N° 1262 - Proposition de loi de M. Hervé Morin visant à lutter contre les abus en matière d'arrêts de travail



N° 1262

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les abus en matière d’arrêts de travail,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Hervé MORIN, Yves JÉGO, Francis HILLMEYER, Jean-Paul TUAIVA, Yannick FAVENNEC, Philippe VIGIER, Philippe GOMES et Rudy SALLES,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Cour des comptes dans sa communication à la commission des Affaires sociales de juillet 2012 et le rapport de la MECSS d’avril 2013 sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » ont mis en évidence l’explosion inquiétante en quelques années des dépenses des indemnités journalières tandis que paradoxalement de très nombreux travailleurs en sont exclus (un salarié sur 5 ne reçoit pas d’IJ sous statut « précaire »).

Ainsi, ce dispositif qui vise à protéger le citoyen en cas d’arrêt de travail par le maintien de son salaire, n’est pas efficient alors qu’il coûte très cher : en 2011, le seul régime général dépensait 6,3 milliards d’euros pour les arrêts de travail au seul titre de la maladie, s’ajoutent 2,2 milliards au titre des arrêts « accidents du travail/maladie professionnelle » soit une hausse de 47 % en 10 ans entre 2000 et 2010, passant de 180 millions de journées indemnisées à 205 millions en 2011 (Cour des comptes, communication à la commission des Affaires sociales et à la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de l’Assemblée nationale, Les arrêts de travail et les indemnités journalières versées au titre de la maladie, juillet 2012).

Si la majorité des arrêts de travail prescrits repose sur une réalité médicale, la part des arrêts injustifiés détectés lors des contrôles médicaux sur les seuls arrêts longs (au-delà de 45 jours) s’élève selon la direction de la sécurité sociale, à 12 %. Néanmoins, celle estimée des comportements abusifs qui échappent à tout contrôle va bien au-delà de ce chiffre, selon les auditions menées auprès des différents acteurs par la MECSS.

Cette situation marque une impuissance certaine de l’assurance maladie à lutter contre les arrêts injustifiés et ce, en dépit du nombre important de contrôles médicaux et administratifs effectués chaque année : 6,8 millions en 2011 contre 4,9 millions en 2003, les campagnes de sensibilisation auprès des assurés, l’accompagnement des prescripteurs et le renforcement de l’arsenal législatif contre la fraude et les abus aux IJ.

Des dépenses exponentielles qui sont d’autant moins maîtrisées qu’il est impossible de mesurer le poids des indemnités complémentaires versées par les entreprises et que les chiffres de la fonction publique sont toujours aussi flous.

Le rapport de la MECSS pointe du doigt des contrôles trop peu sélectifs tandis que les sociétés privées de contre-visites médicales, qui effectuent environ 70 000 contrôles annuels mettent en évidence une absence de contrôles sur les arrêts courts qui représenteraient le plus grand nombre d’abus, à l’origine de l’absentéisme dans les entreprises (90 % des contrôles portent sur des arrêts de plus de quarante-cinq jours alors que près de 80 % des arrêts durent moins de 30 jours).

Ainsi, l’absence de sélectivité des contrôles et la constance des décisions de justice qui dans le cadre du contentieux des arrêts de travail réduisent considérablement ceux-ci, plaident pour un renforcement de la règlementation, en agissant sur deux niveaux :

- en amont, par l’intégration impérative des référentiels de prescription dans les critères de déclenchement des contrôles médicaux portant sur la longueur des arrêts de travail, pour les rendre plus efficaces ;

- en aval, par l’instauration pour l’employeur, d’une part d’un recours à l’expertise technique dans le cadre de la contre-visite médicale qu’il a initiée, et d’autre part d’un droit à l’expertise médicale au cours du traitement judiciaire du litige. Aucun texte n’offre en effet à l’employeur la faculté de contester toute décision d’ordre médical concernant un salarié avec la caisse primaire. Il résulte de ce constat que l’employeur se trouve dans une situation déséquilibrée.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi dont le dispositif est le suivant :

Article 1er

L’article 1er vise à compléter les dispositions relatives au contrôle médical exercé par les médecins conseils de l’assurance maladie qui figurent à l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, en prévoyant le déclenchement du contrôle dès lors que la longueur totale des arrêts de travail délivrés à l’assuré est supérieure à celle résultant d’un référentiel de pratique médicale, élaboré en application de l’article L. 161-39 du code de la sécurité sociale.

La décision du service médical à l’issue de cette évaluation est motivée.

Les référentiels de prescription sont en effet pour l’instant absents des critères de déclenchement du contrôle de la longueur des arrêts de travail diligenté par le service médical de la caisse – alors que la Cour des comptes juge que les référentiels de prescription d’arrêt de travail devraient être utilisés : « progressivement comme un outil de ciblage de contrôles médicaux sur les arrêts dont les durées s’éloigneront de celles préconisées par le référentiel ».

Le législateur a pourtant voulu que le service public de sécurité sociale soit doté de référentiels de bonnes pratiques médicales, selon l’article L. 161-39 du code de la sécurité sociale. La CNAMTS a ainsi élaboré des référentiels de prescription de durée d’arrêt du travail, validée par la Haute Autorité de santé. La liste est très longue et chaque affection donne lieu à un nombre précis de jours d’arrêt (une angine équivaut par exemple à 3 jours d’arrêt).

