N° 3084 - Proposition de loi de M. Bruno Le Roux relative à la modification du sexe à l'état civil



N° 3084

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

relative à la modification de la mention du sexe à l'état civil,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bruno LE ROUX, Pascale CROZON, Erwann BINET, Michèle DELAUNAY, Laurence DUMONT, Catherine LEMORTON, Patricia ADAM, Sylviane ALAUX, Christian ASSAF, Marie-Noëlle BATTISTEL, Philippe BAUMEL, Nicolas BAYS, Catherine BEAUBATIE, Gisèle BIEMOURET, Philippe BIES, Jean-Pierre BLAZY, Yves BLEIN, Jean-Luc BLEUNVEN, Patrick BLOCHE, Daniel BOISSERIE, Florent BOUDIE, Marie-Odile BOUILLÉ, Kheira BOUZIANE-LAROUSSI, Emeric BRÉHIER, Jean-Louis BRICOUT, Isabelle BRUNEAU, Jean-Claude BUISINE, Jean-Yves CAULLET, Nathalie CHABANNE, Jean-Michel CLÉMENT, Marie-Françoise CLERGEAU, Romain COLAS, David COMET, Philip CORDERY, Valérie CORRE, Seybah DAGOMA, Yves DANIEL, Guy DELCOURT, Sébastien DENAJA, Sophie DESSUS, Jean-Louis DESTANS, Fanny DOMBRE-COSTE, Sandrine DOUCET, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRÉ, Olivier DUSSOPT, Marie-Hélène FABRE, Martine FAURE, Olivier FAURE, Hervé FÉRON, Michèle FOURNIER-ARMAND, Michel FRANCAIX, Jean-Claude FRUTEAU, Jean-Patrick GILLE, Yves GOASDOUÉ, Daniel GOLDBERG, Geneviève GOSSELIN-FLEURY, Pascale GOT, Marc GOUA, Linda GOURJADE, Laurent GRANDGUILLAUME, Jean GRELLIER, Édith GUEUGNEAU, Élisabeth GUIGOU, Chantal GUITTET, Joëlle HUILLIER, Françoise IMBERT, Serge JANQUIN, Régis JUANICO, Laurent KALINOWSKI, Marietta KARAMANLI, Philippe KEMEL, Bernadette LACLAIS, Conchita LACUEY, Pierre-Yves LE BORGN’, Viviane LE DISSEZ, Annie LE HOUEROU, Jean-Pierre LE ROCH, Marie LE VERN, Dominique LEFEBVRE, Michel LESAGE, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Audrey LINKENHELD, Lucette LOUSTEAU, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Sandrine MAZETIER, Nathalie NIESON, Monique ORPHÉ, Luce PANE, Rémi PAUVROS, Sébastien PIETRASANTA, Christine PIRES BEAUNE, Élisabeth POCHON, Patrice PRAT, Christophe PREMAT, Marie-Line REYNAUD, Denys ROBILIARD, Bernard ROMAN, Barbara ROMAGNAN, Gwendal ROUILLARD, René ROUQUET, Christophe SIRUGUE, Suzanne TALLARD, Sylvie TOLMONT, Jean-Louis TOURAINE, Stéphane TRAVERT, Catherine TROALLIC, Cécile UNTERMAIER, Jean-Jacques URVOAS, Daniel VAILLANT, Jacques VALAX, Michel VERGNIER, Patrick VIGNAL et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Ibrahim Aboubacar, Patricia Adam, Sylviane Alaux, Jean-Pierre Allossery, Pouria Amirshahi, François André, Nathalie Appéré, Kader Arif, Christian Assaf, Pierre Aylagas, Jean-Marc Ayrault, Alexis Bachelay, Guillaume Bachelay, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Guy Bailliart, Gérard Bapt, Frédéric Barbier, Serge Bardy, Ericka Bareigts, Claude Bartolone, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Laurent Baumel, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Catherine Beaubatie, Jean-Marie Beffara, Luc Belot, Karine Berger, Gisèle Biémouret, Philippe Bies, Erwann Binet, Jean-Pierre Blazy, Yves Blein, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Christophe Borgel, Florent Boudie, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Brigitte Bourguignon, Malek Boutih, Kheira Bouziane-Laroussi, Emeric Bréhier, Jean-Louis Bricout, Jean-Jacques Bridey, , Isabelle Bruneau, Gwenegan Bui, Sabine Buis, Jean-Claude Buisine, Sylviane Bulteau, Vincent Burroni, Alain Calmette, Jean-Christophe Cambadélis, Colette Capdevielle, Yann Capet, Christophe Caresche, Marie-Arlette Carlotti, Fanélie Carrey-Conte, Martine Carrillon-Couvreur, Christophe