N° 2139 - Proposition de loi de M. Bruno Le Roux relative à la protection du secret des affaires



N° 2139

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2014.

PROPOSITION DE LOI

relative à la protection du secret des affaires,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bruno LE ROUX, Jean-Jacques URVOAS, Ibrahim ABOUBACAR, Patricia ADAM, Sylviane ALAUX, François ANDRÉ, Alexis BACHELAY, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Marie-Noëlle BATTISTEL, Philippe BAUMEL, Nicolas BAYS, Catherine BEAUBATIE, Luc BELOT, Gisèle BIÉMOURET, Philippe BIES, Jean-Pierre BLAZY, Yves BLEIN, Jean-Luc BLEUNVEN, Daniel BOISSERIE, Pascale BOISTARD, Brigitte BOURGUIGNON, Kheira BOUZIANE, Emeric BRÉHIER, Jean-Louis BRICOUT, François BROTTES, Gwénégan BUI, Jean-Claude BUISINE, Sylviane BULTEAU, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Colette CAPDEVIELLE, Laurent CATHALA, Nathalie CHABANNE, Guy CHAMBEFORT, Marie-Anne CHAPDELAINE, Alain CLAEYS, Marie-Françoise CLERGEAU, Philip CORDERY, Jacques CRESTA, Pascale CROZON, Pascal DEGUILHEM, Michèle DELAUNAY, Guy DELCOURT, Françoise DESCAMPS-CROSNIER, Jean-Louis DESTANS, Sandrine DOUCET, Françoise DUBOIS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Olivier DUSSOPT, Martine FAURE, Olivier FAURE, Hugues FOURAGE, Michèle FOURNIER-ARMAND, Christian FRANQUEVILLE, Hélène GEOFFROY, Yves GOASDOUE, Geneviève GOSSELIN-FLEURY, Pascale GOT, Marc GOUA, Laurent GRANDGUILLAUME, Jean GRELLIER, Thérèse GUILBERT, David HABIB, Joëlle HUILLIER, Michel ISSINDOU, Serge JANQUIN, Henri JIBRAYEL, Laurent KALINOWSKI, Marietta KARAMANLI, Chaynesse KHIROUNI, François LAMY, Colette LANGLADE, Jean-Luc LAURENT, Pierre-Yves LE BORGN, Gilbert LE BRIS, Viviane LE DISSEZ, Annick LE LOCH, Jean-Pierre LE ROCH, Michel LEFAIT, Dominique LEFEBVRE, Patrick LEMASLE, Catherine LEMORTON, Michel LESAGE, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Lucette LOUSTEAU, Jean-Philippe MALLÉ, Jacqueline MAQUET, Jean-René MARSAC, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Sandrine MAZETIER, Michel MÉNARD, Pierre MOSCOVICI, Philippe NAUCHE, Nathalie NIESON, Kléber MESQUIDA, Luce PANE, Hervé PELLOIS, Sébastien PIETRASANTA, Philippe PLISSON, Pascal POPELIN, Émilienne POUMIROL, Patrice PRAT, Christophe PREMAT, Catherine QUÉRÉ, Marie RÉCALDE, Marie-Line REYNAUD, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Boinali SAID, Odile SAUGUES, Gérard TERRIER, Stéphane TRAVERT, Jacques VALAX, Olivier VERAN, Fabrice VERDIER, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Patrick VIGNAL, Paola ZANETTI, et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Ibrahim Aboubacar, Patricia Adam, Sylviane Alaux, Jean-Pierre Allossery, Pouria Amirshahi, François André, Nathalie Appéré, Christian Assaf, Pierre Aylagas, Jean-Marc Ayrault, Alexis Bachelay, Guillaume Bachelay, Jean-Paul Bacquet, Géard Bapt, Ericka Bareigts, Claude Bartolone, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Laurent Baumel, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Catherine Beaubatie, Jean-Marie Beffara, Luc Belot, Karine Berger, Gisèle Biémouret, Philippe Bies, Erwann Binet, Jean-Pierre Blazy, Yves Blein, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Pascale Boistard, Christophe Borgel, Florent Boudié, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Brigitte Bourguignon, Malek Boutih, Kheira Bouziane, Emeric Bréhier, Jean-Louis Bricout, Jean-Jacques Bridey, François Brottes, Isabelle Bruneau, Gwenegan Bui, Sabine Buis, Jean-Claude Buisine, Sylviane Bulteau, Vincent Burroni, Alain Calmette, Jean-Christophe Cambadélis, Colette Capdevielle, Yann Capet, Christophe Caresche, Marie-Arlette Carlotti, Fanélie Carrey-Conte, Martine Carrillon-Couvreur, Christophe Castaner, Laurent Cathala, Jean-Yves Caullet, Nathalie Chabanne, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Marie-Anne Chapdelaine, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Jean-David Ciot, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Philip Cordery, Valérie Corre, Jean-Jacques Cottel, Catherine Coutelle, Jacques Cresta, Pascale Crozon, Seybah Dagoma, Yves Daniel, Carlos Da Silva, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Carole Delga, Sébastien Denaja, Françoise Descamps-Crosnier, Sophie Dessus, Jean-Louis Destans, Michel Destot, Fanny Dombre Coste, René Dosière, Philippe Doucet, Sandrine Doucet, Françoise Dubois, Jean-Pierre Dufau, Anne-Lise Dufour-Tonini, Françoise Dumas, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Sophie Errante, Marie-Hélène Fabre, Alain Fauré, Martine Faure, Olivier Faure, Matthias Fekl, Hervé Féron, Richard Ferrand, Hugues Fourage, Jean-Marc Fournel, Michèle Fournier-Armand, Michel Françaix, Christian Franqueville, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Guillaume Garot, Hélène Geoffroy, Jean-Marc Germain, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Geneviève Gosselin-Fleury, Pascale Got, Marc Goua, Linda Gourjade, Laurent Grandguillaume, Estelle Grelier, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, Thérèse Guilbert, Chantal Guittet, David Habib, Razzy Hammadi, Mathieu Hanotin, Joëlle Huillier, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Laurent Kalinowski, Marietta Karamanli, Philippe Kemel, Chaynesse Khirouni, Bernadette Laclais, Conchita Lacuey, François Lamy, Anne-Christine Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Pierre Léautey, Pierre-Yves Le Borgn’, Jean-Yves Le Bouillonnec, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Viviane Le Dissez, Michel Lefait, Dominique Lefebvre, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Christophe Léonard, Annick Lepetit, Jean-Pierre Le Roch, Bruno Le Roux, Arnaud Leroy, Michel Lesage, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, Audrey Linkenheld, François Loncle, Lucette Lousteau, Victorin Lurel, Jean-Pierre Maggi, Jean-Philippe Mallé, Thierry Mandon, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Patrick Mennucci, Kléber Mesquida, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Nathalie Nieson, Philippe Noguès, Robert Olive, Maud Olivier, Monique Orphé, Michel Pajon, Luce Pane, Christian Paul, Rémi Pauvros, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Sébastien Pietrasanta, Martine Pinville, Christine Pires Beaune, Philippe Plisson, Élisabeth Pochon, Pascal Popelin, Dominique Potier, Émilienne Poumirol, Michel Pouzol, Patrice Prat, Christophe Premat, Joaquim Pueyo, François Pupponi, Catherine Quéré, Valérie Rabault, Monique Rabin, Dominique Raimbourg, Marie Récalde, Marie-Line Reynaud, Eduardo Rihan Cypel, Denys Robiliard, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Frédéric Roig, Barbara Romagnan, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Béatrice Santais, Odile Saugues, Gilbert Sauvan, Gilles Savary, Gérard Sebaoun, Christophe Sirugue, Julie Sommaruga, Suzanne Tallard, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, Thomas Thévenoud, Sylvie Tolmont, Jean-Louis Touraine, Stéphane Travert, Catherine Troallic, Cécile Untermaier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Clotilde Valter, Michel Vauzelle, Olivier Véran, Fabrice Verdier, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Patrick Vignal, Jean-Michel Villaumé, Jean Jacques Vlody, Paola Zanetti.

