N° 3042 - Proposition de loi de Mme Patricia Adam relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales



N° 3042

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 septembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales,

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Patricia ADAM et M. Philippe NAUCHE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel des dispositions de la loi sur le renseignement votée définitivement le 23 juin 2015 et promulguée le 24 juillet 2015. Il a cependant censuré les dispositions de ce qui devait devenir le chapitre IV du titre V du nouveau livre VIII du code de la sécurité intérieure, chapitre relatif aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales. Il n’a pas critiqué ces dispositions au regard des droits et libertés garantis par la Constitution mais a estimé que le législateur n’avait pas épuisé sa compétence en renvoyant l’édiction de certaines règles encadrant cette technique de renseignement au soin du pouvoir réglementaire.

La nécessité que de nouvelles dispositions législatives soient rapidement votées pour autoriser et encadrer cette surveillance des communications internationales est évidente. Cette surveillance est en effet indispensable à la sécurité de notre pays et de nos concitoyens ainsi qu’à notre indépendance nationale ; elle est le prolongement naturel des techniques de renseignement que la loi du 24 juillet 2015 a instituées ou consacrées pour la surveillance des communications des personnes résidant sur le territoire français. Il serait en effet paradoxal, à l’heure où nombre de risques qui naissent à l’étranger menacent de se matérialiser sur notre territoire, que les services de renseignement français ne puissent pas assurer la surveillance des communications internationales aux fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation énumérés à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Il faut aussi noter que l’encadrement par la loi des activités de renseignement portant sur des personnes ou entités situées à l’étranger est sans précédent en droit français et qu’il représente à l’évidence un progrès décisif.

C’est la raison qui a justifié le dépôt rapide de cette proposition de loi.

Conformément à ce qu’exige la décision du Conseil constitutionnel, le texte voté définitivement en juin par le Parlement a été complété pour définir les « conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés » et « celles du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en œuvre ».

Son article premier insère ainsi dans le code de la sécurité intérieure un article L. 854-1, article unique du chapitre IV du titre V du livre VIII, et modifie à la marge l’article L. 841-1 du même code.

Cet article L. 854-1 régit de façon exclusive la technique de renseignement consistant dans la surveillance des communications internationales.

Son I définit en quoi consiste la surveillance des communications internationales : il indique d’abord que cette surveillance concerne les communications « émises ou reçues à l’étranger ». Il prévoit ainsi la destruction instantanée des communications échangées par des personnes utilisant toutes des identifiants « rattachables au territoire national » (par exemple un numéro en 0033). Il rappelle aussi que la notion de communications englobe à la fois les correspondances et les données de connexion. Le I explicite désormais aussi la façon dont s’articulent le régime législatif de la surveillance des communications internationales et celui des interceptions de sécurité. Seul ce dernier régime peut servir à surveiller les communications d’une personne communiquant depuis le territoire français. Il en va d’ailleurs de même si cette personne utilise son abonnement français lorsqu’elle séjourne à l’étranger. Toutefois, par exception, des personnes qui étaient écoutées sur le territoire national ou qui auraient justifié de l’être si elles étaient sur le territoire national peuvent l’être sur le fondement de l’article L. 854-1 si elles sont à l’étranger, alors même qu’elles continueraient à utiliser des numéros ou identifiants français ; toutefois, à leur retour sur le territoire national, la surveillance de ces personnes ne peut être poursuivie qu’en application du droit commun, ce qui suppose la délivrance d’une autorisation par le Premier ministre dans les conditions prévues à l’article L. 821-1. Afin d’éviter une rupture de la surveillance, la loi autorise l’accomplissement anticipé de cette formalité. De même, le renouvellement d’une interception arrivant à échéance sur le fondement de l’article L. 852-1 peut être demandé et autorisé. Enfin le I confirme que la catégorie des communications émises ou reçues à l’étranger est définie en fonction des deux extrémités de la communication et non des territoires par lesquelles la communication peut transiter à raison des modes de transport des communications électroniques.

Le II décrit le régime des autorisations de surveillance des communications internationales : outre la désignation par le Premier ministre des systèmes de communications sur lesquels l’interception est autorisée, il met en place deux niveaux d’autorisations d’exploitation, le premier portant sur l’exploitation non individualisée des données de connexion, le second sur l’exploitation des correspondances et des données de connexion. Les garanties prévues pour chaque niveau d’autorisation sont proportionnées à la teneur de l’atteinte à la vie privée que ces autorisations représentent.