Castaner, Laurent Cathala, Jean-Yves Caullet, Nathalie Chabanne, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Marie-Anne Chapdelaine, Guy-Michel Chauveau, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Jean-David Ciot, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Romain Colas, David Comet, Philip Cordery, Valérie Corre, Jean-Jacques Cottel, Catherine Coutelle, Jacques Cresta, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Seybah Dagoma, Yves Daniel, Carlos Da Silva, Pascal Deguilhem, Florence Delaunay, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Carole Delga, Pascal Demarthe, Sébastien Denaja, Françoise Descamps-Crosnier, Sophie Dessus, Jean-Louis Destans, Michel Destot, Fanny Dombre-Coste, René Dosière, Philippe Doucet, Sandrine Doucet, Françoise Dubois, Jean-Pierre Dufau, Anne-Lise Dufour-Tonini, Françoise Dumas, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Sophie Errante, Marie-Hélène Fabre, Alain Fauré, Martine Faure, Olivier Faure, Hervé Féron, Richard Ferrand, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Hugues Fourage, Jean-Marc Fournel, Valérie Fourneyron, Michèle Fournier-Armand, Michel Françaix, Christian Franqueville, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Guillaume Garot, Hélène Geoffroy, Jean-Marc Germain, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Geneviève Gosselin-Fleury, Pascale Got, Marc Goua, Linda Gourjade, Laurent Grandguillaume, Estelle Grelier, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, Chantal Guittet, David Habib, Razzy Hammadi, Benoît Hamon, Mathieu Hanotin, Joëlle Huillier, Monique Iborra, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Laurent Kalinowski, Marietta Karamanli, Philippe Kemel, Chaynesse Khirouni, Bernadette Laclais, Conchita Lacuey, François Lamy, Anne-Christine Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Pierre-Yves Le Borgn’, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Viviane Le Dissez, Annie Le Houerou, Annick Le Loch, Jean-Pierre Le Roch, Bruno Le Roux, Marie Le Vern, Patrick Lebreton, Michel Lefait, Dominique Lefebvre, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Christophe Léonard, Annick Lepetit, Arnaud Leroy, Michel Lesage, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, Audrey Linkenheld, François Loncle, Lucette Lousteau, Victorin Lurel , Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Patrick Mennucci, Kléber Mesquida, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Nathalie Nieson, , Robert Olive, Maud Olivier, Monique Orphé, Michel Pajon, Luce Pane, Christian Paul, Rémi Pauvros, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Sébastien Pietrasanta, Christine Pires Beaune, Philippe Plisson, Elisabeth Pochon, Pascal Popelin, Dominique Potier, Michel Pouzol, Régine Povéda, Patrice Prat, Christophe Premat, Joaquim Pueyo, François Pupponi, Catherine Quéré, Valérie Rabault, Monique Rabin, Dominique Raimbourg, Marie Récalde, Marie-Line Reynaud, Pierre Ribeaud, Eduardo Rihan Cypel, Denys Robiliard, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Frédéric Roig, Barbara Romagnan, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Béatrice Santais, Odile Saugues, Gilbert Sauvan, Gilles Savary, Gérard Sebaoun, Christophe Sirugue, Julie Sommaruga, Suzanne Tallard, Pascal Terrasse, Sylvie Tolmont, Jean-Louis Touraine, Stéphane Travert, Catherine Troallic, Cécile Untermaier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Michel Vauzelle, Fabrice Verdier, Michel Vergnier, Patrick Vignal, Jean-Michel Villaumé, Jean-Jacques Vlody et Paola Zanetti.