(2)  Dominique Baert, Serge Bardy, Marie-Françoise Bechtel, Chantal Berthelot, Jean-Luc Bleunven, Guy-Michel Chauveau, Yves Goasdoué, Édith Gueugneau, Christian Hutin, Jean-Luc Laurent, Annie Le Houerou, Serge Letchimy, Gabrielle Louis-Carabin, Hervé Pellois, Napole Polutélé, Boinali Said.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le monde économique, à l’image d’autres facettes de la modernité, recèle de nombreux paradoxes : la mondialisation induit en effet des mécanismes de coopération accrue – phénomène amplifié par l’action des organismes internationaux à l’instar de l’Organisation mondiale du commerce… – tout en exacerbant la compétition, voire les comportements prédateurs (certains, pour réduire le paradoxe, évoquent alors une « coopétition »). De même, nous vivons dans des sociétés de l’innovation stratégique et de l’information, mais où la nécessité de protéger ces dernières, d’en préserver la confidentialité, n’a jamais été aussi vitale. Or nos entreprises, quelle que soit leur taille, subissent frontalement les conséquences de ces nouvelles règles et s’appliquent à réduire le plus efficacement possible les incertitudes et les atteintes à leur patrimoine matériel et immatériel.

De fait, dans ce contexte, l’un des défis qu’il leur revient d’affronter est celui de la protection de leur capital stratégique, des informations non brevetables mais indispensables à leur fonctionnement et à leur développement. Car la captation de telles informations, leur utilisation indue ou leur divulgation peut gravement compromettre la viabilité d’une entreprise. Il s’agit donc d’établir un cadre destiné à la fois à prévenir, dissuader et réprimer les atteintes qu’elles sont susceptibles de subir en ce domaine, dans le but de protéger nos positions concurrentielles, notre capacité d’innovation et, in fine, nos bassins d’emplois.

