N° 962 - Proposition de loi de Mme Barbara Pompili visant à instaurer plus de transparence dans les relations bancaires avec les établissements étrangers et à lutter contre l'évasion fiscale



N° 962

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer plus de transparence
dans les relations bancaires avec les établissements étrangers
et à lutter contre l’évasion fiscale,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Barbara POMPILI, François DE RUGY, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Jean-Louis ROUMEGAS et Eva SAS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’évasion fiscale constitue une atteinte insupportable au pacte républicain, dans un pays frappé, comme toutes les économies européennes, par une grave crise financière et sociale.

Le rapport publié en 2012 par la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux indique que près de 36 milliards d’euros sont chaque année soustraits au budget de l’État du fait de la fraude. 36 milliards volés aux Français. Ce vol à grande échelle est une rupture de certains, au détriment de nombreux autres, avec le consentement à l’impôt et la participation juste de tous au budget national, qui sont les fondements sur lesquels s’est construit et s’est développé notre pays. Les associations estiment que le montant total de l’évasion fiscale en France serait encore plus élevé.

À la crise financière et sociale, l’évasion fiscale ajoute donc une crise morale.

La situation économique de la France, qui amène à la révision de nombreuses politiques publiques, ne peut s’accommoder d’un tel gâchis financier et d’une telle faillite démocratique.

La présente proposition de loi reprend l’objet de la législation Foreign account tax compliance Act (FATCA) en vigueur aux États-Unis et qui a instauré pour les banques étrangères une obligation de transmettre aux services fiscaux américains des informations sur ses clients contribuables aux États-Unis.

Ce dispositif permettra à la France de mieux lutter contre l’évasion fiscale et ainsi de restaurer une partie de ses finances publiques ainsi que la confiance des citoyens.

C’est la raison pour laquelle nous soumettons à votre approbation cette proposition de loi visant à instaurer plus de transparence dans les relations bancaires avec des établissements étrangers et à lutter contre l’évasion fiscale.

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L’article 1er de la présente proposition de loi instaure une obligation pour les établissements bancaires étrangers qui ont des relations avec les banques françaises ou une filiale en France de déclarer à l’administration fiscale l’identité des ressortissants français qui ont un compte dans leur banque à l’étranger. L’article donne également une définition des ressortissants français soumis à cette obligation et indique que s’ils souhaitent conserver l’anonymat les établissements devront verser 60 % du résultat des investissements effectués. Le manquement à ces obligations entraine le retrait de l’agrément de l’établissement. Les intermédiaires sont également concernés par cette obligation d’information sur leurs clients.

L’article 2 instaure une obligation de transmission des informations à la commission des infractions fiscales en cas de détection d’une infraction par le ministre en charge du budget.

L’article 3 vise à faire passer le délai de prescription pour toute forme de fraude fiscale de trois à cinq ans à partir de la découverte de la fraude.

L’article 4 rend obligatoire, pour les banques françaises et étrangères ainsi que pour les entreprises de plus de 250 salariés, de publier chaque année un reporting pays par pays sur leurs activités comprenant notamment les charges fiscales à l’étranger.

L’article 5 précise que chaque année le comité d’entreprise d’une entreprise de plus de 300 salariés doit recevoir un rapport concernant la politique fiscale de l’entreprise.

Les articles 6 et 7 visent à établir une meilleure transparence en ce qui concerne les prix de transfert pratiqués par les entreprises dans le cas de transfert de bénéfices.

