N° 3280 - Proposition de loi de Mme Brigitte Allain visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation



N° 3280

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Brigitte ALLAIN, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, Cécile DUFLOT, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Barbara POMPILI, Jean-Louis ROUMÉGAS, François de RUGY et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi a pour ambition de créer un environnement juridique favorisant l’ancrage territorial de l’alimentation. Cette proposition de loi fait suite aux préconisations du rapport parlementaire n° 2942 « Et si on mangeait local… » adopté en juillet 2015 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Elle s’inscrit dans la continuité des auditions menées par la mission d’information parlementaire sur les circuits courts et la relocalisation des filières agro-alimentaires.

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a fait de l’ancrage territorial de la production l’un des objectifs de la politique agricole et alimentaire. Cette nouvelle orientation, attendue par la société et les agriculteurs, ne constituera une réponse aux multiples crises agricoles qu’à la condition d’être traduite en actes.

En effet, depuis plus de cinquante ans, avec la montée en puissance d’une agriculture productiviste et mondialisée, les actes de production et de consommation ont été déconnectés. Dans un contexte de politique internationale anxiogène, la société française est à la recherche de lien social et souhaite mieux prendre en compte les enjeux écologiques et climatiques. Notre alimentation redevient un enjeu politique et un patrimoine culturel à préserver. Face à des accords marchands internationaux générateurs de casse et de dumping social, prendre en main nos politiques alimentaires nous rend acteurs de l’aménagement de nos territoires, de nos emplois, de notre santé, de notre environnement. Cet été encore, alors que la crise de l’élevage retentissait dans nos campagnes, la consommation de produits locaux et français a été vivement encouragée par nos responsables politiques.

Le temps est venu d’engager des politiques publiques qui redonnent de la valeur et du sens à tous les métiers de la chaîne alimentaire et ainsi une confiance renouvelée entre la société et les agriculteurs.

Les initiatives émergent partout en France, qu’elles soient privées ou publiques. On pense à la vaste consultation citoyenne de « gouvernance alimentaire » lancé par la région Nord-Pas-de-Calais, à la ville de Saint-Étienne qui se fournit à 100 % en produits biologiques depuis le 1er janvier 2014, ou à la plus petite ville de Mouans-Sartoux qui a installé un agriculteur municipal pour fournir en produits locaux une cantine intergénérationnelle.

Les projets alimentaires territoriaux (PAT), inscrits dans cette loi d’orientation agricole, permettent de structurer des systèmes alimentaires pour un approvisionnement local. Ils sont en cohérence avec l’objectif de développement de l’agroécologie. Organiser les projets alimentaires territoriaux, portés par des conseils alimentaires locaux est de nature à favoriser cette transition écologique économique et sociale des territoires par l’achat responsable et solidaire. Cela rend les citoyens acteurs de l’usage et du partage du foncier, de la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et de la lutte contre le réchauffement climatique. Manger local implique le respect de la nature, des sols, de l’eau, de l’air et des animaux. Les citoyens veulent manger sain et en finir avec le gaspillage alimentaire.

Le Gouvernement a également annoncé sa volonté d’introduire 40 % de produits de proximité, de qualité et bio dans les menus de la restauration collective, formidable levier de développement des filières locales.

Aujourd’hui, tous les signaux sont au vert pour développer les circuits courts, de qualité et de proximité. Sur les territoires, une multitude de moyens de commercialisation se développent et cherchent à se structurer : marché de producteurs, magasins de producteurs, vente à la ferme, e-commerce, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, plateformes de producteurs pour approvisionner la restauration collective… Ces moyens de commercialisation permettent souvent de valoriser des produits de qualité : agriculture biologique, produits fermiers ou encore indications géographiques.

Les circuits courts ont été définis par le ministère de l’agriculture en 2009. Un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur – vente à la ferme, marché de producteurs… –, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur – commerçants détaillants de type épicier, boucher, ou restaurateur.

Les circuits de proximité correspondent à l’idée d’une distance spatiale maximale mesurant le chemin à parcourir entre le lieu de production et celui de vente. Cette distance, qui n’a fait l’objet d’aucune définition officielle, peut varier selon le type de production concernée, d’environ 30 km pour des produits agricoles simples, comme les fruits et légumes, à 100 km pour ceux nécessitant une transformation !

« Produire local pour manger local » : il ne s’agit pas seulement de développer les circuits courts mais bien de changer d’échelle en régionalisant les filières agricoles et agro-alimentaires. C’est possible et bénéfique pour l’emploi, l’environnement et le lien social.