Le problème posé ne se résume pas à celui de la maîtrise des règles de sécurité, et en réponse à une internationalisation croissante, la règle de droit constitue un solide viatique, un précieux adjuvant du monde économique à la recherche d’un organe régulateur. Car si l’économie administrée a fait la preuve de son échec, la crise de 2008 nous a enseigné qu’une forme de régulation était indispensable pour les entreprises comme pour les sociétés humaines qui subissent le contrecoup de coupables errements financiers.

Certains pays l’ont parfaitement compris qui, à l’instar des États-Unis, ont fait de la norme (dans son acception la plus large) un véritable instrument concurrentiel. Afin de répondre aux besoins de confidentialité de la vie économique, ces derniers ont adopté en 1996 le Cohen Act, conformément aux préconisations de l’article 39 du traité ADPIC issu la convention de Marrakech de 1994 qui a institué l’OMC.

En France, la notion de « secret des affaires » n’a pas d’existence juridique stabilisée et de définition uniforme : elle est en premier lieu citée dans de nombreux textes tels que l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les articles L. 430-10 du code de commerce, L. 612-24 du code monétaire et financier ainsi que L. 5-6 du code des postes et télécommunications1. Elle est aussi régulièrement évoquée dans la jurisprudence du Tribunal de première instance de l’Union européenne ou de la Cour de cassation, mais également du Conseil d’État2. Cependant, ces références multiples à une notion non définie s’inscrivent dans une approche fractionnée, impropre à garantir une protection efficace du secret des affaires.

En outre, les dispositions législatives mobilisées de lege lata apparaissent tout aussi lacunaires pour faire sanctionner la violation du secret des affaires et ne sauraient remédier à une évidente carence. Nous citerons, sans prétendre à l’exhaustivité, les délits d’atteinte au secret professionnel (article 226-13 du code pénal), d’escroquerie (article 313-1), d’atteinte au secret des correspondances (article 226-15), de vol (article 311-1), d’abus de confiance (article 314-1), de recel (articles 321-1 et suivants), d’intrusion dans les systèmes informatisés de données (article 323-1) ou d’entrave au fonctionnement de ceux-ci (article 323-2), d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (articles 411-6 et suivants), de révélation par un directeur ou un salarié d’un secret de fabrique (articles L. 1227-1 du code du travail et L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle), de violation des droits de propriétaires de dessins et modèles (L. 521-1) ou des titulaires des brevets (L. 615-1 et suivants).

Car ces dispositions présentent des lacunes aisément exploitables par les contrevenants : la définition du vol ne prend guère en considération les biens immatériels, le délit d’intrusion dans un système informatisé de données n’est efficace qu’en cas d’intrusion avérée et ne punit pas la captation de ces données, celui de révélation d’un secret de fabrique ne concerne que les salariés de l’entreprise, le secret professionnel ne s’applique lui aussi qu’à un nombre restreint de personnes… et nombreux sont les dossiers judiciaires qui n’ont pu aboutir en raison d’un problème d’incrimination. Au surplus, l’importance du cadre jurisprudentiel ne crée pas les conditions d’une réelle sécurité juridique, d’une uniformité d’application et d’une prévisibilité de la loi. Pis, elle pose un problème d’accessibilité de la norme et induit une rupture d’égalité dans la mesure où tous les acteurs du monde économique n’ont pas les moyens de s’offrir la même qualité de conseil juridique, ce qui laisse place à des stratégies d’intelligence juridique asymétriques ayant pour but d’exploiter la faiblesse de certains. Enfin, les dispositions existantes laissent la voie civile dans une relative déshérence alors même qu’elle paraît plus adaptée à la vie des entreprises3. Elle se caractérise en effet par sa souplesse (le plaignant contrôle notamment le déclenchement et le suivi de la procédure), par l’adaptation des sanctions au préjudice subi par la victime et aux avantages indument retirés par l’auteur, ainsi que par la possibilité de procédures confidentielles là où les contentieux sont trop souvent détournés de leur finalité réelle et exploités à des fins déloyales. En ce domaine, il convient de garder en mémoire que l’espionnage peut être légal.

D’ailleurs, dans son avis du 31 mars 2011 sur un projet de loi relatif au secret des affaires, le Conseil d’État exhortait le Gouvernement à envisager l’adoption d’un cadre civil, à l’instar des préconisations formulées par Bernard Carayon dans un rapport de 2003 consacré à la question de l’Intelligence économique4. À ce sujet, on ne peut que déplorer que notre ancien Collègue, lorsqu’il présenta une proposition de loi sur ce sujet5, n’ait pas conservé la même optique et n’ait envisagé que la seule voie pénale6. Voté en première lecture à l’Assemblée nationale en janvier 2012, le texte comportait de trop nombreuses failles pour envisager la poursuite du processus législatif après les élections présidentielles et législatives. En effet, il ne visait que la révélation d’un secret des affaires, ce qui s’avérait pour le moins restrictif. De surcroît, il s’inspirait très largement du secret de la défense nationale et induisait par conséquent des lourdeurs et des rigidités qui n’auraient pas manqué de le disqualifier aux yeux des acteurs du monde économique et auraient défavorisé (notamment lors d’un contentieux) les PME-PMI ou ETI incapables de consacrer les moyens humains, financiers et techniques nécessaires pour assurer une classification telle que prévue. Le dispositif envisagé posait également des difficultés en matière de liberté syndicale et de liberté de la presse. Enfin, en proposant d’abroger la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968, il dépossédait les entreprises d’un outil précieux pour faire obstacle à certaines procédures internationales déloyales (cf. infra).

