N° 697 - Proposition de loi de M. Jean-Pierre Door visant à instituer un bouclier sanitaire



N° 697

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un bouclier sanitaire,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

MM. Jean-Pierre DOOR et Hervé MORIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De l’avis général, l’architecture financière de notre système d’assurance maladie solidaire est aujourd’hui à bout de souffle. Pour limiter les déficits récurrents des caisses, les pouvoirs publics ont pris, année après année, des mesures d’économie qui ont pesé sur l’ensemble des acteurs du système de santé, sans épargner les assurés. Si chacune de ces mesures, prise à part, n’a pas eu un impact considérable sur le taux de prise en charge de la dépense de santé par la solidarité nationale, leur accumulation n’en a pas moins pour effet d’accroître de façon significative le « reste à charge » des assurés.

Ces « restes à charge » sont devenus massifs : dans un rapport d’information sur les ALD, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) en évalue le montant à 12 milliards d’euros par an pour les soins de ville et à 2,5 milliards d’euros pour les soins hospitaliers, ce qui représente, pour chaque assuré, 200 euros par an pour les soins de ville et 45 euros pour les soins hospitaliers. La part de la consommation de soins et de biens médicaux laissée à la charge des assurés est ainsi passée de 8,4 % en 2004 à 9,4 % en 2009.

Il faut ajouter à ces « restes à charge » le coût de la couverture complémentaire du risque maladie. En effet, disposer d’une assurance maladie complémentaire est devenu quasiment indispensable pour l’accès aux soins. Une récente enquête de l’association UFC-Que choisir a montré qu’entre 2002 et 2008, le coût de la couverture complémentaire avait augmenté de près de 50 %, alors que le revenu disponible brut des ménages progressait de moins de 30 %.

Surtout, ces « restes à charge » sont répartis entre les assurés d’une façon injuste à deux égards :

- D’une part, les « restes à charge » les plus importants pèsent sur les personnes les plus malades ; et ce, malgré la suppression du ticket modérateur accordée au titre des affections de longue durée (ALD). En effet, le rapport sur le bouclier sanitaire remis en septembre 2007 par MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard montre que la taux de personnes ayant un « reste à charge » annuel supérieur à 500 euros pour les soins de ville s’élève à 15,9 % parmi les assurés en ALD, contre 8,8 % pour les autres assurés. Ce montant atteint près de 1 500 euros par an pour les 5 % des assurés en ALD qui ont les restes à charge les plus élevés, soit environ 500 000 personnes, et dépasse 2 700 euros pour le dernier centile des personnes en ALD, soit 100 000 personnes environ. Ainsi, le régime des ALD ne neutralise plus les « restes à charge » les plus élevés.

- D’autre part, les « restes à charge » sont particulièrement lourds pour les personnes aux revenus modestes. En effet, ils représentent 2,3 % des revenus des ménages du premier décile de niveau de vie, contre 0,5 % des ressources des ménages du dixième décile. Ces chiffres montrent que ni la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), ni l’aide au paiement d’une assurance complémentaire de santé (ACS) ne suffisent à maîtriser le taux d’effort des ménages les plus modestes.

Ce constat conduit une part de plus en plus grande des acteurs et des observateurs de notre système de santé à plaider en faveur d’un dispositif qui limite le « reste charge » des assurés à un plafond établi en fonction du revenu des assurés. Ce mécanisme de « bouclier sanitaire » a été mis en œuvre dans plusieurs pays, notamment en Allemagne.

Loin de remettre en cause le caractère solidaire du financement de notre système de santé, le bouclier sanitaire s’inscrit pleinement dans l’esprit du « pacte de 1945 » qui a présidé à la fondation de notre sécurité sociale : que chacun soit couvert contre les risques à hauteur de ses besoins, et mis à contribution en fonction de ses moyens.

La présente proposition de loi tend à instituer un bouclier sanitaire, qui se substituerait à la trentaine de dispositifs d’exonération du ticket modérateur existant à ce jour, résultat d’une addition de mesures sans véritable cohérence d’ensemble.

Pour éviter que la protection offerte par le bouclier sanitaire ne soit limitée par les dépassements d’honoraires, cette proposition de loi tend également à réguler ces dépassements, dans le cadre offert par l’avenant n° 8 à la convention nationale signée le 25 octobre 2012.

Pour prendre le relais des protocoles de soins établis dans le cadre du régime des ALD, auquel le bouclier sanitaire se substituerait, il est proposé de mettre en place un système de suivi des maladies chroniques reposant sur le médecin traitant. À titre transitoire, il est proposé que les personnes bénéficiant d’exonérations du ticket modérateur à la date d’entrée en vigueur de la loi puissent en conserver le bénéfice jusqu’en 2016.

Pour ces raisons, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d’adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Création d’un bouclier sanitaire

Article 1er

I. – L’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa est insérée la référence : « I. – » ;

2° Les 1°, 3°, 10° et 12° sont supprimés ;

3° L’article est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« II. – La somme des participations et des franchises acquittées en application de l’article L. 322-2 au cours d’une période de douze mois par les assurés membres d’un même foyer fiscal ne peut excéder un plafond déterminé en proportion du revenu global net annuel de ce foyer au sens de l’article 13 du code général des impôts.

