N° 3032 - Proposition de loi de M. Sylvain Berrios visant à créer une nouvelle forme de viager et à conforter la solidarité intergénérationnelle du vingt-et-unième siècle



N° 3032

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer une nouvelle forme de viager et à conforter la solidarité intergénérationnelle du vingt-et-unième siècle,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sylvain BERRIOS, Élie ABOUD, Julien AUBERT, Jacques Alain BÉNISTI, Étienne BLANC, Xavier BRETON, Jérôme CHARTIER, Alain CHRÉTIEN, Jean-Louis COSTES, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Laure de LA RAUDIÈRE, David DOUILLET, Georges FENECH, Guy GEOFFROY, Annie GENEVARD, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, Christophe GUILLOTEAU, Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Philippe LE RAY, Véronique LOUWAGIE, Thierry MARIANI, Patrice MARTIN-LALANDE, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Martial SADDIER, Paul SALEN, François SAUVADET, Claudine SCHMID, Jean-Marie SERMIER, Guy TEISSIER, Patrice VERCHÈRE, Michel VOISIN et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le viager est inscrit dans le code civil depuis 1804 parmi les différents contrats aléatoires (jeu, pari et contrats d’assurance) définis à l’article 1964. Le contrat de vente en viager est réglementé par les articles 1968 à 1983 du Code civil ainsi que par la loi du 25 mars 1949. Le viager reste une technique de vente spécifiquement française dont le mécanisme juridique existant protège les vendeurs. Cette proposition de loi vise à faire évoluer le viager afin de conforter la solidarité intergénérationnelle du vingt-et-unième siècle.

Le marché du viager immobilier a réellement progressé au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles pour pallier l’absence de système de retraite collectif. Jusqu’à la première Guerre Mondiale, la stabilité des prix a permis aux rentes viagères de prospérer. Mais, l’hyperinflation de la période des années 1920-1930 a ruiné les détenteurs de ces rentes viagères, l’indexation n’étant généralement pas prévue dans les contrats. Cette débâcle financière a laissé un traumatisme fort dans la mémoire des personnes âgées candidates potentielles à la vente en viager. De surcroît, après 1945 et les recommandations du programme du Conseil national de la Résistance, les pouvoirs publics ont instauré les premiers régimes de retraite institutionnalisés, les caisses de retraite complémentaires et les mutuelles se sont démocratisées. Le viager n’était donc plus aussi nécessaire à la survie des classes inactives.

Toutefois, le viager est un contrat aléatoire spécifique dont l'originalité tient à trois aspects. En premier lieu et par définition, le prix finalement versé est inconnu. Le viager est une vente à crédit dans laquelle le vendeur fait crédit –il est tout à fait possible de parler de crédit vendeur à ceci près que les garanties sont déjà inscrites dans la loi contrairement à un crédit vendeur sous seing privé-. Autre spécificité de ce contrat, le vendeur est protégé parce qu’il fait crédit et que sa vente est assimilée à une dette d’aliments alors que le contrat de vente classique protège d'abord l'acheteur. Le dernier aspect tient dans le démembrement du droit de propriété qui accompagne le plus souvent cette transaction alors qu'il est extrêmement rare en cas de vente classique.

Par ailleurs, le viager est une vente immédiate d'un bien immobilier selon deux particularités par rapport à une vente ordinaire. D'une part, alors que dans une vente ordinaire, l'acheteur paie une fois pour toute le prix convenu, dans la vente en viager, l'acheteur paie la totalité ou une partie du prix sous la forme d'une rente qui est versée périodiquement pendant toute la durée de vie du vendeur ou de la ou des personne(s) qu'il désigne. La vente en viager est un contrat aléatoire, dans lequel les droits et les obligations des signataires sont limités à la durée de vie de deux ou d'une des personnes qu'ils désignent, c'est-à-dire qu’il doit faire place au hasard puisque la durée de vie de l'engagement n'est pas connue à l'avance. L’acheteur s'engage donc à verser une rente sans connaître, au moment où il s'engage, le nombre d'échéances qu'il aura à verser. Le versement qui peut être fait au moment de la vente s'appelle le bouquet. Les versements ultérieurs constituent la rente. Celui qui vend est appelé crédirentier et celui qui achète débirentier. On dit enfin que la rente est « sur la tête de telle(s) personne(s) » pour désigner celui ou celle ou ceux ou celles dont la disparition marquera la fin de l'obligation de verser la rente. D'autre part, le crédirentier peut se réserver, soit un droit d'usage et d'habitation s'il souhaite continuer d'occuper le logement, soit se réserver un droit d'usufruit cessible pour l'occuper personnellement. Dans les deux cas de réserves cités ci-dessus, on parle de viager occupé. A contrario, si le crédirentier n'émet aucune réserve et souhaite percevoir des rentes, on parle de viager libre.