Prenant en compte l’ensemble de ces considérations, mais également l’existence d’une proposition de directive européenne qui, ayant vu le jour en septembre 20137, incite les États membres à mettre en place des dispositions civiles inspirées du traité ADPIC, la présente proposition de loi envisage un dispositif qui associe approche civile et pénale afin de remédier à une carence préjudiciable. Il s’agit aussi de devancer et d’amplifier la transposition de la future directive, dont le calendrier paraît pour le moins heurté. Ce travail d’anticipation permet de ne pas légiférer sans avoir mené, au préalable, une nécessaire réflexion.

La présente proposition de loi se décline en six articles ; le premier d’entre eux a pour objectif de créer, au sein du livre premier du code de commerce, un titre V intitulé « Du secret des affaires » et composé de neuf articles (L. 151-1 à L. 151-9). Pareil positionnement dans le code de commerce souligne le fait que le secret des affaires relève de l’activité commerciale générale et que les actifs immatériels constituent un élément du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle, justifiant que leur protection figure à la suite des dispositions relatives au fonds de commerce. D’une manière générale, il ne s’agit pas de consacrer une appropriation de l’information mais bien de protéger un secret légitimement gardé autour d’informations économiques.

Le titre V ainsi créé par l’article 1er de la proposition de loi se compose de deux chapitres, le premier étant consacré à la définition du secret des affaires et aux éléments d’une protection civile. Il convient de souligner que le principal avantage d’une telle définition générale (qui sera commune au droit civil et pénal) est celui de la sécurité juridique. Si elle n’exclut pas l’interprétation, elle l’encadre, ce qui garantit une uniformité et une accessibilité de la norme ainsi qu’une prévisibilité de l’application du texte grâce à l’introduction de critères objectifs. Elle est facteur de cohérence, élément cardinal que la sédimentation jurisprudentielle ne pouvait assurer et qui s’avère d’autant plus important que la proposition comporte des dispositions pénales, commerciales et de procédure civile.

Dans cette optique, l’article L. 151-1 introduit par l’article 1er de la proposition de loi définit le champ de la protection d’un secret des affaires, laissant le soin aux articles suivants de définir les comportements illicites. En effet, il convient de prendre en considération qu’un secret des affaires a une existence propre, indépendamment de sa violation, du fait de son rôle dans le capital stratégique d’une entreprise. Au demeurant, il est une réalité tangible et légitime dont le champ d’application est défini par l’article L. 151-1 afin d’éviter que l’ensemble des activités économiques ne revête un caractère abusivement secret, en contradiction flagrante avec les règles qui régissent nos sociétés démocratiques. Le but poursuivi consiste donc à conforter les éléments qui ont une vraie valeur justifiée par leur utilité économique.

Trois critères cumulatifs sont par conséquent posés, en cohérence avec l’accord ADPIC, la proposition de directive mais également la jurisprudence européenne :

1) Selon les critères juridiques européens, est secrète toute information non publique en elle-même ou en ce qu’elle procède d’une conjonction d’éléments publics qui, assemblés, revêtent un caractère inédit que l’on souhaite protéger (analyse, traitement des sources ouvertes, stratégie entrepreneuriale…). La proposition de loi n’institue pas un secret absolu, mais un secret qui caractérise la plus-value de l’entreprise, son savoir-faire, son talent. En outre, il n’est pas envisagé de créer un nouveau droit de propriété intellectuelle, ce secret ne correspondant d’ailleurs pas aux conditions de protection d’un droit intellectuel (brevets, dessins et modèles, droit d’auteur…). Au contraire, il s’agit de combler une faille car l’absence de protection juridique jusqu’alors constatée n’impliquait pas pour autant que l’information fût dépourvue de valeur économique. Le texte proposé remédie à ce dilemme.

2) La valeur économique de l’information procède de son caractère secret et, par voie de conséquence, de l’avantage concurrentiel qu’elle peut procurer. À titre d’exemple, la fragrance d’un parfum ou l’assemblage d’un champagne implique des éléments connus de tous mais dont l’assemblage tenu secret explique le succès du produit.