Le III prévoit que la surveillance des personnes mentionnées à l’article L. 821-7, c’est-à-dire celles qui exercent en France un mandat de parlementaire ou la profession de magistrats, avocats ou journalistes, ne peut pas être exercée à raison de leur mandat ou de leur profession.

Le IV précise les conditions d’exploitation et de destruction des données et la façon dont la surveillance est tracée.

Le V définit les conditions de conservation des données et consacre le principe selon lequel les transcriptions ou extractions sont détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l’article L. 811-3. Le respect de ce principe est garanti par les prérogatives données à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui disposera notamment d’un accès permanent et direct aux renseignements collectés. Les durées de conservation prévues, supérieures au droit commun, sont justifiées notamment par la différence de situation dans laquelle se trouvent les personnes sous surveillance résidant à l’étranger, sur lesquelles les capacités d’intervention de l’État français sont plus limitées qu’à l’égard des personnes résidant en France.

Le VI décrit le régime relatif aux communications mixtes, c’est-à-dire aux communications qui mettent en jeu un numéro ou un identifiant rattachable au territoire national. Les correspondances en cause, et les données de connexion qui leur sont associées, réintègrent le droit commun applicable aux interceptions de sécurité et à l’accès aux données de connexion traitées par les réseaux des opérateurs nationaux, que ce soit en termes de circuit d’exploitation ou en termes de délai de conservation des données. Toutefois, à la différence du régime prévu à l’article L. 822-2, le délai de conservation des correspondances court à compter de leur première exploitation, sans pouvoir excéder six mois à compter de leur recueil.

Enfin le VII définit le contrôle qui s’exerce sur cette technique de renseignement. Il décrit à ce titre d’abord les prérogatives de la CNCTR qui, si elle ne donne pas, comme dans le régime de surveillance des communications échangées sur le territoire national, d’avis a priori, dispose de tous les outils prévus par le droit commun pour exercer un contrôle a posteriori effectif. En particulier, la commission disposera d’un accès permanent, direct et complet aux dispositifs de traçabilité des opérations d’interception et d’exploitation qui seront mises en œuvre, comme aux transcriptions et aux extractions réalisées. Elle pourra en outre solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

Le VII rappelle ensuite que le contrôle qui s’exerce sur la surveillance des communications internationales repose sur l’intervention successive de la CNCTR, puis du Conseil d’État statuant en formation spécialisée et donc dans des conditions permettant le respect du secret de la défense nationale. Le contrôle exercé par la CNCTR est un contrôle de conformité des mesures mises en œuvre au regard des dispositions de l’article L. 854-1, des textes d’application qui seront pris en tant que de besoin et des autorisations délivrées par le Premier ministre ou ses délégués. La CNCTR pourra et devra s’assurer de ce que les autorisations de surveillance sont bien mises en œuvre pour les finalités prévues à l’article L. 811-3 et de ce que les services respectent la portée des autorisations et l’ensemble des règles posées pour la mise en œuvre des mesures.

L’article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure, pour sa part, est modifié à la marge pour faire écho au mode de saisine du Conseil d’État organisé par l’article L. 854-1 qui prévoit un mécanisme de recours filtré par la CNCTR pour éviter toute stratégie d’engorgement de la juridiction spécialisée par des acteurs étrangers souhaitant déstabiliser la politique de renseignement extérieur.

Enfin, l’article 2 de la proposition de loi modifie dans le même sens l’article L. 773-1 du code de justice administrative.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le chapitre IV du titre V du livre VIII est ainsi rédigé :


« Chapitre IV


« Mesures de surveillance des communications internationales

« Art. L. 854-1 – I. – Peut être autorisée, aux seules fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3, la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger.

« Cette surveillance, qu’elle porte sur des correspondances ou des données de connexion, est exclusivement régie par les dispositions du présent article.

« Ces mesures ne peuvent avoir pour objet d’assurer la surveillance individuelle des communications de personnes utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, à l’exception du cas où ces personnes communiquent depuis l’étranger et soit faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité en application de l’article L. 852-1 à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national, soit sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3.

« Sauf dans les cas où sont en cause les personnes mentionnées au troisième alinéa du présent I, lorsqu’il apparaît que des communications électroniques sont échangées entre personnes ou équipements utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, y compris lorsque ces communications transitent par des équipements non rattachables à ce territoire, les communications sont instantanément détruites.

« II. – Le Premier ministre ou l’une des personnes déléguées mentionnées à l’article L. 821-4 désigne les systèmes de communication sur lesquels l’interception est autorisée dans les limites fixées au I.

