2016 concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), COM(2016) 683 final,

Vu la résolution européenne de l’Assemblée nationale no 788 du 6 juillet 2016 sur le paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne,

Considérant que si le bon fonctionnement du marché intérieur repose sur la libre concurrence, celle-ci ne saurait faire obstacle au principe fondamental de coopération loyale entre les États membres ;

Considérant que la concurrence fiscale qui s’opère en Europe et les politiques nationales d’attractivité des territoires mises en œuvre par les États membres ont conduit à une baisse tendancielle du niveau moyen d’imposition pesant sur les sociétés ;

Considérant que les différences entre les législations nationales introduisent, pour les acteurs économiques exerçant leurs activités au sein du marché intérieur, une complexité particulière et des coûts de mise en conformité non négligeables ;

Considérant que les asymétries qui existent entre les systèmes fiscaux nationaux entretiennent les stratégies d’optimisation et de planification fiscales agressives, lesquelles portent atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur ;

Considérant que la fiscalité est une compétence exclusive des États membres et que l’action de l’Union européenne dans ce domaine vise à favoriser le rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur ;

Considérant que s’il convient de veiller à ce que l’intervention de l’Union européenne dans les matières fiscales soit conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, ceux-ci ne devraient toutefois pas constituer un obstacle au processus d’harmonisation des législations nationales en matière de fiscalité directe ;

Considérant que l’introduction d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) est un projet ambitieux qui présenterait des avantages considérables pour les contribuables européens et que l’harmonisation des conditions de calcul des bénéfices imposables contribuerait, en envoyant en signal politique fort, à la poursuite de l’approfondissement du marché intérieur ; que l’ACCIS devrait, en outre, permettre d’accroître l’efficacité de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, en limitant notamment les régimes préférentiels que peuvent octroyer des États à certains contribuables et les prix de transfert ;

Considérant que certains parlements nationaux ont d’ores et déjà exprimé leur opposition de principe à l’introduction d’une ACCIS ; que partant, les négociations qui vont s’ouvrir sur chacune des deux propositions de directives, seront sans doute difficiles et nécessiteront une forte impulsion politique de la part des États membres ;

Sur la relance du projet ACCIS

Soutient sans réserve le projet d’instaurer une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne et considère qu’à terme, une réflexion sur l’opportunité et les modalités d’encadrer les taux d’impôt sur les sociétés, à l’image de ce qui existe pour la taxe sur la valeur ajoutée, devrait être initiée ;

Salue l’économie générale du projet présenté par la Commission européenne comme la démarche pragmatique qu’elle a privilégiée, en prévoyant une approche séquencée visant à établir, dans un premier temps, une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés et à définir, dans un second temps, les modalités de sa consolidation ;

Insiste sur la nécessité d’envisager le projet dans son ensemble et de ne pas s’arrêter à la seule mise en place d’une assiette commune ; rappelle, à cet égard, que les bienfaits attendus de l’ACCIS ne déploieront tous leurs effets qu’avec la consolidation ;

Considère que les autorités françaises doivent continuer de jouer un rôle moteur sur ce sujet ;

Sur le dispositif proposé par la Commission européenne

Reconnaît qu’à ce jour, le dispositif proposé par la Commission européenne est entouré de certaines incertitudes ; invite par conséquent la Commission européenne comme les États membres à entreprendre, ou poursuivre, les travaux techniques visant à préciser les effets associés à la mise en place d’une ACCIS, tant pour les entreprises que pour les administrations fiscales ;

Salue l’avancée que représente, par rapport à la proposition de 2011, le caractère obligatoire de l’ACCIS pour les plus grandes entreprises ; rappelle que le seuil proposé par la Commission européenne est cohérent avec celui retenu dans ses travaux par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et ceux effectués, dans leur prolongement, au sein de l’Union européenne en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales ;

S’interroge toutefois sur l’importance des effets de seuil qui, s’ils sont difficiles à évaluer, risquent de nourrir un sentiment d’injustice et de concurrence faussée ; estime, par conséquent, qu’une réflexion pourrait être engagée pour envisager une application obligatoire du régime ACCIS à tous les contribuables européens ;

