N° 3479 - Proposition de loi de M. Jean-Luc Laurent visant à instaurer une peine de déchéance civique pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme



N° 3479

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2016.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une peine de déchéance civique
pour les
personnes condamnées pour des actes de terrorisme,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Jean-Luc LAURENT et Christian HUTIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a 2 500 ans, l’exigeante démocratie athénienne avait pris soin de distinguer l’atimie (ἀτιμία, soit le mépris) de l’ostracisme (ἐξοστρακίζω). À la différence de l’ostracisme, l’atimie ne valait pas bannissement, ni la perte de la qualité de citoyen mais bien l’interdiction de tous les droits du citoyen, résultant en une mise au ban du corps civique et politique, voire du corps social. Plus proches de nous, il y a soixante-dix ans, les légistes de la Résistance avaient construit à la Libération un crime d’indignité nationale sanctionnée d’une peine de dégradation nationale et qui consistait en une « déchéance » des droits attachés au citoyen, en se tenant à distance des déchéances de nationalité pratiquées par le régime de Vichy.

La déchéance de nationalité telle qu’elle figure aujourd’hui dans notre droit positif s’apparente à une forme d’ostracisme définitif puisque sa conséquence pratique, au-delà de la symbolique, est l’exclusion de la personne déchue vers un autre pays. Comme tout acte d’ostracisme, cette pratique s’apparente à une défausse de la communauté nationale qui croit se purifier en expulsant un de ses membres criminels mais ne fait au fond que se décharger sur d’autres, des pays amis, des pays voisins du pourtour méditerranéen. La déchéance, entendue comme une dénaturalisation, correspond à la possibilité pour la République de réviser son jugement, au vu de la commission d’actes extrêmement graves, en excluant la personne condamnée. La véritable déchéance, celle qui vise les Français par attribution ou par déclaration, les Français de droit, n’est pas défendable sur le plan des principes qui régissent notre droit de la nationalité. Ne visant au final que les Français binationaux, elle devient même douteuse.

La France, comme Nation, est malade et cette crise n’a pas attendu la vague de violence djihadiste inaugurée par les crimes de Mohammed Merah en 2012. Au lendemain des attaques ciblées de janvier 2015, et plus encore au lendemain des attaques aveugles de novembre 2015, le sursaut patriotique a donné quelques raisons d’espérer. Depuis cette tragédie, nous entrevoyons la possibilité d’un sursaut avec réappropriation des symboles nationaux au moment où notre nation est confrontée à une agression frontale, tant physique que politique. Le djihadisme international nie les nations et a besoin de les fragmenter pour progresser. La question nationale, de son unité et de sa cohésion, est donc bien au cœur des évènements que nous vivons.

Les peines infamantes ont été supprimées du code pénal en 1994 mais la recherche d’une peine politique qui marque l’exclusion de la communauté nationale est aujourd’hui légitime.

Comme l’ont fait remarquer de nombreux juristes, hommes politiques et citoyens, le code pénal offre les solutions juridiques les plus adaptées pour réprimer en droit des actes de terrorisme, entendus au sens large. Une réorganisation de certaines dispositions du code pénal suffirait à organiser une réponse de la République.

Cette atimie moderne serait nommée déchéance civique et correspondrait à une peine criminelle complémentaire pour les auteurs d’actes de terrorisme.

Sur le fond :

Elle doterait la réponse républicaine d’une puissance symbolique, faisant référence aux fondements politiques de notre Nation et redonnant force au principe de citoyenneté ;

Elle s’appliquerait à l’ensemble des citoyens sans distinction respectant ainsi le principe d’égalité ;

Elle n’engendrerait pas l’expulsion du territoire de la personne condamnée et donc n’entraverait pas le travail des services de contreterrorisme, ni ne créerait de tensions diplomatiques.

