N° 2246 - Proposition de loi organique de M. Guillaume Larrivé précisant la procédure de destitution du Président de la République en application de l'article 68 de la Constitution



N° 2246

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2014.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

portant application de l’article 68 de la Constitution,
précisant la procédure de destitution
du Président de la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Guillaume LARRIVÉ, Damien ABAD, Étienne BLANC, Jean-Claude BOUCHET, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Dino CINIERI, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Pierre DOOR, Georges FENECH, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Annie GENEVARD, Guy GEOFFROY, Jean-Claude GUIBAL, Patrick HETZEL, Denis JACQUAT, Marc LE FUR, Patrick BALKANY, Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Patrice MARTIN-LALANDE, Alain MARTY, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, François SAUVADET, Claudine SCHMID, Thierry SOLÈRE, Lionel TARDY et Jean-Marie TÉTART,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Président de la République peut choisir de renoncer lui-même à l’exercice de ses fonctions.

Même si aucune disposition constitutionnelle ne le prévoit expressément, le chef de l’État est toujours libre de sa démission, notamment s’il estime qu’il n’a plus la confiance des Français.

Tel fut le cas à sept reprises : le général de Gaulle démissionna en 1969, comme le firent avant lui les présidents Adolphe Thiers en 1873, Patrice de Mac–Mahon en 1879, Jules Grévy en 1887, Jean Casimir–Perier en 1895, Paul Deschanel en 1920 et Alexandre Millerand en 1924.

À cette faculté implicite de démission s’ajoute, au sein de l’actuelle Constitution de notre République, une possibilité explicite de destitution.

La Constitution prévoit, en effet, que le Président de la République peut être destitué par le Parlement, constitué en Haute Cour, en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

C’est ce que dispose l’article 68 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007, inspirée par les travaux de la commission présidée par Pierre Avril, réunie à la demande du président de la République Jacques Chirac.

La procédure de destitution y est définie dans son principe.

La cause de la destitution du chef de l’État est très circonscrite : il ne s’agit pas d’une procédure de censure parlementaire qui appliquerait au Président de la République, ce que l’article 49 de la Constitution réserve au seul Gouvernement.

Mais la nature de la destitution n’est pas juridictionnelle.

Elle est, pleinement, politique : il s’agit, pour le Parlement réuni en Haute Cour, de sauvegarder la République en protégeant la fonction du Président de la République contre le titulaire de cette charge lorsque celui-ci – sans être pour autant coupable de la « haute trahison » retenue par la rédaction antérieure de la Constitution – manquerait à ses devoirs d’une manière manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

La Constitution prévoit, ainsi, qu’il revient à l’Assemblée nationale ou au Sénat d’engager la procédure de destitution, en proposant de réunir le Parlement en Haute Cour. Cette proposition est aussitôt transmise à l’autre assemblée, qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Toutes les décisions prises en application de l’article 68 le sont à la majorité des deux tiers des membres de l’assemblée ou de la Haute Cour, sans possibilité de délégation de vote. Seuls les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou de la destitution sont recensés.

Ainsi définie par la Constitution, la procédure de destitution ne peut être aujourd’hui mise en œuvre.

Depuis plus de sept ans, faute de loi organique fixant ses conditions d’application, l’article 68 de la Constitution est resté lettre morte.

Cette carence n’est pas acceptable.

En n’adoptant pas la loi organique nécessaire à l’éventuelle application de l’article 68 de la Constitution, le Parlement méconnaît ses pouvoirs puisqu’il renonce à sa mission constitutionnelle de destitution d’un Président de la République manquant à ses devoirs et manifestement inapte à exercer ses fonctions.

C’est l’objet de la présente proposition de loi organique que de mettre fin à cette lacune.

Plusieurs initiatives, jusqu’alors, n’ont pu aboutir.

Sous la treizième législature, les sénateurs François Patriat, Robert Badinter et Jean-Pierre Sueur, ainsi que plusieurs de leurs collègues, ont présenté, le 28 octobre 2009, une proposition de loi organique qui n’a pas été adoptée par la commission des lois du Sénat.

À la demande du président Nicolas Sarkozy, Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté un projet de loi organique n°3071, enregistré le 22 décembre 2010 à la présidence de l’Assemblée nationale et adopté, par scrutin public, le 24 janvier 2012. Mais ce projet de loi organique n’a jamais été adopté par le Sénat.

À six reprises (1), l’auteur de la présente proposition de loi a interrogé Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, afin que celle-ci indique à la représentation nationale si le Gouvernement entendait saisir le Parlement d’un projet de loi organique pour l’application de l’actuel article 68 de la Constitution. La réponse apportée par la garde des sceaux (2) semble indiquer que le Gouvernement n’entend pas saisir le Parlement d’un tel projet de loi organique.

Aussi la nécessaire application de la Constitution rend-elle impératif que, dans le silence du Gouvernement comme de l’actuelle majorité parlementaire, l’opposition prenne l’initiative de la présente proposition de loi organique.

L’article 1er énonce le principe de la motivation de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour. Il précise qu’elle doit être signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée, qu’elle ne peut être amendée, qu’elle ne peut faire l’objet que d’une seule lecture dans chaque assemblée et que son rejet par une assemblée met un terme à la procédure.

L’article 2 dispose que la proposition de résolution, reçue par le Bureau de l’assemblée devant laquelle elle a été déposée, est transmise sans délai à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Celle-ci procède d’abord à un examen de recevabilité, au regard des conditions définies à l’article 1er, afin d’écarter une éventuelle proposition dépourvue de tout caractère sérieux, qui ne constituerait en rien un manquement aux devoirs du Président de la République au sens de l’article 68 de la Constitution. Si la proposition est recevable, elle est débattue par la commission, sur le fond. Il appartient à la commission de conclure à l’adoption ou au rejet de la proposition. En tout état de cause, la proposition est alors inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée, dans un délai permettant qu’un vote intervienne, au plus tard, dans les quinze jours suivant les conclusions de la commission.