Invite la Commission européenne à préciser l’interprétation qu’elle entend donner à la directive quant à la compatibilité de la super-déduction en faveur des activités de recherche et développement avec les dispositifs nationaux de soutien à l’innovation et à la recherche ;

Considère que la compatibilité du crédit d’impôt recherche (CIR) avec le mécanisme européen ne pose a priori pas de difficultés techniques, mais que les conditions et les modalités de leur coexistence devront être précisées en tenant notamment compte des objectifs poursuivis par chacun des dispositifs, de l’attachement des acteurs français au CIR et de l’égalité de traitement entre les entreprises bénéficiant, le cas échéant, de mesures de soutien à la recherche complémentaires ;

Salue la volonté de la Commission européenne de supprimer, avec la déduction pour la croissance et l’investissement (DCI), le « biais en faveur de la dette » qui existe actuellement, compte tenu des différences de traitement fiscal réservé au financement par l’emprunt, d’une part, et au financement par les fonds propres, d’autre part ; estime toutefois qu’il convient d’effectuer des analyses approfondies pour apprécier plus précisément les conséquences à moyen-long terme d’un tel dispositif, en particulier s’agissant de ses effets sur le rendement de l’impôt sur les sociétés ;

Souligne que les règles proposées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts présentent un caractère procyclique qui en limite la pertinence ;

Invite la Commission européenne comme les États membres à affiner les évaluations réalisées s’agissant des conséquences pour les entreprises résultant de l’adoption des règles relatives à l’amortissement ainsi que des critères proposés dans la perspective de la consolidation de l’assiette ;

Sur la perspective des négociations

S’inquiète des réticences exprimées par certains parlements nationaux quant au projet ACCIS et appelle les autorités compétentes des États membres de l’Union européenne à faire montre d’une détermination et d’une volonté politique fortes dans les négociations pour mener à bien ce projet ;

Considère que l’intérêt, pour l’ensemble des acteurs économiques européens, que représente l’introduction d’une ACCIS nécessite une action de l’Union européenne dans son ensemble et que la mise en place d’une coopération renforcée sur ce sujet ne permettrait pas d’atteindre de manière pleinement satisfaisante les objectifs poursuivis.

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION

On the proposal for a common consolidated corporate tax base (CCCTB),

Single article

The National Assembly,

In the light of Article 88-4 of the Constitution,

In the light of the Treaty on European Union,

In the light of the Treaty on the functioning of the European Union,

In the light of the communication from the Commission to the Council, the European Parliament and the Economic and Social Committee of 23 October 2001, Towards an Internal Market without tax obstacles – A strategy for providing companies with a consolidated corporate tax base for their EU-wide activities (COM(2001) 582 final,

In the light of the proposal for a Council directive of 16 March 2011 on a Common Consolidated Corporate Tax Base (CCCTB), COM(2011) 121 final,

In the light of the communication from the Commission to the European Parliament and the Council of 25 October 2016, Building a fair, competitive and stable corporate tax system for the EU, COM(2016) 682 final,

In the light of the proposal for a Council directive of 25 October 2016 for a common corporate tax base, COM(2016) 685 final,

In the light of the Council directive of 25 October 2016 on a Common Consolidated Corporate Tax Base (CCCTB), COM(2016) 683 final,

In the light of the European resolution of the National Assembly no. 788 of 6 July 2016 on the European Commission's anti-tax avoidance package,

Considering that while the proper functioning of the internal market is based on free competition, the latter cannot impede the underlying principle of fair cooperation between the Member States ;

Considering that tax competition across Europe and the national policies implemented by Member States to make their territories attractive have led to a tendency for the average corporate taxation level to fall ;

Considering that the differences between national legislations introduce particular complexity and significant compliance costs for the economic players carrying on their activities in the internal market ;

Considering that the asymmetries between national tax systems sustain aggressive tax optimisation and planning strategies which jeopardise the proper functioning of the internal market ;