Sur la forme :

La modification des textes ne requerrait pas une procédure législative lourde, celle-ci pouvant se faire par une loi ordinaire (article 34 de la Constitution). Cette peine de déchéance civique pourrait toutefois être explicitement visée par la Constitution ;

De telles dispositions existent déjà dans le code pénal, assurant ainsi leur conformité à la Constitution ;

Leur durée doit tendre vers la perpétuité pour les crimes les plus graves, dans le cadre d’un dialogue constructif avec la Cour européenne des droits de l’Homme, gardienne vigilante de la Convention éponyme.

Afin que la réponse républicaine soit exemplaire à l’encontre des terroristes, il convient de durcir considérablement les peines complémentaires applicables pour la commission d’actes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. À ce titre, les articles 2 et 3 de la présente proposition de loi visent à prévoir la suspension du versement des aides d’État, ainsi que des mesures confiscatoires des biens du condamné. Toute latitude est laissée au juge pénal pour apprécier quelles aides d’État doivent être suspendues et quels biens confisqués.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

I. – Après la sous-section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier, il est inséré une sous-section 3 bis ainsi rédigée :

« Sous-section 3 bis

« De la peine de déchéance civique encourue pour actes de terrorisme

« Art. 131-11-1. – La déchéance civique entraîne l’interdiction des droits suivants :

« 1° Le droit de vote ;

« 2° L’éligibilité ;

« 3° Le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ;

« 4° Le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ;

« 5° Le droit d’être tuteur ou curateur ; cette interdiction n’exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles, le conseil de famille entendu, d’être tuteur ou curateur de ses propres enfants ;

« 6° Le droit, suivant les modalités prévues par l’article 131-27, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement ;

« 7° Le droit de séjour, suivant les modalités prévues par l’article 131-31.

« La peine de déchéance civique est prononcée pour une durée qui peut être perpétuelle et qui ne peut être inférieure à quinze ans en cas de condamnation pour crime ; elle ne peut excéder une durée de quinze ans en cas de condamnation pour délit.

« La juridiction peut prononcer l’interdiction de tout ou partie de ces droits.

« La déchéance civique prononcée en application du présent article emporte interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique.

« Art. 131-11-2. – Dans les cas prévus par la loi et par dérogation au neuvième alinéa de l’article 131-11-1, la peine d’inéligibilité mentionnée au 2° du même article peut être prononcée pour une durée perpétuelle à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits. »

II. – Les articles 131-26 et 131-26-1 sont abrogés.

III. – Le 1° de l’article 422-3 est ainsi rédigé :

« 1° La peine de déchéance civique, suivant les modalités prévues aux articles 131-11-1 et 131-11-2. Toutefois, le maximum de la durée de l’interdiction peut être perpétuelle en cas de crime et porté à quinze ans en cas de délit ; »

IV. – Le 2°, le 3° et le 4° de l’article 422-3 sont abrogés.

V. – À l’article 131-29, la référence : « 131-26 » est remplacée par la référence : « 131-11-1 ».

Article 2

I. – La sous-section 3 bis du chapitre Ier du titre III du livre Ier du même code est complétée par un article 131-11-3 ainsi rédigé :

« Art. 131-11-3. – 1° Lorsqu’une peine de déchéance civique est prononcée, le juge pénal peut décider la suspension, pour la personne physique condamnée, du versement de tout ou partie des aides sociales, telles qu’elles sont définies par le code de l’action sociale et des familles, même si cette personne remplit les conditions légales d’attribution.

« L’interdiction de percevoir tout ou partie des aides sociales, telles qu’elles sont définies par le code de l’action sociale et des familles ne peut excéder quinze ans. »

Article 3

I. – La même sous-section du même code est complétée par un article 131-11-4 ainsi rédigé :

« Art. 131-11-4. – 1° Lorsqu’une peine de déchéance civique est prononcée, celle-ci entraîne la confiscation de tout ou partie des biens du condamné. »

« 2° La confiscation des biens du condamné est prononcée en application des dispositions l’article 131-21. »


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