En effet, la consommation locale a un effet immédiat sur le développement de l’économie locale, du tourisme et de l’attractivité du territoire par la valorisation des savoir-faire locaux et du patrimoine. Si les ventes des produits en circuits courts et locaux atteignaient 10 % du chiffre d’affaires global de l’alimentation, les circuits courts et de proximité pourraient créer entre 80 000 et 100 000 emplois, des emplois non-délocalisables et valorisants. De même, concernant ces bienfaits environnementaux, une denrée alimentaire parcourt en moyenne 3 000 km avant d’atterrir dans nos assiettes alors que le rayon d’un produit local se situe entre 30 et 100 km ! De nombreuses expériences ont démontré que manger local entraîne des comportements plus responsables : recherche de produits bio, réduction du gaspillage alimentaire, tri des déchets, etc.

Alors que la COP 21 a remis cette préoccupation au centre du débat public et que l’agriculture est responsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre en France, l’ancrage territorial de l’alimentation doit être considéré comme une des principales solutions pour diminuer les émissions de CO2 de l’agriculture. Selon le ministère de l’agriculture, il pourrait contribuer à faire baisser le bilan carbone français de 12 %.

Cette proposition de loi, dans son article 1er, fixe un objectif atteignable : l’introduction dans la restauration collective publique dès 2020, de 40 % de produits issus de l’alimentation durable, locaux, de saison, signes de qualité, dont biologiques.

On entend par « alimentation durable » les denrées alimentaires bénéficiant d’un signe officiel de qualité et de l’origine (productions certifiées biologiques ou issues d’exploitations en conversion, appellation d’origine contrôlée (AOC), indication géographique protégée (IGP), spécialité traditionnelle garantie (STG), label rouge, produits fermiers, l’écolabel national « pêche durable »), les produits de saison et les produits de proximité.

Cette obligation de résultat ne s’applique que pour les restaurants sous la charge de l’État et de ses collectivités territoriales, qui doivent se montrer exemplaires dans le respect des engagements du Président de la République.

En rendant la restauration collective publique exemplaire, on évitera de répéter l’échec du Grenelle de l’environnement de 2008, lors duquel un large consensus s’était formé pour atteindre 20 % de produits biologiques dans les menus des cantines. Cependant, l’observatoire mis en place par l’Agence Bio constate que la part des achats de produits bio de la restauration collective s’élevait en 2014 à seulement 2,7 % du marché alimentaire total.

L’import et les produits standards dominent le marché de la restauration collective à cause de la méconnaissance des possibilités offertes par le code des marchés publics pour privilégier des produits locaux et de qualité, de la prééminence accordée au coût des matières premières, du manque de familiarité avec les méthodes permettant de diminuer le gaspillage alimentaire.

Ainsi, l’approvisionnement de la restauration collective en produits biologiques et locaux constitue un défi national et demande un engagement à tous les niveaux. Les établissements peuvent prévoir la formation des cuisiniers, des personnels encadrants et la mise en place de « projets alimentaires d’établissements ». Les collectivités et entreprises peuvent, en gestion directe et en gestion concédée, recourir aux subtilités des marchés publics permettant d’introduire des produits locaux et de qualité dans les repas de leurs convives pour des coûts maitrisés. Le ministère de l’agriculture a publié un guide à cet effet et se prépare à modéliser des appels d’offres utilisables.

La loi, quant à elle, ne peut modifier le code des marchés publics mais peut encourager positivement les acteurs à introduire les produits locaux dans les cantines. Il devient alors possible d’évaluer l’engagement réel des collectivités dans des programmes alimentaires durables et de les récompenser à la hauteur de leur engagement.

L’article 2 transforme l’observatoire de l’alimentation en observatoire de l’alimentation et des circuits courts et de proximité. Il aura pour nouvelle mission de suivre les données qualitatives et quantitatives relatives aux circuits courts et de proximité, en liaison avec les observatoires régionaux et inter-régionaux existants et s’assurera du respect des objectifs définis à l’article L. 230-5-1. Cette nouvelle mission, en s’appuyant sur les observatoires infranationaux existants, s’accomplira à charge constante pour l’État et les collectivités. Les données seront recueillies par les gestionnaires lors de leurs achats.

Pour diffuser un modèle qui fonctionne, il est indispensable d’accroître la visibilité des bonnes pratiques et de valider les modèles économiques performants.

À l’article 3, les plans régionaux d’agriculture durable sont amenés à intégrer les politiques alimentaires transversales dans leurs objectifs et dans leur gouvernance.

Ainsi, cet article s’articule en deux volets.

Le premier volet transforme les Plans régionaux d’agriculture durable (PRAD) en Plans régionaux d’agriculture et d’alimentation durables (PRAAD).