(2) Marie-Françoise Bechtel, Chantal Berthelot, Jean-Luc Bleunven, Yves Goasdoué, Edith Gueugneau, Christian Hutin, Jean-Luc Laurent, Serge Letchimy, Gabrielle Louis-Carabin, Hervé Pellois, Napole Polutélé et Boinali Said.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, en France, plusieurs dizaines de milliers de personnes éprouvent la conviction d'être nées dans le mauvais corps, le sexe leur ayant été biologiquement assigné à la naissance ne correspondant pas à l'expérience intime de leur propre identité sexuelle.

Le décalage entre le sexe biologique et l'identité ressentie conduit la majorité de ces personnes à souhaiter vivre socialement dans le genre du sexe opposé à leur sexe biologique et à en adopter l’apparence grâce à un parcours médical, fait notamment d’hormonothérapies et d’opérations chirurgicales, en tout état de cause variable en fonction des individus. On estime entre dix mille et quinze mille personnes actuellement engagées ou ayant accompli un parcours de transition.

Le plus souvent profondément ancrée dès l'enfance, la transidentité peut s’affirmer à tout âge et génère dans la plupart des cas de profondes souffrances psychologiques, notamment traduites par un taux de tentatives de suicide estimé à 34 % par une enquête associative en France. À la difficulté d'accepter sa transidentité s'ajoute le malaise social, la personne concernée ne pouvant se reconnaître dans les rôles et apparences culturellement attribués aux hommes et aux femmes. Dans bien des cas, enfin, elle subit l'isolement et le rejet par son entourage, ainsi que de nombreuses discriminations, violences physiques ou sexuelles.

Le 8 février 2010, le ministère de la santé établit le décret n° 2010-125 dans lequel les troubles de l’identité de genre (ou transsexualisme) sont supprimés des critères d’admission des affections longue durée (A.L.D. n° 23), dites psychiatriques.

Le 6 août 2012, conformément aux engagements du Président de la République, la France a officiellement reconnu la transphobie en ajoutant « l'identité sexuelle » parmi les motifs de discrimination inscrits à l'article 225-1 du code pénal à l'occasion de la loi sur le harcèlement sexuel. La prévention et la lutte contre la transphobie ne sauraient toutefois être efficaces sans modification de la mention du sexe à l'état civil, la discordance entre l'identité légale et l'identité perçue par la société exposant les personnes trans à de nombreuses discriminations et entraves en matière d'accès à l'emploi, au logement, aux soins, aux services bancaires, et parfois même au droit de vote.

Ainsi, loin d'être une simple normalisation administrative, la modification de la mention du sexe à l'état civil apparaît comme l'enjeu central de la protection des personnes trans, de leur vie privée et la garantie de conditions de vie respectueuses de leurs droits.

I. Une procédure jurisprudentielle inadaptée.

Depuis 1992 et la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), imposant la possibilité de modifier la mention du sexe à l'état civil au nom du droit à la vie privée (article 8 de la CEDH), cette procédure est encadrée par la jurisprudence. La Cour de cassation exige la « persistance d’un syndrome transsexuel » et « l’irréversibilité de procédure de changement de sexe au nom de la sécurité juridique et l’indisponibilité de l’état civil ». Elle conduit pour le demandeur à se soumettre à la réalisation d’expertises médicales attestant notamment, selon les personnes, de la réalisation d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle ou de leur stérilisation.

Conformément à la résolution 1728 du Conseil de l'Europe, qui appelle les États membres à délivrer « des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale », la Chancellerie a pris le 14 mai 2010 une circulaire en direction des procureurs de la République leur enjoignant de ne plus ordonner de telles expertises sauf à ce que subsiste à l’examen de la requête un doute sérieux quant à la réalité du transsexualisme du requérant.

Toutefois, comme le soulève la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 27 juin 2013, « Il apparaît que la jurisprudence est très fluctuante d’une juridiction à une autre. Alors que certains tribunaux ordonnent systématiquement une ou plusieurs expertises (médicales, endocrinologiques ou psychiatriques), d’autres tribunaux estiment suffisante la remise d’attestions de médecins reconnus pour leur compétence en la matière. La situation des personnes transidentitaires se caractérise ainsi par une grande inégalité en fonction des juridictions où sont déposées les requêtes et, partant, par une grande insécurité juridique. »

Par ailleurs, le changement de la mention de sexe demeure conditionné, aux termes des arrêts de la Cour de cassation du 7 mars 2012 et du 13 février 2013, à l'établissement du « caractère irréversible de la transformation de son apparence » par la personne demandant cette modification. Outre que l’existence même de transformations irréversibles est contestée par les médecins auditionnés pour préparer la présente proposition de loi, une telle condition semble incompatible avec la nécessité de protéger la vie privée des personnes durant la période de transition qui dure généralement entre trois et neuf ans.

C'est d'ailleurs sur ce motif que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) recommandait dès 2008 « de mettre en place un dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et de l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations avec les services de l’État et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions », rejointe en 2013 par la CNCDH selon laquelle « Le droit, non seulement n’est pas suffisamment protecteur pour ces personnes, mais contribue aussi à les maintenir pendant de nombreuses années dans une situation de grande vulnérabilité sociale. C’est pourquoi la CNCDH estime nécessaire une refonte de la législation française concernant l’identité de genre et le processus de changement de sexe à l’état-civil ».

