N° 3386 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Roger-Gérard Schwartzenberg relative à la devise de la République



N° 3386

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 janvier 2016.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative à la devise de la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Joël GIRAUD, Gilda HOBERT, Jacques KRABAL, Jérôme LAMBERT, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sa devise exprime l’éthique d’une Nation. Elle affirme ses valeurs primordiales. Elle énonce ses principes fondamentaux. Ceux qui font l’essence même de son action.

La Constitution de 1848 est la première à le proclamer, dans son Préambule : « La République a pour principe la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. » De même, la Constitution de 1946 le rappelle à son article 2 : « La devise de la République est : ‟Liberté, Égalité, Fraternité”. »

Comme la IIe et la IVe République, la Ve République reprend cette devise ternaire dans la Constitution de 1958 (article 2, alinéa 4) : « La devise de la République est ‟Liberté, Égalité, Fraternité”. »

Mais, pour exprimer plus complètement la symbolique républicaine, il conviendrait d’ajouter à ce triptyque un quatrième terme : « Laïcité ».

Cet ajout serait d’ailleurs en concordance directe avec la toute première phrase de l’actuel article 1er de notre Constitution, qui souligne le caractère laïque de nos institutions : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Tolérance

Intimement liée aux institutions et aux lois républicaines, la laïcité procède au préalable d’une aspiration essentielle qui marque particulièrement le siècle des Lumières, avec Diderot ou Voltaire et son « Traité sur la tolérance », publié en 1763.

Elle repose, en effet, sur la tolérance, le respect de chacun, l’esprit de dialogue entre ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions. Dans un contexte apaisé qui ne connaisse ni pression ni violence.

« J’appelle intolérant » écrivait Jean-Jacques Rousseau « tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, et damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. » (1)

Fondée sur la liberté de conscience, la laïcité peut faire obstacle à la résurgence des dogmatismes, des intégrismes qui voudraient dicter leur foi à autrui. Par le prosélytisme, souvent. Par la violence, parfois. Comme l’ont montré les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher les 7 et 9 janvier 2015, puis la tuerie de masse au Bataclan le 13 novembre 2015.

Voltaire notait déjà dans le « Dictionnaire philosophique » : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »

Paradoxalement, après deux siècles de sécularisation, le XXIe connaît un retour à l’emprise du fait religieux. Parfois sous des formes extrêmes. Pour tenter d’imposer sa croyance par la violence.

Face à cela, la laïcité est plus que jamais nécessaire, car elle est à la fois un principe de liberté et un principe de fraternité.

Un principe de liberté

Principe de liberté, d’abord. La laïcité assure le libre arbitre, l’autonomie de réflexion et de jugement. Elle garantit la liberté de conscience, la liberté de pensée, la liberté de croire ou ne pas croire. Bref, la liberté des confessions et des convictions.

« Nous ne sommes pas les ennemis de la religion » disait Gambetta. « Nous sommes au contraire les serviteurs de la liberté de conscience, respectueuse de toutes les opinions religieuses ou philosophiques. »

La laïcité n’est pas un principe de négation des religions. L’État laïque respecte toutes les croyances, mais de manière égale. Il n’en reconnaît aucune en particulier.

La loi « portant séparation des Églises et de l’État » du 9 décembre 1905 le souligne et commence par ces deux articles :

Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… »

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte… »

Dans son discours, modéré et équilibré, du 3 juillet 1905, son rapporteur, Aristide Briand, présente ce texte comme « une loi de bon sens et d’équité », une loi « respectueuse de toutes les croyances et leur laissant la faculté de s’exprimer librement ».