« Cette proportion est fixée par décret en Conseil d’État après avis de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire.

« La majoration mentionnée au cinquième alinéa de l’article L. 162-5-3 n’est pas prise en compte pour le calcul de la somme mentionnée au premier alinéa.

« L’annexe prévue au 7° du III de l’article L.O. 111-4 justifie le plafond retenu pour l’application du présent article par rapport à la situation financière des régimes obligatoires d’assurance maladie et à la part de la dépense nationale de santé restant à la charge des assurés. »

II. – Au deuxième alinéa de l’article L. 432-1 du même code, les mots : « du II et du III » sont supprimés.

Article 2

Après le 3° de l’article L. 161-28-1 du même code, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° À la mise en œuvre des dispositions du II de l’article L. 322-3. ».

Article 3

Après l’article L. 322-7 du même code, il est inséré un article L. 322-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 322-7-1. – Les informations nécessaires à la détermination du plafond prévu au II de l’article L. 322-3 peuvent être obtenues par les organismes d’assurance maladie selon les modalités de l’article L. 114-14.

« La fraude, la fausse déclaration, l’inexactitude ou le caractère incomplet des informations recueillies en application de l’alinéa précédent exposent l’assuré aux sanctions et pénalités prévues aux articles L. 114-13 et L. 114-17.

« Ces organismes contrôlent les déclarations des assurés, notamment en ce qui concerne leur situation de famille, les enfants et personnes à charge, leurs ressources. Pour l’exercice de leur contrôle, les organismes d’assurance maladie peuvent demander toutes les informations nécessaires aux administrations publiques, notamment les administrations financières, et aux organismes de sécurité sociale, de retraite complémentaire et d’indemnisation du chômage, qui sont tenus de les leur communiquer.

« Les informations demandées aux assurés, aux administrations et aux organismes ci-dessus mentionnés sont limitées aux données strictement nécessaires à la détermination du plafond prévu au II de l’article L. 322-3.

« Les personnels des organismes d’assurance maladie sont tenus au secret quant aux informations qui leur sont communiquées.

« L’application du II de l’article L. 322-3 peut être suspendue si l’assuré refuse de se soumettre aux contrôles prévus par le présent article. »

Chapitre II

Encadrement des dépassements d’honoraires

Article 4

L’article L. 162-5-13 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« III. – Les médecins autorisés à pratiquer des honoraires différents des tarifs fixés par la ou les conventions prévues à l’article L. 162-5 appliquent ces tarifs pour la moitié au moins de leurs actes. »

Chapitre III

Suivi des maladies chroniques

Article 5

L’article L. 162-5-3 du même code est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Sur la base des informations qui leur sont communiquées en application du premier alinéa de l’article L. 161-29, les organismes d’assurance maladie informent régulièrement le médecin traitant de l’évolution de l’état de santé de tout assuré ou ayant droit atteint d’une maladie chronique qui l’a désigné comme son médecin traitant. Au vu de ces informations, le médecin traitant détermine les actions de prévention à mettre en œuvre. » ;

2° À la dernière phrase du cinquième alinéa, les mots : « lorsqu’il est mis en œuvre un protocole de soins ou » sont supprimés.

Article 6

Le début du premier alinéa de l’article L. 324-1 du même code est ainsi rédigé : « Dans le cadre prévu au 4° de l’article L. 322-3 et en… (le reste sans changement) ».

Chapitre IV

Mesures transitoires et dispositions de coordination

Article 7

Les assurés dont la participation mentionnée au premier alinéa de l’article L. 322-2 du code de la sécurité sociale était limitée ou supprimée en application des 1°, 3°, 10° et 12° de l’article L. 322-3 du même code à la date d’entrée en vigueur de la présente loi peuvent, à leur demande et si leur état de santé le justifie, continuer de bénéficier de cette limitation ou de cette suspension jusqu’au 31 décembre 2016.

Avant cette date, le Gouvernement remet au Parlement un rapport analysant l’effet de la mise en application de la présente loi sur la part des dépenses de santé restant à la charge des assurés, après avis de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire et de la Conférence nationale de santé prévue à l’article L. 1411-3 du code de la santé publique.

Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, il peut permettre le maintien de la limitation ou de la suppression de la participation de l’assuré pour certaines affections.

Article 8

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après la première phrase du cinquième alinéa de l’article L. 162-5-3 est insérée une phrase ainsi rédigée :

« Cette majoration est exclue des participations prises en compte pour l’application du II de l’article L. 322-3. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 162-30, les mots : « aux 3° et » sont remplacés par le mot : « au » ;

3° À la deuxième phrase du septième alinéa de l’article L. 324-1, les mots : « des 3° et » sont remplacés par le mot : « du » ;

4° Au dernier alinéa de l’article L. 711-7, la référence : « 10°, » est supprimée ;

5° À l’article L. 713-4, la référence : « 10°, » est supprimée ;

6° À l’article L. 722-7, la référence : « 10°, » est supprimée.

Article 9

Les charges qui pourraient résulter pour les organismes de sécurité sociale de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale