N° 1187 - Proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde relative au financement de la recherche oncologique pédiatrique par l'industrie pharmaceutique



N° 1187

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 juin 2013.

PROPOSITION DE LOI

relative au financement de la recherche oncologique pédiatrique par l’industrie pharmaceutique,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Christophe LAGARDE,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En matière de santé, la France vient d’être désignée comme le pays le plus protecteur au monde. Malgré la crise, notre République peut s’enorgueillir d’offrir une médecine de qualité à tous ses citoyens et ce sans que quiconque ait à craindre pour sa santé en raison de sa situation socio-économique.

Aussi, il est d’autant plus préoccupant qu’un pan entier de notre société, en l’occurrence les enfants atteints de cancers rares faisant partie de maladies dites « orphelines », aient des chances de guérisons quasi nulles par manque de traitement adaptés.

Près de 2 500 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont recensés chaque année en France dont 1 700 chez les enfants âgés entre un et quatorze ans et 700 chez les adolescents âgés entre quinze et dix-huit ans. Ils représentent 1 % de l’ensemble des cancers.

Ces cancers constituent ainsi la deuxième cause de mortalité chez les enfants après les accidents (autrement dit, la première cause de décès par maladie) et la troisième cause de mortalité chez les adolescents.

La survie des enfants et adolescents atteints de ces cancers atteint aujourd’hui 75 %.

Les cancers des enfants et des adolescents sont en constante augmentation en Europe depuis les années 70, à hauteur de 1 à 3 % par an. Selon la Ligue des Droits de l’enfant, une accélération de cette tendance a même été constatée depuis 2010.

Le nombre de décès évolue en fonction des sources, pourtant toutes officielles. On peut estimer qu’il se situe entre 400 et 500 enfants/an en France.

Nombre de décès 0-14 ans (estimé) : 320 décès en 2005

Nombre de décès 15-18 ans (estimé) : 107 décès en 2005

Chez les enfants, les cancers les plus fréquents sont les leucémies (28,7 % des cas), les tumeurs du système nerveux central (23,3 %) et les lymphomes (11,9 %).

D’une façon générale, la position de la France en termes de recherche s’est largement dégradée au cours des dernières décennies. Troisième pays scientifique en 1970, cinquième en 1985, septième en 1995, la France n’est désormais qu’à la quatorzième place mondiale en termes d’effort financier consacré à la recherche (avec 1,90 % du PIB). Ce retard français en matière d’investissement dans la recherche concerne aussi bien le secteur privé (groupes pharmaceutiques) que public. Côté public, les principaux financeurs sont l’Institut national du cancer (Inca), l’Agence nationale de la recherche (ANR), la Ligue nationale contre le cancer et l’Association de recherche contre le cancer (Arc). S’ajoutent diverses associations caritatives (aux rendements divers, de quelques milliers à environ 200 000 euros/an récoltés auprès du grand public, par le biais d’opérations diverses, au profit de la recherche dans la lutte contre les cancers pédiatriques). Enfin, les grands groupes pharmaceutiques sont censés financer des travaux de recherche et de développement de nouvelles molécules pour enfants, ce qui reste très peu le cas à ce jour, au vu d’une rentabilité économique trop faible pour eux.

La recherche est essentiellement axée sur les cancers des adultes. Or, la plupart des tumeurs malignes détectées chez les enfants sont spécifiques et ne peuvent pas se soigner de la même manière.

Les avancées sur les cancers des adultes bénéficient très peu aux enfants.

Diverses recherches ont donc été nécessaires pour calculer la part allouée aux cancers pédiatriques par les principaux financeurs publics et privés. Si l’on prend en considération les données des principaux financeurs publics et qu’on les couple avec les données du LEEM (Le Leem est l’organisation professionnelle qui fédère et représente les entreprises du médicament présentes en France), on peut estimer à environ 1,5 % à 3 % la part qui est spécifiquement dédiée à la recherche contre les cancers pédiatriques. Faute de financement, il n’y a pas de vraie équipe dédiée à la recherche sur les cancers rares.

Si des progrès importants ont été notés entre 1980 et le milieu des années 90 en termes de chances de survie (grâce à des progrès techniques dans les domaines du diagnostic et de la prise en charge médicale, qui ont permis une progression importante des taux de survie des enfants atteints d’un cancer.), plusieurs données indiquent que le taux de mortalité chez les enfants victimes du cancer ne baisse plus (pour les deux sexes) depuis le milieu des années 1990. On peut être tenté de faire un parallèle avec les moyens financiers alloués à la recherche.

C’est pourquoi il est urgent de développer un fonds de financement spécifiquement dédié à une recherche indépendante en faveur des enfants victimes du cancer !

Aux fins de financer des actions spécifiques de recherche indépendante dans la lutte contre les cancers pédiatriques, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit la création d’une taxe prélevée sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques assurant l’exploitation de médicaments remboursés par l’assurance maladie, sur le modèle de celle existant à l’article L. 245-6 du code de la sécurité sociale.

Elle serait affectée à l’INCA, opérateur chargé à la fois de coordonner le Plan cancer 2009-2013 et son volet spécifique consacré au développement de la prise en charge des enfants atteints de cancer et de mettre en œuvre, financer et coordonner des actions plus générales de recherche.

Selon le dernier exercice comptable disponible de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), le produit de la contribution assise sur le chiffre d’affaires des industries pharmaceutiques au taux de 1 % s’est élevé à 281 millions d’euros en 2010. Au vu de ce résultat, un taux de 0,15 % semble adapté pour cette nouvelle contribution et permettrait de lever près de 42 millions d’euros en faveur de la recherche. Compte tenu des marges nettes réalisées sur les médicaments, cette demande ne mettrait en aucun cas en danger l’industrie pharmaceutique.

L’article 2 du présent texte prévoit de renforcer le principe d’individualisation des traitements des cancers pédiatriques notamment dans le cas de maladies dites rares où il n’existe pas de vraie « thérapie » curative. Le traitement serait personnalisé pour chaque enfant, en fonction notamment du développement de la maladie. Les pistes scientifiques exploitées à l’étranger devraient être étudiées d’une manière impartiale.

À ce jour, les cancers pédiatriques sont traités selon des protocoles précis, qui sont ajustés mais qui restent dans des cadres précis. Si ceci peut être considéré comme satisfaisant dans le traitement des cancers où l’on obtient de bons résultats, cette pratique peut causer un réel problème dans les cancers où l’on relève un taux d’échecs thérapeutiques élevé. Certains protocoles de traitements n’ont pas évolué depuis plus de 20 ans et ils ne répondent pas suffisamment aux nécessités d’individualisation. La situation est particulièrement alarmante dans le cas des cancers pédiatriques malins (par exemple, pour les tumeurs cérébrales pédiatriques, les protocoles proposés – notamment après une rechute – sont souvent palliatifs alors que d’autres voies thérapeutiques pourraient être explorées).

L’individualisation réelle (traitements individualisés) pourrait permettre d’améliorer les chances de survie, voire de guérison, quitte à envisager des traitements (et/ou actes chirurgicaux) qui ne font pas partie d’un protocole reconnu en France, mais qui seraient scientifiquement reconnus ou développés dans des pays étrangers.

Un professionnel français a le droit de ne pas vouloir aller « plus loin que le protocole » mais il doit avoir la possibilité comme certains le souhaitent, de pouvoir collaborer avec tout professionnel étranger qui aurait les capacités de faire mieux, ceci afin de prolonger la vie des dits enfants (dans de bonnes conditions) voire de les sauver, à l’aide de voies thérapeutiques qui ne seraient pas exploitées ou tentées dans notre pays. L’échange des compétences et du savoir doit être facilité ; les éventuels freins administratifs doivent être levés dès lors que la valeur scientifique de l’acte ne saurait être remise en cause au sein du pays fournisseur des soins.

L’individualisation des traitements est indispensable dans le cas de maladies dites rares – et souvent hétérogènes – où il n’existe pas de vraie « thérapie » curative. Le traitement devrait être personnalisé pour chaque enfant, en fonction notamment du profil biologique des tumeurs et du développement de la maladie. Cette médecine personnalisée permettrait d’améliorer les chances de survie, voire de guérison.

Ainsi, l’article L. 6162-4 du code de la santé publique, qui fixe l’organisation des centres de lutte contre le cancer, pourrait être complété par une disposition générale qui imposerait une individualisation de la prise en charge du traitement des patients atteints de cancers pédiatriques. Cette individualisation permettrait aux médecins d’appliquer, à chaque cas, des protocoles adaptés et évolutifs et de permettre aux familles un réel choix dans le traitement.

Telles sont les principales orientations de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 245-6 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 245-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 245-6-1. – Il est institué au profit de l’Institut national du cancer, aux fins de financer des actions spécifiques de recherche indépendante dans la lutte contre les cancers pédiatriques, une contribution versée par les entreprises assurant l’exploitation en France, au sens de l’article L. 5124-1 du code de la santé publique, d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques donnant lieu à remboursement par les caisses d’assurance maladie en application des premier et deuxième alinéas de l’article L. 162-17 du présent code ou des spécialités inscrites sur la liste des médicaments agréés à l’usage des collectivités.

« La contribution est assise sur le chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer au cours d’une année civile au titre des médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché et inscrits sur les listes mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 162-17 précité ou sur la liste mentionnée à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique, à l’exception des spécialités génériques définies à l’article L. 5121-1 du même code, hormis celles qui sont remboursées sur la base d’un tarif fixé en application de l’article L. 162-16 du présent code et à l’exception des médicaments orphelins désignés comme tels en application des dispositions du règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins.

« Le taux de la contribution due au titre du chiffre d’affaires réalisé au cours des années 2013 et 2014 est fixé à 0,15 %.

« Un rapport est remis chaque année au Parlement sur l’affectation et l’utilisation du produit de cette contribution par l’Institut national du cancer.

« Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 2

L’article L. 6162-4 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’un enfant ou un adolescent âgé de moins de dix-huit ans est traité pour un cancer, chaque cas peut faire l’objet d’un protocole particulier. »

Article 3

La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale