N° 2463 - Proposition de résolution de M. Yannick Moreau invitant le Gouvernement, veillant à la cohérence du droit et au respect des normes internationales à assurer le respect des traités en conformant notre pays à l'interdiction de toute "salle de shoot" sur le territoire de la République



N° 2463

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2014.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement, veillant à la cohérence du droit
et au respect des normes internationales, à assurer le respect
des traités en conformant notre pays à l’
interdiction de toute « salle de shoot » sur le territoire de la République française,

présentée par Mesdames et Messieurs

Yannick MOREAU, Christian JACOB, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Nicole AMELINE, Olivier AUDIBERT TROIN, Patrick BALKANY, Jean-Pierre BARBIER, Jacques Alain BÉNISTI, Sylvain BERRIOS, Véronique BESSE, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Gilles BOURDOULEIX, Valérie BOYER, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-François COPÉ, Jean-Louis COSTES, Édouard COURTIAL, Marie-Christine DALLOZ, Gérald DARMANIN, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Bernard DEBRÉ, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Nicolas DHUICQ, Charles de LA VERPILLIÈRE, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, David DOUILLET, Virginie DUBY-MULLER, Daniel FASQUELLE, François FILLON, Marie-Louise FORT, Jean-Christophe FROMANTIN, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Annie GENEVARD, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Claude GOASGUEN, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, Philipe GOUJON, Arlette GROSSKOST, Henri GUAINO, Jean-Claude GUIBAL, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Francis HILLMEYER, Guénhaël HUET, Sébastien HUYGHE, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Jacques KOSSOWSKI, Patrick LABAUNE, Valérie LACROUTE, Marc LAFFINEUR, Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Thierry LAZARO, Marc LE FUR, Philippe LE RAY, Alain LEBOEUF, Pierre LELLOUCHE, Pierre LEQUILLER, Véronique LOUWAGIE, Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Hervé MARITON, Olivier MARLEIX, Alain MARLEIX, Patrice MARTIN-LALANDE, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Dominique NACHURY, Patrick OLLIER, Bernard PERRUT, Jean-Frédéric POISSON, Josette PONS, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, François ROCHEBLOINE, Paul SALEN, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Lionel TARDY, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Philippe VITEL, Michel VOISIN, Laurent WAUQUIEZ et Éric WOERTH,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Représentation nationale a appris par une fuite de la presse qu’à la suite d’une « décision » du Premier ministre, prise dans le secret de Matignon le 5 février 2013, la Ville de Paris a été « autorisée » à créer une « salle de shoot » à titre expérimental, sans qu’on en connaissance à cette date le statut. La presse, encore, a révélé aux Parisiens ébahis que cette salle serait implantée au « 39 boulevard La Chapelle », dans le Xe arrondissement, malgré l’effroi des riverains. Les préparatifs sont allés bon train : une convention d’occupation d’un terrain a été signée entre la SNCF et la Ville de Paris pour occuper ce site ; une association, Gaïa, a été subventionnée à hauteur de 38 000 € par la Ville de Paris le 10 décembre 2012, pour « soutenir la phase de préparation en amont de l’installation à Paris d’une telle expérimentation sanitaire et social ». Ce montant n’est qu’une infime avance : le coût avancé de cette salle est des plus fantaisistes, de 500 000 € annoncés à un million d’euros, qui seraient pris en charge pour partie par l’Assurance maladie. L’Ordre des médecins et l’Académie de médecine font connaître leur avis négatif, les 15 janvier 2013 et 6 février 2013 . Le projet soulève de plus en plus d’oppositions de la part des habitants : un référendum organisé à l’initiative de Serge Féderbusch repousse cette initiative non concertée, par un vote le 13 avril qui se solde par 296 non et 16 oui. Mais rien n’y fait, puisque M. Le Guen a déclaré lors d’un séminaire de l’association Élus Santé Publique et Territoire d’octobre 2010 : « l’adhésion des gens localement, on ne peut pas être dans cette logique démocratique là » (sic). D’ailleurs, une délibération du Conseil de Paris, votée le 8 juillet 2013 par la majorité municipale, entérine le projet qui s’appuie sur « l’accord gouvernemental » précité. Au passage, la novlangue est passée par là et la « salle de shoot » est rebaptisée « salle de consommation à moindre risque », ce qui trompe mais fait l’aveu néanmoins qu’il y a bien consommation. Tout semblait pour le mieux afin d’inaugurer cette salle de shoot au cours de l’été 2013, mais c’était sans compter sur le courage de l’association « Parents contre la drogue » qui, le 3 juillet 2013, dépose plainte contre X pouvant être le Premier ministre et la ministre des affaires sociales et de la santé devant le Procureur de la République et la Cour de justice de la République pour facilitation et provocation d’usage illicite de produits stupéfiants et forme un recours pour excès de pouvoir contre la « décision » du Premier ministre. C’est alors que, curieusement, le gouvernement s’avise pour la première fois de la légalité de son dispositif pourtant bien avancé. Coïncidence, il sollicite en urgence un avis de la Haute Autorité de Santé, le 5 juillet 2013, puis, saisit alors le Conseil d’État le 14 aout 2013 d’un projet de décret. Hélas, le 8 octobre, le Conseil d’État rend un avis négatif, qui conclut à l’illégalité manifeste du projet de décret. Dans son avis, le Conseil d’État se borne à constater qu’un décret ne peut déroger à la loi. Il constate aussi le dévoiement que le gouvernement s’apprêtait à faire de l’article L. 3121-4 du code de la santé publique, en confondant la « réduction des risques » avec la banalisation de l’addiction aux drogues. L’inauguration de la salle est remisée pour plus tard...