II. L'évolution du droit international et les exemples étrangers.

En l'absence de réponse législative satisfaisante, la France est aujourd'hui isolée sur la scène internationale où la prise en compte de la situation des personnes transsexuelles et transgenres, au regard de la possibilité de modifier leur état civil, va croissante. En attestent les textes relatifs au transsexualisme pris par des instances internationales d’envergure, dont la France est partie :

– Le 26 mars 2007, un collège d’experts internationaux présentait auprès de l’ONU les principes dits « de Jogjakarta » sur l’application du droit international des droits de l’Homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Le principe n° 3 dispose que « Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Les personnes aux diverses orientations sexuelles et identités de genre jouiront d’une capacité juridique dans tous les aspects de leur vie (...) Personne ne sera forcé de subir des procédures médicales, y compris la chirurgie de réassignation de sexe, la stérilisation ou la thérapie hormonale, comme condition à la reconnaissance légale de son identité de genre. Aucun statut, tels que le mariage ou la condition de parent, ne peut être invoqué en tant que tel pour empêcher la reconnaissance légale de l’identité de genre d’une personne. Personne ne sera soumis à de la pression pour dissimuler, supprimer ou nier son orientation sexuelle ou son identité de genre. »

– Le 31 juillet 2009, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe dans son rapport thématique sur « Droits de l’Homme et identité de genre » recommandait, « Dans les textes encadrant le processus de changement de nom et de sexe, [de] cesser de subordonner la reconnaissance de l’identité de genre d’une personne à une obligation légale de stérilisation et de soumission à d’autres traitements médicaux ».

– Le 29 avril 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe votait la résolution n° 1728 relative aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Son article 16.11.2 dispose que « l’Assemblée appelle les États membres à traiter la discrimination et les violations des droits de l’Homme visant les personnes transgenres et, en particulier, garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes [...] à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ».

Forts de ces principes internationaux, plusieurs États ont légiféré sur la modification de la mention du sexe à l'état civil. On peut notamment citer l'Argentine, le Danemark, la Norvège et Malte où le changement est de plein droit sur simple demande. Les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal et l'Uruguay ont adopté des législations supprimant la condition d'irréversibilité ainsi que plusieurs États des États-unis, d'Australie et du Mexique.

III. Dispositions de la proposition de loi.

Cette proposition de loi comporte un article unique insérant une nouvelle section dans le code civil, intitulée « de la modification de la mention du sexe à l’état civil ». Cette section comprend 5 articles numérotés de 61-5 à 61-9.

L'article 61-5 précise les conditions pour obtenir la modification de la mention du sexe à l'état civil. Elles sont au nombre de deux et cumulatives : la mention du sexe portée à l'état civil doit ne pas correspondre d'une part « à l'expérience intime de l'identité » et d'autre part « au sexe dans lequel (la personne) est perçue par la société ».

La condition de discordance avec l'expérience intime de l'identité fait le lien avec les définitions internationales de la transidentité ou trangenralité.

Conformément à la résolution 1728 du Conseil de l'Europe et aux avis de la HALDE et de la CNCDH, la condition de sexe perçu par la société écarte toute obligation de chirurgie de réassignation et tout caractère irréversible de la transformation, mais vise à protéger la vie privée des individus et leurs droits fondamentaux dès lors qu'ils sont perçus comme appartenant au sexe revendiqué.

Ces conditions excluent d'une part les personnes perçues dans le sexe opposé mais non transidentitaires (les travestis) et d'autre part les personnes transidentitaires n'ayant pas engagé de parcours de transition.

L'article 61-6 détaille la procédure à suivre pour obtenir la modification de la mention du sexe à l'état civil. Conformément aux recommandations de la CNCDH, cette procédure est démédicalisée et partiellement déjudiciarisée.

Ainsi, le choix de produire ou non des certificats médicaux est laissé à la libre appréciation du demandeur, qui peut y trouver des arguments pour justifier sa demande et démontrer qu'il répond aux conditions posées par l'article 61-5. En effet, compte-tenu de l'isolement dans lequel vivent de nombreuses personnes transidentitaires, la simple production de témoignages, comme recommandé par la CNCDH, peut s'avérer difficile à réunir et fragile quant à la réunion des conditions exigées par l'article 61-5. Outre des certificats médicaux et des témoignages, le demandeur peut également produire tout document ayant formalisé le changement d'identité ou toute décision judiciaire reconnaissant qu'il a obtenu un changement de prénom au motif de sa transidentité ou qu'il a subi des discriminations de ce fait.

