N° 2335 - Proposition de loi de M. Marc Le Fur pour la reconnaissance des droits des victimes dans la procédure pénale



N° 2335

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2014.

PROPOSITION DE LOI

pour la reconnaissance des droits des victimes dans la procédure pénale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Marc LE FUR,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La place de la victime dans le procès pénal est aujourd’hui le fruit d’un héritage historique issu du Moyen Âge. Alors qu’au temps de l’Inquisition, la victime est écartée du procès pénal au profit de la puissance publique et du juge, c’est la protection des droits de l’auteur présumé de l’infraction qui sera privilégiée à partir de la Révolution. Assimilées aux furies antiques, qui poursuivaient les criminels jusque dans l’au-delà, les victimes ne semblent pas avoir leur place au procès pénal. Plus encore, leur trop grande émotion et leur subjectivité intrinsèque seraient, pour certains, nuisibles à la sérénité de la justice et à la bonne tenue du procès.

C’est cependant oublier que la mise en mouvement de la justice, à l’époque gréco-romaine, était le fait même de la victime qui, plutôt que de se venger, sollicitait la puissance publique pour obtenir réparation. Aujourd’hui encore, la victime a le pouvoir de mettre la justice pénale en mouvement, en portant plainte avec constitution de partie civile ou en citant directement l’auteur des faits devant le tribunal. Quelle cohérence pourrait donc avoir un droit qui, actionné par la victime, l’écarte ensuite du procès pénal ?

Cette incohérence fondamentale est la source d’une profonde souffrance morale pour les victimes. L’impossibilité de s’exprimer, de faire appel, de rétablir un jugement considéré comme injuste, est souvent vécu comme un second traumatisme, comme nous l’enseigne l’histoire des victimes. La mère d’un jeune homme handicapé victime d’un violeur récidiviste a vu, en 2008, la cour d’assises acquitter le criminel. Faute d’un appel de la part du ministère public, alors même qu’il requérait une peine de réclusion de 15 ans, l’auteur des faits est aujourd’hui libre. L’incompréhension, l’écœurement face à une justice inégale, la douleur de son fils constituent, pour cette femme, un second préjudice qui alourdit encore le premier.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé : entre 2003 et 2005, les cours d’assises d’appel n’ont eu à juger que 76 affaires dans lesquelles un acquittement avait été prononcé, alors que le nombre d’acquittements annuels dépasse les 200 (250 en 2006). Il ne fait donc pas de doute que la majorité des acquittements ne sont pas frappés d’appel par le parquet.

Cette situation est inacceptable et nous ne pouvons pas raisonnablement nous satisfaire des quelques droits accordés au compte-goutte aux victimes depuis les années 2000.

Aussi cette proposition de loi entend-t-elle permettre aux victimes de faire appel des décisions de relaxe ou d’acquittement. Cette possibilité n’est que le prolongement naturel des droits conférés aux victimes dans le déclenchement de l’action pénale. De la même façon que la victime peut passer outre le classement sans suite du procureur, qu’elle peut faire appel des ordonnances de non-lieu rendues par le juge d’instruction, elle doit pouvoir faire appel des décisions de première instance. Il s’agirait là d’une mise en cohérence juridique de notre procédure pénale, comme l’a défendu Claude Mathon, avocat général à la Cour de cassation, dans une étude récente.

La peine ne la concernerait pas ? Bien au contraire. Loin d’être cantonnée à la recherche d’une réparation pécuniaire, la victime est là pour que justice soit faite et ce d’autant plus que, dans bien des cas, l’emprisonnement constitue pour elle une véritable protection physique contre l’auteur de l’infraction. Le code pénal lui-même reconnaît déjà que les « intérêts de la victime » doivent être pris en compte dans « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées ».

Son intérêt serait normalement protégé par le ministère public, qui peut faire appel à sa place ? C’est ignorer les motifs qui guident en réalité la décision du procureur. S’il estime que les chances de l’emporter en appel sont faibles, ou dans le souci - louable au demeurant - de ne pas engorger les tribunaux, l’appel n’a pas lieu. Or, la victime doit être maîtresse de son propre destin et poursuivre ses propres intérêts, tandis que le procureur veillera à l’intérêt de la société seule. La « désolidarisation » que nous souhaitons opérer entre d’une part, les intérêts de la victime et d’autre part, ceux de la société, ne pourra que renforcer l’indépendance du ministère public et la cohérence de son action.

