N° 576 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Roger-Gérard Schwartzenberg relative au statut des anciens Présidents de la République



N° 576

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 janvier 2013.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative au statut des anciens Présidents de la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Thierry BRAILLARD, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIÉ, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Joël GIRAUD, Jacques KRABAL, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC et Stéphane SAINT-ANDRÉ,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Outre ses neuf membres nommés, le Conseil constitutionnel comprend les anciens présidents de la République qui en sont membres de droit et à vie, conformément à l’article 56, alinéa 2 de la Constitution.

Par cette disposition, le constituant de 1958 visait principalement à mettre à profit leur expérience de gardien des institutions, l’article 5 de la charte fondamentale disposant :

« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. »

Par ailleurs, le constituant entendait qu’après leur départ de l’Élysée, les anciens présidents de la République puissent ainsi disposer d’une fonction officielle et recevoir une indemnité.

Cette appartenance de droit des anciens chefs de l’État au Conseil constitutionnel pouvait donc se comprendre initialement. Toutefois, elle peut aujourd’hui poser problème vu l’évolution des textes et usages constitutionnels intervenue depuis 1958, tant ce qui concerne la présidence de la République que le Conseil constitutionnel.

La situation actuelle : l’appartenance de droit au Conseil constitutionnel des anciens chefs de l’État

D’un côté, le statut et le rôle de chef de l’État ont sensiblement changé. Élu au suffrage universel direct depuis la loi du 6 novembre 1962, disposant d’un mandat ramené à cinq ans depuis la révision du 2 octobre 2000, le président de la République est devenu, en réalité, le premier acteur et décideur de la politique nationale. Il n’apparaît plus guère comme exerçant une fonction d’arbitrage, excepté les rares périodes de cohabitation devenues désormais improbables avec la quasi-simultanéité, depuis 2002, des élections présidentielle et législatives.

De l’autre côté, la compétence et l’activité du Conseil constitutionnel se sont nettement accrues, spécialement en ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité des lois.

D’une part, alors que celui-ci se bornait initialement à vérifier la conformité de la loi au texte écrit de la Constitution, depuis sa décision du 16 juillet 1971, il apprécie également sa conformité au « bloc de constitutionnalité » et notamment aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

D’autre part, la saisine du Conseil constitutionnel a été nettement étendue. Alors que le droit de lui déférer des lois, avant leur promulgation, était jusqu’alors réservé au chef de l’État, au premier ministre et aux présidents des deux assemblées, la révision du 29 octobre 1974 l’a conféré également à soixante députés ou soixante sénateurs (article 61, alinéa 2 de la Constitution).

À partir de cette date, les Sages ont donc été saisis beaucoup plus souvent qu’auparavant, en particulier par l’opposition parlementaire du moment, cherchant à obtenir la censure de lois votées à l’initiative du gouvernement ou d’élus de sa majorité.

Enfin, en instituant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ouverte aux justiciables, la révision du 23 juillet 2008 a fortement étendu le champ d’action du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de la conformité des lois à la Constitution.

Jusqu’à cette révision, le Conseil constitutionnel pouvait seulement connaître des lois venant d’être adoptées par le Parlement et se trouvant en cours de promulgation. Son contrôle ne pouvait alors s’exercer qu’avant cette promulgation. En revanche, depuis la révision de 2008, ce contrôle est susceptible d’intervenir aussi après la promulgation, a posteriori, et donc de concerner des lois adoptées plusieurs années auparavant.

L’article 61-1 de la Constitution dispose en effet : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. »

Dès lors, les Sages peuvent être appelés à contrôler la constitutionnalité de lois promulguées depuis cinq, dix, quinze ans ou davantage.

De nombreuses lois – notamment pénales – concernant les droits et liberté ont été initiées par les anciens présidents de la République et leurs gouvernements. Devenus membres de droit au Conseil constitutionnel, ces anciens chefs de l’État peuvent donc se trouver dans la situation d’avoir à statuer sur la constitutionnalité de lois qu’ils ont eux-mêmes inspirées et promulguées lorsqu’ils étaient à l’Élysée.

Il importe donc d’éviter ces difficultés que le constituant de 1958 n’avait pu anticiper.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois, est aussi juge électoral, chargé de statuer sur la régularité des élections nationales et notamment de l’élection présidentielle.