Mais, actuellement, la durée de l’arrêt de travail sans aucune référence à la pathologie du salarié, est le seul critère de déclenchement d’un contrôle de la validité médicale d’un arrêt de travail. Un arrêt de travail peut aussi bien déclencher un contrôle pour une fracture ouverte que pour une angine, alors que les deux n’ont a priori pas la même légitimité.

Le contrôle devrait pourtant être ciblé particulièrement en fonction de l’adéquation apparente ou non entre la pathologie constatée médicalement et la longueur de l’arrêt prescrit. Ainsi, comme l’ont mis en évidence les auditions menées par la MECSS, les comportements abusifs seraient plus susceptibles d’être détectés. En effet, le constat est qu’en pratique, les arrêts de moins de 7 jours échappent quasiment à tout contrôle, ainsi que le rappelle la Cour des comptes.

D’autre part, les arrêts de plus de 45 jours qui représentent 80 % du volume financier des indemnités journalières versées par le régime général et qui font en principe l’objet d’un contrôle automatique, ne donnent pas nécessairement lieu à un examen de la personne, en l’absence de dispositif spécifique et se font donc sur dossier.

L’intégration des référentiels de prescription d’arrêt de travail dans les critères de déclenchement ainsi que la motivation de la décision du service médical doivent rendre le dispositif plus efficace à moyens constants.

Article 2

L’article 2 renforce le contrôle médical à l’initiative de l’employeur dans le cadre de la contre-visite médicale prévue à L. 126-1 du code du travail. Le dernier alinéa du II de l’article L. 315-1 organise les suites données au contrôle médical à l’initiative de l’employeur par le service médical de l’assurance maladie.

Ces dispositions sont complétées par un alinéa permettant à l’employeur de contester la décision du service médical par l’intermédiaire d’une demande d’expertise médicale technique, lorsque le service médical procède à un nouvel examen de l’assuré et conclut au caractère justifié de l’arrêt.

Article 3

L’article 3 crée pour l’employeur un droit à l’expertise médicale au cours du traitement judiciaire du litige.

En effet, à l’heure actuelle, en cas de litige médical avec la caisse primaire d’assurance maladie, seuls disposent du droit à l’expertise médicale judiciaire inscrit formellement dans le code de la sécurité sociale : le salarié et le professionnel de santé.

Or, compte tenu de la jurisprudence de la CEDH qui, dans son arrêt du 27 mars 2012 estime que : « la possibilité pour l’employeur d’avoir accès, par l’intermédiaire d’un expert médecin aux pièces médicales de son salarié lui garantit une procédure contradictoire en assurant le respect du secret médical », il est devenu nécessaire de prévoir dans le code de la sécurité sociale un tel droit pour l’employeur, afin d’encadrer le recours à l’expertise médicale en cas de litige médical opposant l’employeur à la caisse primaire.

Un tel droit à l’expertise médicale pour l’employeur existe déjà devant le tribunal du contentieux de l’incapacité. En effet, les employeurs ont la possibilité de contester devant les juridictions du contentieux technique (tribunal du contentieux de l’incapacité) le taux d’incapacité permanente partielle (IPP). Les caisses doivent alors accepter l’expertise médicale du salarié ordonnée par le juge.

La Cour de cassation a également déjà admis dans son principe un tel droit à l’expertise médicale au profit de l’employeur, en cas de litige médical l’opposant avec la caisse primaire : « L’employeur a la possibilité de solliciter une expertise judiciaire devant la juridiction de sécurité sociale lorsqu’il entend contester un élément d’ordre médical relatif à l’état de santé de la victime. Cass., Civ. 2ème, 16 juin 2011, n° 10-27172 »

La caisse doit alors permettre la manifestation de la vérité en adressant à l’expert médical judiciaire, soumis au secret médical, les éléments pertinents (Cass., Civ. 2ème, 16 octobre 2008, n° 07-15731).

Il s’agit donc d’étendre par cet article ce droit qui existe devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, au contentieux du tribunal des affaires de sécurité sociale.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le premier alinéa du II de l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le service médical procède à l’évaluation thérapeutique de la prescription de l’arrêt de travail dès qu’il apparaît que la longueur totale des arrêts dépasse la longueur de l’arrêt de travail résultant d’un référentiel de pratique médicale élaboré en application de l’article L. 161-39 du présent code. La décision du service médical à l’issue de cette évaluation est motivée. »

Article 2

Le II de l’article L. 315-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Si lors du nouvel examen de la situation de l’assuré, le service médical conclut à la justification de l’arrêt, l’employeur peut contester cette décision en recourant à une expertise médicale technique. »

Article 3

Après l’article L. 142-9 du même code, il est inséré un article L. 142-10 ainsi rédigé :

« Art. L. 142-10. – Lorsque la juridiction est saisie par un employeur d’une contestation d’ordre médical relative à un arrêt maladie, ou à l’état de la victime d’un accident du travail ou bien d’une maladie professionnelle, notamment à la date de la consolidation ou de la guérison, ou à la prescription d’un arrêt de travail, ou à la longueur d’arrêts de travail délivrés, ou à l’imputabilité d’une lésion présentée comme se rattachant à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, il ne peut statuer qu’après avoir ordonné la mise en œuvre d’une expertise médicale.

« Les frais d’expertise quelle que soit l’issue du litige restent à la charge de l’employeur. »


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