N° 141 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d'une commission d'enquête sur les difficultés résultant pour les collectivités locales et leurs habitants du resserrement du crédit imposé par les banques



N° 141

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 août 2012.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les difficultés résultant pour les collectivités locales et leurs habitants du resserrement du crédit imposé par les banques,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Alain BOCQUET, François ASENSI, Bruno Nestor AZEROT, Huguette BELLO, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, Jean-Philippe NILOR, Alfred MARIE-JEANNE et Nicolas SANSU,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 15 mai 2012, dans une réponse à un parlementaire mettant en cause l’attitude des banques vis-à-vis des collectivités territoriales, le précédent gouvernement constatait : « Le resserrement de l’offre de crédits bancaires auquel sont aujourd’hui confrontées les collectivités territoriales, se traduit non seulement par une réduction des volumes et une augmentation des marges, mais également par une diminution des durées de prêts. »

Cette situation que l’ensemble des élus territoriaux constate depuis quatre ans n’allait pourtant pas encore de soi début 2012, aux yeux du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie. Interrogé à ce sujet à l’Assemblée nationale le 18 janvier, le ministre répondait en effet à propos de ces difficultés: « (…) je peux en témoigner, étant moi-même élu local », avant cependant de mettre toute cette situation au passé : « Il y a eu une tension, au cours de la période d’instabilité de la zone euro, à la sortie de l’été, en ce qui concerne l’accès au crédit pour les collectivités locales. »

Les constats dressés quatre mois plus tard (!) par les services mêmes du ministère, montrent que le problème loin d’être maîtrisé ni passager, demeure plus que jamais d’une complète actualité!

C’est d’ailleurs dès 2008 – et non au détour de l’été 2011 – que les premiers signes de tension étaient apparus, une députée communiste attirant alors l’attention du gouvernement de l’époque sur « l’onde de choc financière partie des États-Unis (et qui) touche maintenant l’économie française ». Dans ce contexte, ajoutait-elle, « les collectivités locales qui sont au tout premier rang pour le niveau des investissements réalisés en France, risquent de réduire les dépenses d’équipement si les conditions des emprunts qu’elles sont amenées à contracter sont aggravées. Les conséquences pour l’activité des entreprises et l’emploi dans notre pays seraient dramatiques. »

On était à la mi-2008 et en référence aux difficultés croissantes rencontrées par les maires et les municipalités, les questions au gouvernement allaient surgir de l’ensemble du monde parlementaire et ne plus s’interrompre.

Quels que soient le poids économique ou la démographie du département concerné, de Paris à la Creuse, et quelle que soit sa localisation dans notre pays, des Côtes d’Armor aux Alpes-Maritimes, du Pas-de-Calais aux Pyrénées-Atlantiques, l’ensemble du territoire national a témoigné en quatre ans au sein de l’Assemblée nationale et auprès des Pouvoirs publics, des effets dévastateurs de la crise boursière et financière, car c’est de cela qu’il s’agit, sur les collectivités locales, petites et grandes.

Sur les collectivités locales et donc sur leur capacité à répondre par leurs décisions d’investissements, non seulement aux besoins sociaux émanant des populations, mais aussi à l’exigence de relance d’une économie atone et d’une France au bord de la récession. Quand l’investissement local fait défaut ou se trouve affaibli par la dérobade des réseaux bancaires, c’est par exemple toute l’industrie du Bâtiment et des travaux publics qui souffre de l’abandon de projets de création d’équipements ou d’infrastructures, ou de travaux lourds d’entretien, de maintenance: voiries, assainissement, aménagement de zones d’habitat ou d’activité économique... Les désengagements forcés des collectivités (qui produisent 50 % du chiffre d’affaires du BTP) peuvent ainsi conduire à la disparition de plusieurs milliers d’emplois.

Le défi qui reste par conséquent à relever est énorme, tant en termes de justice sociale et de développement humain durable, qu’en termes d’activité économique et de maintien ou de création d’emplois.

Depuis 2008, toutes les interventions des parlementaires en écho aux doléances et préoccupations des élus locaux, ont stigmatisé l’attitude du secteur bancaire vis-à-vis des collectivités: communes et départements, intercommunalités et régions.

Sont notamment évoqués :

– « la trop grande différence existant entre le taux de refinancement bancaire de la Banque centrale européenne (qui se situe à 2 %) et les taux proposés actuellement (on est alors en mars 2009), par les principaux prêteurs au secteur local »;

– le constat que « les banques ayant disposé d’aides particulières de l’État, devraient participer à l’effort collectif en permettant aux collectivités d’emprunter à des taux raisonnables »;

– les menaces que fait peser sur les collectivités « l’établissement d’une nouvelle réglementation bancaire dite Bâle III » ;

– les décisions d’établissements bancaires qui « contingentent fortement les volumes des prêts proposés ou assortissent leurs propositions de conditions de marges rédhibitoires, voire ne formulent plus aucune offre de réponse aux consultations les plus récentes, sans qu’un tel comportement ne résulte d’un examen objectif de la situation financière de la collectivité territoriale concernée » ;

– le risque d’« impossibilité pour certaines collectivités d’équilibrer leurs comptes en fin d’exercice, avec une pression artificielle sur la poursuite des opérations inscrites en section d’investissement » ;

– les difficultés des collectivités de plus de 50 000 habitants « particulièrement touchées; plus de la moitié des banques présentes sur le marché en 2010 leur refusent des prêts pour 2011. Cette tendance s’accompagne d’une forte hausse des marges, ainsi que d’une multiplication des commissions » ;

– les problèmes similaires vécus en milieu rural...