Le viager ainsi défini, la première étape est donc l'évaluation du bien. Elle se détermine de façon classique selon le quartier, l'immeuble, les travaux effectués ou à effectuer, l'étage, la vue, le confort, etc. De cette valeur vénale, sera soustrait un pourcentage correspondant à l'occupation du bien pendant l'espérance de vie du vendeur (abattement d'occupation pour un viager occupé). Par exemple, à 70 ans, moins 50 % ; à 80 ans, moins 40% pour obtenir ainsi la valeur occupée. Ce pourcentage s’analyse comme la somme des valeurs locatives du bien sur la période considérée. La valeur ainsi déterminée servira de référence pour le paiement des frais d'enregistrement et pour le calcul de la plus-value le jour de la vente s'il y a lieu. Les honoraires de notaire, comme la commission de l'agence, sont calculés sur la valeur vénale. C'est à partir de la base d'évaluation du bien que sera déterminée le montant du bouquet comptant. Il n'y a pas de règle générale pour déterminer le pourcentage entre le comptant et les arrérages. Le vendeur détermine le montant du bouquet qu'il désire recevoir.

En cas de désaccord entre les parties, il y a parfois la possibilité d’une révision judicaire. Ainsi, si le viager a un caractère aléatoire, le contrat est annulable, car deux conditions doivent exister en même temps. L'article 1975 du Code civil prévoit l'annulation de toute rente viagère si le vendeur décède d'une maladie connue ou pouvant être connue par l'acquéreur dans les vingt jours, voire les quelques mois qui suivent la vente. La vente en viager peut être également annulée si la rente viagère est inférieure à la valeur locative. Ceci n'est valable que dans le cas d'un viager libre avec un bouquet peu important. Autrement dit, un bien vendu en viager sort du patrimoine et ne réintègre pas l’actif successoral en cas de décès. Quelle que soit la somme perçue au moment de la vente du bien en viager, rien ne peut être récupéré et cette transaction est irrévocable.

Concernant les cas de conflits, ils sont peu nombreux dans les transactions en viager mais résultent de son caractère spécifique. En premier lieu, il faut se souvenir que le viager est une aliénation à fonds perdus et qu’à la mort du vendeur, le bien immobilier, objet du viager, disparaît de la succession même s’il existe des héritiers réservataires. A l’opposé d’une vente immobilière classique où les obligations se dénouent à la signature de l’acte authentique, les deux parties continuent à être obligées dans le cas d’un viager. Le vendeur est très protégé dans le cadre d’une vente en viager et bénéficie de garanties particulières pour lui assurer le paiement de la rente. Dès la première défaillance de paiement de la part du débirentier, le vendeur dispose du privilège de vendeur qui l’autorise à faire saisir le bien et à le faire vendre en justice pour récupérer les sommes qui lui sont dues. Il peut également utiliser l’action résolutoire afin de faire annuler la vente et récupérer son bien tout en conservant les rentes et le bouquet déjà payés. Enfin, dès la signature de l’acte authentique, la rente viagère est définitive, ce qui signifie qu’il n’existe aucune circonstance, aucune limite de durée ou de montant qui autorise le débirentier à échapper à cet engagement même s’il proposait de rembourser le capital.