 3) Enfin, il n’existe guère de secret sans protection du secret. Dès lors, il convient de mettre en place des mesures de protection dites raisonnables, c’est-à-dire d’un niveau adapté au type de secret concerné. À cette notion de proportionnalité s’ajoute une idée de contexte (les caractéristiques du support de l’information, la législation du travail qui induit des obligations de consultation, d’information préalable…), car il ne s’agit en aucune manière d’opposer le secret des affaires à la liberté d’expression des salariés, à la liberté syndicale… Dans cet esprit, la précision « indépendamment de son incorporation » a notamment pour objet de résoudre la difficulté que suscite l’application du délit de vol aux informations dépourvues de tout support et vise donc à éviter que l’application du texte ne se trouve suspendue à la présence d’un support matériel.

Sans conteste possible, un indispensable effort de pédagogie devra être réalisé afin d’aider les entreprises à déterminer le niveau de protection adéquat. Pareil effort nécessitera bien évidemment l’intervention des organisations professionnelles (MEDEF, CGPEM, AFEP, CDSE…), mais également des pouvoirs publics au travers de la Délégation interministérielle à l’intelligence économique, de la Direction générale de la sécurité intérieure, de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, de la Gendarmerie nationale, du Service central de renseignement territorial, mais aussi de l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice (et de son département de sécurité économique déjà très impliqué), des chambres de commerce et d’industrie. Il conviendra en sus de développer la culture économique des magistrats comme s’y emploie l’École nationale de la magistrature depuis plusieurs années. Car, in fine, c’est au juge qu’il appartiendra, dans une phase contentieuse, d’apprécier la classification opérée, les protections adoptées… Les entreprises ne bénéficieront donc pas d’un blanc-seing dont elles pourraient profiter pour se soustraire à leurs obligations ou se protéger indûment.

Conséquence de la définition introduite à l’article précédent, les deux premiers alinéas de l’article L. 151-2 posent comme principe général l’interdiction de violer le secret des affaires tandis que le troisième qualifie de faute au sens de la responsabilité civile l’atteinte à ce secret. Par ce biais, une victime peut obtenir réparation dès lors que l’atteinte est établie et qu’un dommage en découle. Cet alinéa dispense de tout élément supplémentaire pour définir la faute, la violation se suffit à elle-même.

L’article L. 151-3 définit les mesures provisoires (avant un jugement au fond) ou conservatoires permettant de réagir immédiatement en cas de violation ou de risque de violation. Il répond ainsi aux impératifs de la vie économique et à la fragilité d’un secret des affaires qui nécessite une action rapide pour le préserver ou limiter l’atteinte dont il fait l’objet. Ces considérations justifient le recours à la procédure du référé et/ou sur requête non contradictoire en cas d’éléments de preuve suffisants (cf. le troisième alinéa). Les alinéas suivants exposent les principales mesures à la disposition du juge sans toutefois revêtir un caractère limitatif, les magistrats ayant la faculté de prononcer toute mesure alternative. Il s’agit ici de mesures classiques mais adaptées à la particularité de la protection du secret des affaires.

L’article 1er de la proposition de loi crée aussi un article L. 151-4 du code de commerce. Cet article procède à la définition des pouvoirs du juge qui statue au fond et constate une violation ou un risque de violation. Le premier alinéa indique qu’il peut recourir à toute mesure jugée nécessaire en tenant compte d’un critère de proportionnalité (la mesure en question ne doit pas porter une atteinte démesurée aux intérêts de la personne condamnée, à ceux de tiers ou à l’intérêt général compte tenu du préjudice subi par la victime et de la gravité du comportement de l’auteur de la violation du secret des affaires). Par la suite, les autres alinéas exposent les principaux leviers à la disposition des juges sans toutefois revêtir un caractère limitatif, les tribunaux étant libres de prononcer toute mesure alternative. À nouveau, il s’agit ici de mesures classiques mais adaptées à la particularité de la protection du secret des affaires.

Il importe de signaler que les formulations retenues concernent tant les biens que les services, afin de couvrir les différentes composantes de la vie économique moderne et le développement croissant d’une économie de service.

De surcroît, la variété des mesures envisagées induit un effet fortement dissuasif (retrait des circuits commerciaux, saisie de tout objet…) et vise à effacer toute trace de la violation du secret des affaires afin de rendre inopérante une stratégie prédatrice fondée sur la réalisation d’un calcul coût/avantage.

Alors que les précédentes mesures visaient à faire cesser ou à prévenir une atteinte, l’article L. 151-5 s’attache à la victime et à la réparation des conséquences dommageables découlant de la violation du secret des affaires. La première disposition envisagée consiste à attribuer des dommages et intérêts pour, d’une part, compenser les effets négatifs du préjudice subi et, d’autre part, empêcher un enrichissement sans cause de l’auteur du dommage, renforçant là encore le caractère dissuasif afin de décourager toute stratégie opportuniste.

L’article L. 151-6 permet d’appliquer les mesures législatives envisagées à l’ensemble des violations se déroulant en France et invalide tout débat quant à la législation nationale concernée en cas de contentieux. Il empêche par ailleurs, à titre d’exemple, d’opter contractuellement pour une loi étrangère ne sanctionnant pas ces atteintes, dissuadant de ce fait des stratégies d’intelligence juridique hostiles.