« Jusqu’à la crise de 2008, écrit fin 2011 un parlementaire, le secteur bancaire considérait la signature des collectivités territoriales comme de première qualité. Il devient désormais évident que l’on assiste à un renversement de ce paradigme. »

Renversement d’autant plus inacceptable dans son principe ajoute un député en écho, qu’il existe « des spécificités financières relatives à nos collectivités territoriales (caractère obligatoire du remboursement de l’emprunt, impossibilité d’emprunter pour rembourser un autre emprunt, règles strictes d’application du principe d’équilibre budgétaire, mécanisme de péréquation et de solidarité financière). L’ensemble de ces règles confère des garanties particulières de solvabilité de nos collectivités territoriales. »

Visiblement, l’attention des réseaux bancaires est ailleurs.

Gestion saine, faible encours de dette, capacité de désendettement inférieure ou égale à un an: autant de critères devenus souvent sans effet au moment de solliciter des crédits liés à des besoins d’investissement.

« Malgré les 1 000 milliards d’euros de prêts accordés par la Banque centrale européenne aux établissements bancaires, ces derniers se montrent très peu disposés à accompagner les collectivités », constate encore de façon exemplaire en avril dernier, un parlementaire de Vendée.

L’argent des banques

Pour l’essentiel, rappelait début juillet le quotidien L’Humanité, « l’argent des banques » c’est celui des revenus et de l’épargne des salariés. Ainsi, à l’échéance d’avril 2012, l’encours des dépôts à vue s’élevait en France à 566,1 milliards d’euros; les autres dépôts à court terme (Livret A, LDD, LEP, Livret jeunes...) représentaient 574,9 milliards d’euros; les PEL et PEP pris ensemble 210,8 milliards d’euros. Soit un total supérieur à 1350 milliards d’euros; près de trois fois et demi le budget de l’État et l’équivalent des deux tiers du PIB.

Face à ces difficultés trop longtemps niées ou sous estimées en période pourtant de crise globale, le précédent gouvernement a pris des dispositions partielles successives. Mise en place avec la loi de finances rectificative du 16 octobre 2008 de la Société de financement de l’économie française. Les fonds levés sur les marchés « avec la garantie de l’État » sont ensuite « distribués aux établissements de crédit, en contrepartie d’engagements de prêts aux agents économiques, notamment aux collectivités territoriales. » La question se pose sérieusement des suites données à ces engagements. En novembre 2008, une première enveloppe de cinq milliards d’euros sur fonds d’épargne est ouverte. Le 10 février 2012, une seconde enveloppe d’un montant maximal de cinq milliards est annoncée en pleine campagne électorale. En fait, deux milliards sont engagés, l’un par la Caisse des dépôts et consignations, l’autre « sous forme de refinancement des établissements bancaires » qui permettent aux banques de se trouver ainsi en position de prêter aux collectivités, à bon compte, cet argent public. Le 5 novembre 2011 enfin, le gouvernement décide la création d’un pôle public de financement des territoires associant la Banque postale et la CDC. Pôle public qui devait être opérationnel dès le second semestre de 2012. Mais l’Association des départements de France constatait encore le 26 juin que « la création d’une banque dédiée au secteur local prend du retard. » Et voici quelques jours à peine, le 7 juillet dernier, la Banque postale annonçait le doublement, de deux à quatre milliards d’euros, des crédits ouverts aux besoins de court terme de collectivités mises en danger par la décision de Dexia de fermer les lignes de crédit de trésorerie de certaines d’entre elles.

Mises en perspective, ces décisions conjoncturelles accumulées donnent le sentiment d’une fuite en avant sans que jamais soient interrogées la stratégie des banques s’affichant défaillantes face aux attentes, ni leur responsabilité dans la situation présente, ni la part qu’il leur incombe de prendre pour la redresser. Comment accepter sans remise en cause des banques, le relèvement des marges – elles ont « doublé depuis 2010 » – la multiplication des commissions constatés par les élus locaux et les parlementaires.

Il faut, soulignait à l’été 2011 le ministère de l’économie : « garantir la possibilité pour les collectivités locales de financer les investissements publics à un coût raisonnable ». On était loin soudain du discours présidentiel pointant du doigt, au même moment, la « responsabilité » de ces mêmes collectivités dans l’explosion de la dette publique en France accrue de 600 milliards d’euros en cinq ans, et menaçant de moduler les dotations d’État en fonction de leur attitude budgétaire, c’est-à-dire de leur engagement à relayer les politiques d’austérité mises en œuvre.

