N° 2367 - Proposition de loi de M. André Chassaigne relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport



N° 2367

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2014.

PROPOSITION DE LOI

relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes
à l'
agence de financement des infrastructures de transport,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

André CHASSAIGNE, Patrice CARVALHO, François ASENSI, Alain BOCQUET, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Gaby CHARROUX, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si l’État est propriétaire du réseau autoroutier, son exploitation est confiée à des sociétés concessionnaires dont le capital a été totalement privatisé en 2005.

En juillet 2005 Thierry Breton, ministre de l’économie, et Dominique Perben, ministre de l’équipement, ont en effet annoncé la cession de l’ensemble des participations publiques détenues par l’État et l’établissement public Autoroutes de France (ADF) à des sociétés concessionnaires de service autoroutier.

Ce désengagement de l’État a été très vivement critiqué et le manque de cohérence de l’action gouvernementale a été souligné. En effet, cette décision est intervenue quelques mois après la création de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports Française (AFITF), fin 2004, dont le financement devait reposer à titre principal sur les dividendes des sociétés concessionnaires. La décision gouvernementale de privatisation privait donc cette agence de ressources pérennes au risque de paralyser le financement des projets d’intérêt national ou international relatifs à la réalisation ou à l’aménagement d’infrastructures routières, ferroviaires, fluviales ou portuaires ainsi qu’à la création ou au développement de liaisons maritimes régulières de transport de fret.

La vente des parts de l’État n’a pas davantage servi au financement de cette agence. L’essentiel du produit de la vente a été utilisé en vue du désendettement de l’État et non du financement des infrastructures de transports. Seuls 4 milliards sur les 14,8 milliards de recette ont été affectés à l’AFITF. La valeur de ces sociétés concessionnaires d’autoroutes a par ailleurs été gravement sous-évaluée puisque, selon diverses projections, dont celle retenue par l’État, d’ici à 2032, les sociétés d’autoroute auraient rapporté environ 37 milliards d’euros de dividendes à l’État.

La perte de ressource de l’AFITF, de 1 à 2 milliards par an, a certes été partiellement compensée par l’affection de nouvelles ressources. Sa capacité d’action a été cependant largement entamée, notamment si l’on se réfère à la double ambition en termes de développement des transports définie d’une part dans le vote de la loi dite Grenelle de l’environnement et d’autre part, dans le schéma national des infrastructures de transports. Privée de financements ambitieux, l’AFITF peine à s’affirmer comme un réel outil au service de la transition écologique et du report modal.

Dans la conclusion sans appel de la mission d’information constituée au Sénat intitulée « Infrastructures de transport : remettre la France sur la bonne voie » du 6 février 2008, les rapporteurs ont de fait estimé « qu’il aurait été vivement préférable de maintenir l’actionnariat de l’État dans ces entreprises extrêmement rentables, afin de continuer d’alimenter les programmes d’infrastructures de transport à partir des dividendes desdites sociétés. Vos rapporteurs souhaitent que tous les enseignements de la privatisation en 2005 soient tirés à l’avenir, notamment lorsque les concessions prendront fin et que l’État retrouvera toutes les marges de manœuvre pour organiser le service au mieux de ses intérêts financiers et patrimoniaux. »

La Cour des comptes a quant à elle souligné, dans son rapport annuel de 2009, les difficultés qui sont aujourd’hui celles de l’AFITF parlant d’une « agence de financement aux ambitions limitées, privée de moyens et désormais inutile ». Il est donc urgent de dégager des marges de manœuvre pour cette agence.

À cette fin, trois solutions s’offrent à nous, soit augmenter les taxes sur les sociétés concessionnaires comme cela avait été envisagé lors de la loi de finances de 2009, soit de renégocier les contrats de concession dont la durée s’allongerait, soit, enfin, de renationaliser ces sociétés.

S’agissant de la première option, la rédaction des contrats de concessions rend aujourd’hui inefficace une augmentation des taxes sur les sociétés concessionnaires. En effet, la presse a récemment révélé une disposition de contrat de concession prévoyant que : « En cas de modification ou de création d’impôts, de taxes et redevances spécifiques aux concessionnaires d’ouvrages routiers à péage ou aux concessionnaires d’autoroutes, l’État et la société concessionnaire arrêtent d’un commun accord les compensations, par exemple tarifaires, qui devront être apportées pour assurer la neutralité de ces modifications ou créations sur l’ensemble constitué des comptes sociaux et de l’équilibre de la société concessionnaire, tels qu’ils se présenteraient, à la même date, en l’absence de ces modifications ou créations ». Juridiquement, l’État se retrouve donc pieds et poings liés et la fenêtre de tir pour mettre en place une nouvelle taxe apparaît plus qu’étroite.

S’agissant de la deuxième option, l’équilibre des forces des parties aux contrats de concessions est loin d’être favorable à l’État, qui ne pourrait obtenir qu’un menu rééquilibrage. Par ailleurs, une renégociation de ces contrats impliquerait une compensation tarifaire ou une prolongation de la concession, ce qui n’est pas acceptable au regard de la rente dont bénéficie ces sociétés.

La troisième option, celle de la nationalisation, semble la plus juste. Elle permettrait d’en finir avec les pratiques de ces sociétés qui, en violation des principes posés par l’article L. 122-4 du code de la voirie routière, ont mis en place une politique tarifaire des plus rémunératrices.