Mais cette illégalité ne décourage pas la ministre des affaires sociales et de la santé, Mme Touraine, et, plus surprenant au regard de sa mission impartie par la loi, la présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, Danièle Jourdain-Menninger. Le 27 janvier 2014, cet office de « lutte » contre la drogue affirmait : « Nous préparons un texte de loi qui permettra, dans des conditions juridiques complètement établies, d’ouvrir cette expérimentation à Paris relativement rapidement ».

Par décret du 13 mars 2014, la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) change de nom pour devenir la MILDCA (Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et les conduites addictives).

Derrière la modification du nom de cette mission et derrière la révision du périmètre de ses attributions, il s’agit d’une modification profonde de l’approche de la lutte contre les drogues. Cette dernière est en effet désormais dissoute dans un combat axé contre toutes les formes de dépendances. Louable en soi, ce combat revient en réalité à placer sur un pied d’égalité la dépendance au crack ou l’héroïne avec celle aux jeux vidéo. Pour rappel, le 1er mars 2012 l’Académie nationale de Médecine avait pourtant précisé qu’il n’y a à ce jour aucun consensus scientifique sur l’existence d’une réelle addiction aux jeux vidéo et certains psychiatres remettent fréquemment en cause la notion d’addiction appliquée à des objets qui ne sont pas des drogues.

Le 19 juin 2014, lors de la Présentation des orientations du projet de loi santé, Marisol Touraine déclare encore vouloir persister dans son projet d’ouverture d’une salle de shoot.

La Représentation nationale ne peut qu’être abasourdie devant ce déni du droit républicain et de la sauvegarde de la santé publique en direction des plus jeunes, des plus fragiles et des plus malades qui souffrent de l’enfermement dans une addiction qui cause tant de ravages physiques, psychiques, et engendre tant de dommages, de coûts sociaux et de criminalité.

Mais il y a plus. La France ne saurait agir comme si elle n’était pas tenue par les engagements internationaux les plus solennels en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants et addictions aux drogues, en vertu de sa signature apposée sur des conventions, de la ratification par le Parlement et de la règle à valeur constitutionnelle « Pacta sunt servanda ». Or c’est le devoir du Président de la République de « veiller au respect des traités » (article 5 de la Constitution), qui ont une autorité supérieure aux lois (article 55).

Il convient donc d’en appeler à la responsabilité du chef de l’État.

Tel est le sens de la présente proposition de résolution que nous vous demandons d’adopter.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu les articles 5, 34-1 et 55 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, et notamment ses articles 2 et 16 ;

Vu le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et notamment son quatorzième alinéa qui dispose que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. » ;

Vu la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, signée le 30 mars 1961 à New York, telle que modifiée par le Protocole de du 25 mars 1972, et spécialement son article 36, 1°a) qui stipule que « Sous réserve de ses dispositions constitutionnelles, chaque Partie adoptera les mesures nécessaires pour que la culture et la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, la détention, l’offre, la mise en vente, la distribution, l’achat, la vente, la livraison, à quelque titre que ce soit, le courtage, l’envoi, l’expédition en transit, le transport, l’importation et l’exportation de stupéfiants non conformes aux dispositions de la présente Convention, ou tout autre acte qui, de l’avis de ladite Partie, serait contraire aux dispositions de la présente Convention, constituent des infractions punissables lorsqu’elles sont commises intentionnellement et pour que les infractions graves soient passibles d’un châtiment adéquat, notamment de peines de prison ou d’autres peines privatives de liberté. » et son article 38, 1° qui stipule que « Les Parties envisageront avec une attention particulière l’abus des stupéfiants et prendront toutes les mesures possibles pour le prévenir et pour assurer le prompt dépistage, le traitement, l’éducation, la post-cure, la réadaptation et la réintégration sociale des personnes intéressées; elles coordonneront leurs efforts à ces fins » ;

Vu la Convention de 1971 sur les substances psychotropes signée le 21 février 1971 à Vienne, et spécialement son article 21, a) qui stipule que les Parties « Assureront sur le plan national la coordination de l’action préventive et répressive contre le trafic illicite ; à cette fin elles pourront utilement désigner un service approprié chargé de cette coordination » et c) « Coopéreront étroitement entre elles et avec les organisations internationales compétentes dont elles sont membres afin de mener une lutte coordonnée contre le trafic illicite » ;