Pour ce qui concerne l’évolution du marché du viager immobilier, il est nettement plus positif depuis quelques années. Il y a entre 4 000 et 8 000 transactions par an depuis 2008 contre moins de 2 500 en 2006. Le potentiel de ce marché est immense puisque son étendue est estimée à plus de 500 milliards d’euros selon le rapport IGF/CGP/ANIL sur « le prêt en viager hypothécaire ». Hormis l’importance du capital immobilier des seniors, le contexte actuel dans lequel s’inscrit le marché du viager est aussi caractérisé ainsi par l’allongement de la durée de la vie des individus. En effet, si les tendances démographiques récentes se confirment, la France métropolitaine comptera 73,6 millions d’habitants au 1er janvier 2060, soit 11,8 millions de plus qu’en 2007. Sur ces 11,8 millions, plus de 10 millions seront le fait des plus de soixante ans. Ainsi en 2060, une personne sur trois aura ainsi plus de soixante ans et on comptera plus de 8,5 millions d’octogénaires et 200 000 centenaires. Le vieillissement de la population française est une vraie révolution. Ce bouleversement sociétal a cependant été négligé car il n’a fait l’objet d’aucune prévision particulière sauf en 2004, où la première étude portant sur les conséquences du vieillissement a été lancée dans le cadre du programme « Territoires 2030 ». Compte tenu des vingt-cinq ans qui restent à vivre au moment du passage en retraite, une contradiction grandissante fait son apparition entre l’allongement de la durée de la vie et la diminution des ressources pour continuer à vivre dans de bonnes conditions.

Ainsi, le viager apparaît comme une solution économiquement neutre pour les finances publiques permettant le maintien à domicile dans un logement adapté. Ces transactions immobilières spécifiques viagères ont pour objectif de permettre aux personnes âgées de rendre « liquide » leur actif immobilier pour en tirer un capital ou une rente, ou les deux à la fois. Les acheteurs sont nettement moins nombreux dans ce marché où l’offre est structurellement supérieure à la demande. En effet, le viager ne peut quasiment pas se financer par emprunt bancaire. Les assurances pour se prémunir contre le risque de sur-longévité, encore balbutiantes sur ce marché, ont généralement un coût prohibitif. Pour les acquéreurs, l’achat en viager participe d’une stratégie de valorisation du patrimoine à moindre coût et représente un produit-retraite intéressant. Le bien-fondé du viager apparaît clairement dans le contexte actuel - à savoir les personnes âgées vivent plus longtemps et sont propriétaires à une très grande majorité -. L’explosion des prix de l’immobilier a virtuellement enrichi les personnes âgées mais sans générer de richesse utilisable supplémentaire. Ainsi, il ne faut pas confondre détention du patrimoine et disponibilité financière. Ces dernières souhaitent rester chez elles aussi longtemps que possible et elles ont de plus en plus besoin de disponibilités financières. En ce sens, le viager est un produit de crise. Seule la transaction immobilière en viager prévoit une augmentation de la rente en cas de départ du crédirentier de son domicile, le bien étant alors libre à la location ou à la vente selon les termes du contrat prévu entre les parties. L’augmentation de la rente à prévoir doit permettre de percevoir l’équivalent de la valeur locative du bien. Le viager peut alors constituer un moyen avantageux de réaliser un investissement immobilier pour les primo-accédants même si cela suppose une aisance et une récurrence de revenus que peu de jeunes possèdent.

En France, la rente viagère, et donc le viager, sont coincés entre une couverture sociale généreuse et étendue et des produits d’assurance-vie fiscalement avantagés et multifonctions. Cependant l’évolution des systèmes de retraite, de moins en moins favorables, pourrait faire bouger les lignes à court terme. Les perspectives sont sombres en matière de projections notamment pour les régimes complémentaires. À périmètre constant des données actuelles, les réserves de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) seront totalement épuisées en 2016/2018 contre 2026 prévu initialement et celles de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) entre 2020 et 2023 et non après 2030 comme énoncé en 2011. Une refonte du système sera certainement nécessaire rapidement au détriment des assurés et de leurs prestations. Depuis la publication du rapport conjoint IGF/CGPC/ANIL sur « le prêt viager hypothécaire » (PVH) et la mobilisation de l’actif résidentiel des personnes âgées publié en juillet 2004, un long débat a eu lieu résultant en la promulgation de la loi sur « le prêt viager hypothécaire » (PVH) du 23 mars 2006 directement inspiré des expériences anglo-saxonnes. Le prêt viager hypothécaire est considéré comme un produit de niche qui ne concernerait que des urbains âgés de soixante-quinze ans et plus ayant des biens d’au moins 250 000 euros. Mais, il ne serait pas adapté pour les biens de plus faible valeur et ne permet donc pas d’assurer un complément de revenu sur toute la période de la fin de vie. Le propriétaire doit être suffisamment âgé pour que la quotité prêtée soit intéressante. En revanche, il peut être un produit d’appoint pour la période du grand âge quand le financement de la dépendance est d’actualité et que l’effort financier est le plus important.