Faut-il le rappeler : la part des collectivités locales en 2010 dans le déficit public se limitait à 0,1 % du PIB, et depuis 1983, c’est-à-dire depuis 30 ans, le montant de leur dette est stabilisé à 10 % de la dette publique.

Contradictoires et insuffisantes, les orientations et décisions appliquées au fil des quatre années écoulées n’ont pas permis de juguler la situation et ont fait plonger les collectivités. C’est aussi le constat que dressent dans leur diversité les grandes associations d’élus. Diverses pistes sont privilégiées. Celle d’abord visant à faire des maires des « Père la Rigueur »: réduction de la masse salariale, remise en cause systématique de l’utilité sociale de leurs projets d’investissement sous couvert de rentabilité économique. En vue, la volonté d’amener les collectivités à financer leurs investissements sur leurs « fonds propres » et de faire jouer à l’autofinancement qu’elles dégagent, un rôle de « caution bancaire », gelant ainsi des fonds nécessaires au financement d’actions et de projets socialement utiles.

Financiariser la gestion des collectivités locales est présenté aujourd’hui comme la panacée au moment où, avec les progressions du chômage et de la précarité, la perte de pouvoir d’achat des salaires, les urgences sociales ne cessent elles, de croître. C’est en réalité une contrainte ultralibérale dangereuse, voire mortifère qui se met en place, avec des Traités et un Mécanisme Européen de Stabilité qui renforcent la gouvernance financière européenne au détriment des États, des Parlements et de la souveraineté populaire, et des dispositions s’attaquant à l’autonomie des collectivités et pesant sur leurs ressources pour remettre en cause leur gestion au service des populations qu’elles fédèrent.

Donnée pour intangible – « on ne peut pas revenir en arrière», clament les milieux bancaires –, la situation de lâchage bancaire actuelle incite d’aucuns à faire pression en faveur de la création d’une Agence de financement des investissements locaux ! Laquelle irait bien entendu chercher elle-même sur les… marchés financiers, mais désormais et contrairement à 2008, sans la garantie de l’État, les crédits que les banques refusent aux collectivités. Il y aurait même urgence à rendre ce nouvel outil opérationnel, entend-t-on de toute part.

L’ampleur des obstacles que rencontrent les collectivités peut-elle s’accommoder une fois encore d’une « solution » définie et mise en application à la hâte ? Les maires et l’immense majorité des collectivités, les populations qu’ils représentent et qui les ont mandatés y ont-ils intérêt ?

Mutualiser l’emprunt, « garantir » de meilleures conditions de financement... Encore faudrait-il prendre le temps de s’interroger, cela a été revendiqué publiquement, « sur la réelle indépendance financière que cet outil permettrait ».

Le fonctionnement des marchés financiers guidé par la recherche de la rentabilité la plus forte et la plus immédiate, ne pèsera-t-il pas du même poids qu’à présent ? Ne conduira-t-il pas de la même manière, à inciter les collectivités adhérentes de cette nouvelle agence, à faire un tri entre elles, des « bons profils », c’est-à-dire susceptibles d’être agréés par les marchés ?

Les collectivités entrent pour 56 milliards d’euros dans les investissements publics annuels dont elles assument près de 75 % contre 25 % à l’État. Leurs besoins de financement par l’emprunt sont évalués pour 2012, aux environs de 17 milliards d’euros et compte tenu de l’engagement des banques d’apporter 10 milliards d’euros de crédits nouveaux, le delta reste de 7 milliards.

Le « financement désintermédié » que promet la création d’une telle agence pose on le voit, des questions majeures. Dans un contexte d’une complexité rare, il risque d’aboutir à placer directement les collectivités sous l’emprise des marchés financiers au moment où monte l’exigence de permettre aux États d’y échapper.

Permettrait-il enfin d’atteindre ce triple objectif de répondre aux attentes des habitants et aux besoins d’aménagement équilibré des territoires; de dynamiser l’économie et l’emploi, l’accompagnement des PME et de l’artisanat en garantissant la capacité d’investissement des communes, départements ou régions; de valoriser la démocratie locale en autorisant que soient partout respectés les engagements pris par les élus locaux devant et avec les populations qui les ont choisis ? Quelle atteinte plus inacceptable pourrait être portée à la citoyenneté que ce mépris opposé sous la pression des milieux financiers, aux votes opérés par nos concitoyens ?

Tout montre en définitive qu’il y a place aujourd’hui, pour un véritable pôle public financier mettant la ressource publique issue de la collecte de l’épargne au service du développement social; et besoin d’une autre politique du crédit.

Il y a nécessité qu’une commission d’enquête parlementaire se saisisse de ces enjeux, fasse le point de l’attitude des banques vis-à-vis des collectivités territoriales et des difficultés de l’heure afin de préciser en y associant élus locaux et représentants des citoyens, la part qui doit être celle de chacun: établissements bancaires, État, collectivités dans la mise en œuvre de mesures permettant de répondre aux attentes des populations et d’aller de l’avant.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur les difficultés résultant pour les collectivités locales et leurs habitants, du resserrement du crédit imposé par les banques.


© Assemblée nationale