L’article L. 151-7 envisage le régime probatoire lors de contentieux. En effet, il était nécessaire de prendre en compte les risques induits par une procédure classique qui permet d’obtenir légalement nombre de secrets des affaires et peut, par voie de conséquence, être détournée de son objectif premier. Dès lors, s’inspirant des règles en vigueur devant l’Autorité de la concurrence, le Tribunal de commerce de Paris, voire même le Tribunal de première instance de l’Union européenne à Luxembourg (test HILTI) ou de l’article 8 de la proposition de directive précitée, ont été prévues des règles protectrices du secret des affaires dans le cadre d’un procès. À cette fin, une accroche législative a été insérée à cet article afin de garantir le respect des droits de la défense et d’aménager modérément le principe du contradictoire sans pour autant créer une justice d’exception. L’article 2 de la présente proposition de loi, en modifiant l’article 11-1 du titre III bis de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 complète les dispositions envisagées par l’article L. 151-7 précité. Enfin, un éventuel complément réglementaire pourrait s’inscrire dans la partie dédiée du code de commerce.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit également de créer un chapitre II au sein de ce titre V afin de bénéficier de dispositions pénales en cas de violation du secret des affaires. Ces dispositions s’articulent avec la définition générale de la protection au titre du secret des affaires dont elles constituent le prolongement pénal. Elles sont conformes aux exigences qui découlent du principe de légalité des délits et des peines. L’article L. 151-8 prévoit donc un quantum de peine de prison et d’amende dissuasif ainsi qu’une circonstance aggravante lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France. L’objectif est de lutter contre toute forme d’espionnage économique. Au surplus, la proposition de loi introduit des peines complémentaires afin de ne pas restreindre la voie pénale à une dimension symbolique et de la doter d’une effectivité réelle, adaptée aux exigences de la vie économique.

Enfin, l’article L. 151-9 prévoit que le secret des affaires n’est pas opposable :

1) dans les cas prévus par la loi : cette mention renvoie notamment à la liberté syndicale et reste philosophiquement proche de l’actuel article L. 2325-5 du code du travail. À ce titre, tout employeur qui abuserait de la demande de confidentialité adressée aux membres du comité d’entreprise et aux représentants syndicaux pourrait être poursuivi pour délit d’entrave ;

2) à toute personne dénonçant une infraction, à l’image des journalistes ou des lanceurs d’alerte. Avec ces nouvelles dispositions législatives, la dénonciation de violation de la loi demeurerait possible et rien ne s’opposerait au dévoilement d’un scandale tel que celui du Mediator, les médias ne risqueraient aucune condamnation. Comme l’a parfaitement établi la Cour européenne des droits de l’Homme, la presse joue un rôle fondamental dans notre vie démocratique, ce texte n’y changera rien ;

3) aux autorités juridictionnelles et administratives françaises d’une part, et étrangères d’autre part, dans le respect – pour ces dernières – de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 dont l’article 3 de la présente proposition de loi invite à relever le quantum des peines d’amende et de prison frappées d’obsolescence. En effet, cette disposition législative, renforcée en 1980, s’avère capitale pour faire obstacle à certaines procédures internationales (notamment le discovery états-unien) qui ont pour conséquence (et parfois pour but) de collecter des informations stratégiques dans le cadre d’un contentieux8. Ce faisant, la France s’appuie sur des dispositions législatives parmi les moins contraignantes du monde (si on les compare avec celles en vigueur au Canada ou au Royaume-Uni) mais qui permettent toutefois de faire obstacle à des stratégies judiciaires malignes. L’article 4 vise d’ailleurs à tempérer une exception introduite à l’application de la loi de 1968 en conditionnant pareille dérogation au respect du droit communautaire et international. Par ce biais, les entreprises pourront notamment invoquer l’article 47 de la Directive 2006/43/EC ou la Convention de La Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970 afin de mettre en échec des demandes manifestement abusives concernant des informations stratégiques.

L’article 5 de la proposition de loi introduit la notion de « secret des affaires » dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la plaçant à un niveau équivalent à celle de « secret professionnel » déjà présente. Cet ajout complète l’article L. 151-9 et sécurise la capacité des journalistes à révéler des infractions commises par une entreprise, comme indiqué précédemment.

Enfin, l’article 6 de la proposition de loi ouvre la possibilité d’un procès à huis clos en introduisant au sein de l’article 400 du code de procédure pénale la mention du secret des affaires comme condition pour réclamer cette configuration. Répondant au même objectif que celui énoncé précédemment pour les procédures civiles, il ne s’agit pas ici de porter atteinte au principe du contradictoire mais uniquement, lorsque les circonstances l’exigent, de limiter la publicité des débats afin de ne pas aggraver les conséquences de la violation d’un secret des affaires. La liberté d’entreprendre ou l’ordre public économique peuvent constitutionnellement justifier cette mesure.

