N° 1678 - Proposition de loi de M. Hervé Morin visant à autoriser l'ouverture des commerces le dimanche et en soirée



N° 1678

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 janvier 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à autoriser l’ouverture des commerces le dimanche
et en soirée,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Hervé MORIN, Yannick FAVENNEC, Meyer HABIB, Maurice LEROY,
Rudy SALLES et Philippe VIGIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’actualité judiciaire interdisant à certaines grandes enseignes d’ouvrir leurs magasins le dimanche et après 21 heures, le maintien de leur ouverture en dépit de ces condamnations et du montant élevé des astreintes, la résistance des salariés eux-mêmes – sous le slogan « Yes Week End » s’agissant du travail dominical – mettent en évidence l’inadaptation de notre législation sur le repos des salariés.

Or, si notre législation est inadaptée, c’est parce qu’elle est à la fois obsolète, inéquitable et illisible.

Obsolète parce qu’elle apparaît totalement en décalage avec le contexte de crise actuelle, où la création d’emplois et l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés sont au cœur des défis à relever pour notre pays. Elle est ainsi devenue emblématique des obstacles règlementaires à la croissance dont souffre la France.

Obsolète également parce qu’elle ne correspond plus à la France d’aujourd’hui où la question sociale – telle qu’elle se posait en 1906 dans un contexte de conquête des droits fondamentaux des salariés et d’une laïcité positive qui permis d’instaurer le principe du repos dominical – ne se pose plus dans les mêmes termes.

De l’affirmation du principe du repos hebdomadaire dorénavant protégé aux sommets de la hiérarchie des normes, la question sociale doit se placer sur d’autres champs : celui de la liberté du travail pour le salarié ; celui de la liberté d’entreprendre pour les entreprises.

Ces changements de paradigme correspondent à des changements sociétaux, consuméristes et économiques profonds : une évolution de la société dans ses modes de vie et de consommation, l’explosion
d’internet – qui, comme on le sait ne connaît ni repos dominical, ni repos de nuit - et une demande des salariés pour le travail choisi, mieux rémunéré.

À cet égard, les mouvements de salariés des enseignes concernées contre les syndicats à l’origine de la fermeture de leurs magasins, en sont l’éclatante démonstration.

Ainsi, nul ne peut plus ignorer que les aspirations dominicales de nos contemporains ne sont plus celles des Français de 1906 et que son évolution est finalement vers une journée où « l’on ait le choix d’être aussi plus actif » comme le soulignait dès 2007 le Rapport du Conseil économique et social sur les mutations de la société et les activités dominicales.

Une évolution de la société qui se traduit par une réalité, qui désormais s’impose :

S’agissant du travail dominical :

– 7 millions de salariés, soit 30 % des salariés français, travaillent aujourd’hui, de manière occasionnelle ou permanente, le dimanche ou la nuit.

– 80 % des Français répondent que, si les salariés d’un secteur d’activité comme le bricolage expriment leur intérêt de travailler le dimanche, il n’y a aucune raison de leur refuser cette possibilité.

– 63 % d’entre eux se déclarent prêts à travailler régulièrement le dimanche en contrepartie d’une augmentation de salaire ou un repos compensateur.

– Cette offre de travail bénéficiera tout particulièrement à certains secteurs. Par exemple, au secteur touristique où 50 000 emplois sont à pourvoir.

S’agissant du travail de nuit :

– Le code du travail affirme le principe général selon lequel le recours au travail de nuit doit être exceptionnel et ne justifie sa mise en œuvre que par la nécessité d’assurer la continuité des activités économiques ou des services d’utilité sociale (L. 3122-32 du code du travail). Or, le législateur a considérablement limité les justifications de recours au travail de nuit.

– En effet, l’actualité judiciaire récente a démontré que les enseignes ouvrant au-delà de 21 h 00 se sont vues, malgré le recours au volontariat, imposer la fermeture de leurs magasins au-delà de 21 h 00, et en dépit de la conclusion d’une convention. En effet les juridictions judiciaires ont considéré que malgré l’existence d’un accord d’entreprise et le recours au volontariat, elles ne rentraient pas dans le cadre du recours au travail de nuit, tel que défini à l’article L. 3132-32.

– Les impératifs édictés par la poursuite de l’activité économique des entreprises, notamment en période de crise économique, conjugués à l’évolution des modes de consommation après les heures de travail et l’adhésion des salariés via le volontariat, imposent une extension des justifications en cas de recours au travail de nuit.

C’est au regard de ces situations profondément renouvelées, que doit s’apprécier toute évolution de la législation et – en ce qui concerne la législation du travail le dimanche – en tirant les leçons des échecs des aménagements législatifs successifs qui ont rendu la loi totalement illisible et inéquitable.

Inéquitable tout d’abord parce que nul ne peut ignorer la concurrence que se livrent les enseignes présentes sur les marchés concernés.

Or, les dérogations successivement introduites par le législateur ont été la raison de différences de traitement entre secteurs, entre enseignes et entre salariés, sans que ces différences soient objectivement justifiées, raison pour laquelle certains ont fait le choix de l’illégalité.

Illisible ensuite parce qu’à l’empilement et à l’arbitraire des dérogations, est venue s’ajouter l’incertitude de la jurisprudence née de la complexité des textes, qui plongent aujourd’hui les salariés et les entreprises dans l’insécurité.

La réponse du législateur ne peut plus consister en une « énième » possibilité de dérogation venant s’ajouter au millefeuille kafkaïen des dérogations existantes !

La réponse est à rechercher dans un point d’équilibre entre l’intérêt du salarié, celui du consommateur et celui des entreprises qui font la croissance et l’emploi.

