N° 1716 - Proposition de résolution de M. Bruno Le Roux relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970



N° 1716

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2014.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative aux enfants réunionnais placés en métropole
dans les années 1960 et 1970,

présentée par Mesdames et Messieurs

Bruno LE ROUX, Ericka BAREIGTS, Monique ORPHE, Marie-Anne CHAPDELAINE, Ibrahim ABOUBACAR, Marie-Françoise CLERGEAU, Jacques CRESTA, Seybah DAGOMA, Jean-Patrick GILLE, Linda GOURJADE, Éric JALTON, Serge LETCHIMY, Thierry MANDON, Sandrine MAZETIER, Franck MONTAUGÉ, Christian PAUL, Dominique RAIMBOURG, Bernard ROMAN, Jean-Jacques URVOAS, Jacques VALAX, Patricia ADAM, Sylviane ALAUX, Jean-Pierre ALLOSSERY, Pouria AMIRSHAHI, François ANDRÉ, Avi ASSOULY, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Frédéric BARBIER, Delphine BATHO, Catherine BEAUBATIE, Luc BELOT, Philippe BIES, Erwann BINET, Christophe BORGEL, Marie-Odile BOUILLÉ, Kheira BOUZIANE, Isabelle BRUNEAU, Jean-Claude BUISINE, Sylviane BULTEAU, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Yann CAPET, Laurent CATHALA, Jean-Yves CAULLET, Guy CHAMBEFORT, Jean-Paul CHANTEGUET, Dominique CHAUVEL, Pascal CHERKI, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Valérie CORRE, Jean-Jacques COTTEL, Pascale CROZON, Yves DANIEL, Pascal DEGUILHEM, Guy DELCOURT, Carole DELGA, Françoise DESCAMPS-CROSNIER, Jean-Louis DESTANS, Fanny DOMBRE COSTE, Sandrine DOUCET, Françoise DUBOIS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRÉ, Geneviève GAILLARD, Geneviève GOSSELIN-FLEURY, Pascale GOT, Marc GOUA, Estelle GRELIER, Jean GRELLIER, Laurent GRANDGUILLAUME, Thérèse GUILBERT, Danièle HOFFMAN-RISPAL, Françoise IMBERT, Michel ISSINDOU, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Chaynesse KHIROUNI, Pierre-Yves LE BORGN, Anne-Yvonne LE DAIN, Viviane LE DISSEZ, Annie LE HOUEROU, Annick LE LOCH, Jean-Pierre LE ROCH, Pierre LEAUTEY, Dominique LEFEBVRE, Michel LESAGE, Bernard LESTERLIN, Michel LIEBGOTT, François LONCLE, Lucette LOUSTEAU, Marie-Lou MARCEL, Jean-René MARSAC, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Michel MÉNARD, Nathalie NIESON, Maud OLIVIER, Michel PAJON, Hervé PELLOIS, Sébastien PIETRASANTA, Christine PIRES BEAUNE, Philippe PLISSON, Pascal POPELIN, Émilienne POUMIROL, Catherine QUÉRÉ, Marie-Line REYNAUD, Boinali SAID, Gilbert SAUVAN, Gérard TERRIER, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Olivier VERAN et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Ibrahim Aboubacar, Patricia Adam, Sylviane Alaux, Jean-Pierre Allossery, Pouria Amirshahi, François André, Nathalie Appéré, Christian Assaf, Avi Assouly, Pierre Aylagas, Alexis Bachelay, Guillaume Bachelay, Jean-Paul Bacquet, Géard Bapt, Frédéric Barbier, Ericka Bareigts, Claude Bartolone, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Laurent Baumel, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Catherine Beaubatie, Jean-Marie Beffara, Luc Belot, Karine Berger, Gisèle Biémouret, Philippe Bies, Erwann Binet, Jean-Pierre Blazy, Yves Blein, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Pascale Boistard, Christophe Borgel, Florent Boudié, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Brigitte Bourguignon, Malek Boutih, Kheira Bouziane, Emeric Bréhier, Jean-Louis Bricout, Jean-Jacques Bridey, François Brottes, Isabelle Bruneau, Gwenegan Bui, Sabine Buis, Jean-Claude Buisine, Sylviane Bulteau, Vincent Burroni, Alain Calmette, Jean-Christophe Cambadélis, Colette Capdevielle, Yann Capet, Christophe Caresche, Fanélie Carrey-Conte, Martine Carrillon-Couvreur, Christophe Castaner, Laurent Cathala, Jean-Yves Caullet, Nathalie Chabanne, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Marie-Anne Chapdelaine, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Jean-David Ciot, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Philip Cordery, Valérie Corre, Jean-Jacques Cottel, Catherine Coutelle, Jacques Cresta, Pascale Crozon, Seybah Dagoma, Yves Daniel, Carlos Da Silva, Pascal Deguilhem, Florence Delaunay, Guy Delcourt, Carole Delga, Sébastien Denaja, Françoise Descamps-Crosnier, Sophie Dessus, Jean-Louis Destans, Michel Destot, Fanny Dombre Coste, René Dosière, Philippe Doucet, Sandrine Doucet, Françoise Dubois, Jean-Pierre Dufau, Anne-Lise Dufour-Tonini, Françoise Dumas, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Sophie Errante, Marie-Hélène Fabre, Alain Fauré, Martine Faure, Olivier Faure, Matthias Fekl, Vincent Feltesse, Hervé Féron, Richard Ferrand, Jean-Pierre Fougerat, Hugues Fourage, Michèle Fournier-Armand, Christian Franqueville, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Hélène Geoffroy, Jean-Marc Germain, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Geneviève Gosselin, Pascale Got, Marc Goua, Linda Gourjade, Laurent Grandguillaume, Estelle Grelier, Jean Grellier, Jérôme Guedj, Élisabeth Guigou, Thérèse Guilbert, Chantal Guittet, David Habib, Razzy Hammadi, Mathieu Hanotin, Danièle Hoffman-Rispal, Joëlle Huillier, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Laurent Kalinowski, Marietta Karamanli, Philippe Kemel, Chaynesse Khirouni, Bernadette Laclais, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, Colette Langlade, Jean Launay, Pierre Léautey, Pierre-Yves Le Borgn’, Jean-Yves Le Bouillonnec, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Viviane Le Dissez, Michel Lefait, Dominique Lefebvre, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Axelle Lemaire, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Christophe Léonard, Annick Lepetit, Jean-Pierre Le Roch, Bruno Le Roux, Arnaud Leroy, Michel Lesage, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, Audrey Linkenheld, François Loncle, Lucette Lousteau, Jean-Pierre Maggi, Jean-Philippe Mallé, Thierry Mandon, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Martine Martinel, Frédérique Massat, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Patrick Mennucci, Kléber Mesquida, Franck Montaugé, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Ségolène Neuville, Nathalie Nieson, Philippe Noguès, Maud Olivier, Monique Orphé, Michel Pajon, Luce Pane, Christian Paul, Rémi Pauvros, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Sylvie Pichot, Sébastien Pietrasanta, Martine Pinville, Christine Pires Beaune, Philippe Plisson, Élisabeth Pochon, Pascal Popelin, Dominique Potier, Émilienne Poumirol, Michel Pouzol, Patrice Prat, Joaquim Pueyo, François Pupponi, Catherine Quéré, Valérie Rabault, Monique Rabin, Dominique Raimbourg, Marie Récalde, Marie-Line Reynaud, Eduardo Rihan Cypel, Denys Robiliard, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Frédéric Roig, Barbara Romagnan, Bernard Roman, Dolores Roqué, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Béatrice Santais, Odile Saugues, Gilbert Sauvan, Gilles Savary, Gérard Sebaoun, Christophe Sirugue, Julie Sommaruga, Suzanne Tallard, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, Thomas Thévenoud, Sylvie Tolmont, Jean-Louis Touraine, Stéphane Travert, Catherine Troallic, Cécile Untermaier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Hélène Vainqueur-Christophe, Jacques Valax, Clotilde Valter, Michel Vauzelle, Olivier Véran, Fabrice Verdier, Michel Vergnier, Patrick Vignal, Jean-Michel Villaumé, Jean Jacques Vlody, Paola Zanetti.