La loi de 1905 sépare donc l’État et les Églises. Ferdinand Buisson, président de la commission de la Chambre des députés qui prépare ce texte, définit l’État laïque comme « un État neutre entre les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique. » De même, Jean Jaurès, soutenant cette loi déclare : « Aucun culte ne doit être privilégié dans l’État. »

Soixante-quinze ans après, en février 1981, lors des Assises de la laïcité, c’est ce même double objectif – liberté et respect – que défendra François Mitterrand, alors candidat à la présidence de la République :

« La première loi de l’esprit laïque, c’est le refus d’être soumis à la pensée d’autrui. Libre débat, discussion, cela suppose d’abord une conquête, résister, être d’abord soi-même… La seconde loi : si je refuse d’être soumis à la pensée d’autrui, j’entends respecter tout autant la liberté des autres. Résistance et tolérance. Voilà les deux maîtres mots. »

Un principe de fraternité

Principe de liberté, la laïcité est aussi un principe de fraternité, un principe de concorde.

La neutralité de l’État entre les confessions permet à tous de vivre ensemble par-delà les diverses appartenances religieuses.

En revanche, le communautarisme, souvent d’origine confessionnelle ou culturelle, risquerait de conduire à une société fragmentée en groupes distincts et dissociés, incarnant des solidarités spécifiques.

Ce repli identitaire ou cette confessionnalisation des relations sociales ne seraient pas conformes à la conception universaliste de la République.

Le modèle républicain est tout le contraire d’une segmentation de la société en entités particulières, dont chacune vivrait refermée sur elle-même. À l’écart des autres. Voire en conflit avec les autres.

Une telle déstructuration de la nation, appelée à se disjoindre en communautés distinctes et séparées, voire antagonistes, déferait le lien social. En affaiblissant la conscience d’un destin commun. La perte du sens collectif menacerait cette République éclatée.

La laïcité peut être un rempart contre cette montée des communautarismes, fondés sur l’origine ou la confession, qui pourrait entraîner ce déliement de la société. Car elle incarne la tradition républicaine, la fidélité aux valeurs d’égalité et de fraternité entre tous les Français, issus de toutes les cultures, de tous les horizons et leur volonté d’être et d’agir ensemble. Par-delà les différences. En se rappelant la phrase de Saint-Exupéry : « Nos différences, loin de nous léser, doivent nous enrichir. »

Conforter la laïcité

La laïcité réunit et rassemble. Elle fédère. Elle renforce l’unité de la Nation.

La République laïque s’oppose à tout ce qui divise, à tout ce qui sépare. Elle est un facteur d’union, de concorde, quelle que soit l’origine, la croyance ou la culture.

Le 17 décembre 2003, Jacques Chirac, alors chef de l’État, déclarait dans un discours consacré au respect du principe de laïcité dans la République : « Ce principe renvoie à notre cohésion nationale, à notre aptitude à vivre ensemble, à notre capacité à nous réunir sur l’essentiel. » Il permet « le rassemblement des Français de toutes croyances et de toutes convictions. Pierre angulaire de la République, faisceau de nos valeurs communes de respect, de tolérance, de dialogue, la laïcité est un élément essentiel de la paix sociale et de la cohésion nationale. Nous ne pouvons pas la laisser s’affaiblir. Nous devons travailler à la consolider. »

Cette conception est largement partagée. Car la laïcité n’est pas une laïcité de conflit ou de combat. Elle est une laïcité de consensus et de concorde.

Pour conforter cette valeur essentielle, il importerait d’ailleurs, comme cela a été fait avec la Charte de l’environnement en 2004, d’élaborer une « Charte de la laïcité » qui serait, elle aussi, adossée à la Constitution.

Dans l’immédiat, ce qui est prioritaire, c’est le symbole. Et donc la devise. Puisque chacun s’accorde, surtout dans les circonstances présentes, sur l’extrême importance de la laïcité pour garantir et sauvegarder le modèle républicain, la devise de notre patrie, « Liberté, Égalité, Fraternité », devrait être complétée par le terme « Laïcité ».

D’où cette proposition de loi constitutionnelle, très brève, qui tient en un seul mot, mais qui contribuerait à rappeler nos communes perspectives. Celles qui s’appellent respect mutuel, destin solidaire, espoir partagé.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Articler unique

Le quatrième alinéa de l’article 2 de la Constitution est ainsi rédigé :

« La devise de la République est ‟Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité”. »

1 () Lettre à Voltaire du 18 août 1756.


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