N° 3268 - Proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier visant à mettre fin à la pratique des contrôles au faciès par la modification de l'article 78-2 du code de procédure pénale



N° 3268

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à mettre fin à la pratique des contrôles au faciès par la modification de l’article 78-2 du code de procédure pénale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

MM. Jean-Jacques CANDELIER, Gaby CHARROUX
et Mme Jacqueline FRAYSSE,

Député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objet de la présente proposition de loi est de lutter contre les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires et de renforcer la confiance que nos concitoyens placent quotidiennement dans les forces de l’ordre en adaptant le cadre juridique de l’article 78-2 du code de procédure pénale. L’ambition de cette proposition de loi n’est pas de remettre en cause l’usage ciblé et approprié des contrôles d’identité dans un objectif de prévention et de répression de la délinquance. Il est en revanche aujourd’hui démontré par des expériences menées dans plusieurs pays étrangers, tels que l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, qu’un usage plus restreint au regard des dispositions en vigueur en France et conforme aux exigences retenues par le texte proposé renforce la pertinence et l’efficacité de tels contrôles.

Malgré l’absence d’outil statistique qui donnerait une idée précise de l’application des pouvoirs de contrôle par les forces de l’ordre, il est admis que leur usage n’a cessé de s’accroître au fil des ans et que leur taux figure aujourd’hui parmi les plus élevés en Europe.

Selon un sondage réalisé par Opinion Way (publié en mai 2014), 10 % de la population française âgée de dix-huit ans ou plus, déclare avoir été contrôlée au moins une fois lors des douze derniers mois, soit plus de 5,3 millions d’habitants. Selon les enquêtes disponibles, un pourcentage encore plus élevé de mineurs est régulièrement contrôlés. Ainsi, l’étude de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) portant sur un échantillon de 50 000 jeunes affirmait en 2008 que 28 % des jeunes de dix-sept/dix-huit ans étaient contrôlés au cours des douze mois précédents (38 % des garçons et 16 % des filles). Parmi les contrôlés, 31 % l’avaient été plus de trois fois dans l’année. La pratique est donc massive, et beaucoup de ces contrôles donnent lieu à une palpation ou une fouille au corps.

La réalité des contrôles discriminatoires est, aujourd’hui, un problème notoirement reconnu qui affecte au quotidien des milliers de nos concitoyens. La situation est telle que le candidat à la Présidence de la République François Hollande s’était engagé lors de la dernière campagne électorale à lutter « contre le « délit de faciès » dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ».

Une étude, menée conjointement en 2009 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Open Society Justice Initiative sur cinq lieux répartis entre les gares parisiennes et leurs abords immédiats, a produit les premières données quantitatives sur ce phénomène. Celle-ci révèle l’ampleur du problème. Les individus perçus comme « noirs » subissaient des contrôles de police à une fréquence six fois plus élevée que ceux perçus comme « blancs ». Les individus perçus comme « arabes », quant à eux, étaient contrôlés en moyenne huit fois plus fréquemment que les individus perçus comme blancs.

Le rapport « La base de l’humiliation, les contrôles d’identité en France », publié par l’organisation Human Rights Watch en janvier 2012, se référant aux témoignages de personnes contrôlées, permet par ailleurs d’éclairer la nature de ces contrôles. L’étude révèle que les jeunes issus des minorités dites « visibles », dont des enfants n’ayant pas plus de treize ans, font fréquemment l’objet de contrôles comprenant des interrogatoires prolongés, des palpations portant atteinte à leur intimité, ainsi que des fouilles d’objets personnels.

Ces contrôles arbitraires ont lieu même en l’absence d’un signe quelconque d’infraction. Les propos insultants, voire racistes, ne sont pas rares, et certains contrôles donnent lieu à un usage excessif de la force par les forces de l’ordre. Certaines études montrent enfin la perception d’un usage discriminatoire du pouvoir de contrôles qui contribue à une baisse de confiance à l’égard des les forces de l’ordre. Le sondage d’Opinion Way précédemment cité révèle que 78 % des personnes ayant accepté de répondre ont confiance en la police et la gendarmerie.

Néanmoins, cette confiance chute à 43 % parmi les personnes qui ont le sentiment d’avoir été contrôlées pour des raisons discriminatoires. La même tendance est révélée par une enquête réalisée en 2010 par l’Institut national d’études démographiques (INED) sur un échantillon de 21 000 personnes. Le manque de confiance dans la police atteint 54 % chez les personnes ayant fait l’objet de multiples contrôles, contre 25 % chez celles n’ayant pas été contrôlées.

Le volet français de l’enquête Euro Justis (2011) révèle, de son côté, que les interactions négatives avec la police créent un sentiment de méfiance qui s’étend également aux personnes qui vivent ces expériences de façon indirecte, par exemple en étant témoins d’un tel traitement ou en entendant leur entourage en parler. Cette érosion de la confiance est d’autant plus prononcée que le contrôle est intrusif et qu’il comprend également une palpation ou une fouille. Ces constatations font écho à des phénomènes similaires abondamment étudiés aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays.