Considering that taxation is an exclusive competence of the Member States and that action by the European Union in this field aims at achieving the approximation of legislation having a direct impact on the establishment or functioning of the internal market ;

Considering that while it should be ensured that intervention by the European Union in tax matters complies with the principles of subsidiarity and proportionality, these principles should not however impede the process of harmonisation of national legislation as regards direct taxation ;

Considering that the introduction of a common consolidated corporate tax base (CCCTB) is an ambitious project that would present considerable advantages for European taxpayers and that harmonisation of the calculation conditions of taxable profits would contribute, by sending a strong political signal, to further deepening the internal market ; that the CCCTB should also allow greater efficacy in combating tax evasion and optimisation, by limiting especially the preferential regimes, which States can grant to some taxpayers, and also transfer pricing ;

Considering that some national parliaments have already expressed their opposition in principle to the introduction of a CCCTB ; that, therefore, the negotiations which will start on each of the two proposals for directives, will no doubt be difficult and require a strong political impetus on the part of the Member States ;

Re the relaunching of the CCCTB project

Supports unreservedly the project to introduce a common consolidated corporate tax base in the European Union and considers that, at a future date, discussions should be started on the opportunity and the methods for framing corporate tax rates, along the lines of what exists for valued added tax ;

Hails the general structure of the project presented by the European Commission and also the pragmatic process it favours by providing for a staged approach aimed at establishing, in a first stage, a common corporate tax base and defining, in a second stage, the methods for consolidating it ;

Insists on the need to consider the project as a whole and not to stop at the sole setting in place of a common base ; recalls, in this respect, that the expected benefits from the CCCTB will not reveal all their effects until after consolidation ;

Considers that the French authorities must continue to play a lead role in this matter ;

Re the mechanism proposed by the European Commission

Acknowledges that, to date, the mechanism proposed by the European Commission is surrounded by certain uncertainties ; invites therefore the European Commission and the Member States to undertake, or pursue, the technical work to clarify the effects associated with the implementation of a CCCTB, both for companies and for tax administrations ;

Hails the progress, with respect to the 2011 proposal, represented by the mandatory nature of the CCCTB for the largest companies ; recalls that the threshold proposed by the European Commission is consistent with that chosen in its work by the Organisation for Economic Cooperation and Development (OECD) and is also consistent with the work carried out, as an extension to the OECD's, in the European Union as regards the fight against tax evasion and optimisation ;

Raises questions however about the importance of threshold effects which are difficult to assess and may foster a feeling of injustice and distorted competition ; feels, therefore, that a discussion could be started to consider a mandatory application of the CCCTB regime for all European taxpayers ;

Invites the European Commission to specify the interpretation it intends to give to the directive as to the compatibility of super-deduction for research and development activities with national schemes supporting innovation and research ;

Considers that the compatibility of the research tax credit (CIR) with the European mechanism does not pose on the face of it any technical difficulties, but that the conditions and provisions of their coexistence will have to be clarified by taking into account in particular the goals pursued by each of the mechanisms, the attachment of French players to the CIR and equality of treatment between companies benefiting, where applicable, from complementary measures supporting research ;

Hails the European Commission's desire to scrap, with the introduction of the allowance for growth and investment (AGI), the 'debt-bias in taxation' which currently exists, given the differences in tax treatment for debt financing, on the one hand, and equity financing, on the other hand ; considers however that in-depth analyses need to be made to assess more precisely the medium to long term effects of such a mechanism, especially with reference to its effects on corporate tax yield ;

Emphasises that the rules proposed as to the limit on the deductibility of interest present a procyclical character that limits their relevance ;

Invites the European Commission and the Member States to improve the assessments made with reference to the consequences for companies resulting from the adoption of amortisation rules as well as from the criteria proposed with a view to consolidation of the tax base ;

Re the context of the negotiations

Expresses concern over the hesitations expressed by some national parliaments as to the CCCTB project and calls on the competent authorities of the Member States of the European Union to demonstrate a strong political determination and desire in the negotiations in order to bring this project to a successful conclusion ;

Considers that the interest, for European economic players as a whole, represented by the introduction of a CCCTB requires action by the European Union as a whole and that the implementation of enhanced cooperation in this matter would not allow the pursued goals to be reached in a fully satisfactory manner.

