N° 1448 - Proposition de loi de Mme Laurence Abeille relative à la suppression de l'autorisation exceptionnelle de sévices et d'actes de cruauté sur les animaux lors des corridas



N° 1448

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

PROPOSITION DE LOI

relative à la suppression de l’autorisation exceptionnelle de sévices et d’actes de cruauté sur les animaux lors des corridas,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Laurence ABEILLE, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Sergio CORONADO, Barbara POMPILI, François de RUGY et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objet de cette proposition de loi est l’interdiction de la corrida avec mise à mort et utilisation de piques et de harpons, telle qu’elle est pratiquée actuellement en France.

Le droit applicable : une exception injustifiable

L’article 521-1 du code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». Or, ces dispositions, selon l’alinéa 7 du même article, « ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »

La corrida est donc reconnue par la loi comme un acte de cruauté pénalement répréhensible, mais qui est tolérée dans certaines localités au nom d’une prétendue « tradition locale ».

Cette exception apparaissant comme injustifiable, la présente proposition de loi a pour objectif de la supprimer.

La corrida comme patrimoine culturel français ?

La « course de taureaux » à pied, à cheval, ou dite portugaise est un spectacle qui consiste en un face-à-face entre un être humain et un taureau à l’issue duquel l’animal est généralement mis à mort.

Autour des taureaux, d’autres spectacles, officiellement reconnus par le ministère de la Jeunesse et des Sports, existent. Il s’agit des courses camarguaises et landaises, qui n’impliquent ni sévices, ni mise à mort de l’animal. Ces courses locales pourraient perdurer, puisque l’objet de cette proposition est d’interdire l’exception de sévices accordée aux spectacles tauromachiques.

En janvier 2011, et de façon assez peu transparente, la corrida a été inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français. Or, si l’objet est de défendre le patrimoine culturel de notre pays, mieux vaudrait défendre les courses camarguaises et landaises, reflétant davantage notre patrimoine culturel, que la corrida, pratique importée au 19ème siècle et qui, paradoxalement, est pénalement répréhensible dans certaines régions, et autorisée dans d’autres. C’est une manière très particulière de concevoir l’inventaire du patrimoine culturel d’un pays.

De plus, la corrida semble mettre à mal l’un des fondements de notre République qui est la dignité de la personne humaine, dès lors que ce spectacle est fondé sur la blessure, voire la mort éventuelle du torero. Dans son arrêt du 27 octobre 1995 dit « commune de Morsang-sur-Orge », le Conseil d’État, ayant considéré que le respect de la dignité de la personne humaine devait être regardé comme une composante de l’ordre public, avait, en l’espèce, interdit la pratique du « lancer de nain », même avec le consentement dudit nain. Si cette pratique est considérée comme mettant en cause la dignité humaine, le parallèle peut être facilement fait entre le nain et le torero qui, s’il ne sacrifie pas sa dignité d’homme, sacrifie la dignité de la vie en mettant en spectacle sa mort potentielle dans une scène désuète de vaine tentative de domination de l’homme sur la nature.

Une souffrance animale de plus en plus inacceptable

L’époque où l’animal n’était qu’un objet au service de l’homme, dans une conception cartésienne d’« animal-machine », est révolue. L’animal est désormais reconnu comme un être sensible, qui peut souffrir. Une nouvelle conception qui n’épargne pas le sujet de la corrida : il ressort d’un sondage CSA du 19 septembre 2012 que « 57 % des Français penchent en faveur de l’interdiction de la corrida ».

Une société civilisée qui se veut porteuse de valeurs se doit d’adopter un cadre juridique respectueux des animaux. C’est ce qu’exprimait Gandhi en déclarant en 1931 : « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités ». C’est en protégeant les plus faibles (les plus âgés comme les plus jeunes, les plus pauvres, les malades, etc.) que l’humanité a progressé pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. La protection des plus faibles doit continuer et s’intensifier, en englobant également l’animal.

Des initiatives passées déjà nombreuses

Sous les précédentes législatures, plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, notamment dans le cadre du Groupe d’études sur la protection des animaux de l’Assemblée. Elles reposent toutes sur la suppression de l’exception inscrite à l’article 521-1 du code pénal. Malheureusement aucune n’a été examinée.

Alors que des régions de tradition tauromachique comme la Catalogne ont interdit la corrida, la France peut difficilement considérer qu’un tel spectacle, décrié par une large majorité de la population, puisse perdurer au nom d’une prétendue tradition.

Les deniers publics se font rares mais la corrida et les écoles taurines continuent à être majoritairement financées par des fonds provenant des collectivités locales. De telles subventions ne sont pas justifiées a fortiori puisqu’elles financent une pratique cruelle.

Et alors que certains films sont interdits aux publics fragiles, comme les enfants, la corrida, spectacle de mort et de souffrance, reste autorisée pour tous.

Il est donc nécessaire d’interdire l’exception de cruauté accordée à la corrida.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le septième alinéa de l’article 521-1 du code pénal est supprimé.


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