Ainsi, par exemple, une décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) rejetant le compte de campagne d’un candidat à l’élection présidentielle peut faire l’objet d’un recours formé par celui-ci devant le Conseil constitutionnel.

Or, s’il s’agit du président sortant ayant été candidat à sa propre succession mais n’ayant pas été réélu, celui-ci se trouve dans la situation de former un recours devant une juridiction dont il est membre de droit depuis son départ de l’Élysée. En étant à la fois juge et partie.

Le cas vient de se présenter effectivement. À juste titre, ce membre de droit a fait savoir qu’il se déporterait et ne participerait pas au délibéré sur ce dossier le concernant.

De même, pour le contrôle de la constitutionnalité des lois, l’usage est aussi qu’un ancien chef de l’État, membre de droit du Conseil constitutionnel, s’abstienne de participer au délibéré afférant aux QPC surtout s’il s’agit d’une disposition législative qu’il a contribué à élaborer. Mais cet usage est dépourvu de caractère obligatoire.

Ainsi, le Règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité dispose seulement, à son article 4 :

« Tout membre du Conseil constitutionnel qui estime devoir s’abstenir de siéger en informe le président.

Une partie ou son représentant peut demander la récusation d’un membre du Conseil constitutionnel par un écrit spécialement motivé…

La demande est communiquée au membre du Conseil constitutionnel qui en fait l’objet. Ce dernier fait connaître s’il acquiesce à la récusation. Dans le cas contraire, la demande est examinée sans la participation de celui des membres dont la récusation est demandée.

Le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation. »

Conférer aux anciens présidents de la République le statut de membres à vie du Sénat

Au total, l’appartenance de droit des anciens chefs de l’État au Conseil constitutionnel peut soulever de réels problèmes pour l’exercice impartial des fonctions de cette institution. Afin d’éviter ces difficultés, que le constituant de 1958 n’avait pu anticiper, il convient de supprimer la catégorie des membres de droit du Conseil constitutionnel.

Cette suppression avait d’ailleurs été recommandée par le Comité Vedel en 1993, puis par le Comité Balladur en 2008. Au cours de la discussion parlementaire du projet de loi constitutionnelle de 2008, un amendement visant à cette suppression, déposé par M. Robert Badinter, avait été voté par les sénateurs en première lecture contre l’avis du gouvernement, mais repoussé en deuxième lecture par l’Assemblée nationale.

Toutefois, il importe de ne pas priver la vie publique de l’expérience éminente des anciens chefs de l’État. Il serait donc opportun que ceux-ci soient désormais membres de droit non plus du Conseil constitutionnel, mais du Sénat, Chambre de réflexion de la République.

C’est le cas en Italie où, selon l’article 58, alinéa 2 de la Constitution, « sauf renonciation, tout ancien président de la République est sénateur de droit et à vie ».

Ce statut serait préférable et permettrait, en outre, de mettre fin à un paradoxe. En effet, il a été jugé (décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1984, A.N., Puy-de-Dôme, 2e) qu’à la seule exception de la prestation de serment dont ils sont dispensés, les membres de droit du Conseil constitutionnel sont soumis aux mêmes obligations que les autres membres de cette institution et donc à l’obligation de réserve, prévue à l’article 7 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, qui interdit à ses membres de « prendre aucune position publique sur les questions ayant fait ou susceptibles de faire l’objet de décisions de la part du Conseil ». Interdiction confirmée par l’article 2 du décret du 13 novembre 1959 sur les obligations des membres du Conseil constitutionnel.

Ces dispositions ont pour effet – voire pour objet – de priver les anciens chefs de l’État membres de droit du Conseil constitutionnel du droit de s’exprimer publiquement sur la plupart des problèmes d’actualité, de les astreindre au silence et d’empêcher ces personnalités de premier plan, ayant exercé les plus hautes responsabilités, d’exercer un rôle politique actif.

Au contraire, l’appartenance de droit non plus au Conseil constitutionnel mais à la Haute Assemblée leur permettrait d’exercer effectivement un tel rôle et d’apporter leur concours actif à la vie publique du pays.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Le deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution est abrogé.

Article 2

La première phrase du quatrième alinéa de l’article 24 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Le Sénat, dont le nombre de membres élus ne peut excéder trois cents quarante-huit, est élu au suffrage indirect. »

Article 3

L’article 24 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les anciens Présidents de la République font de droit partie à vie du Sénat. »


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