ANNEXES

ANNEXE NO 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE

ANNEXE NO 2 :
RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LE SÉNAT

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES FINANCES

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution européenne no 166 (2010-2011) du Sénat du 11 juillet 2011 sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés,

Vu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur,

Vu les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés du 25 octobre 2016,

Sur l'ensemble du projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés

Approuve la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, afin de lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, de freiner la concurrence fiscale entre les États membres et de renforcer le marché intérieur ;

Sur l'approche graduée

Considère que le choix fait par la Commission européenne d'une approche graduée à travers la présentation de deux propositions distinctes, s'il permet d'éviter les blocages dont a pâti la proposition de directive de 2011, reporte à la date de la mise en oeuvre de la directive relative à la consolidation le plein effet de ces propositions en matière de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale des entreprises ;

Sur la concurrence fiscale

Constate que l'adoption des propositions de directives de la Commission européenne aurait pour conséquence de rendre plus transparente et lisible la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en la concentrant sur les taux d'impôts sur les sociétés d'une part et sur les autres impôts et charges sociales payés par les entreprises d'autre part ;

Souligne, à cet égard, que la France, qui présente un taux d'impôt sur les sociétés élevé, des impôts de production nombreux et des charges sociales importantes, pourrait perdre en attractivité si elle n'accompagne pas cette adoption au niveau européen d'une réforme fiscale et sociale d'ampleur au niveau national ;

Sur le champ d'application

Considérant que les propositions de directive de la Commission européenne s'appliqueraient, de façon obligatoire, à toutes les entreprises de l'Union européenne dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d'euros et, de façon optionnelle, à toutes les autres entreprises ;

Souligne que le champ d'application des propositions de directive risque de créer un effet de seuil et conduira à des arbitrages pour les entreprises au détriment des recettes fiscales nationales ;

Sur le projet d'assiette commune

Sur la souveraineté fiscale

Estime que la définition d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés au niveau européen ne doit pas avoir pour conséquence de priver les États membres de leur souveraineté fiscale, en particulier pour stimuler la croissance et orienter les comportements des entreprises ;

Souhaite, à cet égard, que la directive comporte, à côté d'une base commune harmonisée, davantage d'options à la discrétion des États membres ;

Souhaite, en outre, que la directive affirme la possibilité pour les États membres de mettre en place ou de maintenir des instruments fiscaux, en particulier des réductions ou des crédits d'impôts, en faveur d'une politique sectorielle ;

Sur la cohérence entre règles fiscales et règles comptables

Rappelle que, dans un souci de simplification de la vie des entreprises, les règles fiscales applicables à une assiette commune d'impôt sur les sociétés doivent être cohérentes avec les règles comptables harmonisées au niveau européen ;

Sur le financement des entreprises

Considérant que la proposition de directive se donne pour objectif de renverser le « biais en faveur de la dette » par une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation d'une part et par un système d'intérêts notionnels calculés sur l'évolution des capitaux propres d'autre part ;

Estime que la puissance publique ne doit intervenir sur les choix de financement des entreprises que pour prévenir un endettement ou une sous-capitalisation excessifs qui mettraient en cause la pérennité de l'entreprise ;

S'inquiète, à cet égard, des modalités envisagées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt, en particulier en ce qu'elle s'appliquerait à chaque filiale nationale en fonction de son résultat et non du niveau moyen d'endettement du groupe auquel elle appartient ;

Estime que la proposition d'une déduction pour la croissance et l'investissement (intérêts notionnels) rémunérant l'accroissement des capitaux propres et pénalisant leur réduction doit faire l'objet d'une évaluation précise de son impact sur la rémunération du capital ;

Sur le soutien à la recherche et développement

Considérant que la proposition de directive de la Commission européenne comporte une super-déduction pour les dépenses de recherche, majorée pour les jeunes PME innovantes ;

