N° 2467 - Proposition de loi de M. André Chassaigne relative à l'entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques



N° 2467

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2014.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’entretien et au renouvellement
du réseau des lignes téléphoniques,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

André CHASSAIGNE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Marie-George BUFFET, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, et Nicolas SANSU,

député-e-s.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l’occasion des fortes chutes de neige de l’hiver 1980-1981, de la succession de tempêtes en 1999, 2004, 2009, 2010, de l’épisode neigeux du mois de novembre 2013 et des périodes de fort vent du début de l’année 2014, les réseaux électriques et téléphoniques aériens ont été fortement endommagés avec des conséquences graves pour les usagers.

Lors de l’hiver 2013/2014, la conjonction d’un automne relativement clément, qui n’a pas défeuillé les arbres, et de fortes averses de neige très grasse a entraîné la chute de nombreux arbres et branches, conduisant à une casse majeure des infrastructures aériennes dans certaines régions françaises.

Le rétablissement de l’énergie et de la téléphonie a pris plusieurs semaines et, dans certains cas, les réparations n’ont été que provisoires. Plusieurs mois sont parfois nécessaires pour finaliser toutes les opérations de maintenance curative liées à ces différents épisodes climatiques.

Or, une part importante des conséquences désastreuses sur le réseau aérien, qui engendrent des coûts très élevés pour la maintenance, aurait pu être évitée par un entretien régulier des abords des lignes aériennes. Cet entretien n’est malheureusement plus assuré depuis de nombreuses années par l’opérateur France Télécom, devenu Orange, prestataire du service universel pour le raccordement et le service téléphonique.

Une remise en cause de la servitude d’élagage préjudiciable à l’entretien préventif du réseau

En effet, sur le plan règlementaire, les articles L. 45-9 et suivants du code des postes et des communications électroniques fixent les règles qui lient les opérateurs et les régisseurs des domaines publics routiers ou non routiers, ainsi que les propriétaires de parcelles privées.

Les exploitants de réseaux ouverts au public bénéficient d’un droit de passage, sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, à l’exception des réseaux et infrastructures de communications électroniques, et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l’article L. 48, dans les conditions indiquées ci-après. Les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier peuvent néanmoins autoriser les exploitants de réseaux ouverts au public à occuper ce domaine, dans certaines conditions.

Pour les lignes téléphoniques, depuis l’abrogation de l’article L. 65-1 du code des postes et télécommunications par la loi du 26 juillet 1996, la société France Télécom, devenue Orange, n’est plus soumise à la servitude d’élagage aux abords des lignes aériennes réseau. Rien n’est donc prévu formellement pour encadrer l’entretien des abords des lignes téléphoniques, et les propriétaires riverains des lignes sont en théorie chargés de procéder, à leurs frais, à ces travaux.

Dans la réalité, même si des dispositions du code général des collectivités territoriales, notamment les articles L. 2212-1 et L. 2212-2, et du code de la voirie routière, plus particulièrement les articles L. 114-1, L. 114-2 et R. 116-2, permettent aux communes d’exiger l’élagage des arbres de la part des propriétaires riverains de la voie publique, la complexité et les difficultés de la mise en œuvre conduisent à l’absence d’entretien réel le long du réseau.

France Telecom – Orange ne manque d’ailleurs pas de préciser aux élus municipaux et locaux qui font remonter de façon récurrente la dégradation du réseau de lignes téléphoniques sur leurs territoires qu’il n’a aucune légitimité à intervenir sur le domaine privé afin d’assurer un entretien préventif des abords de son réseau.

Par ailleurs, les agents mandatés par cette société n’ont pas le droit de couper un arbre qui est tombé sur une ligne ou un ouvrage. Ainsi, le réseau continue de se détériorer, et atteint un état de vétusté critique, notamment sur certaines zones rurales en montagne.

Des inégalités d’accès croissantes pour les usagers et préjudiciables au tissu économique local

Face à cette situation, il est temps d’intervenir sur le plan législatif afin d’assurer au mieux la continuité de service téléphonique, car ces coupures, dont les durées sont parfois très longues, pénalisent lourdement les particuliers et les professionnels.

Les cas de personnes handicapées, ou âgées, ayant un système de téléalarme et se retrouvant sans contact extérieur, sont très nombreux. Pour l’ensemble des foyers privés durablement de ligne téléphonique, les accès aux services d’urgence, pompiers, SAMU, gendarmerie ou police nationale sont rompus. Il en va donc de la sécurité même des personnes et des biens.

De même, l’impact économique de ces coupures n’est pas pris en compte et n’est pas dédommagé alors que des professionnels travaillent par commandes ou réservations, par mail ou par téléphone, comme en hôtellerie-restauration. Les coupures, parfois jusqu’à une vingtaine de jours, mettent sérieusement à mal ces petites structures. Des livraisons commerciales ou des activités de service sont également impactées parfois sur des zones très étendues.