L’article 8 oblige la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à transmettre à la TRACFIN les dossiers dans lesquels elle a identifié des irrégularités pouvant laisser soupçonner que certaines sommes, servant au financement d’un parti ou d’une campagne électorale, proviennent ou servent à une fraude fiscale.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 152-3 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 152-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-3-1. – I. – Les établissements bancaires et financiers, les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement étrangers ainsi que les organismes et services mentionnés à l’article L. 518-1 et les personnes exerçant des activités mentionnées à l’article L. 561-2 effectuant des opérations sur leurs propres fonds ou ceux de leurs clients avec des établissements bancaires et financiers français ou ayant une ou plusieurs filiales sur le territoire national sont soumis à l’obligation de transmission à l’administration fiscale française des informations concernant les ressortissants français, les résidents français ou les établissements détenus majoritairement par un ou plusieurs ressortissants français, propriétaires d’un compte dans l’établissement, comprenant :

« 1° identité ;

« 2° adresse ;

« 3° numéro de compte ;

« 4° montant des fonds reçus ;

« 5° montant des fonds transmis ;

« 6° solde du compte ;

« 7° intérêts.

« II. – Est considéré comme le compte d’un ressortissant français tout compte détenu :

« 1° par une ou plusieurs personnes de nationalité française ou résidant en France, par une entreprise opérant sur le marché national, par une fiducie ou tout autre association ou partenariat d’entreprises de statut juridique équivalent établi en France ;

« 2° par une entité française, définie comme une entité étrangère pour laquelle tout ressortissant français comme défini à l’alinéa précédent :

« – détient directement ou indirectement, dans le cas d’une entreprise, au moins 10 % des droits de vote, en nombre d’actions ou en valeur ;

« – ou, dans le cas d’un partenariat, bénéficie d’au moins 10 % des intérêts ou dividendes versés ;

« – ou, dans le cas d’une fiducie, reçoit au moins 10 % des intérêts bénéficiaires.

« Il appartient aux établissements financiers de déterminer les bénéficiaires ultimes et réels des entités ainsi considérées. Ces dispositions s’appliquent de la même façon selon que le compte ouvert par les établissements étrangers aux clients tels que définis par les deuxième et troisième alinéas bénéficie de revenus générés par des activités domestiques ou des activités exercées à l’étranger.

« III. – À partir du 1er janvier 2014, si les ressortissants français, tel que définis au II, souhaitent conserver leur anonymat, les établissements bancaires et financiers prélèvent une retenue à la source de 60 % sur l’ensemble des opérations effectuées pour leur compte et versent cette somme à l’administration fiscale française.

« IV. – En cas de manquement aux obligations d’information prévues aux I et III, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution procède au retrait de l’agrément de l’ensemble des filiales situées sur le territoire national de l’établissement bancaire et financier ayant refusé la transmission des informations dans les modalités prévues aux articles L. 532-6 à L. 532-8 du présent code. »

Article 2

Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« La transmission à la commission est automatique et s’applique dans un délai de sept jours après la détection d’une présomption d’infraction fiscale par le ministre chargé du budget. »

Article 3

L’article L. 230 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « cinquième » ;

2° Après le même alinéa, est inséré l’alinéa suivant :

« Lorsque l’infraction a été commise dans les conditions prévues à l’article 1741 du code général des impôts, les plaintes peuvent être déposées jusqu’à la fin de la cinquième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction est apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. »

3° Au deuxième alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».

Article 4

Après l’article L. 152-5 du code monétaire et financier, est inséré un article L. 152-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-5-1. – I. – À partir du 1er janvier 2015, les établissement bancaires et financiers français et étrangers, ainsi que leurs filiales, les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions non cotées dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires est au minimum de dix millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice est au moins de deux cent cinquante, présentent annuellement, au plus tard six mois après la reddition de leurs comptes annuels, un état, pays par pays, portant information :

« 1° du nom de toutes leurs implantations dans les pays où ils sont présents ;

« 2° du détail de leurs performances financières, y compris :

« – les ventes, à la fois à des tiers et à d’autres filiales du groupe ;

« – les achats, répartis entre les tiers et les transactions intra-groupes ;

« – la masse salariale et le nombre d’employés ;

« – les coûts de financement, y compris les paiements de facilitation, partagés entre ceux payés aux tiers et ceux payés aux autres membres du groupe ;

« – le bénéfice avant impôt ;

« 3° des charges fiscales détaillées incluses dans leurs comptes pour les pays en question ;

« 4° du détail du coût et de la valeur comptable nette de leurs actifs physiques fixes ;

« 5° du détail de leurs actifs bruts et nets ;

« 6° des subventions, prêts et aides diverses.