« Sur demande motivée des ministres ou de leurs délégués mentionnés au premier alinéa de l’article L. 821-2, le Premier ministre ou l’un de ses délégués autorise l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées. Ces autorisations déterminent la ou les finalités poursuivies ainsi que les types de traitements automatisés pouvant être mis en œuvre en précisant leur objet. Elles sont délivrées pour une durée d’un an renouvelable.

« Sur demande motivée des ministres ou de leurs délégués mentionnés au premier alinéa de l’article L. 821-2, le Premier ministre ou l’un de ses délégués délivre également des autorisations d’exploitation désignant la ou les finalités justifiant cette surveillance, les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes objets de cette surveillance, ainsi que le ou les services spécialisés de renseignement qui en sont chargés. Ces autorisations permettent l’exploitation des communications ou des seules données de connexion. Elles peuvent prévoir l’exclusion de certains numéros d’abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d’accès aux communications. Les autorisations d’exploitation sont délivrées pour une durée maximale de quatre mois renouvelable.

« III. – Les personnes qui exercent en France un mandat ou une profession mentionné à l’article L. 821-7 ne peuvent faire l’objet d’une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l’exercice du mandat ou de la profession concernée.

« IV. – Sous réserve des dispositions prévues au VI du présent article, les communications interceptées sont exploitées par les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 désignés par les autorisations.

« L’interception et l’exploitation des communications font l’objet de dispositifs de traçabilité organisés par le Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le Premier ministre définit les modalités de la centralisation des renseignements collectés.

« Les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d’autres finalités que celles mentionnées à l’article L. 811-3.

« Les opérations de destruction des renseignements collectés, les transcriptions et les extractions sont effectuées par des agents individuellement désignés et habilités et font l’objet de relevés.

« V. – Sous réserve des dispositions prévues au VI du présent article, les renseignements collectés en application du présent article sont détruits à l’issue d’une durée de :

« 1° un an, à compter de leur première exploitation, pour les correspondances, dans la limite d’une durée de quatre ans à compter de leur recueil ;

« 2° six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion.

« Pour ceux des renseignements qui sont chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement. Ils ne peuvent être conservés plus de huit années à compter de leur recueil.

« Les dispositions du sixième alinéa de l’article L. 822-2 sont applicables aux renseignements collectés au titre du présent article.

« Les transcriptions ou les extractions doivent être détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l’article L. 811-3.

« VI. – Lorsque les correspondances interceptées renvoient à des numéros d’abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national, elles sont exploitées dans les conditions prévues aux IV et V de l’article L. 852-1 et conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le délai de conservation des correspondances court toutefois à compter de leur première exploitation mais ne peut excéder six mois à compter de leur recueil. Les données de connexion associées à ces correspondances sont conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4.

« VII. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication de toutes les autorisations mentionnées au II. Elle dispose d’un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité mentionnés au IV, aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions réalisées et aux relevés mentionnés au IV et peut contrôler à sa demande les dispositifs techniques nécessaires à l’exécution des autorisations. Si leur surveillance n’a pas déjà fait l’objet d’une autorisation spécifique, l’identité des personnes mentionnées au troisième alinéa du I est portée à sa connaissance.

« La Commission peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions, et notamment ceux prévus au 5° de l’article L. 833-2.

« Les dispositions de l’article L. 833-3 sont applicables aux mesures de surveillance des communications internationales.

« De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu’aucune mesure de surveillance n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard, la Commission s’assure que les mesures mises en œuvre au titre du présent article respectent les conditions qu’il fixe ainsi que celles définies par les textes pris pour son application et par les décisions d’autorisation du Premier ministre ou de ses délégués. Elle notifie à l’auteur de la réclamation qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre de mesures de surveillance.

« Lorsqu’elle constate un manquement au présent article, la commission adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignements collectés soient, le cas échéant, détruits. Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à cette recommandation ou que les suites qui y sont données sont estimées insuffisantes, la commission peut, dans les conditions prévues à l’article L. 833-8 du présent code, saisir le Conseil d’État statuant dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative afin qu’il se prononce sur le respect du présent article.

« La commission peut adresser à tout moment au Premier ministre les recommandations et observations qu’elle juge nécessaires au titre du contrôle qu’elle exerce sur l’application du présent article.

2° Au début du premier alinéa de l’article L. 841-1, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions particulières prévues à l’article L. 854-1 du présent code, ».

Article 2

L’article L. 773-1 du code de justice administrative est complété par les mots suivants : « et de l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure ».


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