N° 2783 - Proposition de loi de M. Christian Hutin visant à renforcer la présence d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises privées



N° 2783

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises privées,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Christian HUTIN, Mme Marie-Françoise BECHTEL
et M. Jean-Luc LAURENT,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Prévue à l’article 14 de l’accord interprofessionnel pour « un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels », la représentation obligatoire des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises, inscrite à l’article 5 de la loi du 14 juin 2013, constitue une avancée importante pour la démocratie sociale.

Cette disposition négociée par les partenaires sociaux et validée par le législateur reprend la deuxième proposition du Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, désigné habituellement sous le nom de « rapport Gallois ».

Le dialogue social en France est conflictuel et empreint d’une méfiance réciproque entre les parties prenantes de l’entreprise. De nombreux observateurs considèrent que l’absence de discussions et d’échanges autour des choix stratégiques et économiques, en amont au sein du conseil d’administration, entraîne en aval un blocage du dialogue social du fait à la fois d’un manque d’information des salariés et d’une logique de pouvoir à l’avantage exclusif des actionnaires.

Dès 1976, l’Allemagne a fait un autre choix en imposant un tiers des salariés, voire la moitié, dans les conseils de surveillance. Les Américains et les Anglais ont exclu une telle participation des salariés, mais celle-ci peut s’opérer indirectement par le biais de l’actionnariat salarié et des fonds de pension.

Créé en 1946, le comité d’entreprise avait vocation à être le conseil des salariés. Mais présidé par le dirigeant, il a vu son périmètre d’action longtemps limité à la gestion des œuvres sociales. Les lois Auroux de 1982 ont élargi la fonction du comité d’entreprise aux questions économiques, d’investissements et de licenciements collectifs. Mais l’avis donné par le comité d’entreprise reste purement consultatif et ne vient pas équilibrer le pouvoir du conseil d’administration. En pratique, plus le pouvoir du comité d’entreprise s’accroît (droit d’alerte, information sur les états financiers et comptables…) plus le dialogue social se tend, au risque même d’être contre-productif dans les situations de crise ou de restructuration.

Aujourd’hui douze des vingt-huit États-membres de l’Union européenne ont mis en œuvre des modalités de représentation des salariés par des administrateurs. La loi du 26 juillet 1983 prévoit l’élection de représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises publiques.

La présence d’administrateurs salariés qui ne soient pas actionnaires permet de prendre des décisions qui ne sont pas indexées sur le cours de bourse au jour le jour. Les présidents d’entreprises allemandes comme Daimler ou Siemens ont fait publiquement savoir qu’ils étaient favorables à la codétermination - qui va plus loin que la simple présence d’administrateurs salariés qu’ils considèrent bénéfiques pour leur stratégie à long terme. Contre le capitalisme actionnarial et financier, l’Allemagne a conforté son modèle de capitalisme coopératif.

La présence d’administrateurs salariés permet en effet de résister à la pression trop forte de certains actionnaires, uniquement préoccupés de rentabilité à court terme. Lors d’arbitrages complexes (emploi, investissement, dividendes, cessions d’actifs, croissance externe…) la présence d’administrateurs salariés oblige toujours à examiner plusieurs scénarios, en tenant compte de l’intérêt de toutes les parties prenantes de l’entreprise.

La présence d’administrateurs salariés est bénéfique à plusieurs titres. D’abord ceux-ci disposent d’une connaissance intime des réalités humaines et sociales de l’entreprise, de sa présence sur les marchés, des exigences de clients, de l’évolution des métiers et des compétences, des contraintes techniques. Par définition, les directions générales sont éloignées du terrain. La hiérarchie à tendance à ne faire remonter que les bonnes nouvelles jusqu'au jour où l’on découvre que les délais ne sont pas tenus, que les objectifs sont irréalistes, que les projets sont surdimensionnés. Les administrateurs salariés remplissent un rôle utile en portant un autre vécu du terrain. Ce rôle de capteur des signaux faibles semble particulièrement apprécié par les dirigeants d’entreprise.

La loi du 14 juin 2013 constitue une avancée importante pour ce nouveau mode de gouvernement des entreprises. Toutefois, elle est en recul sur deux points. Là où le rapport de Louis Gallois préconisait la présence d’au moins quatre administrateurs salariés, les partenaires sociaux puis le gouvernement et le législateur se contentent de deux. La présente proposition de loi vise à fixer à quatre le nombre d’administrateurs représentant les salariés.

Les partenaires sociaux et le législateur ont retenu le seuil de 5 000 salariés en France et 10 000 dans le monde, ce qui limite immédiatement la portée de cette avancée aux deux plus grosses entreprises présentes sur le territoire national. Il est proposé d’abaisser ce seuil à 1 000 salariés et permettre à la démocratie sociale de pleinement prendre son essor. Les organisations patronales ont indiqué que le seuil retenu dans l’accord national interprofessionnel était « une étape », il revient au législateur d’ouvrir la voie.

En précisant que les sociétés concernées par la mise en place des administrateurs sont celles « qui ont pour obligation  de mettre en place un comité d’entreprise », la loi exclut du champ d’application les sociétés holding ou sociétés mères de grands groupes qui comptent souvent moins de 50 salariés, même si elles chapeautent des filiales qui en emploient plusieurs milliers.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au I de l’article L. 225-27-1 du code du commerce, le mot : « cinq » est supprimé.

Article 2

Au I de l’article L. 225-27-1 du code du commerce, les mots : «, et qui ont pour obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail sont supprimés.

Article 3

Au premier alinéa du II de l’article L. 225-27-1 du code du commerce, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « quatre » et le mot : « un » par le mot : « deux ».


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