Dans les zones de moyenne montagne ou de montagne, ce sont les activités touristiques, représentant un véritable poids économique local, qui sont touchées. Or, la réactivité face aux demandes de réservation en ligne ou par téléphone est un élément essentiel de la pérennité de certaines structures touristiques, alors même que la clientèle des établissements ou services touristiques privilégie de plus en plus souvent de courts séjours ou des réservations de dernière minute. En outre, de tels dysfonctionnements contredisent clairement les efforts financiers des collectivités en faveur du développement local.

De fait, à la « fracture numérique », résultant du rythme de déploiement différencié des réseaux numériques en fonction du soutien des collectivités, se surajoute une véritable fracture économique territoriale sur la base du simple accès au service universel téléphonique de base.

Investir sur l’entretien, la prévention et le renouvellement des lignes téléphoniques : un besoin fondamental, une législation à adapter

Les dégâts cumulés occasionnés aux ouvrages et aux lignes téléphoniques ont un coût croissant en lien avec l’absence d’entretien régulier et de renouvellement du réseau. Selon l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), le coût total de l’entretien des lignes dans le cadre du service universel atteindrait les 15 millions d’euros. Au regard du chiffre d’affaires du groupe s’élevant en 2013 à 40,9 milliards d’euros, et des bénéfices nets du groupe cette même année, 1,9 milliards d’euros, les moyens d’un investissement très supérieur sur ces réseaux sont immédiatement disponibles.

Mais ses objectifs de rentabilité passent aujourd’hui bien avant sa mission de service public, notamment pour les réseaux jugés non rentables en zone rurale.

Par ailleurs, les conditions du recours à la sous-traitance pour l’entretien curatif du réseau contribuent à négliger tout entretien préventif des lignes. Le caractère vétuste des lignes et des infrastructures aériennes est souligné dans les comptes-rendus d’intervention des sous-traitants, mais rarement pris en compte par France Télécom – Orange qui considère que le simple rétablissement de l’accès au réseau, même temporaire et aléatoire pour les usagers, vaut traitement curatif. Ainsi France Télécom – Orange, qui vérifie la qualité de service de ses sous-traitants, ne s’impose pas la même rigueur, puisqu’il ne donne pas suite aux interpellations sur la qualité délabrée du réseau et de ses abords par ses propres sous-traitants.

De même, les cas de débranchement, ou de retards très importants de branchements, notamment dans les zones de construction ou dans les zones rurales, avec des centraux téléphoniques saturés, se multiplient faute d’investissement dans de nouvelles capacités de branchement et pour renouveler les câbles principaux vétustes dont les fils de cuivre sont hors service. Au final, c’est le service rendu aux usagers qui se dégrade, en particulier dans les zones précitées.

Ainsi, aux côtés des usagers impactés, de très nombreuses communes font aujourd’hui remonter le fait que France Télécom – Orange « ne remplit pas sa mission de service public » et demandent à la fois une modification de la règlementation sur l’entretien aux abords des lignes et de véritables investissements sur le renouvellement du réseau.

Aussi, cette proposition de loi prévoit de revoir en profondeur les conditions d’entretien préventif et de renouvellement des réseaux téléphoniques existants.

Le texte garantit tout d’abord que toute personne résidant sur le territoire national bénéficie d’un droit d’accès au service de communications électroniques (article 1er).

Le texte réaffirme ainsi que les ouvrages destinés à transmettre les communications électroniques ou non sont considérés d’utilité publique (article 2).

Il confie à l’opérateur, ou aux opérateurs, l’entretien préventif et curatif des ouvrages dont ils ont la responsabilité, et en conséquence le droit de couper les arbres et branches à l’abord des lignes ou des ouvrages, comme d’employer tous moyens, qu’ils jugeront utiles et nécessaires, afin d’assurer la continuité de service et la protection des ouvrages. Elle prévoit également la possibilité de mise en demeure de l’opérateur concerné par les collectivités territoriales en cas de manquement à ses obligations afin de maintenir et garantir le service de télécommunication (article 3).

L’article 4 remet au décret les modalités d’entretien et les fréquences d’intervention attendues.

L’article 5 de la proposition de loi prévoit également que les coûts générés par l’entretien préventif et curatif des ouvrages, leur modernisation et leur renouvellement, doivent être supportés par la société propriétaire des ouvrages. Cependant, elle peut répercuter une partie proportionnelle de ces coûts aux différents opérateurs utilisant le réseau. Le refus de s’acquitter des sommes demandées par l’opérateur propriétaire des ouvrages peut entraîner, après mise en demeure, l’interdiction d’utilisation des ouvrages par l’opérateur ne voulant pas honorer la partie proportionnelle qui lui incombe.