L’article L. 122-4 du code de la voierie routière dispose en effet que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit. Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d’État, un péage pour l’usage d’une autoroute en vue d’assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure. En cas de délégation des missions du service public autoroutier, le péage couvre également la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le délégataire ».

Rappelons qu’il existe une différence notable entre la rémunération normale, et le véritable racket qu’organisent aujourd’hui les sociétés concessionnaires au détriment des usagers. Il serait ainsi normal qu’une fois le coût de l’investissement amorti, les tarifs des péages diminuent. Pourtant, selon l’Autorité de la concurrence dans son Avis n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires, « les tarifs des péages augmentent bien plus vite que l’inflation depuis 2004 et ce, quelle que soit l’année concernée ». Ces hausses de tarifs pratiquées constituent par ailleurs le principal moteur de la forte progression du chiffre d’affaires de ces sociétés. Aussi, lorsque le trafic baisse (cela était le cas notamment en 2008 où le trafic s’était ralenti consécutivement à la crise financière puis économique), la hausse des tarifs permet de « compenser l’impact de cette baisse sur le chiffre d’affaires, lequel continue de progresser ».

Les pratiques tarifaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes ont d’ailleurs été très critiquées car très défavorables aux automobilistes, notamment la pratique dite du « foisonnement » qui consiste, comme l’indique l’Autorité de la concurrence dans ledit Avis, « à appliquer des hausses de tarifs plus élevées sur les sections les plus empruntées par les usagers ». Cette technique du foisonnement a permis de « faire croître le chiffre d’affaires annuel au-delà de ce qui résulterait d’une application uniforme de la hausse annuelle des tarifs ». Cela a assuré un maximum de rentabilité en dehors de toute autre considération et sans commune mesure avec les charges d’entretien des axes concernés.

Au final, pour l’usager, la stratégie tarifaire menée par les sociétés concessionnaires d’autoroutes s’est traduite, par « une hausse continue du prix payé par kilomètre parcouru sur les autoroutes », selon l’Autorité de la concurrence. Pour les sociétés d’autoroutes, les revenus d’activité se portent en revanche bien, le chiffre d’affaires augmentant de 20 % entre 2007 et 2013 selon l’AFSA pour s’établir à 8 877 millions d’euros.

Sur la même période, le bénéfice cumulé des sociétés concessionnaires d’autoroutes privatisées (hors Cofiroute) atteint le niveau pharaonique de 9,3 milliards d’euros, caractérisant un niveau de rentabilité exceptionnel et déconnecté de la réalité du risque capitalistique et qui ne bénéficie, au final, ni au concédant ni aux usagers. En revanche, avec un taux de distribution des dividendes de 97,1 %, il bénéficie largement aux actionnaires de ces sociétés qui ont récolté 9 milliards d’euros de dividendes entre 2007-2013 (hors Cofiroute et dividendes exceptionnels). Il est important de rappeler que l’État « a privatisé au moment même où leur rentabilité a commencé à croître jusqu’à atteindre les niveaux actuels », ainsi que le souligne l’Autorité de la concurrence. Un tel équilibre économique ne peut être maintenu jusqu’en 2032, date de fin de la concession des autoroutes.

Dès 2008, la Cour des comptes a estimé que le système était devenu trop favorable aux concessionnaires. Malgré cela, années après années, le gouvernement a continué d’homologuer ces politiques tarifaires alors même que ces sociétés, pour augmenter la rentabilité, ne se contentent pas d’augmenter des tarifs, mais pressurent encore les salaires et l’emploi.

Pour preuve, toujours selon l’Autorité de la concurrence, l’effectif total moyen par an du secteur a fondu puisque « celui-ci est passé de 16 709 en 2006 à 13 933 en 2013 », soit une diminution de 17 %. Moins de personnel, donc moins de coûts, conjugués à des tarifs en hausse. Cette situation n’est pas acceptable.

Il y a donc besoin d’affirmer un double principe :

Premièrement, les usagers des autoroutes ne doivent pas être considérés comme une rente captive, dont la contribution est uniquement guidée par le besoin de rentabilité des actionnaires.

Deuxièmement, les dividendes issus des péages doivent servir le principe posé par le Grenelle de réorientation de la route vers le ferroviaire, réorientation dont l’AFITF est un rouage important.

Pour cette raison, nous souhaitons garantir la nationalisation des sociétés concessionnaires tout en affirmant le principe que les dividendes doivent être affectés à l’AFIFT.

C’est cette solution que tend à mettre en œuvre la présente proposition de loi.

L’article 1er prévoit ainsi la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

L’article 2 prévoit que l’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.

Enfin, l’article 3 correspond au gage financier.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les sociétés suivantes sont nationalisées :

– A’LIÉNOR ;

– ADELAC ;

– Arcour ;

– Autoroute de liaison Calvados-Orne ;

– Autoroute de liaison Seine-Sarthe ;

– Autoroutes du sud de la France ;

– Autoroutes Paris-Rhin-Rhône ;

– Compagnie Eiffage du viaduc de Millau ;

– Compagnie industrielle et financière des autoroutes ;

– Société des autoroutes du nord et de l’est de la France ;

– Société des autoroutes Estérel Côte-d’Azur Provence Alpes ;

– Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage.

Article 2

L’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’une année à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 3

Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés et la baisse du taux du crédit d’impôt prévu à l’article 244 quater C du code général des impôts.


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