N° 645 - Proposition de loi de M. Thierry Braillard relative au principe d'égalité en matière successorale



N° 645

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2013.

PROPOSITION DE LOI

relative au principe d’égalité en matière successorale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Thierry BRAILLARD, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Jean-Noël CARPENTIER, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Joël GIRAUD, Jacques KRABAL, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC, Thierry ROBERT, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par une décision QPC du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui instaurait un droit de prélèvement en faveur des seuls héritiers français en cas de partage d’une même succession entre cohéritiers étrangers et français. Cette disposition, qui se plaçait pourtant dans la continuité du principe d’égalité en matière successorale posé par la Révolution française, a été censurée par le Conseil constitutionnel en ce qu’elle établissait une différence de traitement entre héritiers appelés à une même succession, différence de traitement sans rapport avec l’objet de la loi.

Le Conseil constitutionnel explique en effet que l’article 2 de la loi de 1819 établissait « une différence de traitement entre les héritiers venant également à la succession d’après la loi française et qui ne sont pas privilégiés par la loi étrangère ». Autrement dit, le droit de prélèvement, censé garantir une égalité entre héritiers (ou plus exactement rétablir l’inégalité causée par le contenu restrictif de la loi successorale étrangère), ne profitait qu’à l’héritier français lésé. Le reproche du Conseil tient donc « à ce qu’un héritier étranger lésé par une loi étrangère dans une succession ouverte (au moins pour partie) en France n’était pas protégé » (1).

Il n’y a pas lieu ici de contester l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel à propos d’une institution de droit positif français, ancienne et régulièrement appliquée par le juge, qui touchait à l’ordre public commandé par le respect de l’égalité des partages en cas de succession. Le droit de prélèvement était analysé par le juge comme une règle matérielle impérative, même lorsqu’il y avait conflit de lois, ce qui n’est pas rare s’agissant de droit des successions. On peut considérer que, d’une certaine façon, les juges français invitent le législateur et ce, à l’examen de différentes décisions de justice rendues ces dernières années, qui témoignent d’hésitations, à dire le droit sur ce point.

De tels conflits trouvaient évidemment leur source dans l’existence, en droit français, d’une réserve successorale, alors que de nombreux droits étrangers, notamment anglo-saxons, ne connaissent pas d’équivalent. « Il s’agit en effet là de la principale raison pour laquelle le jeu d’une loi étrangère pouvait défavoriser un héritier français, lequel ne serait alors plus privilégié par la réserve, mais se retrouverait au contraire en concours avec les autres héritiers et légataires » (2).

Or, la réserve successorale, à la différence du droit de prélèvement, n’est pas une règle impérative et ne participe pas de l’ordre public. Une loi étrangère ne prévoyant pas la réserve demeure donc applicable à une succession en France. Le droit de prélèvement permettait ainsi à l’héritier français de compenser cette absence éventuelle de réserve.

Il convient donc, comme le suggère d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans le 6ème considérant de sa décision, de maintenir une égalité au profit d’un héritier lésé par la loi étrangère, sachant que le principe de nationalité de la loi, appliqué ici aux héritiers, non seulement se heurte de plein fouet au statut personnel et au principe de territorialité de la loi, mais présente le risque d’une contrariété avec le futur règlement communautaire relatif aux successions internationales (3).

Il est donc proposé de rétablir un droit de prélèvement respectant le principe constitutionnel d’égalité, quelle que soit la nationalité de l’héritier lésé par la loi successorale étrangère. Reprendre la formulation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 en l’adaptant (mention de « tout héritier, étranger ou français »), en la modernisant (suppression de la mention redondante « en vertu des lois et coutumes locales »), et en la codifiant (nouvel article unique d’une nouvelle section du chapitre II du titre 1er « Des successions » du livre III du code civil) est l’objet de l’article unique de cette proposition de loi qui aura vocation à s’appliquer aux successions ouvertes à la date de la décision QPC du 5 août 2011, afin que l’égalité de nos concitoyens devant la loi soit respectée.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article 729-1 du code civil, il est inséré une section 1 bis ainsi rédigée :


« Section 1
bis


« Du principe d’égalité en matière successorale

« Art. 729-2. – Dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, tout héritier, étranger ou français, peut prélever sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont il serait exclu, à quelque titre que ce soit. »

1 () Michel Attal, Les conséquences en droit international privé de l’inconstitutionnalité du droit de prélèvement, La Semaine juridique, EG, 17/10/2011, 1139.

2 () Ibid.

3 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil IP/09/1508, 14/10/2009, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.


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