L’article 3 organise un examen diligent de la proposition de résolution par l’autre assemblée, sans filtre de recevabilité. La proposition adoptée par une assemblée est, en effet, immédiatement transmise à l’autre assemblée. L’examen par la commission des lois, la discussion en séance publique et le vote interviennent dans les quinze jours suivant cette transmission.

L’article 4 dispose que la proposition de résolution, lorsqu’elle est adoptée par les deux assemblées, est aussitôt transmise au Bureau de la Haute Cour, lequel se compose de vingt-deux membres choisis, en nombre égal, parmi les membres des bureaux des deux assemblées, en s’efforçant de reproduire leur configuration politique.

L’article 5 crée une commission ad hoc de 12 membres, constituée en nombre égal de vice-présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, chargée de présenter, dans les quinze jours, un rapport public sur la proposition de destitution du Président de la République. La commission dispose des mêmes pouvoirs que ceux reconnus aux commissions d’enquête. Sur sa demande, le Président de la République peut être entendu par la commission ou s’y faire représenter ; le constituant n’ayant pas souhaité que l’exercice de ses fonctions soit suspendu en cas de réunion de la Haute Cour, il serait inopportun que le Président de la République soit tenu d’être auditionné par la commission du seul fait que celle-ci en émet le souhait.

L’article 6 précise les conditions des débats de la Haute Cour, qui sont publics. Seuls peuvent y prendre part, outre les députés et les sénateurs, le Président de la République et le Premier ministre. Il est loisible au Président de la République de prendre ou reprendre la parole en dernier. Afin de garantir la diligence des débats, il est prévu que le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture des débats et doit s’achever au plus tard soixante heures après l’ouverture des débats. Conformément à ce qu’a souhaité le constituant, la Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois suivant sa réunion.

L’article 7 abroge l’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1er

La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution par les deux assemblées du Parlement, dans les conditions fixées par l’article 68 de la Constitution.

La proposition de résolution justifie des motifs susceptibles de constituer un manquement au sens du premier alinéa de l’article 68 de la Constitution.

Elle est signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée.

Elle est communiquée sans délai par le Président de cette assemblée au Président de la République et au Premier ministre.

Aucun amendement n’est recevable à aucun stade de son examen dans l’une ou l’autre assemblée.

L’examen de la proposition de résolution ne peut faire l’objet de plus d’une lecture dans chaque assemblée.

Le rejet de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées met un terme à la procédure.

Article 2

Le Bureau de l’assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée la transmet, sans délai, à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles.

La commission examine la recevabilité de la proposition de résolution au regard des conditions posées à l’article 1er.

Si la commission constate que ces conditions ne sont pas réunies, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion.

Si les conditions de recevabilité sont réunies, la proposition de résolution est examinée par la commission, qui conclut à son adoption ou à son rejet. Sans préjudice des dispositions de l’article 48 de la Constitution, la proposition de résolution est alors inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission. Le vote intervient au plus tard le quinzième jour.

Lorsque la clôture de la session du Parlement fait obstacle à l’application des deux dernières phrases de l’avant-dernier alinéa, l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.

Article 3

La proposition de résolution adoptée par une assemblée est immédiatement transmise à l’autre assemblée. Elle est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles, qui conclut à son adoption ou à son rejet.

La proposition de résolution est inscrite de droit à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant sa transmission. Le vote intervient de droit au plus tard le quinzième jour.

Lorsque la clôture de la session du Parlement fait obstacle à l’application du deuxième alinéa, l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.

Article 4

Lorsqu’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le Bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt.

Le Bureau de la Haute Cour est composé de vingt-deux membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le Bureau de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat, en tenant compte de la configuration politique de chaque assemblée.

Il est présidé par le Président de la Haute Cour.

Le Bureau prend les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour.

Article 5

Une commission constituée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat est chargée de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. La composition de la commission tient compte de la configuration politique de chaque assemblée.

La commission dispose des prérogatives reconnues aux commissions d’enquête aux II à IV de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dans les mêmes limites que celles fixées au deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution.

Sur sa demande, le Président de la République ou son représentant est entendu par la commission. Il peut se faire assister par toute personne de son choix.

La commission élabore, dans les quinze jours suivant la réunion du Bureau de la Haute Cour mentionnée à l’article 4, un rapport distribué aux membres de la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.

Article 6

Les débats de la Haute Cour sont publics.

Outre les membres de la Haute Cour, peuvent seuls y prendre part le Président de la République et le Premier ministre.

Le temps de parole est limité, dans des conditions fixées par le Bureau de la Haute Cour. Le Président de la République peut prendre ou reprendre la parole en dernier.

Pour l’application des deuxième et troisième alinéas, le Président de la République peut, à tout moment, se faire assister ou représenter par toute personne de son choix.

Le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture des débats et doit s’achever au plus tard soixante heures après l’ouverture des débats.

La Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois prévu au troisième alinéa de l’article 68 de la Constitution.

Article 7

L’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice est abrogée.

1 () Question écrite n° 3206 de M. Guillaume Larrivé, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, publiée au Journal officiel le 21 août 2012, renouvelée le 12 mars 2013, le 9 juillet 2013, le 15 octobre 2013, le 29 avril 2014 et le 5 août 2014.

2 () Réponse à la question écrite n° 3206 de M. Guillaume Larrivé, publiée au Journal officiel le 2 septembre 2014.


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