N° 1899 - Proposition de loi de M. Hervé Morin relative à la promotion de l'efficacité énergétique



N° 1899

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 avril 2014.

PROPOSITION DE LOI

relative à la promotion de l’efficacité énergétique,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hervé MORIN,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans un contexte de déficits du budget et de la balance commerciale, de tensions sur les prix de l’énergie fossile, mais aussi de précarité énergétique de plusieurs millions de ménages, la promotion de l’efficacité énergétique constitue la solution la plus pertinente à développer dans l’ensemble des secteurs de l’économie. L’efficacité énergétique relève d’un ensemble de technologies et de services dans lequel de nombreuses start-up, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises industrielles françaises excellent. Elle ouvre à la France un champ de compétitivité accrue pour son économie, dans le cadre d’un modèle économique fondé sur la rationalisation des ressources naturelles et ayant pour ambition de développer la compétitivité à l’export des entreprises françaises.

Sous l’impulsion de plusieurs États membres dont la France, l’Union européenne s’est dotée en 2008 d’un paquet énergie-climat pour 2020 prévoyant d’accroître l’efficacité énergétique d’au moins 20 % d’ici 2020. Aujourd’hui, alors que l’Union européenne a lancé une large réflexion sur les objectifs énergie-climat pour 2030, la France doit rester un pays à la pointe de la technologie en matière de renforcement de l’efficacité énergétique, et cela d’autant plus que l’Union européenne mettra environ 2 milliards d’euros à la disposition des régions françaises sur la période 2014-2020 pour assurer la transition vers une économie à faibles émissions de dioxyde de carbone. Une telle transition a pour corollaire un renforcement de l’efficacité énergétique de notre pays.

Pourtant, à ce jour, le potentiel français est sous-exploité : malgré l’importance des moyens et ressources mis en œuvre, les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales hésitent toujours à effectuer les investissements et travaux nécessaires. Quand ce n’est pas, comme pour les acteurs institutionnels, certaines dispositions du code des marchés publics qui les en empêchent, ces freins relèvent de deux ordres : d’une part, le manque d’outils de financement innovants, simples et efficaces, et d’autre part, l’existence de verrous juridiques.

Il faut regretter que le code des marchés publics, en interdisant toute clause de paiement différé, empêche le déploiement du contrat de performance énergétique (CPE) alors que le secteur public est, comme le privé, un consommateur d’énergie et doit être, plus que le privé, un exemple.

Afin de favoriser l’innovation dans les nouvelles technologies de l’efficacité énergétique et d’encourager la diffusion de ces technologies au profit de l’environnement, de l’emploi et de la compétitivité, cette proposition de loi met en avant plusieurs mesures pour faire face efficacement à ces deux difficultés.

L’article premier confirme et complète le dispositif des sociétés de tiers-financement, introduit dans le droit français par l’article 124 de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), qui définit précisément le mécanisme de tiers-financement, en le distinguant de la vente d’énergies conventionnelles.

Il s’agit ainsi par cet article premier de compléter l’article 124 de la loi ALUR en rendant les structures de tiers-financement publiques et privées éligibles aux CEE.

L’article 2 crée un fonds souverain de la transition énergétique, afin de financer l’efficacité énergétique. Ce fonds est financé, d’une part, par les ressources du fonds destiné à couvrir les charges liées au démantèlement nucléaire, créé dans le cadre de la loi du 28 juin 2006, dont la gestion n’est aujourd’hui pas sécurisée – selon le rapport de la Cour des comptes de 2012. D’autre part, il est financé par des actifs apportés par la Caisse des dépôts et consignations et par la Banque publique d’investissement. Les provisions constituées à cette date étant insuffisantes, le fonds disposera pour ressources complémentaires du produit d’un prélèvement additionnel auprès des exploitants de centrales nucléaires fixé à cinq centimes d’euros par kilowattheure sur la production d’électricité d’origine nucléaire. Afin de ne pas pénaliser les ménages précaires énergétiquement et les industriels dits électro-intensifs, une part de ce fonds est consacrée à des solutions d’efficacité énergétique en leur direction.

Ce fonds est destiné à assurer le refinancement optimal des sociétés de tiers-financement ainsi qu’au financement sur le long terme d’infrastructures essentielles à la mise en œuvre de la transition énergétique.

L’article 3 modifie les articles L. 221-1 et suivants du code de l’énergie définissant les certificats d’économies d’énergie (CEE). Il rend obligatoires les évaluations a posteriori auprès des obligés pour améliorer la connaissance des économies réellement obtenues grâce aux opérations financées par les CEE. Il permet des modes de calcul plus aisément compréhensibles par les acteurs du marché. Enfin, une part spécifique des certificats d’économies d’énergie doit être obtenue par les obligés via les sociétés de tiers-financement.

L’article 4 confère un droit à l’expérimentation aux régions en vue de les rendre maîtres d’œuvre de la transition énergétique sur leur territoire dans le respect des compétences des autorités organisatrices dans le domaine des réseaux énergétiques, et des agglomérations en matière de développement économique. Ce droit à l’expérimentation permet aux régions de décider de leur propre gouvernance énergétique, afin d’aider au développement de boucles d’énergie locales, de filières locales de rénovation énergétique, et d’investissements productifs en énergies renouvelables. Cette expérimentation est d’autant plus opportune que les régions sont chargées de la gestion du Fonds européen de développement régional (Feder) sur la période 2014-2020, et donc des financements de l’Union européenne destinés à l’efficacité énergétique.

L’article 5 transcrit les obligations issues des engagements européens de la France (directives 2009/72/CE et 2009/73/CE). Il s’agit d’assurer une transparence comptable entres les activités de production, transport, distribution et stockage dans le secteur énergétique en vue de favoriser l’investissement productif dans les territoires et les infrastructures énergétiques.

L’article 6 vise à reformer le crédit d’impôt développement durable (CIDD) qui est destiné aux ménages. Il est proposé de recadrer le CIDD sur des éléments concourant à une approche globale de la rénovation énergétique en :

− rétablissant le dispositif d’aide au solaire supprimé par la loi de finances 2014 et en ajoutant le stockage associé ;

− ajoutant les systèmes de gestion active de l’énergie, c’est-à-dire les solutions permettant de piloter de façon dynamique l’ensemble des appareils qui consomment ou produisent de l’énergie dans un bâtiment.

L’article 7 crée un nouveau dispositif de « bonus-malus » sur la consommation d’énergie des bâtiments, qui, à titre expérimental, sera appliqué au parc des bâtiments du secteur tertiaire en tenant compte du type d’utilisations finales d’énergie et de l’intensité énergétique des secteurs d’activité considérés.

L’article 8 vient gager les éventuelles pertes de recettes et augmentations de charge qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° À l’article L. 381-1, les mots : « de paiements échelonnés, réguliers et limités » sont remplacés par les mots : « d’une rémunération sous forme de redevance globale, régulière et limitée » ;

2° Le titre VIII du livre III est complété par un article L. 381-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 381-3. – Les sociétés de tiers-financement, telles que définies aux articles L. 381-1 et L. 381-2 du code de la construction et de l’habitation, peuvent obtenir des certificats d’efficacité énergétique dans les conditions et selon les modalités définies aux articles L. 221-1 et suivants du code de l’énergie. »

Article 2

I. – Il est institué un fonds souverain de la transition énergétique destiné au financement de la transition énergétique et de l’efficacité énergétique. Il a pour objectifs d’assurer le refinancement optimal des sociétés de tiers-financement définies aux articles L. 381-1 et L. 381-2 du code de la construction et de l’habitation, ainsi que d’assurer le financement sur le long terme d’infrastructures essentielles à la mise en œuvre de la transition énergétique.

L’attribution de ses ressources est conditionnée à des obligations de résultats en termes d’économies d’énergie.

Un décret fixe les conditions et les modalités de gestion de ce fonds par le Conseil national de la transition énergétique.

II. – Le fonds est abondé par des actifs apportés par la Banque publique d’investissement et la Caisse des dépôts et consignations.

Il est également abondé par des actifs du fonds définis à l’article L. 542-12-2 du code de l’environnement concernant le fonds destiné au financement de la construction, de l’exploitation, de l’arrêt définitif, de l’entretien et de la surveillance des installations d’entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue, géré par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

III. – Un prélèvement additionnel auprès des exploitants de centrales nucléaires est institué. Il est fixé à cinq centimes d’euros par kilowattheure sur la production d’électricité d’origine nucléaire. Les ressources de ce prélèvement sont entièrement affectées au fonds souverain de la transition énergétique.

IV. – Une part des ressources du présent fonds est consacrée à des solutions d’efficacité énergétique à l’intention des ménages les plus précaires énergétiquement et des entreprises électro-intensives.

Article 3

Le code de l’énergie est ainsi modifié :

1° L’article L. 221-7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une part spécifique des certificats d’économies d’énergie doit être acquise par les personnes visées à l’article L. 221-1 via les sociétés de tiers-financement définies aux articles L. 381-1 et L. 381-2 du code de la construction et de l’habitation. » ;

2° Après la première phrase de l’article L. 221-8, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« Cette unité de compte doit aussi être exprimée en kilowattheure. » ;

3° Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Des études a posteriori ayant pour vocation d’améliorer la connaissance des économies d’énergie effectivement réalisées grâce aux opérations financées par les certificats d’efficacité énergétique sont obligatoires. » ;

4° L’article L. 221-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret précise la manière dont les certificats d’économies d’énergie intègrent l’ensemble des opérations d’une offre technique d’économies d’énergie, en plus des opérations d’installation isolée de produits ou d’équipements d’économies d’énergie. »

Article 4

I. – Dans les conditions prévues à l’article 72 alinéa 4 de la Constitution, à titre expérimental et pour une durée de 5 ans, les régions sont autorisées à mettre en œuvre sur leur territoire des politiques régionales en faveur de la transition énergétique notamment par le soutien au développement des boucles d’énergie locale, des filières locales de rénovation énergétique et des investissements productifs en énergies renouvelables. Cette autorisation inclut la gestion des financements de l’Union européenne destinés à l’efficacité énergétique, dont la gestion du Fonds européen de développement régional.

II. – Ce droit à l’expérimentation s’effectue dans le respect des compétences des autorités organisatrices dans le domaine des réseaux énergétiques, et des agglomérations en matière de développement économique.

Article 5

I. – Le code de l’énergie est ainsi modifié :

1° L’article L. 111-56 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le principe de non-discrimination doit être respecté lors de la nomination du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés gestionnaires de réseaux de distribution afin de ne tirer aucun profit de l’intégration verticale de cette société dans un groupe de production ou de fourniture d’énergie.

« Lorsqu’une société gestionnaire de réseaux de distribution fait partie d’une entreprise verticalement intégrée, elle est indépendante, sur le plan de l’organisation et de la prise de décision, des autres activités non liées à la distribution. » ;

2° L’article L. 111-84 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Elles tiennent, dans leur comptabilité interne, des comptes séparés pour chacune de leurs activités de distribution, comme elles devraient le faire si les activités en question étaient exercées par des entreprises distinctes, en vue d’éviter les discriminations, les subventions croisées et les distorsions de concurrence. » ;

3° L’article L. 111-59 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« III. – Les gestionnaires de réseau de distribution appartenant à une entreprise verticalement intégrée s’abstiennent, dans leurs pratiques de communication et leur stratégie de marque, de toute confusion avec l’identité distincte de la branche en charge des activités de production ou de fourniture de l’entreprise verticalement intégrée. » ;

4° Après l’article L. 111-87, il est inséré un article L. 111-87 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 111-87 bis. – Indépendamment du régime de propriété qui leur est applicable et de leur forme juridique, les entreprises d’électricité établissent, font contrôler et publient leurs comptes annuels conformément aux règles nationales relatives aux comptes annuels des sociétés anonymes.

« Le contrôle des comptes doit permettre notamment de s’assurer du respect des obligations définies à l’article L. 111-84. » ;

5° Après l’article L. 111-60, il est inséré un article L. 111-60 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 111-60 bis. – Les activités de distribution ou de fourniture d’électricité font l’objet d’une surveillance par la Commission de régulation de l’énergie afin que le gestionnaire de réseau de distribution ne puisse pas tirer profit de son intégration verticale pour fausser la concurrence. »

II – L’État, en sa qualité d’actionnaire d’entreprises publiques et privées soumises aux obligations des articles L. 111-56 et L. 111-59 du code de l’énergie, s’engage dans les deux ans suivant la publication de la présente loi à mettre en conformité les statuts, le capital et la gouvernance desdites entreprises en vue de respecter ses engagements et obligations définis par les directives 2009/72/CE et 2009/73/CE.

Article 6

I. – L’article 200 quater du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa du c du 1 est ainsi modifié :

a) Les mots : « , à l’exception des équipements de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil, » sont supprimés ;

b) Après le mot : « dépenses », sont insérés les mots : « par kilowatt-crête pour les équipements de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et les équipements de stockage associés, d’une part, ou » ;

c) Après le mot : « thermique », sont insérés les mots : « d’autre part, » ;

2° Le f du 5 bis est complété par les mots : « et dépenses d’acquisition d’équipements de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et des équipements de stockage associés. » ;

3° Au 4° du b du 6, après le mot : « renouvelable, », sont insérés les mots : « la puissance en kilowatt-crête des équipements de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et » ;

4° Après le g du 1, il est inséré un f ainsi rédigé :

« f) Aux coûts d’installation d’un système de gestion active de l’énergie. »

Article 7

Il est institué un dispositif de « bonus–malus » sur la consommation d’énergie des bâtiments, qui, à titre expérimental, est appliqué uniquement au parc des bâtiments du secteur tertiaire. Ce dispositif doit prendre en compte le type d’utilisation finale d’énergie ainsi que l’intensité énergétique des secteurs d’activité considérés. Il doit inciter les propriétaires bailleurs ou les locataires de bâtiments du secteur tertiaire à réaliser des travaux d’amélioration de performance énergétique.

Dans un délai de 9 mois suivant la promulgation de la loi, le gouvernement remet au Parlement un rapport précisant le taux, l’assiette, et les modalités de recouvrement de la taxe sur la consommation d’énergie applicable aux bâtiments du secteur tertiaire ainsi que la mise en place d’un fonds d’aide à la performance énergétique du tertiaire ayant pour mission, au moyen du produit de la taxe sur la consommation d’énergie instituée, l’attribution d’aides à la promotion de l’efficacité énergétique des bâtiments du secteur tertiaire. Les modalités de fonctionnement de ce fonds, l’organisme gestionnaire et les frais exposés au titre de sa gestion imputés en dépenses du fonds, sont également précisés.

Article 8

Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Les charges qui pourraient résulter pour la Banque publique d’investissement, pour la Caisse des dépôts et consignations et pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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