N° 330 - Proposition de loi de M. Didier Quentin visant à encadrer les grands passages et à simplifier la mise en oeuvre de la procédure d'évacuation forcée



N° 330

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 octobre 2012.

PROPOSITION DE LOI

visant à encadrer les grands passages et à simplifier
la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Didier QUENTIN, Charles de LA VERPILLIÈRE, Jacques LAMBLIN, Christian JACOB, Marie-Christine DALLOZ, Annie GENEVARD, Valérie LACROUTE, Véronique LOUWAGIE, Dominique NACHURY, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Damien ABAD, Jean-Pierre BARBIER, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Gilles CARREZ, Jean-Louis CHRIST, Dino CINIERI, Philippe COCHET, François CORNUT-GENTILLE, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Rémi DELATTE, Nicolas DHUICQ, Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Laurent FURST, Claude de GANAY, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Georges GINESTA, Jean Pierre GIRAN, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOUJON, Philippe HOUILLON, Marc LAFFINEUR, Marc LE FUR, Philippe LE RAY, Alain MARC, Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Claude MATHIS, François de MAZIÈRES, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Luc MOUDENC, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Yves NICOLIN, Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Martial SADDIER, Paul SALEN, Fernand SIRÉ, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Lionel TARDY, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-Marie TETART, Patrice VERCHÈRE, Jean-Sébastien VIALATTE, Jean-Pierre VIGIER, Philippe VITEL et Michel VOISIN,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans le rapport d’information de la Commission des Lois sur le bilan et l’adaptation de la législation relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage remis le 9 mars 2011, adopté à l’unanimité, il a été souligné que l’accueil des grands passages entraîne une charge de plus en plus lourde à supporter pour les collectivités territoriales. Celle-ci l’est d’autant plus que certains groupes ne préviennent pas de leur arrivée, ce qui crée de nombreux désordres de plus en plus mal ressentis par les populations. La présente proposition de loi vise donc, en premier lieu, à mieux encadrer ces grands passages.

Il est proposé, en second lieu, de simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée, lorsqu’elle est appliquée à l’occupation illégale de terrains appartenant à des personnes publiques.

En troisième lieu, une disposition est prévue pour assurer le relogement des gens du voyage en voie de sédentarisation.

I - Actuellement, l’État n’est censé intervenir que lorsque les aires de grand passage prévues par le schéma départemental ne suffisent pas. Ainsi, la circulaire interministérielle du 28 août 2010 relative à la révision des schémas départementaux d’accueil des gens du voyage constate l’insuffisance des aires de grand passage mises en place. Après avoir insisté sur la nécessité de donner la priorité à la réalisation de ces équipements, la circulaire encourage les représentants de l’État dans les départements à mettre en œuvre des mesures visant à pallier cette insuffisance, comme le recours temporaire aux terrains non inscrits au schéma départemental, mais susceptibles de recevoir des grands groupes. La circulaire du 8 juin 2011 préconise, dans le même esprit, de faciliter l’implantation de telles aires de stationnement temporaires, en recourant « dans la mesure du possible, à la mise à disposition de terrains situés sur le domaine de l’État ». Elle évoque ensuite, à défaut d’une telle solution, la recherche d’emplacements temporaires sur des terrains appartenant à des particuliers, s’ils en sont d’accord.

La solution retenue par ces circulaires consiste donc à charger le représentant de l’État de chercher en priorité des terrains appartenant à l’État, afin d’y installer temporairement les caravanes faisant partie d’un grand groupe, qui n’auraient pas trouvé de places dans l’une des aires spécialement aménagées par les collectivités locales. Or, en pratique, cette solution n’est pas mise en œuvre aussi souvent que nécessaire, si bien que les collectivités locales sont régulièrement confrontées à l’installation intempestive de grands groupes de caravanes sur des terrains publics ou privés, qui ne sont nullement prévus pour les accueillir !

Pour éviter ces difficultés et clarifier le rôle de l’État dans ce domaine, cette proposition de loi vise à confier à l’État l’entière responsabilité des aires de grand passage, comme le préconise le rapport d’information précité. Il lui appartiendrait donc aux Préfets de déterminer quels sont les terrains les mieux adaptés, de les aménager, de les entretenir, et d’organiser leur occupation, c’est-à-dire d’orienter les grands groupes vers tel ou tel terrain. La loi pourrait aussi préciser que les aires de grand passage doivent être en priorité situées sur le domaine de l’État.

En revanche, les collectivités territoriales continueraient à assumer la charge des aires permanentes d’accueil.

Pour lever tout risque de confusion sur ce partage de responsabilités, il pourrait être utile de définir les aires de grand passage dans l’article 1er de la loi du 5 juillet 2000.