Au-delà de la question de l’appel, cette proposition entend donner une place plus importante aux victimes au stade de l’exécution de la peine. Parce que la protection physique de la victime est parfois en jeu et que sa reconstruction psychologique passe par l’exécution complète de la peine, il importe qu’elle puisse être présente, ou représentée, lors de toute décision tendant à libérer le condamné avant la fin de sa peine.

Cela permettra également de revenir sur la suppression malencontreuse, en 2009, des dispositions issues de la loi Clément du 12 décembre 2005 qui permettaient à l’avocat de la victime de faire valoir son point de vue sur les décisions d’allégement et d’aménagement de peine relevant du tribunal d’application des peines et d’élargir considérablement les droits dont bénéficient les victimes au stade de l’exécution des peines.

Nous proposons ainsi que la victime soit informée, si elle le souhaite, de toute décision d’aménagement de peine et qu’elle puisse adresser à la juridiction d’application des peines des observations écrites à ce propos. Par ailleurs, si elle s’est constituée partie civile, il est logique qu’elle puisse participer au débat contradictoire devant la juridiction d’application des peines et donner son opinion sur l’opportunité d’un aménagement de peine.

Enfin, notre proposition de loi entend également tirer les conséquences de la réforme de la garde à vue, qui a contribué à accorder de nouveaux droits à la défense au stade de l’enquête. Tout ce que la victime y a gagné, c’est la présence de son avocat en cas de confrontation avec l’auteur de l’infraction. Certes, cela était nécessaire. Mais nous jugeons indispensable d’aller plus loin en permettant à la victime d’être assistée par son avocat dès le dépôt de sa plainte et pour toutes les auditions qui suivront.

Le sort que la procédure pénale réserve aujourd’hui aux victimes n’est pas conforme à l’esprit de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial », ni à la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 15 mars 2011 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, qui doit conférer aux victimes un « rôle réel » et un « traitement respectueux de leur dignité personnelle » et « reconnaît les droits et intérêts légitimes des victimes dans le cadre de la procédure pénale ».

Il est temps de donner à la victime toute sa place dans le procès pénal.

Tels sont, Mesdames, Messieurs, les objectifs de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Des droits des victimes

Article 1er

Le II de l’article préliminaire du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« II. – Toute personne victime d’une infraction bénéficie au cours de la procédure pénale, dans le respect de sa dignité, des droits et garanties prévus par la loi.

« Dans les conditions prévues par le présent code, la victime a le droit :

« – d’obtenir réparation de son préjudice dans un délai raisonnable.

« – d’être entendue et d’être assistée d’un défenseur tout au long de la procédure.

« – d’être informée des suites données à sa plainte, du déroulement de la procédure, de la décision prononcée par la juridiction et des suites données à celle-ci. »

Chapitre II

De la victime au cours de l’enquête

Article 2

I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le 3° de l’article 53-1 est ainsi rédigé :

« 3° D’être, lors de toute audition, y compris le dépôt de sa plainte, assistées par un avocat choisi par elles ou leur représentant légal si elles sont mineures ou, à leur demande, désigné par le bâtonnier, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d’une assurance de protection juridique ; »

2° Après l’article 53-1, il est inséré un article 53-2 ainsi rédigé :

« Art. 53-2. – La victime est informée du droit d’être assistée par un avocat avant qu’il soit procédé à son audition. À l’issue de chaque audition de la victime, l’avocat peut poser des questions. Il peut également présenter des observations écrites. Celles-ci sont jointes à la procédure.

« Si la victime ne comprend pas le français, elle est assistée par un interprète.

« Si la victime est malentendante ou atteinte de surdité, elle est assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité. »

3° Le 3° de l’article 75 est ainsi rédigé :

« 3° D’être, lors de toute audition, y compris le dépôt de sa plainte, assistées par un avocat choisi par elles ou leur représentant légal si elles sont mineures ou, à leur demande, désigné par le bâtonnier, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d’une assurance de protection juridique ; »

4° Après l’article 75-2, il est inséré un article 75-3 ainsi rédigé :

« Art. 75-3. – La victime est informée du droit d’être assistée par un avocat avant qu’il soit procédé à son audition. À l’issue de chaque audition de la victime, l’avocat peut poser des questions. Il peut également présenter des observations écrites. Celles-ci sont jointes à la procédure.

« Si la victime ne comprend pas le français, elle est assistée par un interprète.