« II. – La vérification des informations détaillées au I est effectuée par un organisme tiers indépendant et comporte une attestation relative à la présence dans le rapport de gestion de toutes les informations prévues par les textes, ainsi qu’un avis motivé portant sur la sincérité des informations.

« III. – En cas de manquement aux obligations d’information et de contrôle prévues aux I et II, les établissements bancaires et financiers ainsi que leurs filiales sont exclus du cadre des procédures de sélection des établissements bancaires et financiers, auprès desquels l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics peuvent contracter une ligne de trésorerie ou un emprunt bancaire, ou à qui ils confieraient un rôle d’arrangeur dans le cadre d’une émission obligataire, ou un rôle d’établissement contrepartie dans le cadre d’une opération de gestion de dette et sont exclus des dispositifs publics de garanties financières. Également, en cas de manquement, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution décide l’ouverture d’une procédure de sanction à l’encontre des dirigeants de l’établissement concerné mentionnés aux articles L. 511-13 et L. 532-2.

« IV. – En cas de manquement aux obligations d’information et de contrôle prévues aux I et II, les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions non cotées dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires est au minimum de dix millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice est au moins de deux cent cinquante sont exclues de tout appel d’offre ou contrat engageant l’État, les collectivités territoriales ou les établissements publics et ne peuvent bénéficier des dispositifs publics de garanties financières ou des possibilités d’aides de la Banque publique d’investissement. »

Article 5

Après l’article L. 2323-55 du code du travail, est inséré un article L. 2323-55-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2323-55-1. – Au moins une fois par an, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, l’employeur remet au comité d’entreprise un rapport d’ensemble sur la politique fiscale de l’entreprise.

« À cette occasion, l’employeur soumet un état faisant ressortir l’évolution des bénéfices réalisés en France, les niveaux d’impôts auxquels sont soumis l’entreprise, la valeur des actifs immatériels de l’entreprise, et l’évolution de la politique d’intéressement et de participation des salariés.

« Le contenu du rapport prévu au premier alinéa est déterminé par décret en Conseil d’État. »

Article 6

Après la première phrase du premier alinéa de l’article 57 du code général des impôts, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« L’entreprise doit obligatoirement communiquer, trois mois avant la clôture de ses comptes, aux services du ministère de l’économie et des finances, la méthode de déterminations des prix de ces opérations d’achat ou de vente. »

Article 7

Le premier alinéa de l’article 238 A du code général des impôts est complété par les mots : « notamment en indiquant la méthode de définition des prix concernant des actifs immatériels. »

Article 8

Après le quatrième alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral, sont insérés sept alinéas ainsi rédigés :

« Dans les cas où la commission a relevé les irrégularités suivantes :

« 1° irrégularité de nature à contrevenir à l’article 1741 du code général des impôts ;

« 2° opération réalisée par le biais d’un compte situé dans les États ou territoires non coopératifs au sens de l’article 238-0 A du même code ou dans les États ou territoires qui n’ont pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative ;

« 3° contrat conclu avec des sociétés dans lesquelles sont intervenus des changements statutaires fréquents, non justifiés par la situation économique de l’entreprise ;

« 4° constatation d’anomalies récurrentes dans les factures ou bons de commande ;

« 5° recours à des comptes utilisés comme des comptes de passage, entendus comme des comptes par lesquels transitent de nombreuses opérations tant au crédit qu’au débit et alors que les soldes sont souvent proches de zéro.

« La commission a obligation de transmettre le dossier au service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins dans les sept jours après la détection de ces irrégularités. »


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