Par ailleurs, il convient de généraliser l’obligation pour les grands groupes d’informer à l’avance les préfectures des départements où ils ont choisi de s’installer momentanément. Celles-ci ont ainsi le temps de trouver, puis de proposer un terrain adapté à leurs besoins, et d’élaborer une convention d’occupation de ce terrain. Il apparait opportun que cette information soit communiquée au moins trois mois avant leur arrivée.

II – S’agissant de la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée, l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, dans sa rédaction initiale, précisait que, sur un terrain appartenant à la commune, la condition d’atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques n’était pas requise, lorsque leur évacuation était demandée. Elle ne l’était que lorsque le maire saisissait la justice pour une occupation d’un terrain appartenant à un autre propriétaire, c’est-à-dire, le plus généralement, un propriétaire privé.

Or, l’article 9 a été modifié par la loi du 20 décembre 2007 relative à la délinquance de proximité. Une rédaction défectueuse a généralisé la condition de trouble à l’ordre public, même lorsque le terrain en cause est un terrain communal. Ainsi, dans un jugement du 6 juillet 2012 du Tribunal Administratif de Lyon, il a été considéré que la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques n’étaient pas compromises par une installation irrégulière sur une propriété publique. Le juge a donc, pour ce seul motif, annulé l’arrêté préfectoral ordonnant l’évacuation forcée, alors pourtant que des places étaient disponibles pour accueillir les résidences mobiles dans une aire de grand passage. Il convient de mettre un terme à cette insécurité juridique, sans pour autant remettre en cause la possibilité pour les juges de contrôler la proportionnalité de la mesure prise, conformément à la jurisprudence constante sur les décisions de police.

Il est donc proposé de ne maintenir la condition d’atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques que dans le cas où la demande d’évacuation forcée concerne l’occupation irrégulière d’une propriété privée. Cette condition ne sera plus exigée lorsque la demande concernera une propriété publique.

On remarquera par ailleurs que le transfert à l’État de la responsabilité des grands passages sera également de nature à simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée à la demande des communes. En effet, il sera seulement exigé de celles-ci qu’elles soient en règle avec leur obligation d’établir une aire permanente d’accueil. Elles n’auront plus, comme c’était le cas jusqu’à présent, à devoir satisfaire aussi l’obligation de créer une aire de grand passage.

III - Enfin, il convient de régler le problème que rencontrent beaucoup de communes confrontées au stationnement de gens du voyage en voie de sédentarisation qui stationnent, soit sur des terrains privés sans respecter les règles d’urbanisme, soit sur des terrains publics non aménagés. Lorsque les communes auront rempli leur obligation d’avoir une aire permanente d’accueil, ou seront sur le point de le faire, le préfet devra proposer aux gens du voyage concernés une solution de relogement.

*   *   *

Telles sont les dispositions que nous avons l’honneur de vous proposer d’adopter.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au début du I de l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, sont insérés les mots : « L’État et ».

Article 2

Le troisième alinéa du II de l’article 1er de la même loi est ainsi rédigé :

« Le schéma départemental détermine les terrains de grand passage, destinés à l’accueil non permanent de gens du voyage, lors de rassemblements traditionnels ou occasionnels, et définit les conditions dans lesquelles l’État se charge du choix des terrains, en priorité ceux situés sur son domaine, de leur aménagement et de leur entretien, ainsi que de l’organisation de leur occupation et du bon déroulement des rassemblements. »

Article 3

Après le troisième alinéa du II de l’article 1er de la même loi, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les responsables des groupes informent le représentant de l’État dans le département, au plus tard trois mois avant la période prévue pour leur passage. »

Article 4

La deuxième phrase du I de l’article 2 de la même loi est ainsi rédigée :

« Elles le font en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires permanentes d’accueil, aménagées et entretenues. »

Article 5

Le deuxième alinéa de l’article 4 de la même loi est supprimé.

Article 6

Le deuxième alinéa du II de l’article 9 de la même loi est ainsi rédigé :

« Lorsque la mise en demeure est prononcée à l’encontre d’occupants d’un terrain n’appartenant pas à l’État, la commune, ou une autre personne publique, elle ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. »

Article 7

Le Gouvernement remet au Parlement, dans les douze mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport sur les conditions d’exercice par l’État de la responsabilité des aires de grand passage, en particulier le choix des terrains, leur aménagement et leur entretien, ainsi que l’organisation de leur occupation et le bon déroulement des rassemblements.

Article 8

Après l’article 10 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 précitée, il est inséré un article 10 bis ainsi rédigé :

« Art. 10 bis. – Lorsqu’une commune a déjà réalisé, ou est engagée dans la construction d’une aire d’accueil permanente au sens de l’article 1er de la présente loi, et que dans le même temps, des personnes dites gens du voyage occupent dans cette même commune, depuis plus de 18 mois, un emplacement provisoire, le préfet propose à ces personnes une solution de relogement. »

Article 9

Les charges qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées par l’augmentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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