Le second volet intègre dans la gouvernance des PRAAD, les acteurs de l’alimentation, regroupés en région dans les Comités régionaux pour l’alimentation (CRALIM). Instance de concertation et d’information, chargée de décliner en région la politique nationale de l’alimentation, le CRALIM rassemble l’ensemble des acteurs de l’alimentation, notamment les associations, les professionnels de la chaîne alimentaire et les collectivités locales.

La réforme territoriale va conférer aux nouvelles régions des pouvoirs accrus en termes de développement économique : il s’agit d’une opportunité à saisir pour à nouveau articuler agriculture et alimentation sur tous les territoires. Les conseils régionaux ont un rôle essentiel à jouer dans la mise en place de ces stratégies alimentaires au travers de leur compétence « développement de territoire ». Ils pourront soutenir les outils coopératifs et collectifs de transformation par le biais d’aides à l’investissement de projets innovants et proposer des programmes de formation pour valoriser les métiers de l’alimentation.

L’article 4 s’adresse spécifiquement aux grandes entreprises, qui devront intégrer dans leur Responsabilité sociale et environnementale (RSE) des exigences en matière de consommation alimentaire durable : choix de produits bio et locaux, cuisine sur place, lutte contre le gaspillage alimentaire et le suremballage.

L’article 5 prévoit d’étendre le dispositif « fait maison » aux restaurants collectifs qui s’impliquent dans la démarche. Les responsables des achats seront alors incités à développer des stratégies du « mieux disant ». Depuis le 15 juillet 2014, la mention « fait maison » s’impose à tous les établissements de restauration commerciale, traditionnelle, de chaîne et rapide.

Le « fait maison » identifie les plats élaborés par le cuisinier et valorise ainsi son métier, dans un secteur où le recrutement est difficile. Pour le consommateur, le « fait maison » permet de distinguer la cuisine d’assemblage de la cuisine confectionnée à partir de produits crus comme on le fait traditionnellement dans une cuisine. Il peut également avoir une vertu pédagogique pour les plus jeunes.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 230-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 230-5-1. – Dans les six mois à compter de la promulgation de la loi n° du visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, l’État ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements servent dans les restaurants collectifs, dont ils ont la charge, 20 % de produits entrant dans la composition des repas servis, relevant de l’alimentation durable c’est-à-dire produits de saison ou sous signes d’identification de la qualité et de l’origine, en veillant à la proximité géographique entre les producteurs agricoles, les transformateurs et les consommateurs. Ce taux est fixé à 40 % à compter du 1er janvier 2020, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. »

Article 2

L’article L. 230-3 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « alimentation », sont insérés les mots : « et des circuits courts et de proximité » ;

b) Il est complété par les mots : « et sur le développement des circuits courts et de proximité » ;

2° Le deuxième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« En liaison avec les observatoires régionaux et inter-régionaux des circuits courts et de proximité existants, il veille au respect de l’article L. 230-5-1. Les gestionnaires, publics et privés, d’activités de restauration collective recueillent et communiquent à l’observatoire les données quantitatives et qualitatives utiles à l’accomplissement de sa mission de suivi des circuits courts et de proximité. »

Article 3

I. – L’article L. 111-2-1 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, à la dernière phrase du deuxième alinéa, à la première phrase du quatrième alinéa et au cinquième alinéa, le mot : « durable » est remplacé par les mots : « et de l’alimentation durables » ;

2° Au premier alinéa, le mot : « agro-industrielle » est remplacé par le mot : « alimentaire » ;

3° Au troisième alinéa, après le mot : « représentatives », sont insérés les mots : « et les comités régionaux pour l’alimentation. »

II. – 1° À la première phrase du quatrième alinéa du III de l’article L. 1, au deuxième alinéa de l’article L. 111-2-2, à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 180-1 et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 315-2 du même code, le mot : « durable » est remplacé par les mots : « et de l’alimentation durables ».

2° À la quatrième phrase de l’article L. 425-1 et au quatrième alinéa du II de l’article L. 515-3 du code de l’environnement, le mot : « durable » est remplacé par les mots : « et de l’alimentation durables ».

III. – Au 3° des I et II de l’article L. 180-2 du code rural et de la pêche maritime, après le mot : « représentatives », sont insérés les mots : « et les comités régionaux pour l’alimentation. »

Article 4

À la première phrase du cinquième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce après le mot : « durable », sont insérés les mots : « , de l’alimentation durable ».

Article 5

Au premier alinéa de l’article L. 121-82-1 du code de la consommation, après le mot : « commerciale », sont insérés les mots : « , de restauration collective ».


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