Lorsque la confiance dans la police s’effondre, les populations deviennent réticentes à signaler à la police les activités criminelles ou suspectes, et se montrent peu disposées à coopérer et à fournir des renseignements. Il est de ce fait plus difficile, sinon impossible, pour la police d’avoir connaissance des délits et des activités suspectes qui peuvent avoir lieu dans un quartier donné. Les policiers ont alors du mal à réunir les informations essentielles qui leur permettraient de prévenir ou de résoudre les crimes, délits et autres désordres. À mesure que le travail de lutte contre la délinquance se complique et que son efficacité est ainsi entravée, la sûreté des populations en pâtit à son tour.

Les fonctionnaires de police et de gendarmerie souffrent directement, quant à eux, de la dégradation de cette relation. Leurs conditions de travail sont extrêmement détériorées par le stress permanent engendré par des situations trop souvent conflictuelles. Les policiers en première ligne sont souvent les plus jeunes et les moins expérimentés, nommés en première affectation dans des quartiers difficiles. Des contrôles d’identité mal vécus ont souvent participé à la colère et la frustration à l’origine des manifestations de violence qui ont éclatées en France au cours des dernières décennies.

Afin de faire face à ces dérives et de rétablir une sécurité juridique et une utilisation efficace de ces contrôles, il est essentiel de modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale qui définit les circonstances autorisant les contrôles d’identité et les motifs légaux justifiant de tels actes. La généralité et l’imprécision de sa rédaction actuelle favorisent des dérives, limitent l’efficacité de toute autre mesure et contribuent aux violations graves et répétées des droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la protection contre l’arbitraire, la protection de la vie privée et la non-discrimination. Il est également essentiel d’encadrer de manière explicite les palpations de sécurité qui ne sont pas mentionnées dans l’article 78-2 du code de procédure pénale malgré leur fréquence lors des contrôles d’identité et leur caractère intrusif.

Aujourd’hui, ce texte permet aux forces de l’ordre de procéder à des contrô1es sans lien nécessaire avec la prévention ou la répression d’un acte de délinquance, et sans avoir à justifier du motif du contrôle. En effet, plusieurs des alinéas de l’article 78-2 n’exigent pas que les agents fondent les contrôles sur des motifs objectifs et individualisés. D’autre part, lors d’un contrôle, les agents -qui n’ont aucune obligation de remplir un quelconque document dénombrant les contrôles d’identité réalisés et les motifs de ces contrôles- ne renseignent pas les personnes contrôlées sur le fondement légal ou les raisons du contrôle, ni de justification quant au recours à une palpation ou fouille susceptible d’accompagner le contrôle.

La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme en la matière, et notamment les arrêts Gillan et Quinton c/Royaume Uni (arrêt du 12 janvier 2010, numéro 4159/05) et Goussinski c/Russie (arrêt du 19 mai 2004, numéro 70276/01), souligne pourtant la nécessité, pour un policier qui contrôle une personne, de « démontrer l’existence d’un motif raisonnable de soupçonner une infraction » compte tenu qu’« accorder un pouvoir aussi étendu aux policiers fait naître un risque clair d’arbitraire ». Et de préciser que « les termes « raisons plausibles de soupçonner » supposent l’existence de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction ». (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A n° 182, pp. 16-17, paragraphe 32).

Par ailleurs, l’absence de données relatives aux contrôles a pour effet de rendre impossible toute initiative de la hiérarchie policière- qui n’a pas elle-même connaissance de l’utilisation de ces pouvoirs – permettant de remédier aux dérives constatées dans les études susvisées.

Cela entrave de plus le droit à un recours efficace de toute personne qui s’estime lésée par un contrôle d’identité. La police et la gendarmerie doivent être perçues pour ce qu’elles doivent être, à savoir des institutions protectrices des libertés publiques et de la sécurité, inspirant confiance à la population sur l’ensemble du territoire. Il est ici question de la capacité de ces institutions à remplir leurs missions fondamentales dans le respect des valeurs républicaines et avec le souci de la paix et de la cohésion sociale. La réforme de l’article 78-2 du code de procédure pénale y contribuerait significativement.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 78-2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « plausibles » est remplacé par les mots : « objectives et individualisées » ;

2° Les sixième à dernier alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Aucun contrôle d’identité ne peut être réalisé au seul motif de l’origine, du sexe, des mœurs, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, de l’âge, de la situation de famille ou de grossesse, des caractéristiques génétiques, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne à une ethnie ou une nation, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap ou toute autre situation.

« Lorsqu’ils procèdent à un contrôle d’identité, les agents habilités ne peuvent procéder à une palpation de sécurité que s’il existe une raison objective de soupçonner que la personne est en possession d’objets de nature à mettre en danger la sécurité de l’agent, d’elle-même ou d’autrui.

« Les contrôles d’identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l’établissement d’un document spécifiant le motif du contrôle dont les modalités seront fixées par décret en Conseil d’État. »

Article 2

La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles de Wallis et Futuna.


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