« Si la victime est malentendante ou atteinte de surdité, elle est assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité. »

II. – Après le premier alinéa de l’article 64-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le premier alinéa est également applicable lorsque l’avocat intervient pour assister une victime lors d’une audition par un officier ou un agent de police judiciaire. »


Chapitre III


De la victime lors de l’audience pénale

Article 3

Après l’article 497, il est inséré un article 497-1 ainsi rédigé :

« Art. 497-1. – Même lorsqu’elle n’a pas interjeté appel, la partie civile est avisée par tout moyen de la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience. »

Article 4

Le premier alinéa de l’article 422 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Lorsqu’elle est présente à l’audience, elle est cependant invitée par le président à s’exprimer sur les faits. »


Chapitre IV


Du droit d’appel de la victime

Article 5

Le titre I du livre II du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 370 est ainsi rédigé :

« Art. 370. – Après avoir prononcé l’arrêt, le président avertit, s’il y a lieu, l’accusé et la partie civile de la faculté qui leur est accordée, selon les cas, d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation et leur fait connaître le délai d’appel ou de pourvoi. »

2° Le 4° de l’article 380-2 est complété par les mots : « ou en cas d’acquittement de l’accusé ».

3° L’article 380-3 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« La cour d’assises statuant en appel sur l’action publique peut, sur le seul appel de la partie civile, soit confirmer le jugement, soit l’infirmer en tout ou partie dans un sens défavorable à l’accusé. »

4° Après l’article 380-11, il est inséré un article 380-11-1 ainsi rédigé :

« La partie civile peut se désister de son appel jusqu’à l’interrogatoire de l’accusé par le président prévu par l’article 272. »

Article 6

Le titre II du livre II du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 485 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Après avoir lu le jugement, le président ou l’un des juges avertit, s’il y a lieu, le prévenu et la partie civile de la faculté qui leur est accordée, selon les cas, d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation et leur fait connaître le délai d’appel ou de pourvoi. »

2° Le 3° de l’article 497 est ainsi rédigé :

« 3° À la partie civile, quant à ses intérêts civils ou en cas de relaxe du prévenu ; »

3° Le deuxième alinéa de l’article 515 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« La cour peut, statuant sur l’action publique sur le seul appel de la partie civile, soit confirmer le jugement, soit l’infirmer en tout ou partie dans un sens défavorable au prévenu.

« La cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de l’assureur de l’une de ces personnes ou de la partie civile quant à ses intérêts civils, aggraver le sort de l’appelant. »


Chapitre V


De la victime au stade post-sentenciel
Article 7

Le livre V du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article 712-6, après le mot : « avocat » sont insérés les mots : « , de même que celles de la partie civile ou de son avocat ».

2° Au deuxième alinéa de l’article 712-7, après le mot : « avocat » sont insérés les mots : « , de même que celles de la partie civile ou de son avocat ».

3° Au premier alinéa de l’article 712-13, après le mot : « condamné » sont insérés les mots : « ainsi que, le cas échéant, celles de l’avocat de la partie civile ».

4° Les deux derniers alinéas de l’article 712-16-1 sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Elles apprécient les conséquences des décisions d’individualisation de la peine au regard de la situation de la victime ou de la partie civile, et notamment le risque que le condamné puisse se trouver en présence de celle-ci. À cette fin, elles peuvent recourir aux mesures prévues à l’article 712-16.

« Les juridictions de l’application des peines informent, avant toute décision, la victime ou la partie civile, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, qu’elle peut présenter ses observations par écrit dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette information. Elles informent également la partie civile qu’elle peut demander, dans ce même délai, à être présente ou représentée lors du débat contradictoire prévu aux articles 712-6, 712-7 et 712-13.

« Le précédent alinéa n’est pas applicable lorsque la victime ou la partie civile, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, a expressément demandé à ne pas être informée des mesures d’aménagement de peine visant le condamné. »

5° L’avant-dernier alinéa de l’article 730 est supprimé.

Article 8

L’article 712-16-2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque la personne a été condamnée pour une infraction visée à l’article 706-47 et si la victime ou la partie civile en a formé la demande, le juge de l’application des peines ou le service pénitentiaire d’insertion et de probation informe cette dernière, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, de la libération de la personne lorsque celle-ci intervient à la date d’échéance de la peine. »


Chapitre VI


Dispositions financières

Article 9

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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