L’article 6 énonce les dispositions applicables à tout nouvel ouvrage, avec la création d’une servitude contractualisée entre l’opérateur propriétaire de l’ouvrage et les différents propriétaires.

L’article 7 rappelle que les modifications juridiques des sociétés propriétaires ne peuvent les dédouaner de leurs responsabilités.

Enfin, l’article 8 prévoit de renforcer le contrôle et l’information du public et des collectivités territoriales sur l’état réel du réseau des lignes téléphoniques, par la réalisation et la mise à disposition d’un rapport annuel mis à jour notamment sur la base des interventions curatives et des branchements. Il comprend notamment une cartographie détaillée à l’échelle de chaque commune, ainsi qu’une programmation prévisionnelle des travaux à effectuer.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Avant l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 31-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 31-1. – Toute personne résidant sur le territoire national bénéficie d’un droit d’accès au service de communications électroniques. »

Article 2

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-1. – Tous les ouvrages destinés à transmettre des communications électroniques ou non, relais de téléphonie mobile, réseaux filaires aériens, réseaux souterrains, boîtiers de raccordement, dès lors qu’ils servent à la population, suivant les règles de contractualisation propres à l’opérateur, sont considérés d’utilité publique. »

Article 3

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-2. – Les opérateurs sont responsables, au sens civil et pénal, des ouvrages, dont ils ont la charge, et des dégâts que ces derniers pourraient occasionner. Les entretiens préventifs et curatifs, également des abords des ouvrages, sont à la charge de l’opérateur.

« L’entretien préventif des abords, tels que le débroussaillage, la coupe d’herbe, l’élagage et l’abattage peuvent être accomplis par le propriétaire du terrain sur lequel reposent les ouvrages ou le riverain. Dans ce cas, ils seront tenus pour responsables des dégâts éventuellement causés aux ouvrages.

« La déclaration d’utilité publique d’un réseau de télécommunication confère le droit, à l’opérateur propriétaire des ouvrages, de couper les arbres et branches d’arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner une rupture du service ou des avaries aux ouvrages.

« Les opérateurs ont la légitimité d’employer tous moyens appropriés afin d’assurer la continuité de service et la protection des ouvrages.

« Les propriétaires et riverains doivent tout mettre en œuvre, afin de permettre aux agents, mandatés par les opérateurs propriétaires des ouvrages, l’accès aux abords des ouvrages.

« Toute action volontaire visant à empêcher le bon déroulement des travaux d’entretien est passible d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.

« Sans entretien, la collectivité territoriale, après mise en demeure de l’opérateur propriétaire des ouvrages, peut entreprendre toute action qu’elle jugera utile et nécessaire afin de maintenir et garantir le service de télécommunication. »

Article 4

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-3. – Une procédure fixant les modalités d’entretien et les fréquences d’intervention est définie par un décret. »

Article 5

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-4. – Les coûts générés par l’entretien préventif et curatif, la modernisation et le renouvellement des ouvrages doivent être supportés par l’opérateur propriétaire des ouvrages.

« Cependant, l’opérateur peut répercuter une partie proportionnelle de ces coûts aux différents opérateurs utilisant le réseau.

« Le refus de s’acquitter des sommes demandées par l’opérateur propriétaire des ouvrages peut entraîner, après mise en demeure, l’interdiction d’utilisation des ouvrages par l’opérateur ne voulant pas honorer la partie proportionnelle qui lui incombe. »

Article 6

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-5. – Tout nouvel ouvrage donnera lieu à une servitude contractualisée entre l’opérateur propriétaire de l’ouvrage et les différents propriétaires, syndic, ou collectivités territoriales gérant les sols ou les biens, sur lesquels seront implantés les ouvrages.

« Les articles précédemment énoncés seront applicables à tout nouvel ouvrage. »

Article 7

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-6. – Aucune modification juridique des opérateurs propriétaires des ouvrages ne pourra dédouaner le propriétaire des ouvrages de son entretien. »

Article 8

Après l’article L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 45-9-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 45-9-7. – L’opérateur chargé de l’entretien, de la modernisation et du renouvellement des réseaux et ouvrages destinés à transmettre des communications téléphoniques ou non, élabore et transmet chaque année à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes un rapport présentant l’état des lieux exhaustif du réseau dont il a la charge. Cet état des lieux est notamment mis à jour sur la base des relevés d’intervention effectués suite au traitement des signalements des usagers.

« Ce rapport comprend notamment une cartographie à l’échelle communale de l’état du réseau, ainsi qu’une programmation prévisionnelle indiquant la nature des travaux d’entretien, de modernisation et de renouvellement envisagés.

« L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes met à disposition du public et des collectivités territoriales l’intégralité du rapport présentant l’état des lieux exhaustif du réseau et des ouvrages destinés à transmettre des communications téléphoniques ou non. »

Article 9

Les charges pour l’État sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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