N° 2166 - Proposition de loi de Mme Laurence Abeille visant à interdire le chalutage en eaux profondes



N° 2166

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire le chalutage en eaux profondes,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Barbara POMPILI, Jean-Louis ROUMEGAS, François de RUGY et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La pêche en eaux profondes fait l’objet de débats intenses depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale ont organisé conjointement, le 26 novembre 2013, une table-ronde sur ce sujet qui a permis de confronter les différentes approches sur cette problématique.

Un impact important sur la biodiversité

La pêche en eaux profondes se déroule entre 400 et 1 800 mètres de profondeur. La pêche dans ce type de milieu nécessite une gestion particulière, puisqu’elle impacte des écosystèmes très fragiles. Les eaux profondes abritent en effet des espèces dont les caractéristiques biologiques les rendent particulièrement vulnérables à la surpêche : croissance
lente – certains poissons peuvent vivre 100 ans, reproduction très fragile avec une maturité sexuelle tardive et un faible taux de fécondité. Ces eaux abritent également de très nombreuses espèces de coraux très vulnérables.

Plusieurs dizaines de publications scientifiques internationales démontrent les impacts de la pêche en eaux profondes, notamment du chalutage, sur la biodiversité. Ces publications alertent notamment sur la faible résilience des stocks de poissons d’eau profonde. Surtout, l’absence de cartographie fine des zones sous-marines oblige les pêcheurs à travailler sans références. Ainsi les stocks pour de nombreuses espèces n’ont jamais été évalués.

Le 2 juillet dernier, l’IFREMER a rendu publiques les données qu’elle possède sur l’impact de la pêche en eaux profondes sur la biodiversité. Ces données objectives et officielles, analysées par plusieurs ONG de défense de l’environnement1, montrent que les prises accessoires sont massives et concernent des espèces menacées d’extinction. Dans la zone de pêche de l’Atlantique Nord-Est, les chalutiers européens capturent entre 20 et 50 % de prises accessoires, composé d’une centaine d’espèces non ciblées. Par exemple, en 2012, les requins évoluant en eaux profondes ont ainsi représenté 6 % des captures totales des chalutiers français pêchant en eaux profondes et plus de 30 % des rejets totaux ; 232 770 kilos de requins évoluant en eaux profondes, interdits de capture et de débarquement et pour la plupart menacés d’extinction, ont ainsi été rejeté morts dans l’océan puisque considérés comme prises accessoires.

Les ONG donnent l’exemple du squale chagrin de l’Atlantique, espèce en danger d’extinction dans l’Atlantique Nord-Est, qui figure parmi les 10 espèces les plus capturées par les chalutiers en volume et qui est la troisième espèce la plus rejetées parmi les prises accessoires des chalutiers.

Une activité économique mineure

En France, 37 permis ont été attribués pour pratiquer ce type de pêche. Les captures d’espèces profondes représentent environ 1,5 % de l’ensemble des captures de pêche de l’Union européenne.

Le New Economics Foundation (NEF), institut de recherche britannique, a publié en 2013 une étude sur la rentabilité de ce type de pêche. En tenant compte des émissions de gaz à effet de serre, plus importantes pour ce type de pêche, du coût des prises accessoires et des subventions, notamment européennes, l’étude conclut à la non-rentabilité économique du chalutage en eaux profondes. La somme des coûts environnementaux et énergétiques du chalutage profond se situe entre 389 à 494 euros par tonne de poisson pêché.

Les données rendues publiques par l’IFREMER le 2 juillet dernier montrent que « le nombre de navires ayant une activité au chalutage de fond en eaux profondes est faible ». En 2012, seuls 12 chalutiers français pêchaient plus de 10 % de leur temps par plus de 600 mètres de fond et seulement 10 pêchaient par plus de 800 mètres de profondeur plus de 10 % de leur temps.

Aucun navire n’avait passé plus de 60 % de son temps de pêche au-delà de 800 mètres de profondeur.

L’activité économique est donc très limitée, et bien loin des 400 navires évoqués par le Comité national des pêches maritimes en novembre 2013.

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Ainsi, le chalutage en eaux profondes étant un secteur très faible sur le plan économique et ayant un impact très fort sur la biodiversité et sur la survie d’espèces menacées d’extinction, cette proposition de loi vise à l’interdire.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article L. 945-4 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 23° De pratiquer le chalutage en eaux profondes. Un décret en Conseil d’État définira les conditions d’application du présent alinéa. »

1  Bloom, Deepsea conservation coalition, Fondation Goodplanet, Greenpeace, Les amis de la Terre, Oceana, WWF.


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