Il s’agit de mettre enfin en place un système conforme aux attentes et aux évolutions de la société pour la société.

Il n’est naturellement pas question à cet égard de remettre en cause le principe du repos hebdomadaire de 24 heures consécutives posé par les articles L. 3132-1 et 2 du code du travail.

Néanmoins, il est incontestable que le cadre législatif actuel doit être refondu dans le respect et la réaffirmation des droits constitutionnellement et conventionnellement protégés de tous les salariés.

Sur le plan conventionnel :

– La directive n° 93/104 du 23 novembre 1993 dans article 5 alinéa 2 prévoyait initialement que le dimanche devait en principe être inclus dans la période de repos hebdomadaire.

– Cette disposition a été annulée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-84/94 du 12 novembre 1996 Royaume Uni c. Conseil de l’UE. À cette occasion, la Cour a relevé que si la question de l’inclusion éventuelle du dimanche dans la période de repos hebdomadaire est laissée, en définitive, à l’appréciation des États membres, compte tenu, notamment, de la diversité des facteurs culturels, ethniques et religieux dans les différents États membres (article 5, deuxième alinéa, lu en combinaison avec le dixième considérant), la directive n’expliquait pas en quoi le dimanche, comme jour de repos hebdomadaire, présenterait un lien plus important avec la santé et la sécurité des travailleurs qu’un autre jour de la semaine.

Ainsi que le soulève la CDJUE, en quoi est-il de l’intérêt du salarié de se voir imposer la règle du repos dominical ? Ne se repose-t-on pas aussi bien le mardi que le dimanche ?

La Cour en a tiré une conséquence sans appel : le dimanche n’a pas à être inclus en principe dans la période de repos hebdomadaire.

Il s’en déduit que la suppression du principe selon lequel le repos hebdomadaire est donné obligatoirement le dimanche, est parfaitement conforme aux exigences conventionnelles.

Le Conseil constitutionnel pose, quant à lui, le même principe :

– Dans sa décision du 6 août 2009 n° 2009-588 DC, le Conseil constitutionnel a expressément refusé de consacrer constitutionnellement le principe du repos dominical. À cette fin, il a rappelé que celui-ci ne remplissait pas les conditions requises pour être érigé en Principe Fondamental Reconnu par les lois de la République à la différence du repos hebdomadaire qui, lui, a un caractère fondamental depuis la loi du 13 juillet 1906.

Dès lors, la loi pouvant toujours changer la loi, une refonte législative ayant pour objet de permettre aux salariés de travailler le dimanche, dans les seuls secteurs du commerce de gros et de détail dûment définis à cet effet – sans naturellement remettre en cause le principe du repos hebdomadaire – est parfaitement conforme aux exigences constitutionnelles.

C’est pourquoi je propose une modification du cadre législatif du travail dominical et nocturne en autorisant l’ouverture des commerces et enseignes, le dimanche et en soirée jusqu’à minuit, en réaffirmant la liberté de choix du salarié de travailler pendant ces périodes :

– L’article 1er institue le repos hebdomadaire pour les établissements de vente au détail et en gros de produits et de biens de toute nature, supprime le régime de dérogations au travail le dimanche dans ces secteurs, et renvoie à la négociation collective la fixation des contreparties (repos compensateur et rémunération majorée) au travail dominical des salariés, en précisant qu’il repose sur le volontariat.

– L’article 2 supprime le caractère « exceptionnel » du recours au travail de nuit, maintient que le travail de nuit prendra en compte les impératifs de protection de la santé et de sécurité des travailleurs et qu’il assure la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Il étend le recours au travail de nuit aux établissements visés à l’article 1er entre 21 h 00 et minuit, pour assurer l’activité économique durant cette période nocturne (art. L. 3122-32 du code du travail). Il maintient le système d’un accord collectif préalable obligatoire. Il précise que seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit peuvent travailler de nuit (art. L. 3122-33 du code du travail). Il impose une compensation salariale pour les salariés travaillant de nuit en modifiant l’article L. 3122-39 du code du travail.

Cette proposition constitue une opportunité de répondre aux attentes des Français, par une simplification de la réglementation, en faisant concrètement le choix de la croissance et de l’emploi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. – L’article L. 3132-3 du code du travail est ainsi modifié :

1° Les mots : « Dans l’intérêt des salariés, » sont supprimés ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, les établissements de vente au détail et en gros de produits et biens de toute nature peuvent donner le repos hebdomadaire, par roulement pour tout ou partie du personnel. »

II. – Un accord collectif ou, à défaut, une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum, fixe les contreparties accordées aux salariés travaillant le dimanche. Ces contreparties comprennent un repos compensateur et une rémunération majorée.

Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche.

III. – Les articles L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-2, L. 3132-25-5, L. 3132-25-6, L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail sont abrogés.

IV. – Le premier alinéa de l’article L. 3132-13 du même code est supprimé.

V. – Au premier alinéa des articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4 du même code, les mots : « aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 3132-20 ».

Article 2

Le code du travail est ainsi modifié :

1°  L’article L. 3122-32 est ainsi rédigé :

« Art. L. 3122-32. – Le recours au travail de nuit prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié notamment par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Il est également justifié pour assurer l’activité économique des entreprises relevant du commerce de détail et de gros ainsi que de la vente de produits et de biens de toute nature, entre 21 h 00 et minuit. »

2° L’article L. 3122-33 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler de nuit. Le salarié qui refuse de travailler de nuit ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler de nuit pour un salarié ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. »

3° À l’article L. 3122-39, les mots : « , le cas échéant, » sont supprimés.


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