(2)  Dominique Baert, Serge Bardy, Marie-Françoise Bechtel, Chantal Berthelot, Jean-Luc Bleunven, Guy-Michel Chauveau, Yves Goasdoué, Édith Gueugneau, Christian Hutin, Jean-Luc Laurent, Annie Le Houerou, Serge Letchimy, Gabrielle Louis-Carabin, Hervé Pellois, Napole Polutélé, Boinali Said.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 1963, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer (BUMIDOM) était créé. Cet organisme s’était vu confier comme mission de solutionner le problème démographique et social dans les départements ultramarins en organisant, favorisant et développant la promotion d’une émigration massive vers le territoire métropolitain.

Parmi les transferts de populations organisés, plus de 1 600 jeunes réunionnais, reconnus pupilles, ont quitté leur département d’origine et leurs familles entre 1963, date de la création du BUMIDOM, et 1982, date de sa dissolution.

I] Une politique de migration forcée et de rupture identitaire

Le choix d’une politique de migration forcée comme solution aux problèmes démographiques et économiques de La Réunion s’est très tôt attirée les critiques ou réserves des administrations en charge. En cause, l’écart entre les problèmes identifiés et les bénéfices résultant de cette politique mais également les conséquences affectives et personnelles de ces éloignements forcés.

Ainsi dès 1968, la DDAS de la Creuse demande un arrêt du programme en raison des difficultés d’adaptation des jeunes réunionnais.

En 1972, le préfet de Lozère souligne que les pupilles « positionnés » par l’administration l’ont été sur des secteurs économiques obérant leurs chances d’insertion professionnelle. Ceci plaçant le programme en échec patent vis-à-vis de ses objectifs affichés1.

