N° 789 - Proposition de loi de M. Jacques Bompard sur le droit à l'emploi



N° 789

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2013.

PROPOSITION DE LOI

sur le droit à l’emploi,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Inspirée par le programme du Conseil national de la Résistance, la Constitution de 1946 pose dans le cinquième article de son préambule le principe selon lequel « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Ce principe est intégré au bloc de constitutionnalité. Il fait du droit au travail le premier droit social du citoyen.

Ce droit social a été respecté jusqu’aux années 70. Il n’a cessé depuis de se dégrader, essentiellement sous les effets de la mondialisation. Aujourd’hui, trois millions de Français sont inscrits au Pôle-Emploi, près de deux millions en âge de travailler perçoivent un minimum social, de nombreux autres, n’émargeant à aucun budget, n’étant inscrit nulle part, échappent aux statistiques. Au total, ce sont en permanence plus de cinq millions de Français qui sont privés de leur droit au travail.

Cette privation provoque sur une part substantielle de ces publics des effets psychologiques et moraux d’une gravité qu’on souligne trop rarement et qui représentent un coût humain et financier que la Nation doit désormais prendre en compte. C’est notamment le cas des personnes vivant du versement d’un minimum social, tel que le RSA. En effet, c’est une chose de percevoir une allocation chômage découlant de droits acquis par des cotisations préalablement versées lors de l’exercice d’un emploi, c’en est une autre de vivre d’une subvention publique, sans contrepartie. La persistance de cette situation, qui est, hélas, la règle, provoque une perte d’identité sociale, une atteinte à la dignité humaine, et renvoie ceux qui la subissent à une situation chronique d’échec.

Cette politique dite de traitement social du chômage, qui n’est, en réalité, qu’une forme technocratique d’assistanat, est la même depuis maintenant trente ans, quel que soit le gouvernement. Elle vise à dissimuler à ses victimes que le premier responsable de leur condition est l’État.

En effet, c’est l’État qui a oublié et donc abandonné son rôle d’ordonnateur d’une politique nationale de l’économie, pour celui de gestionnaire des effets sociaux de la mondialisation, c’est-à-dire d’une politique économique décidée par d’autres instances, souvent non élues, aux intérêts étrangers à ceux de la communauté nationale. Le subventionnement du chômage, allant de pair avec un accroissement de l’endettement public et de la fiscalité, sont la face émergée d’un système mondial de pillage des ressources, d’exploitation des nations. Dans ce contexte, le traitement du chômage se révèle pour ce qu’il est : une morphine sociale.

Arrivé à ce stade du constat, il est difficile de ne pas faire un parallèle avec le traitement du chômage dans l’ancienne Union soviétique. En effet, l’URSS se targuait de ne connaître que le plein emploi. Dans ce but, elle versait un minimum social en face duquel elle créait un emploi, dont l’utilité productive et économique était sujette à caution, mais qui, du moins, permettait à chacun de vivre dans la dignité d’un métier exercé. Au regard de ce dernier point, essentiel pour les personnes, la politique du traitement du chômage appliquée en France se révèle encore davantage dévastatrice pour ceux qui en sont les victimes.

Bien naturellement, il ne saurait être question de s’en tenir à cette seule perspective sociale. Ainsi, il convient de rappeler que ce traitement social, d’un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros à l’échelle d’un mandat présidentiel, est possible parce que, dans le même temps, l’État pressure les entreprises et leurs travailleurs.

Au regard de ce qui précède, et dans un souci d’équilibre, la solidarité nationale impose de convertir le traitement social du chômage en un droit au travail. Ce droit au travail bénéficiera à toute personne en âge et en condition de travailler percevant un des minima sociaux. Ce droit au travail rendra à ses bénéficiaires l’usage de leur droit de citoyen à vivre du fruit d’un travail, de ne pas s’exposer aux effets de la désinsertion sociale et notamment la déperdition du savoir professionnel face à l’évolution constante des techniques. Il participera également d’une relance de l’activité économique et donc, à terme, du pouvoir d’achat.

En conséquence de quoi, toute allocation d’un minimum social sera soumise à l’exercice d’un travail au moins à temps partiel. Il appartiendra à l’État d’attribuer ces emplois ou d’organiser leur création au sein des secteurs public, privé et associatif.

Ce dispositif ne sera pas exclusif d’un versement d’un complément salarial aux bénéficiaires du droit au travail pour toute activité supérieure à un temps partiel.

Le rétablissement du droit social qu’est le droit au travail instaurera une véritable solidarité nationale, rétablira l’indispensable lien entre le citoyen et le travailleur, fera succéder au cercle vicieux du traitement social, source d’oisiveté, de perte de repères et de sens, un cercle vertueux, créateur de richesses et de dignité.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La Nation a le devoir d’organiser la société afin que chacun ait un accès au travail minimum, dont la durée doit être en adéquation avec le montant des minima sociaux.

Article 2

Le traitement social du chômage doit être réservé aux citoyens inaptes au travail.

Article 3

L’article L. 5425-9 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 5425-9. – Les travailleurs involontairement privés d’emploi et bénéficiaires d’un revenu de remplacement depuis plus de six mois, ont droit à vingt heures par semaine de travail au service de collectivités territoriales ou d’autres organismes publics nationaux ou locaux, ou d’employeurs privés ayant conclu une convention avec l’organisme versant le revenu de remplacement.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »

Article 4

L’article L. 5412-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« g) refuse, par trois fois, après avoir perçu un revenu de remplacement pendant plus de six mois, d’effectuer un travail de vingt heures par semaine conformément à l’article L. 5425-9. »

Article 5

Après le premier alinéa de l’article L. 262-28 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par ailleurs, conformément à l’article L. 5425-9 du code du travail, le bénéficiaire du revenu de solidarité active doit se porter volontaire pour effectuer un travail de vingt heures par semaine. »

Article 6

L’article L. 262-37 du même code est ainsi modifié :

1° Au début du 4°, le mot : « ou » est supprimé ;

2° Il est ajouté un 5° ainsi rédigé :

« 5° Ou lorsque le bénéficiaire du revenu de solidarité active refuse par trois fois de se porter volontaire pour effectuer un travail de vingt heures par semaine conformément à l’article L. 5425-9 du code du travail. »

Article 7

Les collectivités territoriales participent aux financements des travaux effectués aux mêmes taux qu’actuellement durant la période d’initiation de l’article L. 5425-9 du code du travail, comme elles le font déjà pour le revenu de solidarité active.

Article 8

Tous les acteurs économiques, publics, privés, sociaux et associatifs, pouvant offrir un emploi à durée déterminée ou indéterminée peuvent bénéficier de la loi en concluant une convention avec l’organisme payant le revenu de remplacement.

Le financement social de l’emploi visé par ce texte perdure provisoirement durant l’initialisation de l’emploi réel.

Article 9

Ces modalités de financement du droit au travail voient la part de l’organisme assurant actuellement le financement du revenu de remplacement et celle de la structure employeur varier en fonction de la relance de l’économie et de la stabilité financière de l’employeur.

Ce financement va en diminuant en fonction d’accords bilatéraux passés avec l’employeur.

Les conditions d’application du présent article sont déterminées par un décret en Conseil d’État.

Article 10

Les charges pour l’État sont compensées, à due concurrence, par le relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée.

Les charges pour les collectivités territoriales sont compensées, à due concurrence, par la majoration de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État par le relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée.


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