Estime que le principe de subsidiarité s'oppose à ce qu'une directive européenne dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur investisse le champ, strictement national, du soutien fiscal à la politique sectorielle de la recherche et développement ;

Sur les mécanismes anti-abus

Salue l'introduction de plusieurs mesures anti-abus, tout en regrettant, d'une part, que ces mesures ne soient pas toujours rédigées dans les mêmes termes que les mesures proposées par l'OCDE ou que celles adoptées dans la récente directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui poursuit pourtant les mêmes objectifs, et d'autre part, que le problème posé par la manipulation des prix de transfert reste entier tant que l'assiette ne sera pas consolidée ;

Sur le projet de consolidation

Considérant que le projet de consolidation prévoit une formule de répartition de l'assiette de l'impôt sur les sociétés répartie sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : (1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre ; (2) la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre ; (3) le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre, en application du principe de destination ;

Estime que cette formule de répartition, inchangée par rapport à la proposition de 2011, ne suffit pas à assurer que les bénéfices soient imposés là où ils sont effectivement créés et à résorber les distorsions entre les États membres ;

S'inquiète en particulier de l'exclusion de la formule de répartition des immobilisations incorporelles (marques, brevets, algorithmes etc.), qui ont une importance particulière pour les entreprises françaises ;

S'inquiète également de l'inadéquation de cette formule de répartition aux entreprises du secteur du numérique, qui se caractérisent : (1) par l'importance de leurs actifs incorporels, aisément localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers ; (2) par la moindre importance et la très grande mobilité de leur main d'oeuvre ; (3) par un chiffre d'affaires par pays que les administrations fiscales ont de grandes difficultés à établir ;

Rappelle enfin que la consolidation implique une dissociation entre, d'une part, l'État membre chargé du contrôle et du recouvrement de l'impôt dans le cadre du « guichet unique », et d'autre part, les États membres bénéficiaires ultimes des recettes fiscales, ce qui nécessiterait une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales dans l'Union européenne ;

Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans la directive qui sera adoptée au terme du trilogue institutionnel ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

1 () Rapport du rapport du Comité fiscal et financier de 1962 (dit « rapport Neumark »), page 12.

2 () Voir notamment les différentes étapes d’un processus d’intégration régionale décrites par Belà Balassa, The theory of economic integration (1961).

3 () Directive du Conseil n° 90/434/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents. Cette directive établit un régime fiscal commun pour les opérations de restructurations transfrontalières de sociétés. Elle a fait l’objet de modifications ultérieures.

4 () Directive du Conseil n° 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents. Cette directive établit un régime commun visant à faciliter les regroupements de sociétés à l’échelle de l’Union européenne, en éliminant notamment les différences de traitement applicable à la distribution des bénéfices au sein des groupes. Elle a été modifiée à plusieurs reprises (notamment en 2011 et en 2014).

5 () Convention n° 90/436/CEE relative à l'élimination des doubles impositions dans le cas de correction des bénéfices entre entreprises associées. 

6 () Voir notamment la communication de la Commission européenne sur la fiscalité des entreprises de 1990 (SEC(90) 601) « In order to promote cooperation with representatives from the Member States, the Commission considers that consultations should be stepped up in this field between those responsible for taxation policy in the various Member States. Meetings should be held at regular intervals, at least once or twice a year, to exchange information and viewpoints with the Commission on the main proposals. Such consultation should make it easier for Member States to take account, in pursuing their national tax policies, of both the impact of the internal market and the consequences of those policies for the other Member States in the context of the growing integration and solidarity between the Community economies. These meetings should deal not only with the problems which arise within the Community but also with those encountered in relations with non-member countries.»

7 () Rapport du comité de réflexion des experts indépendants sur la fiscalité des entreprises (dit comité Ruding), Commission des communautés européennes, mars 1992.

8 () Source : base de données de la Commission européenne.

9 () Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité Économique et Social du 23 octobre 2001, « Vers un marché intérieur sans entraves fiscales - Une stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne », COM (2001) 582 final.

10 () Ibid.

11 () COM(2016) 682 final.

12 () « Les États membres n’auront plus à consacrer d’importantes ressources à la recherche de bases d’imposition mouvantes, car l’ACCIS répartit les profits de manière à améliorer la corrélation entre l’imposition et les lieux où se déroule effectivement l’activité économique. », COM(2016) 682 final.

13 () Cf. notamment COM(2016) 683 final.

14 () Cf. COM(2016) 683 final.

15 () Commission européenne, Taxation Trends in the European Union, édition 2015, pp. 144-145.

16 () Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 17 juin 2015, « Un système d'imposition des sociétés juste et efficace au sein de l'Union européenne : cinq domaines d'action prioritaires », COM(2015) 302 final.

17 () Cf. COM(2011) 121.

18 () Cf. COM(2016) 683 final, exposé des motifs.

19 () Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés (ACIS), COM(2016) 685 final et Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), COM(2016) 683 final.

20 () Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des questions économiques et financières, de la fiscalité et des douanes (cf. annexe 1).

21 () COM(2016) 685 final.

22 () Cf. COM(2016) 685 final.

23 ()COM(2016) 682 final.

24 () COM(683) final.

25 () Ibid.

26 () Voir notamment la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (dite « ATAD ») à laquelle votre rapporteure a consacré des développements dans le rapport d’information n° 3751 du 17 mai 2016 sur le paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne.

27 () Proposition de directive du Conseil modifiant la directive (UE) 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers, COM(2016) 687 final.

28 () Proposition de directive du Conseil concernant les mécanismes de règlement des différends en matière de double imposition dans l’Union européenne, COM(2016) 686 final.

29 () COM(2016) 685 final, article 9.

30 () COM(2016) 685 final, article 11.

31 () « 1. Un contribuable résident qui reste rentable après avoir déduit ses propres pertes en application de l’article 41 peut en outre déduire les pertes subies, au cours du même exercice fiscal, par ses filiales directes répondant aux critères, telles qu'elles sont visées à l’article 3, paragraphe 1, ou par son/ses établissement(s) stable(s) situé(s) dans d’autres États membres. Cette compensation des pertes est octroyée pour une durée limitée conformément aux paragraphes 3 et 4 du présent article. (…)
3. Le contribuable résident rajoute à son assiette imposable, à concurrence du montant précédemment déduit en tant que perte, tout bénéfice ultérieur réalisé par ses filiales répondant aux critères telles qu'elles sont visées à l’article 3, paragraphe 1, ou par ses établissements stables. », COM(2016) 685 final.

32 () Les conditions dans lesquelles les pertes font l’objet d’une réincorporation automatique y sont précisées à l’article 42, 4. COM(2016) 685 final.

33 () COM(2016) 685 final.

34 () Pour mémoire, l’objectif de la clause de « swicth-over » est de s’assurer que les revenus qui entrent au sein de l’Union européenne ont été taxés à un niveau au moins équivalent à celui de la taxation la plus faible à laquelle ils auraient été soumis s’ils provenaient d’un État membre. La Commission européenne prévoyait, dans sa proposition de directive « ATAD », que la clause de « switch-over » se déclenche dès lors que les revenus en provenance d’un pays tiers ont été soumis à un impôt sur les bénéfices dans le pays tiers, qui correspond à un taux légal d’imposition sur les sociétés inférieur à 40 % de la moyenne des taux légaux d’imposition sur les sociétés au sein de l’Union européenne.

35 () Rapport d’information n° 3751 du 17 mai 2016 de Mme Isabelle Bruneau et M. Marc Laffineur sur le paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne.

36 () Votre rapporteure souligne que le rapport du CPO précité envisage également cette possibilité : « Le projet de la Commission prévoit, par ailleurs, que l’assiette consolidée ne soit d’application obligatoire que pour les entreprises dont le chiffre d’affaires excède un certain seuil. Il serait préférable, si la mise en œuvre d’ACIS devait être décidée, de l’appliquer à l’ensemble des entreprises établies en France. », page 112.