Cette demande est adressée au procureur de la République qui peut ordonner la modification de la mention du sexe, ou saisir le président du tribunal de grande instance en cas de doute sérieux sur la réalité de la transition sexuelle.

À noter que, dans son avis du 27 juin 2013, la CNCDH recommandait la saisine directe des officiers d'état civil et l'homologation de leur décision par le juge. Il est apparu aux auteurs de la proposition de loi que le grand nombre et la diversité des officiers d'état civil pouvaient maintenir une disparité d'interprétation sur le territoire et conduire à la poursuite d'un contentieux judiciaire que la présente proposition de loi entend au contraire limiter aux seuls cas de doutes sérieux.

Par ailleurs, le choix du procureur de la République rapproche cette procédure de celle existant à l'article 99 du code civil, concernant la rectification des erreurs matérielles manifestes de l'état Civil. Il s'agit donc de « constater » que la mention du sexe ne correspond plus à la perception du sexe du demandeur par la société.

L'article 61-7 précise que la modification est portée en marge des actes d'état civil. Conformément au principe d'indisponibilité, il n'a pas semblé pertinent aux auteurs d'accéder à la demande de certaines associations « d'effacer » le passé de la personne, qui fait partie intégrante de son histoire et de son identité.

Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le demandeur puisse disposer de documents officiels ne faisant aucune mention du changement de sexe, afin de protéger sa vie privée. Ainsi, l'article 61-8 en appelle au décret pour prévoir ces documents (documents d'identité, sécurité sociale, diplômes, etc...)

En revanche, et dans le même objectif de préserver leur vie privée, les modifications de sexe ne seront portées à l'état civil des conjoints et enfants que dans le cas où ceux-ci y consentent.

Enfin, l'article 61-9 précise que la modification de la mention du sexe est sans effet sur les obligations antérieures et notamment en matière de filiation.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après la section II du chapitre II du titre II du livre Ier du code civil est insérée une section II bis ainsi rédigée :


« 
Section 2
bis


« De la modification de la mention du sexe à l’état civil

« Art. 61-5. – Toute personne majeure dont la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à l'expérience intime de son identité et au sexe dans lequel elle est perçue par la société peut en demander la modification.

« Art. 61-6. – La demande de modification de la mention relative au sexe à l'état civil et, le cas échéant, de modification corrélative de prénoms, est adressée par écrit au procureur de la République territorialement compétent.

« Le demandeur produit les éléments de son choix permettant de constater qu'il remplit les conditions fixées à l'article 61-5. Constituent en particulier de tels éléments :

« 1° Les attestations ou témoignages qu'il a adapté son comportement social au sexe revendiqué ;

« 2° Les attestations ou témoignages qu'il est connu dans le sexe revendiqué par son entourage familial, amical ou professionnel ;

« 3° Les attestations qu'il a engagé ou achevé un parcours médical pour adopter le comportement social ou l'apparence physique du sexe revendiqué ;

« 4° Les documents administratifs ou commerciaux établissant qu'il est connu sous l'identité revendiquée ;

« 5° Les décisions judiciaires établissant qu'il a subi des discriminations du fait de la discordance entre son sexe à l'état civil et le sexe revendiqué ;

« 6° Les décisions judiciaires établissant qu'il a obtenu la modification de son prénom pour correspondre au sexe revendiqué.

« Le procureur de la République constate que le demandeur remplit les conditions fixées à l'article 61-5 et ordonne sous trois mois la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, aux prénoms, à l'état civil.

« Si les éléments produits sont insuffisants pour constater que le demandeur remplit les conditions fixées à l'article 61-5 ou en cas de doute réel et sérieux sur la bonne foi de ces éléments, le procureur de la République saisit le président du tribunal de grande instance qui statue dans les meilleurs délais.

« Art. 61-7. – Mention des décisions de modification de sexe et de prénoms est portée en marge des actes de l'état civil de l'intéressé.

« Par dérogation aux dispositions de l'article 61-4, les modifications de prénoms corrélatifs à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l'état civil des conjoints et enfants qu'avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.

« Les dispositions des articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe.

« Art. 61-8. – Toute personne ayant obtenu la modification de la mention de son sexe à l'état civil peut disposer de documents d'identité sans mention des sexes et prénoms antérieurs à cette modification. Un décret pris en Conseil d'État fixe la liste de ces documents.

« Art. 61-9. – La modification de la mention du sexe à l'état civil est sans effet sur les obligations contractées à l'égard de tiers, ni sur les filiations établies avant cette modification.


© Assemblée nationale