En définitive, la présente proposition de loi, s’inspirant de dispositifs en vigueur dans de nombreux pays, entend doter les entreprises françaises des leviers leur permettant de faire face aux nouvelles modalités de la vie économique dans laquelle la norme juridique s’est muée en instrument concurrentiel, voire en outil de prédation. Sans créer un régime dérogatoire au droit commun, elle unifie des pratiques, rend accessible et prévisible l’application de la loi tout en préservant les libertés individuelles. Elle laisse au juge le soin d’arbitrer d’éventuelles divergences dans des conditions respectueuses des différentes parties. Car la démocratie, si elle repose sur un principe de transparence, doit également ménager des conditions raisonnables de protection du secret.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le livre premier du code de commerce est complété par un titre V ainsi rédigé :


« TITRE V


« DU SECRET DES AFFAIRES


« Chapitre 1er


« 
De la définition et des mesures civiles de protection
du secret des affaires

« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires, indépendamment de son incorporation à un support, toute information :

« 1° Qui ne présente pas un caractère public en ce qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information ;

« 2° Qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ;

« 3° Qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public.

« Art. L. 151-2. – Nul ne peut obtenir une information protégée au titre du secret des affaires en violation des mesures de protection prises pour en conserver le caractère non public, ni utiliser ou communiquer l’information ainsi obtenue.

« Nul ne peut non plus utiliser ni communiquer une information protégée au titre du secret des affaires, sans le consentement de son détenteur duquel il l’a obtenue, de façon licite, directement ou indirectement.

« Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux deux alinéas précédents engage la responsabilité civile de son auteur.

« Art. L. 151-3. – Le tribunal peut ordonner en référé toute mesure de nature à prévenir ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires.

« Le tribunal peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice difficilement réparable au demandeur.

« Le tribunal ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable l’atteinte à un secret des affaires ou le risque d’une telle atteinte.

« Le tribunal peut interdire la réalisation ou la poursuite des actes dont il est prétendu qu’ils portent atteinte ou risquent de porter atteinte à un secret des affaires, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers de tout produit ou support soupçonné de permettre l’atteinte au secret des affaires ou d’en résulter.

« Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, le tribunal peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu auteur de l’atteinte, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l’objet de la saisie, il peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l’accès aux informations pertinentes.

« Il peut également accorder au demandeur une provision lorsque l’existence de son préjudice n’est pas sérieusement contestable.

« Le tribunal peut subordonner l’exécution des mesures qu’il ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action pour atteinte au secret des affaires est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées.

« Lorsque les mesures prises pour prévenir ou faire cesser une atteinte à un secret des affaires sont ordonnées avant l’engagement d’une action au fond, le demandeur doit agir, par la voie civile ou pénale, y compris en déposant une plainte auprès du procureur de la République, dans les trente jours qui suivent la signification de l’ordonnance. À défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés.

« Art. L. 151-4. – Le tribunal qui constate une atteinte ou un risque d’atteinte à un secret des affaires peut, à la demande de la partie lésée et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée telle que saisie, injonction et autre, propre à empêcher ou faire cesser cette atteinte.

« Il peut faire interdiction à toute personne de prendre connaissance ou de faire une quelconque utilisation ou communication de l’information concernée, et prohiber tout acte subséquent, tel que la commercialisation de marchandises ou de services élaborés au moyen du secret des affaires concerné.

« Le tribunal peut ordonner la saisie de tout support tel que document ou fichier contenant l’information concernée, des fruits de l’atteinte au secret des affaires ainsi que de tout matériel instrument ou objet quelconque s’y rapportant, et permettant son utilisation. Il peut ordonner que les produits de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés ou écartés définitivement des circuits commerciaux.

« Il décide soit de leur attribution à la personne lésée à titre de réparation, soit de leur destruction même partielle. Ces mesures sont ordonnées au frais de l’auteur de l’atteinte.

« Art. L. 151-5. – À titre de réparation, le tribunal peut prononcer les mesures suivantes :

« I. – Il peut accorder à la victime de l’atteinte des dommages et intérêts.

« Ceux-ci compensent les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner et la perte, subies par la personne lésée du fait de l’atteinte, ainsi que le préjudice moral qui lui a été causé par celle-ci.

« Lorsque l’auteur de l’atteinte avait connaissance du secret des affaires ou qu’il ne pouvait raisonnablement en ignorer l’existence, et qu’il a réalisé, du fait de cette atteinte, des économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels ou retiré des bénéfices, y compris des avantages concurrentiels, commerciaux ou financiers, qui excèdent le montant des dommages et intérêts évalués en application du premier alinéa, le tribunal détermine les dommages et intérêts en considération de ces économies ou bénéfices, dans la limite de leur montant total.

« II. – Il peut attribuer à la victime de l’atteinte les produits saisis en application de l’article L. 151-4. La valeur des produits ainsi attribués vient en déduction des dommages et intérêts accordés en application du I.

« III. – Il peut ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les supports de communication qu’il désigne, selon les modalités qu’il précise. Ces mesures sont ordonnées au frais de l’auteur de l’atteinte.