37 () Votre rapporteure rappelle que les discussions sur la directive dite « ATAD » avaient donné lieu à l’expression de débats et prises de position similaires, notamment s’agissant du champ d’application de l’obligation de reporting public pays par pays.

38 () « Compétition fiscale et projet d’assiette commune de l’impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie adopter ? », Ernst & Young, mai 2016.

39 () « Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte », CPO, décembre 2016.

40 () Estimations de la Commission européenne reprises dans le rapport du CPO précité, page 89.

41 () « Les charges visées au paragraphe 1 incluent tous les coûts des ventes et toutes les charges, hors taxe sur la valeur ajoutée déductible, que le contribuable a supportés en vue d'obtenir ou de préserver ses revenus, y compris les coûts de recherche et développement et les coûts liés à l'émission de fonds propres ou à la souscription d'emprunts pour les besoins de l'entreprise. », COM(2016) 685 final, article 9.

42 () « à l’exception des coûts liés aux immobilisations corporelles meubles », ibid.

43 () La proposition de directive précise les conditions cumulatives à remplir pour bénéficier de cette super-déduction bonifiée (cf. ibid,article 9 3).

44 () Voir notamment « L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche », rapport de la Cour des comptes réalisé en application de l’article 58-2° de l’article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en juillet 2013.

45 () Conseil des prélèvements obligatoires, id. page 110.

46 () Il convient d’indiquer que le CIR peut s’imputer sur l’impôt sur les sociétés comme sur l’impôt sur le revenu alors que ce dernier n’est pas concerné par le projet ACCIS.

47 () Rapport n° 257 fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la proposition de résolution européenne sur les propositions de la Commission européenne concernant une assiette commune consolidé pour l’impôt sur les sociétés.

48 () « L’idée de renoncer à cet outil [le CIR] devra être examinée avec attention. Plus globalement, la question de l'harmonisation de l'assiette ne semble pas avoir pour effet de transférer au niveau de l'Union européenne tous les outils de politique fiscale qui empruntent le vecteur de l'impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse des crédits ou des réductions d'impôts, voire des dispositifs d'assiette, puisqu'aujourd'hui la stimulation de l'investissement passe par des dispositifs de suramortissement, par exemple en matière d'environnement. Une assiette harmonisée implique-t-elle de renoncer à ces outils ? Il faudra en discuter avec la Commission européenne et les autres États. »

49 () « À titre d’illustration le dispositif belge (…) constituait en 2014 la principale dépense fiscale au titre de IS belge, soit un montant évalué à environ 6 milliards d'euros sur un rendement net de l’IS de 12 milliards d'euros. Le système d’intérêt notionnel équivaudrait donc en l’espèce à la diminution d’un tiers du taux nominal de l’IS. Le maintien du rendement net de l’IS nécessiterait ainsi une augmentation significative du taux nominal d’imposition. », page 106.

50 () COM(2016) 685 final.

51 () Les règles relatives à l’amortissement dégressif permettent à certaines immobilisations d’être amorties plus rapidement en début d’utilisation et s’analyse comme une incitation à l’investissement.

52 () COM(2016) 683 final.

53 () « Les autorités nationales de tout État membre dans lequel les bénéfices d’un membre d'un groupe sont soumis à l'impôt peuvent demander la réalisation d’un contrôle. », ibid.

54 () Ibid.

55 () Ibid.

56 () COM(2016) 683 final, voir notamment les articles 40 et 41.

57 () Les ventes de biens et les prestations de services sont ainsi incluses dans le facteur « chiffre d’affaires » de l’État membre où ils sont respectivement expédiés ou vendu et fournis.

58 () Rapport du Sénat précité, page 18.

59 () Id., page 19.

60 () Ibid.

61 () Cf. Annexe 2.

62 () Les avis rendus par la Chambre des représentants de Malte, la Chambre des députés du Luxembourg, le Sénat et la Chambre des représentants des Pays-Bas, le Folketing danois, le Parlement irlandais et le Riksdag suédois figurent en annexe.

63 () Voir notamment l’étude d’Ernst & Young précitée.

64 () Rapport du CPO précité, page 149.