N° 2914 - Proposition de loi constitutionnelle de M. François de Rugy visant à créer la procédure de motion de censure constructive



N° 2914

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2015.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à créer la procédure de motion de censure constructive,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François de RUGY, Barbara POMPILI, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Cécile DUFLOT, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC et Éva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Constitution du 4 octobre 1958 consacre le principe de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement.

Conformément à l’article 49 de ce texte, la responsabilité gouvernementale peut être engagée de trois façons : le Premier ministre peut engager directement la responsabilité de son Gouvernement devant l’Assemblée nationale en posant la « question de confiance » (article 49, alinéa 1) ; un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale peut demander le vote d’une motion de censure (article 49, alinéa 2) ; enfin, dispositif original de la Ve République, le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement sur un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, et, une fois par session, sur un projet ou une proposition de loi, qui est considéré comme adopté sauf si une motion de censure en réponse est votée par les députés (article 49, alinéa 3).

Les procédures prévues à l’article 49 confèrent aux parlementaires des moyens réels pour mettre en cause la responsabilité du Gouvernement et le conduire, le cas échéant, à démissionner (article 50), même si, conformément à la volonté de Michel Debré de renforcer la stabilité du pouvoir gouvernant, la Constitution introduit des garde-fous. D’abord, le Gouvernement n’est responsable que devant l’Assemblée nationale et non devant le Sénat. Ensuite, la responsabilité du Gouvernement ne peut être engagée que sur le fondement de l’article 49 (c’est ainsi qu’il a été précisé, lors de la réforme constitutionnelle de 2008, à l’article 34-1, alinéa 2, que les propositions de résolution sont irrecevables dès lors qu’elles seraient de nature à mettre en cause cette responsabilité). Enfin, la fixation d’un nombre minimal de signataires, le délai de 48 heures entre le dépôt et le vote de la motion, ou encore l’assimilation des abstentions à un soutien au Gouvernement, sont autant d’obstacles qui limitent les risques de censure.

La fixation d’un cadre constitutionnel strict à la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement souffre cependant d’un angle mort qui pourrait mettre à mal l’exigence de stabilité tant défendue par le constituant. Rien n’interdit en effet que se constituent d’éphémères coalitions hétéroclites dont le seul point commun est de s'opposer au Gouvernement et dont l’unique objectif est de le renverser. Ce risque, déjà existant dans un système partisan fortement bipolarisé, devient préoccupant face à une tripolarisation de l’espace politique et une montée des extrêmes qui refuseraient de jouer le jeu du fonctionnement en coalitions parlementaires et gouvernementales.

Dans cette perspective, il est vous est ici proposé de créer une motion de censure « constructive », afin de permettre aux parlementaires qui mettent en cause la responsabilité du Gouvernement de proposer un successeur au poste de Premier ministre et de suggérer un projet politique alternatif dans le cadre de cette procédure, mais également de garantir la stabilité des institutions, en rendant impossibles les coalitions de circonstance unies seulement par le rejet du Gouvernement en place et sans projet politique d’avenir.

Inspiré de la loi fondamentale allemande, le présent dispositif prévoit une modification des articles 49 et 50 de la Constitution. L’article 1er de la proposition de loi modifie les conditions de recevabilité des motions de censure, en précisant que celles-ci devront désormais proposer un programme politique alternatif ainsi qu’un nom de successeur au poste de Premier ministre. L’article 2 établit quant à lui la compétence liée du Président de la République, en indiquant que celui-ci est tenu de nommer aux fonctions de Premier ministre la personne proposée par ladite motion. Ces dispositions appelleront par ailleurs des modifications du règlement de l’Assemblée nationale et notamment des articles 153 à 156, relatifs à la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par des motions de censure.

L’affaiblissement du lien qui unit les citoyens et la démocratie appelle, de la part du législateur, une réforme en profondeur de nos institutions. La présente proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large qui porte tant sur la réduction du nombre de parlementaires que sur la modification des modes de scrutin aux élections législatives, ou sur la lutte contre l’abstention. Elle permettra de bâtir un Parlement plus fort, qui pourra imposer au Président une coalition et la nomination d’un Premier ministre choisi par elle mais également plus responsable en empêchant les majorités de refus.

Tels sont, Mesdames, Messieurs, les motifs pour lesquels il vous est demandé d’adopter la proposition de loi constitutionnelle dont le texte suit.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

La deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 49 de la Constitution est complétée par les mots suivants :

« et si elle propose un programme ainsi que le nom d’un successeur aux fonctions de Premier ministre. »

Article 2

L’article 50 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure, le Président de la République nomme aux fonctions de Premier ministre la personne proposée par ladite motion. »


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