« Art. L. 151-6. – Les dispositions des articles précédents s’appliquent, quelle que soit la loi régissant les rapports entre les parties, dès lors que l’obtention, l’utilisation ou la révélation du secret des affaires a eu lieu ou risque de se produire en France.

« Art. L. 151-7. – Lorsque la production d’une pièce est de nature à porter atteinte au secret des affaires, le tribunal peut refuser sa production ou l’autoriser dans une version non confidentielle ou sous forme d’un résumé non confidentiel sauf si la production intégrale de cette pièce est nécessaire à l’exercice du droit à un procès équitable.

« Il peut également, dans la même hypothèse et sous les mêmes réserves, prévoir que cette pièce ne sera pas communiquée aux parties mais seulement mise à leur disposition pour consultation sur place et sans reproduction.


« Chapitre 2


« Des mesures pénales de protection du secret des affaires

« Art. L. 151-8. – I. – Le fait pour quiconque de prendre connaissance ou de révéler sans autorisation, ou de détourner toute information protégée au titre du secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 du code de commerce, est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

« II. – La peine est portée à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France.

« III. – La tentative de ce délit est punie des mêmes peines.

« IV. – Les personnes physiques coupables de l’infraction prévue au présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :

« 1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal ;

« 2° L’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27 du code pénal, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement ;

« 3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l’article 131-21 du code pénal, de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, à l’exception des objets susceptibles de restitution.

« V. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction définie au I encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues à l’article 131-39 du même code. L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 du code pénal porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

« Art. L. 151 9. – L’article L. 151-8 n’est pas applicable :

« 1° Dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ;

« 2° À celui qui informe ou signale aux autorités compétentes des faits susceptibles de constituer des infractions aux lois et règlements en vigueur dont il a eu connaissance ;

« 3° Sous réserve des dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968, aux autorités juridictionnelles ou administratives compétentes dans l’exercice de leur mission de contrôle, de surveillance ou de sanction.

Article 2

À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 11-1 du titre III bis de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile, après le mot : « atteinte », sont insérés les mots : « au secret des affaires ou ».

Article 3

Après le mot : « punie », la fin de l’article 3 de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères est ainsi rédigée : « de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. »

Article 4

Le début de l’article L. 821-5-3 du code de commerce est ainsi rédigé :

« Sous réserve du droit communautaire, des traités ou accords internationaux, et aux fins… (le reste sans changement). »

Article 5

Au dernier alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après le mot : « professionnel », sont insérés les mots : « ou du secret des affaires tel que défini à l’article L. 151-1 du code de commerce ».

Article 6

Au deuxième alinéa de l’article 400 du code de procédure pénale, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « le secret des affaires d’une personne physique ou morale tel que défini par l’article L. 151-1 du code de commerce ».

1  On pourrait au surplus citer la notion de secret industriel et commercial évoquée dans la loi du 17 juillet 1978 instituant la commission d’accès aux documents administratifs. Les travaux de cette dernière ont d’ailleurs contribué à quelque peu clarifier la notion (sur ce point, se rapporter au Rapport public du Conseil d’État 1995, La transparence et le secret, Paris, La Documentation française, 1996, p. 104).

2  Voir par exemple Union nationale des services publics industriels et commerciaux et autres, Assemblée, 5 mars 2003, A, M. Denoix de Saint Marc, pdt., M. Chantepy, rapp. ; M. Piveteau, c. du g., 233372 ; ou encore Conseil d’État, 9 mai 2001, n° 231320, Société Chef France SA.

3  Sans pour autant disqualifier la voie pénale qui conserve un rôle important ; la force d’un dispositif procède ici de la complémentarité des approches.

4  Proposition n° 18 in Bernard Carayon, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, Paris, La Documentation française, 2003, p. 47.

5  Bernard Carayon, proposition de loi n° 3985 visant à sanctionner la violation du secret des affaires, 22 novembre 2011.

6  À la suite de la publication du rapport Carayon en 2003, le Haut responsable à l’Intelligence économique, Alain Juillet, demanda en 2006 à Claude Mathon, avocat général à la Cour de cassation, de rédiger un rapport sur le secret des affaires. Le haut magistrat constitua un groupe de travail composé de Jean-Benoît Busnel, Corinne Champagner-Katz, Didier Julienne et Pierre Lodde, groupe qui produisit un rapport remis le 17 avril 2009. Le Gouvernement Fillon réfléchit en conséquence à un projet de loi transmis pour avis au Conseil d’État au début de l’année 2011. Par la suite, le texte fut repris par Bernard Carayon qui déposa la proposition de loi précitée.

7  Sur ce point, on consultera avec profit l’article de Jean Lapousterle, « Les secrets d’affaires à l’épreuve de l’harmonisation européenne », Recueil Dalloz, 2014, p. 682 et sq.

8  Sur ce point, se reporter à l’article de Noëlle Lenoir, « Le droit de la preuve à l’heure de l’extraterritorialité », RFDA, à paraître.


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