Vu la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée par la Conférence à sa 6e séance plénière, le 19 décembre 1988, et spécialement article 3 qui stipule notamment que les parties sont tenues de conférer le caractère d’infraction pénale « Au fait d’inciter ou d’amener publiquement autrui, par quelque moyen que ce soit, à commettre l’une des infractions établies conformément au présent article ou à faire illicitement usage de stupéfiants ou de substances psychotropes;
A la participation à l’une des infractions établies conformément au présent article ou à toute association, entente, tentative ou complicité par fourniture d’une assistance, d’une aide ou de conseils en vue de sa commission. » ;

Vu la recommandation 32 de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants adoptée en page 140 de son rapport 2009 suivant laquelle « L’Organe note avec préoccupation que, dans un petit nombre de pays, des “salles de consommation de drogues” et des “salles d’injection" où l’on peut consommer impunément des drogues acquises sur le marché illicite fonctionnent encore.

L’Organe engage les gouvernements à faire fermer ces salles et autres lieux similaires et à faire en sorte que les toxicomanes puissent accéder à des services sanitaires et sociaux, y compris aux services de traitement de la toxicomanie, conformément aux dispositions des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues. » ;

Vu le code pénal, et notamment ses articles 222-34, 222-37, 222-38 ;

Vu le code de procédure pénale, notamment son article 40 ;

Vu le code de la santé publique, et notamment ses articles L. 3421-1, L. 3421-2 et L. 3421-4 ;

Constatant que le statut de la salle de shoot projetée par le gouvernement et la Ville de Paris et que ces derniers ont tenté jusqu’au bout d’imposer par le fait accompli reposait sur une illégalité républicaine grossière ;

Considérant que la justification de la salle de shoot projetée reposait sur une étude réservée et dévoyée de l’INSERM dont ont été honteusement détournées les conclusions en y substituant celles de l’association ESPT, et sur des présentations fallacieuses d’expériences étrangères, faisant fi de nombreux études scientifiques et prises de position d’organismes, tels que l’ECAD (EuropeanCities Against Drugs) ou la mission parlementaire d’information commune sur les toxicomanies. Une mission qui comportait quinze membres issus du Sénat et quinze membres issus de l’Assemblée nationale et qui a procédé, entre le 12 janvier et le 15 juin 2011, à cinquante-trois auditions, a entendu 107 personnes et a procédé à 6 déplacements en France et à l’étranger pour remettre un rapport le 30 juin 2011, qui devait conclure :

« Au vu des éléments qui précèdent, vos rapporteurs estiment que la transposition en France de l’expérience des centres d’injections supervisés serait extrêmement hasardeuse et n’est en conséquence pas souhaitable. »

Rappelant qu’il n’existe aucun lien avéré entre la présence des salles de shoot et la réduction du nombre d’overdoses. Ainsi à Zurich, malgré plusieurs salles de shoot ouvertes depuis les années 90, le nombre d’overdoses mortelles est passé de 45 en 1999 à 63 en 2005 et à Genève, qui dispose d’une salle de shoot depuis 2001, le nombre d’overdoses mortelles a doublé en 2005, passant de 5 à 10 ;

Réitérant qu’il n’existe à ce jour aucune preuve que les salles de shoot contribuent à réduire le nombre de cas d’infections virales du type VIH et hépatites B et C ;

Déplorant que le projet du gouvernement repose sur une incohérence absolue en termes de santé publique, d’un côté en finançant des politiques de prévention des jeunes sur les dangers de la drogue, en alarmant sur les effets des substances illicites sur la santé au travail ou sur la sécurité routière et, de l’autre, en encourageant l’entretien dans la dépendance des plus nécessiteux, aux frais des contribuables, et en priant à la police de fermer les yeux ;

1. Réaffirme que la lutte sans faiblesse contre le fléau de la drogue est une cause vitale, écologique, humaniste et prioritaire pour la Nation ;

2. Renouvelle son attachement indéfectible à une politique de santé publique axée sur les soins, le sevrage, ainsi que la prévention précoce et sans démagogie des jeunes au fléau de la drogue et à une politique pénale ferme et répressive à l’endroit des trafiquants de drogue ;

3. Prend acte des intentions terrifiantes d’un organisme public censé « lutter » contre les trafics de stupéfiants et l’addiction aux drogues ;

4. Regrette que le gouvernement envoie ainsi un message complètement incohérent à l’adresse des familles, des éducateurs, des jeunes, des policiers, des magistrats et de nos partenaires étrangers investis dans la lutte contre ce trafic international ;

5. Rappelle fermement que la France est liée par des engagements internationaux ratifiés qui s’imposent à nos lois ;

6. Invite le Gouvernement, veillant à la cohérence du droit et au respect des normes internationales, à assurer le respect des traités susvisés en se conformant à l’interdiction de toute « salle de shoot » sur le territoire de la République française ;

7. Invite par conséquent le Gouvernement à faire respecter, sans délai, l’interdiction de toute création de « salle de shoot » sur le territoire de la République française, de décréter le fléau de la drogue « Grande Cause Nationale » et d’appeler à la mobilisation générale de tous les pouvoirs publics ainsi que de tous nos concitoyens.


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