En 1975 enfin, c’est le directeur général de la santé qui s’étonne auprès du préfet de La Réunion que l’on entende solutionner le problème démographique réunionnais via la migration de quelques centaines d’enfants.

Dénoncée dès les années 70 à La Réunion comme une politique de déportation à travers laquelle de jeunes enfants seraient arrachés à leurs familles, la politique migratoire incarnée par le BUMIDOM est portée devant les tribunaux en janvier 2002. Jean-Jacques Martial, qui a quitté La Réunion en 1966, dépose plainte contre l’État pour « enlèvement et séquestration de mineurs, rafle et déportation ». Cette plainte et toutes celles qui l’ont suivie furent repoussées en raison de la prescription des faits.

Malgré cela, l’affaire se fait connaître dans l’opinion publique hexagonale sous le nom d’ « affaire des Réunionnais de la Creuse »2 et un rapport de l’inspection générale des affaires sociales est rendu en octobre 20023 à la demande d’Elizabeth Guigou, ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Les conclusions de ce rapport, si elles ont contribué à replacer le débat, laissent ouvertes de nombreuses questions.

II] Une responsabilité républicaine

À la lecture du rapport de l’IGAS, il s’avère impossible de s’assurer de la validité du consentement des parents à l’abandon de leurs enfants4. Le choix délibéré mais cohérent avec les pratiques éducatives de l’époque de couper tous les ponts entre les pupilles et leur milieu d’origine5, notamment en limitant les vacances et les correspondances, a causé une grande détresse émotionnelle aux familles ainsi « décomposées ». En ne parvenant pas à garantir l’accès à leur patrimoine mémoriel et la construction d’une histoire personnelle, l’État français a renforcé le sentiment d’aliénation de ces enfants, leur conviction d’avoir été à la fois reniés et oubliés.

Nombre d’archives liées à ces enfants ont en effet été détruites, égarées ou non conservées par les services de l’État. Ces enfants et leurs familles, dont la République a choisi d’orienter le destin, se voient donc privées de leur histoire et de leurs identités. Les conséquences affectives et sociales issues des orientations de cette politique n’ont été contrebalancées ni par une aide à la reconstitution mémorielle, ni par une aide au retour.6

La France, patrie des droits de l’Homme, dispose aujourd’hui de l’occasion de contribuer à la restauration de ce passé et à la résorption des fractures passées. La déclinaison locale des politiques de l’État a pesé lourdement sur de jeunes enfants. Public qui aurait dû être protégé et tout particulièrement leur identité et leur mémoire. Si le préjudice est inestimable et irréparable, la République doit tenter de réconcilier ses pupilles, ses Réunionnais déplacés, avec leur histoire.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Vu l’article 34-1 de la Constitution

Vu l’article 136 du règlement

Considérant que l’État se doit d’assurer à chacun, dans le respect de la vie privée des individus, l’accès à la mémoire

Considérant que les enfants, tout particulièrement, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes

Considérant que dans le cas du placement des enfants réunionnais en métropole entre 1963 et 1982 ce droit a été insuffisamment protégé

L’Assemblée nationale :

1°) Demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée.

2°) Considère que l’État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles.

3°) Demande à ce que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle.

1  Le rapport de l’IGAS « rapport sur la situation d’enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 » de 2002 évoque le fait que le choix des filières professionnelles des jeunes était plus fait en fonction des besoins des territoires que de ceux des pupilles. Notamment, dans la Creuse, un président de chambre consulaire aurait fait diriger ces pupilles vers des secteurs d’activité abandonnés par les jeunes locaux pour éviter leur disparition.

2  Terme abusif car la Creuse ne fut que l’un des nombreux territoires d’accueil choisi pour les jeunes Réunionnais par le Bumidom.

3  « Rapport sur la situation d’enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 », présenté par Christian GAL et Pierre NAVES, n° 2002 117.

4  Le rapport de l’IGAS souligne néanmoins que la prise en compte de la volonté des parents a pu être biaisée par la mauvaise image que les professionnels ont pu avoir de ceux-ci dans le contexte de l’époque, notamment en raison de la forte prépondérance de l’alcoolisme à La Réunion dans les années 70. Voir notamment les pages 26, 27 et 54 du rapport qui ajoutent du crédit à l’hypothèse d’un consentement vicié des parents aussi bien que des enfants.

5  Jusqu’à un rapport de Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy de 1989 sur l’aide à l’enfance, les services sociaux considéraient en effet que pour permettre aux enfants de prendre un nouveau départ, il fallait couper les liens avec leur milieu d’origine afin d’éviter tout parasitage du processus.

6  « La réponse d’un député de La Réunion mettant en avant le coût de tels voyages […] situe dès lors ce qui apparaît la raison primordiale de ces refus : la volonté politique de ne prendre aucun risque vis-à-vis de la mise en œuvre de la “politique de migration de pupilles” même si, pour certains de ces mineurs, leur déplacement en métropole induit des difficultés (que ce député mentionne d’ailleurs explicitement). » précise le rapport de l’IGAS déjà cité.


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