Résultant de ce constat du viager en France, cette proposition de loi vise à intégrer dans le code monétaire et financier (COMOFI) et, en particulier, à autoriser les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) à procéder à l’acquisition de nue-propriété de biens immobiliers sous réserve que l’usufruit temporaire soit confié à un bailleur social.

La politique d’investissement d’un acteur tourné vers les bailleurs sociaux vise à constituer un patrimoine immobilier principalement résidentiel, dans le cadre de l’acquisition de la nue-propriété d’actifs démembrés.

L’usufruit est acquis par des entités autorisées à être bailleur social, dans le cadre d'une convention signée avec la société civile de placement immobilier. Le bailleur social assure la gestion locative des biens et finance les travaux de maintien en l'état. L'échéance du bail correspond à la date d'extinction de l'usufruit.

Ces acquisitions portent sur des immeubles construits ou à construire.

L’objectif de gestion d’un véhicule financier de type société civile de placement immobilier est de capitaliser la performance potentielle correspondant au remembrement de l’usufruit et de la nue-propriété des actifs immobiliers sous-jacents et de corriger d’éventuelles plus ou moins-values constatées lors de la valorisation annuelle des actifs immobiliers sous-jacents et réalisées lors de la vente desdits actifs.

Cette proposition de loi tend à permettre que la nue-propriété de biens immobiliers dont l’usufruit ou l’usage sont conservés par un senior, soient éligibles à l’actif des sociétés civiles de placement immobilier agréées par l’Autorité des marchés financiers (AMF). La valeur occupée du bien est versée en une seule fois au comptant, soit le bouquet cumulé avec l’ensemble des rentes viagères futures lors de l’acte notarié, donc structurellement sans risque d’impayés, et ainsi sans clause résolutoire facilitant la relation avec les notaires, la sécurité juridique et limitant les risques de morbidité prématurée et par là même les risques d’image et de notoriété. Juridiquement, cela s’apparente à une vente au comptant avec réserve de droit d’usage à vie. Il s’agit donc d’élargir aux seniors, et non plus seulement aux actifs, cette structure juridique de sociétés civiles de placement immobilier.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le sous-paragraphe 4 du paragraphe 3 de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier est complété par un article L. 214-85-1 ainsi rédigé:

« Art. L. 214-85-1. – I. – Les immeubles mentionnés aux articles L. 214-114 et L. 214-115 éligibles à l'actif d'une société civile de placement immobilier sont :

« 1° Les immeubles loués ou offerts à la location à la date de leur acquisition par la société ou par toute personne morale ayant conclu une convention d'usufruit ou conservé par un senior usufruitier ou disposant du droit d’usage et d’habitation conformément au chapitre III du titre V du livre II du code de la construction et de l'habitation ;

« 2° Les immeubles que la société fait construire, réhabiliter ou rénover en vue de leur location par elle-même ou par toute personne morale ayant conclu une convention d'usufruit ou conservé par un senior usufruitier ou disposant du droit d’usage et d’habitation conformément au chapitre III du titre V du livre II du code de la construction et de l'habitation ;

« 3° Les terrains nus situés dans une zone urbaine ou à urbaniser délimitée par un document d'urbanisme.

« Les immeubles mentionnés au 2° peuvent être acquis par des contrats de vente à terme, de vente en l'état futur d'achèvement ou de vente d'immeubles à rénover ou à réhabiliter.

« La société civile de placement immobilier peut conclure des contrats de promotion immobilière en vue de la construction d'immeubles mentionnés au 2°.

« Les immeubles mentionnés au 1°, lorsqu'ils font l'objet d'une convention d'usufruit ou conservé par un senior usufruitier ou disposant du droit d’usage et d’habitation conformément au chapitre III du titre V du livre II du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent avoir été acquis auprès de l'un des organismes mentionnés aux articles L. 365-2, L. 411-2 ou L. 481-1 du même code.

« II. – Les immeubles mentionnés au 3° du I ne peuvent représenter plus de 10 % de la valeur vénale du patrimoine immobilier de la société civile de placement immobilier. »


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